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YACINE... VINGT ANS DÉJÀ !

HOMMAGE AU DISPARU par OMAR MOKHTAR CHAALAL

samedi 24 octobre 2009

Comme annoncé par Sadek Hadjerès dans l’évocation de ses rencontres avec Kateb Yacine, SOCIALGERIE a le plaisir de faire connaître à ses lecteurs un hommage de Omar El Mokhtar Chaalal au grand écrivain, homme de théâtre et chantre de la lutte des opprimés et des exploités en Algérie et dans le monde. L’auteur de cet hommage informe qu’il sera publié dans une revue du Salon du Livre qui ouvre ses portes à Alger dans quelques jours et honorera cet anniversaire.

« Je sais que Fadhila s’alarme pour un rien, il ne faut surtout pas croire à ce qui est écrit dans la presse, je n’ai pas de leucémie, ce n’est qu’un état de septicémie qui sera, sans doute, vite jugulé par les médecins de l’hôpital de Grenoble ; tranquillise-la. Il ne faut surtout pas vous inquiéter, je guérirai et reviendrai encore une fois au Pays… » C’est là, à quelque chose près, les termes d’une lettre envoyée par Yacine, la veille de son « Grand Départ », à sa sœur cadette, Ounissa. C’est dire combien la tranquillité de ses proches, famille, camarades et amis, retenait profondément son attention, alors qu’il se préoccupait si peu de sa propre santé. C’est dire également la sensibilité de l’homme, qui a su s’élever aisément à la simplicité et pénétrer aussi facilement l’univers fabuleux de la création.

Voilà déjà vingt ans qu’il s’en est allé sans crier gare… Voilà déjà vingt ans qu’il s’en est allé sur les sentiers d’octobre, semés de feuilles mortes et de rêves nostalgiques, nous laissant en héritage une immense Œuvre littéraire, et surtout le sens d’un combat. Petit enfant, dont le vaste front présentait les signes d’une intelligence et d’une sensibilité particulières, il avait commencé à écrire à l’âge de neuf ans à l’ombre du feuillage d’un chêne vert, à Bougaà. La grande « fracture » historique de mai 45 et les massacres qui s’en suivirent, ont indéniablement pétri l’homme et nourri son œuvre. Sur le 8 mai 45, il avait écrit en 1951, dans les colonnes de « Liberté », organe du PCA : « Il y a des dates qui restituent la dignité, le 8 mai 45 est de celles-là. Et on n’a pas fini d’y trouver la sève de tout ce que notre peuple possède de détermination à refuser les fatalités. » Yacine avait vécu les émeutes sanglantes de Sétif au cœur d’une double déchirure. Il paya le prix fort non seulement dans sa liberté et sa chair, mais aussi à travers sa mère prise dans une sainte folie, le croyant mort, fusillé par les soudards de l’armée coloniale. Sa mère, Yasmina la « Rose noire » comme il se plaisait à l’appeler, avait été la muse qui inspira profondément son terrible « Chant ». Elle avait été également sa blessure et son cri d’homme libre. Dans un récit paru en mai 65, dans l’hebdomadaire « Révolution Africaine », à l’occasion de la commémoration du vingtième anniversaire des massacres du 8 mai 45, il l’avait évoquée avec des mots d’une douloureuse tendresse : « …/… Beaucoup avaient écrit leurs noms après la même halte pensive ou tapageuse, et plongé avec leur mystère dans le gouffre où le fleuve à sec n’avait laissé qu’un souvenir de cascade souterraine, et lui, que faisait-il, penché sur le Rhummel ? Il affrontait une deuxième mort, il luttait contre celle qui l’avait nourri, mais n’avait pu le voir grandir, sinon comme grandissent les enfants malheureux, en secret, à l’aveuglette, l’avait toujours soutenu alors qu’il déployait ses ailes, impatient de s’en aller, sans même avoir conscience d’une séparation, car il ne partait pas, il s’envolait comme l’hirondelle, comme la cigogne, comme l’oiseau des nostalgies, mais le vent avait emporté le nid de son enfance, et c’était le Rhummel abandonné au fond des gorges, c’était le vieux Rhummel qui devenait son soupirail. »

Militant nationaliste à un âge précoce, Yacine Kateb avait été également de tous les combats pour la liberté et la dignité humaine. Patriote de l’Algérie profonde, il usa de son arme redoutable, l’écriture, pour faire connaitre au monde la nature de l’oppression exercée par le colonialisme français sur son peuple, ainsi que le sens profond de la Proclamation du 1er Novembre 1954, et du combat libérateur qui s’en est suivi. Il rejetait avec force l’idée d’être enfermé dans le portrait du colonisé façonné par les milieux intellectuels parisiens. Il voulait à tout prix maîtriser parfaitement la langue française, pour dire précisément aux Français qu’il n’était pas français. En 1947, à peine âgé de dix huit ans, il donna, à la salle des Sociétés Savantes de Paris, une conférence sur l’Emir Abdelkader et l’indépendance de l’Algérie : « Dire Abdelkader, c’est déchirer un linceul d’infamie dans lequel on prétendait nous enterrer vivants… » C’était là son premier acte politique exprimé publiquement. Militant humaniste, il adhéra activement à toutes les causes de libération dans le monde, avec comme points culminants le Vietnam et la Palestine. Il n’en sera pas moins un militant des autres causes qui ébranlèrent le siècle : Madagascar, Afrique du Sud, lutte des Noirs américains… Sa vie se fera de cet itinéraire, de cercles populaires en cercles populaires. Des émeutes du 8 mai 45, au combat des dockers sur le port d’Alger ; d’Alger-Républicain aux incessants voyages au cœur des grandes luttes du moment. Il y participa, et son verbe avait le don d’éveiller la conscience chez les gens du peuple, et de déranger les consciences encrassées.

L’œuvre qu’il nous a léguée fait de lui un représentant atypique de la littérature algérienne. Il reste un écrivain inclassable. Il est considéré dans les milieux littéraires internationaux, comme l’un des plus grands écrivains du 20ème siècle. Abdelhamid Benzine, initiateur politique et compagnon de lutte de Yacine, avait une grande considération pour son génie et son talent d’homme de lettres. Il estimait que la place qu’il devrait occuper dans l’histoire de notre pays, pouvait correspondre à celle qu’occupe Ibn Khaldoun. Kateb Yacine est l’auteur de « Nedjma », l’un des plus grands romans de la littérature contemporaine, de poèmes, de pièces de théâtre. Il a utilisé la langue française, mais aussi l’arabe parlé, a mélangé les genres sur scène comme sur papier, a écrit des textes fulgurants, mais aussi des textes au long cours. Son oeuvre laisse les critiques perplexes et suscite des études académiques dans de nombreuses universités à travers le monde, qui considèrent « Nedjma » comme un texte de référence de la littérature algérienne d’expression française. Le texte katébien constitue aujourd’hui un élément essentiel du patrimoine culturel universel. En perpétuel mouvement dans le temps et l’espace, il est d’une grande richesse.

En 1970, Kateb Yacine sacrifie son talent et sa notoriété d’écrivain en langue française, en optant pour l’écriture théâtrale en arabe parlé afin, disait-il, d’accéder aux plus larges espaces d’écoute, et d’être compris par les gens du peuple. A partir de ce moment, le discours katébien va influencer et révolutionner le théâtre en Algérie, aussi bien dans sa forme et son cheminement, que dans sa finalité.

En août 1989, Yacine ressent une grande fatigue. Il se confie à son ami de toujours, Ahmed Akkache, puis au docteur Nadia Ait Sahlia, une amie chez qui il était hébergé. Emmené en consultation au centre Pierre et Marie Curie, le diagnostic du médecin traitant tombe sec, tel un couperet : « C’est méchant, il n’y a pas grand-chose à faire, cette maladie-là, ça ne rate pas ! » Transféré en France, Yacine fait ses derniers pas à Grenoble, une ville paisible et accueillante. Il y fait ses derniers pas en jetant un dernier regard vers l’Algérie, cette terre âpre et dure, berceau des ancêtres, à laquelle il a tant donné et qu’il a su si admirablement comprendre et exprimer tout au long de sa vie.

Le plus bel hommage qu’on puisse aujourd’hui lui rendre, à lui, ainsi qu’à tous nos grands hommes disparus, est de réserver à leurs œuvres toute la place qu’elles méritent dans nos manuels scolaires, et d’inscrire leurs noms au fronton de nos institutions éducatives et culturelles. Leur souvenir doit être gravé dans la mémoire des jeunes générations.

Omar Mokhtar Chaalal

Pour accéder au format imprimable du texte, cliquez ici ...

Il est possible de voir l’entretien de Kateb Yacine avec Pierre Desgraupes, ORTF, 1956 : en cliquant ici:http://www.dailymotion.com/video/x2n201_kateb-yacine_politics

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