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SEPTEMBRE 2014 LECTURES & LIVRES SIGNALÉS AU SITE SOCIALGERIE

jeudi 2 octobre 2014


“L’amant de la langue - Pour la mémoire vivante de Nour” - Pour Samia- texte de Azeddine Lateb ;


ICI ET MAINTENANT – APRÈS L’EXÉCUTION D’HERVÉ GOURDEL - MALIKA RAHAL - TEXTURES DU TEMPS - le 25 septembre 2014 ;


À PARAÎTRE LE 2 OCTOBRE 2014 : "LA GUERRE D’ALGÉRIE. LES MOTS POUR LA DIRE" - LES MOTS POUR LA DIRE, LA GUERRE D’ALGÉRIE
- Messoud BENYOUCEF - blog braniya blogspot - chiricahua - le 20 septembre 2014 ;


“L’EXIL FÉCOND” - par Belkacem Ahcene-Djaballah - Le Quotidien d’Oran - l’Actualité Autrement Vu" - 28 septembre 2014 :


L’amant de la langue

Pour la mémoire vivante de Nour

Pour Samia


Nour.

Lumière de la langue ; versets qui soulèvent le jour de la Nuit. La nuit

c’est quand l’attente assiège tassa*. Tassa, c’est l’indicible langage

de la mère. La longue attente. L’Attente. La mort.

Nour, c’est la lettre écrite dans la langue de la lumière : Lumière.

Tafat*, poème. Amant de la langue de la langue, Livre sacré de la Mère.

Le Livre des livres. La Mère renaissante dans le sourire des enfances ?

ininterrompues.

Il était ainsi mon frère. Il souriait, il parlait la langue de la Mère.

Awal* surgi de la terre, Akal*. Ameslay* bercé par la Mère, la Terre.

Goutte de miel dans la bouche des enfants.

Il était ainsi mon frère, il berçait les mots, les lettres. Ils sont

fragiles, les mots. Il les protégeait de la nuit de la langue.

Le sommeil est la patrie des Ogres. Il pétrissait les lettres comme

l’argile. Oulman* filés en quenouille, le geste vivant de la mère qui

file la laine.

Azetta*. C’est l’écriture sainte de la Mère. Ses mains, sa craie, geste

qui souffle la vie à la vie. Sein tendu à l’enfance. Aux enfances.

Dans le langage de la tribu, abernous*, c’est le langage sacré de la

laine. Oulman. Aman*. La vie qui conjugue la vie à la vie.

Il était ainsi mon frère,

Amastan*.

Il était ainsi mon frère.

Il est le digne fils de la parole. Parole de la parole. Amant de la

langue.

Les faux-frères ne parlent pas la langue de la terre, de la mère.

Matricide.

La démagogie est l’idéologie des Ogres.

Tagmatt* , balbutiement du langage du feu ; fatiguée, vidé par les faux

frères.

La Mère blessée.

Les frères, c’est la vie qui conjugue la vie à la vie ; mains qui

fatiguent le malheur, la mort de la Mère.

Les frères, mains qui pansent les blessures de la Mère. Craie blanche,

lait de la Mère. Vie dans le geste d’écrire la Mère. La mère c’est la

vie qui conjugue la vie à la vie.

Les faux-frères c’est le sang de la Mère, brebis sacrifiée pour honorer

la divinité noire. Ogresse de l’ogresse. Wayzen*.

Ils sont ainsi les faux frères, ils n’ont plus le goût des mots. Ils

massacrent les mots, les êtres. Ils sacrifient la langue sacrée de la

Mère pour ne plus parler la vie ; ne plus faire entendre la chanson

renaissante des sources.

Les faux-frères, les fausses-sœurs, le faux-pays :

La fausse couche du Pays.

Il est ainsi mon frère,

sourire dans le futur.

Le futur c’est la mémoire de l’enfance.

Azekka*, demain, c’est ce qui prolonge la vie, la parole. C’est ce qui tire la langue de la mère de la mort, Azekka, tombe.

Il était ainsi mon frère,

amant de la langue.

Azeddine Lateb

Notes :

Tassa : foie, siège de la tendresse et de l’affection maternelle.

Tafat : lumière.

Awal : parole.

Akal : terre.

Ameslay : mot.

Oulman : laine.

Azetta : métier à tisser.

Abernous : burnous.

Aman : eau.

Amastan : protecteur, défenseur.

Tagmatt : fraternité.

Wayzen : Ogre.

Azekk : demain.

Aẓekka : tombe.

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LES MOTS POUR LA DIRE, LA GUERRE D’ALGÉRIE

blog braniya blogspot - chiricahua
le 20 septembre 2014

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"La guerre d’Algérie. Les mots pour la dire"

sous la direction de CATHERINE BRUN,

à paraître aux éditions du CNRS,
le 02 octobre 2014.

pour lire la présentation du livre : 4ème de couverture et sommaire, cliquer ici (...)

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APRÈS L’EXÉCUTION D’HERVÉ GOURDEL
ICI ET MAINTENANT
Textures du temps
Malika RAHAL
le 15 septembre 2014

Un randonneur, guide de montagne, Hervé Gourdel, a été kidnappé, puis décapité, par un groupe armé qui se revendique désormais d’un Da‘ech de cauchemar. Son enlèvement a eu lieu au dessus de la forêt des Aït Ouavane, sous la ligne de crête, à proximité du Parc national du Djurdjura, lieu d’une étrange compétition entre le tourisme et la violence depuis les années 1930.

L’annonce de son enlèvement m’a rappelé une randonnée en montagne, dans ce même parc autour de la station touristique de Tikjda, sous les cèdres et les pins noirs de l’Atlas en 2011. Il y avait à l’époque quelque chose d’un peu osé dans cette promenade, la sensation d’être un brin aventureux, car pour beaucoup de ceux qui avait connu le parc national avant la guerre civile, l’appréhension était encore trop grande. On parlait de groupuscules terroristes encore actifs en Kabylie, et d’enlèvements crapuleux. Le weekend, quelques familles montaient à la station pour l’après-midi, mais par peur ne s’en éloignaient guère créant une zone d’étrange surpopulation au milieu des chalets ; elles se pressaient de redescendre avant la nuit. À dix pas de là, la forêt était tranquille.

L’ami qui guidait cette découverte connaissait parfaitement les lieux, et nous sommes restés dans des zones sûres. Mais il se souvenait très bien, quelques années auparavant alors qu’il randonnait sous les arbres, d’avoir trouvé un terroriste dormant roulé dans son sac de couchage, son arme à ses côtés ; il s’était alors esquivé sans bruit. Il se souvenait aussi, durant la Décennie noire que le parc avait été entièrement fermé aux touristes. Pour la randonnée, il avait fallu se rabattre sur un autre massif, mais là aussi les possibilités de marcher se réduisaient comme peau de chagrin. Le terrorisme avait cette façon de limiter l’espace des gens, de leur interdire progressivement des lieux qui étaient les leurs, lieux de vie ou de plaisir, lieux d’activités collectives et de travail.

Mais en 2011, les alentours de la station étaient sûrs, et nous avons marché sans crainte.

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Parc national du Djurdjura, mai 2012 ©Malika Rahal

Les traces des guerres d’avant étaient partout au milieu d’un paysage féérique : fioles d’eau de vie des rations de l’armée française dans les sous-bois, qui témoignaient de l’intensité de la présence militaire durant la guerre d’indépendance ; et plus frappantes, parce que fréquentes, ces boîtes de conserves de l’ANP, l’Armée nationale populaire, dont les dates de péremption témoignaient qu’elles dataient toutes de la Décennie noire, de la guerre civile des années 1990 et que l’on trouvait presque à chaque pas.

Tikjda a été un lieu de tourisme et de randonnée prisé à partir des années 1930, durant la colonisation française. Les Européen s’y rendaient pour faire du ski ou de la randonnée, et des chalets se sont construits. Les traces du local du Club Alpin Français sont encore visibles entre les arbres. Alentours, les forêts domaniales de cèdres et de pins avaient été constituées à partir de terres spoliées au 19e siècle. Les paysans luttèrent pied à pied contre l’administration, des années durant pour conserver leurs terres, les archives nationales en révèlent les traces [1]. L’administration française expropriait encore à tour de bras dans les années 1930 pour constituer le parc naturel du Djurdjura, puis pour créer la station estivale de Tikjda dans les années 1950. Ici comme ailleurs, les paysans spoliés ont dû rêver en 1962 que la révolution leur rendrait leurs terres. Mais aucun État sérieux ne rend jamais la forêt domaniale, symbole de souveraineté, quand bien même il est révolutionnaire.

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Détail d’un acte de propriété remis à l’administration pour empêcher (en vain) le séquestre d’une terre forestière du Bou Djurdjura, Archives nationales d’Algérie ©Malika Rahal

Contrairement à la rhétorique de 1962 « année zéro », la continuité de l’État a donc prévalu, et les forêts propriétés de l’État français sont passées aux mains de l’État algérien tout frais émoulu de la révolution. Le premier parc national algérien y a été créé en 1983, aboutissement du développement du tourisme national à l’époque du président Houari Boumediene. Un Autrichien, Winfried Müller, alias Si Mustapha Müller, ancien combattant de l’ALN est connu pour avoir été l’artisan du parc, et le premier promoteur de la défense de l’environnement. À lui seul, Mustapha Müller mériterait un ouvrage. On raconte qu’il avait fui un camp de concentration en Autriche durant la Seconde Guerre mondiale ; qu’il avait rallié le Front de l’est et les forces soviétiques, que durant la guerre de libération il avait rencontré des représentants du FLN et avait rejoint l’ALN. On raconte aussi qu’il était proche de Boumediene, et que leurs liens remontaient à la guerre. La plupart des gardes forestiers du parc ont été formés par lui.

Parce qu’elle est à seulement 150 km d’Alger, Tikjda est très présente dans les souvenirs des habitants de la capitale. Pour bien des gens, elle est synonyme de vacances en famille, à l’époque où l’on faisait du camping sauvage, quand les groupes de jeunesse organisaient des camps de vacances. On entend régulièrement dans ces souvenirs la découverte et l’appropriation d’un territoire désormais national, de ses plages, montagnes, forêts et désert, dans les années qui suivent l’indépendance, en même temps que l’émergence d’une classe moyenne, même modeste, susceptible de profiter des installations hôtelières nouvelles construites durant la période Boumediene.

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Parc national du Djurdjura, mai 2011 ©Malika Rahal

Durant la Décennie noire, le parc, la forêt, la haute montagne représentaient le rough terrain, le terrain hostile idéal pour mener une guérilla. Au cœur de la station, l’hôtel fut occupé par un groupe armé d’une poignée d’hommes. La stratégie de reconquête par l’armée est difficile à établir, même si les traces d’une présence militaire intense sont partout. L’armée, dit-on, aurait échoué à déloger les terroristes de la station et aurait finalement joué des rivalités locales pour reprendre le dessus ; des pans entiers de la forêt auraient été détruits pour ôter toute protection aux groupes armées ; un vaste incendie en 1998 aurait détruit des cèdres centenaires, et pour certains, il se serait agi pour l’armée d’enfumer les terroristes. De fait en 2011, de vastes zones déforestées dans le sud-est du parc étaient visibles, les arbres coupés au niveau du sol, étayant l’idée qu’il avait fallu priver les groupes armés de tout refuge. Nul doute en tout cas que la forêt, le sol, les arbres eux-mêmes portent les stigmates de la guerre civile, et qu’ils ont une histoire à raconter et, tels une archive, nous aiderait à comprendre ce qui s’est réellement passé durant ces années [2].

Un témoin algérois m’a raconté le retour en Algérie, dans les années 2000, de sa fille partie à l’étranger durant la guerre alors qu’elle était encore adolescente. La jeune femme avait absolument tenu à voir à Tikdja, lieu de moments heureux de son enfance. Son père l’avait prévenue, tenté de la dissuader : elle serait déçue, la forêt n’était plus ce qu’elle était. Rien n’y a fait, il fallait qu’elle voie. En voiture, sur la route, il a pris le dernier virage avec appréhension, avant de s’arrêter en contrebas pour contempler le parc de loin. À côté de lui, face à la forêt dévastée par la guerre, sa fille n’était que frissons et sanglots. Il n’oublierait jamais ce moment. Le corps de la forêt, lieu du loisir et du plaisir collectif à être ensemble, à se forger entre-soi autour d’un idéal, socialiste peut-être, de modernisation, qui incluait la découverte et la pratique récréative et sportive de l’espace et du territoire fonctionnait comme une métaphore du corps collectif profondément blessé par la guerre civile. Ce qui semble bien avoir freiné le retour des touristes, c’était l’inquiétude sécuritaire, et la difficulté à croire que la région était sûre ; c’était aussi, au moins un temps, la douleur de contempler dans le paysage le miroir des ravages que la guerre avait infligés à ce “nous”.

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Parc national du Djurdjura, mai 2011 ©Malika Rahal

Dans les deux dernières années, cependant, j’ai senti durant mes séjours en Algérie, renaître timidement, doucement, le plaisir à être ensemble, à organiser de la vie collective et à la faire connaître. (Il y a bien sûr toujours eu de la vie collective, mais au sortir de la guerre, l’envie et la fierté du collectif était plus difficile à percevoir). Comme si la société sortait enfin de la sortie-de-guerre, de la sidération provoquée par la guerre civile. Et parmi les signes de la fin de la sidération, la multiplication des groupes de randonneurs, qui n’étaient plus désormais composés seulement d’aventuriers-têtes-brûlées, mais aussi de groupes familiaux qui allaient passer un moment agréable durant la weekend, faire du sport, penser à leur bien-être. On s’est passé le numéro de téléphone de l’hôtel de Tikjda, d’abord avec un peu d’incrédulité, puis avec plus de naturel. J’ai vu au café de l’hôtel, encore quasiment vide, de rares clients faire la morale à un serveur nonchalant et approximatif : il fallait être exigeant avec le service, les tasses à café devaient être plus propres ; que diantre, il fallait montrer un peu d’enthousiasme si on voulait que les gens reviennent ! Dans cet étrange paternalisme, il y avait un désir perceptible de se sortir du marasme, de l’impossible vie normale, de l’impossible vie commune. Tikjda a été pour moi l’un des baromètres de la vie collective, de la disparition progressive de la crainte, de la renaissance de l’envie d’être ensemble.

Depuis 2012, l’on célèbre quotidiennement le vingtième anniversaire des morts de la guerre civile, et leurs noms s’égrainent. Dimanche dernier, jour où l’on a annoncé l’enlèvement d’Hervé Gourdel, c’était le tour de l’économiste oranais Abderrahmane Fardeheb. Point de commémorations officielles, les lois d’amnistie et de Concorde civile ont rendu difficile l’évocation de la tragédie collective, mais des commémorations informelles, associatives, familiales, individuelles, électroniques qui sont partout, et dénoncent toujours le silence des autorités.

C’est dans cette temporalité là, de lutte pour la commémoration et pour les mots, qu’intervient d’exécution d’Hervé Gourdel, et ses bourreaux le savent bien. C’est aussi dans ce lieu là, où la projection de soi collectivement est si forte, où le rêve d’une Algérie indépendante a pris pour tant de gens des formes si simples et si concrètes qu’elle a été perpétrée. Le geste et la vidéo, destinée à terroriser, réactivent des souvenirs encore trop proches, un traumatisme qui commencent à peine à être mis en mots ; ils interdisent de nouveau des lieux collectifs que l’on se réappropriait avec une lenteur pénible. L’angoisse n’est pas si loin qu’elle ne puisse se réinstaller, les bourreaux le savent. Depuis hier, le temps est suspendu.

Il va nous falloir beaucoup de mots pour ne pas laisser la sidération nous reprendre. Et des promenades en forêt. Il nous faut des promenades en forêt et des randonnées en montagne.

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Parc national du Djurdjura, mai 2011 ©Malika Rahal

Forum :

  • de Malika Rahal
    Ce texte a été écrit dans la nuit qui a suivi l’annonce de l’exécution d’Hervé Gourdel et mis en ligne au matin. Depuis, des amis marcheurs m’ont fait quelques remarques.
    La première, c’est que la distance entre Tikdja et le lieu où Hervé Gourdel aurait été kidnappé est de 17 km. Dans le massif, dit l’un d’eux, 17 km c’est un monde. La zone où il a été enlevé était connue comme étant dangereuse depuis longtemps, d’autres zones ne le sont pas du tout. Il ne faut pas tout mélanger.
    Ensuite, ces randonneurs ont au contraire l’impression que les touristes sont revenus en grand nombre, en trop grand nombre, bien plus tôt que ce que je ne dis. Avec une pointe de malice, je m’aperçois que certains ont aimé ces années, entre retour de la sécurité et retour de la foule, quand ils ont pu profiter du paysage dans le luxe d’une certaine solitude.
    Et enfin, l’un d’eux m’a fait reproché de n’avoir pas dit à quel point le lieu était magique. C’est vrai, je n’ai pas insisté, pensant que mes photos en parleraient mieux que moi.
  • Algérie Focus Revue de presse.
    Assassinat d’Hervé Gourdel : "Il va nous falloir beaucoup de mots pour ne pas laisser la sidération nous reprendre" -

Sources : Textures du temps

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L’exil fécond

par Belkacem Ahcene-Djaballah
le Quotidien d’Oran
L’Actualité Autrement Vue
28 septembre 2014

« Les balcons de la mer du Nord »

Roman de Waciny Laredj.

Editions Alpha,

365 pages, 850 dinars,

Alger 2010

(Première parution en arabe en 2002, à Beyrouth, et première parution en français en 2003, à Paris.
Traduit alors par Catherine Charruau avec la collaboration de l’auteur)

Quelle(s) histoire(s) ! D’abord celle d’une femme. Puis d’un pays. Les deux (désespoirs et amours) se confondant. Mais, tous les deux plongés dans une douloureuse tristesse et dans une re-cherche du bonheur et du pays perdus. ... Le pays a sombré dans le crime et le sang, dans la chasse de tout ce qui doute ou pense, dans le meurtre de tous ceux qui créent. La re-cherche de la femme aimée, physiquement partie définitivement mais toujours occupant l’esprit et le cœur. Heureusement, il y a l’art, la sculpture, l’expression culturelle… clandestine, et heureusement reconnue ... par les autres. L’étranger ! Dans les balcons de la mer du Nord. Amsterdam, la paisible, l’équilibrée, chargée d’histoire, antre des belles –lettres et des arts, à la mémoire toute pleine. Le refuge et, peut-être, la nouvelle raison de vivre !

Le héros de Yacine Kateb a eu, pour amour et espoir, Nedjma. Celui de Waciny Laredj a, pour aimée et désespoir Fitna. La prêche est dite ! Les deux sont perdues à jamais, mais il y a, heureusement, des héritières… toujours, hélas, dans l’ailleurs : Clémence (Traduisez Rahma, la fille (?) de Fitna… et de Yacine, conçue il y a bien longtemps), et, surtout, Narjis, l’amour platonique (et seulement épistolaire) de la prime jeunesse. Alors, une voix de la radio… désormais exilée. Des retrouvailles qui réconcilient le héros avec l’amour mais pas avec l’espoir… Peut-être à Los Angeles, la prochaine étape ? Qui sait.

Avis - Superbe traduction d’un mélange extraordinaire de plusieurs récits de vie... avec pour fonds la tragédie nationale ayant poussé à l’exil, et l’amour, seule bouée de sauvetage de l’humain. Il est évident que la lecture en arabe (l’écriture étant bien plus « poétique ») apporte bien plus de contentements intellectuels à notre imaginaire « oriental ». Mais, comme il ne faut jamais « rater » une œuvre de Waciny Laredj...

Extraits :
« La magie du hasard, c’est qu’il est toujours exceptionnel »(p25),
« Seule l’imagination nous permet de supporter la fatalité de notre mort car elle est notre moyen d’oubli le plus grand« ( p 25),
« Notre peuple refuse le moyen terme ; lorsqu’il aime, il se fond en l’autre et lorsqu’il hait, il se détruit avant de détruire l’autre« (p 101),
« Notre grand défaut, c’est que nous nous employons à produire nous-mêmes nos embûches » (p 138),
« Le châtiment le plus cruel que l’on puisse infliger à un homme, c’est l’oubli. La mort est plus clémente » (p 153),
« Ce pays n’a pas de mémoire et il détruit sans hésiter ce qu’il produit de plus beau » (p 016),
« L’amour de la patrie n’est pas comme le patriotisme(…). La patrie est une terre qu’on hume chaque matin et des passions qui renaissent sans cesse de leur mystère (…) .Quant au patriotisme (…), il peut s’autodétruire sans hésiter si l’intérêt l’exige » (p 268),
« L’art répare l’esprit, il donne à l’être la force de vivre » (p 296),
« Le fruit de la tentation, c’était le sein, pas la pomme. Je ne vois pas Adam braver le serpent à cause d’une pomme ou alors c’était un crétin ! » (p 332),
« Quand tu aimes, n’aime pas de tout ton être, tu mourrais trahi. Garde pour toi un peu de toi-même pour pouvoir rester debout » (p 366),
« La cancer (…) c’est l’illustration par excellence du sadisme de Dieu. Il te torture et il te déforme avant de t’achever » (p 332).

_____

« Ecrits d’exil »

Essai et recueil de textes de Ali El Kenz.

Casbah Editions,

494 pages, 900 dinars,

Alger 2009

S’il y a un aspect de la vie de l’auteur qui n’est pas très connu, c’est qu’il a été, dans sa jeunesse, du temps où il était lycéen, recordman d’Algérie du 100 m... ou du 60 m plat. Je ne m’en souviens plus. Il sera donc toujours un sprinter, spécialiste des petites distances. Il y a excellé.

Sociologue, politologue, philosophe… Il est vrai que la formation normalienne de base (celle de l’époque, pas celle d’aujourd’hui) doit être pour quelque chose dans cette maîtrise de toutes les questions. Ajoutez-y de l’engagement et on comprendra mieux l’érudition du bonhomme qui s’est frotté “aux connaissances de tous les horizons”, exil (forcé) oblige.

On le comprend encore bien mieux lorsqu’on lit les 112 pages consacrées à son itinéraire l’ayant mené de Skikda, sa ville natale, à Nantes en passant par Constantine, Alger, Le Caire, et Tunis. Un ouvrage à lui tout seul et qui, revu et augmenté, pourrait être un “bijou” mémoriel merveilleux.

Le reste de l’ouvrage est consacré à l’essentiel de sa production, en commençant, bien sûr (peut-on y échapper ?) par une présentation de la pensée de Gramsci « rencontrée tardivement... par les Arabes ». Une pensée qui a énormément marqué nos intellectuels, ceux des années 60 et 70… pour la plupart septuagénaires ou plus de nos jours mais toujours dominant les débats. Une deuxième partie est consacrée à des analyses assez fines (et qui, en leur temps, avaient « fait fureur ») issues d’une étude sur « l’industrie et la société » à travers la SNS. Puis, vient une partie consacrée à « l’état de la liberté intellectuelle en Afrique » (et dans les pays arabes). Plusieurs sujets, une démarche rigoureuse avec, militantisme et engagement obligent, un objectif : « penser avec nos têtes, en fonction de nos réalités » pour « construire sur des bases et avec des matériaux durables ».

Pas facile ! Surtout lorsqu’on se retrouve face à des pouvoirs d’Etat « atypiques », au point qu’ils échappent à l’observation et donc à l’analyse.

Les théories classiques volent en éclat, comme celle des « Deux corps du Roi », définie par l’historien Ernst Kantorowitc, qui distinguait avec cohérence « le corps physique du Roi » visible « à souhait avec sa cour et ses rites qui changent et meurent avec le temps, du « corps instituant » invisible et durable dans le temps long de la structure. « Certes, il y a de cela en Algérie, sauf qu’ici, l’institué et l’instituant interfèrent sans cesse sans que l’on comprenne les règles déterminant les positions, les rôles et les mécanismes des différents acteurs en présence ». L’étude consacrée à l’Algérie : « De l’espérance du développement à la violence identitaire » (p 275) est à lire, et à relire absolument. Peut-être comprendrions-nous mieux « l’énigme algérienne » et prévenir ainsi les futures dérives. Bien sûr, il est trop tard, le mal est fait mais, on ne sait jamais, car les bêtes immondes et les éléments nihilistes sont encore là, tapis, attendant la moindre conjoncture favorable, attendant leur heure.

Avis - À lire, bien sûr. Mais allez-y tout doucement... pour déguster.

Extraits  :
« L’histoire sociale d’un pays est inscrite dans sa langue, ou plus précisément dans ses langages » (p 58),
« Dans les temps de malheurs, contrairement à ce que croyait naïvement le président Boumedienne, ce sont les « hommes » qui restent, pas les « institutions » (p 81),
« Le nihilisme de la société est la réaction malheureuse, au déni de justice du politique » (p 106),
« Amener le petit comme le gros, le faible comme le puissant, l’homme comme la femme(...) à accepter les mêmes règles, cela s’appelle « l’Etat de droit » et les règles de cette axiomatique, des lois . Dont la première, sa loi fondamentale est l’égalité de tous devant la loi, y compris l’axiomatique elle-même » (p 112),
« Ce n’est pas la sortie qui est difficile, mais la marche, nécessairement scientifique, qui conduit vers cette sortie » (p 478)

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« Les dernières vendanges »

Roman (et autres récits)

de Mouloud Achour.

Casbah Editions,

260 pages, 500 dinars,

Alger 2012 (Première

parution en 1975, Sned-Editions)

En fait, c’est bien plus qu’un roman. Car, il y a, aussi, en plus du gros de l’ouvrage (tout un véritable roman), cinq autres récits, assez courts, dont l’un, recueilli au cours d’un reportage, « est rigoureusement authentique ». Des récits de vie, la vie de tous les jours, des sortes de grands reportages en la forme romancée. Des récits qui, il ne faut pas l’oublier (pour les « anciens ») et en tenir compte (pour les « jeunes ») très en phase avec les (dures) réalités de l’époque. L’auteur, en son temps, s’y était lancé... malgré les difficultés du contexte politique de l’époque. La critique, même la plus anodine, du système politique en place, n’était alors pas admise. Par exemple, critiquer, même de manière subtile et même avec des « happy ends », la gestion collective des terres agricoles (les domaines dits « autogérés ») ou, par la suite, la « gestion socialiste des entreprises », pouvait valoir bien des mesures de rétorsion ou des sanctions (comme l’interdiction d’écrire ou la « mise au placard », sinon bien plus). Heureusement que les politiques (les « décideurs ») de l’époque ne lisaient pas beaucoup de livres et encore moins les romans, se suffisant des rapports de leurs « veilleurs » et autres « écouteurs ».

Rappelons que l’auteur, après avoir été enseignant, s’en est allé, par la suite, rejoindre le monde de la presse au sein duquel, il avait réussi à imposer une écriture journalistique mieux argumentée, plus recherchée, simple et compréhensible, moins « langue de bois », bref plus littéraire, tout particulièrement dans les pages réservées à la culture… alors bien ternes et austèrement « informatives ».

Avis - De la littérature « tranquille » (sur fond de société perturbée) qui nous change de la littérature globalement « perturbée » actuelle.

Extraits :
« La foi véritable se passe d’ostentation, de même que la véritable richesse » (p 190),
« L’être cher ne nous apparaît véritablement que lorsque sa présence vient à nous manquer » (p 208),
« La vie moderne impose des obligations et le milieu originel des contraintes. L’une ou l’autre finit tôt ou tard par l’emporter, mais une telle résolution entraîne un inéluctable déchirement » (p 238).

Sources Le Quotidien d’Oran

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[1Notamment dans la forêt des Azerou ; le conflit pour la terre du douar de Tighrempt (commune mixte de Maillot) par exemple a duré au moins jusqu’en 1938, plus de dix ans après l’arrêté de 1927 portant création du parc naturel du Djurdjura.

[2On ne résiste pas à raconter que depuis quatre ans, un tel projet à été rédigé et proposé à plusieurs institutions finançant la recherche. À leur intérêt, et parfois leur enthousiasme sur le fond, s’est opposée une question lancinante : qu’est-ce que ça nous apprendrait de la guerre et la violence ? Pourquoi faire ? Qui cela concerne-t-il ? Il faut dire que durant cette période, l’Algérie n’a pas intéressé beaucoup. Nul doute que depuis hier, les mêmes financeront des recherches de court terme, sans terrain désormais trop dangereux, ni travail de fond, pour parer en urgence à la nécessité de savoir.

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