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ACTUALITÉ NATIONALE

DOCUMENTS AUTOUR DU 8 MAI 1945

mardi 12 mai 2015


MASSACRES DU 8 MAI 1945 - Daho Djerbal, historien : « L’Algérie n’a pas besoin de reconnaissance » des crimes coloniaux - par Hadjer Guenanfa - le 8 mai 2015 - repris sur TSA (Tout sur l’Algérie) ;


KATEB YACINE on May 8th 1945 in ALGERIA - “Déjà le sang de mai ensemençait novembre” - extrait du film de René Vautier - VIDÉO ;


LES PRÉPARATIFS DU 8 MAI 1945 posté par Rédaction LQA - 8 mai 2015 - Mostefai Chawki - Le Quotodoen d’Algérie ;


YACINE, MANDOUZE, JEANSON ET BARRAT, TÉMOINS DE LA GRANDE RUPTURE : NOVEMBRE 1954 COMMENCE EN MAI 1945 - par Youssef Zerarka - HuffPost Algérie - le 8 mai 2015 ;


8 mai 1945 : 70 ème ANNIVERSAIRE DE LA VICTOIRE SUR LE NAZISME ET DES MASSACRES PERPÉTRÉ PAR L’IMPÉRIALISME FRANÇAIS EN ALGÉRIE - PARTI ALGÉRIEN POUR LA DÉMOCRATIE ET LE SOCIALISME - le 6 mai 2015



MASSACRES DU 8 MAI 1945

Daho Djerbal, historien :
« L’Algérie n’a pas besoin de reconnaissance » des crimes coloniaux

par Hadjer Guenanfa
le 8 mai 2015
repris sur TSA (Tout sur l’Algérie)

DAHO DJERBAL, HISTORIEN, DIRECTEUR ET L’UN DES FONDATEURS DE LA REVUE NAQD.

Daho Djerbal est maître de conférences en histoire de l’Algérie contemporaine à l’Université d’Alger. Il est également directeur de la revue Naqd dont il est l’un des fondateurs.

Pourquoi les Algériens manifestent aussi peu d’intérêt pour ces événements historiques dont les massacres du 8 mai 1945 ?

Il ne faut pas généraliser parce qu’il y a la mémoire collective. Même si le manuel scolaire et les travaux de recherches universitaires ne se penchent pas sur cette question, il y a tout ce qui relève de la mémoire collective avec le récit, le conte, la légende, le mythe, la chanson, la poésie et tout cela fonctionne et ne s’oublie pas. À mon humble avis, il y a plusieurs histoires, il y a l’histoire de l’État qui est officielle et une histoire de la Nation et une histoire du peuple. Au fond, dans l’histoire officielle, il y a peu d’intérêt pour l’histoire du peuple et pour la Nation. Souvent, ceux qui nous gouvernent oublient qu’ils représentent un pouvoir souverain qui a été constitué et institué par la lutte du peuple algérien.

Quelle importance revêt la visite du secrétaire d’État français aux anciens combattants à Sétif pour le 70e anniversaire des massacres du 8 mai 1945 ?

Je fais toujours la part entre ce qui est des rapports intergouvernementaux et de ce qui est du rapport à l’histoire. Souvent il s’agit de possibilités pour les deux gouvernements de trouver un terrain dans lequel ils peuvent négocier une renégociation des accords conclus dans le passé récent, c’est-à-dire, depuis les accords d’Evian à aujourd’hui. Chose qui nous laisse penser qu’il y a instrumentalisation ou une utilisation des faits d’histoire pour pouvoir arriver à des accords intergouvernementaux ou interministériels ou interétatiques. Cela ne m’intéresse pas du tout. Et à mon sens, il y a comme une maldonne quand on fait la part entre la mobilisation étatique, gouvernementale et médiatique française concernant un événement comme le génocide arménien et l’événement du 8 mai 1945 et d’autres. Au fond, le fait d’envoyer un sous ministre inaugurer une stèle à Sétif concernant le massacre du 8 mai 1945 est un non-événement pour moi.

Le sujet de la repentance ou de la reconnaissance par la France des crimes coloniaux refait surface lors de chaque commémoration…

Les déclarations de la classe politique ou de personnalités civiles ou religieuses concernant cet événement sont de la pure gesticulation ou des effets de manche pour qu’on puisse défrayer la chronique dans les médias. Le travail sur cette question d’histoire se fait sur le terrain. Quand on exige la reconnaissance, on va exiger un dédommagement. C’est-à-dire le prix du meurtre. Mais est-ce que payer des victimes un siècle ou un demi-siècle plus tard va résoudre le problème de la mémoire collective et du trauma individuel et collectif qui est encore présent ? J’ai plusieurs témoignages de militants de la Fédération de France du FLN, des hauts cadres du PPA-MTLD ou du mouvement national algérien. Quand on leur pose la question pour savoir comment ils sont arrivés à faire de la politique, la plupart évoquent le 8 mai 1945. Il faut savoir que la trace ne s’efface pas. À chaque nouveau traumatisme individuel ou collectif, ce qui est enkysté dans la mémoire individuelle ou collective revient à la surface.

L’Algérie n’a donc pas besoin de cette reconnaissance ?

Absolument ! On doit faire un travail sur nous-mêmes. Dans les manuels scolaires, les médias, les ouvrages, on va retrouver une histoire plus ou moins codifiée, encadrée et orientée. Une histoire des vainqueurs et donc du pouvoir. Nous devons faire cette histoire pour nous-mêmes et par nous-mêmes. C’est-à-dire qu’il faut mettre en parole, verbaliser, publier, travailler, se rencontrer autour de ces questions et se demander : que sommes-nous devenus ? La reconnaissance est d’abord pour nous-mêmes. Pourquoi ? Pour réconcilier les Algériens avec eux-mêmes et avec leur histoire. Des gens sont laissés pour compte dans cette histoire. Il y a des victimes, mais aussi des acteurs de cette histoire et ils sont très nombreux. La question aujourd’hui est de savoir si ce type d’événement ne va pas se reproduire. Est-ce que cela ne va pas se répéter jusqu’à ce jour ? Est-ce que cela n’est pas en train de se répéter à ce jour ?

La violence des années 1990 est aussi une conséquence de ce qu’on a refoulé ?

Absolument ! Dans un numéro Naqd, une psychiatre de l’hôpital Frantz Fanon de Blida qui, recevant des rescapés des massacres collectifs des villages de La Mitidja, leur avait demandé de raconter ce qui s’est passé. Eh bien, les gens se mettaient à raconter la descente de parachutistes français dans leur village. Un trauma de la guerre de libération non mis en parole et non verbalisé est refoulé, enkysté dans la mémoire. Nouveau choc ou nouveau traumatisme, il ressort à la surface et lors de la première verbalisation, c’est ce qui était enfui qui revient à la surface. Et vous ne pouvez pas pacifier ou entrer dans une relation pacifiée dans la société si les problèmes qui l’ont agitée, les massacres qui ont atteint les populations, les purges et les luttes intestines, les guerres fratricides ne sont pas mis en parole. Il n’y a pas une famille en France qui n’a pas une armoire fermée où gisent des cadavres. Chez nous aussi. Donc cessons ces mascarades et ces gesticulations intergouvernementales concernant les reconnaissances et la repentance et travaillons sérieusement.

Sources TSA

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KATEB YACINE on May 8th 1945 in ALGERIA

“Déjà le sang de mai ensemençait novembre”

film de René Vautier - extrait

VIDÉO

https://www.youtube.com/watch?t=10&v=Gu9fSq6NcKY

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LES PRÉPARATIFS DU 8 MAI 1945

Posté par Rédaction LQA
8 mai 2015
Mostefai Chawki

DOCTEUR CHAWKI MOSTEFAI

Communication

En ce jour anniversaire des événements tragiques de 1945, qui ont endeuillé les villes de Guelma et Sétif ainsi que tout leur arrière pays, nous nous recueillons avec émotion et ferveur au souvenir de tous ces martyrs dont on a versé le sang généreux, en ces journées de Mai 1945.

C’est un grand honneur que les organisateurs de cette commémoration me font en me demandant d’apporter un témoignage vivant des évènements que nous avons personnellement vécus et initiés, en même temps d’ailleurs que d’autres militants, dirigeants et cadres du Parti du Peuple Algérien dont la plupart, malheureusement, sont disparus, emportant avec eux une parcelle de l’Histoire du mouvement national algérien.

Je vous remercie , mes frères et mes sœurs , et en même temps , je vous félicite de votre initiative qui porte la marque de la fidélité à notre idéal et à la mémoire de tous ceux qui ont donné leur vie pour la liberté. Le culte du souvenir est une condition de survie de l’âme d’un peuple.

Votre initiative est d’autant plus méritoire que nous avons assisté depuis notre indépendance en 1962, à une conspiration du silence sur l’origine réelle et lointaine de l’action libératrice et l’appropriation, parfois insidieuse, d’autres fois, frontale, de la paternité de la politique et de l’action menée. BENYOUCEF Ben Khedda, a, dans son livre « Les origines du 1er Novembre 1954 » (page 22), mis l’accent sur cette tentative d’escamotage de l’Histoire. « On ne saurait, dit-il, trop insister sur l’aspect pernicieux de l’attitude qui consiste à sanctifier la Révolution mais en faisant table rase du passé ».

Beaucoup de choses ont été écrites sur cette période de Mai 45. Et pourtant, malgré la qualité des auteurs, leur professionnalisme ou leur expérience du mouvement national, les tenants et aboutissants des manifestations du 1er Mai 45, du 8 Mai, de ce qu’on appelé l’ordre d’insurrection et du contre-ordre, n’ont pu être cernés avec toute la rigueur nécessaire par ceux qui ont rapporté l’évènement sur la base de témoignages dont les auteurs ont, très certainement, oublié ou confondu certains détails, qui heureusement, n’ont pas modifié, fondamentalement, la substance et la signification des faits.

C’est pourquoi l’initiative de votre association historique et culturelle du 11 décembre 1960, est a ce point judicieuse, de faire appel directement aux personnes qui ont eu à prendre des décisions urgentes et assumer des responsabilités importantes. C’est le cas de Said AMRANI, et de moi-même qui avons la chance et l’avantage d’être deux survivants de cette Direction politique qui a marqué un tournant décisif dans la marche de notre pays vers son indépendance.

L’usage a consacré la dénomination de Direction du Parti, Parti du Peuple Algérien, (P.P.A). pour désigner des membres actifs dont chacun assumait une tâche spécifique, telles que Secrétariat général, organisation, relations publiques, Finances, agitation, propagande, etc.… Ce noyau faisait partie de la Direction élargie qui, elle, englobait tous les militants qui ont eu a jouer un rôle de direction à un moment ou à un autre, et qui se réunissait, soit à l’occasion d’un événement d’importance qui requérait le maximum d’avis en vue d’une décision, soit, tout simplement, parce qu’un membre en manifeste le désir, auquel cas il participe aux réunions de la Direction. C’est par exemple le cas de Chadli EL MEKKI qui se trouvait à Alger au moment des massacres de Sétif et Guelma, de ABDOUN présent à Alger et dont on a jugé bon de demander l’avis, pour maintenir ou arrêter l’ordre d’une action qu’on a par ailleurs, par simplification, amalgame, ou pernicieuse Intention appelé « ordre d’insurrection ». C’est ainsi que , la composition de la Direction du Parti ou bien la responsabilité de décisions ou d’attitudes varient d’un auteur à l’autre. Par exemple Mahfoud KADDACHE dans son livre « Histoire du Nationalisme Algérien » et situant la décision des manifestations du 1er MAI 45 par le Bureau clandestin du PPA au 30 Avril, soit la veille des manifestations, écrit (page 699) que c’est sur l’insistance de HAFIZ Abderrahmane, MEZERNA Ahmed, MOKRI Hocine, et HENNI Mohamed, que la décision a été prise de manifester le 1er Mai ; BENKHEDDA Benyoucef, dans son livre « les origines du 1er Novembre 54 » (page 97), fait remarquer la difficulté de cerner la composition de la Direction du PPA en citant, en plus de la liste précédente, DEBAGHINE Mohamed Lamine, CHERCHALLI Hadj Mohamed, AMRANI Said, BOUDA Ahmed, ASSELAH Hocine, MOSTEFAI Chawki, KHELIL Amar, FILALI Embarek. A ces noms, il faudrait ajouter, rappelle ABDELHAMID Sid Ali, BOUKADOUM Messaoud et TALEB Mohamed.

C’est dire à quel point, est difficile et hasardeuse la relation de l’Histoire d’un mouvement de libération tel que le nôtre, des attitudes et des actes des uns et des autres parmi les opérateurs et protagonistes de l’événement, quand la source de l’information est basée sur le seul souvenir des hommes.

C’est pourquoi, je m’efforcerai d’apporter à mon témoignage, élaboré avec la participation de Said Amrani et Sid Ali Abdelhamid, le maximum d’exactitude avec l’espoir que ce témoignage sera la mise au point attendue à la relation des évènements, des tenants et aboutissants de cet épisode crucial de l’histoire de notre mouvement de libération nationale.

C’est le vœu que j’exprimai déjà dans mon témoignage lors de la commémoration du 8 Mai 45 par la section de Guelma en 1995, témoignage dont je reprends, aujourd’hui, de larges extraits. Mais n’ayant ni le temps, ni la compétence et la prétention de faire œuvre d’historien, il me plait de recommander à notre jeunesse la lecture de travaux de grande qualité sur le mouvement national de libération que sont les livres de Mahfoud KADDACHE (Histoire du nationalisme algérien), de Benyoucef BENKHEDDA (les origines du 1er Novembre 1954), de Mohamed HARBI (le FLN : mirage et réalité), de Redouane AINAD-TABET (le 8 Mai 1945), ainsi que de nombreux autres auteurs.

L’avantage pour moi d’avoir été contemporain et au milieu des évènements, du fait de mes propres responsabilités, me permet, d’apporter aux récits et interprétations des faits de cette période de l’Histoire du mouvement national, une vue originale et vécue pour compléter, préciser et si nécessaire rectifier certaines choses.

Pour en revenir à l’événement, cet épisode de notre lutte qu’est le mois de Mai 1945, se caractérise par quatre faits saillants :

1/ LES MANIFESTATIONS DU 1er Mai 1945.

2/ LES MANIFESTATIONS DU 8 Mai 1945.

3/ L’ORDRE D’ACTION DE DIVERSION DIT « D’INSURRECTION GENERALE » POUR LA NUIT DU 23-24 MAI 45.

4/ LE CONTRE ORDRE DU 18 MAI 1945

Le contexte dans lequel ces évènements ont eu lieu, est le résultat d’une activité militante qui remonte généralement à l’existence et au développement de l’idée nationale à travers l’Etoile Nord Africaine des années 30 et au Parti du Peuple Algérien, et d’une manière plus précise à la réactivation de cette organisation au début de la dernière guerre en 1940.

Le Parti du Peuple Algérien s’était enrichi d’un apport nouveau par l’intégration de la jeunesse universitaire nationaliste a l’occasion d’une tentative de recrutement de Mohamed Lamine DEBAGHINE, par un groupe d’étudiants qui avait décidé le déclenchement de la lutte insurrectionnelle pour le 1er Octobre 1940, suite à la débâcle de la France le 18 juin 1940. Cette tentative s’est soldée, sur les conseils judicieux de Mohamed Lamine DEBAGHINE qui assurait le leadership de la Direction politique du P.P.A, par une intégration du groupe étudiant dans les rouages du P.P.A et la désignation d’un des leurs en l’occurrence MOSTEFAI Chewki, à titre de caution et garantie, et comme membre à part entière de la Direction du Parti.

La défaite militaire de la France ayant entraîné la démobilisation de Ferhat ABBAS, Pharmacien, une démarche a été faite auprès de lui, à l’hôtel des négociants rue d’Isly à Alger au courant de l’automne 1940 par Mohamed Lamine DEBAGHINE et moi-même, au nom du Parti, pour l’inviter, vue la conjoncture nouvelle d’affaiblissement de la France, d’abandonner la politique d’assimilation poursuivie jusque là et d’embrasser une politique indépendantiste de libération nationale. Ferhat ABBAS n’était, dit-il, « pas homme à changer de fusil d’épaule ». La même démarche faite au lendemain du débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942 l’a trouvé en de meilleures dispositions.

La Direction, en la personne de Mohamed Lamine DEBAGHINE l’a saisi d’un projet de programme politique devant guider désormais notre action commune. C’est ainsi que Ferhat ABBAS a rédigé un programme politique qu’il a intitulé « Manifeste du Peuple Algérien ». L’initiative du Parti P.P.A dans la naissance du Manifeste a été occultée par tous les auteurs sauf Benyoucef BENKHEDDA dans les origines du 1er Novembre 54 (page 91) y compris par Mahfoud KADDACHE (Page 639) dont l’œuvre, remarquable par ailleurs, constitue l’ouvrage le plus documenté, a ma connaissance, sur l’Histoire du Mouvement National .

Aussi bien en ce qui le concerne que d’autres écrits, mon intervention, plutôt que de refaire l’Histoire, servira davantage à compléter et à corriger éventuellement ce que le vécu des choses m’autorise à combler comme oubli, non information ou erreur.

Grâce au Manifeste, et à son Additif adopté le 26 Mai 1943 par les sections Arabes et Kabyles des Délégations financières, additif que nous n’avons pas avalisé en raison de sa référence à l’Union Française, Ferhat ABBAS a néanmoins accompli un travail considérable en diffusant dans les milieux de la bourgeoisie intellectuelle et commerçante, l’idée du nationalisme, modéré certes, mais remettant en cause le sacro-saint dogme de l’Algérie française. C’était là, une avancée intéressante. La nécessité se fit bientôt sentir de structurer ce vaste mouvement d’opinion pour le rendre capable d’entraîner les masses populaires dans des actions qui s’avéraient indispensables en raison des attitudes négatives et dilatoires des autorités françaises dont le seul souci était l’effort de guerre. KADDACHE décrit parfaitement tout ce scénario, qui explique la montée en température de l’opinion en général. Ferhat ABBAS prend l’initiative de lancer un mouvement politique : les Amis du Manifeste et de la Liberté (les A.M.L.) et invite le P.P.A, en la personne de Hocine ASSELAH, chargé des relations avec lui, de promouvoir une organisation de masse. Le P.P.A s’y employa efficacement grâce à son organisation clandestine qui déploya une activité au grand jour, s’avéra ainsi d’une grande efficacité et, par la force des choses, devint la colonne vertébrale des A.M.L. Si bien que lorsqu’il fallut décider de Manifester pour son propre compte au plan syndical, le 1erMai et le jour de la victoire, le P.P.A fut accusé d’avoir noyauté les A.M.L dans le but de mener sa propre politique en trahissant la confiance de ses partenaires.

Ce qui était absolument contraire à la réalité. En effet le P.P.A, en raison de sa politique radicale , représentait pour le pouvoir colonial l’ennemi à abattre. Et comme il y avait eu des antécédents de tentatives de rapprochements, de nationalistes algériens dont OUAMARA Rachid, RADJAF Belkacem pour obtenir aide et appui des Allemands dans leur action anti-coloniale, il était facile pour l’Administration de taxer le P.P.A et ses militants de collaborateurs de l’Allemagne hitlérienne , et ce malgré la position non équivoque, anti-nazie et pro-occidentale de MESSALI Hadj, emprisonné à El Harrach depuis le 4 Octobre 1939. Il en était de même pour le Parti Communiste Algérien qui prétendait exercer une influence prédominante sur la classe ouvrière algérienne, et dénonçait la politique nationaliste du P.P.A comme une politique aventureuse, contraire aux intérêts du peuple algérien, alors que le salut résidait, d’après lui, dans des liens étroits avec le peuple français. L’influence du P.P.A était contestée par certains, y compris par les Américains. Le P.P.A qui avait gardé son individualité propre se trouvait au printemps de cette année 1945, dans l’obligation absolue de démontrer, si ce n’est son influence sur le prolétariat algérien, influence qui était réelle, au moins la rupture quasi-totale entre l’opinion des masses ouvrières, ne parlons pas des masses paysannes, avec l’idéologie et la politique des Partis Communistes algériens et français.

C’est ainsi que s’expliquent les manifestations du 1er Mai décidées unilatéralement par la Direction du P.P.A au début du mois d’Avril, et ce à travers tout le territoire national. Ce n’est pas la déportation de MESSALI, de Chellala où il était en résidence, a El Goléa dans un premier temps, puis à Brazzaville, qui a motivée les manifestations du 1er Mai, pour la simple raison qu’on ne peut pas, quelle que soit la puissance d’une organisation clandestine, décider d’une action à l’échelle du pays en quelques jours. Said AMRANI raconte que la veille du 1er Mai, soit le 30 Avril il a passé sa journée et une partie de la nuit à tirer des tracts à la ronéo, dans le local de la rue Socgemaa (Souk El Djemaa), pour les transporter à Oran le lendemain par train, en compagnie de Ahmed MEZERNA. Tracts dénonçant la déportation de MESSALI Hadj et les arrestations des militants de Ksar El Challala, Saàd DAHLEB….. Le 1er Mai, fête du travail a été une action essentiellement politique et, occasionnellement, une protestation contre l’arbitraire et la provocation coloniale.

Si on se penche sur les motivations du 8 Mai 45, le caractère politique et impératif est encore plus évident.

Depuis le mois de Mars 1945, la défaite allemande s’avérait imminente. Le mouvement des AML, avait pris un développement fulgurant et ce à l’échelle du territoire national, dû pour une bonne part, à l’action de l’organisation du Parti P.P.A. L’état d’esprit de la population était marqué par l’impatience et le désappointement devant le refus obstiné de l’autorité locale et du pouvoir métropolitain d’accorder une quelconque attention aux revendications nationales, mêmes quand elles sont empreintes de modération et d’esprit de compromis. Les Alliés Anglo-Américains accordaient à la France, le privilège du monopole colonial dans le traitement des affaires politiques en Algérie, et ailleurs, en vertu de la priorité de la guerre sur toute autre préoccupation.

À la Direction du P.P.A, nous étions conscients que les effets conjugués de la propagande française, relayée par celle des Partis Communistes algériens et français, devaient être combattus avec toute la vigueur nécessaire si nous ne voulions pas laisser accréditer aux yeux du camp occidental l’idée que le peuple algérien était l’allié de l’Allemagne nazie. Il fallait frapper un grand coup et démontrer, au moment de la célébration prochaine de la victoire définitive du camp de la Démocratie sur l’Hitlérisme, que le peuple algérien, partisan de la Démocratie et de la Liberté des peuples, entendait célébrer dans la joie et l’enthousiasme la fin du cauchemar né de l’Hitlérisme et son équivalent le Colonialisme, contre lesquels le peuple Algérien a consenti les plus grands sacrifices sur tous les fronts de la guerre et autres Cassino.

Et pour profiter au maximum du retentissement médiatique , à l’échelle mondiale de la victoire des pays de la Charte de l’Atlantique, l’Algérie devait fêter sa victoire en tant que peuple, en tant que nation opprimée, indépendamment de la France et de ses institutions, en arborant tout haut l’Emblème de sa propre souveraineté.

C’est ainsi que nous décidâmes, au sein du Comité Directeur, de défiler le jour des manifestations de la victoire, en arborant le drapeau de l’Etoile Nord Africain et P.P.A en tête des cortèges.

Hocine ASSELAH reçut pour mission de la Direction de trouver un exemplaire du drapeau avec lequel MESSALI Hadj avait défilé en 1937 du Champ de manœuvre à la grande poste ; drapeau, écrira plus tard, ce dernier, dans ses mémoires, qui avait été conçu et cousu par Mme MESSALI elle même. La recherche de Hocine ASSELAH s’avéra infructueuse et au bout d’une semaine, il nous avisa que, même au musée Franchet d’Esperay qu’il avait visité pour la circonstance, il n’y avait pas trace du drapeau de Mme MESSALI. Ce que voyant, nous décidâmes d’en fabriquer un aux couleurs suggérées par différentes personnes , à savoir, vert, blanc et rouge.

Nous fûmes désignés, Hocine ASSELAH, Chadly EL MEKKI et moi même afin de concevoir un, ou plusieurs modèles de drapeaux, que la Direction adopterait. A nous trois, nous décidâmes de nous réunir le lendemain au lieu de nos réunions, rue Socgemaa (Souk El Djemaâ) dans l’appartement de 2 pièces du 2ème étage mis à la disposition de l’organisation en la personne de Said AMRANI par MOUFDI Zakaria et HENNI Mohamed, surnommé DAKI, pour les besoins de l’organisation du Parti, laquelle relevait de la responsabilité de Said AMRANI. Celui-ci le mit à la disposition de SMAI Abderrahmane, militant de l’organisation, pour en faire un local professionnel de tailleur, profession qui appelle des visites nombreuses de clients supposés, sans attirer autrement l’attention d’une quelconque surveillance policière. Cela convenait parfaitement au rôle dévolu à ce local puisque, pendant des années, il servit, sans anicroche, de lieu de réunion aux organismes dirigeants du Parti. C’est là qu’une certaine matinée du mois de Mars ou Avril je me suis rendu avec, dans la poche, mon équerre et mon compas, des feuilles blanches et une boite de crayons de couleurs bien taillés, ainsi que des esquisses de différentes combinaisons de drapeau.

La discussion a porté sur les positions relatives de l’étoile et du croissant, sur les couleurs, sur la signification et les symboles des motifs envisagés. Le choix définitif de la Direction s’est porté sur le modèle actuel. A savoir, le croissant à cheval sur le vert et le blanc et l’étoile dans le blanc à l’intérieur des deux branches du croissant. La forme actuelle a été obtenue grâce à l’initiative de Benyoucef BENKHEDDA et de Hadj CHERCHALLI son chef de cabinet à la présidence du G.P.R.A en 1961, qui ont confié à Mokhtar LAATIRI, un ingénieur tunisien, le soin d’en déterminer les caractéristiques techniques, mathématiques pour la forme, et physiques pour les couleurs, de telle sorte que la fabrication des emblèmes de quelque dimension que ce soit, obéissant à des paramètres stricts, aboutit à une forme et des couleurs rigoureuses toujours identiques à elles-mêmes . Ce drapeau fut par la suite confirmé comme emblème national au comité central du Parti en 1949, puis normalisé par une décision du G.P.R.A au cours de sa réunion du 3 avril 1962 à Tunis et enfin institutionnalisé par la loi n° 63-145 du 25 avril 1963 de la République Algérienne Démocratique et Populaire.
Avant de clore ce chapitre, je crois devoir préciser que dans notre esprit, nous venions de créer un emblème auquel s’attache une volonté de différenciation, de scission avec le symbole tricolore de la souveraineté française, nous n’avions pas crée le futur drapeau de la nation algérienne. Ce sont les évènements, c’est par la force des choses que cet emblème a acquis ses droits de cité, c’est par la puissance de l’idéal qu’il sous-tendait ; c’est par l’abnégation et l’esprit de sacrifice, de ceux qui l’ont porté, avec honneur et gloire, ce sont les milliers et les centaines de milliers de Chouhada qui ont donné leur vie pour qu’il reste debout, face au vent et à l’ennemi ; c’est pour tout cela qu’il est devenu, par le vert, le symbole de l’espérance et du progrès, par le blanc, le symbole de la paix, par l’étoile et le croissant le symbole de l’Islam. Progrès, Paix, Allah ; ce fut une étrange coïncidence avec les trois lettres du Parti du Peuple Algérien (P.P.A) inventeur et artisan de l’Indépendance nationale.

Nous en étions là, à attendre la défaite officielle de l’Allemagne et la célébration de la victoire des Alliés. Les instructions ont été diffusées à travers tout le territoire pour organiser des défilés indépendants de ceux organisés par l’administration coloniale en association, avec les représentants des forces alliées, c’est à dire essentiellement les Anglo-Américains

Le modèle du drapeau, qui venait d’être adopté par la Direction a été distribué aux sections à Alger et distribué au reste des villes de l’intérieur pour le fabriquer et le tenir prêt pour le jour « J » dont, naturellement, on ne connaissait pas encore la date exacte. C’était une tâche dévolue à Said AMRANI en tant que responsable de l’organisation au sein de la Direction.

Nos cortèges avaient pour consignes, dans toute la mesure du possible d’arborer les drapeaux de tous les alliés, Etat-Unis d’Amérique, Grande Bretagne , URSS et y compris celui de la France.

LES MANIFESTATIONS DU 1er MAI.

La consigne donnée aux organisations du Parti était d’une part de boycotter les défilés organisés par la CGT et le PCA et, d’autre part, organiser, dans la mesure du possible, un défilé indépendant en arborant des pancartes portant les slogans nationalistes tels : « Parlement Algérien », « Libérer MESSALI », « Libération de tous les détenus politiques », « Indépendance », etc. Dans de très nombreuses villes de l’Est à l’Ouest, la consigne fut observée avec un grand succès. A Alger la capitale, la manifestation fut grandiose. Pour faciliter les rassemblements et surprendre les forces de police, trois points de départ étaient prévus : la place du Gouvernement actuellement place des Martyrs, Rue Marengo prés de la Mosquée de Sidi Abderrahmane et Bab Ejdid, dans la haute Casbah. La synchronisation des départs avait dévolu à chacun des 3 cortèges, une heure précise de démarrage calculée de telle sorte qu’en tenant compte de la distance à parcourir à une vitesse donnée, le cortège de Bab Ejdid devait déboucher le 1er sur la rue d’Isly (actuelle Ben M’hidi) en venant par les rues Rovigo et Henri Martin et arriver en tête de la manifestation à la Grande Poste ; le cortège de la place des martyrs devait arriver par la rue Dumont Durville et s’accoler au cortège de Bab Ejdid, et celui de la rue Marengo prendre la suite de celui de la place des martyrs. Tout cela devait constituer une masse de plusieurs dizaines de milliers de manifestants avec, à leur tête, les étudiants de l’université, Marocains, Tunisiens, Algériens ainsi que des Etudiantes. Je me dois de citer leurs noms et d’ouvrir une longue parenthèse, car cette jeunesse intellectuelle va jouer un rôle considérable, décisif dans l’histoire du mouvement national. Mamia AISSA (future Madame Abderezzak CHENTOUF), Mimi BELAHOUANE (future Madame Ahmed SIDI MOUSSA) et Kheira BOUAYAD-AGHA, de Tlemcen (future Madame Chawki MOSTEFAI) devaient être sur le devant du cortège ; puis, a coté et derrière elles, les étudiants Marocains dont Abdelkrim KHATIB, EL FASSI, THIBER, BOUCETTA, les frères BELABBES, DIOURI tous futurs ministres du Gouvernement Marocain, les Tunisiens dont, entre autres, Driss GUIGA, futur ministre, Tahar GUIGA, Abdelmalek BERGAOUI, les frères Said MESTIRI chirurgien émérite et Ahmed MESTIRI futur ministre, Mostefa LAAFIF et bien d’autres, soit une cinquantaine d’universitaires Maghrébins en tout . Ce seront ces camarades de faculté qui ont été, à l’instar de nous-même, de véritables militants du Front de Libération Nationale de 1954 à 1962.

Ce que j’atteste avec détermination, puisque, déjà avant et lors de la création du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (G.P.R.A), je reçus pour mission de représenter l’Algérie combattante auprès du Gouvernement Tunisien d’abord, puis du Gouvernement Marocain. Je veux citer particulièrement, puisque l’occasion m’en est donnée , le Dr Abdelkrim KHATIB, ministre du Gouvernement de sa Majesté MOHAMED V puis de sa Majesté HASSAN II dans les années 1960 et 61 qui nous a, dans une large mesure, par son action auprès de l’autorité marocaine aidé à contrecarrer et faire échouer le projet de De Gaulle du « Sahara des riverains » auquel avaient déjà adhéré, avec enthousiasme, tous les autres pays riverains « Tunisie, Libye, Niger, Mali, Mauritanie » ; ce qui ouvrit la voie au succès des négociations entre le FLN et le Gouvernement Français par la déclaration du 5 septembre 1961 du général De Gaulle sur le Sahara : ( lire L’Algérie à Evian de Redha MALEK page 175/176 ) pour aboutir aux accords d’Evian du 19 mars 1962. Par ailleurs, grâce, en plus, à son appartenance à la Direction du Parti de Ahardane, Ministre de la défense du Gouvernement Marocain, nous primes l’initiative, KHATIB et moi, de proposer au Gouvernement Marocain, d’importer, en tant qu’état souverain, de l’armement destiné à l’A.L.N. Le Roi MOHAMED V en a accepté le principe à la condition que les organisations civiles, le F.L.N et militaire l’A.L.N, se comportent sur le territoire Marocain, dans le respect strict de la souveraineté de l’Etat Marocain. L’accord négocié par la Mission du GPRA de Rabat avec le ministre de l’intérieur BEKKAI et signé par BENTOBAL au nom du GPRA, ouvrit la voie à l’importation par le Gouvernement Marocain de 4 bateaux remplis d’armes achetés par le GPRA, auprès des états socialistes, l’URSS notamment et destinés à l’A.L.N de l’ouest.

Revenons au cortège de Bab Ejdid.

Un hasard malencontreux a voulu que la délégation marocaine rejoignit le point de rassemblement avec quelques 10 minutes de retard, ce qui nous a amené, en faisant une marche forcée du cortège, à déboucher directement dans la rue Ben M’hidi (ex Isly) pour rattraper le retard du démarrage. Le cortège de la place des Martyrs était déjà passé. Celui de Sidi Abderrahmane débouchera au début de la rue Ben M’hidi (ex Isly) où les deux cortèges se fondirent l’un dans l’autre. Quelques minutes plus tard en s’acheminant vers la Grande Poste, nous entendîmes, devant nous, le crépitement d’une mitrailleuse qui dura plusieurs secondes, suivie d’une clameur de la foule qui reflua en désordre, les gens abandonnant sur le trottoir chaussures, espadrilles, coiffures, même des sacs et des couffins. En quelques minutes, la rue Ben M’hidi avait retrouvé son calme où régnait un silence de mort. Le soir nous apprîmes que le mitraillage de la police ou de la gendarmerie avait provoqué la mort de 4 personnes Ghazali EL HAFFAF, Ahmed BOUGHLAMALLAH, Abdelkader ZIAR et Abdelkader KADI ainsi que des dizaines de blessés graves.

Le lendemain, nous lûmes, dans le journal du parti communiste algérien, le discours que Amar OUZEGANE a prononcé à la fin du défilé de la CGT, sur l’esplanade de la Grande Poste, appelant à la répression et l’extermination des « agents fascistes » du P.P.A qui osaient saboter la fête sacrée du monde du travail. Mahfoud KADDACHE cite l’article de « Liberté » du 3 mai qui « dénonçait une poignée de misérables provocateurs, agents de l’hitlérisme liés aux féodaux européens et musulmans ».

Mais le résultat politique était atteint. Nous avions démontré aux Américains (je cite encore KADDACHE) qu’ils se trompaient quand ils déclaraient à une délégation de nationalistes « Hocine ASSELAH, Hadj Mohamed CHERCHALI et Chadly MEKKI » que le peuple ne suivait pas le mouvement national.

La fusillade avait eu lieu au niveau du casino. Ces cortèges ont eu lieu dans certaines grandes villes avec un succès total. Seules Oran et Blida ont subi le même sort et les deux villes ont eu chacune un mort et des blessés.

LES MANIFESTATIONS DU 8 MAI.

Ayant fait le bilan de l’opération du 1er mai et mobilisé l’organisation pour porter secours aux blessés et à leurs familles, nous nous empressâmes de diffuser à toutes nos organisations locales des directives complémentaires concernant les prochains défilés de la victoire à savoir :

1) Les manifestations doivent être absolument pacifiques ; les mots d’ordre de prudence et de sang-froid largement diffusés parmi les manifestants ; le contrôle de ceux-ci pour récupérer toutes espèces d’armes éventuelles tels que armes à feu, couteaux, même les bâtons etc.
2) Les villes d‘Alger et d’Oran s’abstiendront de manifester ; de crainte que les récentes fusillades du 1er Mai, n’aient crée chez les militants et les manifestants, un esprit de revanche, contre les forces de l’ordre, propice aux provocations de celles-ci, toujours possibles.
3) Déployer en milieu de parcours, le drapeau algérien qui venait d’être adopté par la Direction, quelques semaines auparavant.

Nous attendîmes alors l’armistice qui intervint le 7 Mai et les fêtes de la victoire des alliés furent fixées au 8 Mai 1945. Les détails de ces manifestations ont fait l’objet d’une description très détaillée de Mahfoud KADDACHE dans le Tome II (pages 702 et suivantes) de son livre « Histoire du Nationalisme Algérien » et de Redouane AINAD-TABET dans son livre très documenté « le 8 mai 1945 ». Ces deux publications sont incontournables pour qui veut connaître les faits survenus. A ceux qui s’intéressent à cette période, je ne saurai trop leur recommander la lecture et la réflexion sur ces deux œuvres. Il se dégage de l’une comme de l’autre mais également du travail de Benyoucef BENKHEDDA dans « les origines du 1er Novembre 54 » pages 97 et suivantes et de Mohamed HARBI dans « Mirages et Réalités » quelques données essentielles à la compréhension des Evénements.

Primo : la conjonction des deux mouvements nationalistes, réformiste autour de Ferhat ABBAS, et radical autour de Hadj MESSALI, c’est à dire, le P.P.A, combiné à une intrication structurelle des deux courants dans le mouvement des Amis du Manifeste et de la Liberté (A.M.L), et ce, a la demande de Ferhat ABBAS au P.P.A de lui prêter main forte grâce à son organisation clandestine disséminée sur tout le territoire national, pour créer, rapidement un grand mouvement de masse capable d’appuyer efficacement les revendications contenues dans le Manifeste du Peuple Algérien.

Certains auteurs ont présenté l’association Ferhat ABBAS (A.M.L) comme une initiative et une œuvre unilatérale des amis de Ferhat ABBAS, offrant ainsi l’occasion au P.P.A de s’engouffrer à l’intérieur des A.M.L. pour en prendre le contrôle. Je m’inscris en faux contre cette vision des choses, suggéré après coup, après les événements tragiques de Mai 45, les massacres, des populations et l’emprisonnement des dirigeants des A.M.L. en la personne de Ferhat ABBAS et du Docteur SAADANE ;

La vérité toute simple est que, si Ferhat ABBAS a effectivement pris l’initiative de lancer les A.M.L. et accompli de gros efforts pour la diffusion du Manifeste en sillonnant l’Algérie d’Est en Ouest, le mouvement n’a pas pu dépasser le stade du rassemblement de personnalités, appartenant à la classe moyenne, intellectuels, professions libérales, fonctionnaires, commerçants, bref un rassemblement (bon enfant) typiquement bourgeois. Ce qui a amené Ferhat ABBAS et Hocine ASSELAH à concevoir l’implication de l’organisation clandestine du P.P.A. pour dynamiser, le mouvement existant, en le structurant et en le popularisant.

Lorsque l’idée a été soumise à l’approbation de la Direction cette dernière n’y a vu que des avantages pour le développement de l’idée nationale, avec, en plus, une ouverture plus grande de l’action de nos militants qui pouvaient désormais agir au grand jour, sous l’étiquette et le parapluie d’une organisation légale.

Secondo : La question de savoir qui a décidé et organisé les manifestations du 8 Mai 45 à travers le territoire Algérien a fait l’objet d’interprétation diverses et généralement erronées. En rappelant l’impérieuse nécessité de participer, ostensiblement, aux fêtes de la Victoire du camp occidental, et ce à part entière, indépendamment de l’entité française et en contestation flagrante de la souveraineté française grâce au déploiement d’un emblème national, il est clair que la décision du P.P.A. à l’échelle de sa Direction n’est pas contestable. Il paraît évident que Ferhat ABBAS et ses amis n’ont pas manqué, non plus, d’y avoir songé.

Mais le fait est que, engagé solidairement dans le cadre des A.M.L, nous avons naturellement proposé à l’instance dirigeante de ce mouvement d’en prendre la paternité. La proposition était acceptable, sous réserve de non déploiement du drapeau qui représente une atteinte directe et flagrante à la souveraineté française et entraînerait immanquablement une action répressive immédiate. Mahfoud KADDACHE rapporte dans son livre « Histoire du Nationalisme Algérien » (p 702), qu’afin d’annoncer son désir de participation aux manifestations de la victoire des Alliés, le Comité Central des A.M.L. prépare un tract, dont la diffusion sera d’ailleurs interdite par le préfet d’Alger car, estimé par le préfet, trop violent et inacceptable, et dont voici le texte :

« Le Comité Central, résolu à participer aux fêtes qui suivront une victoire à laquelle le peuple algérien a largement participé,
Voulant s’associer en cette circonstance à tous les éléments démocratiques de l’Algérie
Résolu à manifester dans l’ordre et pacifiquement
Décide : Toutes les sections locales des Amis du Manifeste et de la Liberté, devront prendre contact avec les autorités officielles et les partis démocratiques pour participer à ces manifestations.
Les mots d’ordre seront :
1) Vive la victoire des Démocrates sur le fascisme, l’hitlérisme, le colonialisme et l’impérialisme.
2) Amnistie générale pour tous les détenus et internés politiques musulmans.
Les pancartes qui seront présentées en cette occasion ne devront pas porter d’autres indications que celles de ces mots d’ordre inscrits en langue arabe et en langue française ».

C’était donc, on ne peut mieux, une fin de non recevoir a notre proposition. Ce principe de la sacro-sainte légalité de toute action politique a toujours été la pierre d’achoppement dans nos relations avec les autres partis de la mouvance nationaliste.

Pour nous, la participation aux fêtes de la victoire était un impératif catégorique avec nos mots d’ordre et notre Emblème, afin que nul n’en ignore. Un ordre du jour, rédigé de mes propres mains, et décidé par la Direction du Parti en vue de réitérer, d’une manière pressante et insistante, les consignes de précaution et de prudence face à d’éventuelle provocations, fut diffusé à ,toute l’organisation. Mahmoud GUENIFI responsable du P.P.A. à Sétif rappelle dans une interview de l’époque, citée par KADDACHE : « les directives reçues du Parti qui demandaient de profiter de la victoire des Alliés pour sortir le drapeau algérien. Les manifestants ne devaient avoir aucune arme. Les ordres étaient très stricts à ce sujet. Nous avons enlevé les armes aux militants et aux manifestants ». Avant le 8 Mai, des rumeurs d’insurrection avaient circulé. Nous nous sommes même réunis avec Pierre Bloch, et Zelmati du consistoire, qui étaient inquiets car on leur avait dit que nous allions nous révolter contre les juifs. Nous les avions rassurés.

Benyoucef BENKHEDDA rapporte dans son livre « Les Origines du 1er Novembre 1954 », en analysant la question de l’Autorité qui a ordonné les Manifestations du 8 Mai, que Mohamed Lamine DEBAGHINE ne se souvient pas, que Ahmed BOUDA et Mahmoud ABDOUN affirment que l’ordre est venu des A.M.L, invoquant comme preuves l’absence de Manifestations à Alger et Oran. La cause de ces erreurs est que tout bonnement, ces trois dirigeants membres de la Direction étaient justement absents d’Alger au moment du refus de la Direction des A.M.L. de défiler avec nos slogans et le drapeau, soit le 4 Mai 45.

Mohamed Lamine DEBAGHINE se trouvait dans son cabinet médical à El-Eulma, Ahmed BOUDA à Tablât et Mahmoud ABDOUN non concerné par cette opération. Mais ils avaient auparavant participé à la décision de ces manifestations quand elles étaient censées se passer dans le cadre des A.M.L.

C’est vrai qu’ils avaient également le droit de se tromper pour la simple raison que les militants et cadres de section du P.P.A. qui ont reçu instructions pour défiler portaient également la casquette des A.M.L et que, très probablement, ils ont largement usé de cette qualité et de cette notoriété pour entraîner le maximum de monde pour assurer le succès des manifestations.

Le problème est donc très clair. Les défilés de la victoire qui sont la cause déclenchante des évènements douloureux de Mai 45 ont été instrumentalisés par le P.P.A. et par le P.P.A seul.

Comment expliquer qu’une intention, qu’un objectif de nature essentiellement pacifiques débouchent sur une tragédie de cette dimension.

Certains ont incriminé la légèreté, l’incompétence, l’aventurisme des dirigeants du P.P.A. Spécialistes d’omelettes sans casser les œufs, je fais là une amicale allusion aux réformistes de tous poils ; éternels pourfendeurs de ce qui n’est pas eux mêmes et spécialistes défonceurs des portes ouvertes, et là je fais allusion aux militants toujours insatisfaits de ce qui n’a pas été leur œuvre personnelle.

Il est clair que la Manifestation de Sétif au cours de laquelle le jeune Bouzid SAAL a trouvé la mort, à l’instar de ses collègues porteurs du drapeau Vert et Blanc, à Alger, Blida et Oran, le 1er Mai, aurait pu en rester là, si les consignes données par la Direction, et les efforts déployés par les responsables (témoignages de Mahmoud GUENIFI, de Taarabit) pour désarmer, dissuader et disperser les manifestants ivres de vengeance, n’avaient pas été sournoisement et savamment sabotés par les agents de l’ordre public, Commissaire et Inspecteurs de police en tête et civils européens, tirant à partir des fenêtres d’immeubles. Vu l’état d’esprit des populations, rurales notamment, qui étaient majoritaires dans les cas de Sétif et Guelma et qui étaient, par tradition ancestrale, venues armées de gourdins, couteaux et autres armes a feu, dont la plupart avaient été confisquées par les services d’ordre, les manifestants réagirent dans un réflexe de vengeance et de haine accumulée et transformèrent rapidement le défilé en émeute. C’était, de toute évidence, le secret espoir des autorités lesquelles subissaient les pressions des populations européennes qui réclamaient, depuis quelque temps, déjà, une répression exemplaire du mouvement nationaliste.

L’extension rapide des émeutes à d’autres localités du Constantinois, rapportée a la rapidité de l’intervention de l’armée ainsi que la mise en œuvre immédiate de milices civiles qui tiraient a vue dans les villes, villages et campagnes sur tout ce qui portait burnous ou chèche ; tout cela signait la préméditation et la préparation. A ce titre, la relation du 8 Mai 45 de Redouane AINAD-TABET est pleine d’enseignement. Que la spontanéité des populations rurales aient fait le jeu d’une provocation savamment orchestrée, cela aussi est un constat de faiblesse de la montée en puissance du sentiment national ; mais cela servira pour la préparation des actions ultérieures.

Certaines rumeurs ont laissé entendre que l’extension des troubles n’était pas forcement fortuite ni spontané et qu’il se trouvait des agents provocateurs à la solde de l’administration ou des colons qui appelaient au djihad ; peut être, même, des patriotes avérés, partisans organisés ou non, pressés d’en découdre. Incontrôlable, mais vraisemblable.

La réflexion la plus importante en face de ces évènements est la nécessaire prise de conscience de la gravité et du sérieux de la lutte en faveur de l’indépendance nationale. Les évènements de Mai 45, découvrent le vrai visage du colonialisme : sanguinaire, aveugle, impitoyable. C’est à un combat sans merci qu’il faut se préparer.

Telle est la conclusion qui s’est imposée a nous.

Vers le 10 et le 11 Mai, des militants de Sétif et Guelma sont venus chercher de l’aide, supplier le Parti de faire quelque chose pour soulager la région, plongée dans un enfer de tueries et de destructions ; ils demandaient des armes pour se battre ; « aidez-nous par pitié » répétaient t-ils.

Nous étions une petite poignée de dirigeants qui se trouvèrent brutalement confrontés a une situation d’une extrême gravité. La Direction restreinte se composait à ce moment là de cinq ou six personnes. Hocine ASSELAH, Hadj Mohamed CHERCHALLI, Said AMRANI, Chadly El MEKKI, Ahmed BOUDA et moi même.

Le problème posé réclamait une réponse urgente.

Que faire ?

C’est la question que se pose Benyoucef BENKHDDA, voir son livre « Les Origines du 1er Novembre 1954 » pages 102 à 107.

La concision et l’authenticité de sa présentation doivent certainement beaucoup au témoignage de Hadj Mohamed CHERCHALLI qui était son chef de cabinet à la présidence du G.P.R.A, qui possédait une excellente mémoire et avait vécu l’événement dans sa totalité avec Said AMRANI et moi-même.

3/ L’ORDRE D’ACTION DE DIVERSION DIT « D’INSURRECTION GENERALE » POUR LA NUIT DU 23-24 MAI 45.

Nous avons vécu 48 heures de réunion non-stop, à l’affût des moindres informations qui nous rapportaient l’aggravation des massacres de populations et nous faisaient prendre conscience de la distance, qui séparait nos ambitions de nos capacités. Est-ce qu’il y avait place pour une action politique quelconque. Pouvait-on suspendre la tuerie pour alerter les médias à l’échelle mondiale, fallait-il décider de manifestations de masses pour contre carrer une action génocidaire, sans risque de voir ces actions dégénérer en jacqueries entraînant les massacres à l’échelle du pays ; certains ont considéré et écrit que le Comité directeur désemparé, perdant son contrôle, s’est laissé imposer par les responsables Constantinois, le recours à l’insurrection générale.

J’admire les historiens qui confectionnent l’Histoire et ne se sont pas donné le temps de s’informer auprès des protagonistes des évènements qu’ils rapportent.

Au cours de nos échanges de points de vue, une idée me traversa l’esprit. C’est un adage qu’on utilise souvent dans le terroir Sétifien et notamment à Bordj Bou Arreridj où j’ai grandi quand se pose un problème ardu :c’est celui-ci.(كبرها تصغار و خلطها تصفى) .Lorsque j’en fit part à mes collègues , le sens de cette locution apparut au grand jour. Les émeutes paysannes telles celles de Sétif, Guelma ont drainé des forces militaires dans ses régions mais si des troubles éclataient ailleurs, dans le reste du territoire : dans l’Algérois, la Kabylie, l’Oranie, que feraient l’armée française, les régiments de légionnaires, les forces de répression massives ? ils n’auraient d’autres ressources que de se replier pour faire face à la situation. La logique d’une telle hypothèse apparu clairement aux yeux des membres présents.

Que fallait-il faire au juste ? Il fallait surtout ne pas faire appel à la population. L’échauffement des esprits dus aux évènements contribuerait très probablement à multiplier les actes inconsidérés et improvisés qui caractérisent les jacqueries dont le bénéfice est aléatoire pour la raison principale qu’ils sont incontrôlables et échapperaient totalement à l’autorité déclenchante.

Par contre, notre organisation structurée et disciplinée pouvait déclencher à travers l’Algérie des actes de sabotage et de destructions, caractéristiques d’un programme d’actions organisés et assujetti a une Direction moderne, donc capable d’une stratégie de lutte beaucoup plus dangereuse que les flambées meurtrières actuelles.

Ce genre d’action est-il possible.

oui !

Quels en sont les risques :

  • Sur les opérations : se mettre en clandestinité s’ils ont le sentiment de n’être pas découverts ou soupçonnés ; si oui, prendre le maquis :
  • Sur la Direction du Parti et cadres principaux : clandestinité immédiate.

Protéger les archives et les liaisons.

Quels seraient les avantages d’une telle action.

  • Obliger l’ennemi à se déconcentrer, donc à soulager les régions martyrisées du Constantinois,
  • Montrer la capacité de l’organisation à passer a un stade supérieur de la lutte : l’insurrection armée.
  • Enfin, doper le moral de la population et des militants.

Nous évoquons délibérément, des doutes sur notre capacité de faire face à la situation par la suite, sans moyens financiers, sans préparations des militants, certes courageux, mais sans expérience. D’autres arguments balayent d’un geste ces considérations. Peut-on prévoir, dans le moindre détail, comment les choses vont se passer ? Faut-il être experts en insurrection pour l’envisager ? Bref, ce n’est pas faute d’avoir cherché une solution, que petit à petit on s’achemina vers une décision de faire, ce qui était en notre pouvoir et ne pas adopter l’attitude la plus facile, la plus commode, la moins responsable , la moins risquée, la moins critiquable en cas d’erreur ou fausse manœuvre, celle de ne rien faire , celle de se croiser les bras en implorant la pitié des hommes, plus bêtes sauvages que des hommes.

Le vote intervenu fut unanime pour décider de créer des centre de fixation des forces répressives ; en prenant ses précautions, en restant à l’écoute des évènements, en surveillant le développement de ces actions qui pourraient, pourquoi pas à priori, être le prélude à une action plus en profondeur et durable dans le temps. C’était vraiment le contraire d’une « improvisation intempestive » dont nous a gratifié, le professeur agrégé, Gilbert Meynier dans son dernier livre « histoire intérieur du F.L.N » en parlant de Mai 45.

La décision est prise. Non d’une insurrection générale proprement dite comme tout le monde l’écrit y compris Benyoucef BENKHEDDA par simplification de langage, mais en vérité d’une action de diversion, qui devait peut être déboucher sur une insurrection c’est vrai, mais ce n’était là qu’une hypothèse soumise aux réalités du terrain.

Les tâches furent ainsi réparties

-Mohammed BELOUIZDAD pour l’Algérois,
-Ahmed BOUDA pour Tablât et l’Arba « ou deux cents tabors marocains étaient prêts à marcher avec armes et baga¬ge », disait-il,
-M’Hamed BEN M’HEL pour le Sud Algérois,
-Djillali REGUIMI pour Cherchell
-Ali HALLIT pour la Kabylie.
-Messaoud BOUKADOUM et Chadly EL MEKKI pour le Constantinois,
-Mohammed MAHFOUDI et Abdellah FILLALI pour l’Oranie.

En quelques jours l’efficacité de nos structures et de notre organisation a permis donc de transmettre les instructions à la plupart des régions, malgré l’arrestation de Messaoud BOUKADOUM.

Nous étions réunis non-stop dans l’appartement du propre frère de Hadj CHERCHALLI, d’après Sid Ali ABDELHAMID, quelque part à Bab-El-Oued.

Contrairement à notre attente, les militants envoyés auprès des sections nous communiquaient les difficultés rencontrées pour convaincre les cadres du bien fondé de notre décision : trop de précipitations, situations familiales, moyens financiers, état d’esprit de la population, bref un terrain psychologique peu favorable, sauf certaines localités dans l’Ouest, et en Kabylie. A l’Est, la presse faisaient état de la « soumission » des rebelles sans qu’on sache trop ce que cela voulait dire.

Par contre, de bonnes nouvelles nous parvenaient. Sétif et Guelma assistaient à des déplacements de troupes qui prenaient la direction de l’Algérois, et enregistraient un certain ralentissement dans les actes répressifs. Il semblait que notre analyse était correcte et que la menace d’actions considérées comme le début d’un insurrection armée généralisée avaient été prise en considération par les autorités coloniales

Sources LQA

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YACINE, MANDOUZE, JEANSON ET BARRAT, TÉMOINS DE LA GRANDE RUPTURE :

NOVEMBRE 1954 COMMENCE EN MAI 1945

par Youssef Zerarka
HuffPost Algérie
le 8 mai 2015

C’est un adolescent meurtri qui, en ces infernales journées de mai 1945, assiste, impuissant, à la sauvagerie dans toute sa cruauté.

C’est un jeune collégien de 16 ans qui, au sortir de l’année du brevet d’enseignement général, constate, convaincu, que plus rien ne sera comme avant. Qui mieux que Kateb Yacine (1929-1989) pour témoigner – à titre posthume – à l’heure de la commémoration du 70e anniversaire des massacres du 8 mai 1945.

Page parmi les plus sanglantes de l’histoire de l’humanité, la tragédie de mai 1945 n’en finit pas de se remettre en perspective, d’interroger les historiens et de titiller les mémoires blessées. Au gré des avancées historiennes, ce corpus sanglant de l’histoire contemporaine gagne en éclairage et les grilles de lectures se trouvent étoffées.

Mais le matériau reste globalement le même : Mai 1945 résonnera à jamais comme une blessure qu’il sera difficile de panser, une douleur impossible à apaiser.

LIRE AUSSI : 70 ans après les massacres du 8 mai 1945, Alger et Paris loin du traité d’amitié mais des relations au "beau fixe"

L’amnésie a beau faire son œuvre, rien ne fera oublier les douleurs de Sétif, Kherrata, Guelma et d’autres contrées des ‘trois départements’’. Forte de son fonds documentaire – et pour peu qu’on daigne l’interroger —, la Toile se charge de bousculer les amnésiques. Et nous rappeler au souvenir des pogroms et de la rafle à grande échelle via ‘’ L’Homme aux sandales de caoutchouc’’.

En mai 1945, Kateb Yacine n’est pas encore ce journaliste en herbe chargé d’alimenter les colonnes d’Alger-Républicain d’articles sur la misère des siens à l’heure de l’Algérie coloniale. Mais l’adolescent Kateb est suffisamment éclairé, très conscient politiquement pour exprimer une douleur à la vue des agissements de la bête immonde coloniale.

"C’est en 1945 que mon humanitarisme fut confronté pour la première fois au plus atroce des spectacles, expliquera-t-il en 1982 face à la ‘’caméra politique’’ du regretté René Vautier. Le choc que je ressentis devant l’impitoyable boucherie qui provoqua la mort de plusieurs milliers de musulmans, je ne l’ai jamais oublié. Là se cimente mon nationalisme. Je témoigne que la manifestation du 8 mai était pacifique. En organisant une manifestation qui se voulait pacifique, on a été pris par surprise. Les dirigeants n’avaient pas prévu de réactions. Cela s’est terminé par des dizaines de milliers de victimes. À Guelma, ma mère a perdu la mémoire. On voyait des cadavres partout, dans toutes les rues. La répression était aveugle ; c’était un grand massacre"

.
À 16 ans, un âge de tradition propice aux premières lettres d’amour, l’adolescent Kateb Yacine succombe à l’amour de ‘’Nedjma’’. Une belle virtuelle en compagnie de laquelle il bascule dans le nationalisme indépendance et succombe à l’amour d’une nation algérienne en construction et en marche irréversible vers l’émancipation du joug coloniale.

L’amoureux de ‘’Nedjma’’ n’est pas le seul à constater l’heure de la rupture irrémédiable au sortir d’un printemps 1945 qui se trouve être un ‘’hiver colonial’’. Autrement plus connus que Kateb Yacine à cette période, d’autres observateurs tirent une conclusion avec des accents de fracture. Dans l’Algérie coloniale, plus rien ne sera comme avant, tranchent-ils en connaissance de cause.

Premier à souligner, avec force, le degré de la fracture et la perspective imminente d’un soulèvement révolutionnaire : le professeur André Mandouze (1919-2006).

Normalien et latiniste, cet historien ‘’d’outre-siècle’’ comme il se définit dans ses mémoires prend la mesure de la tragédie coloniale en mai 1945. Face aux cris de douleurs qui lui parviennent de Sétif et de Guelma, le professeur va davantage à l’écoute de la tragédie. Pour l’humaniste et l’intellectuel chrétien, les atrocités sont telles qu’il ne plus rester de marbre. Il s’empare de sa plume pour signer un article – devenu référence – pour les besoins d’un numéro spécial de la revue ‘’Esprit’’ commandé par le fondateur Emmanuel Mounier .

Publié en juillet 1947 sous le titre générique de ‘’Prévenons la guerre’’, le numéro spécial octroie à André Mandouze une surface rédactionnelle à la mesure de l’aura du professeur normalien. Le secrétaire de rédaction Jean-Marie Domenach lui accordera 21 pages. Le normalien latiniste ne lésinera pas sur le verbe.

D’entrée et dès le titre, le professeur Mandouze dessine un ‘’8 mai 1945’’ aux contours d’évènement fracture, d’irréparable sanglant qui va changer le cours des choses. ‘’Impossibilités algériennes ou le Mythe des trois départements’’, souligne le professeur dans un constat à l’allure d’un verdict.

Arrivé à Alger en 1948 dans le costume d’enseignant à l’université d’Alger, André Mandouze s’installe à Hydra à une côte de la paroisse de Birmandreis où officiait le ‘’curé révolutionnaire’’ Jean Scotto avant son départ pour la paroisse de Bab El Oued.

Le temps de de se retremper dans l’ambiance algérienne et de constater la quotidienneté de visu, André Mandouze signe un deuxième article dans ‘’Esprit’’ (‘’l’Algérie n’est pas la France’’), puis un troisième en octobre 1948 dans lequel il dénonce le nihilisme du lobby colonial qui sévit en Algérie. Il n’en fallait pas plus pour que le professeur soit accusé et ‘’condamné’’ par le parti colonial pour crime de ‘’lèse-colonisation’’.

Autre observateur à avoir vu dans la tragédie de mai 1945 une fracture annonciatrice du soulèvement : le philosophe et journaliste Francis Jeanson (1922-2009).

A la différence du professeur Mandouze, F. Jeanson s’est rendu en Algérie avant les évènements de Sétif-Guelma-Kherrata. Il y a séjourné à trois reprises entre 1943 et la vieille de déclenchement de la révolution. ‘’J’en ai effectué trois, le tout d’une durée de deux ans’’, me disait-il en octobre 2004 dans une interview pour les besoins d’un numéro spécial du Quotidien d’Oran pour le cinquantenaire du 1er novembre 1954.

La durée des séjours cumulés était suffisamment longue pour convaincre Francis Jeanson que les évènements du 8 mai 1945 ont servi d’accélération à l’histoire de l’Algérie coloniale.

‘’Le premier séjour, en 1943, m’a fait découvrir une Algérie dont j’ignorais les réalités. A ce moment-là, le pays était fortement marqué par le contexte de la seconde guerre mondiale, l’affrontement entre résistants français et vichystes. J’y suis retourné une seconde fois en septembre 1948.

Ce séjour différait du précédent. Il était plus long et plus chargé en activités. Pendant six mois, j’ai partagé l’essentiel de mon périple avec la grande masse des algériens et des nationalistes de tous bords. J’ai voyagé en voiture particulière, en autocar, en wagons à bestiaux et en wagon-lit. Cette variété de moyens de mobilité m’a donné la possibilité d’une multiplicité de regards sur les réalités algériennes.

L’Algérie des lendemains de mai 1945 était à rebours de celle des cartes postales. L’Algérie des années 1948-49 n’avait rien de l’image – constamment véhiculée — des « trois départements tranquilles ». De visu, la situation semblait fort préoccupante avec son lot de misère, d’inégalités criardes et d’état de non droit. Le statut quo colonial était intenable. Plus que jamais, la volonté d’en découdre, de bousculer l’ordre établi était très forte chez les nationalistes (…) Le sentiment nationaliste prenait de plus en plus corps au sein de la population. La fracture était très perceptible, nourrie par une société à deux vitesses. D’un côté, une population totalement démunie, sans la moindre perspective, survivant au jour le jour. De l’autre, aveuglée par une irrémédiable fuite en avant, la grande colonisation. Un camp foncièrement méprisant, sourd aux appels de réformes’’.

Tout aussi pertinent dans l’analyse, tout aussi perspicace dans l’anticipation, un autre observateur français a prédit un après-mai 1945 chaud pour la France coloniale.

Robert Barrat – c’est de lui qu’il s’agit – a tiré la sonnette d’alarme de l’injustice et condamné le colonialisme. Militant catholique, humaniste et juste dans l’âme à la manière des ‘’gens du Nord’’, Robert Barrat découvre l’Algérie précocement. Il y séjourne dès 1938, un an à peine après sa sortie de l’Ecole normale supérieure.

"L’Algérie, je la découvris pour la première fois en 1938 à travers le prisme déformant qu’avait laissé dans ma mémoire la visite de l’Exposition coloniale de 1933 : un grand jardin exotique encore peuplé d’hommes à demi sauvages que des Français courageux s’employaient à soigner et à civiliser", rappelait-il au début de son livre ‘’Un journaliste au cœur de la guerre d’Algérie’’ (éditions de l’Aube).

Très vite, son regard va changer sous l’effet de la réalité du terrain. Rédacteur –en-chef adjoint de ‘’Témoignage Chrétien’’, il y effectuera d’autres séjours. Sillonnant le ‘’bled’’ à la faveur de reportages, il réalise, preuves à l’appui, que l’Algérie réelle est à rebours de ‘’l’Algérie carte postale’’ vantée par la grande colonisation.

Irrité par un tel mensonge, Robert Barrat pousse un cri de colère : ‘’Qu’étaient devenues les promesses du général De Gaulle à Brazzaville en 1943 à la lueur des gigantesques incendies allumés dans le Constantinois, à Madagascar et au Tonkin ?’’. Cette poussée de colère dans la foulée des événements de l’Est algérien lui fait dire que, dans les ‘’trois départements’’, plus rien ne sera comme avant.

À l’image de Kateb Yacine, d’André Mandouze et de Francis Jeanson, Robert Barrat devait se dire à la fin des années quarante : en Algérie, novembre 1954 a commencé en mai 1945.

Sources : huffpostmaghreb.com

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PARTI ALGÉRIEN POUR LA DÉMOCRATIE ET LE SOCIALISME

8 mai 1945 : 70 ème ANNIVERSAIRE DE LA VICTOIRE SUR LE NAZISME ET DES MASSACRES PERPÉTRÉ PAR L’IMPÉRIALISME FRANÇAIS EN ALGÉRIE

Cette rétrospective analyse les traits essentiels de la période de la fin de la 2ème guerre mondiale dans le monde et en Algérie. et d’autre part, une image des massacres du 8 mai 45 dans le Constantinois

Il y a 70 ans le régime nazi responsable du déclenchement d’une guerre mondiale qui a fait 50 millions de morts s’écroulait sous les coups puissants et décisifs de l’armée rouge de l’URSS.

Le régime nazi était l’exécutant des volontés des monopoles capitalistes allemands, l’incarnation de la dictature ouverte du capital. Incapable de maintenir sa domination de classe par les voies de la démocratie formelle et parlementaire face à un puissant mouvement ouvrier et à une crise économique d’une acuité menaçante pour ses intérêts et son pouvoir, la bourgeoisie allemande a opté pour la force brutale en se dotant d’un appareil répressif n’hésitant devant aucun crime de masse pour stabiliser sa domination économique. Les groupes terroristes nazis avaient été chargés d’écraser physiquement toutes les forces en rébellion contre le pouvoir de la bourgeoisie monopoliste et en premier lieu le mouvement ouvrier, son parti et ses organisations syndicales de classe qui constituaient la force principale de la résistance à ses plans anti-ouvriers et antipopulaires. Eloigner le spectre de la révolution socialiste, surmonter la crise capitaliste en en faisant supporter tout son poids sur les épaules des travailleurs, préparer une nouvelle guerre pour détruire le régime socialiste instauré en URSS pour la première fois dans l’histoire de l’humanité en octobre 1917, attaquer les chasse-gardée des pays impérialistes rivaux et procéder au repartage du monde au bénéfice des grands monopoles capitalistes allemands, tels étaient les objectifs à atteindre. Les nazis devaient faire jouer à fond et sans fard à l’Etat bourgeois sa fonction de machine de répression et de guerre contre la classe ouvrière et les couches sociales laborieuses.

L’arrivée au pouvoir de Hitler a été facilitée par l’attitude des dirigeants de la social-démocratie allemande qui a participé de 1918 à 1932 à la répression féroce du mouvement ouvrier et communiste et qui a rejeté la proposition du PC allemand de faire bloc contre Heidenburg pour barrer la route aux nazis. Par son attitude et notamment sa politique de non-intervention en Espagne de Blum, du chef du gouvernement socialiste français, la social-démocratie internationale a favorisé le renforcement des forces fascistes. Sous la direction de François Hollande, la social-démocratie française réédite actuellement les mêmes attitudes en cherchant à abattre le régime syrien, en s’alliant à cette fin aux monarchies réactionnaires d’Arabie Saoudite et du Golfe, en soutenant les forces obscurantistes.

La responsabilité du déclenchement de la 2ème guerre mondiale n’incombe pas seulement aux nazis allemands. Elle était devenue inévitable par suite des manœuvres et des calculs de classe des autres puissances impérialistes, France, Grande-Bretagne, USA, appuyées par leurs satellites en Europe, par leurs alliés polonais notamment. Ces puissances avaient créé les conditions d’un nouveau conflit dans le monde moins de 25 ans après le début de la 1ère guerre mondiale, par leur politique de pillage et de brigandage de l’Allemagne qu’elles avaient soumise aux clauses infâmes du Traité de Versailles. Elles avaient favorisé la montée des groupes fascistes. Et surtout elles avaient sciemment accéléré l’accumulation des prémisses d’une nouvelle guerre par leur rejet systématique des appels de l’URSS à faire front aux plans belliqueux du régime nazi. Tout en dénonçant verbalement les plans de guerre du régime hitlérien, elles s’efforçaient en réalité de pousser ce régime à attaquer l’URSS, berceau de la première révolution socialiste et espoir des peuples dans un monde nouveau débarrassé de l’exploitation de classe et de la domination d’une nation par une autre. Elles croyaient pouvoir gagner sur tous les tableaux : échapper aux coups des nazis en les incitant à concentrer leur tir sur l’URSS pour détruire son régime socialiste, puis récolter les fruits de l’épuisement mutuel de l’Allemagne et de l’URSS dans le désastre d’un conflit militaire, se partager les richesses de l’ensemble de l’Europe. Par leur attitude fondamentalement anticommuniste et antisoviétique, elles n’ont fait qu’encourager les nazis à précipiter le monde dans la nouvelle guerre.

Sous la direction ferme et résolue du parti communiste, avec Staline à sa tête, l’URSS a été l’artisan clé du combat titanesque engagé à l’échelle mondiale pour anéantir le régime fasciste, en Allemagne, en Italie et au Japon, de la victoire consacrée le 8 mai par la reddition sans condition des troupes allemandes. C’est sur le front de l’Est que l’Allemagne nazie avait échoué après avoir lancé puis perdu 80% de ses divisions et de ses forces les mieux entraînées et les plus aguerries. C’est devant Moscou, à Stalingad, Léningrad, dans le saillant de Koursk, que l’issue de la guerre s’est jouée au prix du sacrifice de 25 à 27 millions de Soviétiques. Mais la victoire sur le nazisme a été retardée par les calculs de classe machiavéliques de l’impérialisme des USA qui guettait le moment propice pour s’engager sur le théâtre des opérations militaires en Europe à seule fin de réaliser ses buts impérialistes particuliers. Ce retard s’est traduit par des conséquences humaines et des souffrances inouïes qui auraient pu être évitées. L’impérialisme américain pensait pouvoir profiter de l’affaiblissement de l’URSS sous les coups de l’Allemagne et de celle-ci sous le feu de la riposte soviétique. Outre la destruction de l’URSS, objectif commun de toutes les puissances impérialistes, son but était de réduire le poids de ses rivaux français et anglais, en plaçant sous sa tutelle l’Europe et ses richesses, d’éliminer les forces démocratiques et ouvrières de ce continent et de l’ensemble de la planète. Les USA assument la responsabilité de la prolongation de la guerre et de ses conséquences humaines et matérielles. C’est le peuple soviétique qui a versé le tribut le plus lourd dans la lutte antifasciste et la libération des peuples européens. Sur l’ensemble des fronts où leurs troupes étaient engagées, les USA n’ont essuyé à peine que le centième des pertes en hommes subies par les peuples de l’URSS. Les peuples, leurs forces les plus dévouées et les plus honnêtes n’oublieront jamais le prix payé par l’URSS pour délivrer le monde de la bête immonde du fascisme. Il est de leur devoir de réfuter les entreprises de falsification de l’histoire, de dénigrement du rôle de l’URSS avant, durant et après la 2ème guerre mondiale, de mensonges et d’omissions des propagandistes bourgeois.

La victoire sur le fascisme a été rendu possible aussi par la lutte armée des résistants des territoires occupés par les nazis. Ils ont épaulé l’action de l’armée rouge et favorisé le débarquement des troupes américaines 4 ans après le début de la guerre. Partout où les anti-fascistes ont pris les armes contre les occupants, ce sont les communistes qui y jouèrent un rôle de premier plan. Ce rôle, ils ont pu l’assumer grâce à leurs capacités organisationnelles, reflet de leur détermination politique et idéologique à détruire le nazisme, de leur refus catégorique de toute tentative d’entente et de toute collaboration avec lui. La fermeté de l’URSS dans la conduite de la guerre contre le fascisme, sa détermination à ne pas se contenter de les chasser de son territoire mais à les poursuivre sur des milliers de kilomètres jusque dans leur tanière, jusque dans le bunker de Hitler, a neutralisé toutes les velléités antisoviétiques de paix séparée manifestées soit par certaines fractions nazies soit parmi les alliés eux-mêmes.

Le déploiement en mai 1945 du drapeau rouge de la victoire sur le Reichstag a symbolisé pour tous les peuples du monde le rôle décisif incontestable de l’URSS dans le combat à mort contre le nazisme.

C’est à l’URSS que l’histoire a dévolu ce rôle parce que :

  • sous la direction du parti communiste bolchévique, elle était la plus résolue à mener jusqu’au bout le combat pour abattre un régime personnifiant la volonté de la réaction bourgeoise de mettre fin par la guerre au régime socialiste issu de la grande révolution d’octobre 1917 ;
  • les peuples réunis sous l’étendard de l’Union soviétique, union fraternelle fondée sur l’égalité des droits et cimentée par les idéaux de l’internationalisme prolétarien inculqués aux travailleurs par les bolchéviques, les peuples délivrés de l’oppression nationale qu’ils subissaient jadis sous l’empire tsariste, ces peuples défendaient de façon consciente et jusqu’à la mort les conquêtes et les fruits de la révolution et de l’édification socialistes : l’abolition des vestiges et des privilèges féodaux, la suppression de l’exploitation capitaliste, la juste répartition des richesses produites, l’industrialisation pour le plus grand bien du peuple, la redistribution des terres au profit de ceux qui la travaillent, la collectivisation, la modernisation et la mécanisation des terres qui avaient affranchi la paysannerie des affres du travail individuel morcelé, l’émancipation des femmes, l’instruction publique et gratuite généralisée, la reconnaissance et la promotion des langues des différentes nationalités, la politique tendant à faire bénéficier des fruits du développement l’ensemble des peuples de l’URSS, etc.
  • le système de la propriété sociale des moyens de production et la planification avaient créé la possibilité d’organiser la défense de l’URSS - illustrés en particulier par le déplacement de milliers d’usines vers des zones plus sûres afin de les mettre à l’abri de l’avancée des troupes allemandes - de réorganiser l’économie en fonction des nécessités de la guerre patriotique, de reconvertir les activités productives à mesure que les territoires occupés étaient libérés ; tout cela a permis à l’URSS de rejeter loin de ses frontières les hordes criminelles nazies, alors que son potentiel industriel était inférieur à celui de l’Allemagne ou de la Grande-Bretagne et des USA.

- les dirigeants de l’URSS ont montré à leur peuple qu’ils étaient les plus attachés à la défense de la paix, les plus hostiles à la guerre, que de par la nature de son système socialiste, l’URSS ne cherchait aucun gain territorial, n’était mue par aucun calcul impérialiste. Ils avaient proposé aux dirigeants de la France et de l’Angleterre de conclure des alliances qui auraient isolé les nazis et déjoué leurs plans de guerre. Devant leurs refus et leurs manoeuvres antisoviétiques visant à orienter les attaques de Hitler contre elle, l’URSS a manifesté sa volonté d’épargner à son peuple une nouvelle guerre en signant un pacte de non-agression avec l’Allemagne. Ce pacte devait lui permettre de gagner un temps précieux pour se préparer à la guerre inévitable. Après l’agression de juin 1941, les peuples de l’URSS ont défendu avec d’autant plus d’esprit de résolution leur Etat, union de nations d’ouvriers, de paysans et d’intellectuels, foncièrement pacifique, que cet Etat a montré par toutes ses initiatives qu’il a tout fait pour éviter la guerre et les souffrances qui allaient s’abattre sur le peuple.

En boutant hors de ses territoires les hordes nazis, l’URSS a libéré les peuples d’Europe ainsi que le peuple allemand lui-même de la dictature fasciste.

En ce 70 ème anniversaire de la victoire sur le fascisme, les communistes rendent hommage à tous ceux qui ont contribué à le terrasser. Ils s’inclinent à la mémoire de toutes les victimes de ce régime barbare. Ils invitent à se rappeler que cette victoire est redevable au sacrifice d’innombrables militants communistes qui, loin des calculs, des tergiversations, des plans de repartage et de domination des Etats impérialistes, allaient courageusement au combat avec la conscience que la sauvegarde de l’humanité, la défense des conquêtes du socialisme, la poursuite de la lutte pour mettre fin au système capitaliste qui engendre inévitablement les guerres et le fascisme, exigeaient les plus grands sacrifices.
Ils rendent hommage également à toutes les forces progressistes et à tous les peuples du monde qui, malgré des souffrances incalculables (occupation de leurs pays, restrictions alimentaires, bombardements sauvages des populations civiles et de villes par l’aviation hitlérienne, extermination de masse, etc. ) ont trouvé la force de résister à aux nazis. Les communistes rendent aussi hommage à tous ceux et toutes celles qui dans les rangs des armées alliées de la coalition antifasciste ont apporté leur contribution au prix d’immenses sacrifices à la défaite des armées de l’axe fasciste (Allemagne, Italie, Japon).
La commémoration de ce 70 ème anniversaire doit rappeler à tous les citoyens intoxiqués par les tentatives de falsification ou de réécriture révisionniste de l’histoire par la bourgeoisie et ses valets que l’instauration d’une dictature fasciste cruelle, chauvine et raciste en Allemagne, mais aussi en Italie, au Japon, et dans d’autres pays, les velléités fascistes aux USA, l’éclatement de la 2ème guerre mondiale, n’étaient pas le fruit démentiel de l’action ou de l’ambition morbide de personnages fous et mégalomanes, mais le produit des contradictions internes inhérentes au capitalisme. Les Hitler et les Mussolini ont été portés au pouvoir par les oligarchies industrielles et financières pour juguler la crise, mettre au pas la classe ouvrière par la violence la plus extrême, s’emparer de territoires considérés comme "vitaux" par le Capital en tant que source inépuisable de matières premières et de main d’oeuvre réduite en esclavage direct. Les contradictions du système capitaliste ont atteint depuis 2009 un degré d’acuité et des proportions menaçantes pour le devenir de l’humanité à l’étape de l’impérialisme. Un potentiel nucléaire et technologique capable de réduire en cendres la planète est concentré dans les mains de quelques Etats, Dans leurs tentatives de surmonter leur crise actuelle, les Etats impérialistes sont en lutte les uns contre les autres pour le partage exclusif du monde, ou les uns avec les autres pour briser les résistances populaires et garder sous leur domination la classe ouvrière. ils n’hésitent pas à renverser par la force les régimes qui ne sont pas assez dociles, à déclencher des agressions meurtrières contre les peuples qui leur résistent, à recourir sans hésitation au fascisme et au terrorisme dans ses formes les plus variées et en particulier celles qui sont camouflées sous le voile trompeur de l’Islam.
Le soutien qu’ils apportent en Ukraine et dans les Etats baltes aux forces qui se réclament ouvertement du nazisme, dans les pays arabes aux forces de l’obscurantisme revêtant le masque de la religion, aux Etats théocratiques et monarchiques du Golfe, illustre le fait que les Etats impérialistes ne reculent devant rien.

La seule alternative pour mettre en échec ces tendances dangereuses est de conjuguer la lutte pour la paix, la lutte pour faire prendre conscience au pus grand nombre de travailleurs du cour mortel emprunté par la bourgeoisie mondiale, pour empêcher le recours aux méthodes de la dictature fasciste. La tâche assignée aux communistes est de coordonner toutes ces luttes avec le combat idéologique et politique pour que la classe ouvrière mondiale et les peuples reprennent l’offensive en vue de l’abolition du capitalisme, source de guerres continuelles, en vue de l’instauration du socialisme qui fera disparaître les rapports de production fondés sur l’exploitation dans lesquels gisent les causes économiques et sociales des guerres.

**********

En ce qui concerne le sort des pays colonisés durant la guerre contre le fascisme, il y a lieu de noter que la victoire sur la barbarie nazie, le 8 mai 1945, les joies de la libération des peuples européens n’allaient bien entendu nullement inciter les puissances impérialistes à renoncer de leur plein gré à leur empire colonial. Au contraire, elles lancent une répression sauvage pour juguler la montée du mouvement de libération nationale dans les colonies. En Algérie, ce même jour, le 8 mai, l’impérialisme français tourna le canon de ses armes et toute sa puissance de feu, terrestre, aérienne et maritime, contre les manifestants algériens descendus dans les rues pour réclamer pacifiquement, dans l’est du pays, à Sétif, Kherrata, Guelma, la fin de l’ordre colonial et l’indépendance. Le massacre s’étendit à de nombreuses autres régions du pays. Il fit en moins de deux semaines quelque 45 000 morts, des milliers de blessés et d’handicapés à vie. Des milliers de manifestants furent jetés dans les prisons. Des dizaines d’autres qui eurent la chance de ne pas être exécutés sur place furent condamnés à mort. Ces massacres illustrèrent l’hypocrisie des dirigeants et des propagandistes de l’impérialisme, passés maîtres dans l’art du maniement de belles phrases sur la défense de la liberté et de la démocratie mais prompts à fusiller sur le champ les militants anticolonialistes qui voulaient les transformer en réalité. Ils indiquèrent clairement à ceux qui faisaient leurs premiers pas dans la lutte de classe que la bourgeoisie défendait ses intérêts de classe et non la liberté des peuples. Elle n’agite le drapeau de la liberté que lorsque ses positions sont menacées par ses concurrents ou lorsqu’elle cherche à étendre les champs de sa domination à leurs dépens. Elle se sert de ce drapeau pour discréditer et étouffer les mouvements populaires anticapitalistes. Que ce soit en Algérie, en Syrie, au Vietnam la bourgeoisie française ne fit pas de quartier pour garder les colonies sous son contrôle.
Les manifestations des Algériens, le 8 mai 1945, résultaient d’une lente évolution des luttes entamées contre le colonialisme. Elle avait été amorcée par le travail politique des communistes qui fut concrétisé par la formation en France de l’Etoile Nord africaine. Les manifestations exprimaient également le fait que le mouvement de libération nationale était en passe d’effectuer un saut qualitatif à la faveur du nouveau rapport des forces créé à l’échelle internationale par la victoire sur le nazisme. Grâce au rôle et au renforcement de l’URSS, ce rapport des forces allait rendre possible l’écroulement du système colonial sous l’action conjuguée du camp socialiste, du mouvement de libération nationale et du mouvement ouvrier.

À cela se sont ajoutés l’accentuation des contradictions inter-impérialistes entre les USA, l’Angleterre et la France, dans leurs luttes pour un nouveau partage du monde, le jeu des USA tendant à évincer de l’Afrique du nord leurs rivaux français affaiblis. Ce nouveau contexte mondial a donné au mouvement national une nouvelle impulsion. A la veille du déclenchement de la 2ème guerre mondiale, le mouvement de libération s’était développé à l’échelle de toute l’Algérie. Le mot d’ordre de l’indépendance était repris par la grande majorité des Algériens, malgré la répression continue et l’interdiction des partis nationalistes et du parti communiste prononcée en 1939 par le gouvernement français avec la complicité des socialistes alliés à la bourgeoisie métropolitaine et coloniale.

La guerre avaient aggravé la situation des masses. Les grands colons détenant les terres les plus fertiles et les mieux arrosées, les armateurs, les banquiers et les financiers, les gros commerçants s’étaient enrichis par la spéculation, protégés par leur domination politique absolue. La colère montait au sein des travailleurs, de la paysannerie laborieuse, des couches intermédiaires des villes. En plus du racisme et des humiliations propres au système colonial, les masses populaires algériennes souffraient le plus des conséquences de la guerre, de la faim, des privations, de la confiscation des céréales au profit de l’approvisionnement de l’Allemagne puis des armées des alliés. Des dizaines de milliers d’Algériens avaient été enrôlés de force pour participer à la libération de la France après le débarquement des troupes américaines en novembre 1942. Ils avaient versé leur sang dans les combats contre les fascistes et espéraient qu’en retour la France libérée du nazisme tiendrait ses vagues promesses de réforme de leur statut.
Il n’en fut rien.

Mais le mouvement national n’était pas encore prêt à organiser énergiquement et sur des bases justes une insurrection armée victorieuse. Il n’était pas arrivé à la conclusion qu’il devait compter avant tout sur les ressources internes du peuple algérien. Durant la guerre, certains croyaient que l’Allemagne nazie allait chasser le colonialisme français et donner la liberté aux Algériens. Après le débarquement des troupes américaines en Algérie, beaucoup de ses dirigeants reportèrent leurs espoirs sur l’impérialisme US. Ils étaient convaincus que les USA allaient voler au secours du peuple algérien en faisant pression sur le gouvernement français. Ils ne comprenaient pas, pour la plupart d’entre eux, que les intérêts économiques stratégiques de l’impérialisme américain l’empêcheraient d’entrer en conflit direct avec l’impérialisme français. L’impérialisme américain se préparait à une confrontation ouverte avec l’URSS. Il avait besoin à cette fin de l’aide de l’impérialisme français. Les dirigeants du mouvement national avaient également sous-estimé les ruses et l’absence totale d’hésitation de la bourgeoisie française et de la grosse colonisation, unies face au peuple algérien, à recourir, malgré le climat international antifasciste, aux pires provocations pour décapiter le mouvement national par la violence la plus brutale afin de maintenir intacts les rapports coloniaux d’exploitation.
La répression sanglante des manifestations pacifiques du 8 mai 1945 a eu pour résultat d’instruire le peuple algérien. Elle lui avait fourni la preuve que la libération et l’indépendance ne pouvaient être le fruit que d’une lutte armée mûrement réfléchie, puisant ses forces dans le mouvement populaire et appuyée par tous les anticolonialistes algériens et français les plus conséquents.
Le PCA quant à lui n’a pas réussi à jouer un rôle dirigeant dans ces manifestations. Il n’avait pas mesuré l’ampleur de la revendication nationale. Il s’était coupé des masses populaires algériennes et se trouvait dans l’incapacité de sentir le vent de la révolte qui s’amplifiait. Ceux qui dirigeaient à ce moment-là le PCA, avaient réagi d’une manière négative, assimilant les nationalistes à des agents nazis. Cette réaction constituait une trahison monstrueuse des principes communistes, des mots d’ordre de l’Internationale communiste. Dès sa naissance, l’Internationale communiste avait assigné aux partis communistes des pays colonisés la tâche de placer au premier plan de leurs luttes le combat pour la libération de leur pays et aux partis communistes des pays colonisateurs l’obligation de soutenir inconditionnellement cette revendication nationale. En mai 1945 le PCA s’était complètement écarté de la ligne adoptée et appliquée dans leur travail d’agitation et de propagande par les premiers noyaux communistes des années 1920. Sous l’influence de courants opportunistes du PCF qui accordaient la primauté à l’alliance avec la sociale-démocratie dans la lutte antifasciste, le mot d’ordre de l’indépendance avait été complètement effacé du programme adopté lors du congrès constitutif du PCA en octobre 1936. Les orientations de la lutte antifasciste n’étaient pas liées à la lutte contre le colonialisme. Dans le rapport des forces créé par la formation et l’avènement du gouvernement de Front populaire, dans l’euphorie des nombreuses conquêtes sociales arrachées grâce à l’unité entre les communistes et les socialistes, le PCA avait été submergé par l’adhésion de très nombreux militants véhiculant des idées et des conceptions éloignées des principes révolutionnaires de l’Internationale communiste. Ils étaient non seulement insensibles à la question nationale mais aussi fortement imprégnés de parlementarisme et de réformisme inoffensif pour les intérêts de la bourgeoise. Les racines idéologiques de ces déviations n’avaient pas encore été extirpées au sein du PCA. Pour une bonne partie des militants venus au PCA après les grèves de 1936, celui-ci représentait à leurs yeux le parti qui défendait le mieux les revendications sociales et seulement ces revendications. Ils n’avaient aucune volonté de mettre à bas le système colonial, tâche historique préalable à la révolution socialiste, encore moins à se séparer de la France à laquelle ils s’identifiaient. Le réformisme hérité du parti socialiste tirait en arrière le PCA. Il l’empêchait de réaliser son programme fondateur : aller à la classe ouvrière et à la paysannerie en portant la revendication de la libération nationale, sans la dissocier des luttes sociales qui leur apprenaient à s’organiser et à lutter en vue des batailles plus décisives pour le socialisme. A partir de 1936, les militants et les cadres révolutionnaires ne constituaient plus au fond qu’une minorité au sein du PCA, noyée dans une masse réfractaire à ses perspectives révolutionnaires. Il ne faut pas s’étonner qu’après son interdiction en 1939 et l’arrestation de nombre de ses cadres dirigeants, il se désintégra pratiquement. Seule une petite minorité de militants accepta de poursuivre la lutte politique dans les dures conditions de la clandestinité sous le régime des collaborateurs vichystes des nazis, jusqu’au débarquement en novembre 1942 des armées des USA. Le commandement US et de Gaulle dressèrent de leur côté de nombreux obstacles pour empêcher les communistes de reprendre légalement leurs activités. Ils assortirent de fait cette autorisation de la condition de limiter leur action à la propagande pour la mobilisation contre les nazis. La reconstitution du PCA en 1943-1944 se fit sous la houlette du PCF. Celui-ci refusait de faire de la propagande et de l’agitation pour l’indépendance afin de ne pas diviser les rangs des antifascistes. Comment croire qu’il était possible de convaincre les Algériens d’aller à la mort pour libérer la France de l’occupation nazie alors que leur revendication anti-coloniale était systématiquement suivie de vagues massives d’arrestations ou noyées dans le sang ? En conséquence, le mouvement communiste algérien fut réduit à l’impuissance durant cette période. Il ne pouvait s’enraciner dans les masses populaires algériennes. Sa direction tomba facilement dans les mains d’aventuriers spécialistes de la phrase, à l’instar de Amar Ouzegane, son premier secrétaire qui ternit gravement la réputation du parti communiste aux yeux des masses pour sa condamnation ignoble des manifestants du 8 mai.
Mais grâce à leur conviction et à leur combativité, les militants communistes authentiques reprirent le dessus. Réuni en juillet 1946, le comité central du PCA exclut de ses rangs le premier secrétaire et rend publique une autocritique des positions adoptées durant les événements de mai 1945. Marque de sérieux d’un vrai parti révolutionnaire, l’autocritique amorce un processus de redressement. Le PCA lance et organise une campagne d’amnistie en faveur des Algériens condamnés et emprisonnés après l’écrasement des manifestations du 8 mai. Elle suscite un grand élan de mobilisation et contraint le colonialisme à libérer la plupart des détenus. Cette campagne permit au PCA de renouer ses liens avec les travailleurs et les paysans algériens, avec les militants nationalistes ouverts aux idées de progrès et moins marqués par l’anticommunisme.
L’afflux de militants nouveaux et conscients, pour qui la revendication de la libération nationale et la lutte pour le communisme étaient liées, jeta les bases de l’approfondissement de la ligne politique du PCA, de son enracinement au sein des travailleurs et de la paysannerie.

Gloire à tous ceux qui se sont sacrifiés pour que l’Algérie soit affranchie de la domination coloniale !

Hommage aux militants communistes qui en tombant au champ d’honneur avaient conscience que l’indépendance n’était pas une fin mais une étape dans le grand combat pour l’abolition du capitalisme, pour l’avènement de la société socialiste !

PADS
6 mai 2015

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