Accueil > TRIBUNES, ACTIVITÉS, LECTURES > LES HÉRITAGES (IDÉOLOGIQUES) ENCOMBRANTS

LES HÉRITAGES (IDÉOLOGIQUES) ENCOMBRANTS

dimanche 14 octobre 2012

Extraits d’une intervention de Said BOUAMAMA sur l’ethnocentrisme,

LES FONDEMENTS HISTORIQUES ET IDÉOLOGIQES

DU RACISME « RESPECTABLE » DE LA « GAUCHE » FRANÇAISE

par SAÏD BOUAMAMA

.../...

Une hégémonie culturelle assise depuis le 19ème siècle

L’hégémonie culturelle est un concept proposé par Antonio Gramsci pour
décrire la domination culturelle des classes dominantes.
Le concept s’inscrit dans l’analyse des causes du non développement
des révolutions annoncées par Marx pour les pays industrialisés
d’Europe en dépit de la vérification des conclusions économiques de
Marx (crise cycliques, paupérisation de la classe ouvrière, etc.).
L’hypothèse de Gramsci est que cet « échec » des révolutions ouvrières
est explicable par l’emprise de la culture de la classe dominante sur
la classe ouvrière et ses organisations. La classe dominante domine
certes par la force mais aussi par un consentement des dominés
culturellement produit.
L’hégémonie culturelle de la classe dominante agit par le biais de
l’État et de ses outils culturels hégémoniques (écoles, médias, etc.)
pour produire une adoption par la classe dominée des intérêts de la
classe dominante. L’hégémonie culturelle décrit donc l’ensemble des
processus de production du consensus en faveur des classes dominantes.

.../...


Depuis cette première critique de l’universalisme des Lumières,
d’autres sont venues la compléter : la critique féministe a souligné « les présupposés androcentriques, racistes, économiques et
anthropologiques de la philosophie européenne du siècle des Lumières »

 [1] ; le caractère ethnocentrique de la pensée des Lumières a
également été dénoncé en soulignant que « là où nous lisons « homme »,
« humanité », « citoyenneté »
, c’est de l’humanité blanche et
européenne que nous parlent les Lumières. Certes, dans les Lumières
pourtant les premières lueurs de nos valeurs. À condition d’ignorer la
traite, la négritude, l’esclavage »
 [2].

L’universalisme des lumières apparaît ainsi très peu universel que ce
soit à l’interne (universalisme masculin du droit de vote jusqu’à
l’après seconde guerre mondiale, universalisme excluant les ouvriers
du droit de vote jusqu’en 1848) et à l’externe (code noir, code de
l’indigénat, etc.).

Au travers de l’absolutisation de la pensée des Lumières et de la
Révolution française, la classe dominante vise à présenter l’histoire
française comme n’étant pas le résultat des affrontements sociaux mais
comme résultat du déploiement d’un « génie » et/ou d’une « spécificité » française transversal aux différentes classes sociales.
Il y aurait ainsi des caractéristiques proprement françaises qui
situeraient cette nation au dessus des autres, en avance sur les
autres, en avant-garde de l’émancipation et de la civilisation. Bref
il s’agit de produire un complexe chauvin pour canaliser les luttes
sociales à un moment où se déployait la colonisation violente du
monde.
L’offensive idéologique visant à ancrer l’idée d’une
exceptionnalité/supériorité française est tout azimut et a
malheureusement en grande partie réussie. Voici comment par exemple
Karl Marx raille la prétention de la « gauche française » à
l’exceptionnalité linguistique et républicaine :


« Les représentants (non ouvriers) de la « Jeune France » soutenaient
que toutes les nationalités et les nations étaient des « préjugés
suranné ». Stirnérianisme proudhonisé : on répartit tout en petits « groupes » ou « communes » qui forment ensuite une « association » et
non pas un état. Et tandis que se produit cette individualisation de
l’humanité et que se développe le « mutualisme » adéquat, l’histoire
des autres pays doit suspendre son cours et le monde entier attendra
que les Français soient mûrs pour faire une révolution sociale.

Alors ils effectueront sous nos yeux cette expérience, et le reste du
monde, subjugué par la force de l’exemple, fera de même. (...) Les
Anglais ont bien ri quand j’ai commencé mon discours en disant que
notre ami Lafargue et ceux qui avec lui supprimaient les nationalités,
s’adressaient à nous en français, c’est-à-dire une langue que les
9/10e de l’assistance ne comprenaient pas. Ensuite, j’ai signalé que
Lafargue, sans s’en rendre compte, entendait apparemment par négation
des nationalités leur absorption par la nation française modèle » [5] [3].


Voir en ligne : http://quefaire.lautre.net/que-fair...


[1Jennifer Chan-Tiberghien, « La participation féministe au mouvement altermondialiste : Une critique de l’Organisation Mondiale du Commerce », Recherches Féministes, volume 17, n° 2, 2004, p. 199.

[2Louis Sala-Molins, « Le Code Noir, Les Lumières et Nous », dans Valérie Lange-Eyre (dir), Mémoire et droits humains : Enjeux et perspectives pour les peuples d’Afrique, Éditions d’En Bas, Lausanne, 2009, p. 38.

[3Karl Marx, « Lettre à Friedrich Engels du 20 juin 1866 », Correspondances, tome VIII, Éditions sociales, Paris, 1981.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

  • Lien hypertexte

    (Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)