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النداءات الموجهة للجيش والانتقال الديمقراطي

LES APPELS À L’ARMÉE ET LA TRANSITION DÉMOCRATIQUE

débat

dimanche 1er mars 2015

à propos du texte d’analyse, en arabe et en français, signé par quatre personnalités universitaires Madjid BENCHIKH, Ahmed DAHMANI, Aïssa KADRI, Mouloud BOUMGHAR, et publié le 27 février 2015 dans El Watan sous le titre " LES APPELS À L’ARMÉE ET LA TRANSITION DÉMOCRATIQUE" et dans Al Khabar " النداءات الموجهة للجيش والانتقال الديمقراطي "

... On peut discuter dans le détail certaines approches et argumentaires des analyses présentées par les quatre personnalités universitaires. Mais les conclusions les plus importantes pour les mobilisations et les exigences présentes sont celles exprimées dans les derniers paragraphes Elles vont au-devant des constats et enseignements de l’expérience qui émergent de plus en plus consciemment dans les milieux et les forces les plus attachées à la souveraineté nationale, aux libertés démocratiques, à la justice sociale, aux voies et méthodes pacifiques.

Ainsi lit-on :
« … La tâche la plus difficile est d’abord de reconstruire le lien social et la confiance dans une société atomisée et préoccupée par un quotidien pesant. Cette évidence a déjà été rappelée. Mais la manière dont se déroule une partie du débat public mérite qu’elle le soit encore. Cette reconstruction s’accomplira par l’engagement dans toutes les luttes sociales et politiques et par le travail à leur convergence.

Et ce travail ne peut être mené qu’avec une action en profondeur des syndicats, des partis politiques, des associations et des groupements informels de différentes sortes dans les régions, dans les villes et dans les campagnes, dans les universités et les lieux de travail. C’est ainsi qu’émergeront les acteurs capables de concrétiser les projets porteurs des aspirations des Algériennes et des Algériens à la liberté et à la justice sociale.

Enfin, c’est le lieu de dire que la voie pacifique et le dialogue ne peuvent en aucune manière signifier un renoncement ou le non-recours aux meetings, aux manifestations publiques, dans la rue ou sur le lieu de travail, à la grève, aux pétitions ou au boycott, à la création d’associations de fait, en un mot à l’exercice des libertés publiques et individuelles pour mettre en échec les blocages d’une administration aux ordres. Il s’agit là, chacun le sait, des instruments par lesquels s’organise le travail sérieux vers une transition démocratique… »

Y a-t-il donc, en écho à ces justes constats, des signes prometteurs, politiques, sociaux et culturels d’une maturation souhaitable et propice à la construction de mobilisations et d’un rapport de forces en faveur d’une sortie du cercle vicieux antidémocratique où s’est enlisée l’Algérie après l’indépendance ?

On peut déduire des évolutions récentes, que ces signes existent même s’ils sont au stade d’une émergence encore fragile. Ils appellent à les amplifier et les consolider.

Pour Fayçal Sahbi par exemple, auteur dans Huff Maghreb Algeria (1er mars 2015) d’un article sur les problèmes linguistiques en Algérie, les récentes actions courageuses et convergentes des couches populaires et des cadres au nord comme au sud du pays (contre l’aventure du gaz de schiste et autres bradages et méfaits antidémocratiques), sont en profondeur le signe d’une évolution féconde. Au regard de ce processus, les polémiques symboliques habituelles, porteuses de diversion et de division entre arabophones et francophones n’ont au final pas grand intérêt, estime-t-il. Voulant dire par là que sur le terrain et dans leur vécu, même quand ils parlent des langues différentes, les acteurs courageux et conscients d’In Salah ou de la zone industrielle de Rouiba et d’ailleurs parlent un langage algérien commun, le langage de la contestation face à l’injustice, celui de la lutte pour la vérité.

Cette observation est une indication précieuse de plus pour répondre à la question : sur quoi faut-il le plus tabler pour les changements substantiels souhaités ?

La réponse est : non pas sur les seuls accords ou marchandages autour de tables de négociation entre partenaires nationaux. Mais fonder plutôt les espoirs fiables et durables sur les évolutions en profondeur de la société et leur influence la plus grande possible sur les acteurs du champ politique et des instances militaires et civiles. Les changements seront plus ou moins en ampleur et en qualité selon les capacités des bases populaires et militantes à influer sur les facteurs et les enjeux socio-économiques et stratégiques (nationaux et internationaux).

La conjoncture nationale et internationale actuelle est critique. Elle est marquée particulièrement par un contexte géostratégique régional très dangereux, une baisse drastique des recettes en hydrocarbures sur fond de démantèlement grave du secteur productif, une fragilité politique inquiétante du front intérieur. Ces ingrédients conjugués ont déjà détruit ou gravement endommagé des Etats et des nations proches de nous géographiquement, culturellement et par la communauté d’intérêts.

Dans ces conditions, l’Algérie doit et peut sortir de l’engrenage maléfique qui a sapé le potentiel productif des secteurs aussi bien public que privé. Toutes les composantes algériennes aspirant légitimement à leur survie sont confrontées au défi d’œuvrer et converger à leur salut collectif, qui est aussi le salut de chacune d’elles en particulier.

Cette voie de la sauvegarde des acquis nationaux et étatiques est vitale, à la lumière des expériences et des épreuves subies depuis l’accession à l’indépendance. Elle implique que les acteurs nationaux, sociaux et culturels prennent suffisamment conscience ensemble des interactions objectives qui lient leurs destins au-delà de leurs intérêts légitimes particuliers et de la diversité de leurs sensibilités idéologiques.

L’institution militaire assumera mieux sa vocation et sa responsabilité de défense de l’intégrité et de la souveraineté nationale, si la société dans ses courants multiples parvient à se libérer suffisamment des contraintes qui ont piétiné ses droits et entravé sa cohésion et sa participation au développement national.
Quant à la société, ses potentialités démocratiques et son poids dans l’Etat et le fonctionnement des pouvoirs seront d’autant plus grands que l’institution militaire au service de la Patrie marquera mieux ses distances envers les courants néolibéraux (nationaux et internationaux) les plus actifs dans la prédation, la corruption et la désintégration nationale et sociale.

SH, 4 mars 2015

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En plus du texte des quatre personnalités universitaires publié par les quotidiens El Khabar et El Watan, « Socialgérie » a estimé intéressant pour la réflexion et les débats, de reproduire quelques points de vue exprimés les sept années précédentes par Sadek Hadjerès dans plusieurs organes de la presse nationale à propos de la relation complexe établie depuis l’indépendance entre l’institution militaire, la société et le champ politique en matière d’ exigences nationales et démocratiques.



النداءات الموجهة للجيش والانتقال الديمقراطي
le 27 février 2015 مجيد بن شيخ , أحمد دحماني , عيسى قادري, مولود بومغار


LES APPELS À L’ARMÉE ET LA TRANSITION DÉMOCRATIQUE - MADJID BENCHIKH - AHMED DAHMANI - AÏSSA KADRI - MOULOUD BOUMGHAR - El Watan - le 27 février 2015 ;


EST-IL TROP TARD POUR EN FINIR AVEC LE GRAND RATAGE NATIONAL ? - Sadek HADJERÈS - Le Quotidien d’Oran- socialgerie - le 1er mars 2014 ;

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L’ARMÉE, LA DÉMOCRATIE POLITIQUE ET LA SOCIÉTÉ - par Sadek Hadjerès - juillet 2008 ;


27-02-2015
مجيد بن شيخ
أحمد دحماني
عيسى قادري
مولود بومغار

تضاعفت في السنوات الأخيرة النداءات الموجهة إلى الجيش للتدخل في الحياة السياسية من أجل وضع حد للأزمة والعمل لتحقيق انتقال ديمقراطي. وتصدر هذه النداءات من حركات سياسية مختلفة، وتتضمن بعض الفرقات الصغيرة تسمح بالتمييز بين أصحابها. لكنها مبنية، بصفة عامة، على تحليلات متقاربة. هذه النداءات تبين حدود مشاريع الانتقال الديمقراطي، وتجعلها ضعيفة وغير منسجمة.

1- الجيش في قلب النظام السياسي

إن النداء الموجه إلى الجيش مبني على فكرة، صريحة أو ضمنية، أنه لا توجد أية قوة سياسية قادرة على فرض إصلاحات تسمح بإدخال الديمقراطية على النظام السياسي. هذه الفكرة صحيحة بما أن المنظمات السياسية، النقابات والجمعيات الحاضرة في الساحة السياسية، غير قادرة على صياغة أهداف واضحة، وحشد جهات مهمة من المجتمع من أجل الدفاع عنها وفرضها. بطريقة أخرى، يتم اللجوء إلى الجيش بسبب انعدام وجود قوة سياسية قادرة على تحقيق الإصلاحات الديمقراطية ووضع حد للأزمة، حيث إنه لا يمكن تحقيق التغيير دون تدخّل المؤسسة العسكرية.

يستند هذا التحليل أيضا على نقاط غير معلن عنها، والتي لابد من توضيحها. في الواقع، لا يجب أن تنسينا النداءات الموجهة للجيش أن قيادته كانت دائما في محور النظام السياسي. إذا اكتفينا بذكر بعض جوانب تولي الجيش للسلطة، فسنذكر أن كل رؤساء الدولة منذ الاستقلال عام 1962 قد تم اختيارهم، في ظروف مختلفة، من قِبل القيادة العسكرية.

إن بحوثا قام بها مراقبون أو جامعيون تبين ذلك، ومسؤولون سياسيون سابقون يؤكدون الأمر عندما يبتعدون عن الميدان السياسي. لا يستطيع أحد تجاهل الاستيلاء القوي للقيادة العسكرية على الحياة السياسية للبلاد، التي يمثل فيها رئيس الدولة نقطة مهمة جدا : يمثل الدولة على الصعيد الوطني والدولي، وهو الهيئة الرئيسية في المجال الإداري.

سنذكر جانبا آخر ذا أهمية : لقد اشتغل النظام السياسي الجزائري، بطريقة دائمة، بتنظيم “سياسي- عسكري” حصل على تسميات مختلفة، ولكنه مكّن القيادة العسكرية من أن تكون في مركز السيطرة على كل الأعمال السياسية والاقتصادية والاجتماعية.

في ظل هذه الظروف، لا يمكننا إلا التساؤل حول قدرة المؤسسة العسكرية في تغيير وضع ساهمت بقوة في خلقه، ولعبة سياسية هي من يملي قواعدها.

إن مطالبة الجيش بتغيير النظام هو تجاهل لأمر بديهي، وهو : القيادة العسكرية في قلب نظام ساهمت في تشكيله، وذلك مثلا باختيارها للشخصيات السياسية، وبتأثيرها القوي في الخفاء في تحديد توجيهات البلاد. من ثم، استنادا على أية قوى، يأمل المنادون بتدخل الجيش إقناعه بتغيير دوره وذلك بالتحول من ديمقراطية واجهة، تخفي بالكاد نظاما متسلطا، إلى مرحلة انتقالية يطمح حقيقة من خلالها لفتح عملية ديمقراطية؟ هل تتناسى النداءات الموجهة إلى الجيش أن القيادة العسكرية، التي طلب منها عدة مرات سحب الثقة من رئيس الدولة بسبب حالته الصحية، لم تتمكن من الوصول إلى اتفاق، دون شك بسبب الانقسامات القائمة في داخلها، في الوصول إلى خيار غير ذلك المتمثل في ترك الوضع السياسي على حاله، خاصة في ظل الوضع الجيوإستراتيجي القائم؟

بصفة عامة، تطرح الأسئلة ذاتها نفسها عندما يكون النداء الموجه إلى الجيش غير مصاغ بطريقة واضحة، وعندما يقترح عقد حوار خال من الشروط مع المتسلطين على الحكم، من أجل الوصول إلى إجماع وطني. فإذا تقبلنا فكرة أن السلطة في قبضة القيادة العسكرية، فسينظم الحوار مع هذه الأخيرة في الواقع.

كيف يمكننا إقناع الحاكمين بتغيير نظام سياسي يسمح لهم بالحكم؟ لأية شخصيات سياسية سيفتحون أبواب سلطة يملكون مفاتيحها؟ أية قوى سياسية واجتماعية يمكن تجنيدها من قِبل هؤلاء الذين ينادون الجيش أو بصفة عامة النظام من أجل انتقال ديمقراطي؟ مصطلح “إجماع وطني” في حد ذاته مصطلح مستخدم من قِبل النظام الحالي.. مصطلح غامض، وبالتالي يعاد طرح مسألة المشروع السياسي والاقتصادي والاجتماعي الذي يمكن أن يكون محل إجماع.

2- النداءات الموجهة للجيش والانتقال الديمقراطي : مشاريع ضعيفة

أصحاب النداءات الموجهة للجيش أو النداءات الداعية للحوار من أجل الوصول إلى إجماع وطني يبنون تحاليلهم، في غالب الأحيان، على كون النظام معرقل في عمله، ويمر بأزمة ويتطلب تغييرات، من أجل تجنب قيام فوضى في الوطن وخراب مستقبله. والحقيقة هي أن هذا النظام هو نتيجة أزمة وانقلاب منذ عام 1962. من ذلك فهو غير شرعي منذ البداية.

بالطبع، لابد من السعي للحوار، لكن الحوار لن يؤدي إلى إصلاحات ديمقراطية، إلا إذا استبعدت أدوات القمع. في ظل هذه الظروف، إذا كان يهدف إلى إدخال الديمقراطية، لابد أن يذكر في النداء للحوار، حتى مع المتسلطين على الحكم بما في ذلك القيادة العسكرية، بعض الشروط. لن يكون لهذه الدعوى معنى جاد إلا إذا أدرجت إجراءات وخطوات انسحاب القيادة العسكرية من الحياة السياسية للبلاد، في قائمة النقاط التي يجب دراستها.

لا جدوى من إعلان تعددية سياسية، نقابية وجمعوية، حرية الانتخابات، استقلال القضاء، طالما توجد شرطة سياسية تؤدي إلى ممارسة سياسية لا علاقة لها مع النظام المحدد في الدستور. هل توجد علامات من قِبل الحائزين على السلطة المدنية والعسكرية التي تدل على إرادتهم في بناء حوار مبني على هذه الأسس؟

بما أن النداء الموجه للجيش يستند على كونه في محور النظام أول خطوة في التفاوض مع الحاكمين تتمثل في وضع أدوات حياة سياسية تسمح بتشكيل أحزاب سياسية، نقابات وجمعيات تتمتع باستقلال تام. وذلك لا يتم إلا بحل كل الحركات التي تنظم المراقبة والسيطرة السياسية، بوجه أخص الشرطة السياسية بجميع أشكالها.

ولكن، لا نرى كيف يكون هذا التغيير ممكنا دون عمل عنيد وصعب يهدف إلى بناء قوة مضادة تسمح بذلك. يكمن هذا العمل في القيام بتجنيد الأشخاص من أجل وضع حد لمختلف جوانب النظام السلطوي الذي يحكم الجزائر منذ 1962.

المهمة صعبة جدا، خاصة أن السياسيين الأكثر شهرة اليوم قد شاركوا بطريقة أو بأخرى في توجيه وإدارة هذا النظام. ولهذه التجربة أثر على صورتهم في الميدان العام. المهمة الأكثر صعوبة هي إعادة بناء رابط اجتماعي وثقة في مجتمع يواجه حياة يومية صعبة.

هذه حقيقة سبق ذكرها، ولكن لابد من إعادتها نظرا للطريقة التي ينظم بها جزء من الحوار العام. إعادة بناء رابط اجتماعي سيتم عن طريق الالتحاق بكل النضالات الاجتماعية والسياسية والعمل من أجل إسنادها. لن يتم ذلك إلا بعمل عميق وجاد في النقابات، الأحزاب السياسية، الجمعيات والمجموعات غير الرسمية المختلفة في المناطق، المدن والريف، في الجامعات وأماكن العمل. هكذا سيظهر الأشخاص القادرون على تحقيق المشاريع التي تحمل تطلّعات الجزائريات والجزائريين للحرية والعدالة الاجتماعية.

أخيرا، أمر مهم لابد من ذكره؛ الطريقة السلمية والحوار لا يعنيان التخلي أو عدم تنظيم اجتماعات، مظاهرات عامة في الشوارع أو أماكن العمل، أو التخلي عن الإضراب، والقيام بتنظيم توقيعات عامة وحملة رفض انتخابات، أو التخلي عن إنشاء جمعيات.. بطريقة مختصرة : لا يعني ذلك التخلي عن ممارسة الحريات العامة والفردية لهزيمة عقبات إدارة تحت سيطرة السلطة.

بمثل هذا، كما يعلم الجميع، في الطرق التي يتم من خلالها تنظيم انتقال ديمقراطي جاد. ودون هذه الضمانات الجذرية لن تحقق الانفتاحات التي قام بها النظام التسلطي، في أحسن الحالات، كما رأيناه مع دستور 1989، وبعض الإصلاحات التي لحقت، إلا ديمقراطية واجهة تسعى لإخفاء سيطرة الحائزين على السلطة الحقيقية، الذين يقررون وضع حد لهذه التجارب عندما يستخلصون أنها تهدد مصالحهم.

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El Watan le 27 février 2015

LES APPELS À L’ARMÉE ET LA TRANSITION DÉMOCRATIQUE

Les appels adressés à l’armée pour intervenir sur la scène politique en vue de mettre fin à la crise politique et de peser en faveur d’une transition démocratique se sont multipliés ces dernières années.

Ces appels proviennent de diverses tendances politiques et comportent des différences ou des nuances à travers lesquelles chacun prétend se distinguer. Mais pour l’essentiel, ces appels à l’armée reposent tous sur des analyses de la situation politique ou des constats très proches les uns des autres. Ils sont révélateurs des limites des projets de transition démocratique de leurs auteurs et les rendent de fait fragiles ou inconsistants.

1. L’armée, au cœur du système politique

L’appel à l’armée part du constat, exprimé ou tacite, qu’il n’y a aucune force politique capable d’imposer aux détenteurs actuels du pouvoir des réformes permettant une démocratisation du système politique. Ce constat est évidemment juste dans la mesure où les organisations politiques, syndicales ou associations présentes sur la scène politique peinent à formuler des objectifs clairs et à rassembler de larges pans de la société pour les défendre et les imposer.

Autrement dit, l’appel à l’armée part de l’idée que puisqu’aucune force politique n’existe pour réaliser les réformes démocratiques et mettre fin à la crise, il n’y a aucune chance de réaliser le changement sans l’intervention de l’armée.
Cette analyse repose aussi sur d’énormes non-dits qu’il est nécessaire d’expliciter. En effet, aucun appel à l’armée ne doit faire oublier que le Commandement militaire a toujours été au centre du système politique. Pour ne citer que quelques aspects de cette mainmise sur le pouvoir, on rappellera que tous les chefs de l’Etat depuis l’indépendance du pays en 1962 ont été choisis, dans des conditions variables, par le Commandement militaire.

Des recherches menées par des observateurs ou des universitaires le montrent, d’anciens responsables politiques l’attestent lorsqu’ils ne sont plus aux affaires. Personne n’ignore aujourd’hui l’emprise forte du Commandement militaire sur la vie politique du pays dont le chef de l’Etat est une pièce-maîtresse : il représente l’Etat sur la scène nationale et internationale et il est une autorité incontournable sur le plan administratif.

On ajoutera un autre aspect décisif : le système politique algérien a toujours fonctionné avec un organisme politico-militaire qui a reçu des dénominations diverses mais qui permet au Commandement militaire d’être le centre de contrôle de toutes les activités politiques, économiques et sociales. Dans ces conditions, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la capacité du Commandement militaire à changer une situation qu’il a largement contribué à créer et un jeu politique dont il dicte les règles du jeu.

Appeler l’armée à changer le système semble ignorer cette évidence : le Commandement militaire est au cœur d’un pouvoir qu’il a façonné, notamment en choisissant unilatéralement les personnels politiques et en pesant dans l’ombre sur les grandes orientations du pays. Dès lors, avec quelles forces les auteurs des différents appels à l’armée espèrent-ils la convaincre de changer de rôle en passant d’une démocratie de façade qui cache mal un système autoritaire à une transition qui veut ouvrir un authentique processus de démocratisation ?

Les appels à l’armée n’oublient-ils pas non plus que le Commandement militaire, fréquemment sollicité pour destituer le président de la République en raison de son état de santé, n’a pas pu se mettre d’accord, sans doute en raison de divisions existant en son sein, sur un autre choix que celui d’un statu quo dangereux, en particulier dans le contexte géopolitique actuel ?

De manière plus générale, les mêmes questions se posent lorsque l’appel à l’armée n’est pas explicitement formulé et qu’il est proposé d’organiser un dialogue inconditionnel avec les détenteurs du pouvoir en vue d’un consensus national. En effet, si on accepte l’analyse que le pouvoir est sous l’emprise du commandement militaire, c’est donc aussi avec ce dernier que le dialogue est en réalité organisé. Là encore, comment compte-t-on amener les détenteurs du pouvoir à décider de transformer le système politique qui leur permet de régner ?

A quels personnels décideront- ils d’ouvrir les portes d’un pouvoir dont ils détiennent les clefs ? Quelles forces politiques et sociales peuvent être mobilisées par ceux qui appellent l’armée ou plus généralement le pouvoir en faveur de la transition démocratique ? L’expression « consensus national » elle-même, aussi utilisée par le régime en place, est ambiguë et très vague et, dès lors, se repose la question du projet politique, économique et social qui pourrait faire l’objet d’un consensus.

2. La fragilité des projets de transition démocratique des auteurs des appels à l’armée.

Les auteurs des appels à l’armée ou au dialogue en vue d’un consensus national s’appuient le plus souvent sur le blocage du système qui d’après eux est désormais en crise et nécessite des transformations, sous peine de mener au chaos et de ruiner l’avenir du pays. La vérité est que ce système a résulté d’une crise et d’un coup de force dès 1962. Il était donc illégitime dès ses débuts. Certes, le dialogue doit être recherché, mais il ne peut mener vers des réformes démocratiques que si les instruments de la répression sont écartés. Dans ces conditions, et s’il vise la démocratisation un appel au dialogue, y compris avec les détenteurs du pouvoir et notamment avec le Commandement militaire, devrait rappeler certains préalables.

En effet, un tel appel ne peut avoir de sens que s’il met à l’ordre du jour, en premier lieu, les procédures et les étapes du retrait du commandement militaire de la vie politique du pays. Il ne sert à rien de proclamer, le pluralisme politique, syndical et associatif, des élections libres, une justice indépendante tant qu’existent en fait une police politique qui conduit à une pratique politique qui n’a rien à voir avec le système décrit par la Constitution. Existe-il des signes de la part des détenteurs du pouvoir civil et militaire qui permettent de soutenir que les gouvernants souhaitent un dialogue sur ces bases ?

Dans la mesure où l’appel à l’armée repose sur le constat qu’elle est au centre du système, la première étape de la négociation avec les détenteurs du pouvoir est de mettre en place les instruments d’une vie politique qui permettent de construire des partis politiques, des organisations syndicales et des associations réellement autonomes. Ceci passe par la dissolution des différents rouages qui organisent la surveillance et le contrôle politique, en particulier la police politique sous toutes ses formes.

Mais, à moins de se bercer d’illusions, on voit mal comment une telle transformation pourrait être sérieusement mise à l’ordre du jour sans un travail opiniâtre et difficile de construction d’un rapport de forces favorable à une telle entreprise. Il s’agit là du travail de mobilisation des populations pour mettre fin aux différents aspects du système autoritaire qui gouverne l’Algérie depuis 1962.
La tâche est d’autant plus difficile que le personnel politique le plus en vue aujourd’hui a participé d’une manière ou d’une autre à la direction et à la gestion de ce système. Cette expérience pèse sur leur image publique.

La tâche la plus difficile est d’abord de reconstruire le lien social et la confiance dans une société atomisée et préoccupée par un quotidien pesant. Cette évidence a déjà été rappelée. Mais la manière dont se déroule une partie du débat public mérite qu’elle le soit encore. Cette reconstruction s’accomplira par l’engagement dans toutes les luttes sociales et politiques et par le travail à leur convergence.

Et ce travail ne peut être mené qu’avec une action en profondeur des syndicats, des partis politiques, des associations et des groupements informels de différentes sortes dans les régions, dans les villes et dans les campagnes, dans les universités et les lieux de travail. C’est ainsi qu’émergeront les acteurs capables de concrétiser les projets porteurs des aspirations des Algériennes et des Algériens à la liberté et à la justice sociale.

Enfin, c’est le lieu de dire que la voie pacifique et le dialogue ne peuvent en aucune manière signifier un renoncement ou le non-recours aux meetings, aux manifestations publiques, dans la rue ou sur le lieu de travail, à la grève, aux pétitions ou au boycott, à la création d’associations de fait, en un mot à l’exercice des libertés publiques et individuelles pour mettre en échec les blocages d’une administration aux ordres. Il s’agit là, chacun le sait, des instruments par lesquels s’organise le travail sérieux vers une transition démocratique.

Sans cet engagement de fond, long et difficile, les ouvertures opérées par un système autoritaire n’aboutissent dans le meilleur des cas, comme on l’a vu avec la Constitution de 1989 et les quelques réformes qui ont suivi, qu’à une démocratie de façade pour cacher l’emprise des détenteurs du pouvoir réel qui décident de mettre fin à ces expériences dès qu’ils estiment qu’elles remettent en cause leurs intérêts.

Par

MADJID BENCHIKH. Ancien doyen de la faculté de droit d’Alger
AHMED DAHMANI. Enseignant- chercheur en économie
AÏSSA KADRI. Professeur émérite de sociologie
MOULOUD BOUMGHAR. Professeur de droit

sources El Watan
http://www.elwatan.com/actualite/appels-a-l-armee-et-transition-democratique-27-02-2015-288512_109.php

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Lire à ce propos l’article de Sadek Hadjerès publié dans Le Quotidien d’Oran et socialgerie, le 1er mars 2014.

EST-IL TROP TARD POUR EN FINIR AVEC LE GRAND RATAGE NATIONAL ?

L’ARMÉE, LA DÉMOCRATIE POLITIQUE ET LA SOCIÉTÉ

Par Sadek Hadjerès (www.socialgerie.net)

Le Quotidien d’Oran
le 1er mars 2014


J’avais publié cet article sur mon site « Socialgerie » il y a près de six ans (juillet 2008). S’il est aujourd’hui plus que jamais d’actualité, il le doit au fait d’aborder un problème essentiel des décennies précédentes, resté jusqu’à ce jour sans issue positive malgré son extrême gravité. Son importance a grandi dans le moment présent où chaque Algérienne et chaque Algérien, de la base populaire ou des couches moyennes, estime que le moment est venu de sortir d’une impasse qui n’a que trop exercé ses effets tragiques pour la nation et la société.

Alors que la crise atteint un niveau dangereux, des voix ont abordé le rôle incontournable de l’armée nationale, susceptible selon eux d’influer sur les événements pour le meilleur ou pour le pire en corrélation avec l’ensemble des acteurs sociaux et politiques.
Parmi les analyses ou appels qui ont retenu l’attention de l’opinion, j’en ai retenu deux : celle d’un intellectuel organique d’un secteur sécuritaire de l’institution militaire, Mohamed Chafik Mesbah, qui s’était exprimé sur le même thème il y a quelques années, et celle de Mouloud Hamrouche, homme politique qui aborde la situation avec la hauteur de vue du réformateur courageux et du serviteur intègre de l’Etat qu’il a été.

Qu’on me permette d’apporter sur le même thème et à travers la reprise d’un article ancien, le point de vue que je partage avec une part notable du mouvement social algérien. Ce dernier n’a cessé depuis des décennies d’être piétiné dans ses droits et libertés, pour le plus grand préjudice de l’intérêt national. Les maux dont il a été frappé sont une partie très sensible des maux dont souffre toute la nation. C’est pourquoi le mouvement social dans toutes ses composantes associatives et politiques est avec d’autres forces nationales une partie incontournable de la solution au drame actuel.

Le mouvement social algérien, organisé ou non, est par nature acquis à un projet salvateur de consensus national en vue d’une transition démocratique au système actuel devenu obsolète et dangereux.
Qui dit consensus ne signifie pas consensus sans contenu, consistant en simples réajustements et « arrangements » mutuels dans la répartition des pouvoirs. Qui dit contenu consensuel ne peut ignorer le fondement qui en garantit le succès, la viabilité et la solidité : l’immense aspiration bouillonnant au profond de la société comme un volcan au cratère artificiellement obturé.

Face à l’aveuglement des sphères bureaucratiques et des super-nantis sur le dos de la nation, l’Algérie a besoin d’une chose simple et irrépressible : le recul substantiel de la hogra dans toutes ses dimensions.
Autrement dit, besoin de combattre l’utilisation illégitime de la violence armée, de l’argent sale et des préjugés diviseurs.
De condamner dans les faits les trois mamelles du malheur algérien : l’autoritarisme, la corruption et les intolérances à caractère identitaire et idéologique.
Des actes et non des paroles. S’arrêter d’invoquer les dates historiques du 1er novembre et du 24 février, mais décider et agir dans l’esprit rassembleur, démocratique et social de ces repères gravés dans la mémoire nationale !

C’est ce que mon article de 2008 s’était efforcé de dire. Il est vital en corrigeant les erreurs collectives du passé, de renouer à pas plus sûrs avec l’esprit unitaire, libérateur et démocratique qui avait ouvert à l’Algérie les chemins de la dignité et de l’espoir.
À ce prix seulement l’Algérie pourrait voir éclore sur son sol un vrai premier printemps africain, parce que fondé sur une dynamique et des convergences conscientes entre l’Etat national et la société dans toutes ses sensibilités politiques, identitaires et idéologiques responsables.

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ARTICLE DE JUILLET 2008

L’ARMÉE, LA DÉMOCRATIE POLITIQUE ET LA SOCIÉTÉ
par Sadek Hadjerès (www.socialgerie.net)

Le hasard, et surtout l’évolution des esprits à la lumière de l’expérience m’ont donné l’occasion d’une heureuse coïncidence. J’ai pris connaissance de l’épilogue d’un ouvrage de Mohamed Chafiq Mesbah pendant que, en réponse à des questions au long cours de Arezki Metref, je poursuivais une réflexion sur les courants politiques au sein de la direction exécutive du PAGS durant la décennie 1980, puis après Octobre 1988.

Dans les deux thématiques, avec des intensités et des formes différentes, j’ai constaté des évolutions parallèles ou même imbriquées qui ont débouché non pas sur une seule « occasion historique manquée » (pour l’ANP), mais sur deux ou même plusieurs, se confondant en un seul revers pour toute la nation.
En reprenant l’image de Chafiq Mesbah à propos du « ratage » concernant l’ANP (en tant qu’institution militaire étatique), j’ai pensé à un autre de ces ratages, lié à celui de l’ANP et que je ne suis pas seul à considérer comme un désastre d’envergure. Il concerne le PAGS en tant qu’une des organisations qui œuvraient de façon significative au sein de la société.

En fait, dans les deux cas, le déficit politique s’est manifesté à des degrés différents et à partir de socles idéologiques distincts ou même opposés par certains côtés. En mettant de façon disproportionnée l’accent sur les seuls volets sécuritaire et identitaire, en sous-estimant inconsciemment ou en niant délibérément les racines sociales et démocratiques de la crise, le déficit a fait le lit de la dégradation du tissu social et étatique lors du tournant géopolitique, national et international, des années cruciales 1989- 1990. Au lieu de contribuer à dénouer et désamorcer politiquement une crise majeure, la défaillance politique a débouché sur une tragédie algérienne sans précédent.

Ce déficit est caractérisé par les approches unilatérales et de court terme qui privilégient les seuls intérêts et enjeux de pouvoir au détriment des intérêts généraux de la société à court et long terme. Ce trait, propre au pouvoir d’Etat comme instrument de survie, a été accentué jusqu’à de néfastes caricatures dans la montée de mouvements d’opposition gagnés à des conceptions hégémonistes et d’exclusion des valeurs culturelles et religieuses notamment islamiques, intériorisées par notre peuple dans sa diversité et son long parcours historique. Avec des racines qui remontent à plus loin encore dans l’histoire du mouvement national, l’hégémonisme des sphères dirigeantes de l’Etat et celui des oppositions, à caractère communautariste, a reflété et aiguisé les penchants présents dans différentes couches de la société au lieu de les éduquer pour les transcender, les aiguiller vers l’unité d’action au bénéfice de l’édification nationale.

Cette pratique est emblématique du mal qui depuis l’indépendance a rongé progressivement l’ensemble Nation-Etat-Société. La cohérence et l’harmonie de cet ensemble étaient nécessaires et possibles pour l’épanouissement d’une l’Algérie libérée de la domination coloniale. Le déficit, la sous-estimation, voire la dénaturation et la criminalisation du politique, dans ses dimensions antiimpérialiste, démocratique et sociale, a conduit au résultat contraire. Il a paralysé les possibilités d’interactions et de solidarités réciproques bénéfiques, fondées non pas sur des bons sentiments discutables et volatiles, mais sur l’inventaire et la prise de conscience des intérêts objectifs communs.

Ce fut au contraire le dévoiement de la vie sociale et politique vers un cercle vicieux fatal de rivalités, de divisions, de dépendances clientélistes et autres. Le système global ainsi instauré a pris un chemin piégé, devenu incontrôlable aussi bien par les tireurs de ficelles que par les acteurs les mieux intentionnés. L’ancien colonisateur aussi bien que le néo-impérialisme mondial et la réaction régionale ont pu se frotter les mains et engranger les dividendes, sans prendre la peine de recourir à des interventions directes. Comme le montre pour l’essentiel la conclusion de Chafiq Mesbah, ce déficit a entravé, sinon empêché, le rôle possible de régulateur et médiateur politique et national démocratique de l’ANP.

L’institution militaire avait les moyens de jouer ce rôle dès le lendemain de l’indépendance, étant donné les leviers de pouvoir que lui avait donnés la lutte armée libératrice. Cette position privilégiée était un des résultats de l’action menée par une ALN issue de la société opprimée et assurée d’un soutien patriotique et populaire massif, malgré des contradictions internes et des embûches parmi les plus sérieuses.
L’erreur, sinon la faute de la hiérarchie militaire et du système mis alors en place à l’indépendance sous son égide, a été pour des raisons multiples restant à établir, de renoncer et même tourner le dos à ce rôle décisif et fondamentalement démocratique.
Elle l’a troqué contre celui contestable et risqué de détenteur hégémonique de la totalité des leviers, à la fois ceux d’orientation, de décision, d’exécution et de contrôle.
Une fois conquises la paix et la liberté, la répartition et l’exercice de ces pouvoirs, complémentaires mais distincts, auraient dû revenir à des instances issues de la souveraineté populaire et soumises à elle, dans l’esprit du projet national insurrectionnel de Novembre 1954.
Les difficultés, habituelles dans la réalisation de ce principe fondamental, avaient été certes compliquées partiellement par une maturité politique insuffisante à la base, mais celle-ci était surmontable par un travail commun et concerté d’éducation politique.

L’obstacle le plus grand fut bien davantage celui créé par les déchirements et les dissensions non surmontées dans le cours de la guerre, dont les raisons principales furent beaucoup plus des querelles de chefs, de prérogatives et de méfiances régionalistes ou claniques que des problèmes fondamentaux d’orientation. Ces dissensions se rattachaient elles-mêmes au fait que l’agenda de l’insurrection courageuse de Novembre 54 avait été davantage conçu par ses initiateurs comme un moyen de dépasser la crise politique et la division du plus grand parti nationaliste. Il ne fut pas suffisamment le résultat du mûrissement consensuel d’un vrai projet politique, donnant au slogan central d’indépendance un contenu fortement intériorisé à tous les niveaux militants et populaires. La force émotive et rassembleuse de ce mot d’ordre aurait dû inciter les acteurs d’un front patriotique, socialement et idéologiquement non homogène, à le consolider par l’adhésion à un programme concret fondé sur l’équilibre des intérêts de classe et culturels légitimes.

La “proclamation du 1er Novembre 1954” [1], la “Charte de la Soummam de 1956”, le “Programme de Tripoli de 1962” [2] ont été des déclarations d’intentions généreuses mais sans prolongements suffisants dans les actes, parce que le travail politique unitaire et mobilisateur n’a pas été pris sérieusement en charge pour déblayer les incompréhensions et les obstacles d’intérêts inévitables à leur application.
À un de nos camarades qui lui faisait remarquer le peu d’attention accordé à la mise en œuvre des proclamations de principe officielles, le président Boumediene avait répondu dans un sourire : « Le plus important, c’est le pouvoir ! »
La même illusion avait fait croire qu’il suffisait de l’aisance financière pour acheter le développement industriel et pour s’assurer la docilité politique des uns et des autres !
Résultat des courses : bien des pays libérés à travers des processus historiques variés ont connu ce genre de difficultés ; mais pour l’Algérie dont la révolution se proclamait exemplaire, les problèmes épineux de la construction d’une nouvelle cohésion n’ont pas aiguisé l’attention et la volonté des chefs dans le sens de leur solution démocratique.
Les divergences et dissensions ont servi au contraire de prétextes aux solutions autoritaires, à l’accaparement acharné des pouvoirs, au nom des urgences vraies ou invoquées, et d’une mythologie nationaliste appropriée aux ambitions des clans rivaux.

Dans ce contexte, les problèmes nationaux, sociaux et culturels ont été trop peu envisagés sous l’angle de leur solution exigeant le rassemblement large et librement consenti des forces vives. Ils ont énormément souffert d’être les jouets et les victimes des ambitions et des rivalités de pouvoirs. Il ne pouvait en résulter qu’une coupure grandissante entre les directions de l’institution militaire et la société.
L’évolution positive inverse était pourtant inscrite en filigrane dans les courants de sympathie réciproque entre des segments importants de la société et l’institution militaire, qui s’étaient dessinés malgré tout à certains moments des quinze premières années après l’indépendance. C’était l’époque des mesures économiques d’indépendance nationale et de justice sociale amorcées avec le soutien officiel de l’ANP contre les réticences et les oppositions des multiples façades du parti unique. Ce fut aussi le cas lors de graves évènements régionaux comme la « Guerre des six jours » de 1967, le soutien aux causes des peuples africains, vietnamien et palestinien et la revendication d’un nouvel ordre économique mondial. Les mesures économiques et sociales d’importance historique sont devenues elles-mêmes vulnérables et n’ont pas empêché le discrédit du pouvoir mis en place par la hiérarchie de l’ANP et jouissant de sa caution, discrédit qui est allé en grandissant après le reflux des années 1980 et l’épisode sanglant d’Octobre 1988.

J’ai entendu souvent à propos de l’ANP et des « militaires » deux arguments qui me paraissent approximatifs et fallacieux. Le premier, se présentant comme favorable à l’ANP, est souvent utilisé pour justifier des rôles que l’ANP n’aurait joués qu’à contre cœur et à son corps défendant. C’est en Algérie, disent certains, la seule structure organisée en mesure de faire face aux périls d’envergure déjà affrontés ou à venir. Ne se rend-on pas compte en pensant ainsi, qu’au-delà de la fierté pour l’Algérie d’avoir un tel appareil, cette affirmation masque une très grave faiblesse ? Celle précisément pour l’ANP d’être, après 40 ans d’indépendance, la SEULE structure aussi organisée et influente au service de la nation.
À quoi ont servi les armées parmi les plus puissantes du monde dans le système socialiste, à partir du moment où, pour différentes raisons, les liens se sont relâchés entre la société et les organismes politiques dirigeants qui contrôlaient étroitement ces armées ? Une armée ne peut-elle être forte et accomplir sa mission que si elle produit un désert politique autour d’elle ou si elle se paye une scène politique à ses bottes, débilisée par les gestions autoritaires ?
Grave contre-vérité, que la nation et l’armée elle-même finissent toujours par payer cher. Civils et militaires ont un intérêt commun à un paysage politique, à des institutions et organisations autonomes, fortes, solidaires autour d’objectifs bénéfiques mutuellement reconnus.

Un second argument se veut quant à lui hostile aux « militaires ». Ils sont rendus responsables des déboires de l’Algérie, du fait du pouvoir qu’ils exercent par instances interposées sur une société civile réduite à l’impuissance.

Cette dichotomie entre les catégories de « civils » et « militaires » me paraît superficielle et plutôt stérile, en ce sens qu’au-delà d’aspects formels réels mais trompeurs, elle masque les mécanismes et les racines du déficit démocratique flagrant dont souffre l’Algérie.
D’abord elle tend à déresponsabiliser les civils et les éloigner de la nécessaire mobilisation démocratique, en considérant l’oppression et les injustices subies comme une fatalité qui aurait pu être évitée si l’armée n’existait pas. Comme si toute armée était génétiquement porteuse d’oppression, fermée a priori au soutien des missions démocratiques, de justice sociale et d‘intérêt national. Cela est démenti par maints exemples sur tous les continents.
Plus sérieux encore, cette approche ne laisse souvent comme seule issue et seul espoir de salut que des entreprises aventureuses de renversement et de remplacement des hiérarchies en négligeant les luttes autrement plus profondes pour transformer le soubassement national sur lequel s’appuient les systèmes autocratiques.
Ensuite, la distinction formelle « civils-militaires » masque la responsabilité des courants et forces « civiles » aussi bien dans l’instauration que dans l’entretien des méfaits imputés à tort ou à raison aux militaires et à leurs instances.
À propos de cette faille préjudiciable aux intérêts communs des Algériens et attribuée unilatéralement aux militaires, il m’est arrivé de souligner dans mes écrits, comme ceux consacrés aux racines et conséquences de la crise du PPA-MTLD de 1949, crise de déficit démocratique : « Messieurs les civils, vous avez tiré les premiers (contre la démocratie) ! »
Je faisais allusion à la façon dont des secteurs et personnalités politiques (devenus plus tard centralistes ou messalistes) ont légitimé la violence contre leurs frères de lutte en désaccord avec eux, ont délibérément remplacé le débat constructif par le dénigrement, l’exclusion, la répression brutale et la création d’un climat qui a poussé à des tentatives d’assassinats qui se sont malheureusement concrétisées lors de la guerre de Libération. Loin de contribuer à l’effort de saine politisation et d’éducation des cadres, nombre d’entre eux ont abondé dans la surenchère et l’activisme antipolitique des plus violents, avec l’espoir de se frayer une place dans le cortège des intrigues, putsch et coups d’Etat.

Après ces considérations d’ensemble, je voudrais revenir sur mon propos initial. Il concerne, à propos de la transition manquée de 1990-1991, qualifiée de « grand dérapage » par un ouvrage de Abed Charef, la corrélation qui s’est établie entre l’activité de certains services liés formellement à l’ANP et des éléments de l’exécutif du PAGS, quand ce parti se trouvait encore au milieu du gué entre la clandestinité et une légalisation à peine amorcée, sans qu’ait pu être fait encore le bilan réel des enseignements des 25 années de lutte précédentes.
Le bilan des enseignements politiques et organiques avait même été délibérément sacrifié au soi-disant profit d’une situation d’urgence, alors que ces enseignements auraient au contraire mieux éclairé l’analyse des dangers nationaux et internationaux apparus.
L’épisode est doublement instructif. [3]
D’une part, quant aux mécanismes pervers qu’a permis la confusion entre services de renseignement et l’ensemble de l’institution militaire, et surtout les pratiques, abusives dans un Etat de droit, de services qui au-delà du renseignement nécessaire à toute instance étatique, s’arrogent des prérogatives incontrôlées d’intervention politique ainsi que de répression policière directe et indirecte.
D’autre part, l’épisode est terriblement révélateur des dégâts qui surviennent quand les faiblesses politico- idéologiques, latentes puis exacerbées par la conjoncture, font jonction avec les manipulations qui les exploitent au nom de situations d’urgence, donnant prétexte à la perte d’autonomie de jugement et d’initiative des organisations et mouvements.

Le PAGS en a payé le premier les frais, parce que, comme le PCA, interdit dès novembre 1962, il fut jugé à bon escient comme un obstacle potentiel de taille aux orientations prédatrices et de liquidation de l’ensemble des acquis algériens précédents.

Dans les deux cas, la politique avouée de maintien du mouvement social « dans un cocon de chrysalide » n’avait pas frappé qu’un segment de ce mouvement mais tout ce qui était prometteur, progressiste et unitaire dans la nation.
Les années suivantes l’ont confirmé, y compris à ceux qui avaient cru que la « neutralisation » du PAGS allait leur ouvrir un meilleur espace partisan.

L’enseignement valait et continue à valoir pour toute la « classe politique » algérienne, pour tout notre peuple, ses organisations et ses instances étatiques en quête d’avenir.

Sadek Hadjeres
30 juillet 2008

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