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FÉVRIER 2011 : "NOTES DE LECTURES" - "VIENT DE PARAÎTRE" -

vendredi 18 février 2011


HYMNE à LA RÉVOLUTION ÉGYPTIENNE - POÈME DE HASSAN TALEB, TRADUIT DE L’ARABE PAR YASSIN TEMLALI.

"Où J’AI LAISSÉ MON ÂME", livre de Jérôme FERRARI, critique de Fayçal Ouaret.

LE ROMAN POSTHUME DE LA CICATRICE D’OCTOBRE, Livre à publier de Mohamed DORBHAN.

"TURBANS ET CHAPEAUX", dernier livre publié en France de l’écrivain égyptien SONALLAH IBRAHIM.

"LA GRANDE POUBELLE - Journal d’un ancien détenu politique en Algérie ", livre de Smaïl MEDJEBER.



HYMNE à LA LIBERTÉ
POÈME DE HASSAN TALEB.

Traduit de l’arabe par Yassin Temlali

« Al Ahram Hebdo »
16 février 2011

Plus de « Mabrouk » désormais,
Ni de « Moubarak » * !
Le jour s’est levé.
Qu’il soit bonheur, mon compagnon.
Savoure son éclat,
Annonce-le à ton ami
Et réveille ton voisin.

Si tu ne te lèves,
Ton sommeil n’aura pas été repos
Et la nuit ne t’aura pas porté conseil.
Lève-toi mon compagnon,
Secoue la poussière qui recouvre tes yeux.

C’est la fontaine de la rébellion.
Approche-toi,
Lave-toi maintenant.
Nettoie ton corps de ses noirceurs.

Accomplis ta mue, jette ta peau d’esclave.
Indigne-toi
Et, pour la vérité,
Dis tout haut tes pensées secrètes.

*********************

La lumière ne viendra pas à toi.
À toi d’aller à sa rencontre.
Résiste à ton silence,
Et bannis l’indolence.

Si tu te tais, ils t’humilieront,
Et enfonceront le dernier clou dans ton cercueil.
Ils n’auront scrupule à t’arracher ton âme
Et à planter tes champs de chardons.
Rassemble ton courage, affermis ton cœur
Et, devant les dépravés dépravateurs,
Érige toi-même tes murailles.
Ne laisse aucun scélérat
Gravir tes remparts.
Et ce ne sera que justice si sur eux
Tu déchaînes tes tempêtes.

*********************

Dis ton mot maintenant, épanche ton cœur.
Crie, hurle ta rage.
Peins, écris
Jusqu’à tarir l’encre de tes colères.
Purifie-toi avec le sang de tes blessures.
Sur l’arène, déclame ton poème.
Soigne-toi avec tes livres
Et de la liberté, fais ton baume bienfaisant.

*********************

Dis ton mot maintenant,
Redis-le, une fois, deux.
Ne t’épouvante pas. Tu récolteras
Ce que tu auras semé.
Trêve de « si »,
Trêve de « mais » !

Invoque tes puissances invisibles,
Contre la veulerie,
Dis non à l’arbitraire !
Espère, répands l’espérance, détruis pour bâtir.
Ne t’éloigne que pour te rapprocher. Et chante.
Fredonne ton air spontané
Jusqu’à ce que résonne ta lyre
De ton Air éternel.

*********************

À l’Emir du pays, dis :
« Tu t’es couronné prince et, l’âme aride,
Tu as sombré dans l’opprobre,
Seul ton départ lavera ton ignominie ! »

Dis ton mot maintenant, non demain.
Et éclaire ton phare pour ceux qui vont venir.
Fais de la Raison ton juge suprême
Et de ton cœur ton arbitre.
Rattrape ce que tu as perdu,
Rattrape-le !
Élève ta voix sur la Place et proclame :
Plus de « Mabrouk » désormais,
Ni de « Moubarak » * !
Plus de « Mabrouk » désormais,
Ni de « Moubarak » * !


(*) : Les noms propres « Mabrouk » et « Moubarak » sont tous deux dérivés de la racine arabe « baraka », qui signifie « bénédiction ». Le poète fait allusion, à travers leur ressemblance phonétique, à la similitude qu’il peut y avoir entre deux politiques en dépit de la différence de leurs intitulés ou de leurs symboles.


نشيد الحرية

إلى شهداء ثورة 25 يناير

وإلى سائر شباب مصر الحر

شعر حسن طلب

لا مبروك بعد اليوم ..

و ليس مبارك

صبح الصبح ..

فعم صبحا يا صاح ..

انعم بالإصباح ..

ونبًه صاحبك وأيقظ جارك

فإذا لم تصحَ ..

فلا صح النوم ..

ولا خلص النصح ..

أيا صاح اصحَ ..

انفض عن عينيك غَبارك

هذا حوض الرفض ..

تقدم نحو الحوض ..

اغتسل الآن ..

أزل عن جسمانك قطرانك ..

زفتك .. قارك

أبدل جلد العبد ..

وأبد استنكارك
وأجعل سرك في الحق ..

جهارك

*********************

أبدا لن يسعى الضوء إليك ..

اسع إليه بنفسك ..

قاوم صمتك .. وانف استهتارك

إنك إن أنت صمت أذلوك ..

ودقوا في نعشك مسمارك

لن يتزعوا حتى ينتزعوا روحك ..

لن يرتدعوا إلا إن زرعوا

أعلى حقلك صبٌارك !

فتشجع .. واستجمع جأشك ..

وأقم أنت بنفسك

في وجه الفئة الفاسدة المفسدة

جدارك

لا تترك فسلا منهم

يتسلق أسوارك

وستصبح ما فرٌطت ولا أفرطت

إذا سلطت عليهم إعصارك

*********************

قل كلمتك الآن .. وبُح صح .. واغضب

وارسم واكتب

حتى تستنفد أقلامك أحبارك

وتوضأ بدماء جروحك ..

واقرأ في الساحة أشعارك

واجعل كتبك طبك ..

والحرية عقارك

*********************

قل كلمتك الآن ..

أعد في القول وثنً ..

ولا تفزع .. وازرع تجن

وودع ليت و لو ..

وعساي .. ولكني

عذ بالجن من الجبن ..

و قل : لا للغبن

تمن ومنً .. اهدم وابن

وأقص وأدن .. و غن ..

ترنم بالنغم العفويَ المتسني

حتى تنطق باللحن الخالد قيثارك

*********************

قل لأمير القطر :

تأمرت .. فبرت .. فعرت ..

و ما غير رجيلك يمسح عارك !

قل كلمتك الآن وليس غدا

وأضيء للآتين منارك

لا تستفت سوى عقلك

وليكن استشعارك معيارك

وتدارك ما فاتك من قبل ..

تدارك

وارفع صوتك في الميدان وقل :

ليس بمبروك بعد اليوم ..

وليس "مبارك"

ليس بمبروك بعد اليوم ..

وليس "مبارك".

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Larbi Ben-M’hidi
ou la Passion, version algérienne.

À propos du roman de Jérôme Ferrari :

‘Où j’ai laissé mon âme’

éditions Barzakh/Actes Sud,
Alger, janvier 2011.

Des officiers de l’armée française s’étaient engagés, adolescents, dans la lutte contre l’occupation allemande, avaient subi l’enfer de la déportation et des camps de la mort, en étaient sortis à l’état de quasi-cadavres respirant à peine un souffle de vie, pour se dire que jamais l’humanité ne connaîtrait ces travers. Puis ce fut le Vietnam, et ensuite l’Algérie, pays où ils oublièrent jusqu’au reniement cet engagement.

Croyant venir essuyer l’humiliation subie à Dien-Bien-Phu en terre algérienne, nettoyer le ‘maquis’ algérois pour mettre fin à ’l’insurrection’ et repartir tranquillement en Métropole se reposer de toutes ces guerres, nombreux parmi eux ont laissé leur âme dans cette ultime ‘bataille’.

Plus d’un demi-siècle plus tard, certains de ces officiers meurent cloîtrés dans le silence de ce que fut cette autre humiliation qui tait ses douleurs, laissant aux enfants un héritage très lourd sur les ‘faits d’armes’ jamais avoués de leur père.

D’autres osent enfin parler et libérer leur conscience, brisent l’omerta et fournissent des détails sur cette guerre. Ils l’avaient niée au point de la qualifier ‘d’évènements’ pour espérer la dissoudre dans le mépris et l’oublier parmi des actes de routine policière, ou presque ; l’avaient perdue en croyant la finir jusqu’à crier que la victoire leur avait été volée, s’étaient soulevés pour la revendiquer, certains parmi eux n’hésitant pas à rentrer en clandestinité pour s’accrocher à cette terre qu’ils croyaient pouvoir à jamais garder dans leur camp et la préserver des ‘forces du Mal’ qui la ‘guettaient’ de toutes parts.

Surtout, continuer éternellement à la ravir à ses enfants.

Les langues commencent à peine à se délier pour avouer les crimes qu’ils ont dû commettre, disent-ils, par désespoir de parvenir à leurs fins, au prix de la Honte, en s’adonnant aux pratiques barbares, hier subies, depuis administrées au sens tellement appliqué de ce terme : la torture et les exécutions sommaires.

Dans son roman : ‘Où j’ai laissé mon âme’, qui vient de paraître chez Barzakh en coédition avec Actes Sud (à notre plus grand plaisir de lecteurs, avouons-le !), Jérôme Ferrari nous livre les affrontements de ces officiers, avec eux-mêmes plus qu’avec les ‘autres’ de tous les bords.
Ces nouveaux convertis à la cause des ‘interrogatoires musclés’ prétendaient le faire contre leurs instincts d’humains et leur dignité bafouée d’anciens déportés. Ils se justifiaient pourtant en affirmant ne pas voir d’autre manière de procéder pour gagner cette guerre, rabaissée au rang ‘d’évènements’, que d’arracher par ces moyens inavouables des renseignements à ‘l’ennemi’, achever ainsi de mettre des noms dans les cases encore vides de l’organisation des insurgés et la détruire pour effacer cette ‘affaire algérienne’.

L’auteur a imag(in)é deux officiers parmi ces soldats ‘exemplaires’ de la France de la Libération puis la fin de l’empire colonial, le capitaine André Degorce et le lieutenant Horace Andréani, pour en faire les Ponce Pilate et Caïphe du Martyr algérien. Rien de moins. Les chapitres du roman ont pour titre des passages de la Genèse et des Evangiles, en guise d’ouverture du propos sur chacun des trois jours qui voient l’arrestation, la détention puis l’assassinat de Tahar par ses bourreaux.

Mais aussi, parmi eux, leur chef, le capitaine André Degorce, admirateur de cet ennemi si proche, forçant le respect par le calme de son propos et la grandeur de son attitude, au point de lui faire présenter les armes par une haie de soldats lui rendant les honneurs des armes, au moment de son départ pour la destination qui sera son échafaud. Resté seul à méditer le sort de ‘son’ prisonnier qu’on venait de lui arracher, le capitaine avait même songé qu’il aurait pu prendre le risque de le libérer.

L’auteur n’hésita pas à comparer le Martyr de Larbi Ben-M’hidi (alias Tahar alias Tarik Hadj-Nacer) à celui du Christ, non pas dans sa portée religieuse, ce qui n’est pas du tout le sens du propos (quoique…), mais mythique et surtout symbolique.

Philosophique, pour rester dans le domaine des Humanités qui valurent à ce jeune homme, hors de portée des souffrances du Passé commun et pourtant en proie à leur déchirure, de venir en mesurer encore les amplitudes, témoin bouleversé qu’il fut de la tristesse de ce pays au lendemain des attentats du 11 Mars 2007.

D’autres écrivains (Mikhaïl Boulgakov, à l’œuvre duquel l’auteur emprunte des références et un paragraphe entier en guise d’exergue, mais aussi Eric-Emmanuel Schmitt, beaucoup plus récemment) avaient déjà raconté les doutes gagnant le cœur de Ponce Pilate en le replaçant dans les circonstances dramatiques que ne lui épargna pas l’Histoire, l’imaginaire ne faisant que méditer leurs enseignements, la culture occidentale, d’essence judéo-chrétienne, laissant le soin à chaque homme puisant ses références dans cette sphère de pensées et d’émotions d’y trouver sa part de morale et de croyance.

L’Universalité des consciences est toujours à ce tarif, à payer rubis sur ongle au Patrimoine supposé en partage.

Rendons à César…

Même rassuré que vendredi tombe le lendemain, ce que traduira une remarque (‘Demain, c’est vendredi, chuchote-t-il, j’ai de la chance.’) sans plus d’explication, suivie d’un ‘sourire triste’, Tahar sait qu’il va mourir en homme, mais vivra éternellement en martyr dans le cœur aspirant à la Liberté de son peuple. Il ne ressuscitera pas pour voir les enfants (qu’il n’aura jamais) la gaspiller.

Voilà ce qui peut le rendre comparable au Christ, toutes proportions gardées.

L’écriture de ce roman, d’autres tellement plus nombreux et plus savants que je ne pourrais jamais le prétendre dans ce domaine l’ont si bien rendu, maintient un niveau de captation de l’esprit et des émotions si fort que nous sortons épuisés par la lecture, difficile à interrompre, de ce véritable compte-rendu d’interrogatoire musclé.
Au sens défiguré que peut valoir cette expression.

Il me reste enfin à (me) demander si l’auteur a pu accéder à une information que peu de gens connaissent, lui ayant soufflé le nom de guerre de son héros dans le roman (Tahar). Larbi Ben-M’hidi avait un frère plus jeune que lui prénommé Tahar, mort aussi en martyr dans le maquis de la Wilaya II. Au début du soulèvement, Larbi avait interdit à Tahar, alors lycéen à Constantine, de rejoindre les rangs de la Révolution, mais ce dernier passa outre l’interdit du grand frère et s’engagea pour aller mourir au djebel. A l’insu du grand frère.

Connaissant certainement son propre sort, ce qui transparaît très bien dans ce roman mais aussi dans la présentation qui est généralement faite de Larbi Ben-M’hidi, ce dernier songeait déjà à préparer l’avenir de ce pays après la Libération.

Il aurait, pensait-il, besoin de ses enfants instruits pour aller dire leur sacrifice et attendre que les martyrs reviennent….

Fayçal Ouaret.

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{{ {{{LE ROMAN POSTHUME DE LA CICATRICE D’OCTOBRE}}} }}

C’était au milieu des années soixante-dix - quand l’utopie avait le goût du possible- que j’ai connu Mohamed Dorbhan. Dans le creuset de cette effervescence, en ces temps, il faut l’avouer, la langue de bois passait avec les fulgurances révolutionnaires. Lui en souriait. Mais nul ne pourra récuser la ferveur, la sincérité et même si le mot paraît grandiloquent la pureté qui faisait battre le cœur de cette génération post-indépendance.
Mais les rigueurs de l’ostracisme du pouvoir et l’ossification de la vie politique au début des années quatre-vingt ont tôt dispersé et gâché
toute une génération bourrée de talents et tout en désintéressement.
Au moment où elle allait donner la pleine mesure de ses capacités, la barbarie l’a foudroyée. Tel fut le destin tragique de Mohamed Dorbhan,Allaoua Aït-Mebarek et Djamal Derraza, tous trois journalistes au Soir d’Algérie ainsi que de nombreux autres citoyens, qui étaient de passage dans le quartier du 1er-Mai emportés dans un attentat le 11 février 1996.

Mohamed Dorbhan, journaliste, caricaturiste et graphiste baignait donc dans les signes scripturaires et graphiques. Féru de littérature, il était naturel qu’il aille plus loin que cette littérature de l’éphémère que serait le journalisme. Il a laissé le manuscrit d’un roman. Pour le quinzième anniversaire de sa disparition, par fidélité à sa mémoire et par le travail patient de l’ami et éditeur Abdallah Dahou , (Arakom), son roman sera sauvé de l’oubli.
En effet, ce 11 février prochain, les lecteurs algériens ont rendez-vous avec lui. C’est un roman posthume que le lecteurs auront entre leurs mains. Œuvre posthume et définitivement close, comme achevée, y compris dans ce qui, dans l’intention de son auteur restait à parfaire. L’auteur ne sera pas là pour répondre aux questions, aux interrogations, selon l’usage d’aujourd’hui qui accompagne nécessairement une publication, encore moins de séances de dédicace.

Mohamed Dorbhan a tracé les dernières lettres de son roman, récit, un 14 juillet de l’an mil neuf quatre vingt neuf. On peut soupçonner à cette date, un clin d’oeil symbolique à l’histoire. Et de l’histoire, il n’en est que question dans ce récit. A la fois polyphonique dans ses séquences à multiples ressorts, pareilles à ces poupées gigognes russes (dont il est question quelque part dans le texte lui-même) et cependant racontés d’une seule traite, d’un même souffle sur plus de deux cents pages par la même « voix ».
Omnipotente, omnisciente. Un vrai vertige verbal, que l’on peut comparer à un oued déchaîné, tumultueux, dont les flots décapent sur leur passage ce qui sert de décor ou d’artifice. Que l’on ne s’y méprenne point, le tumulte de l’énonciation n’exclut pas la maîtrise
de l’écriture. Mohamed Dorbhan a vraisemblablement, commencé son roman au lendemain des journées d’émeutes populaires d’Octobre 1988.
Le récit se clôt quasiment une année après. Entre le temps de l’utopie du changement radical et de la déconvenue publique, l’illusion lyrique aura été de courte durée. Et comme on le sait, pour les pouvoirs établis, les meilleures plaisanteries sont les plus courtes.
D’ailleurs, l’auteur évoque ces journées héroïques et rares dans l’histoire d’un peuple de façon évanescente.
« Dans cette grande patrie que n’associent que le despotisme des roitelets, le triomphalisme des journaux et le prix de la farine », les jeux sont faits. « Oui, ce furent de belles journées qui, noyées dans le hurlement des torturés, changèrent le cours des jours et le peuple de la ville fit semblant d’avoir oublié le massacre et ici les marchands de vent ne tarissaient pas d’éloge, criaient victoire et s’excusaient de ce petit bain de sang hélas malheureux mais nécessaire… » …, et les choses, petit à petit et progressivement, le simulacre de changement ne rend que plus désespérant le cours des jours : (« avec les fusils de l’indépendance, on a maté la rébellion »).


C’est un monde encore plus clos, étouffant sous la canicule et la poussière, livré aux manipulations les plus sordides. Où rien n’étonne : le vrai, la vraisemblance ne fait pas partie du code social.
Tout a commencé quand Salaheddine Djoudi, « un flic rêvasseur », est chargé d’une mission impossible.par un improbable commissaire. En fait, en guise d’enquête, ce sont les rêvasseries douces-amères et la passion amoureuse pour « Aïcha la tueuse » de l’inspecteur qui constitueront l’essentiel des péripéties. Les hauts faits de ce dernier, pourvu d’un prénom mythique, consisteront en
une navigation triangulaire qui le conduira de son bureau du commissariat qui donne sur la mer, place « Halladj », au bar « La Sirène » qui change d’enseigne au gré de l’histoire du moment. Alors qu’il doit enquêter, préfère philosopher. Ses enquêtes, il les consacre donc aux recherches mythologiques helléniques et autres. « La réalité et les légendes étaient liées par d’invisibles et inaltérables filins ». Et vogue la galère de l’imaginaire et de l’érudition plongée dans des référents historiques où défilent les anecdotes les plus folles et les personnages les plus hauts en couleur.
A partir de là, Mohamed Dorbhan nous entraîne dans une cavalcade épique qui traverse au galop les époques et les contrées les plus lointaines, avec leur lot de gloire et de mystification. El Hallaj, poète mystique soumis à la question et au martyre, éclaire une quête désespérée de pureté qui fermente paradoxalement dans la tête d’un serviteur de l’ordre s’élançant d’un lieu de perdition sur le tapis volant de son imagination. « Face à l’absurde, il restait la folie ».
Le roman fait la place belle aux digressions historiques qui peuvent paraître comme saugrenues parfois dans la progression du récit proprement dit, il dénote un sens aigu du détail et de la description qui peut confiner à la virtuosité (le passage consacré à la miniature ou la scène du suicide raté de l’inspecteur, par exemple). Par contre, les personnages en dehors de Aïcha et du commissaire, et dans une certaine mesure « l’homme à l’astrolabe » restent des silhouettes, sinon, et c’est inévitable, des caricatures définitivement figées.

La mort n’aura pas donné à Mohamed Dorbhan l’occasion de remettre son ouvrage sur le métier. Comme sa mort, son œuvre est irréversible. La première n’est pas de l’ordre du malentendu. Selon Shakespeare : « La vie est une histoire racontée par un idiot, pleine de fureur et de bruit, et qui ne signifie rien » ? En même temps que dans ce rien se joue la totalité du destin humain.

Celui qui connaissait un tant soit peu Mohamed Dorbhan reconnaîtra derrière le narrateur son humour aiguisé. Le « Minotaure », cet univers à la marge est un condensé en fait de la normalité en usage. Dans ce monde à ciel ouvert, tout est fermeture, la seule épopée est sur le front de la lutte contre la pénurie. Et le fléau des mouches. Leur traque est devenue un sport national et un motif de méditations philosophiques dans un univers où « se volant les uns et les autres, tout le monde à la fois finissait par rentrer dans ses comptes ».
A cette écriture sarcastiques , succèdent des passages tantôt épiques : quand il évoque par exemple, l’exil à Cayenne, la saga des raïs, le naufrage de la flotte et la défaite de Charles Quint sur les rivages algérois, les conquêtes et les rapines coloniales - tantôt lyriques qui humanisent cet inspecteur déboussolé mais gardant au plus profond de lui quelques braises de lucidité et de dignité.

C’est un roman d’éclaireur qui ne voit la lumière du jour que vingt ans plus tard. Miracle, il ne souffre pas, comme on peut le craindre en certains cas, d’anachronismes.
Le secret de jouvence est dans le parti pris (le lecteur le vérifiera aisément) de ne pas raconter une histoire selon les canons romanesques traditionnels (aujourd’hui de retour) mais dans le recours aux procédés de la tragédie en ne craignant d’y insuffler une bonne dose d’humour et de verdeur langagière.

Et les tempêtes populaires qui secouent les pouvoirs dans le monde arabe ravivent, selon le mot de A.Dahou, « la cicatrice d’Octobre ».


Durant toute la lecture du roman, m’accompagnait le sourire tranquille de Mohamed Dorbhan.
Témoin lointain au roman cinglant.

« La mer, toujours la mer, éternellement la mer ».

A.K.

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Voir aussi sur le Web :

« Espace Noûn.

Un hommage à Dorbhan :

Contre l’amnésie »

http://www.algerie213.com/actualite/-Espace-Noun.-Un-hommage-a-Dorbhan_a24.html

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L’ÉCRIVAIN ÉGYPTIEN SONALLAH IBRAHIM
PARLE D’HISTOIRE ET D’AUJOURD’HUI

Invitation à lire

"TURBANS ET CHAPEAUX"(*)

L’écrivain égyptien Sonallah Ibrahim, militant de gauche emprisonné pendant cinq ans et fin analyste politique, raconte dans son roman "Turbans et chapeaux" (Actes Sud) la campagne d’Égypte de Bonaparte, mais ce vrai-faux récit historique résonne étonnamment avec l’époque contemporaine.

Et face aux événements actuels, il exulte : "Ce sont des jours glorieux" .
"Cela faisait des années que j’attendais ce genre de manifestations, mais j’ai néanmoins été surpris. Le peuple est descendu dans la rue sans guide politique", a-t-il dit à Mediapart, rappelant par ailleurs que l’Occident a toujours soutenu Moubarak.

"C’est le visage impérialiste des Occidentaux qui pensent à leurs intérêts avant ceux du peuple égyptien", assène-t-il.

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Sous ses airs de fresque historique, "Turbans et chapeaux" , paru cette semaine en France, dénonce les mêmes travers.

Le roman se présente comme un récit parallèle à la célèbre chronique de l’historien égyptien al-Jabarti, témoin de la conquête de l’Egypte par Bonaparte en 1798. Mais c’est en réalité toute l’histoire des relations orageuses entre Arabes et Occidentaux qu’explore l’auteur, y compris l’invasion américaine de l’Irak, le terrorisme ou les tensions communautaires.

Pour lui, les Américains d’aujourd’hui, comme les Français d’hier, se sont réclamés de beaux principes qu’ils ont aussitôt trahis.

Les Français de Bonaparte, résume l’écrivain par la voix de son jeune chroniqueur, sont venus en Égypte avec des canons et une imprimerie. En quittant l’Egypte, ils ont remporté l’imprimerie et ont laissé les canons... "Tout le bien qu’ils ont pu faire, ils l’ont fait pour eux-mêmes".

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Né en 1937 au Caire, Sonallah Ibrahim a fait des études de journalisme. Arrêté en 1959, il est emprisonné et libéré en 1964. Il devient alors journaliste, en Égypte puis à Berlin. Son premier roman, "Cette odeur-là" (publié en 1992 chez Actes Sud) est censuré dans son pays lors de sa publication mais connaît un succès international.

Il renoue avec l’engagement politique au début des années 2000 et participe à la fondation du mouvement d’opposition "Kefaya" . En 2003, il refuse le plus grand prix littéraire égyptien, décerné par le gouvernement (le ministère de Culture), auquel il dénie "toute crédibilité".

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"Turbans et chapeaux" - Sonallah Ibrahim - Actes Sud - 288 p. - 22 euros

"Cette odeur-là" - Sonallah Ibrahim - Actes Sud

Sources : Al-Oufok, le 2 février 2011


VIENT DE PARAITRE AUX ÉDITIONS L’HARMATTAN :

LA GRANDE POUBELLE

Journal d’un ancien détenu politique en Algérie,

de Smaïl MEDJEBER

Les faits rapportés dans ce Journal ont eu lieu dans l’une des prisons d’Algérie d’horrible réputation : celle de Berrouaghia. Ils sont authentiques.
Les personnages cités sont réels. Parmi eux, des personnalités connues, à l’instar de Me ALI-YAHIA Abdenour, l’un des fondateurs de la première Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme.

Dans son Introduction, Smaïl MEDJEBER fustige le pouvoir algérien qu’il qualifie de : « despotique, tyrannique, oppressif, répressif ».

Ce travail d’écriture, secret et dangereux pour l’auteur, avait été fait dans le seul but de témoigner, de déchirer le voile lourd et opaque qui pèse sur ce milieu carcéral infernal très fermé, verrouillé, hermétique ; de dénoncer les conditions carcérales inhumaines, la férocité de l’administration pénitentiaire et des geôliers tortionnaires, sadiques, comme cet arracheur de poils des pubis aux détenus. Entre autres atroces sévices.

Il abordera aussi un sujet tabou : la souffrance sexuelle des détenus.

On lira également, en documents annexes, des témoignages relatant le carnage qui avait eu lieu dans cette prison en novembre 1994. Faits dévoilés par l’Observatoire des Droits Humains en Algérie.

Cet ouvrage est, aussi, un devoir, une mission humanitaire très difficile mais accomplie à l’égard des détenus que l’auteur avait côtoyés dans cet enfer carcéral algérien. Pour ne pas les oublier et les décevoir.

PLANTU, par sa pertinente caricature, illustrant la couverture, nous montre La Grande Poubelle de l’extérieur, Smaïl MEDJEBER, par son émouvant Journal, nous la fait découvrir de l’intérieur…


Né en 195O en Kabylie (Algérie), Smaïl MEDJEBER est un penseur, un militant de la langue berbère de longue date.
Détenu politique, condamné à mort, ayant subi d’atroces tortures, après onze ans et demi d’un horrible calvaire, il sera libéré grâce aux interventions d’ONG de défense des Droit de l’Homme et de Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II.
Engagé, incorruptible, fidèle à ses convictions, prenant sa revanche contre le pouvoir algérien, il continuera son combat intellectuel en éditant et en dirigeant une revue culturelle.

Dévoiler, aujourd’hui, son Journal écrit en prison il y a vingt cinq ans, est également une autre revanche vis-à-vis de ce même pouvoir dictatorial, briseur de vies.

Cet ouvrage de 410 pages, paru en janvier 2011, est disponible chez :
L’Harmattan, Edition-Diffusion, 7, rue de l’Ecole Polytechnique 75005 Paris,
Librairie L’Harmattan, 16, rue des Ecoles 75005, Paris
FNAC, GIBERT Jeune…
Ou sur commande chez votre libraire habituel. Prix : 34 €

_______________

Smaïl Medjeber à socialgerie :
...Comme je l’ai écrit dans mon introduction, je n’étais pas aveugle, mais, au contraire, très observateur et très attentif à tout ce qui se passait en prison ; ni sourd, car j’entendais très bien les appels de détresse, les cris de douleurs et de souffrances des détenus férocement maltraités : je ne veux donc pas devenir muet et complice, faire, par mon silence, un cadeau doré à ce pouvoir tyrannique.

En faisant ce journal, je prenais des risques, à l’instar des journalistes et des photographes qui, en suivant dans un champ de bataille des soldats, prennent des risques, soit de recevoir une balle mortelle ; soit d’être sanctionnés, poursuivis, emprisonnés, voire assassinés, après la révélation de leurs écrits ou de leurs photos qui auraient gêné l’armée qu’ils ont suivie car, comme l’écrit l’O.N.G Reporters Sans Frontières : « Dans certains pays, un journaliste peut passer plusieurs années en prison pour un mot ou une photo ».

Comme l’avait si bien dit Albert Camus : « Maintenant il n’y a plus d’aveugles, de sourds et de muets, mais des complices. »

La publication de cet ouvrage est donc, tout simplement, humblement, un acte spontané, sans calcul aucun, un acte de devoir de mémoire.
Un témoignage, en hommage à tous les détenus quels qu’ils soient, des politiques ou des droits communs, qui avaient vécu ce que j’avais écrit quotidiennement.
Et pour ceux et celles qui le vivent en ce moment.

Mon deuxième but, c’est de dévoiler, de l’intérieur, le système pénitencier algérien inhumain.


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