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par Michel Peyret, le 17 février 201

LA DÉMOCRATIE REPRÉSENTATIVE... DE MARCHE (*)

Quelle signification au Maghreb-Machreq ?

jeudi 17 février 2011

Ce document, transmis par notre ami Michel Peyret, a le grand mérite de faire réfléchir sur le concept de « Démocratie » tant galvaudé (au service des « marchés ») par les ennemis de la démocratie réelle. Il vient à point nommé, au moment où on parle beaucoup pour nos peuples en mouvement de « transition démocratique ».

Quel contenu donner en effet à cette transition, dans les contextes nationaux et surtout le contexte mondialisé sous l’égide de « l’Empire », qui reste impérialiste jusq’uaux racines quels que soient ses habillages tactiques ?
Ne voit-on pas, à l’occasion des récents soulèvements populaires, il continue dans sa supposée omnipotence et comme pour tant de "révolutions colorées" précédentes, à s’arroger le droit de nous conseiller et guider les changements radicaux que souhaitent nos peuples, avec leur contenu social incontournable ?


(*)
le titre est repris de André Tosel.
Ce penseur, dit Arnaud Spire dans L’Humanité du 20 février 1998, est l’auteur de nombreux ouvrages, tous consacrés à délivrer la pensée de Marx et d’Engels de ses interprétations dogmatiques.

LA DÉMOCRATIE NE PEUT S’ÉPUISER DANS SES FORMES CONNUES

« Des générations d’étudiants niçois, poursuit Arnaud Spire, ont puisé dans ses cours convictions, dynamisme et créativité. Aujourd’hui, André Tosel enseigne à la Sorbonne, où il dirige le Centre de Recherches sur l’histoire des systèmes de la pensée moderne. De ses recherches sur Spinoza et Kant, de ses travaux sur Gramsci, on retiendra que le philosophe est persuadé que la démocratie, pas plus que le communisme, ne peut s’épuiser dans ses formes connues. »

Tout un programme donc, mais dont nous ne donnerons aujourd’hui qu’une première approche, peut être susceptible de nous mettre en appétit pour plus tard.

C’est toutefois en une autre occasion que André Tosel a formulé l’expression retenue comme titre. Là, le journaliste de L’Humanité rend compte le 16 avril 2010 qu’à la Maison de la poésie, avec les Amis de L’Humanité, André Tosel a offert à l’assistance emportée par le rythme haletant de l’exposé une cérémonie de haut vol.

Sous le titre, « L’inhumaine humanité de la guerre », sont en débat, « Jaurès, le capitalisme transnational et la guerre mondialisée. »

Ce n’est pas l’objet de l’exposé de ce jour mais nous y trouvons l’expression consacrée par nous.

LE MONDE, C’EST L’EMPIRE...
ET L’EMPIRE, C’EST LA GUERRE

« Le monde, c’est l’Empire, et l’Empire, c’est la guerre.
Le monde est guerre et la guerre est monde... »

André Tosel montre que depuis les années 1990 s’est opéré un changement d’époque radical... l’Irak, les Balkans, la guerre d’Afghanistan, la seconde guerre contre l’Irak après les attentats criminels de 11 septembre 2001, la tension entre l’Iran et les Etats-Unis et leurs alliés européens devenus vassaux au sein de l’OTAN recyclée, le martyr infini du peuple palestinien privé par Israël de tout État et voué à la soumission ou à la destruction, « tels sont les moments de la guerre globale que conduit la puissance impériale au nom de l’occident et avec son concours de fait. »

« Plutôt que guerre de l’Empire il s’agit avant tout de la guerre impériale que conduit la seule puissance impériale, les États-Unis d’Amérique, forte d’une suprématie militaire colossale sans égale dans l’histoire. »

UN PROJET D’INTÉGRATION GLOBALE

« Son projet est antérieur aux évènements du 11 septembre 2001, dit-il sans insister, et il s’intègre dans un contexte d’intégration globale, celui du super-capitalisme se mondialisant inégalement mais irréversiblement, avec ses institutions spécifiques, le marché mondial, la domination du capital financier sur le capitalisme industriel, avec sa légitimation politique – LA DEMOCRATIE REPRESENTATIVE DE MARCHE – et sa conception du monde séduisante et totalitaire qui unit la stimulation consumériste et la surveillance des sujets au nom de l’impératif gestionnaire.

« La nouveauté de cette guerre est son globalisme que l’on peut définir à partir de quatre déterminations conceptuelles, comme l’a montré le politologue Danilo Zolo dans sa contribution « Dalla guerra moderna alla « guerra globale ».

« Cette guerre, dit-il en conséquence, peut être dite globale du point de vue géopolitique, du point de vue systémique, du point de vue normatif, du point de vue idéologique... »

PRÉSERVER LES MÉCANISMES
DE PRODUCTION ET DE DISTRIBUTION DE LA RICHESSE

Certes, la présidence Obama a renoncé au discours théologico-politique le plus agressif, mais les objectifs de la stratégie demeurent et avec eux la prégnance de l’élection divine et historiale de la puissance impériale.

« L’objectif premier de la guerre globale demeure : il est de produire la stabilité globale sans toucher aux mécanismes de production et de distribution de la richesse qui en même temps creusent un fossé structural toujours plus profond entre pays pauvres et pays riches, sans altérer les mécanismes financiers qui reposent sur la corruption et redoublent les assujettissements. »

LES GUERRES POUR DÉCIDER
QUI ASSURE LA DIRECTION HEGEMONIQUE

Ainsi les guerres globales sont-elles les guerres que l’on conduit pour décider qui assurera la fonction de direction hégémonique dans le système mondial. Il s’agit bien de déterminer qui décidera des règles assurant le pouvoir de modeler pratiquement les processus d’allocation des ressources en richesses et en pouvoir, qui se permettra de faire prévaloir une conception du monde et un sens de l’ordre.

Aussi, les réalités de la lutte des classes peuvent-elles amener à faire la « part du feu » dans les pays où la misère ambiante peut conduire les peuples à la révolte et ceux qui détiennent le pouvoir mondial à sacrifier tel Ben Ali ou tel Moubarak, l’impérialisme est toujours là pour essayer de faire en sorte que la révolte, voire la révolution, ne remette pas en cause les règles sacrées dans lesquelles tous les peuples du monde sont aujourd’hui enserrés.

Les peuples des pays dominants, ou du pays dominant, échapperaient-ils aux viols permanents que les gouvernements de leurs pays infligent aux peuples des pays qu’ils dominent ?.

DES PEUPLES PRIVÉS DE DÉMOCRATIE

Le fait même que André Tosel place la « démocratie représentative » au coeur même de la globalisation ainsi définie, le fait qu’il la caractérise comme étant de « marché », est l’indication forte, sinon la caractérisation profonde de ce qui peut être privatif de démocratie dans ce qui est affirmé comme tel, et dont tous les peuples demeurent prisonniers, quel que soit le degré de conscience qu’ils en aient aujourd’hui.
Henri Pena Ruiz, dans l’article qu’il consacre à l’ouvrage de André Tosel, « Un monde en abîme. Essai sur la mondialisation capitaliste », va à l’essentiel.

« Tosel, dit-il, pointe le ralliement de nombre de philosophes, de penseurs et d’idéologues, le plus souvent installés sur le devant de la scène médiatique, aux illusions d’un libéralisme économique sans rivage et gratifié des vertus des droits de l’homme, de la démocratie, d’une communication enfin libérée de ses entraves, d’un monde enfin libéré de ses frontières grâce au divin Marché, nouveau dieu tutélaire.

CE MONDE N’EST PAS UN MONDE

« Mais qu’est-ce que ce monde ?
« Ce monde n’est pas un monde. Un « non-monde », dit fortement Tosel.
« L’âge d’or que nous prédisait Fukuama en décrétant la trop fameuse « fin de l’histoire » au moment où s’effondre le mur de Berlin n’est pas advenu.
« Les adeptes de la mondialisation croyaient avoir terrassé le communisme, ou plutôt sa caractéristique stalinienne, et avoir ainsi congédié de façon définitive toute véritable alternative au capitalisme pudiquement rebaptisé « libéralisme » pour mieux s’auréoler des valeurs de liberté et d’Etat de droit dont il se targue.
« Mais le capitalisme désormais seul au niveau international n’apparaît guère comme un horizon indépassable.
« Il juxtapose une nouvelle misère à la richesse que décuple une exploitation rendue à ses pulsions premières, et graduellement libérée de tout garde-fou par la destruction des droits sociaux.
« Quand au prétendu droit international, ce n’est pas un droit équitable, rendant justice à tous les peuples qui le constitue, mais bien la loi d’une super-puissance tantôt travestie en droit international, tantôt explicitement et brutalement affirmée comme loi du plus fort, supposée bien sûr rendre service à la cause démocratique mondiale... »

LE CATALOGUE POMPEUX DES DROITS DE L’HOMME

Aussi les avertissements de Marx sur le « catalogue pompeux des droits de l’homme » et sur la mystification qui déguise un rapport d’exploitation en contrat librement consenti n’ont-ils pas pris une ride.

André Tosel, dit-il, le montre avec force en rappelant le processus de destruction tendancielle des droits sociaux qui avaient humanisé le capitalisme en le forçant à composer avec des exigences qu’il n’assumait pas spontanément.
« Quel est l’homme des droits de l’homme ? »

« On comprend, dit-il, que la question chère à Marx fasse aujourd’hui retour quand l’idéologie du libéralisme économique confine l’humanité de l’homme dans l’individualisme possessif, et privilégie la liberté d’entreprendre quoi qu’il en coûte à la communauté...

LA DOMINATION DE LA MAIN INVISIBLE...

« Et que vaut toute la rhétorique libérale de la main invisible qui comme par magie conduirait le marché s’il apparaît que la conjonction des initiatives privées en vue du seul profit capitaliste ne produit nullement la prise en charge de l’intérêt commun ?

« Quand aux formes politiques dans lesquelles se déploie le processus de mondialisation, leur lustre hérité de l’époque où elles furent d’authentiques progrès semble bien terni.

« La démocratie représentative, comme le montre André Tosel, devient le plus souvent l’occasion d’un dessaisissement du peuple comme tel. »

ET LE DESSAISISSEMENT DU PEUPLE

Ainsi, « ce n’est plus le représenté qui est l’auteur du représentant, selon la formule de Hobbes, mais bien plutôt le représentant qui s’autonomise si radicalement du représenté qu’il en vient à le produire selon un imaginaire idéologique où l’on reconnaît mal l’intérêt du peuple représenté... »

Et que dire du transfert à des « experts » non élus de décisions qui devraient relever de plein droit de la souveraineté populaire ?

ROUSSEAU ET LA DÉMOCRATIE DIRECTE

La volonté générale, que Rousseau voulait faire advenir dans des processus de démocratie directe, avec contrôle effectif de la souveraineté populaire, voire mandat impératif plutôt que mandat de longue durée, était effectivement problématique en ce qu’elle semblait postuler une « faculté de vouloir ce qui vaut pour tous », commune à tous les citoyens, par delà les clivages de classe. Mais elle avait au moins le mérite de mettre en débat l’intérêt commun, de mettre à l’épreuve les intérêts particuliers.

« Dans le cadre, dit-il, d’une République à la fois laïque et sociale où se sédimenteraient en un corpus de lois les grandes conquêtes issues des luttes ouvrières, elle avait le pouvoir de faire contrepoids à la logique des « eaux glacées du calcul égoïste » évoquée par Marx en 1848.

« Mais aujourd’hui, pour les tenants de la mondialisation dite libérale, il ne saurait être question de tolérer un tel exemple de configuration politique et sociale.

« Le travail de sape, au nom de l’Europe et du monde, est largement entamé » en France. Et ce avec la complicité de forces politiques qui confondent rénovation et trahison, désespérant encore un peu plus ceux qui croyaient pouvoir compter sur elles pour résister. »

Résister ?

LA POLITIQUE DE L’ÉMANCIPATION EST A RE-INVENTER

Pour André Tosel, la politique de l’émancipation est à ré-inventer.

« Marx, dit-il n’est pas un classique de l’humanité comme les autres. Marx dérange encore malgré les funérailles qui lui sont régulièrement réservées, la dernière en date étant représentée par la thématique de la post-modernité qui a décrété la fin des grands récits de l’émancipation, celle de l’histoire et des classes révolutionnaires, et qui légitimait directement ou non un nouveau grand récit, celui du régime totalitaire panlibéral issu des noces de la démocratie représentative et du marché capitaliste mondial. »
Pour André Tosel, en effet, les marxismes d’appareils incarnés dans les partis communistes ont été incapables pour de multiples raisons de penser la transition politique qui avait pu faire suite à la percée de la révolution d’octobre 1917 entreprise sous la direction de Lénine, autre auteur à étudier.

« Ils n’ont pu à quelques exceptions près (Gramsci en tête, mais aussi Lukas, Bloch, Brecht, Lefebvre, Althusser) faire la preuve de la réflexibilité de la théorie marxienne, la prolonger de manière critique et autocritique, pour la mettre en situation de se prendre elle-même pour objet, en identifiant ses limites, ses contradictions, ses lacunes, ses apories. »

MARX PEUT RETROUVER UNE AUTRE ACTUALITÉ

« Le mouvement ouvrier marxiste, poursuit-il, le seul à avoir pu libérer des potentialités anti-système, a subi une défaite époquale qui se traduit dans la nouvelle phase de la mondialisation capitaliste.

« Tout est à refaire en matière de lutte pour l’émancipation. Mais Marx sera de, et dans, cette lutte où il peut retrouver une autre actualité. »

Tosel montre alors que Marx est le penseur qui a pris la mesure de la mondialisation capitaliste comme processus tout à la fois producteur et destructeur, créateur et sacrificiel de ses propres résultats.

« Il a découvert, dit-il, le démonisme nihiliste d’un mode de production qui applique réflexivement à lui-même sa propre logique.

« Il ne considère rien comme stable, solide, sacré. Il enserre le monde dans une entreprise qui libère la puissance humaine, en l’enchaînant à l’appropriation privative de ses résultats, et donc en la retournant contre elle-même.

« Il fait un monde pour quelques-uns mais prive de monde les multitudes humaines.

« Il sape les fondements de l’économie naturelle et universalise la particularité des volontés de puissance. »

Pour Tosel, la critique marxienne est déjà un des éléments porteurs de la nécessaire critique du capitalisme mondialisé, du capitalisme qui a liquidé le socialisme et le communisme, mais aussi d’une certaine manière le libéralisme éthico-politique au profit du pan-libéralisme, de sa licence et de son bellicisme.

S’APPROPRIER DE TOUTES LES ÉLABORATIONS THÉORIQUES

Tosel considère aussi que cette perspective d’une critique de la mondialisation capitaliste exige l’appropriation des élaborations théoriques les plus pertinentes de la philosophie et des sciences humaines et sociales.

« Elle ne sera pas, dit-il, l’occasion d’une nouvelle orthodoxie marxiste. Son horizon ne peut être prédéterminé par les formes des luttes et d’organisation du passé. »
Et il confirme : « La politique de l’émancipation est à ré-inventer sur la base des leçons à tirer de ce passé. »

UNE NOUVELLE DONNE POUR RE-INVENTER UNE DÉMOCRATIE

« Cette nouvelle donne obligera à réinventer une démocratie processus articulée sur les niveaux du local, du national, du transnational, à reformuler les rapports du moment économique et du moment éthico-politique.

« Sur le plan strictement philosophique elle passera par une réévaluation méta-rationaliste des rationalismes enfin purifiés de leur désir de maîtrise infinie.

« De toute manière il ne s’agira pas de tout libérer des possibles empêchés, mais de rendre impossible la poursuite de ces possibles réels que la mondialisation ne cesse d’actualiser au détriment du monde lui-même. »

André Tosel avait titré l’intervention d’où sont extraits ces derniers paragraphes : « Etudier Marx selon Marx, penser avec et contre Marx. »


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