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"NOTRE SOLUTION POUR L’EUROPE "par ALEXIS TSIPRAS
vendredi 1er février 2013
« NOTRE SOLUTION POUR L’EUROPE »
"LE MONDE DIPLOMATIQUE"
article de Alexis Tsipras
février 2013
ολόκληρο το αρθρο του Αλέξη Τσιπρα στην
Le 3 janvier, l’économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI) concédait qu’une « erreur » avait conduit l’institution à sous-estimer l’impact négatif des mesures d’austérité qu’elle prône par ailleurs.
Ce faisant, il apportait une caution inattendue à l’analyse que présente ici M. Alexis Tsipras, porte-parole de Syriza, la principale force de la gauche grecque.
Février 1953. La République fédérale d’Allemagne (RFA) croule sous les dettes et menace d’entraîner l’ensemble des pays européens dans la tourmente. Préoccupés par leur propre salut, ses créanciers — dont la Grèce — prennent acte d’un phénomène qui n’a surpris que les libéraux : la politique de « dévaluation interne », c’est-à-dire la réduction des salaires, n’assure pas le remboursement des sommes dues, au contraire.
Réunis à Londres au cours d’un sommet exceptionnel, vingt et un pays décident de réévaluer leurs exigences à l’aune des capacités réelles de leur partenaire à faire face à ses obligations. Ils amputent de 60 % la dette nominale cumulée de la RFA et lui accordent un moratoire de cinq ans (1953-1958), ainsi qu’un délai de trente ans pour rembourser. Ils instaurent également une « clause de développement » autorisant le pays à ne pas consacrer au service de la dette plus d’un vingtième de ses revenus d’exportation. L’Europe vient de prendre le contre-pied du traité de Versailles (1919), jetant les fondations du développement de l’Allemagne de l’Ouest après la guerre.
C’est précisément ce que la “Coalition de la gauche radicale grecque” (Syriza) propose aujourd’hui : procéder à rebours des petits traités de Versailles qu’imposent la chancelière allemande Angela Merkel et son ministre des finances Wolfgang Schäuble aux pays européens endettés, et nous inspirer de l’un des plus grands moments de clairvoyance qu’ait connus l’Europe d’après-guerre.
Les programmes de « sauvetage » des pays d’Europe du Sud ont échoué, creusant des puits sans fond qu’on invite les contribuables à tenter de remplir. Parvenir à une solution globale, collective et définitive du problème de la dette n’a jamais été aussi urgent. Et l’on comprendrait mal qu’un tel objectif soit escamoté de façon à assurer la réélection de la chancelière allemande.
Dans ces conditions, l’idée avancée par Syriza d’une conférence européenne sur la dette, sur le modèle de celle de Londres sur la dette allemande en 1953, représente, selon nous, la seule solution réaliste et bénéfique pour tous : une réponse globale à la crise du crédit et au constat de l’échec des politiques menées en Europe.
Voici donc ce que nous demandons pour la Grèce :
–* une réduction significative de la valeur nominative de sa dette
publique cumulée ;
–* un moratoire sur le service de la dette, afin que les sommes conservées soient affectées au redressement de l’économie ;
–* l’instauration d’une « clause de développement », afin que le
remboursement de la dette ne tue pas dans l’œuf le redressement économique ;
–* la recapitalisation des banques, sans que les sommes en question soient comptabilisées dans la dette publique du pays.
Ces mesures devront s’adosser à des réformes visant à une plus
juste répartition des richesses. En finir avec la crise implique en
effet de rompre avec le passé qui a permis de l’engendrer : œuvrer
à la justice sociale, à l’égalité des droits, à la transparence politique
et fiscale, bref à la démocratie.
Un tel projet ne pourra être mis enœuvre que par un parti indépendant de l’oligarchie financière, cette poignée de chefs d’entreprise qui ont pris l’Etat en otage, d’armateurs solidaires entre eux et – jusqu’en 2013 – exemptés d’impôt, de patrons de presse et de banquiers touche-à-tout (et en faillite) qui portent la responsabilité de la crise et s’efforcent de maintenir le statu quo.
Le rapport annuel 2012 de l’organisation non gouvernementale (ONG) Transparency International désigne la Grèce comme le pays le plus corrompu d’Europe.
Cette proposition constitue à nos yeux la seule solution, à moins
de se satisfaire du gonflement exponentiel de la dette publique en
Europe, où elle dépasse déjà, en moyenne, 90 % du produit inté-
rieur brut (PIB).
C’est ce qui nous rend optimistes : notre projet ne pourra pas être rejeté, car la crise ronge déjà le noyau dur de la zone euro.
La procrastination n’a d’autre conséquence que d’accroître le
coût économique et social de la situation actuelle, non seulement
pour la Grèce, mais également pour l’Allemagne et pour le reste
des pays ayant adopté la monnaie unique.
Pendant douze ans, la zone euro – inspirée des dogmes
libéraux – a fonctionné comme une simple union monétaire, sans équivalent politique et social.
Les déficits commerciaux des pays du Sud
constituaient l’image renversée des excédents enregistrés au Nord.
La monnaie unique a par ailleurs servi l’Allemagne, en « refroidissant »
son économie après la coûteuse réunification de 1990.
Mais la crise de la dette a bouleversé cet équilibre. Berlin a réagi en
exportant sa recette de l’austérité, ce qui a aggravé la polarisation sociale
au sein des Etats du Sud et les tensions économiques au cœur de la zone
euro.
Apparaît désormais un axe Nord-créditeurs / Sud-débiteurs, nouvelle
division du travail orchestrée par les pays les plus riches.
Le Sud se
spécialisera dans les produits et les services à forte demande de maind’œuvre avec des salaires planchers ; le Nord, dans une course à la qualité
et à l’innovation, avec, pour certains, des salaires plus élevés.
La proposition de M. Hans-Peter Keitel, président de la Fédération
allemande de l’industrie (BDI), dans un entretien accordé au site Internet
du Spiegel, visant à transformer la Grèce en « zone économique
spéciale » [1] révèle le véritable objectif du mémorandum [2].
Les mesures prévues par ce texte, dont la portée s’étend au moins jusqu’en 2020, se soldent par un échec retentissant, que reconnaît désormais le Fonds monétaire international (FMI).
Mais, pour ses concepteurs, l’accord a l’avantage d’imposer une tutelle économique à la Grèce, qu’il ramène au rang de colonie financière de la zone euro.
Son annulation constitue donc le préalable à toute sortie de crise :
c’est le médicament qui est mortel et non la dose, comme le suggèrent
certains.
Il faudra par ailleurs s’interroger sur les autres causes de la crise financière en Grèce. Celles qui conduisent au gaspillage de l’argent public
n’ont pas changé : le coût de construction de routes au kilomètre le plus
élevé d’Europe, par exemple ; ou encore la privatisation des autoroutes
en guise de « prépaiement » de nouveaux axes… dont la construction a
été interrompue.
L’extension des inégalités ne saurait être réduite à un effet secondaire
de la crise financière. Le système fiscal grec reflète la relation clienté-
liste qui unit les élites du pays. Telle une passoire, il est criblé d’exemptions et de passe-droits taillés sur mesure pour le cartel oligarchique. Le
pacte informel qui, depuis la dictature, soude le patronat et l’hydre à
deux têtes du bipartisme – “Nouvelle Démocratie” et “Mouvement socialiste panhellénique” (Pasok) – en scelle le maintien.
C’est l’une des raisons pour lesquelles l’Etat renonce aujourd’hui à obtenir les ressources dont il a besoin par l’impôt, lui préférant la réduction
continuelle des salaires et des retraites.
Mais l’establishment – qui a survécu de justesse aux élections du
17 juin [3], en semant la peur quant à une éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro – vit sous l’assistance respiratoire d’un second poumon artificiel : la corruption.
La difficile tâche consistant à briser la collusion entre milieux politiques et économiques – une question qui ne concerne pas que la Grèce – constituera l’une des priorités d’un gouvernement populaire conduit par Syriza.
Nous réclamons donc un moratoire sur le service de la dette pour
changer la Grèce.
Faute de quoi, toute nouvelle tentative d’assainissement financier fera de nous autant de Sisyphes condamnés à l’échec. À ceci près que, cette fois, le drame ne concerne plus seulement l’antique cité de Corinthe, mais l’Europe dans son ensemble.
ALEXIS TSIPRAS
http://www.monde-diplomatique.fr/2013/02/TSIPRAS/48724
Voir en ligne : http://www.monde-diplomatique.fr/20...
[1] « BDI-Chef will Griechenland zur Sonderwirtschaftszone machen », Spiegel Online, 10 septembre 2012, www.spiegel.de
[2] NDLR. Accord signé en mai 2010 imposant l’austérité à Athènes en échange de
son « sauvetage » financier.
[3] NDLR. Avec 29,66 % des voix, le “parti Nouvelle Démocratie” (droite) a été contraint de former une coalition avec le Pasok (12,28 % des voix) et “Gauche démocratique” (6,26 %).
Arrivé deuxième, “Syriza” enregistrait un score de 26,89 % (dix
points de plus que lors du scrutin législatif de mai 2012),
et le parti néonazi “Aube
dorée”, 6,92 % (stable par rapport à mai 2012).