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LA QUESTION DÉMOCRATIQUE EN ALGÉRIE - COMPTE RENDU D’UNE RENCONTRE DÉBAT

samedi 22 février 2014

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afaqichtirakiya perspectives socialistes

Compte-rendu de la rencontre-débat

du 15 février 2014

organisée par le Rassemblement de gauche (RdG)

sur le thème :

LA QUESTION DÉMOCRATIQUE

EN ALGÉRIE

La rencontre-débat qui a rassemblé une trentaine de participants a permis d’entamer une réflexion sur cette importante question.

Introduction de Hocine Belalloufi

L’intervenant a souligné que la situation politique nationale marquée par la présidentielle d’avril prochain est pleine d’incertitude et qu’une fois de plus, les partisans de la démocratie, les partisans de gauche en particulier, ne pèseront pas sur cet évènement. Comme ils n’ont pas, d’ailleurs, pesé à l’occasion de certains événements récents pourtant dramatiques : Ghardaïa, cité de jeunes filles de Dely Ibrahim…

L’une des raisons essentielles de cette impuissance réside dans une absence de stratégie qui pousse les partisans de la démocratie, dans le meilleur des cas, à régir mais non à agir. Les partisans de la démocratie n’ont pas l’initiative et ne peuvent en conséquence peser sérieusement sur la situation.

Le but de la rencontre n’est pas de délivrer une stratégie clef-en-mains, mais d’entamer, d’amorcer la réflexion et le débat sur cette question. Il est donc nécessaire de rappeler le contexte historique dans lequel se pose aujourd’hui la question démocratique en Algérie.

L’étape historique actuelle est marquée par l’infitah, cette longue et chaotique transition à l’économie de marché amorcée en 1980. Cet infitah fut la résultante d’une modification majeure du rapport de forces politique et social dans le pays, modification qui s’inscrivait dans le tsunami néolibéral mondial parti du Chili en 1973 et qui allait tout emporter sur son passage : URSS, Comecon, Chine, régimes anti-impérialistes du tiers-monde, mouvement ouvrier...

Cette transition représente ainsi une véritable contre-révolution généralisée qui a vu l’intégration-soumission de l’économie algérienne à l’économie capitaliste mondiale :

  • Sur le plan économique : rupture et démantèlement du projet de développement souverain des deux premières décennies de l’indépendance. Substitution d’une économie d’importation typique des économies coloniales à une économie à ambition productive.
  • Sur le plan social : processus de dépossession typique du fonctionnement du capitalisme dans sa version de marché. Spoliation de ce qui appartenait au moins juridiquement à la collectivité, par le biais de la propriété publique, au profit d’une minorité illégitime d’accapareurs et même du capital étranger.
  • Sur le plan politique : substitution de la part du pouvoir d’une attitude de combat politique anti-impérialiste à une posture de partenaire/relais des grandes puissances occidentales, le tout maquillé derrière un nationalisme chauvin qui n’a plus rien de progressiste et un culturalisme identitaire des plus réactionnaires. La capacité du pouvoir à mener cette politique a constitué une défaite historique du mouvement anti-impérialiste dans notre pays.
  • Sur le plan idéologique : substitution d’une vision du monde réactionnaire (individualisme et concurrence en lieu et place de la solidarité, vision rétrograde de la place et du rôle des femmes, versions des plus autoritaires, racistes et réactionnaire de la religion, refus du progrès et de l’émancipation…). Cette vision a été menée conjointement par le régime et les islamistes.

L’une des conséquences principales de cette victoire de l’infitah réside dans la brisure, dans la remise en cause du consensus politique et social national forgé au cours de la guerre de libération nationale et consolidé par les luttes de masse au lendemain de l’indépendance (autogestion, luttes des étudiants…) et par les politiques économiques et sociales menées par les régimes de Ben Bella et de Boumediene qui, en dépit de leur caractère dictatorial, poursuivaient, à leur manière et avec leurs contradictions et limites, une politique visant à doter l’indépendance politique d’une base matérielle. Telle fut la logique du projet de développement souverain amorcé au cours des années 1960 et 1970.

Or et pour revenir à la question en débat, la démocratie n’existe pas, ne peut exister nulle part sans consensus social. Le consensus social doit être entendu ici non comme unanimité des contraires mais existence d’un bloc social hégémonique dominant, majoritaire politiquement. Ce n’est donc pas une prétendue absence de culture démocratique qui nous ferait défaut, à l’inverse des grandes puissances capitalistes mondiales, mais l’absence d’une politique à même de satisfaire les aspirations et besoins des larges masses.
Voilà pourquoi la bourgeoisie des pays les plus cultivés et les plus démocratiques n’hésite pas, lorsque le consensus social se brise sous les effets de sa propre politique et de ses effets sociaux désastreux, à instaurer les régimes dictatoriaux les plus barbares : fascisme italien, nazisme allemand, militarisme japonais… Voilà pourquoi nous assistons aujourd’hui, à la faveur de la crise du capitalisme, à des atteintes de plus en plus graves, répétées et systématiques à la souveraineté populaire dans les « grandes démocraties » : Etats-Unis, Grèce, Italie…

Ce rappel permet de comprendre que l’incapacité de notre régime à se démocratiser n’est pas seulement ni même principalement d’ordre subjectif (autoritarisme récurrent), mais surtout et prioritairement d’ordre objectif.
Aucune classe ou fraction de classe ne peut asseoir un consensus social, construire un bloc social hégémonique lui permettant de diriger la société alors même qu’elle mène une politique économique et sociale qui atomise la société. Voilà pourquoi les principales forces politiques néolibérales ne sont pas démocrates : pouvoir et islamistes.

La démocratisation de l’Etat implique en conséquence une intervention politique des masses car l’instauration de la démocratie n’est pas l’affaire d’une minorité, d’une avant-garde, d’une « élite », mais de l’engagement du peuple en vue d’imposer la démocratie aux ennemis de la démocratie, à l’impérialisme en premier lieu et à ses relais locaux.
Cela implique en premier lieu de gagner la majorité de la population qui refuse la hogra et qui aspire à la liberté au mot d’ordre et au combat démocratique qui constituent la traduction politique de cette aspiration.

Or, on ne peut gagner le peuple à l’idée et au combat démocratique si l’on ignore superbement sa résistance multiforme à la politique néolibérale (grèves, explosions, mouvements de chômeurs…), si l’on délégitime ses revendications en assimilant ces luttes à un combat d’œsophages et si on oublie sa forte conscience du danger que fait peser l’impérialisme sur la souveraineté nationale.

Voilà pourquoi le projet démocratique ne peut être que social (antilibéral) et national (anti-impérialiste).
Il s’agit de forger un consensus social par la construction d’un bloc social hégémonique populaire et non par une illusoire unanimité.
Et il s’agit de refonder le consensus national en remettant en son centre la résistance à l’économie capitaliste mondiale et à l’ordre politique impérialiste qui accompagne et défend cette dernière.
L’alternative démocratique ne peut être que populaire et anti-impérialiste.

Les trois principes du peuple que sont l’indépendance nationale, la justice sociale et la démocratie fondent le projet démocratique.
Voilà pourquoi les forces de gauche, les forces populaires doivent lutter pour la direction du combat démocratique et ne pas l’abandonner aux forces démocrates de droite ou du centre car celles-ci s’avèrent incapables de mener ce combat jusqu’à son terme et de façon conséquente.
Ces forces de droite et du centre se réclament de la démocratie mais contribuent à briser le consensus social par leurs choix économique néolibéral et politique pro-impérialiste. Mener une politique d’unité et de lutte vis-à-vis des forces de droite et du centre qui se réclament de la démocratie s’avèrent donc incontournables pour la gauche. Unité sur des objectifs concrets et justes à un moment donné. Critique de leur inconséquence et mise en lumière des raisons de fonds (de classe) de cette inconséquence.

Débat

Plus du tiers des présents a pris la parole au cours d’un débat qui a duré plus de deux heures. Cela a permis de constater qu’il existait des niveaux de préoccupations et des approches divers et parfois divergents. Cela a rendu le débat plus intéressant, mais ne pouvait déboucher en même temps sur une synthèse ni mêmes sur un nécessaire approfondissement des points abordés.
Plusieurs questions ont été abordées. Parmi elles :

  • La faiblesse des partisans de la démocratie. Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer cette faiblesse.
    Pour les uns, le courant démocratique se trouve confronté à un problème de leadership, chacun cherchant à le diriger au détriment du combat commun. Le problème de la manipulation a également été évoqué comme raison de la faiblesse des partisans de la démocratie ainsi que l’action du pouvoir qui réduit les libertés démocratiques : lois sur les partis, les élections, les associations, le livre… Certains intervenants considèrent que l’on ne peut incriminer le néolibéralisme dans la mesure où ce qui se déroule en Algérie relève plutôt du banditisme et non du néolibéralisme.
    Mais pour d’autres, la faiblesse des partisans de la démocratie réside dans : leur manque de liaison avec la société ; leur éloignement des préoccupations quotidiennes des couches populaires ; leur absence de solidarité effective avec les luttes et mouvements sociaux (syndicats, comités de chômeurs…) quand ce n’est pas leur soutien aux politiques économiques néolibérales des gouvernants ; leur position ambiguë vis-à-vis des desseins de l’impérialisme voire de leurs appels réitérés à une ingérence de celui-ci ; leur très faible action en direction d’une jeunesse qui cherche les voies et les moyens d’agir dans tous les domaines (culturels, sportifs, éducatifs…)… Tels sont les principaux éléments responsables du faible ancrage populaire de ce courant.
    L’exemple de la Coordination nationale pour le changement démocratique (CNCD) de 2011 a permis de mettre en évidence deux sensibilités. Pour certains, l’échec de cette expérience incombe à la trahison d’une partie de ses membres. Pour d’autres, cet échec provient de l’incapacité de ce rassemblement à apprécier à sa juste valeur le rapport de forces de l’époque. Cette incapacité renvoie au manque d’ancrage de cette coalition, manque d’ancrage dû au refus de plusieurs forces en son sein de lier questions nationales, démocratiques et sociales et de concevoir le combat démocratique en opposition à l’impérialisme et non en coopération avec lui. On ne peut appeler les masses à se battre pour la démocratie et ignorer superbement leur misère. On ne peut gagner la confiance du peuple alors même que l’on partage avec le pouvoir actuel la même doctrine économique libérale et la même volonté de coopérer avec les grandes puissances impérialistes (USA, France et UE, Japon…).
  • La question de l’unité des partisans de la démocratie. Deux visions plus ou moins affirmées se sont opposées.
    La démocratie est-elle de gauche ? Y a-t-il une démocratie de gauche et une démocratie de droite ? La démocratie est-elle universelle ? Qu’est-ce qui empêche les forces politiques démocrates de s’unir face au pouvoir ? Telles sont les questions posées par certains intervenants qui ont la volonté de rassembler tous les démocrates sur une base minimale afin de créer un rapport de forces suffisant pour faire reculer les politiques liberticides et faire triompher l’alternative démocratique dans notre pays.
    À cette vision répondait une autre démarche. Reconnaissant le caractère interclassiste de la revendication démocratique (à l’instar de la revendication d’indépendance nationale avant 1962), cette seconde démarche ne refuse pas par principe l’unité d’action de tous les partisans de la démocratie autour de revendications et de combats réels. Mais elle considère que l’on ne peut masquer les antagonismes de classe, la situation sociale désastreuse des classes populaires du fait de la politique néolibérale du pouvoir et la remise en cause de la souveraineté nationale vis-à-vis de l’impérialisme. Les partisans de cette deuxième vision insistent donc pour articuler revendications démocratiques et revendications économiques et sociales.
    La question de qui dirige le combat démocratique a donc été posée, non par esprit doctrinaire, mais parce que les forces néolibérales qui se revendiquent de la démocratie ne sont pas, ne peuvent être conséquentes. L’exemple du Forum des chefs d’entreprises (FCE) qui s’apprête à « demander au président Bouteflika » d’avoir l’obligeance de se représenter pour la quatrième fois à l’élection à la magistrature suprême, a mis en évidence les limites historiques du patronat privé.
    La bourgeoisie privée n’est démocrate que pour arracher, à son profit, le maximum d’avantages du pouvoir et de faire pression afin que « le pouvoir politique appartienne enfin au pouvoir économique » et que l’économie du pays soit la plus ouverte à « l’investissement étranger »… Mais devant le danger que représenterait pour elle une mobilisation de masse liant démocratie, justice sociale et indépendance nationale, elle préfère ne pas affronter un pouvoir qu’elle qualifie pourtant « d’autoritaire » et dispose d’autres moyens, sonnants et trébuchants, pour élargir progressivement sa sphère d’influence dans les institutions politiques et administratives (APN, Sénat, Communes….), médiatiques (y compris publiques) et même dans certaines organisations de travailleurs (UGTA…). L’exemple des forces de droite qui se réclament ouvertement de l’amitié de Bernard Henri-Lévy renseigne par ailleurs quant aux objectifs réels d’une bonne partie du courant démocratique.
    Autres exemples rappelés par des intervenants qui démontrent les limites du combat démocratique des forces bourgeoises : la répression impitoyable des travailleurs de Cévital du port de Béjaïa qui ont eu l’audace d’exiger que M. Rabrab applique le droit du travail qui leur reconnaît pourtant les droits élémentaires de faire grève et de s’organiser en syndicat ainsi que l’envoi, par le PDG du groupe Benamor, de bacheliers algériens dans des universités américaines et européennes afin de les former et les « formater » aux « lois universelles et naturelles de l’économie de marché ».
    Comment des patrons qui violent les libertés syndicales ou d’autres qui ne déclarent pas leurs travailleurs à la sécurité sociale ou qui font dans l’évasion fiscale peuvent-ils mener un combat démocratique véritable et conséquent ?
    En conséquence, on ne peut refuser à qui que ce soit qui se proclame démocrate de lutter sur certains objectifs communs à tous (droit d’association, élections libres et transparentes…), mais on ne peut désarmer les forces populaires en exigeant d’elles qu’elles renoncent à lutter pour que leur conception du combat démocratique impliquant de cibler l’impérialisme et les partisans de politiques économiques antisociales afin qu’ils ne polluent pas et ne dévoient pas le légitime combat démocratique. Unité et lutte au sein de tous ceux qui se proclament démocrate sont une nécessité une et indivisible.
  • Le thème des associations a également été abordé.
    Pourquoi la mobilisation contre la nouvelle loi sur les associations n’a-t-elle pas permis de faire reculer le gouvernement ? Toutes les intervenants se sont accordés à constater la faiblesse de la mobilisation. Inconscience, démission, sectarisme… Plusieurs explications ont été avancées par les uns et les autres. Certains intervenants ont expliqué que cette loi était principalement dirigée contre les associations islamistes et leurs bailleurs de fonds moyen-orientaux, mais aussi contre les ONG venues des pays impérialistes – à l’exception étonnante de celles venant des USA – qui viennent « nous démocratiser » tout comme le colonialisme était venu jadis « nous civiliser ». Il s’agit bien évidemment de combattre le caractère liberticide de la loi sur les associations, mais sans tomber dans les rets des ONG étrangères dont l’action n’est pas philanthropique.
    Tous les présents s’accordent cependant sur le fait qu’il faut soutenir et propager l’idée de s’organiser partout et en toutes circonstances et ce, dans tous les domaines : quartier et village, sport, théâtre, musique… Le changement démocratique passe par l’auto-organisation la plus large de la majorité du peuple. De nombreuses initiatives de jeunes existent aujourd’hui. Elles doivent pouvoir jouir légalement du droit d’association afin de se faire connaître et de diffuser leurs messages dans la société.
  • La nécessité de prendre le temps de réfléchir, de penser et de s’appuyer pour cela sur les expériences et les penseurs passés et présents a été rappelée par nombre d’intervenants.
    D’Ibn Khaldoun et de sa connaissance intime et toujours actuelle des sociétés du Maghreb à Eric Hobsbawm et sa réflexion sur les notions de révolte et de révolution, de masse et d’avant-garde, en passant par Edgard Morin sur nos sociétés contemporaines, Dimitrov pour le rôle des associations dans la résistance victorieuse au fascisme en Bulgarie et d’autres ou du révolutionnaire russe Axelrod sur la liaison entre étude, propagation des idées et organisation, plusieurs intervenants ont souligné l’impérieuse nécessité de penser pour agir dans un mouvement de va-et-vient incessant.

Voir en ligne : http://afaqichtirakiya.wordpress.co...

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