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L’ARBRE KHELIL ET LA FORÊT

par Hocine Belalloufi - La Nation info

jeudi 2 mai 2013

Chakib Khelil ne constitue pas un accident de parcours, le rebut d’une chaîne de production fondamentalement saine… Il représente au contraire la quintessence de la politique antinationale et antisociale menée de manière antidémocratique depuis 1999....

Fustiger Chakib Khelil s’avère donc positif. Exiger qu’il rende des comptes à la justice et soit, le cas échéant, inculpé et condamné est encore mieux. Mais mettre en lumière et condamner la véritable nature néolibérale de la politique du régime dont il fait partie ainsi que ses méfaits sur la société algérienne et la combattre s’avère meilleur et indispensable.
Chakib Khelil est en effet substituable par un autre. Il s’agit de spécimens produits en série par la Banque mondiale, le FMI et le système capitaliste mondial et qui sont mis au service de régimes locaux en vue de subordonner davantage les économies des pays dominés à celle du centre.
Ces régimes ne se réduisent cependant pas à ceux qui ont fait leurs classes à Washington, Paris ou Londres. Ils se reproduisent désormais de façon endogène pour le plus grand bonheur de notre bourgeoisie compradore.


L’ARBRE KHELIL ET LA FORÊT

Hocine Belalloufi
La Nation info
Jeudi 2 Mai 2013

Dans les grandes affaires de corruption qui défraient quotidiennement la chronique, la figure tutélaire de Chakib Khelil plane. Tous les yeux, qui ressemblent souvent à des fusils, sont braqués sur lui. L’arbre Khelil ne devrait toutefois pas masquer la forêt.

La non-parution, à ce jour, de Chakib Khelil devant la justice constitue en soi une injustice. Cité directement ou indirectement dans nombre d’affaires de corruption intervenues dans son secteur, l’ancien ministre de l’Energie n’a pas jugé utile de répondre aux convocations de la justice algérienne. Il n’a par ailleurs éprouvé aucune difficulté à vendre ses biens immobiliers et à quitter le territoire national. Une procédure a-t-elle été entamée par l’Algérie pour le contraindre à venir témoigner et, éventuellement, rendre compte de tous les scandales qui ont éclaté sous son règne ? La justice d’autres pays (Italie, Etats-Unis…) le convoquera-t-elle pour l’interroger ? Le temps nous le dira.

Cette aptitude à échapper à la justice met une nouvelle fois en lumière le peu d’indépendance d’une justice au service des puissants. Une non-indépendance unanimement relevée par la presse, les hommes de loi sincères, des politiques, les citoyens et par Monsieur Farouk Ksentini lui-même !

Une justice au service des puissants

On insiste moins en général sur le caractère de classe de plus en plus affirmé de cette même justice. Permettons-nous, à l’occasion de ce Premier mai journée internationale de lutte des travailleurs, une petite parenthèse. _ Les juges condamnent généralement à trois ans de prison ferme au minimum un petit délinquant chômeur pour chapardage de portable.
Ils viennent de prononcer exactement la même peine à l’encontre du PDG et de certains cadres de la Société nationale de travaux routiers (Sonatro) pour « négligence manifeste ayant conduit à la perte de fonds publics », « exploitation des fonds de la société à des fins personnelles », « conclusion de marchés illégaux », « déclarations mensongères à propos de la société » et « non dénonciation de faits criminels ». Notons que le préjudice financier causé à cette entreprise publique qui constituait un joyau – de toute évidence gênant pour certains – aura coûté la bagatelle de 102 milliards de centimes ! Les amateurs de statistiques pourront calculer le nombre exact de portables que cette somme représente.

Cela, sans rien dire du préjudice économique (perte de matières premières et d’engins dérobés ou cédés à des prix très bas, inactivité prolongée de l’entreprise entrainant la perte de marchés…) ni s’étaler sur le drame social et humain – qui s’en soucie ? – pour les salariés et syndicalistes non-corrompus de cette société.
Quel est le montant des amendes infligées à ces dirigeants véreux ? Il s’avère pratiquement impossible de le savoir en lisant la « presse indépendante » qui a relaté extrêmement succinctement cette affaire criminelle de toute première importance. L’abordant comme un vulgaire fait divers, elle s’est généralement contentée de rapporter une condamnation à de « fortes amendes »… On appréciera le caractère pudique de l’information.

On comprend mieux dans ces conditions comment un homme aussi puissant et riche que Chakib Khelil peut se permettre d’ignorer superbement les convocations de justice qui lui sont adressées.

Présumé innocent juridiquement, mais coupable politiquement

Si l’on peut encore s’interroger formellement quant à l’éventuelle culpabilité juridique de Chakib Khelil, aucun doute ne subsiste en revanche quant à sa culpabilité politique vis-à-vis de la nation algérienne, de son État et de son peuple ainsi que de quelques autres pays qui ont eu à souffrir de son action.
L’homme possède de toute évidence un palmarès impressionnant.
De l’Argentine où il a fait ses classes de « Chicago boy » pour le compte de la “Banque Mondiale” à l’Algérie qu’il faillit faire revenir au temps béni des concessions, ce véritable âge d’or des grands groupes pétroliers étrangers, Chakib Khelil a fait ses preuves de serviteur zélé des intérêts des multinationales, des Etats impérialistes et de quelques monarchies pétrolières venus piller les richesses naturelles et financières locales.

L’homme est donc coupable politiquement.
Mais peut-on passer sous silence le fait que parmi tous ceux qui crient haro aujourd’hui sur la personne de l’ancien ministre de l’Energie et qui réclament à grands cris une politique implacable contre la corruption qui gangrène le pays, peu condamnèrent sa loi sur les hydrocarbures de 2005.
Ils furent encore moins nombreux à la combattre. Nombre d’entre eux la saluèrent au contraire. L’objectif n’était-il pas – et ne reste-t-il d’ailleurs pas à leurs yeux – de terrasser « l’économie rentière » ?

Les quelques partis (PT, FFS, PST, PADS…), journaux (Alger républicain…) syndicalistes (CLA…) et personnalités (Sid Ahmed Ghozali, Hocine Malti…) qui dénoncèrent publiquement cette loi scélérate se sentirent bien seuls à l’époque.
Les « grands partis nationalistes, islamistes et démocrates-modernistes » au gouvernement ou dans l’opposition, les grands titres de la « presse libre et indépendante », l’UGTA et certains syndicats autonomes se placèrent dans le camp de Chakib Khelil en combattant ouvertement à ses côtés ou en se tenant dans une prudente, pathétique mais impossible neutralité.

Rappelons également que les mêmes applaudirent une année plus tard, lorsque la loi fut amendée – merci à feu Chavez – afin d’en expurger les articles les plus antinationaux. Aujourd’hui, tous ceux qui applaudirent la loi Khelil de 2005, cherchent à se refaire une virginité et les moins sincères ne sont pas forcément les plus discrets.
Ils redoublent donc d’ardeur et de férocité à l’égard des puissants déchus, symboliquement pour le moment : Chakib Khelil, Farid Bedjaoui, Saïd Bouteflika… Ils adoptèrent la même attitude naguère à l’égard d’Abdelmoumen Khalifa.

La responsabilité politique du « clan présidentiel »

En agissant de la sorte, ils ne cherchent pas seulement à faire oublier leurs silences ou leur attitude complice d’autrefois. Ils tentent surtout de masquer la véritable nature de la politique menée dix années durant par Chakib Khelil. Politique qui se poursuit aujourd’hui et qu’ils continuent de soutenir.

Si l’on rejette en effet l’idée saugrenue en vertu de laquelle cet homme fut un véritable superman capable de faire et de défaire à lui tout seul la politique du pays, on ne peut décemment lui faire exclusivement porter le chapeau du désastre. L’homme ne s’est pas nommé tout seul au poste qu’il occupait. Il n’imposa pas son texte de loi au gouvernement puis aux deux chambres du Parlement. Il était soutenu et bien soutenu. Par le « clan présidentiel » en premier lieu. Cela s’avère strictement vrai tant ce technocrate de la Banque mondiale n’avait aucun passé politique en Algérie. Ni engagement partisan, ni poste électif. Il fut ramené en 1999 dans les bagages du nouveau président de la République. Chakib Khelil ne se contentera pas simplement d’appliquer la politique d’Abdelaziz Bouteflika. Il contribuera fortement à son élaboration et à sa mise en œuvre.

La responsabilité politique du président et de son « clan politique » se trouve ainsi pleinement engagée. Chakib Khelil ne constitue pas un accident de parcours, le rebut d’une chaine de production fondamentalement saine… Il représente au contraire la quintessence de la politique antinationale et antisociale menée de manière antidémocratique depuis 1999.

La responsabilité politique du régime

À une année à peine de la présidentielle qui agite tant le spectre politique national, nombre d’opposants internes ou externes au régime tentent de faire porter la responsabilité exclusive de la politique de Chakib Khelil sur les épaules de plus en plus frêles d’Abdelaziz Bouteflika et de « son clan ».

Mais ceux qui cherchent à aller au fond des choses pour tenter de trouver une issue profitable au peuple algérien ne peuvent manifestement en rester là. En effet, la politique de Bouteflika fut celle de tout un régime, indépendamment des nuances, arrière-pensées et calculs des uns et des autres.
Lorsque l’on se trouve en désaccord de fond avec une politique, on démissionne – quel que soit son poste – et on la combat. Hormis quelques personnalités, à l’instar de feu Mohamed-Salah Mentouri qui démissionna en 2005 du poste de président du Conseil national économique et social (CNES), peu de noms viennent à l’esprit…

La politique antinationale et antisociale de Bouteflika constitue une accélération et non une rupture de la politique néolibérale entamée depuis plus de trois décennies maintenant par le régime. Elle s’inscrit dans le choix de la « transition à l’économie de marché » initiée dès le début des années 1980 par Chadli et poursuivie sans répit depuis.
Cette politique a réduit à néant le projet de développement national lancé depuis l’accession de l’Algérie à l’indépendance. Elle a réintégré en la soumettant l’économie algérienne au marché mondial dominé par quelques grandes grands groupes financiers et économiques de quelques Etats du Nord (G7).
Par la dette, remboursée plusieurs fois, le “Plan d’ajustement structurel” et son lot de restructuration et de liquidation du secteur industriel public au profit du privé national et, surtout, étranger (ArcelorMittal, Air Liquide, Fertial…), l’Algérie a pour rôle, dans la division internationale du travail, d’alimenter les économies dominantes du Nord et leurs appendices pétroliers du Golfe persique en hydrocarbures et/ou en matière grise (ingénieurs, cadres, scientifiques, médecins…) et de servir de réceptacle aux marchandises que ces économies en crise n’arrivent pas à écouler.
Le régime offre également généreusement des marchés colossaux aux multinationales (autoroutes, métro, tramways, bâtiment et travaux publics...) ainsi que la gestion de nombre de ses entreprises (aéroports, ports, services des eaux…)…
Enfin il contribue activement au système financier international qui étrangle l’ensemble des peuples du monde par le placement de ses réserves en devises en bons du Trésor américain et par son prêt de cinq milliards au FMI…

La corruption a quant à elle joué un rôle de tout premier plan dans la formation accélérée d’une nouvelle bourgeoisie compradore incapable de produire, mais experte en dilapidation du secteur public et en importation qui broie littéralement le tissu productif national ou ce qui en subsiste.

Fustiger Chakib Khelil s’avère donc positif. Exiger qu’il rende des comptes à la justice et soit, le cas échéant, inculpé et condamné est encore mieux.
_ Mais mettre en lumière et condamner la véritable nature néolibérale de la politique du régime dont il fait partie ainsi que ses méfaits sur la société algérienne et la combattre s’avère meilleur et indispensable.
Chakib Khelil est en effet substituable par un autre. Il s’agit de spécimens produits en série par la Banque mondiale, le FMI et le système capitaliste mondial et qui sont mis au service de régimes locaux en vue de subordonner davantage les économies des pays dominés à celle du centre.
Ces régimes ne se réduisent cependant pas à ceux qui ont fait leurs classes à Washington, Paris ou Londres. Ils se reproduisent désormais de façon endogène pour le plus grand bonheur de notre bourgeoisie compradore.

Hocine Bellaloufi

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