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LE MYSTÈRE DU TEMPLE, UNE PREMIÈRE BRÈCHE DANS LA CRYPTE FRÈRO-MUSULMANE

jeudi 25 avril 2013

Note de lecture :

“Le mystère du temple”,
une première brèche dans la crypte fréro-musulmane

Yassin Temlali
El Watan
le 25 avril 2013

“Le mystère du temple : les secrets cachés des Frères musulmans” [1] de Tharwat Al Kharbawy ne pouvait aussi bien tomber, commercialement parlant. Publié à un moment de grande focalisation médiatique sur cette confrérie aujourd’hui au pouvoir en Egypte, il a eu plus de succès qu’un autre ouvrage de l’auteur, “Au cœur des Frères musulmans : les tribunaux d’inquisition”, paru en 2010.

Le mystère du temple, qui en est à sa onzième édition trois mois après sa sortie en novembre 2012, n’est pas un récit chronologique de l’activité militante de Tharwat Al Kharbawy, avocat qui a été, de longues années durant, un important dirigeant de la section « Corporations » des Frères musulmans. C’est plutôt une succession de tableaux, de portraits et de réflexions qui tissent la trame du fonctionnement opaque de cette organisation, de la toute-puissance de son morched (Guide), des rapports ambigus qu’elle a pu entretenir avec le régime et sa police politique sous le règne de Hosni Moubarak, et, enfin, des luttes qui, sous des dehors de cohésion à toute épreuve, y opposent factions ennemies et ambitions rivales. Le ton se veut romanesque, avec des fins de chapitres à suspense, et le tout est entrecoupé de longues digressions sur le chemin que l’auteur a parcouru, après sa dissidence, vers la « vraie foi », celle mystique, soustraite aux impératifs de la politique et de la soif de pouvoir.

Sur la foi de témoignages qu’il attribue à d’autres militants, Tharwat Al Kharbawy n’exclut pas que les Frères musulmans aient infiltré l’armée et la police, au sein desquelles ils auraient ressuscité leurs cellules clandestines des années 1940 et 1950. Surtout, il exprime sa quasi-certitude qu’al tandhim al khass (l’organisation spéciale), unité paramilitaire créée par le père-fondateur, Hassan Al Banna, en 1940 puis officiellement dissoute, a été recréée sous d’autres formes. C’est d’autant plus vraisemblable, suggère-t-il, que la doctrine violente de ce bras armé s’est réincarnée dans le discours de certains cadres se réclamant ouvertement de la pensée du dirigeant frériste radical Sayyid Qotb, exécuté en 1966 et duquel la confrérie, sous la direction de son troisième morched, Omar Al Telmeçani, a pris ses distances.

À propos de l’aile paramilitaire des Frères musulmans

Malheureusement, ces soupçons, qui ressemblent par moments à de franches accusations, ne sont pas appuyés sur des documents ou des témoignages mais sur de simples « déductions » de militants de même « rang » hiérarchique ou d’anciens cadres en rupture de ban avec l’organisation. À voir les attaques violentes lancées ces derniers mois contre les opposants du président Mohamed Morsi par ses partisans (notamment devant le Palais présidentiel, le 5 décembre 2013), l’existence d’une « unité paramilitaire » au sein des Frères musulmans n’est probablement pas une vue de l’esprit. Cependant, ce n’est pas dans ce livre qu’on en trouvera la preuve irréfutable et définitive !

L’auteur n’a pas été aidé à affûter ses arguments par l’éditeur, qui ne semble pas non plus s’être soucié d’authentifier les propos attribués à nombre de personnages, militants frères musulmans ou autres. On confirme davantage l’inconsistance de son argumentaire lorsqu’il écrit que les Francs-maçons ont très probablement infiltré la confrérie pour la « dévier de sa ligne modérée (…) et ainsi justifier son écrasement ». On ne mesure la gravité d’un tel soupçon que si l’on sait la sainte horreur qu’inspirent les loges maçonniques aux islamistes qui, dans le sillage de l’extrême droite européenne, les présentent comme des sectes maléfiques visant, sous le couvert de la fraternité universelle, à saper les fondements des religions révélées. Cela étant dit, il faut reconnaître à Tharwat Al Kharbawy l’honnêteté d’avoir mentionné qu’Ahmed Ibrahim Abou Ghaly, de qui il tient ce qui ressemble moins à un doute qu’à une solide conviction - et qu’il présente comme une ancienne autorité de la confrérie -, reconnaît lui-même qu’il s’agit là d’une « extrapolation », censée éclairer certaines énigmes internes.

De « secrets du temple » il n’en est donc point dans le livre, en dépit de son titre alléchant. En tant que cadre intermédiaire, Tharwat Al Kharbawy a été, certes, impliqué dans d’importantes opérations politiques, mais pas plus qu’il n’était membre de makteb al irchad (littéralement « bureau de direction »), instance suprême des Frères musulmans, il n’appartenait à une quelconque « organisation paramilitaire » dont l’existence serait cachée à l’écrasante majorité des militants. Aussi, ne faudrait-il pas aborder Le mystère du temple avec l’espoir d’y trouver l’« histoire réelle » de cette organisation ou des révélations fracassantes sur ses dirigeants, anciens ou actuels.

Des origines « wahhabites » oubliées

La lecture de ce best-seller n’est pas pour autant sans utilité. Non seulement il souligne en creux les écueils à éviter lorsqu’on tente d’écrire « objectivement » une histoire subjective, mais il rappelle aussi un certain nombre de fondamentaux oublié concernant les Frères musulmans. Nous en citerions deux. Le premier est leur disposition à collaborer avec les grandes puissances « impies » pourvu qu’elles les acceptent comme alternative aux régimes despotiques en place. L’auteur écrit, à ce propos, que c’est Issam Al Aryane qui était en charge des contacts clandestins avec l’establishment américain, affirmation corroborée par la fonction « de représentation extérieure » que remplit celui-ci au sein de la confrérie depuis la chute de Hosni Moubarak. Le second fondamental, enfoui sous des sédiments de propagande présentant la plus vieille organisation islamiste égyptienne comme intrinsèquement modérée, est son « origine wahhabite » avérée : le modèle de Hassan Al Banna en la créant en 1928, relève Tharwat Al Kharbawy, était celui des prédicateurs-soldats qui ont été le fer de lance de la fondation de la monarchie saoudienne et qui, curieuse coïncidence, se donnaient pour nom les ikhwan, les frères.

La publication des deux livres de Tharwat Al Kharbawy montre que le mur de l’omerta qui entoure la crypte fréro-musulmane commence à se fissurer. D’autres témoignages viendront sans doute infirmer ou confirmer ses allégations et nourrir le débat sur cette confrérie qui, même après s’être dotée d’une aile « légale », le Parti de la liberté et de la Justice (dont est issu le président Mohamed Morsi), refuse de se dissoudre ou de se donner quelque statut juridique que ce soit. La situation en Egypte se prête parfaitement à un tel débat. Bien qu’ils restent mieux implantés que tous leurs adversaires, l’épreuve du pouvoir a fait perdre aux Frères musulmans leur aura de quasi-sainteté. Plus que jamais leur passé et leur présent peuvent être appréhendés loin des hagiographies faciles et de tenaces mythes fondateurs.

Yassin Temlali



Voir en ligne : http://www.elwatan.com/internationa...


[1“asrar al ma’bad : al asrar al khafiyya lil ikhwan al moslimin”, Editions Nahdat Masr, Le Caire, novembre 2012.
Cet article a été publié initialement dans la revue Afkar Idées (n°37). Il est publié ici avec son autorisation.

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