Accueil > MOUVEMENT COMMUNISTE ALGERIEN > ANNIVERSAIRE - 26 JANVIER 1966 : NAISSANCE FORMELLE DU PAGS
dossier
ANNIVERSAIRE - 26 JANVIER 1966 : NAISSANCE FORMELLE DU PAGS
mercredi 6 février 2013
26 JANVIER 1966 : Il y a quarante ans, naissait formellement le PAGS - texte de Sadek Hadjerès - 26 janvier 2006.
POUR UNE ISSUE DÉMOCRATIQUE ET PACIFIQUE À LA CRISE OUVERTE LE 19 JUIN - UN PROGRAMME DE FRONT DÉMOCRATIQUE ET POPULAIRE -
ÉLARGIR TOUTES LES POSSIBILITÉS LÉGALES - F L N - O R P - Direction Nationale Provisoire - Alger, le 26 Janvier 1966
LA PÉRIODE DU PARTI UNIQUE ou LA (RE) - NAISSANCE PARADOXALE - AVÈNEMENT DE LA PÉRIODE BOUMEDIENE -
situation avant le coup d’Etat et ses motivations - l’épisode de l’ORP - la fondation du PAGS.
Extraits de notes prises au cours de l’entretien de Sadek Hadjerès avec Arezki Metref en Mai- Juin 2007, entretien publié dans Le Soir d’Algérie des 1er et 2 juin 2007 – mis en ligne en ligne sur socialgerie – article 6 – le 31 mai 2009 sous le titre : REHABILITER LE POLITIQUE - HADJERES AU "SOIR D"ALGERIE", GRAND ENTRETIEN avec Arezki METREF.
L’HÉGÉMONISME... DES AUTRES OU LE VRAI "DRAME ALGÉRIEN" - texte de Sadek Hadjerès - le 29 février 1996.
DEUX MOMENTS DU MOUVEMENT COMMUNISTE ALGERIEN ;
La fondation (1936) et son contre-exemple (1992)
Interrogations et enseignements pour de larges milieux démocratiques - par Sadek Hadjerès (décembre 2006)
[1]
26 JANVIER 1966
Il y a quarante ans, naissait formellement le PAGS
par Sadek HADJERES
(premier secrétaire du PAGS de 1966 à 1990)
Il est difficile d’aborder un évènement qui a amorcé un quart de siècle chargé de luttes et de problèmes, sans évoquer ce qui s’est passé en amont et en aval. Dans le cadre d’un seul article, je me limiterai à quelques évocations et réflexions. Pourvu qu’elles illustrent pour les générations montantes la force, la fierté et aussi les difficultés, les insuffisances et les enseignements d’un mouvement social et démocratique algérien dont les travailleurs manuels et intellectuels se voudraient un noyau dynamique et productif. .
Le 26 janvier 1966 est plus précisément la date d’une première déclaration inaugurale, élaborée à l’initiative de trois catégories de responsables : des membres du PCA, d’autres issus de la gauche du FLN, et d’autres enfin issus du mouvement de masse syndical et étudiant.
C’était en pleine répression et dans la clandestinité totale imposée par les nouveaux tenants du pouvoir depuis le 19 juin 65.
Pour l’essentiel, la déclaration appelait à agir et s’unir pour une solution démocratique et pacifique de la crise politique grave ouverte six mois auparavant par le coup d’Etat.
Cette initiative abordait la situation du pays avec plus de profondeur politique que la réaction immédiate et légitime impulsée après le 19 juin par le rassemblement protestataire de l’ORP (Organisation de la Résistance Populaire).
Cette condamnation du coup d’Etat par l’ORP avait été lancée quelques semaines avant que nombre de ses initiateurs soient durement frappés, en septembre 65 par les arrestations et une répression féroce.
Le contenu de la déclaration de janvier 66 a fait l’objet d’échanges entre les responsables du PCA qui avaient comme moi échappé à la répression et les camarades FLN et PCA emprisonnés dont Zahouane, Harbi et Hadj Ali.
À l’occasion de ces échanges m’étaient parvenus également après de longs détours les textes de Bachir Hadj Ali ( "L’arbitraire" et les poèmes de Septembre ), préfacés par Zahouane et Harbi.
Ils furent aussitôt imprimés et diffusés malgré d’énormes difficultés pratiques, car le PCA, pendant sa mise en veilleuse officieuse au cours de l’année précédente avait préservé nombre de ses structures organiques et moyens matériels.
Les textes eurent un grand retentissement dans les milieux progressistes en Algérie et à l’étranger.
Comme "La Question" de Alleg pendant la guerre d’indépendance, ils dévoilaient les méthodes et les tortures subies par Hadj Ali, Zahouane et plusieurs autres.
On trouvera plus tard d’autres échos de ces pratiques infâmes dans l’ouvrage "Les Torturés d’El Harrach" avec les témoignages d’un grand nombre des victimes de cette répression. Tâche sombre parmi d’autres dans l’histoire algérienne de cette époque.
Ainsi, nous avions appris les exactions subies par les populations de Kabylie durant les affrontements malheureux qui venaient de cesser peu avant le coup d’Etat.
Il y avait aussi le constat peu réjouissant que le Comité central du parti FLN avait refusé d’aborder, au moins sur le principe comme le suggéraient des éléments de gauche de ce CC, certaines pratiques qui avaient entaché la glorieuse lutte d’indépendance.
À ces motifs d’inquiétude s’est ajouté le coup d’arrêt donné par le 19 juin 65 à la montée du mouvement de masse qui avait commencé à surmonter les mesures antidémocratiques et antisociales qui avaient été prises dès les premiers mois de l’indépendance contre le PCA, le FFS, le PRS et l’UGTA.
Au cours du printemps 65, les congrès syndicaux, ceux des étudiants, des mouvements de jeunes et de femmes avaient illustré cette évolution, tandis que le tirage d’Alger républicain avait depuis longtemps et de beaucoup surpassé celui des publications officielles en raison de son contenu ouvert sur les aspirations populaires.
Jusqu’où iraient les dérives nationales qui hypothéquaient de plus en plus les promesses et les possibilités immenses ouvertes par la guerre de libération ? Cette préoccupation nous a guidés dans la recherche des voies à proposer à un peuple harassé par les affrontements de "chefs" qui le dépassaient et dont il payait le prix alors qu’il demandait à respirer et à construire.
L’un des mérites des orientations de Janvier 66 a été justement d’éviter la voie de l’alignement sur les conflits de personnalités aussi historiques soient-elles et de rejeter radicalement la voie des affrontements armés.
La tentation n’en était pas absente chez bien des opposants sincères au régime. Elle était même encouragée par les infiltrés ou les environnements policiers. Car le pouvoir souhaitait que ses opposants s’engagent sur cette voie où il était sûr de les éliminer et les isoler du reste de la nation et de la société.
Toutes les aventures engagées en ce sens depuis l’indépendance jusqu’à ce jour n’ont fait que fournir des prétextes aux pouvoirs successifs et consolider leur main mise autoritaire.
L’échec de ces aventures incitait d’autres courants ou les mêmes à s’engager dans une voie apparemment contraire mais tout aussi négative, celle de la soumission fataliste, des jeux ou complots politiciens et de l’alignement sur le courant le plus fort du moment.
L’orientation du PAGS a été le refus de s’inscrire dans l’impasse où le pouvoir voulait enfermer le peuple tout entier : soit se soumettre à ses diktats, soit se briser contre eux.
Nuisances majeures
L’intervention brutale de l’institution militaire dans l’arène politique est loin d’avoir été le "sursaut révolutionnaire" ou le "redressement" des insuffisances ou erreurs des trois années précédentes, dont se réclamaient ses auteurs, regroupés autour du "clan d’Oujda".
Leur initiative a été un rebondissement et une accentuation des épisodes hégémonistes de la crise de l’été 62. D’autres courants et hommes politiques, motivés par des raisons diverses, contradictoires et versatiles, ont suivi et appuyé le nouveau pouvoir, illustrant déjà l’appauvrissement et la dégradation de la vie politique.
Pour quel résultat ?
La main mise des hautes sphères de l’armée et de ses auxiliaires civils, au lieu de corriger la logique qui avait marqué durant l’été 1962 le "règlement" de la question du pouvoir, a accentué pour longtemps (jusqu’à aujourd’hui) cette logique contraire aux perspectives proclamées par le FLN historique et le GPRA.
Plus qu’avant le 19 juin, la vie politique, sociale et culturelle du pays allait dépendre beaucoup plus des fluctuations des rapports de force militaires et policiers entre les différents clans au sommet, que de la volonté des Algériens et de la nation d’exprimer et défendre au grand jour et pacifiquement leurs intérêts légitimes.
Ceux qui se sont dressés immédiatement contre le coup de force en se regroupant durant l’été 65 dans l’ORP, avaient pensé un moment qu’un régime qui foulait aux pieds les aspirations démocratiques ne durerait pas longtemps.
Les quarante années qui se sont écoulées depuis, ont confirmé à quel point le choix de la voie antidémocratique a été maléfique sur le long terme pour le pays.
Pour faire face à ces graves nuisances, il fallait non pas des compromissions, des pratiques clientélistes et des jeux politiciens conjoncturels camouflés sous des idéaux démagogiques, mais une stratégie plus ancrée dans la société et de plus long terme.
C’est ce que se sont efforcés de préconiser les courants qui ont conflué au sein du PAGS en privilégiant la promotion d’une identité "sociale" capable de rassembler les Algériens honnêtes sur la base de leurs intérêts concrets, au delà et dans le respect de leurs sensibilités légitimes, culturelles, idéologiques, linguistiques, religieuses et philosophiques.
En vue de solutions démocratiques et pacifiques, la déclaration du 26 janvier avait mis l’accent sur la nécessité d’oeuvrer à deux niveaux simultanés et complémentaires.
- D’une part, rassembler dans un large front pour l’action et sous de multiples formes, le maximum de couches et catégories sociales différentes par leurs affinités politiques et idéologiques ou par leur statut civil ou militaire, autour de leurs objectifs et intérêts communs et de l’intérêt national.
- D’autre part et à un autre niveau, œuvrer à édifier une organisation d’avant-garde indépendante, ayant à cœur d’ animer par son exemple l’action pacifique et démocratique à partir du point de vue et des intérêts propres des couches laborieuses et populaires.
Mais avant et encore plus après le 19 juin, le pouvoir ne voulait admettre qu’un parti unique officiel, vitrine et instrument docile, dont l’essentiel de ses activités visait à empêcher tout débat démocratique et saboter les moindres avancées sociales proclamées.
Le pouvoir tournait le dos à une réalité nationale et sociale plurielle.
Un long processus
Des années plus tard, la date du 26 janvier a été choisie symboliquement pour commémorer la naissance du PAGS. Mais, l’émergence et la construction de ce parti, l’affirmation de son identité communiste ont été un long processus s’appuyant sur le travail patient de masse et les luttes engagées à la base.
Son organisation était constituée des nouvelles structures accueillant les adhésions individuelles, s’ajoutant aux structures déjà existantes et maintenues ou reconstituées du PCA.
Durant l’occultation officieuse du PCA à partir de mai-juin 64, j’avais été en effet, comme un des trois secrétaires du PCA, le responsable organique des structures régionales et locales maintenues et de celles articulées avec les militants communistes qui avaient commencé avec beaucoup de difficultés à œuvrer dans le FLN sur la base des orientations de la “Charte d’Alger”. Cette expérience avait atteint rapidement ses limites.
Face à la volonté notoire de l’encadrement du FLN de la faire échouer, Bachir Hadj Ali qui a posé clairement le problème à Ben Bella peu de temps avant le coup d’Etat s’était vu répondre : « faites comme vous l’entendez ». À l’évidence, l’Algérie n’était pas Cuba.
L’expérience confirmait le caractère infondé des pressions douces ou des harcèlements des courants progressistes ou non du FLN qui nous incitaient à dissoudre le PCA, se faisant en particulier le relais des communistes égyptiens et des pronassériens qui avaient fait ce choix dans les conditions de leur pays.
L’année 66 et les années suivantes, l’entité politique du “Parti d’Avant Garde” a mûri dans sa volonté d’œuvrer selon des orientations et une perspective socialistes, différentes de la confuse version "spécifique" officielles.
Les jalons idéologiques et organiques ont été adoptés par la “Conférence nationale de 1967”, résultat de plusieurs mois de débats internes tenus dans la clandestinité à tous les niveaux. Les conclusions en ont été complétées et précisées à la conférence nationale de 1969 tenue dans les mêmes conditions.
À cette même période, le PAGS a été reconnu officiellement par les assises du mouvement communiste et ouvrier international, ce qui a provoqué une suspension des relations diplomatiques entre le pouvoir algérien et l’Etat hongrois où s’était déroulée la réunion préparatoire qui a pris cette décision.
Deux ou trois années auparavant, Cherif Belqacem, l’un des représentants du pouvoir, avait quitté spectaculairement le “Congrès du PCUS”, protestant contre la présence de Larbi Bouhali, et prétendant que le PAGS n’avait d’existence que comme un groupuscule à l’étranger.
Entre les deux dates, ces orientations et positions de fond ont été explicitées en septembre 1968 dans une longue lettre que j’ai adressée au nom du parti à Boumediène.
Il y a fait allusion au cours d’un meeting mouvementé tenu au cinéma Atlas (Bab El Oued) car les activités associatives de nos militants faisaient problème au pouvoir et l’embarrassaient justement parce qu’elles étaient à la fois d’opposition et constructives.
Nous avons publié ce document intégralement quelques semaines plus tard.
Nous étions alors au sommet d’une des campagnes répressives les plus dures, quand dans tout l’Algérois nos familles et parents les plus lointains, les collègues de travail, les amis supposés, les cercles sympathisants et autres milieux démocratiques étaient passés au peigne fin par la Sécurité militaire et les autres services policiers.
La répression ne s’atténuera qu’à partir de 72-74, quand un certain nombre d’orientations anti-impérialistes, d’édification nationale et de justice sociale prévaudront pendant quelques années dans le pouvoir sous l’impulsion de Boumediène.
Mais la chape lourde et stérilisante du parti unique, l’absence de libertés, la répression à l’encontre des courants à vocation démocratique et sociale qui cherchaient à se maintenir ou à émerger ont facilité la remise en cause de ces avancées par les courants conservateurs, réactionnaires ou tout simplement opportunistes.
Neuf ans après le 19 juin 65, quand nous avons exprimé en 74 notre volonté de faire sortir au grand jour, quoiqu’il arrive, quelques-uns de nos responsables épuisés par la vie clandestine, Boumediène était prêt à accepter la sortie de tous les dirigeants à la vie légale, à condition que le principe du parti unique ne soit pas remis en cause.
D’où une rallonge de quinze ans de vie clandestine pour plusieurs d’entre nous jusqu’à Octobre 88.
C’était une question de principe incontournable à nos yeux. La même raison qui a décidé Alger républicain en juin 1965 à refuser de devenir le porte-plume servile d’un pouvoir opposé à la liberté d’expression.
C’est en vain que Fukuyama claironnait au début des années 1990 la fin de l’Histoire, dans le même temps que ses émules de la modernité atlantiste proclamaient en Algérie "Les partis doivent partir" et qu’ils enjoignaient aux travailleurs des grands complexes industriels de mettre fin à leurs luttes.
C’était plus que jamais le moment que les partis jouent pleinement et sainement leur rôle indépendant et que les travailleurs poursuivent dans la tradition de cette mobilisation forte, pacifique et consciente de 1988 qui fut court-circuitée comme par hasard par les émeutes de jeunes dont on sait ce que le pouvoir a fait.
Les peuples, les travailleurs et les citoyens continueront à lutter contre l’oppression et l’exploitation tant que celles-ci existeront.
L’essentiel est de tirer les vraies leçons qui aident dans la tâche difficile d’éviter les écueils dogmatiques ou opportunistes.
Sadek Hadjerès
le 15 janvier 2006
haut
L’HÉGÉMONISME... DES AUTRES
OU LE VRAI "DRAME ALGÉRIEN "
Sadek Hadjerès
le 29 février 1996
Faisant le point des "cent premiers jours" du président Zeroual, la presse algérienne a souligné le sentiment d’impasse tragique vécu à nouveau par la population après les espoirs soulevés par le scrutin de Novembre dernier.
Le regain d’attentats à la bombe n’est pas seul à agresser l’attente angoissée de solution politique chez les citoyens assoiffés de paix. La violence d’une hausse des prix insoutenable s’ajoute à la recrudescence des épidémies, du banditisme, alors que les licenciements massifs ont frappé et menacent encore des centaines de milliers de nouvelles victimes. L’économie sous perfusion des crédits du FMI qui ont servi prioritairement aux besoins sécuritaires et aux importations d’urgence va se trouver confrontée à des privatisations dans lesquelles la population, a l’exception évidemment des milieux d’affaires qui vont en bénéficier, ne voit que nouveaux dangers de compression du personnel dans l’immédiat.
La libéralisation et la moralisation de la vie politique (ou ce qui en tient lieu), tant revendiquées et proclamées, sont pour l’instant remplacées par la restriction des libertés d’expression, les comités de lecture et interdictions pour les organes de presse, pendant que chaque semaine des journalistes tombent sous les balles. Les opérations de domestication, division, manipulation des formations politiques sont devenues systématiques. Les artisans de la dernière en date, envers le FLN, qui a remis en selle (provisoirement ?) un personnel parmi les plus vomis des anciennes équipes, se sont vantés publiquement de ces nouvelles mœurs politiques. La dernière grève générale, aux objectifs légitimes par ailleurs, s’est déroulée à l’initiative du secrétaire général de l’UGTA, dans un climat fortement connoté par les enjeux et rivalités politiques des hautes sphères du pouvoir.
Revient alors la question lancinante : qui est responsable de tout cela et comment s’en sortir ?
La population a fait ce qu’elle a pu en inventant sa contribution dans toute la confusion et les pressions ambiantes : une participation massive au scrutin présidentiel comme pour exorciser la malédiction.
L’éventail politique, avec des motivations diverses, a salué ou perçu le message. Et au delà ?
Les puissances occidentales, en quête de stabilité régionale conforme a leurs intérêts, ont multiplié les pressions sur les protagonistes en misant tour à tour ou simultanément sur les capacités militaires et les vertus du dialogue.
Mais le pouvoir d’Etat aussi bien que la mouvance islamiste sont déchirés par la division en clans rivaux et orientations divergentes qui ne parviennent pas à se décanter et contribuent à un pourrissement de la situation, dont l’Algérie paye le prix.
Pourtant le vrai blocage ne se situe pas dans les ambitions chaotiques de pouvoir absolu des islamistes ou l’incapacité du pouvoir des militaires à concevoir ou maitriser une alternance, dans un système qu’ils ont verrouillé. Cela est somme toute chose "normale".
Le drame véritable se situe dans le champ des acteurs politiques, partis, formations diverses, personnalités, etc., qui ne sont pas parvenus à traduire et amplifier l’élan populaire et social vers les solutions pacifiques et l’orienter vers une conscience démocratique. Les conditions d’émergence de ces courants à la faveur de la configuration géopolitique particulière (nationale et internationale) d’ après Octobre 88 ont accentué leurs difficultés de maturation. La maturation se fait aujourd’hui à travers des expériences et un constat douloureux. Le drame, c’est l’incapacité chronique des courants démocratiques, forts ou faibles, dans toutes les mouvances idéologiques (nationalistes, marxistes, libérales, islamistes, berbéristes...) à se constituer et agir en force autonome, responsable, consciente des enjeux énormes et consentant, pour cela, sans sacrifier leur diversité, à se rejoindre sur quelques objectifs essentiels. D’abord le premier de tous : ne pas laisser l’affrontement sanglant des hégémonismes paralyser le pays et le vouer à la ruine et à la folie collective.
L’absence d’un tel "pôle démocratique", jusqu’ici invoqué et attendu en vain comme le Messie laisse évidemment le champ libre a d’autres "sauveurs", tous ceux qui voudraient fonder leur autorité ou leurs pouvoirs sur la seule logique des armes, de l’argent, de l’ancrage dans les rouages bureaucratiques et des allégeances de clans ou communautaires (d’ordre religieux, linguistique, régionaliste, etc.).
Son affirmation dans les faits ne serait évidemment pas la bienvenue pour tous les centres de décision en place qui préféreraient continuer à en instrumentaliser les composantes isolément.
Mais que font les démocrates pour surmonter ces obstacles, même si on sait qu’il s’agit seulement d’un objectif immédiat, modeste mais non moins vital.
Car il ne s’agit même pas aujourd’hui d’assurer l’accès au pouvoir d’un "bloc démocratique" homogène en évinçant les pôles qui dans un jeu biparti se disputent le pouvoir les armes a la main. L’expérience coûteuse des années écoulées a montré qu’il s’agirait plutôt de contribuer avec plus d’autorité et de poids, avec l’ensemble des forces aspirant légitimement à participer à la direction, à la gestion et au contrôle des affaires du pays, à ce que les conditions d’accès au pouvoir soient définies par des règles du jeu strictes, acceptées par l’ensemble des partenaires. Des conditions qui assurent l’alternance démocratique dans l’exercice des pouvoirs et contre-pouvoirs, et qui soient garanties conjointement par la puissance de l’État et les prérogatives des citoyens.
Ce sont les orientations vers lesquelles ont convergé aussi bien la plate-forme préparée par la Commission officielle du dialogue pour la "Conférence nationale" de Janvier 94, que le "pacte national" de Sant’ Egidio.
Or ce qui s’étale quotidiennement sur les journaux indique que ceux qui se disent — et se veulent sans doute - démocrates, chevronnés ou potentiels, annihilent souvent ce qui en principe fait la force des courants démocratiques :
- leur esprit d’unité d’action malgré les divergences reconnues,
- leur ancrage dans les problèmes multiples et quotidiens de leur société,
- leur autonomie par rapport aux centres de pouvoir étatiques,
- l’ouverture et le respect des opinions et points de vue des autres courants démocratiques,
- et l’attention à ne pas idéologiser excessivement les actions et conflits politiques.
Leçons sur mesure
Sur chacun de ces points, qui sont l’essentiel de la culture démocratique, l’histoire du mouvement politique algérien avant et après l’indépendance fournit de précieuses leçons. A la condition toutefois d’être réceptifs à ce que fut cette histoire et de ne pas inverser la démarche en la remodelant pour des besoins politiciens. C’est ce que je voudrais montrer à travers un article qui, animé au départ de l’intention d’en appeler au passé pour éclairer le présent, s’est fourvoyé à mon avis en cours de route.
L’ouvrage ”Le drame algérien" [2] se fixe l’objectif louable d’inciter à une issue politique et pacifique de la tragédie algérienne actuelle. J’y ai choisi un article intitulé "Le PAGS, aventure et aventurisme", signé de Malika Khaldoun, parce qu’il avance des faits sur lesquels je suis, comme témoin- acteur pour la période indiquée, en mesure d’apporter des informations de première main.
En même temps, il illustre la façon étroitement partisane avec laquelle est menée la réflexion sur la mouvance démocratique algérienne.
Dans cet esprit, il reprend le lieu commun fréquemment entendu à propos de la genèse de la crise algérienne : "tout ça c’est la faute au socialisme", en englobant pêle-mêle, à défaut d’information et d’analyse précises et factuelles, les pays socialistes et le mouvement communiste international, le socialisme "spécifique" du pouvoir algérien et du FLN, les communistes algériens du PAGS, les groupes issus du PAGS après 1991 comme Ettahaddi ( dont le leader, avant même sa création avait récusé toute référence au communisme), et dont M.Khaldoun traduit le sigle par "union", au lieu de "défi", ce qui est un grossier contresens tant du point de vue sémantique que politique, révélateur en plus d’une méconnaissance du vocabulaire politique algérien qui en dit long.
Tout cela est amalgamé, en vertu peut-être du fameux monolithisme prêté au mouvement communiste, en miroir des approches paresseuses et de stéréotypes de ceux qui sont censés l’analyser.
En l’occurrence, l’auteur fait une véritable fixation sur le Tahaddi et reconstruit le PAGS à l’image de ce dernier.
Enfin et surtout, par certaines de ses simplifications et déformations, l’article montre en creux et sans le vouloir quelques unes des raisons (a la fois politiques et de société) pour lesquelles les démocrates de diverses tendances ne sont pas parvenus a surmonter leurs faiblesses, qui pour l’essentiel ne sont pas précisément celles imputées au PAGS dans cet article.
Pour éviter toute équivoque, je prie le lecteur de considérer que je n’ai aucune complaisance, ni envers les dérives du PAGS dans sa dernière année d’existence, ni envers les orientations des groupes qui, après avoir appartenu à cette formation, ont à mon avis tourné le dos aux enseignements les plus féconds de plusieurs décennies tant du mouvement communiste que de l’ensemble du mouvement national. Si dans les limites de cet article, je ne peux consacrer plus de place à cette dernière et courte période du PAGS aussi complexe qu’instructive, c’est par nécessité de faire le point sur la période privilégiée par l’article.
Le même prisme déformant affecte toute la partie de l’ouvrage consacrée aux acteurs politiques (organisations, leaders, etc.) selon qu’ils appartiennent ou non au "camp" de Sant’ Egidio, alors que les articles consacrés à certains problèmes de fond du pays sont en général plus objectifs. Certes, les "démocrates-républicains" plutôt favorables à une autre démarche concrète d’issue de crise (centrée sur les élections présidentielles) out eux aussi envers les tenants du "pacte national" les mêmes attitudes intolérantes, réductrices On a là un flash saisissant des raccourcis et des condamnations sommaires grâce auxquelles les démocrates n’ont cessé de se morceler depuis trente ans, en étant persuades d’être les seuls démocrates que mérite l’Algérie.
Dans l’article en cause, il est écrit : "Seul parti autre que le FLN à être toléré ses militants seront moins ’’clandestins’’ (à partir de 72-74 - le PAGS participe au pouvoir... Il considère qu’il s’agit là d’une reconnaissance suprême au niveau national où il récupère la dimension mythique du FLN et au niveau international, où il est en parfaite conformité avec la ligne du mouvement communiste international et du PC soviétique, qui soutiennent le régime algérien...."
"Les étudiants, pourchassés pendant un laps de temps très court sous la présidence de Boumediene, ne tardent pas à devenir cadres de sociétés nationales, et surtout enseignants dans le secondaire et le supérieur... (il est sous-entendu que ces étudiants appartiennent au PAGS ou en sont des sympathisants)
"Au total, le PAGS s’est toujours considéré comme le détenteur de la vérité officielle et de la vérité tout court, considérant qu’il détient le monopole de toute contestation... Cet opportunisme constitue une constante de ce parti, dont l’attitude lors des émeutes d’Octobre 1988 a aussi été au départ franchement ambigüe”.
Pour apporter une preuve de cet opportunisme, M. K. reproche aux communistes de "soutenir paradoxalement (souligné par moi) l’arabisation, considérée (par les communistes) "comme le ciment du peuple". L’auteur prolonge sa critique par un autre reproche de la même eau : ”0n peut être musulman et communiste" affirmait ainsi sans craindre la contradiction un de ses militants (du PAGS)”.
Parlant enfin du mouvement "Tahaddi”, que l’auteur caractérise comme "une composante du PAGS" et connu comme opposé à toute voie qui ne soit pas la sienne, il affirme que "un point commun réunit toutefois les "ex- pagsistes de 1993 et 1994 : leur engagement farouche dans le camp des éradicateurs" [3]
Magnanimité du pouvoir ou impuissance de la répression ?
L’argumentation est par certains côtés assez curieuse. Si le fait pour le PAGS d’avoir pu déployer des activités pendant les 25 ans où il n’était pas reconnu signifie que le pouvoir les avait "tolérées", signifierait aussi que les activités de masse menées par le mouvement national pendant l’occupation française devraient être mises sur le compte de la bienveillance des autorités coloniales. Il y a là comme une ignorance de la façon dont se déroulent les mouvements sociaux réels.
Quant à la première vague brutale de répression qui a frappé les communistes et les membres de l’ORP [4]
après le coup d’Etat militaire de Boumediene du 19 Juin 65 (ainsi que de nombreux militants et cadres de la gauche du FLN et des organisations de masse), l’auteur ne pouvait décemment la cacher, car elle a été l’objet de grandes réactions de l’opinion nationale et internationale, grâce justement a une intense activité d’information et de protestation. La répression brutale a frappé tous les milieux sociaux (en particulier syndicalistes ouvriers, paysans des domaines autogérés, salariés du secteur public). Elle a dépassé de loin en ampleur les seuls milieux étudiants (où elle était plus "visible") que cite l’auteur, qui évoque sa durée avec une imprécision voulue. Malheureusement pour ceux qui l’ont subie et leurs familles, ce "très court laps de temps" fut de sept années, à peu prés autant que toute la guerre d’Algérie.
Pas de trace non plus du contexte historique et politique précis qui a contraint le pouvoir du 19 Juin et son noyau du clan d’Oujda à desserrer l’étau de cette répression et à en modifier les formes. Le "Conseil de la Révolution" se trouvait de plus en plus divisé et en position inconfortable face aux exigences sociales croissantes, au choix des voies concrètes de développement, au divorce entre les proclamations de socialisme (fût-il "spécifique") et les pratiques qui tournaient le dos aux libertés et aspirations sociales des citoyens. Il était surtout mis au pied du mur par les formes de lutte pacifiques alors que toutes ses tentatives de justifier la répression se ramenaient aux menaces de subversion, aux complots armés contre la sécurité de l’Etat, etc. Il faut dire que le soulèvement armé du FFS en 1963, la tentative de putsch militaire de Zbiri (chef d’Etat-major de l’ANP) en 1967 et d’autres activités ou intentions similaires de moindre envergure faisaient l’affaire de ce mode habituel d’autojustification des pouvoirs fondés sur le poids des armes.
Se tournant vers de nouveaux modes de légitimation (édification de l’État, redistribution de la rente pétrolière, projet de société), le pouvoir a privilégié de plus en plus les formes de répression banalisées, le quadrillage quotidien de la société et de toutes les activités, les entraves et atteintes les moins spectaculaires possibles aux personnes. L’auteur de l’article sous-estime complètement le poids de cette chape de plomb sur une organisation comme le PAGS dont l’objectif était de créer par les luttes quotidiennes à la base les éléments de contre-pouvoirs et d’une conscience démocratiques. D’autres mouvements d’opposition se réclamant du socialisme n’ont pu maintenir un niveau d’activité suffisant face à ces formes insidieuses mais efficaces de dissuasion pesant sur leurs bases sociales potentielles [5].
Cela n’empêchait pas le pouvoir de revenir périodiquement aux formes les plus brutales (emprisonnements, tortures), en particulier sous la présidence de Chadli dont le PAGS dénonçait le "glissement à droite". C’est ce qui se passait chaque fois que se déroulaient des émeutes dans les différentes villes, comme a Sétif et Constantine en 1986, les communistes étant régulièrement accusés de susciter et organiser la protestation des jeunes lycéens , étudiants et chômeurs et suspectés de vouloir opérer la jonction de ces jeunes avec le mouvement ouvrier [6].
Le dernier épisode, que l’article déforme étrangement alors qu’il s’agit de faits connus et incontestables, illustre le rôle qu’ont joué en Octobre 1988 les travailleurs de la zone industrielle de Rouiba, en effervescence déjà depuis deux semaines et l’arrestation, pour certains la veille même des évènements, de dizaines de militants syndicaux et communistes dont on apprendra après les évènements qu’ils ont été atrocement torturés. Une grande campagne de dénonciation des méthodes policières s’ensuivra pendant plusieurs mois.
Est-il possible d’avoir ignoré ces derniers faits, largement médiatisés dans les semaines qui ont suivi ? Mais à défaut d’information détaillée, certains jalons significatifs n’auraient pas dû échapper à une analyse sérieuse.
N’est-il pas significatif que le PCA ait été le premier (et longtemps le seul) parti qui ait affirmé son existence aussitôt après l’indépendance, malgré l’hostilité du FLN ? [7]
Il fut interdit par Benbella quatre mois plus tard dans le plus parfait arbitraire (aucun texte officiel ne justifiait encore le parti unique, pas même la Charte de Tripoli). Ce pouvoir ne put en faire autant pour "Alger républcain", devenu le premier quotidien du pays par son tirage, sa qualité et le soutien que lui apportait son large lectorat. Mais ce quotidien fut interdit à son tour, trois ans plus tard, le jour même du coup d’Etat de Boumediene, parce qu’il a refusé la proposition explicite de continuer à paraitre avec une ligne éditoriale favorable au nouveau pouvoir. Le quotidien n’a pu reparaitre que vingt cinq ans plus tard, après les événements d‘Octobre 88. Ce seul fait indique ce qu’il faut penser de la tolérance du pouvoir, dont M. Kh fait la pièce maitresse de son argumentation.
Que vaut aussi cette thèse en regard du fait que de nombreux cadres du PAGS ont dû traverser cette période en purgeant de longues années de prison et d’assignations à résidence. Les autres n’y ont échappé que par une vie clandestine pénible sur le sol national, avec des bouleversements de leur vie familiale et professionnelle. Cela a duré pour quelques uns d’entre eux la totalité de cette période de vingt quatre ans, ce qui totalisera trente et un ans de sa vie pour le premier secrétaire si on y ajoute les sept années de guerre de libération.
En 1974, quand plusieurs d’entre eux, après neuf années de cette vie éprouvante, ont pu forcer leur retour a une vie légale, le PAGS aurait pu obtenir le même statut pour tous les autres s’il avait cédé sur la question du parti unique, dont Boumediene affirmait qu’elle était intangible. Face à cette "tolérance", ces cadres ont vécu quinze années clandestines supplémentaires. Etait-ce par masochisme ou une façon pour les communistes de rappeler au pouvoir comme à l’opinion qu’on pouvait appeler à l’unité d’action pour les intérêts généraux communs de la population et du pays malgré les divergences, mais que cela n’obligeait pas à renoncer a défendre en même temps la satisfaction des besoins sociaux, les libertés démocratiques et son propre projet de société.
Les orientations et pratiques du PAGS
C’est certainement ce que M. Kh, à travers ses reproches au PAGS, ne parvient pas à comprendre, pas forcément par mauvaise foi ou simple parti pris. Elle est prisonnière d’une philosophie politique plus proche de la Asabiyya des siècles passés que de la culture démocratique dont le besoin apparait plus aigu à l’expérience de la tragédie actuelle. Cette conception a été partagée pendant le règne du parti unique (et même aujourd’hui ) par de nombreux politiciens et elle est encore enracinée dans une grande partie de la société. Elle ne laisse de choix qu’entre la soumission (ou le semblant) attentiste et la révolte revancharde. Ce qui explique le bel unanimisme avec lequel les chartes, programmes et constitutions officielles étaient adoptées par tous ceux qui les violaient sur le terrain en attendant de tourner casaque si le pouvoir changeait de main ou en spéculant sur les meilleures chances et alliances possibles en vue du renversement du pouvoir en place, indépendamment de toutes questions d’orientations.
Concernant les orientations prêtées au PAGS, il aurait été plus opportun d’être attentif à la signification d’un certain nombre de faits, que de se livrer a des procès d’intention s’inscrivant dans la logique politicienne que je viens d’évoquer.
Le meilleur démenti aces allégations, qui est en même temps le meilleur hommage rendu aux luttes du PAGS contre la "caporalisation" (terme de l’époque) du pays par le régime, c’est le fameux article 120 des statuts du parti FLN, édicté par le pouvoir après quinze années de ses vains efforts aussi bien de répression que de séduction. Si ces efforts avaient été suffisants pour intimider ou amadouer le PAGS comme l’avance imprudemment l’auteur, aurait-il été besoin de recourir en 1981 à cette mesure, dont tout le monde avait compris à l’époque qu’elle était dirigée contre les militants socialistes et démocrates, en premier lieu les pagsistes. Elle était destinée à leur barrer l’accès aux responsabilités dans les organisations de masse et certaines institutions et services publics, en instituant pour cela le préalable obligatoire de l’adhésion au parti unique FLN.
En occultant ce fait incontestable et pourtant l’un des plus caractéristiques du régime, l’article du "Drame algérien" tend d’occulter en réalité plusieurs faits capitaux, qui ne laissent pierre sur pierre de ses spéculations abstraites destinées à reconstruire un autre PAGS que celui de l’histoire.
La mise en vigueur renforcée de ce barrage FLN et anti-PAGS en 1981 signifie tout à la fois que :
- jusque là, ce n’était pas à la bienveillance du pouvoir envers eux ou à leur adhésion au FLN que les militants du PAGS devaient leur présence et leur activité dans les organisations officielles. Celle-ci n’était pas souhaitée car elle ne s’accompagnait pas d’allégeance au FLN.
- Les militants du PAGS n’étaient pas aux postes de responsabilité pour faire plaisir au pouvoir et le servir. Ils y étaient mandatés et imposés aux appareils bureaucratiques et policiers par les adhérents de base de ces organisations pour y défendre leurs intérêts et leurs libertés, le plus souvent a travers des luttes et faits de répression interminables.
- Le fait de vouloir mettre en difficulté les militants du PAGS en leur opposant l’obligation d’adhérer au parti unique montre à quel point la qualité de membre du PAGS était liée dans l’esprit de tous, à l’idée d’opposition au "système" et aux mœurs politiques en vigueur.
En vérité, pour qui veut s’en tenir aux faits et ne pas céder au simplisme, il serait relativement aisé de constater que les orientations du PAGS, telles que définies dans plusieurs de ses documents fondamentaux [8], s’efforçaient dans la pratique de tenir compte de la nature ambivalente du régime.
D’une part le PAGS se refusait à pratiquer la politique de la terre brûlée pour des raisons partisanes, toutes les fois que le pouvoir œuvrait à des réalisations bénéfiques à l’édification nationale et aux besoins légitimes de promotion sociale. Ce fut le cas en particulier à partir des années 72 avec les grandes nationalisations, la réforme agraire, les mesures de démocratisation dans les domaines de la scolarisation et de la santé, qui constituaient une importante évolution du régime par rapport à certaines des motivations du coup d’Etat sept années auparavant. Ce n’est pas le PAGS qui s’est aligné sur le régime, c’est le pouvoir de Boumediene qui a évolué comme Nasser et Castro avant lui face aux contraintes économiques pressantes.
D’autre part, le PAGS s’efforçait d’affirmer son autonomie, avec la fermeté et les formes convenant à chaque problème ou circonstance. Il se démarquait de ce qui lui paraissait porter atteinte aux principes démocratiques, à l’intérêt national ou aux perspectives socialistes dont se réclamait son appel fondateur du 26 Janvier 1966.
Certaines de ces démarcations ont eu valeur de test national pour cette démarche transparente à double composante qui n’avait rien de contradictoire ou d’une duplicité envers la population ou le pouvoir.
Il en fut ainsi par exemple avec la lettre ouverte que j’adressai à Boumediene en Septembre 1968, au plus fort de la vague répressive de cette période, pour souligner en substance que cette répression ne nous impressionnait pas mais qu’il y avait d’autres voies plus fécondes pour notre peuple.
Autre test : en 1974, certains milieux dans le pouvoir caressaient l’idée d’acheter auprès du PAGS "leur" paix sociale en échange de l’élargissement de clandestins, qu’ils ne pouvaient de toute façon plus empêcher sous peine de se discréditer encore davantage. Ils perdirent leurs illusions avec le tract par lequel le PAGS, qui habituellement ne publiait pas de déclaration nationale à l’occasion d’actions revendicatives ponctuelles, appela à redoubler de soutien à la grève en cours des travailleurs de la SNS-Carnaud (Emballages métalliques du Gué de Constantine). C’était, sans démagogie, l’occasion de rappeler combien de telles actions étaient nécessaires et bénéfiques aux revendications immédiates des travailleurs mais aussi à la solution des problèmes de l’économie nationale et à une issue démocratique et pacifique de la crise politique ouverte par le 19 Juin 65.
Il y a eu les méfaits de l’étatisme, du clientélisme et de la débâcle du système éducatif, perpétrés au nom d’un pseudo-socialisme. À ce sujet les documents du PAGS, replacés dans leur contexte (l’article n’en fait aucune citation) montreraient que ce parti les dénonçait sans équivoque et rappelait que les objectifs ouvrant la voie à des transitions vers le socialisme telles qu’il les préconisait ou figuraient même dans certains documents du régime, appelaient d’autres méthodes. Il dévoilait concrètement les obstacles qui leur étaient dressés dans la pratique ainsi que les profondes déformations et fuites en avant provoquées sciemment ou non avec l’effet de les discréditer. Ces révélations et dénonciations concrètes étaient l’une des raisons pour laquelle chaque numéro du "Saout ech-chaab" ("la voix du peuple") clandestin, réalisé au prix d’énormes sacrifices et d’opérations en chaîne compliquées, mais dont la parution ne fut jamais interrompue durablement, était attendu avec impatience et s’arrachait dans les milieux les plus divers.
C’est ce qui disqualifie aussi les assertions de M. Kh selon lesquelles les positions du PAGS auraient été la conséquence de son suivisme envers le mouvement communiste international, favorable au pouvoir algérien. En parti hors-la loi, porté à s’appuyer quotidiennement sur sa base sociale pour survivre, le PAGS était aux premières loges pour apprécier les "bienfaits" et la nature du régime. Le dit socialisme réel algérien servait de couverture propagandiste à un étatisme bureaucratique, rentier et redistributeur, abritant à côté de ses structures productives, des formes parasitaires et sauvages de capitalisme, tout en s’efforçant de tirer profit, en bon non aligné, des rivalités des deux blocs mondiaux. Le PAGS n’a jamais suivi, ni approuvé ou cautionné les déclarations apologétiques de la presse du PCF ou du PCUS, qui avaient chacun d’autres motivations, d’autres critères et un autre angle de vue que les nôtres. Pour cette raison, les relations furent totalement rompues pendant quinze ans a partir de 1974 avec le PCF, jusqu’à la chute du mythe qu’il s’est fabriqué, je me demande pourquoi, n’étant même pas au pouvoir pour invoquer, comme le PCUS, des raisons d’Etat.
Ce dernier parti ne se faisait pas trop d’illusions sur le socialisme du pouvoir et comprenait les raisons de nos positions. Mais il se gardait d’exprimer cette opinion, étant prisonnier de la confusion parti — Etat qui existait dans les deux régimes et dont jouait admirablement le FLN pour exercer son chantage. Le PAGS estimait que ces positions équivoques portaient tort au prestige de l’URSS et du socialisme dans notre pays. Chacun des partis est resté sur ses positions en respectant les raisons de l’autre.
Les communistes et la nation
Malika Khaldoun s’indigne que les communistes aient soutenu l’arabisation et elle trouve cela paradoxal selon ses propres critères. Pourtant, dans le même texte, elle reprochait aux communistes de ne pas avoir défendu assez rapidement les aspirations nationales dans la première moitié des années quarante, c’est-à-dire (ce qu’elle omet de préciser), à l’époque ou le parti communiste en Algérie n’était encore qu’un prolongement à majorité européenne du PCF. Pourquoi alors reprocher aux communistes d’avoir intériorisé l’une de ces aspirations et revendications patriotiques qui ont fait l’unanimité, à travers tout le territoire de l’Algérie, pendant la lutte de libération. A moins que la langue arabe (classique, populaire ou moderne) ne soit pas considérée par l’auteur comme un des soubassements les plus importants de cette nation ?
Pour une raison similaire peut-être, M. Kh a trouvé peu normal qu’un membre du PAGS lui ait dit qu’il pouvait être à la fois communiste et musulman. Visiblement, elle voit les communistes à sa façon et s’en tient au stéréotype faussement marxiste d’une révolution sociale qui passerait obligatoirement par l’athéisme militant. Pourquoi imposer aux militants du PAGS d’acclimater chez eux une marchandise périmée, un schéma désastreux qui a fait son temps dans le monde depuis longtemps déjà ?
C’est une autre chose, plus importante et nécessaire, de lutter, en respectant la dignité des gens, contre les dommages causés par les approches chauvines dans les domaines linguistique et religieux : désastres pédagogiques, dérives idéologiques, démagogie politique, avec au bout du compte des fractures graves dans la nation et des risques d’éclatement de l’Etat. Les communistes ont fait de grands efforts pour contrecarrer ces étroitesses. C’est l’une des raisons pour lesquelles ils ont souffert au plus haut point des sectarismes nationalistes dans les maquis de la guerre de libération. C’est pourquoi ils sont aussi l’une des premières cibles de la propagande et des attentats des extrémistes islamistes aujourd’hui.
Un article récent de l’hebdomadaire "La Nation" (133, début Février 96) reconnait ces efforts lorsqu’ il rappelle que le PAGS a soutenu l’idée ”d’arabisation progressive et progressiste". Mais à l’inverse de M. Kh, l’auteur de cet article pense que cette position a été préjudiciable aux progrès du PAGS dans les milieux arabisants, à qui elle est apparue comme des réticences à l’arabisation. Elle a été en effet déformée et exploitée contre le PAGS par des milieux baathistes ou islamistes pour des visées d’hégémonie politique. Mais cette qualité souhaitée de l’arabisation, sa meilleure contribution au développement à la tolérance et à la cohésion sociale, auraient été encore mieux assumées si les Algériens et démocrates mieux formés en langue française s’étaient dans leur ensemble davantage impliqués dans l’arabisation comme tache nationale. Ils auraient ainsi enlevé la possibilité de l’exploiter à ceux qui n’en faisaient qu’un instrument d’hégémonie sur les couches frustrées en raison de leur formation arabophone au rabais.
D’où vient l’erreur d’optique chez M. Kh comme chez bon nombre de nos compatriotes, ce vif réflexe d’ostracisme à l’égard de tout ce qui est arabe ou islamique ? Au fil du texte, il apparaît qu’il est à rechercher plutôt dans sa conception particulière et réactionnelle de la berbérité (ou amazighité), alimentée par les pratiques étroites subies au nom d’une réappropriation (mal faite) par l’Algérie de sa langue arabe.
Cette subjectivité explique que dans la même foulée, après avoir reproché aux militants du PAGS leur relation jugée coupable à la langue arabe et à l’islam, M. Kh. fasse à "certains militants du PAGS" un autre reproche, infondé à ma connaissance et n’engageant pas de toute façon le PAGS en tant que tel. Elle leur reproche d’avoir condamné le mouvement culturel berbère, l’accusant, comme le pouvoir, "d’allégeance à l’impérialisme français”.
Ces allégations sont erronées concernant le PAGS, elles reflètent surtout le souhait de l’auteur de voir tout le monde embrasser les conceptions qu’il a de cette question.
Il y a réellement eu, dans la population et les régions arabophones d’Algérie, c‘est à dire environ 80 % de l’Algérie profonde, des réactions de méfiance au début, lorsque cette revendication culturelle berbère s’est exprimée de façon explosive en 1980 à Tizi Ouzou, qui fut d’ailleurs pour le plus grand nombre d’Algériens une révélation. Cela est incontestable, y compris parmi des démocrates arabophones. Cette réalité, comme toute réalité psychoculturelle, vaut la peine qu’on la voie en face pour la faire évoluer à son rythme et selon ses potentialités propres plutôt que de croire qu’elle peut être remodelée à marches forcées et taillée à la hache comme ont voulu le faire les politiciens volontaristes et apprentis-sorciers pour l’arabisation.
Mais ce qui a été aussi confirmé par mille faits d’époque, c’est la rapidité avec laquelle, dans les milieux démocratiques comme dans la base populaire, les choses se clarifiaient dès qu’étaient présents une bonne information, une argumentation sérieuse, des actes et des comportements appropriés aux préoccupations de chaque milieu. C’est ainsi que les militants arabophones et berbérophones du PAGS ont dissuadé un grand nombre de militants et sympathisants du FLN et la population d’embarquer sur les bus et les camions que les apparatchiks du parti unique mobilisaient pour aller "bastonner les Kabyles" de Tizi.
Par contre, le fossé se creusait partout où les outrances des uns et des autres défiguraient et amplifiaient leurs appréhensions réciproques. Les Algériens ont encore à apprendre comment défendre leurs causes respectables sans jouer avec ce feu, qui de nos jours a incendié le Liban, la Yougoslavie. Les communistes ont été les premiers en Algérie à avoir défini dans les années 30 et le début des années quarante la personnalité de ce peuple comme étant arabo-berbère. Il est significatif aussi que les premiers pas de cette revendication culturelle, avancée de la façon la plus unitaire et la plus démocratique possible au nom d’une "Algérie algérienne" par des militants et responsables du PPA, dont j’étais, ait été qualifiée, pour la déconsidérer, de complot "berbéro-marxiste" par la direction du MTLD. Personnellement, l’une des raisons qui m’ont amené à partir de 1951 à devenir communiste après six années de militantisme et de responsabilités dans le PPA, c’est l’ouverture dont témoignaient les communistes en ce qui concerne les fondements culturels de la nation et d’une "Algérie algérienne".
Ce qui parait gêner M. Kh., c’est en fait que les communistes n’ont pas la même conception agressive qu’elle de l’amazighité algérienne. Les communistes la considèrent comme une donnée incontournable, qu’il faut défendre contre ceux qui la nient, mais qu’on défend mieux en l’illustrant par des réalisations constructives, en l’intégrant de façon créatrice dans la formation nationale algérienne en gestation vigoureuse.
Cette nation a besoin pour vivre et se développer, d’harmoniser et non d’opposer les unes aux autres ses diverses et riches composantes. Tassadit Yacine souligne à juste titre dans le même ouvrage (p. 169 de la première édition et 164 de la deuxième) les manifestations d’étroitesse : « La question culturelle en Algérie n’a jamais fait l’objet d’une approche globale. Elle a toujours été présentée de manière parcellaire : la revendication berbère a été perçue comme un problème spécifique aux berbérophones... celle des femmes spécifique aux seules femmes... il en est de même pour la langue française ou la liberté d’expression...”.
L’étroitesse qui se drape de l’étendard amazigh rend un mauvais service à cette cause parce qu’elle la rend vulnérable aux tentations aventuristes. Elle fait le jeu de ceux qui refusent à l’amazighité sa place naturelle dans la nation.
Elle laisse comme seule alternative (objectivement et pas seulement dans l’esprit des détracteurs de la berbérophonie) uniquement l’alliance du "camp" de la berbéro-francophonie" contre celui de "l’arabo-islamité". Cette alternative serait explosive pour la nation. L’ouverture universaliste est vitale pour notre peuple. Mais elle alimente des réactions régressives si elle est perçue comme opposition ou concurrence à certaines des valeurs nationales de base parmi les plus ancrées. Peut-on à ce sujet, sans crispation chauvine aucune envers les cultures française et occidentales, fermer les yeux sur le fait que la francophonie comme facteur politique, est liée aussi a des enjeux géopolitiques et géostratégiques ?
Dans la bataille d’une algérianité en cours d’édification, il appartient aux citoyens et aux acteurs politiques d’en mesurer les conséquences, d’en maitriser le climat et l’esprit les plus productifs.
La surenchère entre FFS et RCD, pour le contrôle de l’espace physique et symbolique kabyle, a placé ces partis en porte-à-faux. Elle a nui au statut national qu’ils auraient souhaité se voir reconnaitre à l’échelle de tout le pays au lieu d’être relégués à une représentativité régionale. D’un autre côté, leur rivalité partisane les pousse à se coaliser, selon la logique kabyle ancestrale des alliances de çoffs, aux côtés de l’un ou l’autre des deux pôles rivaux à l’échelle nationale, (fraction des islamistes ou du pouvoir d’Etat) qui s’en sont remis au sort des armes. Cela envenime leur rivalité, d’où une division accrue dans le mouvement culturel berbère lui-même, avec ses conséquences négatives sur l’élan populaire, la créativité des artistes, des linguistes et des associations dont les initiatives et le déploiement avaient été remarquables.
On l’a bien vu lors de la longue grève scolaire de Kabylie, au cours de laquelle élèves et étudiants, enseignants et parents d’élèves, associations, se sont plaints de n’avoir pas eu suffisamment leur mot à dire.
Souhaitons pour l’Algérie, que les courants politiques qui revendiquent à bon droit la démocratisation du pouvoir d’Etat (contenu, mode d’accession et d’exercice), étendent aussi cette exigence au fonctionnement et aux pratiques des partis eux-mêmes. Ainsi ne seront pas réédités de tristes scénarios déjà vécus par notre peuple, avec l’évolution du FLN dont la proclamation du 1er Novembre 1954 avait pourtant mis en bonne place la nature et les objectifs démocratiques du combat engagé.
Tous concernés
Le constat qui sous-tend ce souhait concerne l’ensemble des formations politiques et des mouvances idéologiques qui ces dernières années composent, décomposent et recomposent la scène algérienne, en un chassé-croisé qui n’a fait que commencer. Je suis bien placé pour connaitre le grand besoin et le grand déficit en matière de réflexion démocratique qui sont ceux de la mouvance communiste et les dérapages de première grandeur qui en ont résulté.
À ce propos, une chose m’a frappé en écrivant cet article. J’aurais souhaité, plutôt que de présenter ce qui a constitué les points forts et les avancées réelles du mouvement communiste algérien ces dernières décennies, consacrer cet écrit aux erreurs, aux faiblesses, aux causes profondes, extérieures et intérieures qui ont favorisé la désintégration du PAGS, parler des dérives fortement médiatisées des météorites qui en sont issues, en concentrant en elles ce qui avait miné le PAGS mais que ce denier avait jusque là relativement surmonté.
Or il se trouve, et c’est assez révélateur de ce qui "cloche" dans le paysage politique algérien, avec des retombées sur les débats correspondants en France, que j’ai été contraint en toute priorité de faire reculer une désinformation sur le PAGS dont l’ampleur et la partialité m’ont impressionné.
Ce sont les avancées réalisées par le PAGS dans la revendication et les luttes concrètes pour faire mûrir la culture des solutions démocratiques que nous considérons vitale aujourd’hui pour le tissu social et politique algérien, c’est ce mérite principal qui est critiqué.
Dans le même temps, l’auteur de ces affirmations aussi péremptoires passe à côté des critiques plus profondes et fondées.
Il ne pouvait en effet percevoir ni les mérites ni les erreurs véritables en partant d’images d’Epinal et des fausses vérités qu’il croyait détenir.
Il ne pouvait le faire surtout parce qu’il lui manquait la conscience de la nature et de l’importance du travail dans la société pour faciliter à cette dernière le travail sur elle-même et sur ses propres représentations.
Ces efforts ne peuvent être réduits aux seuls enjeux immédiats de prise ou de partage du pouvoir en se branchant sur les luttes de clans et les luttes d’appareils.
Sous le règne du parti unique, ce travail n’a été fait que par le PAGS comme parti, avec ses difficultés et ses erreurs. Les autres formations d’opposition à vocation démocratique s’étaient à mon avis fourvoyées dans des formes d’opposition aventureuses qui ne pouvaient mobiliser largement la société civile et n’ont fait que consolider le poids des sources militaires du pouvoir, pour se replier ensuite dans l’attentisme ou même disparaître.
Par contre, ce travail a été engagé ultérieurement (surtout à partir du milieu des années 70) par des mouvements associatifs qui se sont assuré une audience large en appui sur des références et des revendications identitaires : mouvement islamiste et mouvement culturel berbère.
La base de masse de ces mouvements a été récupérée après Octobre 88 par des partis politiques jusque là inexistants ou restés en veilleuse. Ces partis ont conservé à cette base populaire la charge affective liée aux représentations linguistiques ou religieuses, avec des orientations et des avatars divers que l’on connait quant aux références démocratiques, tandis que leurs objectifs se sont pratiquement tous polarisés sur les enjeux immédiats de pouvoir. D’une façon générale, les débats de fond sont dominés par ces enjeux.
Dans l’ouvrage "Le Drame algérien", à côté d’analyses de fond sérieuses, et une introduction qui met l’accent sur la complexité des problèmes algériens et la nocivité de leur vision schématique, la plupart des articles consacrés aux acteurs politiques : pouvoir, FIS, RCD, FLN, FFS, PAGS, sont abordés unilatéralement à partir d’une grille de lecture qui donne automatiquement les bons et les mauvais.
Le critère, c’est l’attitude envers les initiatives réconciliatrices comme celle de Sant’ Egidio, à partir de quoi, les uns sont diabolisés, les autres lavés de tous péchés.
Sur ce chemin étroitement balisé, des réflexions plus équilibrées réconcilient avec le monde réel, comme ces appréciations de Mohamed Harbi ou El-Kadi Ihsan qui montrent la responsabilité politique du FIS dans l’escalade tragique. Bien entendu, en miroir, on trouvera dans d’autres publications, des tableaux aussi simplifiés du paysage politique algérien vu à travers les lunettes des "présidentialistes".
De nos jours, quand on a la chance de tomber sur un ouvrage dont les analyses échappent aux pressions des hégémonismes croisés (exemple : “Algérie, histoire d‘un naufrage”, de "Hassan", Le Seuil), on croit rêver.
Mais l’ouvrage collectif de "Reporters sans frontières" a un mérite. Il fait toucher du doigt ce drame algérien qui empêche les porteurs d’une volonté démocratique, parce qu’ils sont positionnés différemment dans la conjoncture politique, de mettre en commun leurs expériences heureuses et malheureuses pour explorer les voies de la commune et nécessaire dédramatisation.
haut
Juillet-Aout 1990 : LE PAGS SUR UNE PENTE FATALE
UN ÉCLAIRAGE GLOBAL DES ÉPISODES SUCCESSIFS
par Sadek Hadjerès
5 articles ( 31pages)
mis en ligne par socialgerie
entre le 15 juillet et le 36 juillet 2010
(JUILLET-AOUT 1990 ) :
LE PAGS SUR UNE PENTE FATALE
par Sadek Hadjerès
socialgerie article 251, 4 pages
le 15 juillet 2010
_____
1990 : LE PAGS SUR UNE PENTE FATALE (SUITE 1)
JUILLET 1990 : COUP D’ENVOI DE L’OFFENSIVE ANTISOCIALE
SOUS LE FAUX PRÉTEXTE DE
LUTTE ANTI- INTÉGRISTE
UNE DES FACETTES PRINCIPALES DE LA CRISE DU PAGS
par Sadek HADJERES
socialgerie article 255, 6 pages
le 17 juillet 2010
_____
1990 : RETOUR SUR CRISE DU PAGS (SUITE 2)
JUILLET-AOÛT 1990 : DE QUELLE STRATÉGIE ANTICRISE L’ALGÉRIE AVAIT-ELLE BESOIN ?
CONVAINCRE ET MOBILISER OU DÉCRÉTER ET INTERDIRE ?
par Sadek HADJERES
socialgerie article 254 - 9 pages
le 17 juillet 2010
QUELLE STRATÉGIE POUR LES FORCES DÉMOCRATIQUES : Convaincre et Mobiliser ou décréter des interdits administratifs ? ...
_____
JUILLET-AOÛT 90 : CRISE DU PAGS (SUITE N°3)
1990 : la "RPI" du PAGS,
BAUDRUCHE
IDÉOLOGIQUE
ET DIVERSION POLITIQUE
QUEL CONTENU SOUS ÉTIQUETTE RÉNOVATRICE ?
Socialgerie article 258, 5 pages
le 20 juillet 2010
par Sadek Hadjerès
_____
JUILLET-AOÛT 90 : CRISE DU PAGS (SUITE 4)
ASSEMBLÉE D’AOÛT 1990 : COMMENT ON ENTERRE UN DÉBAT AVANT DE L’OUVRIR
Sadek Hadjerès
socialgerie article 259, 7 pages
le 26 juillet 2010
haut
[1] socialgerie article 160 - mis en ligne le 17 février 2010 :
“2 Juillet 1990 : Le PAGS A BESOIN D’UN FONCTIONNEMENT DÉMOCRATIQUE - MILITANTS ET CADRES DANS LA CRISE DE 1990”
dans ce même article on peut aussi accéder à l’article de Sadek Hadjerès de novembre 1992 : “FAIRE VIVRE LA DÉMOCRATIE AU CŒUR DE LA MODERNITÉ” - publié dans “EL WATAN” les 28 & 29 NOVEMBRE 1992 et
“ALGER RÉPUBLICAIN” du 29 NOVEMBRE 1992
[2] "Le drame algérien, un peuple en otage" , ouvrage collectif initié par "Reporters sans frontières", Éd. La Découverte 1ère et 2ème édition en 1995 et 1995.
J’aurai à me référer fréquemment à l’article de Malika Khaldoun (M.K.) dont j’ai regroupé au départ les extraits qui me paraissent les plus significatifs. Le lecteur se reportera utilement à l’article intégral p.155 (1ère édition) et 149 (2ème édition).
[3] Groupe issu du PAGS en 1992 mais qui menait déjà une action interne an sein de ce dernier à partir de 1990, dans le sens d’un règlement essentiellement sécuritaire et administratif de la question islamiste. Ce qui l’a amené à un alignement très poussé sur l’aile du pouvoir qui appliquait cette ligne, et à lui servir, avec d’autres formations, de caution politique "de gauche". Une erreur très fréquente dans des publications sérieuses consiste à accoler à ce groupe dont les initiateurs officiels sont d’anciens membres du PAGS l’étiquette de communiste (ex : p. 156 dans l’article de Khalifa Said sur le RCD, on lit "les communistes du Tahaddi". D’autres, disent : le parti Tahaddi (communiste) ou Tahaddi, ex PAGS. Le moment et les conditions dans lesquelles s’est constitué ce groupe (qui veut s’intituler mouvement et non parti) n’ont pas permis à une information plus exacte de circuler dans de larges milieux.
Le leader de cette formation, Hachemi Cherif, avait au cours de l’été 1991, alors qu’il était encore membre du PAGS, déclaré publiquement que lui et ses camarades n’avaient rien et jamais eu quoi que ce soit affaire avec le communisme, ce qui avait soulevé dans la presse algérienne d’unanimes échos d’étonnement et d’ironie.
La décision de tenir un Congrès de dissolution du PAGS n’ayant été approuvée que par moins du tiers des membres du Comité central, les initiateurs du Tahaddi ont néanmoins décidé de tenir ces assises en appelant ouvertement a la participation massive à ces assises de non-membres du PAGS, tandis que l’écrasante majorité des militants du PAGS n’y a pas participé. Ces assises se sont néanmoins tenues avec la participation de quelques dizaines d’"auto-délégués" à la faveur de la situation politique exceptionnelle et avec l’appui occulte de certains appareils du pouvoir.
Bien que ne se sentant pas et ne souhaitant pas être considérés comme communistes. ( ayant rejeté en particulier, au nom d’une conception se voulant moderniste et en fait néo-libérale l’action sociale revendicative des couches populaires), les représentants du Tahaddi ou leurs amis dans une fraction du pouvoir évitent de démentir formellement les étiquettes d’ex-PAGS ou de communistes qui leur sont prêtées pour bénéficier dans certains milieux de l’opinion algérienne internationale du capital politique acquis par la mouvance communiste.
[4] ORP : Organisaton de la Résistance Populaire, constituée au lendemain du putsch militaire qui a renversé Benbella. Elle a regroupé, pour la défense et la restauration de la légalité constitutionnelle, des communistes et des cadres de la gauche du FLN comme Hocine Zahouane et Mohammed Harbi. Après l’arrestation des responsables principaux de l’ORP, odieusement torturés, une stratégie de plus long terme a été adoptée en accord entre eux et les autres cadres FLN ou communistes restés en liberté. Elle s’est concrétisée entre autres par l’appel fondateur du PAGS (26 Janvier 1966), avec la revendication d’une solution démocratique, politique et pacifique à la crise ouverte par le coup d’Etat du 19 Juin et l’appui sur la mise en mouvement de la société à la base autour de ses besoins et aspirations légitimes.
[5] Le PRS de Mohamed Boudiaf, qui reprit de longues années sur son bulletin édité en France les citations de Mao, interrompit ses activités. L’une des raisons aurait été que Boudiaf fut impressionné par l’audience de Boumediene révélée par les réactions populaires à l’occasion de sa mort. Le FFS, après la flambée insurrectionnelle et la répression de 64-65 et l’évasion de son leader emprisonné, ne se manifestera pratiquement plus jusqu’en 1988 dans les activités de masse en tant que telles. Seuls deux mouvements mèneront surtout à partir des années 80 d’intenses activités à la base comparables à celles qu’a menées le PAGS dans la société. Ce sera des mouvements initialement "sans-parti", dont l’expression et l’audience à caractère principalement identitaire bénéficieront du déficit et des frustrations sociales imposées par le régime. Ce sera d’une part le mouvement islamiste qui va tisser sa toile dans les mosquées, refuge aux âmes tourmentées d’une jeunesse désemparée. Et d’autre part le mouvement culturel berbère, qui prenant son élan printanier en 1980 sur une base tout a fait non-partisane, subira des tensions de caractère politique entre ceux qui souhaitaient lui garder ce caractère et ceux qui voulaient l’engager directement dans l’arène politique, eux-mêmes divisés sur la nature de ces orientations ou par des rivalités personnelles.
[6] C’est aussi à ce moment, à partir des années 80, soit quinze ans après le 19 Juin 65, que sont apparus de façon plus visible sur la scène contestataire au niveau de la base populaire de nouveaux acteurs, essentiellement en appui sur des revendications de caractère identitaire.
Qu’ils soient culturaliste berbère ou islamiste, ces mouvements ont eu eux aussi a subir la répression brutale, même lorsque leurs activités n’étaient qu’associatives, non encore cristallisées en projets politiques partisans.
C’était le cas du MCB, initiateur du "printemps berbère" de l980, vis à vis duquel le FFS, pour des raisons d’opportunité tactique peut-être, avait gardé ses distances, ce qui sera l’une des causes lointaines de son lourd contentieux avec le RCD, constitué comme parti en l989.
[7] Mieux que cela, le PCA avait été, en dehors du MNA de Messali Hadj, qui avait fait scission du MTLD-PPA avant l’insurrection, le seul parmi les formations patriotiques d’avant 1954, à avoir maintenu une existence indépendante durant la guerre de libération. Il soutenait ainsi sous toutes les formes et dans les grands axes le combat de l’ALN et du FLN, sans partager forcément certaines de leurs positions ponctuelles dont il pouvait se démarquer précisément par cette existence indépendante. Il avait conclu avec la direction de ce front, en mai-juin 56, un modus vivendi qui a connu des fortunes diverses. Cette double exigence unitaire et de différenciation a rendu la lutte des combattants et militants extrêmement éprouvante.
[8] On consultera avec intérêt :
- la brochure "Front unique ou parti unique ?"
- et les "statuts provisoires du PAGS" après la première conférence nationale clandestine de ce parti en 1969.