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HOMMAGE À LUCETTE À LA FÊTE DE L’HUMA

vendredi 26 septembre 2014, par Sadek Hadjerès

Un hommage a été rendu à LUCETTE HADJ-ALI, le samedi 13 septembre 2014, à la Fête de l’Humanité, à l’initiative d’un collectif de camarades algériens, et avec le soutien de la section PCF de Bagnolet.

Née il y a 94 ans à Oran (Algérie), Lucette Hadj Ali, militante communiste, a vécu et milité en Algérie jusqu’aux années 1990. Elle est décédée le 26 mai 2014, près de Toulon.

Cette rencontre a permis de découvrir les témoignages d’ami(e)s et de compagnons de lutte de Lucette : Sadek HADJERES, dirigeant du PCA pendant et après la guerre d’indépendance et premier secrétaire du PAGS de 1966 à 1990 ; William SPORTISSE, dirigeant du PCA ; Rachida ARABI , enseignante et syndicaliste à la retraite.


Texte de Sadek Hadjerès
lu par Lounis Mohamed
le 13 septembre 2014
à la Fête de l’Huma

LUCETTE

À propos de Lucette, plusieurs périodes d’avant et après 1954 me reviennent au cœur et à l’esprit avec intensité. J’évoquerai seulement en priorité la plus importante à mes yeux : celle où nous avons traversé ensemble les 6 années de guerre d’indépendance qui ont suivi l’interdiction du PCA en septembre 55.

Sa participation fut étroite à des postes d’observation et d’action les plus importants. À tel point que j’ai souvent regretté, comme elle aussi, qu’elle n’ait pas pu apporter des témoignages de première main et d’une valeur inestimable à la hauteur de ce qu’elle a connu et traversé.
Certainement plusieurs choses l’en ont sérieusement empêchée : les épreuves subies après l’indépendance par son mari Bachir, suivies par la grave et longue maladie qui a emporté ce dernier.
Puis les conditions dangereuses et pénibles qu’elle a vécues durant la décennie noire 90 en même temps qu’elle militait pour les droits de l’homme et de la femme gravement et quotidiennement violés par les hégémonismes rivaux.
Enfin il y a eu, c’est du moins mon avis, l’absence autour d’elle d’un environnement et d’un cadre politique suffisamment sensibilisé à l’importance de ce travail de mémoire.
Quand elle l’a finalement entrepris dans ses dernières années, sur l’insistance de ses amis et malgré ses problèmes de santé, les souvenirs mentionnés dans son petit ouvrage ne représentaient qu’un mince reflet concret, souvent anecdotique, de son riche parcours de courage et d’abnégation.

Au-delà de certaines péripéties de la clandestinité en temps de guerre qui l’ont davantage marquée et qu’elle a racontées, il y manquait son témoignage important et circonstancié sur les problèmes politiques de fond complexes, souvent angoissants, que le PCA avait affrontés et souvent résolus, avec l’apport déterminant de Bachir dans ces multiples épisodes.

Car le grand mérite de cette action clandestine ne fut pas seulement d’avoir déjoué la traque militaire et policière et d’avoir réussi à maintenir la présence sur le terrain ; le plus grand mérite est que cette présence politique des communistes s’est exprimée dans un contenu et une action qui correspondaient vraiment aux intérêts de la nation et de l’idéal social des communistes que les forces hostiles auraient souhaité opposer l’un à l’autre

L’engagement de Lucette en cette période se réalisa d’abord sans interruption dans l’organisation de lutte armée des CDL (Combattants de la Libération) dont la création avait été décidée par le secrétariat du PCA en février de la même année 55, jusqu’à l’intégration des combattants communistes dans l’ALN au milieu de 56.
Puis à partir de juin 1957, la participation de Lucette fut tout aussi étroite à la direction de l’ensemble des luttes et activités politiques du PCA sur le sol national, autour de Bachir Hadj Ali et de moi-même. Nous avions en effet échappé aux multiples arrestations dont furent victimes durant cette première moitié de la guerre les autres dirigeants centraux présents à l’intérieur.

Dans la première période de guerre après 1955, Lucette comme membre du Comité Central, avait été affectée comme son oncle Camille au groupe qui entourait directement le noyau de direction des CDL, composé de Bachir Hadj Ali, de moi-même et de Jacques Salort.
Je dois dire que son passage à la vie clandestine, s’il était préférable pour elle à l’expulsion d’Algérie ou à sa mise dans un camp d’internement ou la prison, lui avait causé un grand déchirement familial.
Son engagement l’avait arrachée à ses deux garçons en bas âge, même si elle savait ces derniers entourés de l’affection vigilante de leur père Robert Manaranche, lui-même cadre militant (il avait entre autres participé auprès de moi à la rédaction et la direction de la revue Progrès en 1953 et 54). Menacé par la répression, il finira par être enfermé dans un camp puis expulsé vers la France.
Lucette subissait cela en serrant les dents comme dans toutes ses lourdes épreuves. Mais il est arrivé maintes fois dans les moments où la tension de guerre se relâchait autour de nous et nous laissait souffler un peu, qu’elle éclatait brusquement en sanglots. Cela lui faisait du bien, peut-être plus que les larmes silencieuses et amères de chacun de nous quand nous pensions à nos familles et aux amis, camarades et compatriotes qui tombaient chaque jour sous les balles ou étaient harassés par les brimades ou brisés par les tortures.
Cependant, une fois passées les alertes, les risques et les tâches épuisantes, elle partait des grands éclats de rire qu’on lui connaissait pour la moindre plaisanterie et le moral recouvrait les préoccupations sombres qu’il lui arrivait exceptionnellement de nous confier.

La réalité est que derrière la femme sensible, il y avait la militante déterminée qu’aucune difficulté, aucune fatigue, aucun risque ou danger ne faisait reculer. Même si après coup elle avouait une peur rétrospective et disait avec soulagement : qu’est-ce que j’ai eu la trouille !

Il est vrai que toutes les tâches qui lui étaient confiées l’exposaient plus que tout autre à un risque permanent, en plus du risque qui nous était commun : tomber sur des rafles ou contrôles d’identité, se trouver piégé dans un local ou un RV déjà tombé sous le contrôle ennemi, etc. Pour elle les tâches de liaison l’exposaient davantage encore.
Ces tâches étaient vitales non seulement pour que la direction assure sa propre subsistance et sécurité, mais pour que ses orientations et ses directives aient un réel impact dans la mobilisation militante et la société. Or ces tâches de liaison que Lucette assumait principalement auprès de nous (après 1960 elle sera aussi secondée par Eliette Loup revenue clandestinement après ses trois ans de détention, ainsi que Lucien Hanoun), ces tâches étaient multipliées dans un environnement hostile, imprévisible, alors que par sécurité elles ne pouvaient pas être confiées à un trop grand nombre de personnes.
L’exemple le plus typique est celui de la préparation de l’opération Maillot et ses prolongements. Lucette a assumé ainsi que Myriam Ben (Marilyse Benhaïm) une grande partie des liaisons nécessaires à une coordination minutieuse et précise entre les groupes d’acteurs souvent cloisonnés entre eux.

Dans ses tâches entrait aussi une incessante prospection des moyens logistiques tels que locaux de refuges ou de rencontre, véhicules, soutiens financiers, tout en respectant le maximum de discrétion et de cloisonnements. Une de ses réussites est d’avoir procuré sous sa couverture à Bachir pendant deux ans l’utilisation d’un appartement en plein centre d’Alger, loué à son insu par la parente huppée d’un important magistrat français raciste chargé de réprimer le FLN et les communistes, parente qui sans savoir de quoi il retournait, habitait le même immeuble. Il faut dire que l’utilisation de ce local nécessitait plus que d’autres une minutie extrême et nous a occasionné de nombreuses sueurs froides et manœuvres de vérification avant d’autres solutions de rechange (plus facile à dire qu’à trouver).

Entre autres, Lucette supervisait aussi les activités de solidarité financière et juridique envers les familles lourdement frappées par la répression, des familles qui étaient la plupart difficiles à joindre étant donné qu’elles étaient « marquées » aux yeux des services colonialistes.
Lucette le faisait entre autres à travers une camarade courageuse et astucieuse, Djamila Briki. Cette dernière était la femme d’un condamné à mort membre des CDL-ALN (Yahia Briki, ancien d’Alger-rep) , c’est à travers elle que se faisait le contact avec Josette Audin depuis l’arrestation et l’assassinat de son mari Maurice.

Parmi les autres activités très accaparantes de Lucette, il y avait la frappe et l’acheminement de documents confidentiels tels que la correspondance avec nos camarades à l’étranger, les documents en cours d’élaboration et parfois aussi la frappe et le tirage de documents destinés à la propagande du parti quand les camarades habituellement chargés n’étaient pas disponibles.

Il ne faut pas croire que les tâches de Lucette s’arrêtaient à ces aspects pratiques (y compris l’entretien domestique dont nous nous occupions tous par nécessité).
Elle était pleinement associée à la réflexion sur les décisions opérationnelles à prendre, aux tâches de discussion et d’élaboration politique et idéologique, par exemple écrire un article ou une étude.
Il fallait dans certains cas insister pour qu’elle s’y consacre : non par mauvaise volonté mais soit par scrupule de délaisser certaines tâches pratiques pressantes à ses yeux, soit par sous-estimation de ses capacités. En fait le résultat, mis en discussion et adopté, démentait ses craintes.
Nombre de ses écrits, en plus de tracts, ont figuré même non signés, dans nos publications clandestines : « El-Hourriya-Liberté » ou la revue « Réalités Algériennes et Marxisme ».

À son avantage, on dira que pour elle aussi l’esprit de parti ne se confondait pas avec beni-oui-ouisme ou suivisme automatique envers les orientations « officielles » ou dominantes. Elle avait et défendait ses opinions.
Quelquefois, quand notamment des évènements ou comportements suscitaient son indignation, la passion et la subjectivité prenaient chez elle des tonalités de rigidité, au moins temporaire, qui nous rappelaient certains traits sous lesquels s’exprimait la fermeté de son père Jean Marie ou son oncle (elle nous expliquait en riant et avec un peu de dépit comment enfant elle cachait sous sn oreiller les romans policiers que son père lui interdisait strictement).
Mais Lucette ne cédait pas aux entêtements, elle tenait aussi de la douceur de sa mère, elle savait écouter et prendre de la distance, elle était ouverte aux conclusions des analyses politiques auxquelles elle était associée et les enrichissait souvent de remarques pertinentes.

Au total, si je devais résumer comment j’ai perçu Lucette durant la guerre d’indépendance, je dirais un seul mot : abnégation.
Face à la dureté de la guerre, plus dure encore pour les communistes soumis également aux pressions de certains secteurs nationalistes, cette abnégation a mis à plusieurs reprises Lucette au bord de l’épuisement total.
Bachir était encore plus tendu, au point qu’en août 1961, on décida de les mettre au vert pour quelques jours dans une petite ferme des environs de Ain Taya.
J’étais venu les y voir en urgence pour une décision à prendre concernant Benzine menacé de mort au bagne de Boghari, d’après un message qui venait de me parvenir.
À ce moment, l’OAS démarrait de plus belle avec ses émissions pirates et l’assassinat du vieux père Duclerc, camarade syndicaliste du Ruisseau. Dans l’oasis inattendue que constituait la petite ferme au milieu de l’enfer, j’étais heureux de constater que Lucette et Bachir arrivaient à se détendre avant de reprendre le combat.
En y repensant je me dis : quel malheur que l’indépendance pour laquelle ils avaient tant combattu et espéré, n’ait pas répondu à la plénitude de leurs espérances, pour eux comme pour notre société.

Sadek Hadjerès,
le 9 septembre 2014,
destiné à Lounis Mohamed
pour hommage à Lucette à la fête de l’Huma)


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