Accueil > TRIBUNES, ACTIVITÉS, LECTURES > 5 -6 MARS 2011 : COLLOQUE INTERNATIONAL - "ALGÉRIE 1954-1962 - LES ROBES (...)

5 -6 MARS 2011 : COLLOQUE INTERNATIONAL - "ALGÉRIE 1954-1962 - LES ROBES NOIRES AU FRONT : ENTRE ENGAGEMENT ET « ART JUDICIAIRE »"

vendredi 25 février 2011

L’Association

"Les Amis de Abdelhamid Benzine"

organise

avec le concours scientifique de
Malika El Korso
Université Alger 2, Lahisco

COLLOQUE INTERNATIONAL

Algérie 1954-1962

LES ROBES NOIRES AU FRONT :
ENTRE ENGAGEMENT ET « ART JUDICIAIRE »

5 & 6 mars 2011


Riadh el-Feth, Salle Ibn Zeydoun, Alger

Avec l’aimable soutien :

  • Ministère de la Culture,
  • Quotidiens
    • EL WATAN
    • EL KHABAR
    • LIBERTÉ
  • Imprimerie S.H.P. Bouchafa

Schéma de l’intervention de Me Albert SMADJA

1°) Antérieurement au 1er novembre 1954 :
La répression par le biais des Tribunaux des activités nationales algériennes est bien antérieure au déclenchement de la lutte armée à compter du 1er novembre 1954.
Sans remonter à mai 1945 et aux procédures judiciaires ayant donné lieu à de multiples condamnations à mort suivies d’exécutions, il faut savoir que les activités légales des partis politiques, dont le programme était la disparition du système colonial sous des formes diverses, notamment le M.T.L.D., l’U.D.M.A. et le Parti Communiste Algérien, ont donné lieu à des poursuites judiciaires devant les Tribunaux Correctionnels, fondées généralement sur l’article 80 du Code Pénal alors en vigueur, qualifié d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat, punissant toutes actions tendant à soustraire à l’autorité de la FRANCE tout ou partie du Territoire National.

Ce texte a été utilisé pour réprimer notamment les écrits, sous quelque forme que ce soit, y compris par voie de presse, remettant en cause le système colonial.

À cette époque déjà, les Militants Algériens étaient défendus devant les Tribunaux par des Avocats Français et les rares Avocats des Barreaux d’ALGÉRIE anti-colonialistes.

2°) Après le 1er novembre 1954 :
Un nombre important des auteurs des actes commis dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954 ont été rapidement arrêtés et emprisonnés.

Un développement d’actions, violentes ou non, ayant suivi ces premiers événements, les prisons notamment celle de Barberousse à ALGER se sont remplies des militants arrêtés.

À cette époque, l’ALGÉRIE ne comptait qu’une seule Cour d’Appel, à ALGER, dont la compétence s’étendait à l’ensemble des décisions rendues par la totalité des Tribunaux de première instance (une quinzaine).

Les quelques avocats du Barreau d’ALGER ont été rapidement submergés par les demandes d’assistance émanant des militants emprisonnés.

L’aide de quelques avocats du Barreau de PARIS qui se relayaient pour prendre part à la défense, pour importante qu’elle fût, n’était pas suffisante.

3°) La création du Collectif des Avocats :
L’objet initial de la création de ce Collectif répondait à un besoin pratique : mieux répartir la charge que représentaient, pour la douzaine d’avocats d’ALGER, les poursuites judiciaires quotidiennes, tant en ce qui concerne la défense proprement dite devant les Juridictions pénales que les visites régulières des militants emprisonnés, visites essentielles pour que ces derniers ne se sentent pas abandonnés.

Chaque avocat pouvait donc prendre en charge le même jour, et dans une même Juridiction, les personnes poursuivies.

Ce système a fonctionné tant bien que mal jusqu’au vote par le Parlement Français des pouvoirs spéciaux, en février et mars 1956.

Après le vote par l’Assemblée Nationale, le 12 mars 1956, des pleins pouvoirs confiés au Gouvernement de Guy MOLLET, les Juridictions de droit commun ont été dessaisies au profit des Tribunaux Militaires.

Ces derniers étaient déjà compétents pour certains faits qualifiés de « crimes », et statuaient dans la composition prévue par le Code de Justice Militaire pour juger des civils.

Après le vote des pleins pouvoirs, les Tribunaux Militaires étaient exclusivement composés de militaires, présidés par des Magistrats Civils volontaires qui recevaient le grade de « Colonel » ou de « Lieutenant-Colonel ».

En outre jusque-là, la Cour de Cassation, siégeant à PARIS, cassait souvent les décisions de condamnation à mort.

Le Gouvernement français, affranchi des règles antérieures, créait alors un Tribunal Militaire de Cassation, siégeant à ALGER, qui rejetait systématiquement les pourvois, dans un délai souvent de quelques jours.

En outre, était instaurée la notion de « crime flagrant » permettant le renvoi immédiat, dans les jours suivant l’arrestation des auteurs de faits qualifiés de crimes, qui étaient alors jugés par les Tribunaux Militaires sans aucune instruction préalable, à la vue des seuls procès-verbaux de police et d’aveux obtenus, le plus souvent sous la torture.

C’est en application de ces textes contraires aux Droits de l’Homme que se situe la condamnation de Fernand IVETON.

4°)La contribution de « Français » à la lutte des Algériens pour l’Indépendance :
Fernand IVETON n’est pas le seul « Algérien français » ayant rejoint le F.L.N. De nombreux militants, notamment membres du Parti Communiste Algérien, avaient été intégrés aux Organisations F.L.N.

Nombreux ont été ceux qui ont été arrêtés et condamnés, quelques-uns à la peine de mort, bien que Fernand IVETON soit le seul condamné à mort non musulman qui ait été exécuté.

Il avait proposé au Groupe dont il faisait partie de placer une bombe avec un système d’explosion à retardement dans l’enceinte de l’Entreprise d’Electricité et Gaz d’ALGÉRIE, où il travaillait en qualité de Tourneur.

L’engin, réglé pour exploser à 19h30, à une heure largement postérieure au départ des salariés, qui devait de surcroît être déposé dans un local désaffecté, a été découvert alors que Fernand IVETON l’avait provisoirement rangé dans son casier pour le transporter dans l’après-midi dans ce local.

Alertés par un Contremaître qui avait vu IVETON pénétrer dans les ateliers en portant un sac de sports, les Services de police découvraient la bombe. C’était le 14 novembre 1956.

Torturé par les policiers, il retardait au maximum les aveux permettant aux membres de son Groupe d’éviter, provisoirement du moins, leur arrestation.

Emprisonné à la Prison de Barberousse le 19 novembre 1956, il était déféré en crime flagrant devant le Tribunal Militaire, convoqué pour le juger le samedi 24 novembre.

Je recevais du Bâtonnier de l’Ordre des Avocats d’ALGER le jeudi 22 novembre, en fin de matinée, une commission d’office pour assurer sa défense.

Conscient du sort que lui réserverait sans doute le Tribunal Militaire, en raison du climat de haine qui sévissait alors dans les milieux européens d’ALGÉRIE, j’intervenais auprès du Bâtonnier qui, dans la matinée du vendredi 23, commettait également un Avocat beaucoup plus ancien, expérimenté, Me Charles LAINE, avec qui, dans la journée de vendredi, veille de l’audience, je prenais connaissance du dossier et préparais la défense.

Au terme d’une journée de procès, Fernand IVETON était condamné à mort, sous les applaudissements du public qui avait pu pénétrer dans la salle d’audience.

Un pourvoi en cassation était formé.

Dès le lundi, Me NORDMAN, Avocat parisien très connu, arrivait à ALGER pour s’associer à la défense de Fernand IVETON.

Le pourvoi en cassation étant rejeté, les avocats étaient convoqués par le Président de la République de l’époque, Monsieur René COTY, qui nous recevait le 5 février 1957.

L’attitude de Monsieur COTY ne nous avait guère laissé d’espoir.

Le dimanche 10 février, en fin de journée, le Bâtonnier PERRIN me téléphonait en m’indiquant que l’exécution interviendrait le lendemain 11 février.

Il ajoutait que deux autres condamnés à mort devant également être exécutés ce jour-là, il me commettait d’office pour les assister, en l’absence de leurs avocats qui n’avaient pu être joints.

Le 11 février 1957, les trois hommes étaient guillotinés à la Maison d’Arrêt de Barberousse.

J’étais moi-même arrêté 48 heures plus tard, le 13 février 1957, en même temps que deux autres avocats, et interné à LODI.

Une dizaine d’autres avocats étaient arrêtés et internés une quinzaine de jours plus tard.