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MAROC - ALGÉRIE : TANT DE COUPS TORDUS !

dimanche 4 juillet 2010

Alors que tout les rapproche, les deux pays maghrébins passent leur temps à se chamailler :

L’analyse du journaliste marocain Ali Lmrabet, publié dans Al-Michaal avait été repris dans "Le Courrier International" N°962, du 9 avril 2009, sous le titre :« Maroc-Algérie : Je t’aime, moi non plus »

C’est une histoire stupide mais banale de rivalité entre deux Etats qui aspirent au leadership d’une même région. De quoi s’agit-il ? De l’impossible normalisation des relations entre deux pays, le Maroc et l’Algérie, que tout devrait rapprocher mais que tout paraît éloigner.
Officiellement, selon la phraséologie en cours dans les chancelleries diplomatiques de ces deux Etats maghrébins, nous sommes “frères” puisque nous partageons les mêmes langues vernaculaires, la même histoire, la même culture, et que nous nous prosternons dans la même direction. En réalité, tout nous oppose.
Le Maroc et l’Algérie, c’est l’histoire de deux pays qui n’arrivent pas à solder un passé agité.
À Rabat, quand on évoque le conflit latent qui oppose le royaume chérifien à la république voisine, le Marocain moyen se fait immédiatement un devoir de rappeler l’ingratitude des “frères” algériens envers le Maroc qui a soutenu contre vents et marées leur guerre d’indépendance. Il rallongera la longue liste de griefs en ajoutant les méfaits du boumédiénisme [Houari Boumediene a dirigé l’Algérie de 1965 à 1978] : l’expulsion, en 1975, de centaines de milliers de Marocains dont la plupart ne connaissaient que l’Algérie et dont les représentants, plus de vingt ans après, viennent d’annoncer une poursuite collective contre l’Etat algérien, la “fabrication” du conflit du Sahara-Occidental et une certaine… “jalousie” algérienne envers les réussites (!) marocaines.

Du côté algérien, on n’est pas en reste. On met souvent en avant l’arrogance marocaine, le refus du Maroc d’accepter la libre émancipation des peuples, à savoir le peuple sahraoui, et quelques turpitudes durant la guerre civile algérienne qui m’ont été répétées par l’un des fondateurs du GIA [Groupe islamique armé], Abdelhak Layada. Selon Layada, arrêté au Maroc au début des années 1990 et logé dans une luxueuse ville, à Rabat, les services secrets marocains auraient promis d’aider financièrement le GIA en échange de quelques services comme la liquidation de certains opposants au régime d’Hassan II.

Au crépuscule de sa vie, dans son appartement parisien du XVIe arrondissement, l’ancien ministre de l’Intérieur Driss Basri, grand ordonnateur des manigances hassaniennes, reconnaissait facilement que Rabat avait comploté contre l’Algérie : livraison d’armes aux rebelles kabyles, neutralité “active”, c’est-à-dire pas neutre du tout, lors de la guerre civile, etc. Il prenait toujours soin de terminer ses monologues par un retentissant : “... mais l’Algérie a fait de même”, et de rappeler le long conflit du Sahara, qui a donné un sérieux coup de frein au développement du Maroc, et l’attentat de l’hôtel Atlas Asni, à Marrakech en 1994, mené par des jeunes français d’origine algérienne, manipulés, selon Rabat, par les services algériens. Si on doit croire ce que racontait Basri, les coups tordus étaient réciproques et, apparemment, ils faisaient partie des préoccupations premières des Hassan II, Houari Boumediene et successeurs. D’ailleurs, c’est après l’attentat de 1994, qui a coûté la vie à deux touristes espagnols, que Rabat a décidé de fermer sa frontière terrestre avec l’Algérie. Une frontière qui, quinze ans plus tard, reste fermée, cette fois par décision des “frères” algériens et en dépit des récentes sollicitations enflammées de tout l’establishment politique marocain, le roi Mohamed VI en tête.

Des dirigeants qui ne font rien pour normaliser les relations

Et il n’y a pas que ça. Si on veut une liste exhaustive des chikaya [plaintes] réciproques qui continuent d’empoisonner les relations marocano-algériennes, il n’y a qu’à lire les journaux des deux pays, qui se livrent à des joutes éditoriales épiques, écouter Médi 1, la radio tangéroise créée en partie pour faire de la propagande intelligente antialgérienne, et son homologue algéroise Radio Algérie internationale, fabriquée dans le même but mais en sens inverse. Pour consolider leurs accusations, qui sont nombreuses et “étayées”, les Marocains accusent souvent leurs confrères algériens de s’être vendus aux généraux et autres marionnettistes en uniforme. Bien entendu, les Algériens répliquent en présentant leurs homologues chérifiens comme des lèche-bottes du palais royal. Et ainsi de suite.
Ce qui est drôle, comme me l’expliquait un jour un ex-ministre algérien dans son bureau des hauteurs d’Alger, c’est qu’il y a peut-être du vrai dans ces accusations. Dans son livre Les Geôles d’Alger, le journaliste Mohamed Benchicou raconte avec une rare sincérité comment la presse algérienne a été manipulée par des hauts gradés de l’armée, qui ont fait croire aux responsables des journaux que les généraux avaient décidé de lâcher Abdelaziz Bouteflika pour l’ex-Premier ministre Ali Benflis lors de l’élection présidentielle de 2004.

Quant aux confrères marocains, nul besoin de prouver leur perpétuelle allégeance au trône alaouite. Il suffit de lire notre littérature quotidienne, de repérer les non-dits et les omissions quand il s’agit du pouvoir royal, pour se faire une idée. Dans un pays où le dirigeant de la principale centrale syndicale règne sans partage sur sa créature depuis 1955, c’est-à-dire un an avant l’indépendance du Maroc, dans un pays qui a la chance d’avoir le seul parti communiste de la planète qui soit royaliste – et même adepte de la “monarchie exécutive” –, dans un pays où les ex-gauchistes, républicains cela va de soi, se sont convertis en de furieux monarchistes, avoir une presse libérée de ses chaînes reste un privilège encore inaccessible. Dire qu’on souhaite que les relations marocano-algériennes se normalisent une bonne fois pour toutes est un euphémisme. Encore faut-il trouver les personnes adéquates pour mener à bien cette normalisation. Nos dirigeants – un jeune roi qui croit dur comme fer qu’il est d’essence divine puisque descendant direct du Prophète Mohammed, et un vieux président qui n’a pas encore compris que la guerre d’indépendance est finie – sont-ils les mieux à même de résoudre cet incroyable imbroglio ?

source : le courrier international

article déjà mis en ligne sur socialgerie dans l’article "Tribune, Activités, lectures ... (...)



Histoires parallèles

Des luttes d’indépendance au nationalisme arabe en passant par l’islam et la berbérité commune aux deux pays, l’historien Benjamin Stora dessine dans cet ouvrage les contours d’un Maghreb relativement homogène mais en proie à des conflits internes, sur fond d’hégémonie et de guerre pour le leadership régional.
Né en Algérie, Benjamin Stora, auteur de plusieurs livres sur son pays natal, retrace le parcours historique de ces deux pays en soulignant ce qui les rassemble mais aussi ce qui les différencie.
Nation centralisée de longue date, le Maroc est ancré dans la continuité historique, tandis que l’Algérie, qui a beaucoup plus souffert que le Maroc des colonisations successives, se maintient dans une logique de rupture avec comme soubassement idéologique la géographie – “c’est l’histoire anticoloniale qui invente le territoire”.

Deux pays frères, deux trajectoires différentes mais une même communauté de destin, le livre restant optimiste sur l’avenir, avec la perspective de l’avènement d’un Maghreb démocratique, porté par des sociétés modernes pressées de dépasser ce conflit qui oppose beaucoup plus les dirigeants que les populations.

Benjamin Stora, Algérie, Maroc. Histoires parallèles, destins croisés, éd.