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À l’occasion de la parution de l’ouvrage « DES CHEMINS ET DES HOMMES » (*)

QUELQUES INFORMATIONS ET RÉFLEXIONS AUTOUR DES RELATIONS PCA-FLN DURANT LA GUERRE DE LIBÉRATION

par Sadek Hadjerès, le 30 janvier 2010

mardi 2 février 2010

Ces réflexions et informations entremêlées concernent de multiples épisodes de la guerre de libération, à partir notamment de ceux qu’a relatés avec une sobre ferveur Mohamed Rebah, dans son ouvrage consacré à l’itinéraire de deux combattants communistes, Mustapha Saadoun et Noureddine Rebah, dans les maquis de la wilaya IV.

Les évocations de faits, documents et témoignages, ainsi que les opinions qui suivent, s’ajoutent à celles que j’ai déjà eu l’occasion de livrer publiquement. Elles se poursuivront sur le vaste thème, à peine entamé jusqu’ici, de l’apport du mouvement communiste national et international à la guerre de libération, ainsi que des perceptions auxquelles ont donné lieu ces apports.

J’ai écrit, sur le site « Socialgerie », ainsi que dans le Soir d’Algérie du 12 janvier dernier, le bien que je pensais de l’ouvrage émouvant sur Saadoun, Rebah et plusieurs autres de leurs compagnons. Plus émouvant encore pour ceux qui ont connu de plus près ces camarades ardents et d’une intelligence sociale hors de pair. La richesse en évènements et en traits humains de l’ouvrage est telle, elle soulève aussi tant de problèmes de fond toujours actuels, que j’aurai l’occasion de revenir avec plus de précision sur certains points, au fur et à mesure de nouvelles lectures plus approfondies.

Les notations que j’apporte ont reémergé à nouveau dans mon esprit au fil de souvenirs ou d’autres lectures relatives à ces années de braise, qui avaient servi de base à plusieurs de mes publications précédentes. Le déclic de cette relance a été déclenché par les interrogations et les appels à plus ample information que j’ai reçus dans un cercle restreint d’amis et camarades, à propos du rôle joué par des responsables FLN de la wilaya IV, tels que Rabah Bouaziz , « Si Sadek » Dehiles et, de fil en aiguille, quelques autres, dans leurs relations problématiques avec les communistes ou marxistes souhaitant rejoindre l’ALN ou déjà intégrés dans ses rangs.

RECUEILLIR ET RECOUPER L’INFORMATION HISTORIQUE

Au fur et à mesure que ressurgissait en moi ce que je savais ou que j’avais publié, il m’est vite apparu que ces interrogations rejoignaient une problématique bien plus vaste, étouffée par les cercles dirigeants successifs et leurs relais médiatiques en Algérie depuis 1962. Se prétendant seuls investis de la « légitimité révolutionnaire », des clans et des groupes d’intérêt n’ont cessé de verrouiller l’Histoire du pays et de son extraordinaire lutte de libération, en fonction de leurs seuls objectifs et calculs de pouvoir politique et économique.
C’est pourquoi l’immense soif de repères historiques des anciennes ou nouvelles générations, en appelle plus que jamais aux historiens comme aux innombrables témoins et acteurs susceptibles d’apporter leur pierre à une Histoire la plus véridique possible, édifiante pour l’avenir, avec ses grandeurs et ses petitesses.

Ma première opinion livrée à mes amis concerne une approche méthodologique plus générale. Il est bénéfique et nécessaire de multiplier les témoignages et les recoupements entre les informations. Car les faits, les personnages et les situations concernant la guerre, ont été jusqu’ici soit incroyablement occultés, soit victimes de déformations et de désinformations dans des directions souvent contradictoires. Cela a rendu plus difficiles à décrypter nombre d’évènements et de problèmes déjà très complexes en eux-mêmes.

L’ouvrage « Des Chemins et des Hommes », en relevant avec beaucoup de soin des itinéraires individuels, me paraît contribuer excellemment à démystifier nombre d’allégations et de déformations lancées et colportées de bonne ou mauvaise foi, à propos du comportement ou des motivations des combattants communistes et de leur parti.

L’ouvrage fournit aussi des faits qui aident à mieux cerner les ambiguïtés, les comportements ambivalents et même polyvalents, déroutants par leur mobilité et leurs contradictions apparentes, observés chez les acteurs nationalistes (et parfois aussi chez certains communistes).
Avant d’entamer une nouvelle série de réflexions, examinons quelques uns de ces faits

ILLUSTRATIONS CONCRÊTES AU NIVEAU DES PERSONNAGES

A propos des personnages dont l’évocation a servi de point de départ à nos échanges, je pourrais illustrer ce qui précède par les indications suivantes :

Sur Rabah Bouaziz, dont j’ai indiqué dans la presse un trait positif s’ajoutant à l’hommage que lui avait rendu A. Noureddine à l’occasion de son décès, j’aurais eu évidemment des choses critiques à rappeler, à partir seulement de ce que je connais.
Les unes sont liées à la période de guerre, comme l’exportation et la conduite des opérations militaires à visées terroristes en France. Indépendamment de l’eur impact militaire négligeable et qui n’était sans doute pas l’objectif visé, qui était plutôt psychologique, ce fut en réalité une catastrophe politique à plusieurs égards, bien reconnue par la suite par le GPRA ainsi que par les historiens. Bouaziz comme partie prenante en partage la responsabilité avec ceux qui l’ont mandaté pour une telle mission ou l’ont justifiée par des arguments fallacieux.
Les autres remarques sont liées à l’après-indépendance, certains abus de pouvoir bien connus dans les sphères administratives et du pouvoir d’Etat. L’un au moins est arrivé à la connaissance des directions d’Alger républicain et du PCA, qui ont essayé en vain d’intervenir à l’appel d’un camarade dont la famille en fut victime. Pratiques assez fréquentes dans la bureaucratie de l’époque, qu’on pourrait certes considérer comme des vétilles comparées aux malversations colossales d’aujourd’hui, mais tout de même contraires à l’éthique socialiste dont se réclamaient à l’époque les membres de cette bureaucratie.

Il aurait été inconvenant de rappeler tous ces aspects au moment de sa disparition, mais il était tout à fait justifié comme l’a fait A. Noureddine, de rappeler ce qu’il a réalisé de positif et dont il a été témoin dans le cadre professionnel ou public. Car les membres de cette couche socio-politique venue au pouvoir étaient capables d’apports louables et bénéfiques dans le contexte de l’après-indépendance.

Il en était ainsi déjà pendant la guerre de libération pour Bouaziz et ses amis, dans les limites de la vision qu’ils avaient de leurs intérêts propres, de leurs niveaux de conscience et de leur dépendance des rapports de forces du moment. Dans ce cadre se situe la petite note positive que j’ai ajoutée à l’appréciation de A. Noureddine sur lui après son décès, reprise ensuite par la presse. J’avais appris cette information par des historiens sérieux de la guerre d’indépendance et comme toute information concernant les comportements ambivalents de nombreux responsables de l’époque, elle reste à vérifier et recouper, comme j’en ai l’intention. Ainsi R.Bouaziz, si je m’en souviens bien a été, à l’instigation des dirigeants influents de sa wilaya dont Ouamrane, un de ceux qui ont mis en garde d’anciens protagonistes de la crise de 1949 (qualifiés de « berbéro-marxistes ») des dangers qu’ils risquaient de courir en wilaya III. Ce qui s’est confirmé avec l’assassinat de mes camarades au PPA comme Bennai Ouali, Ammar Ould Hamouda (ex responsable national adjoint de l’OS), Ferhat Ali lui-même gravement blessé déjà en aout 49, ainsi que le Dr Salah Mohand Said, militant communiste depuis 1950 qui probablement accompagnait Ould Hammouda mais qui, lui, n’avait rien eu à voir avec la crise de 1949. Salah a fait preuve d’excès de confiance, à moins que la mise en garde de R. Bouaziz à travers d’autres intermédiaires ne lui soit pas parvenue. Moi même, sans avoir eu connaissance de ces mises en garde de Ouamrane, j’avais recommandé à Salah comme à plusieurs autres, sur la base de plusieurs faits et d’une analyse politique globale, de différer son départ pour le maquis jusqu’à clarification, au moins relative, des rapports avec les dirigeants FLN, ce à quoi nous sommes parvenus plus tard. Moi-même, vers le printemps 55, alors que je m’occupais déjà des CDL, j’avais été sollicité au cabinet médical d’El Harrach de deux côtés à la fois de rejoindre la Kabylie pour travailler auprès des dirigeants de ce maquis.. Je suis certain que si d’un côté l’intermédiaire (A. F.) était sincère comme je le sentais et me fut confirmé plus tard comme proche de Abane Ramdane, de l’autre côté, qui se recommandait de Krim Belkacem, c’était visiblement un traquenard et les évènements ultérieurs l’ont prouvé.

Dehiles quant à lui a été un des responsables qui ont travaillé ensemble ou se sont succédés au staff de la Wilaya IV avant et après la délimitation territoriale de cette dernière. Son comportement bivalent s’est manifesté me semble-t-il dans le montage et le déroulement de l’épisode sinistre de « la fosse » infligé à Allouache et Rebah, tel qu’il m’a été rapporté par les commentaires d’un ami avant même que je lise l‘ouvrage de Mohammed. Ce coup a été le prolongement néfaste des sévères attaques politiques et idéologiques anticommunistes du Congrès de la Soummam, amplifiées par les plus virulents chefs de la wilaya III. Il me parait avoir été manigancé avec Omar Oussedik, personnage aux multiples visages qui fut un de mes camarades militants PPA en 44-45 au lycée de Ben Aknoun, taxé abusivement de « procommuniste » par ses pairs. Oussedik tel un « Deus ex machina » est apparu « miraculeusement » au moment décisif comme le « sauveur » de Noureddine Rebbah et Hamid Allouache, dans le style ultra calculateur que ses compagnons et moi-même lui avons connu depuis les années quarante. Une intimidation machiavélique liée aux fortes pressions anticommunistes conjuguées (à la fois internationales franco-US, arabo-égyptiennes et algéro-nationalistes).

L’opération m’a semblé relever du scénario abominable des simulacres d’exécution dans les interrogatoires de la police coloniale (ainsi fut traité mon ami Said Akli par la PJ française d’Alger ; très proche de Bennai Ouali, des Krim, Ouamrane et autres insurgés de la première heure ; il fut d’abord atrocement torturé puis mené à la plage des Sablettes sous la menace de l’abattre avant de le jeter dans la mer ; n’ayant rien avoué et libéré, il rejoignit la wilaya III pour finir, comme des centaines d’autres victimes de la bleuite, supplicié et assassiné par ses « frères »).
Pour Rebah et Allouache, la « porte de sortie » après la « fosse », visait à les maintenir en condition permanente d’intimidés et d’insécurité dans leurs navettes obligées entre les wilayas III et IV, avec en surplus le cynisme des instigateurs visant à faire porter le chapeau aux dirigeants de la wilaya III en cas de « malheur » ou en cours de route. Nos camarades ont été traités comme une « patate chaude » qu’on se refile de l’un à l’autre. Cela montre par ailleurs qu’on ne pouvait plus tellement faire ouvertement contre eux ou contre les membres sonnus du CC du PCA tels que Abdelhamid Boudiaf, Babou, Taleb, etc.., ce qui a été fait massivement dans la bleuïte de la Wilaya III ou dans les Aurès contre Laid Lamrani et ses camarades.

Ce que je dis à propos d’un Dehiles (classé comme proche de Abbane et demeuré tel), capable d’arborer une démarche relativement avenante même contraire à sa sensibilité idéologique), s’est fondé sur un témoignage direct le concernant. Il nous fut transmis directement à l’époque, avec un décalage de quelques semaines dans la transmission, par Abdelkader Choukal qui était devenu membre de son secrétariat. Il nous avait fait part de la lettre que Dehiles avait envoyée à ses supérieurs d’Alger, dans laquelle il se disait favorable à l’intégration des combattants communistes des monts de Larbâa, Bougara, Bouinan (jusque là laissés suspendus dans un flou hostile), car disait-il, leur contribution lui paraissait utile, en particulier pour réduire l’influence politique messaliste encore forte dans la région. (Autrement dit, attention, ce n’est pas un blanc seing idéologique, c’est une opération politique utilitaire).

Ces comportements fluctuants et apparemment contradictoires ne nous surprennent pas tellement quand on prend une vue d’ensemble. Abbane lui-même, tonitruait au début de notre rencontre de fin avril (ou début mai ?) 56 en invoquant les cas du soi-disant noyautage communiste par Lamrani et Choukal (il brandissait la carte d’identité de ce dernier), pour maintenir avec force l’exigence de dissolution du PCA. Or il avait peu auparavant -mais nous ne le savions pas au moment de la rencontre et je l’ai appris seulement quarante ans plus tard- exprimé une opinion différente dans une correspondance avec les dirigeants du Caire (cf. recueil de documents officiels par Mabrouk Belhocine). Il leur écrivait qu’il n’était pas contre l’intégration du PCA comme tel dans le Front si les communistes (entendre par là les pays socialistes) fournissaient de l’armement. La suite de la rencontre nous montra en effet un autre visage, plus ouvert et compréhensif, sympathique même, de Abbane.

Abbane, en entamant sa diatribe au début de la rencontre, avait coupé la parole à Benkhedda qui se répandait en remerciements pour notre première livraison (symbolique) de mitraillettes, comme venait de nous le transmettre aussi Ouamrane, alors que Benkhedda était idéologiquement et foncièrement un anticommuniste sournois. Contrairement à d’autres, il l’est d’ailleurs resté pour le reste de sa vie, ce qui ne l’a pas empêché à plusieurs reprises durant plusieurs mois de 1956, de coopérer à des rencontres et échanges avec Jacques Salort, notre responsable technique à la « troïka » de la direction nationale des CDL. Je rappelle aussi, pour ajouter aux aspects contradictoires de cette période, que Abbane, admiratif pour Maillot, se disait prêt à l’affecter en Kabylie avec le grade d’officier. Heureusement que ce n’avait pas été l’option de notre parti. S’il est mort, ce fut face à l’ennemi et non assassiné par les siens, tout comme Laban s’il avait été dans les Aurès malgré les rapports mutuellement sympathiques entre lui et Mostefa Benboulaïd.

Sur le thème des différenciations dans les rangs du FLN, on pourrait reprendre des dizaines d’exemples du refus de céder à l’obsession ou l’hystérie anti-progressiste. Quelque temps avant son assassinat, Bennaï Ouali s’est vu supplier par un fidaï de quitter son village de Djemaa Saharidj, car lui disait-il, on m’a désigné pour te tuer. Si-Ouali est resté par témérité ou croyant qu’avec sa renommée légendaire dans la région, on n’oserait pas aller jusque là. Son frère Meziane m’avait appris lors de l’inoubliable cérémonie d’hommage qui lui fut rendu en août 1991 à la grande Halle du marché de Mekla, qu’il avait eu quelque temps auparavant une houleuse entrevue avec Mohammedi Saïd, le bien connu « Si Nasser », en présence de Krim BelKacem, lorsqu’il était venu leur demander des éclarcissements sur le sort réservé à Ammar Ould Hamouda. Rappelons aussi que Benzine, que j’avais longuement rencontré dans une salle obscure de cinéma de Bab El Oued avant son départ vers les Aurès, l’a lui aussi échappé belle. Arrivé au dernier relai avant le maquis, un émissaire de Chihani Bachir lui a conseillé de rebrousser chemin car la situation intérieure dans les maquis aurassiens était devenue selon lui très mauvaise.

La récolte des informations (dans le genre de l’énorme travail de fourmi réalisé par Mohammed) et leur recoupement reste donc un vaste chantier. Il permettra à la fois de préciser les faits, de les assembler, d’approcher de façon multilatérale la réalité historique globale. Autrement dit, l’Histoire véridique, supposant de combiner les angles d’approche ainsi que les différents niveaux d’investigation dans les milieux géographiques, sociaux, politiques etc. Ce type d’analyse à visée scientifique, qui ne se confond pas avec les tâches par ailleurs utiles de « propagande » et de vulgarisation, ne peut qu’aider le combat communiste et démocratique à éviter les embûches subjectivistes.

J’essaierai dans mes contributions à venir, d’illustrer quelques unes des situations et comportements polyvalents parvenus à ma connaissance, à propos de quelques uns des personnages cités dans Des Chemins et des Hommes ». Les témoignages de Saâdoun recueillis par Mohammed ou ceux qui me sont parvenus il y a trois ans me confirment que, malgré le poids très lourd de l’anticommunisme hiérarchique et institutionnalisé, bien des sympathies se sont manifestées, surtout à la base, ne se déclarant pas toujours ouvertement, J’en éprouve pour cela une grande admiration pour la sérénité et la lucidité avec lesquelles Mustapha Saadoun malgré sa grande amertume pour les épreuves endurées, abordait les questions que je lui avais fait poser concernant cette période. D’autres témoignages aussi directs et plus poussés, émanant par exemple de Abdelhamid Boudiaf pour la même région et dont nous avions répercuté la lettre auprès du GPRA en 1959 (qui synthétisait son expérience et celle de Mustapha Saadoun), risquent malheureusement d’être perdus à jamais, mais des recherches sont encore souhaitables. Car les témoignages se libèrent plus facilement après les décennies de silences, d’amnésies, de précautions "diplomatiques" fondées ou non, et d’occultations intéressées ou passives.

J’essaierai donc, en espérant des échanges avec des historiens et autres camarades et amis intéressés, d’alimenter recherches et recoupements factuels, dans l’approche de la vérité historique concernant cette période, même si cette « vérité » reste toujours relative et perfectible. Ce serait une façon de défendre doublement la mémoire des camarades : en premier lieu pour avoir porté haut l’amour et la dignité de leur peuple comme la grande majorité des moudjahidin ; mais aussi et ce n’est pas poins important, pour avoir été en même temps fidèle àleur engagement réfléchi dans le long et ardu processus de libération démocratique et sociale des exploités et des déshérités, un contenu de la lutte pour les droits humains et citoyens qui n’était pas et n’est pas encore aussi largement conscient et partagé.

Une de mes contributions consistera à mettre en lumière à partir du vécu les facettes, les tiraillements et la problématique de ce qu’on pourrait appeler la mouvance ou la constellation informelle de patriotes FLN tels que Abbane, Ouamrane, Benboulaid, Benmehidi, Omar Oussedik, Dehilès, Bouregâa et bien d’autres), en prenant en compte la dimension sociologique et la conjoncture historique des décennies 40 et 50. Avec tous les problèmes que cette complexité nous avait posés, aussi bien pour le comportement concret des camarades héroïquement engagés sur le terrain que pour une gestion politique viable des intérêts de la lutte de libération à court terme et en perspective plus lointaine.
Ce ne fut pas, pour l’ensemble des acteurs communistes, une mince affaire face à la double pression subie à la fois du côté colonialiste (normal et inévitable) et du côté d’un certain nationalisme (pas si normal et qui aurait gagné à être évité). Ces deux pressions étaient différentes et asymétriques dans leur nature. Mais dans leur expression physique et morale, elles étaient parfois aussi insoutenables les unes que les autres.

UN ECLAIRAGE POLITIQUE ET SOCIAL DU COMPORTEMET DES ACTEURS

Les ambiguïtés, les contradictions et la mobilité des comportements des acteurs FLN se sont déployées toutefois sur un fond commun et relativement constant qui pourrait sembler relever de la duplicité ou de l’absurdité des comportements humains, si on s’en tenait à des approches moralisantes. Mais, cela relève davantage du domaine des approches politiques et idéologiques. Cet aspect se laisse deviner seulement en filigrane dans l’ouvrage et ne fait pas l’objet d’analyses et de références suffisantes à l’environnement politique global de l’époque. Les persécutions que les militants communistes ont enduré de la part d’une partie de l’encadrement FLN sont imputables aux faiblesses et déficits de ces derniers dans les approches politiques et les repères de principe, même lorsque des Chartes, documents ou publications du FLN avaient énoncé des repères qui sont restés lettre morte ou ont été transgressés sur le terrain.

Le tableau et les portraits dressés dans « Les chemins et les Hommes » ne sont pas cependant manichéens. De belles figures de responsables de l’ALN émergent du récit, des personnages auprès desquels Saadoun et Rebbah ont trouvé réconfort et encouragements à leur dure mission, parce que, et ce n’était pas un hasard, ces chefs politico-militaires nationalistes, souvent rôdés dans les luttes syndicales et politiques de masse avant 1954, jugeaient les communistes à travers leurs actes. De ce fait, ne serait-ce que d’un point de vue humain, ils n’avaient pas autant que d’autres sombré dans les obsessions, les défiances idéologiques et politiques, comme celles qui poussées à l’extrême ont précipité la wilaya voisine dans les drames de la bleuite.
Mais à côté d’eux, des responsables en grand nombre sont restés sous l’emprise de conceptions activistes et faiblement politisées. Ce déficit politique les rendait plus vulnérables aux exclusives et diabolisations anticommunistes et antiprogresssistes émanant de leurs hiérarchies. Il les exposait dans le meilleur des cas aux flottements et tiraillements dans le souci de se protéger d’accusations de complaisance envers les communistes.

Les différences de comportement politique seraient-elles imputables pour l’essentiel aux différences de nature entre individus, les « bons » et les « méchants » ? Les hommes et femmes communistes seraient-ils faits d’une étoffe humaine autre que celle des nationalistes ? Evidemment non ! Le courage au combat, l’abnégation dans les épreuves les plus difficiles, l’ingéniosité et l’intelligence des situations concrètes, l’esprit de fraternité, l’amour du pays et l’aspiration irrépressible à la Liberté, à l’indépendance, à la dignité et à la justice sociale ont imprégné des centaines de milliers de combattants et leurs familles non communistes.

Par contre, ce que les communistes apportaient et pouvaient apporter de plus à ce combat et à ces motivations communes, c’est leur conscience et leur formation politique et sociale s’appliquant aux voies, aux moyens, aux comportements entre militants et envers la population. Des qualités qui n’étaient pas une grâce du Ciel ou un don inné dont auraient bénéficié des individus super patriotes ou plus justes et plus altruistes que les autres. Pour chacun, les qualités initiales ou acquises dans la vie sociale, liées à l’esprit de solidarité et de justice, ont été développées à travers le militantisme de classe par de longues luttes imprégnées d’esprit unitaire et de convictions sociales et démocratiques cohérentes et formalisées.

DES DIFFÉRENCES D’APPROCHE AU LONG COURS

De telles orientations de progrès s’étaient souvent heurtées dans les rangs nationalistes aux réticences ou à l’hostilité des directions de ces organisations, sous prétexte par exemple que « l’indépendance d’abord et pour le reste nous verrons plus tard ! » Dans les rangs communistes, ces orientations avaient au contraire assuré une montée et une cohésion grandissantes de la mouvance communiste dans les cinq années qui ont précédé l’insurrection, après qu’aient été corrigés les errements sectaires et les lourdes erreurs d’appréciation imprégnées de franco-centrisme dans les analyses au cours de la période 1943-46, survenues sous l’égide du tandem franco-algérien André Marty-Amar Ouzegane.
Tandis qu’à la même époque et parallèlement, dans les formations nationalistes, des crises à répétition aggravées par les luttes de pouvoir sans principe entre factions et chefs de file, ont entraîné divisions et marasme, auxquels l’initiative de l’insurrection se proposait de mettre un terme. Chose qui aurait été possible dans l’enthousiasme populaire face à l’ennemi colonial, si les causes profondes du marasme et des divisions avaient été mieux cernées et surmontées par les responsables politiques d’avant l’insurrection et par les chefs du soulèvement armé après le 1er novembre.

Certaines propositions du Congrès de la Soummam d’août 1956 allaient dans le sens d’un tel redressement. Elles ont été torpillées dans leur application sur le terrain, tout à la fois par le rebondissement des luttes de faction et les ambitions de chefs « zaïmistes » obnubilés par le seul côté militaire et les convoitises de pouvoir, mais aussi par le caractère plus qu’équivoque de certaines des analyses avancées à ce Congrès. Il en a été ainsi, entre autres, des critiques fallacieuses sur le rôle des communistes et les recommandations de maintenir le mouvement communiste « dans un cocon de chrysalide », une formule que je me souviens avoir lue à l’époque, qui a disparu ensuite des documents officiels du FLN, mais qui est restée très présente dans les actes. Ces orientations sectaires ont prêté largement le flanc aux interprétations réactionnaires, à la chasse aux porteurs d’orientations conséquentes de progrès. Le Congrès de la Soummam avait eu le mérite d’édicter des mesures qui ont défini et homogénéisé des modalités organisationnelles (découpages territoriaux, hiérarchies, définition des fonctions etc). Mais après cette date, et en dépit des grandes proclamations à usage européen et international, on a vu politiquement, dans l’ensemble et sauf exceptions, s’évanouir les espoirs de donner aux luttes et aux modes de fonctionnement un contenu puissamment démocratique et social. On en connaît les suites malheureuses, qu’ont commencé par payer, à partir du CNRA de 1957, y compris les initiateurs de ce Congrès.

Ce contexte global et fondamental a déterminé le sort des uns et des autres, du haut en bas des hiérarchies combattantes. La signification du processus n’était pas l’affrontement des « bons et des méchants ». Il traduisait l’affrontement entre projets de société et philosophies de la libération nationale. Sa nature est perceptible en filigrane et parfois à travers les plus petits détails dans le récit captivant des épreuves affrontées par nos deux camarades. La relation factuelle et détaillée de leur dur itinéraire était sans doute l’objectif volontairement limité et respectable de l’hommage mérité rendu aux combattants dans cet ouvrage. On peut cependant se demander si l’hommage n’aurait pas été encore plus fort et plus éclairant si le contexte et les enjeux politiques avaient été davantage mis en valeur, sans idéologisation mécanique ni langue de bois, pour atteindre la dimension et la signification historiques de ces engagements communistes. Un auteur étranger, sous le pseudonyme de Robert Castel, un non communiste qui ne pouvait être accusé de faire une fleur aux communistes, avait réussi dans son ouvrage intitulé « Le maquis rouge », à planter le décor historique (non sans quelques entorses idéologiques) tout en faisant une présentation vivante de Henri Maillot et un récit tout aussi captivant de la large chaîne de dévouements militants qui ont permis son exploit et marqué son itinéraire.

Mais finalement l’ouvrage, malgré son ambition limitée au récit humain et militant, a le mérite d’enclencher chez nos compatriotes la réflexion sur les critères et modalités de l’action unie entre porteurs d’idéologies différentes. Une réflexion qui peut guider le jugement à porter sur les comportements des acteurs et personnalités de la mouvance FLN.

Pouvons-nous en rester à une vision métaphysique et figée des acteurs qui ont été nos partenaires dans la lutte nationale ? Pouvaient-ils spontanément obéir aux critères qui sont les nôtres, alors que dans le processus du mouvement national qui a précédé et préparé l’insurrection, notre démarche de principe était loin d’avoir été intériorisée chez la plupart de nos alliés avec qui nous partagions l’objectif d’indépendance ?

Dans un tel contexte global, lui-même évolutif au cours des années de guerre, nous avions surtout à comprendre quelque chose d’important. A mon sens, Mustapha Saadoun et Noureddine Rebbah comme beaucoup d’autres de leurs camarades l’avaient bien saisi, ce qui les a aidés à mieux surmonter leurs douloureuses épreuves. Nous avions à comprendre les motivations et les ressorts des comportements de nos alliés objectifs et jusqu’à un certain point subjectifs, pour mieux les gérer dans l’intérêt national et général, tout en faisant le maximum pour les faire évoluer vers des conceptions plus unitaires, moins hégémonistes. Ils étaient imprégnés, dans le meilleur des cas, d’un pragmatisme plus ou moins positif et, dans le pire des cas, d’ambitions de pouvoir dévoyées et d’appétits économiques antisociaux pouvant les amener aux pires méfaits.

Dans tous les cas, ce qui était en cause c’était leur conception du très large front national, selon que l’unité d’action reposait chez eux sur une philosophie et une pratique démocratiques ou sur des conceptions autoritaires. La faiblesse plus ou moins grande chez les uns ou les autres était (et reste encore jusqu’à ce jour dans l’Algérie indépendante) à l’origine des dérives des plus simples aux plus graves. Les communistes ainsi que de larges secteurs de la population ont payé particulièrement le prix de ces carences en matière d’union nationale, alors que parfois même des caïds, des bachaghas et autres ont été sollicités et ont pu coopérer quand ils ont trouvé un répondant suffisant de compréhension auprès des combattants et de leurs instances politiques.

REMARQUES D’ENSEMBLE SUR L’ÉVOLUTION DES RAPPORTS PCA-FLN DURANT LA GUERRE DE LIBERATION

Sur ces pressions, quelques premières remarques d’ensemble me paraissent se dégager. Par exemple, dans le contexte concret de la wilaya 4 et par rapport aux situations qu’ont connues d’autres wilayas en meilleur (exemple wilaya II) ou en pire (exemple wilaya III), disons qu’un équilibre très précaire entre ces contraintes s’est réalisé. Si j’en crois les premiers commentaires, l’ouvrage « Des chemins et des Hommes », en retraçant le parcours emblématique de Mustapha Saadoun et Noureddine Rebbah. m’a semblé donner une image de cette complexité des situations affrontées avec honneur et dignité mais aussi avec intelligence politique, par les communistes,

Une autre remarque générale : ce n’est pas dans les espaces géographiques seulement qu’on a pu noter des différenciations dans les attitudes FLN envers les combattants et militants communistes. C’est aussi dans le temps. La première moitié de la guerre est celle où les camarades et le parti ont traversé les plus dures épreuves politiques et physiques de la part des courants nationalistes les plus étroits. Le point d’inflexion, je ne dirai pas de mutation, s’est situé, je m’en souviens, à partir de la fin de l’année 57, avec notamment le jalon de la conférence (des non-alignés ?) du Caire de décembre 57 que nous avions saluée dans « El Hourriya » clandestine. Nous avons à partir de là senti de plus en plus, nous en étions même étonnés, une amélioration du climat envers les communistes. Alors qu’au début, majoritairement on se méfiait des communistes, on cherchait à les écarter, les discréditer ou même persécuter, les informations reçues de nos camarades montraient progressivement qu’on recherchait leur coopération, y compris lorsque, rendus prudents et désireux d’écarter toute accusation de « noyautage » ils se déclaraient comme que tels. Aux yeux d’un nombre grandissant de patriotes du FLN de guerre, surtout vers les échelons intermédiaires et à la base, être militant communiste devenait un label de confiance. Bien sûr au niveau des appareils dirigeants les plus élevés, certains s’en éloignaient comme de la peste. En témoignait par exemple le refus adressé à la demande de Henri Alleg de s’installer à Tunis après son évasion des prisons françaises, ou les conférences que donnait Lakhdar Bentobbal aux cadres et militants FLN du Maroc, qui désignait les communistes comme l’ennemi dangereux à combattre après l’indépendance.

Il est vrai que les différenciations et les décantations positives ne se situaient pas seulement à la deuxième tranche ou période de la guerre. Elles relevaient aussi de la nature sociale ou de la culture et de la sensibilité politiques des partenaires, selon également qu’il s’agissait de la base populaire ou des ex-membres des appareils bureaucratiques des partis anciens ou des nouveaux appareils en voie de constitution. A ce titre, des situations et attitudes positives étaient observables même dans les débuts et la première moitié de la guerre.

C’est cette double particularité (des évolutions dans le temps et des décantations dans le champ sociologique et politique) que n’ont pas pu percevoir quelques camarades, aux convictions communistes très fortes au départ, quand ils furent placés dans des conditions objectives d’isolement ou de contexte qui ne leur permettaient pas de les percevoir facilement. Par exemple dans les espaces confinés de camps ou de prisons où dominaient des courants nationalistes sectaires de la période antérieure. Des situations qui ont amené certains de ces camarades à des positions complexées et défensives, favorisées aussi parfois par un profil psychologique particulier ou par les illusions sur l’engouement pour le socialisme (spécifique) devenu un faire valoir de dirigeants FLN.

Il est vrai que la plupart de cette minorité de camarades ont très vite retrouvé leurs repères, dès qu’à leur libération ils ont, comme le mythique Antée, reposé les pieds sur le sol des réalités. Le nombre de camarades qui ont été influencés beaucoup plus durablement ne se compte même pas sur les doigts d’une seule main. Je parle de ceux qui se sont encroûtés sur des positions qui les ont mis en décalage retardataire par rapport aux évolutions de l’opinion progressiste et populaire du pays.

À L’ORIGINE DU DÉSARROI DE QUELQUES MILITANTS COMMUNISTES FACE À L’HÉGÉMONISME FLN

J’aurai l’occasion d’évoquer de façon précise, parmi ces cas exceptionnels, celui de Ahmed Akkache, qui a préfacé avec beaucoup d’émotion le récit « Des Chemins et des Hommes ». Je n’ai aucune difficulté à en parler de la façon constructive et fraternelle qui convient le mieux envers un camarade avec qui, comme ami très proche, j’avais partagé les moments inoubliables de la période légale du PCA et les débuts de la clandestinité de guerre. Moments au travers desquels les luttes des travailleurs, paysans et étudiants ont ancré davantage le parti dans le paysage national.
Je ne peux en cela approuver le ton hargneux et vindicatif avec lequel Boualem avait qualifié notre camarade lors d’une commémoration organisée il y a deux ou trois ans à Paris sous l’égide des Amis d’Alger républicain. Boualem avait peut être des raisons particulières, fondées ou non, d’en vouloir à son ancien camarade en raison d’un épisode des années 60 (1968), en pleine répression violente du régime contre les communistes. Cela ne suffit pas cependant à justifier un jugement politique aussi cassant et stérile, ne prenant pas en compte les aspects diversifiés ou dontradictoires de la personnalité d’un militant. Je ne peux pas oublier pour ma part qu’en fin 1990, Ahmed sans être organisé, avait envoyé à titre personnel à la direction du PAGS une contribution de stratégie économique qui se démarquait des errements néolibéraux de la fameuse et fallacieuse "RPI" (résolution politico- idéologique"). Peu après le Congrès de décembre, aux résultats mitigés et aux perspectives encore incertaines, il m’avait rendu visite en compagnie de L’Hachemi Bounedjar, pour me faire part de ses inquiétudes quant à l’avenir du PAGS, au moment où deux autres anciens, censés plus attachés à la "cause", cautionnaient à fond les dérives manipulatrices qui menaient le PAGS vers la perdition.

Akkache n’a pas foncièrement quitté le camp des exploités et des opprimés, le camp certes non homogène mais dont les regards et les espoirs restent tournés vers des perspectives humaines socialistes. Ce serait un mauvais procès à lui faire et avoir une piètre idée de notre idéal de croire, comme ont voulu nous l’imposer les adeptes du parti FLN, qu’il n’y aurait qu’une seule façon de militer et d’œuvrer à l’union large dans l’action, qui serait d’appartenir à une organisation unique, « la sienne » et par définition la meilleure, évidemment.

J’estime quant à moi que Akkache a été victime dans le peu d’années qui ont précédé ou suivi de près l’indépendance, certaines lourdes erreurs d’appréciation. Il nous appartient à tous amicalement, à commencer par lui, de déchiffrer les contours ainsi que les racines qui les ont alimentées à partir de la société et de la scène politique. J’estime personnellement que son attachement réel à la cause communiste, beaucoup plus sentimental aujourd’hui que vraiment fondé sur un projet politique cohérent, n’a pas empêché certains faux pas de sa part depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui. Je n’en expose qu’un seul ici.
Dans la préface à l’ouvrage, il continue à discourir sur l’un des thèmes où il avait auparavant dérapé depuis l’indépendance, celui des « européens boulets du PCA », un discours dont la grande mode est pourtant passée. J’ai été d’autant plus étonné de cette dissonance dans la préface, que l’ouvrage qu’il présente ne fournit aucun prétexte, aucune trace d’un tel frein à l’engagement armé des communistes et de leur parti. Il met au contraire en lumière cette question par de multiples exemples, cependant que l’opinion progressiste et les media algériens ont pris depuis l’indépendance et surtout depuis la décennie écoulée, une mesure de plus en plus juste de cette controverse et de son instrumentation par les courants conservateurs et réactionnaires.

Depuis la fin des années quarante et le début des années cinquante, cette question avait été réglée pour l’essentiel dans le PCA sur le fond et sur le terrain. Akkache aussi bien que Henri Alleg, étaient parmi les dirigeants, Algériens musulmans ou européens, qui s’étaient donnés à fond pour cela. Il pourrait se souvenir que, lorsque j’ai eu quitté le PPA-MTLD, il me sollicitait pour adhérer au PCA, je lui mettais en avant que je le ferais seulement lorsque cette question et la proclamation au grand jour de l’objectif d’indépendance serait clarifiée. Jusqu’au moment où il m’assura qu’il ne restait aucune équivoque à ce sujet et surtout que moi-même je constatais dans les faits, dans la société et sur la scène politique qu’il en était bien ainsi.

Dans les années qui ont précédé l’insurrection, et plus tard sous le régime du parti unique, ce thème des « européens », tout comme la prétendue hostilité des communistes envers « l’Islam », servait surtout de leitmotiv aux campagnes partisanes et politiciennes contre le PCA et le PAGS. Les milieux qui orchestraient les dénigrements ne semblaient pas du tout offusqués d’ouvrir les bras (à juste titre) au premier président du GPRA qui dans le passé avait vigoureusement nié jusqu’à l’existence d’une nation algérienne ou que des leaders réformistes des Oulama n’aient soutenu l’initiative de novembre 54 qu’à leur corps défendant.

Je me suis d’autant plus étonné que Akkache ait enfourché ce cheval de bataille au moment où d’autres y renonçaient de plus en plus, car jusqu’au milieu de 1957, date de son arrestation, il fut un fervent défenseur de la ligne autonome du PCA, en particulier lorsque s’était engagée en mai-juin 1956 dans le comité central clandestin du PCA, la discussion autour des pressions qu’exerçait sur nous le FLN au nom d’exigences idéologiques et politiques contestables. Akkache fut l’un de ceux les plus en pointe pour appuyer sans réserve l’argumentation exposée dans la réponse écrite remise à ce moment là au FLN. Il avait activement participé à son élaboration en tant qu’un des secrétaires du PCA.

COMMENT PEUVENT NAÎTRE ET ÉVOLUER DES DÉRAPAGES

Que s’est-il passé depuiscette date, s’interrogent nombre de communistes et de progressistes ? Ils ne comprennent pas les raisons d’une évolution sur laquelle les dirigeants du PCA, dans un environnement qui n’a cessé d’être hostile, ont préféré garder le silence public. La discrétion finalement a alimenté les équivoques et ne contribue pas à tirer des enseignements bénéfiques pour tous.

Sait-on par exemple, on ne l’a pas dévoilé jusqu’ici, maisje me sens bien obligé de dire les choses pour éclairer cet aspect regrettable. Akkache, pensant peut être mieux se faire voir des responsables FLN co-détenus, avait demandé en prison aux camarades « musulmans » de ne pas parler aux camarades européens, les mettre en quarantaine, alors que ces derniers, torturés et condamnés pour leur engagement algérien, jouissaient auprès de la majorité de leurs codétenus nationalistes d’un respect et d’une sympathie chaque jour vérifiées. Akkache dans les conditions de son confinement pénitentiaire, était subjugué par la minorité de politiciens FLN qui avaient gardé les vieux réflexes d’ostracisme envers les communistes et avaient eux-mêmes perdu le contact avec les nouvelles sensibilités populaires. Je continue toujours à me demander quels mécanismes psychologiques ou quelles occurrences l’avaient amené à se replier face aux arguties de nos alliés nationalistes les plus sectaires, au lieu de promouvoir auprès d’eux les convictions unitaires qu’il défendait auparavant, dans l’espoir de faire réfléchir au moins les plus ouverts d’entre eux.

Dans le décalage par rapport aux évolutions positives survenues chez des patriotes sincères, qui ont amené des jeunes de plus en plus nombreux à rejoindre nos rangs dès l’indépendance, dans ce décalage se trouve à mon avis la raison pour laquelle Akkache, dans cette même période s’est enfermé dans cette perception erronée, a persisté dans la bouderie, la mauvaise humeur. Malgré les patientes exhortations de ses camarades les plus proches, le relançant jusque chez lui où il s’était retiré.
Au même moment, comme nous le rapportaient les responsables communistes Ahmed Keddar et Cheikh Embarek dans la région d’Aïn Defla, des centaines de paysans venaient fièrement voir nos camarades en leur montrant leurs cartes du PCA d’avant guerre : « Nous les avons enterrées par prudence et nous avons combattu, maintenant nous les ressortons, nous n’avons pas changé » ! Ils étaient de la graine de ces moissonneurs de la région qui avaient accueilli et protégé Mustapha Saadoun quand il a échappé aux forces coloniales en juin 56.

Comment expliquer au même moment la persistance chez Akkache d’un complexe d’infériorité envers les courants comme ceux du « gourou » Ouzegane, devenu porteur de valise du pouvoir de Benbella puis de Boumediène, jusqu’au jour où les maîtres du « socialisme spécifique » lui signifièrent qu’on n’avait plus besoin de ses services.

La dérive chez Akkache a ainsi persisté malheureusement après son retour à l’air libre, parce qu’entre autres, à la différence des lecteurs populares enthousiastes d’Alger républicain, Akkache ne comprenait pas que Henri Alleg ait été reconduit dans la fonction de co-directeur du quotidien. Quoi d’anormal, pour celui qui fut non seulement la figure de proue de ce journal dans les mémoires populaires jusqu’à son interdiction de septembre 1955, mais aussi la cheville ouvrière de sa renaissance dès les premières semaines du cessez le feu. Il l’avait fait en dynamisant nombre de camarades par ses initiatives quand l’un ou l’autre hésitant trainait encore la patte. Il fallait faire face aux entraves souterraines de la « Zone Autonome », aux intimidations armées de la wilaya IV que Hamid Allouache disait représenter à la tête d’un groupe mitraillettes en main (il fut poliment éconduit par ses anciens camarades qui lui disaient « ehchem ‘ala rouhek ») [1]. Il fallai faire face au lourd climat de provocaions, lorsque que Benhamouda dans le Chenoua et le Cherchellois interdisait Alger republicain dans sa zone, séquestrait Mustapha Saadoun, interceptait les camionnettes de livraison du journal dont le chauffeur de l’une d’elles fut porté disparu !

Fait sidérant pour ceux qui le connaissaient et l’aimaient, Ahmed après cette phase de repli passif, s’est ensuite mis délibérément sur la touche à un moment crucial comme celui de l’interdiction du PCA en fin novembre 62. Des camarades comme Mustapha Saadoun ou comme Hamid Benzine, très épuisés par leurs épreuves, avaient repris immédiatement dès fin juin et début juillet à leur sortie de l’enfer colonial leur place dans le combat, avant même d’avoir pu souffler un peu dans leurs familles.

Saadoun, raconte qu’après son emprisonnement funeste dans la zone de Benhamouda, il a repris une vie de famille. Il omet modestement de dire qu’il a assumé immédiatement à ces moments difficiles la lourde responsabilité de dirigeant de la Région d’Alger, dans ce local de la ru Bab Azoun où affluaient entre autres des dizaines de jeunes Algérois volontaires pour aller défendre Cuba, croyant que nous leur donnerions une filière, après un meeting triomphal au cinéma Donyazad, une initiative que le FLN tenta d’imiter deux jours plus tard et qui se solda pour lui par un échec retentissant. C’est le même engagement qu’aurait également pris sans hésiter une seconde Noureddine Rebbah, qui j’en suis persuadé, aurait été dans cette après-indépendance un ardent et intelligent dirigeant communiste, car il était comme Mustapha, en plus de son patriotisme internationaliste, profondément attaché à la vertu du travail de conviction, des échanges patients et du débat démocratique pour réduire à leur dimension les petitesses, les problèmes subjectifs et autres grains de sable dans les rouages de la lutte.

Cela, la continuité de la cause communiste à travers les tempêtes et les incompréhensions, l’ouvrage nous aide aussi à le comprendre.

Pour cette raison et c’est un autre de ses mérites qui vient à son heure, cet ouvrage me parait inaugurer un nouveau cycle, plus productif, des débats et des recherches sur la guerre de libération et ses prolongements dans l’après indépendance.

S.H. 30 Janvier 2010


(*) Des Chemins et des Hommes , par Mohamed Rebah, Editions Mille Feuilles, Alger, Octobre 2009


[1Il ne tardera pas à reprendre ses esprits et comprendre les rouages infernaux de la crise de l’été 62. Dans son exil forcé au Maroc, qu’il partageait avec Mustapha Saadoun, Abdelhamid Boudiaf et d’autres au milieu du climat d’intrigues qui y régnait, je pense qu’il a cru un instant à la possibilité de jouer un rôle progressiste positif en s’intégrant lors du cessez le feu aux luttes de pouvoir qui se menaient entre armée des frontière, wilayas et zone autonome d’Alger. En juin ou début juillet 1956, alors qu’il était dans les groupes de jeunes communistes de Larbaa et Rovigo (Bougara) implantés dans les monts de Bouinan, je l’ai rencontré individuellement comme nombre d’autres combattants et responsables de groupes armés (nous nous étions partagé Bachir et moi ces rencontres pour expliquer les orientations après les accords PCA-FLN.). Celle-ci s’est déroulée dans un studio de la rue Pirette, loué à ce moment par des camarades expulsés de Constantine, Bernard Sportisse et le couple Soler. A cette rencontre, Allouache, qui me rapportait les échos extraordinaires dans la population et les maquis, de l’exploit de Maillot et de sa mort au combat, argumentait au début avec vigueur pour le maintien de l’indépendance des CDL. Il a fini dans la discussion à comprendre les décisions, pas seulement par discipline mais par conviction, comme le confirme l’enquête de M. Rebah

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