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FANNY COLONNA

lundi 8 décembre 2014


UN TÉMOIGNAGE DE MOHAMED HARBI - Publié par Saoudi Abdelaziz - blog algerieinfos - le 29 Novembre 2014 ;


LES VERSETS DE L’INVINCIBILITÉ - Messaoud Benyoucef - braniya chiricahua – le 21 novembre 2014 ;


FANNY COLONNA NOUS A QUITTÉS - ELLE AVAIT 80 ANS - Publié par Saoudi Abdelaziz - blog algerieinfos - le 21 Novembre 2014  : FANNY COLONNA : "MES COLLÈGUES NE S’INTÉRESSENT PAS À L’ISLAM" ;


FANNY - Par Arezki Metref - Le Soir d’Algérie - balade dans le Mentir/vrai (35) - le 23 novembre 2014 ;


FANNY COLONNA, CHERCHEURE ESSENTIELLE - El Watan - le 21 novembre 2014 ;


UN TÉMOIGNAGE DE MOHAMED HARBI

Publié par Saoudi Abdelaziz
blog algerieinfos
le 29 Novembre 2014

Lycéen à Skikda, je fus un jour sollicité par un chef scout, Zerouk Bouzid, pour assurer la diffusion d’une publication que lui avait envoyée Salah Louanchi : il s’agit de Consciences maghrébines , une revue annonciatrice de la naissance d’un courant de pensée anticolonialiste au nom de la conscience chrétienne. Le professeur André Mandouze en était l’animateur.
Je sus, plus tard, que Fanny appartenait à ce courant, qui constituait une chance pour l’affirmation d’un nationalisme démocratique, œuvrant à une société multiculturelle et multiethnique.

Chacun sait que l’éveil de l’Algérie à une existence historique a fait de grands progrès après 1945. La critique des mythes fondateurs de l’Algérie coloniale, qui gagnait des secteurs de plus en plus étendus de la société, n’épargna pas la communauté européenne.
Une mince frange des chrétiens d’Algérie – prêtres, étudiants et syndicalistes, à l’image d’Evelyne Lavalette, détenue politique – s’attaquèrent aux « écrans accumulés pour nier le caractère politique du problème algérien et le réduire à un problème économique et social ».
Cette donnée, oh combien féconde, de l’histoire algérienne a été prise en charge à Alger par les Scouts musulmans, avec Mahfoud Kaddache, Salah Louanchi, Omar Lagha, Mohammed Drareni, Reda Bastandji et les centralistes du MTLD – auxquels Fanny a consacré une étude qui revoit les polémiques anciennes à la lumière des politiques de notre temps.

Loin d’atténuer cette avancée, la guerre la précipita. Des prêtres comme les abbés Albert Berenguer, Pierre Mamet, Jobic Kerlan, Jean Scotto…, les militants de l’AJAAS et les animateurs de Consciences maghrébines s’engagent dans la résistance et incitent l’Eglise d’Algérie, avec à sa tête le cardinal Duval, et le Vatican à la défendre.
Hommes de l’ombre sur le sol algérien, détenus politiques dans les prisons, exilés à l’étranger, ils ont tous mis leur énergie et leur foi au service de la nation algérienne : « Nous ne venons pas en aide au FLN, dixit Pierre Chaulet. Nous sommes Algériens comme vous : notre sol, notre patrie, c’est l’Algérie, nous la défendons avec vous. Nous sommes du FLN. »
Cette profession de foi, c’est aussi celle de Fanny. Son amour de la terre natale, qu’elle a exprimé tout au long de la guerre civile des années 1990 et jusqu’à son dernier souffle, a transformé sa vie de manière à lui donner un sens que la mort ne peut lui ravir.

L’hommage que l’Algérie lui doit va aussi à tous les chrétiens que le fanatisme religieux n’a pas épargnés. Ne les oublions pas. Le silence institutionnel sur leur contribution à la victoire contre le colonialisme n’a pas aidé à assurer leur sécurité dans la tourmente qu’a connue l’Algérie ces dernières années. Espérons que le rattrapage en cours y remédiera.

Mohammed Harbi, 25 novembre 2014.

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FANNY COLONNA

REPOSE DÉSORMAIS

À CONSTANTINE

la sociologue-anthropologue

algérienne

est enterrée

au cimetière chrétien de Constantine


LES VERSETS DE L’INVINCIBILITÉ

Messaoud Benyoucef
braniya chiricahua
vendredi 21 novembre 2014

Fanny Colonna, anthropologue, vient de nous quitter. Paix à son âme. En 1996, j’avais écrit un article de recension pour la revue "Hommes et migrations". Il s’agissait d’un compte-rendu du maître ouvrage de Fanny Colonna, "Les versets de l’invincibilité". En hommage à Fanny, chrétienne-progressiste algérienne, le voici :

C’est l’histoire d’une perte, entrevue et pensée en termes de courbe, dont le tracé, "lent, très lent, séculaire", dessine en définitive la disparition d’une figure centrale de la société algérienne : le "saint", ce clerc, ce lettré, ce "taleb" nourri à la sève unique du Livre Invincible, le Coran.
Avec l’effacement du saint, c’est un "bouleversement dans l’épistémé des gens" qui se produit : la manière de lire et d’interpréter le monde au moyen du Coran change. Notons bien, cependant, que le Coran reste présent dans son immuabilité et que la perception et l’appropriation du monde se font toujours par son truchement ; c’est son mode de présence au monde qui a changé.

Disons-le autrement : une fracture décisive se produit au XXème siècle, en Algérie, qui voit la religiosité changer : la silhouette familière et fantasque du saint s’estompe pour laisser la place à l’Islahi, le réformateur qui, revenu du fond des âges -et, accessoirement de quelque voyage d’études au Moyen-Orient- entend rappeler la société à l’observance stricte de l’Islam "véritable", celui des Origines, des premiers croyants, les "Salaf".

C’est donc cette permanence de l’Islam et ces changements dans la religiosité dans l’Algérie contemporaine, que Fanny Colonna scrute, décompose et reconstruit à travers un exposé méthodologique-critique et une analyse de quatre "nouvelles", récits de Coran, de terre et de sang dans le massif montagneux de l’Aurès, dans l’est de l’Algérie.

Dans la première partie, intitulée "une religion introuvable", F. Colonna s’interroge sur les enjeux cognitifs du religieux et sur sa place et sa fonction dans les sociétés maghrébines. Elle relève que l’historiographie et la sociologie du Maghreb ont, très longtemps, été élaborées à la lumière épistémologique du positivisme durkheimien dominant dans les sciences sociales, et qui n’accordait pas de place à la religion dans son analyse des faits sociaux.

Pourtant, en dehors du cadre universitaire, une foule d’études et de travaux étaient produits sur l’Algérie qui accordaient à la religion une place centrale, essentielle même, dans la vie sociale : il s’agissait de la "littérature" des officiers des Bureaux arabes et des Administrateurs des Affaires indigènes, dont la préoccupation immédiate était, il est vrai, de comprendre, pour mieux la combattre, la dynamique de mobilisation et d’insurrection des tribus.

Cette alternative, "la religion est tout / la religion n’est rien", est la manifestation symptomale d’un autre enjeu, celui de l’inscription identitaire du Maghreb.
En effet, toute une tradition intellectuelle se rattachant à la "Cité antique" de Fustel de Coulanges, via Durkheim, a abouti à la négation de l’ancrage du Maghreb dans la culture islamique, au profit de son inclusion dans l’espace méditerranéen, aux côtés de la Grèce, de Rome, de l’Anatolie... Emile Masqueray, Jean Servier et, surtout, Albert Camus figurent parmi les nombreux promoteurs de cette annexion ; (F. Colonna rappelle que le premier épisode du célèbre reportage d’A.Camus, "Misère de la Kabylie" , était titré : "la Grèce en haillons" !).
On le voit bien : ce stéréotype de la "méditerranéité est incompatible avec une religion révélée scripturaire comme l’Islam ; il n’est compatible qu’avec un paganisme de fait."

Pourtant, la présence de l’Écriture et de textes dans les sociétés maghrébines était un fait têtu et massif : pas une des manifestations de la vie en société n’était indemne de l’empreinte de la religion et du texte sacré ; rien n’échappait à leur magistère.
C’est cette réalité que les anthropologues anglo-saxons en particulier, Clifford Geertz, Jack Goody et Ernest Gellner -entre autres- vont placer au centre de leurs réflexions sur les sociétés islamiques ; leurs travaux vont marquer le début de la déconstruction de la raison objectiviste durkheimienne et ouvrir la voie à une interprétation du sens de la religiosité : "l’accent va être mis, dès lors, sur l’autonomie du religieux et, surtout, sur la construction d’un paradigme qui offre les moyens de questionner l’évolution des manières de croire comme un phénomène endogène, c’est à dire ne se ramenant pas à la conséquence directe des rapports avec un autre."

C’est, explicitement, que F.Colonna inscrit son travail dans le cadre général de ce paradigme ; comme C. Geertz avec Bali, ou E. Gellner avec le Haut-Atlas marocain, elle choisira le massif des Aurès, en Algérie, sur lequel, pendant plus de vingt ans, elle enquêtera et réfléchira, car il offre des homologies troublantes avec ces deux situations : " même résistance à la conversion, aussi bien à la laïcité qu’au Christianisme. Même besoin de se légitimer comme croyants aux yeux des autres et de l’État central. Et, surtout, même prise en main de l’opération de réformation religieuse par la caste religieuse elle-même ; par le haut, si on peut dire."

Dans cette immense montagne berbère de l’est algérien, qui fut le tombeau des premiers conquérants arabes, mais aussi, et paradoxalement, une forteresse de la langue arabe et de l’Islam - à la différence de sa "cousine", la Kabylie, massivement berbérophone et souvent consentante à la conversion au Christianisme-, les récits des Origines situent l’éponyme fondateur à l’ouest (en général dans la Séguia El Hamra, le Sahara Occidental, lieu de départ de ces moines-soldats qui tiennent les marches du Dar El Islam, la "maison de l’Islam", dans leurs "Ribat", ces avant-postes fortifiés : d’où leur nom les Mourabitounes, ceux qui tiennent le Ribat, et sa déformation en "Mrabtines", les marabouts, saints, guérisseurs et savants.)

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LES VERSETS DE L’INVINCIBILITÉ - Permanence et changements religieux dans l’Algérie contemporaine - Fanny Colonna - Presses de Sciences Po - 400p.

Le premier récit est consacré à l’histoire d’une tribu des Aurès qui situe ainsi ses origines.
Le second traite de la tribu des M’samda, protagoniste et ordonnatrice d’un grand rituel ambulatoire au caractère "astronomique" (lié aux saisons) et orgiaque évident.
Le troisième est l’histoire d’un homme dont la prétention à la sainteté est en débat.
La quatrième "nouvelle", enfin, raconte l’émergence de la Réformation religieuse à travers la biographie d’un membre de l’association des Ulémas musulmans, ces lettrés d’un nouveau style qui vont mener cette tentative de retour à un Islam épuré des "scories" maraboutiques.

Au terme de cette recherche qui devrait introduire à une " sociologie intellectuelle " de la société algérienne, que retenir ?

  • D’abord, que les figures successives des clercs, saints et autres lettrés, procédaient toutes d’un substrat intellectuel qui a rendu ce pays "invincible", qui l’a préservé contre l’aliénation mentale : ce substratum, c’est le ’Ilm, la tradition scolastique -point aveugle de l’historiographie et de la sociologie officielles- qui s’est fondée, durant des siècles, sur l’inculcation et la retransmission d’un savoir religieux autochtone.
  • Ensuite, que c’est dans le creuset d’une langue liturgique et d’une pensée religieuse que l’idée de nationalité est née ; en ce sens, on peut dire que ces réformateurs, qui ont tenté de remplacer les saints traditionnels, sont bien les "pères de la nation, mais en une filiation non sanglante, au contraire de celle du pouvoir politique".

Mais le lecteur ne pourra pas s’empêcher de penser à ces figures sanglantes, venues d’un autre âge, elles aussi, et, accessoirement, d’un voyage dans le Moyen-Orient, et qui ont entrepris de réislamiser -encore !- cette pauvre Algérie. Il ne pourra pas ne pas remarquer que, par leur haine du festif, de la joie et de la foi populaire, elles sont, décidément, à la ressemblance de leurs illustres devanciers, les réformateurs, dont il faut excepter les esprits les plus éclairés, les plus occidentalisés, les plus modernistes, tel Benbadis.

Messaoud Benyoucef (02/11/96)

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FANNY COLONNA NOUS A QUITTÉS

ELLE AVAIT 80 ANS

Publié par Saoudi Abdelaziz
blog algerieinfos
le 21 Novembre 2014

FANNY COLONNA :
"MES COLLÈGUES NE S’INTÉRESSENT PAS À L’ISLAM"

Quatre mois avant sa mort, Fanny Colonna évoquait avec Jean-Pierre Van Staëvel, chercheur à l’Université de Paris-Sorbonne, son ouvrage phare, "Les Versets de l’invincibilité". Fanny Colonna y révèle, selon son interlocuteur, "le renversement des valeurs qu’opère l’iṣlāḥ badissien qui a délégitimé l’islam séculaire, fondé sur le culte des saints et la sociabilité confrérique, qui avaient jusqu’alors régné sans partage sur les sociétés rurales du massif de l’Aurès".
Fanny Colonna précise : "Il est question dans le livre d’un islam villageois et de ses transformations, et, plus précisément, de la religion quotidienne, celle avec laquelle les gens interprètent le monde, envisagé ici comme un univers de représentations historiquement constitué, nullement primitif". Evoquant l’accueil fait en Algérie à cet ouvrage paru au milieu de la Décennie noire, Fanny Colonna note vingt ans après : "Les intellectuels, universitaires, mes collègues donc, ne s’intéressent pas à la religion. La révolution ne s’intéresse pas à l’Islam".

Fanny Colonna raconte à Jean-Pierre Van Staëvel
la génèse et le contenu de son ouvrage

Juillet 2014
EXTRAITS

"J’avais l’impression de ne rien savoir, et d’être totalement autodidacte lorsque j’ai commencé à travailler sur le sujet. Mais j’ai grandi dans un village, la Meskiana, et cette vie rurale m’avait profondément imprégnée. Mon père voulait que j’apprenne l’arabe, je suis donc allée quelques temps à l’école coranique pendant les vacances, avant d’entrer au Lycée.

J’ai vu, dans ce mystère du kuttāb, comment on apprenait aux enfants à penser. Et j’ai vécu, dans mon corps, ce qu’était le kuttāb : la posture en tailleur, le rôle de la parole, de la récitation, le balancement des corps, l’amour pour la calligraphie des lettres sur la planche enduite d’argile... Mon article sur la répétition est justement une analyse de ces techniques mises en œuvre pour forger une pensée. J’ai adoré le kuttāb ; je n’ai pas conservé mon lawḥ d’enfant mais j’en ai acquis un pour un dinar dès mon premier terrain dans l’Aurès : il figure en frontispice dans les Versets.

Puis je suis allée à la Médersa réformiste de mon village : et là j’ai vu toute la différence avec l’école coranique, le pantalon droit et la chemise blanche du maître, le banc et le tableau, les élèves assis en rangs, le contrôle des corps. Les deux types d’éducation m’ont marquée, les deux formes d’exis corporelle aussi, tout comme la révélation de l’écart existant entre les deux. À cette expérience personnelle s’est ajoutée, bien plus tard et sur un plan professionnel cette fois, une commande de l’Unesco (Colonna, 1984), qui voulait savoir si, dans le cadre d’une politique d’alphabétisation généralisée, il fallait soutenir l’action des écoles coraniques. Je suis donc partie sur le terrain à Java, en 1986 et j’ai répondu oui. Et j’ai supervisé par ailleurs la constitution d’une copieuse bibliographie sur le kuttāb.

Comment s’est effectué le choix du terrain
dans le massif montagneux de l’Aurès ?

Premièrement sur une base géographique : Timimoun, mon premier terrain était trop loin d’Alger (j’avais quatre enfants encore jeunes), d’accès trop difficile. Pas de téléphone à l’époque. J’avais pu observer déjà, par de courtes missions jusqu’au fond de l’erg, comment se présentait le système éducatif.
L’Aurès a donc été un second choix. Une équipe du Crape y travaillait déjà. Des liens institutionnels existaient avec la municipalité de Bouzina, autorisant des tournées sur le terrain avec les étudiants. L’enquête a commencé en 1973, et s’est poursuivie jusqu’au début des années 1980. Elle s’insère plus largement dans le questionnement qui a été le mien entre 1970 et 1990. C’était néanmoins une recherche en solitaire.

Quelle a été la réception de l’ouvrage en France et en Europe

Avant même d’aborder la question de la réception – ou son absence –, il est intéressant de noter qu’une fois le manuscrit terminé, il m’a tout d’abord fallu essuyer onze refus d’édition. Le sujet n’intéressait pas. Comme les oueds de l’Aurès finissent dans le sable, ce livre n’a pas trouvé son milieu de réception.
En France, ce livre n’a pas allumé de vocation, n’a suscité aucun débat, pas de réaction. J’en ai fait mon deuil.
La raison ? Tout d’abord une question de circonstance. La parution du livre en novembre 1995 a coïncidé avec une période d’intense agitation sociale et politique en France, et un terrible conflit armé en Algérie. L’ouvrage n’a fait l’objet d’aucune promotion. La presse n’en a donné aucune recension. Une surdité générale, en fait.
Dans les cercles scientifiques, aucun des séminaires de l’Ehess ne pouvait faire écho à ma recherche, trop peu marxiste pour s’imposer. Même si l’on n’en était plus à mettre en avant la question de la religion comme « masque de la lutte des classes », la lecture marxiste – et son refus de voir la chose religieuse en tant que telle – conservait encore à ce moment-là une position d’autorité dans le champ académique.
Plus largement, il n’y a donc eu aucune valorisation de cette recherche. Les quelques comptes rendus qui ont été faits des Versets ont été bien intentionnés, mais ne se sont guère intéressés au fond de la question (...).

Et en Algérie ?

Un séjour de deux ans au Caire en 1996-98 m’a permis de faire traduire les Versets en arabe. Mais surtout, au bout de dix ans d’efforts, grâce à l’un de mes premiers étudiants, Mohand-Akli Hadibi, j’ai pu faire éditer l’ouvrage en Algérie (2006). J’y tenais beaucoup.
Toutefois, cette réception retardée est restée timide, de l’ordre du privé et des relations interindividuelles. Il n’y a eu aucune réaction publique, pas de compte rendu dans la presse. Jusqu’à aujourd’hui, les Versets sont peu connus, ou contournés.

Cela s’explique aisément par la position idéologique défendue par le mouvement national algérien depuis ses débuts.
Alors même que Messali Hadj est un religieux, la religion est considérée comme un problème épineux, et donc laissée de fait « pour plus tard ». Les intellectuels, universitaires, mes collègues donc, ne s’intéressent pas à la religion.
La révolution ne s’intéresse pas à l’islam, à l’unique exception d’Ahmed Nadir (Nadir, 1984).

Comme s’il y avait là, sur les deux rives de la Méditerranée, une conjonction des positionnements scientifiques et idéologiques, qui empêche l’émergence de la religion « rurale » ou « quotidienne » en tant qu’objet de recherche ?

Plus qu’une simple conjonction, les deux attitudes sont en totale correspondance : ce sont des vases communicants.
Motivées par des raisons différentes, elles se rejoignent dans un semblable rejet de la religion comme objet de science et comme objet de débat politique. Mes interlocuteurs, issus d’élites intellectuelles marquées par la vulgate marxiste et dépourvus de connaissances sur l’histoire religieuse de l’Algérie, ne voulaient pas entendre parler de religion. Ce refus révèle plus encore qu’une posture intellectuelle : un exis très profond.

L’intégralité l’entretien sur http://remmm.revues.org/8766

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Lire aussi les nécrologies qui lui sont consacrées dans

El Watan.com

et
le HuffPost

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FANNY

Par Arezki Metref
arezkimetref@free.fr
Le Soir d’Algérie - balade dans le Mentir/vrai (35)
le 23 novembre 2014

Comme dans la vie des hommes, dans celle des récits au long cours, il y a des haltes, des accélérations, des creux, des bonheurs et le malheur. Avec le décès de Fanny Colonna, cette balade dans le Mentir/vrai est frappée par le deuil.
Quand mardi soir, j’ai appris qu’elle venait de s’éteindre, je me suis senti affligé par la disparition subite d’une amie, mais aussi par le fait que cette chronique perdait, en pleine exaltation, une marraine. Car il faut dire que depuis que cette chronique a basculé dans le mentir/vrai, avec ce que cela induit de construction littéraire et intellectuelle, Fanny Colonna en était une lectrice fidèle, exigeante et vigilante qui ne laissait rien passer.

Même si elle réagissait à tous les épisodes, ce n’est qu’en mars 2014 qu’elle me téléphona, lorsque j’abordai la séquence sur Albert Cossery à Paris, et au Caire où elle avait vécu au milieu des années 1990.

De sa voix mélodieuse reconnaissable entre toutes, elle m’intima :
- ll faut qu’on se voie, j’ai quelque chose à te dire !
Ah ce « quelque chose à te dire », c’était son expression ! Rendez-vous fut pris quelques jours plus tard dans un café :

- Ce pourrait être intéressant de réunir en volume ces textes sur les auteurs qui t’ont inspiré, toi et ceux de ta génération, car ils me semblent bien oubliés.
Elle ajouta : - Non seulement, il faut que tu continues cette série, mais tu dois aussi envisager chaque épisode comme le chapitre d’un ouvrage.

Elle m’avoua que ce qui l’intéressait dans cette démarche, ce n’était pas seulement le caractère anecdotique, bien que, reconnut-elle, cet aspect ne soit pas déplaisant. Étudiant la production des savoirs, elle y voyait un intérêt intellectuel, sinon sociologique. Elle m’expliqua que peu de gens savaient qu’en dépit de l’enfermement physique et mental qui fut et reste celui des Algériens, ces derniers sont capables de se jouer de tous les obstacles pour aller à la conquête de la construction de savoirs. Elle évoqua comme cas d’espèce les voyages littéraires de ces chroniques, en y voyant cette volonté tenace d’abattre les murs que les pouvoirs politiques dressent entre nous et la connaissance libre. Elle développa beaucoup cet aspect de sa propre réflexion concrétisée par des écrits sur l’émergence de classes moyennes post-independance dont l’accès à l’instruction avait aiguisé l’appétit de savoir contredit par des limites idéologiques imposées par les institutions.

Jusqu’à cette discussion avec Fanny, je n’avais pas conscience que ces écrits factuels puissent être perçus autrement que comme des souvenirs de voyages, de rencontres et de lectures.
Je lui répondis du tac au tac :

- Evidemment, je suis d’accord pour en faire un ouvrage !
Puis, après un examen plus sérieux de la proposition :
A condition que tu préfaces l’ouvrage et que les arguments que tu viens de développer et que je n’avais pas franchement envisagés, y figurent.

Cet échange m’avait doublement boosté. C’est ce que je crus du moins de prime abord. D’une part, il ne me déplaisait pas que ces récits suscitent un intérêt comme celui de Fanny Colonna, allant au-delà de la narration et, au mieux, de la littérature. D’autre part, je découvrais cette excitante possibilité qu’un livre puisse se construire par étapes publiées et dans une sorte de plaisir éphémère et renouvelé. Mais, paradoxalement, je comprenais du même coup que l’euphorie de cette découverte portât en elle ses propres chaînes. Dès le moment où je me mis à m’efforcer chaque étape comme un fragment d’ouvrage, l’exigence de cohésion et de singularité me faisait perdre en spontanéité et en fraîcheur. Je quittais le journalisme dans son acception indulgente de littérature de l’éphémère, qui pardonne la maladresse, pour passer sous les fourches caudines de la littérature avec ce qu’elle comporte de contraignant, c’est-à-dire de définitif.

Fanny Colonna, qui suivait chaque étape, ne se rendit pas compte de mon malaise d’avoir renoncé au droit à la spontanéité. Bien au contraire, elle trouva le résultat de plus en plus élaboré.
Universitaire soucieuse de précision, elle commença, à un certain moment, à concevoir les exigences de l’ouvrage qui devait être, selon elle, complété par l’adjonction de tout un système de références, et par des indications bio-bibliographiques de tous les auteurs lus, rencontrés, croisés.

Comme je ne savais par moi-même à quel moment achever cet ouvrage, je sollicitai son avis :
- C’est à toi de voir. Quand tu te sentiras prêt, je te ferai une préface et je t’aiderai à élaborer tout l’appareil critique.

Depuis plusieurs mois, nous communiquions par intermittence et souvent par de brefs courriels.

Après avoir publié au mois d’août dernier dans Le Soir d’Algérie un reportage sur Apulée de Madaure, elle me téléphona de nouveau pour me dire qu’il fallait absolument l’insérer dans la série. Je rétorquai que cela ne faisait pas partie de la balade du Mentir/vrai. Elle objecta que mon argument était strictement formel et que le reportage procédait bien de la même démarche.

Une fois encore, rendez-vous fut pris pour en parler de vive voix. Reporté !
Le temps passa.

Depuis septembre, elle ne réagissait plus à la chronique. De mon côté, pris par divers déplacements, je repoussai indéfiniment le projet de lui téléphoner...
En 20 ans, j’ai beaucoup travaillé avec Fanny Colonna. Il y aurait encore bien des choses à dire. Mais je préfère m’en tenir à ce compagnonnage autour du Mentir/vrai car je sais que quand j’écris, Fanny Colonna veille avec rigueur et sympathie.

A. M.

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FANNY COLONNA, CHERCHEURE ESSENTIELLE

El Watan
le 21 novembre 2014

Mardi 18 novembre, la chercheure Fanny Colonna, de nationalité algérienne, est décédée à l’âge de 80 ans, loin de son terrain de recherche, l’Algérie qui l’a vu naître en 1934. Ceux qui l’ont connue lui rendent hommage.

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HEUREUSE D’ENCOURAGER UNE NOUVELLE GÉNÉRATION DANS LA DÉCOUVERTE DE L’ ALGÉRIE :

Par : James McDougall

Fanny Colonna, sociologue algérienne, nous a quittés subitement le 18 novembre 2014. Née en Algérie en 1934, étudiante à Constantine puis à Alger, où elle a milité « raisonnablement », de ses propres termes, dans le milieu des consciences maghrébines et des cadres du PPA-MTLD recherchés alors par la police française.
Enseignante après l’indépendance aux côtés de Mouloud Mammeri, réfugiée en France en 1993 mais souvent, depuis, revenue dans son pays, elle a travaillé sur l’Egypte, sur le Maghreb plus largement, mais surtout sur le terrain algérien de l’Algérie « profonde » : le Gourara, les Aurès étaient ses lieux de recherches privilégiés. On lira encore pendant longtemps ses brillants ouvrages de référence sur les instituteurs algériens de l’école française (Instituteurs algériens, 1975), l’histoire de l’islam contemporain vu à travers les oulémas aurésiens (Les Versets de l’invincibilité, 1995), la pratique d’une l’ethnographie Sud-Sud (Récits de la province égyptienne, 2004), ou les liens surprenants qui ont pu exister à un moment d’avant-1914, entre personnalités étonnantes d’Algériens et d’Européens dans l’intérieur du pays (Le Meunier, les moines et le bandit, 2010), et ses abondants articles, toujours pleins de détails comme de subtiles analyses sur l’histoire rurale et ses « savants paysans », sur la science coloniale, la culture, les producteurs intellectuels et j’en passe. Elle aimait le cinéma et la littérature.

Ses écrits sont faits avec un sens à la fois du visuel — un portrait ou un paysage est dépeint en quelques lignes avec une remarquable finesse — et une richesse de langage où l’acuité d’analyse se combine avec la profondeur de l’observation.
Mais nous continuions de profiter, surtout, de l’abondante générosité avec laquelle elle a prodigué idées, conseils, lectures, aide et encouragements non seulement à ses propres étudiants, mais à tous ceux et celles qui venaient, d’Algérie, de France, d’Angleterre ou des Etats-Unis, vers elle au cours de leurs travaux universitaires en histoire et sciences sociales, toutes disciplines confondues. Subtile, brillante, franche, toujours accueillante, elle recevait volontiers, longtemps après sa retraite à Paris, de jeunes chercheurs venus discuter de leurs projets de recherche, du terrain ou des idées, heureuse comme elle l’était d’encourager une nouvelle génération dans la découverte de l’Algérie, de son passé et de sa société si riches même dans leurs douleurs, ce qu’elle avait compris très jeune elle-même dont le père fut administrateur à la campagne et dont la première éducation politique fut à l’écoute d’un militant PPA, assigné à résidence chez elle et loin de chez lui. Fanny Colonna nous laisse accablés par la disparition d’une amie si chère, si vivace, pleine d’humour et d’un sens aigu de la vie, et qui avait encore tant de choses à nous enseigner.

Par : James McDougall (Professeur d’histoire à l’université d’Oxford, Angleterre)

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ELLE AVAIT CHOISI D’ ÊTRE ALGÉRIENNE :

Par : Augustin Jomier,

Fanny Colonna s’est éteinte mardi dernier. Nous nous connaissions depuis une petite dizaine d’années. Très généreuse de son temps et de sa personne, elle se montrait spécialement disponible pour les jeunes chercheurs d’Algérie, de France et d’ailleurs. Ils se sentent aujourd’hui orphelins. Fanny avait encore tant à transmettre. Son regard vif, sa parole franche et souvent malicieuse faisaient advenir des discussions d’une rare qualité, puis laissaient ses auditeurs sous le charme. Le jeune confrère que je suis est mal placé pour en parler, mais sa famille, sa foi – très libre aussi – et l’Algérie occupaient une très grande place dans son existence. Elle était née en 1934, dans la campagne algérienne, d’un père administrateur de ce qui s’appelait alors une « commune mixte ». Marquée par l’anticolonialisme catholique et par ses diverses expériences de la « situation coloniale », elle choisit d’être Algérienne.

Depuis Alger, où elle a vécu jusqu’en 1993, elle a mené sa carrière sur les deux rives de la Méditerranée, publiant en Algérie comme en France. Cofondatrice du département de langue et culture berbères de l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, elle laisse une œuvre aussi dense qu’originale. Dès sa thèse sur Les Algériens instituteurs (1883-1939), elle a affirmé une grande liberté vis-à-vis des récits politiques dominants – coloniaux comme nationalistes –, des clivages disciplinaires et des formes de l’écriture scientifique. Elle n’a eu de cesse d’explorer l’histoire culturelle de l’Algérie et du Maghreb, le plus souvent rurale, afin d’y lire les bouleversements profonds induits par la colonisation et l’émergence, dans l’entre-deux-guerres, d’acteurs culturels et religieux nouveaux. Les Versets de l’invincibilité (1995) en recueillent la quintessence. Sociologue de formation, elle préférait se définir comme anthropologue, consacrant de longs terrains à exhumer des archives inédites ou à mener des enquêtes orales. A la fin de sa vie, elle dialoguait beaucoup avec les historiens, les éveillant sans cesse à de nouveaux questionnements.

À partir des années 1990, elle avait exploré des formes d’écriture plus narratives et imagées. Loin des canons scientifiques, ses récits très incarnés et suggestifs rendent avec clarté l’histoire des sociétés passées comme les conditions subjectives de sa recherche : son dernier ouvrage, Le Meunier, les moines et le bandit (éditions Koukou, 2011) est, à cet égard, une belle et grande réussite.
Fanny nourrissait encore bien des projets, notamment autour de l’œuvre d’Emile Masqueray (1843-1894), ethnographe dans les pas duquel elle avait souvent marché dans les Aurès et en Kabylie et dont elle jugeait l’œuvre trop méconnue. Quand nous nous sommes écrit pour la dernière fois, il y a un mois, elle achevait un ouvrage sur les détenus algériens du bagne de Calvi, un des nombreux legs qu’elle nous fait et que nous continuerons à faire vivre.

Par : Augustin Jomier, doctorant en histoire, université du Maine/Fondation Thiers-CNRS

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UNE PASSION ALGÉRIENNE
Par : Kamal Chachoua, Mohand Akli Hadibi, Azzedine Kinzi et Loïc Le Pape

La disparition soudaine de Fanny Colonna, décédée mardi 18 novembre 2014 à Paris, nous révèle l’existence d’une tradition et d’une génération de socialscientists algérienne que nous avons du mal à connaître et à reconnaître à cause de ses racines, de ses courants et de ses divisions, quelquefois même considérées comme impures. Fanny Colonna est en effet le produit de cette double histoire coloniale et nationale, de la tradition sociologique algérienne qu’elle a su, mieux que beaucoup d’autres, conserver et dépasser. Née dans un village de l’intérieur de l’Algérie en 1934, d’une lignée d’émigrants de la colonisation, à la fin du XIXe siècle, venus du sud de la France, elle a su et pu opérer des choix professionnels et militants qui allaient à l’encontre de sa prime éducation sociale, politique et familiale. Ses choix étaient moins risqués que ceux des jeunes Algériens de sa génération mais, à coup sûr, pas moins douloureux du point de vue affectif.

La guerre d’Algérie ne l’avait pas désorientée mais bien altérée, notamment à cause de la disparition de son père dans des conditions tragiques. C’est aussi durant la guerre d’indépendance qu’elle s’est mariée, qu’elle a eu ses premiers enfants et qu’elle a commencé ses études universitaires à la faculté centrale d’Alger. En 1962, à la différence de la masse des Européens qui ont déserté l’Algérie, Fanny et son mari, Pierre Colonna, font le choix de rester et optent pour la nationalité algérienne. Cette position et ces nouvelles conditions politiques et citoyennes expliquent une part importante de ses choix épistémologiques dans le champ scientifique français et algérien, qu’elle a su tenir des deux mains, sa vie durant.

En 1967, elle soutient, pour son diplôme d’études approfondies (DEA) de sociologie, un mémoire consacré à Mouloud Feraoun sous la direction de Mouloud Mammeri. Quelques mois après, elle devient assistante au département de sociologie à l’université d’Alger et effectue, sous la direction de Pierre Bourdieu, un doctorat de troisième cycle sur Les Instituteurs algériens (1883-1939) soutenu à Paris en 1975. Quand Mouloud Mammeri est désigné directeur du Crape (actuel CNRPAH) en 1969, il fait appel à son ancienne étudiante et collègue de l’université d’Alger comme à de nombreux autres jeunes diplômés algériens pour constituer un corps de chercheurs algériens au centre.

C’est durant ces décennies 1970-80 que Fanny Colonna fait ses premières enquêtes collectives à Timimoun et dans les Aurès et qu’elle connaîtra intensément le milieu culturel, artistique et intellectuel algérois. C’est également durant ces années, où la sociologie algérienne était flamboyante et déclinante en même temps, que Fanny Colonna a construit l’essentiel de son style, de ses orientations théoriques et sa personnalité scientifique. Elle a été la seule à avoir conservé et su dépasser l’héritage scientifique colonial qui divisait toutes les communautés scientifiques d’Algérie et d’ailleurs. Son goût et sa tentation constante d’explorer des modèles théoriques et des approches méthodologiques variés la distinguent jusqu’à la marginalité. Son livre, Les Versets de l’invincibilité (édité en France en 1994, récemment réédité en Algérie sous un autre titre) est, selon ses propres mots, « une surdité générale ».

En effet, il n’a suscité aucun écho, aucune vocation, aucune recension mise à part celles de quelques collègues bien intentionnés. Ce livre est en effet le reflet de la théorisation « solitaire » de Fanny Colonna où l’on trouve, face à face et côte à côte, des théories, des sources et des matériaux d’inspirations et de statuts composites. Ce livre arrive, en effet, trop tôt et trop tard en même temps : pas seulement parce qu’en 1994, l’islam rural et local n’est pas le problème épineux de l’Algérie, alors confrontée au terrorisme islamiste, mais aussi parce qu’il creuse une approche théorique innovante qui ne suscite pas d’intérêt dans le milieu algérien des sciences sociales, dominé par une vulgate marxienne tenace et un tabou politique encore vivace sur tout ce qui concerne l’islam. Avec de nombreux autres intellectuels algériens, Fanny Colonna fut à l’initiative d’un Comité international de soutien aux intellectuels algériens (Cisia), qui a assuré l’écho et l’accompagnement des Algériens contraints à l’exil à partir de 1993.

Depuis, elle vivait en France avec une carte de résidence qu’elle renouvelait tous les dix ans comme de nombreux autres émigré(e)s algériens de sa génération. L’enquête sur le retour des diplômés dans le tissu local en Egypte, qui avait pris deux années de terrain aux quatre coins du pays, était, pour Fanny Colonna, une sorte de retour et de reprise Sud-Sud de son travail sur l’Algérie et les Aurès en particulier. Une façon de revisiter le retour au local des jeunes lettrés algériens de l’école française ou des médersas réformistes dans le monde rural de l’Algérie du milieu du XXe siècle. Pour la restitution et l’exposition des enquêtes de terrain du livre Les Provinces égyptiennes, elle s’était inspirée du best-seller de Pierre Bourdieu, La Misère du monde, paru en 1993 aux éditions du Seuil.

Pour revenir à ses deux « maîtres » (Pierre Bourdieu et Mouloud Mammeri), on peut dire que Fanny Colonna n’a jamais totalement adhéré à la théorie de la domination et du déracinement de Pierre Bourdieu, bien qu’elle admirait sa méthode et son exigence scientifique. Tout comme elle n’a jamais totalement adhéré à l’idée d’oralité savante et ascripturaire des sociétés rurales et berbères que défendait Mouloud Mammeri, tout en appréciant son intuition scientifique, son talent pédagogique et sa sensibilité littéraire. En effet, ces deux modèles ne répondent pas et ne l’aident pas à penser et à formuler sa propre quête sociologique de terre et d’ancêtres.

Davantage, ces deux théories ainsi que la tradition sociologique durkheimienne toute entière n’arrivent pas, selon elle, à penser et à constituer l’islam comme objet sociologique. Fanny Colonna a été pour nous une directrice de recherche exigeante et bienveillante. Son œuvre pluridisciplinaire qui mêle littérature, sources orales, archives, enquêtes sociologiques est marquée par un usage et une connaissance passionnée et/mais contrôlée du XIXe siècle, cette « île chronologique », pour reprendre un de ses termes, restera incontournable pour qui veut penser les conflits et les fragilités identitaires du pourtour méditerranéen.

Par : Kamal Chachoua, Mohand Akli Hadibi, Azzedine Kinzi et Loïc Le Pape

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