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Cri d’alarme et appel aux mobilisations

DURES VERITES SUR L’AVENIR ÉNERGÉTIQUE DE L’ALGERIE

Le Pr Chemseddin Chitour : les solutions existent

mardi 16 février 2010


Le Pr Chemseddine Chitour, c’est depuis longtemps le sérieux, la compétence et la persévérance. Il dresse dans "L’Expression" le tableau des inconséquences de la politique énergétique actuelle de l’Algérie. Il démontre que, si un redressement radical n’est pas opéré, la gestion irrationnelle et irresponsable des ressources nationales enfoncera irrémédiablement l’ensemble de la population d’ici l’horizon 2030 dans les malheurs de la faim, de la soif, du froid et d’une dépendance extérieure écrasante. Vision catastrophiste ? Non, indique le Pr Chitour, qui trace les solutions possibles, à condition que cette affaire de "quelques uns" devienne l’affaire de TOUS. On ne saurait mieux souligner l’importance de l’information véridique et des puissantes mobilisations,en un mot de l’approche démocraique pour imposer les voies de la raison et de l’efficacité.


« Un homme politique pense aux prochaines élections.
Un homme d’Etat pense aux prochaines générations. »

La dernière perturbation qu’a connue la compagnie nationale Sonatrach nous incite à faire le point sur les termes du débat.
Au-delà du catastrophisme stérile qui consiste à diaboliser tout le monde et à montrer du doigt ce qui compromet la distribution d’une rente imméritée, car elle n’est pas le fruit de l’effort, de la sueur et de la persévérance, il y a nécessité d’un devoir d’inventaire pour d’abord, éviter de faire dans la surenchère, ensuite de montrer que la politique pétrolière du pays n’est pas et ne doit pas être indexée sur celle de sa compagnie pétrolière seulement, et à ce titre, que l’on se « rassure provisoirement », nous continuerons, à moins d’une vision nouvelle que je n’ai cessé d’appeler de mes voeux depuis une quinzaine d’années, à engranger des dollars qui s’effriteront dans les banques américaines pour continuer à pomper, comme je l’ai indiqué dans mes écrits et mes enseignements, d’une façon frénétique, une ressource qui appartient aux générations futures.

On sait que l’énergie est très inégalement répartie dans le monde. En moyenne, le rapport est de 1 à 40 si on compare la consommation d’un Américain moyen (8 tep/hab/an) à celle d’un Sahélien. Elle est de 1à 8 avec un Chinois (1tep/hab/an) et de 1 à 2 avec un Européen.
Pouvons-nous continuer ainsi quand on sait que le peak oil est daté ? Désormais, la théorie du « pic pétrolier » trouve des partisans au coeur même du secteur de l’énergie. Colin Campbell, un ancien cadre de Total France, a déclaré lors d’une conférence : « Si le chiffre des réserves réelles [de pétrole] sortait, il y aurait une panique sur les marchés boursiers... »
Depuis 1981, le volume de pétrole extrait chaque année est supérieur à celui des nouvelles découvertes. On sait que pour un baril de trouvé, trois sont consommés. La stratégie, énergétique des pays industrialisés est globalement celle du « business as usual ».
L’AIE prévoit dans sa « boule de cristal » une production de 86,5 mbj de pétrole en 2010 et le prix moyen du pétrole en 2010 doit atteindre 75 dollars le baril contre 58 dollars en 2009. Elle nous prévoit un maximum de 95 à 100 millions de barils /jour en 2030.
L’Opep devenue après l’épopée des années 70, une organisation de dilapidation d’une rente imméritée hypothéquant l’avenir des jeunes de ces pays, suit les injonctions de l’AIE.

Un marché menacé

On nous apprend aussi, d’après le ministre algérien de l’Énergie, que les contrats d’exportation de gaz à long terme des pays producteurs sont confrontés à une menace.
Qu’avons-nous fait là aussi pour trouver la parade ? Sinon de continuer à exporter perdant indûment de l’argent.

Le ministre en appelle au regroupement et à la coordination des pays gaziers. Le marché mondial du gaz est en train de muter à toute vitesse à la faveur du développement des gaz non conventionnels et cela constitue une menace réelle. Les contrats d’exportation de gaz naturel à long terme des pays producteurs « sont confrontés à une réelle menace » et que le Forum des pays exportateurs de gaz (Fpeg) devrait réagir aux mutations du marché gazier mondial.
M. Khelil a expliqué que le marché mondial du gaz a connu de grands changements en une courte période, ajoutant qu’actuellement, « l’offre dépasse la demande et les prix du gaz dans les marchés des contrats spot et à terme, ont reculé à de faibles niveaux, et une menace réelle existe pour les contrats d’exportation de gaz à long terme ».
Poursuivant son analyse du marché gazier mondial, le ministre a fait savoir que « les producteurs de cette énergie ont dû augmenter leur production pour maintenir les niveaux de leurs recettes, donnant naissance à une nouvelle concurrence ».
Ainsi, « les consommateurs préfèrent acheter le volume minimum stipulé dans les contrats et acquérir le reste sur les marchés spot où l’offre dépasse la demande et où les prix sont bas. (1) »

Qu’en est-il de ces gaz non conventionnels (gaz de schistes) qui nous font craindre d’avoir moins de dollars dont on ne sait pas quoi en faire si ce n’est de continuer à entretenir les exportations, produisant moins de dollars que nous laissons s’effriter dans des banques américaines en bons du Trésor à 2% alors que l’inflation est double ?
« Il convient de signaler, écrit Nasser Rarrbo, un expert gazier, que le gaz non conventionnel représente à peine 4% des réserves mondiales de gaz, selon les estimations de l’AIE. Mais il a assuré 12% des volumes produits dans le monde l’an dernier.
En 2030, le gaz non conventionnel devrait représenter près de 60% de la production américaine de gaz, contre à peine 30% en 2000, selon l’AIE.
Depuis 1990, la production de ce type de gaz a quasiment été multipliée par 4 aux Etats-Unis, pour atteindre 300 milliards de mètres cubes l’an dernier. (...) » (2)

On l’aura compris : c’est surtout le marché américain qui est concerné, l’Algérie est dans la sphère du marché européen, elle n’est pas concernée fondamentalement, sauf si l’Europe se ravitaille dans de grandes proportions sur le marché spot et américain.
Cependant, il est vrai que le prix du gaz naturel a baissé en 2009 par rapport à 2008, le prix du pétrole a repris mais pas celui du gaz.
À l’époque, il y avait un couplage des prix du gaz naturel sur ceux du pétrole ou pour être précis sur les produits pétroliers.
Cependant, à même pouvoir calorifique que le pétrole qui est déjà très sous-estimé pour les services qu’il rend, le gaz naturel est littéralement bradé.
Le prix de 1 MBTU de gaz est obtenu en divisant par 10 ou 11 le prix du baril de pétrole, alors qu’il faudrait le diviser par 6 pour obtenir le prix juste du gaz, vu que le baril de pétrole équivaut à 6 MBTU.
Pourquoi alors continuer à produire d’une façon débridée un produit dont le prix ne fera qu’augmenter dans le futur ?
Ajoutons à cela qu’il est étrange qu’une tonne de CO2, produit responsable de l’effet de serre et qui coûte trois plus cher qu’un million de BTU, soit 252 millions de Kcal ou encore 250.000 thermies de gaz naturel.
Cependant, le croyons nous, on ne peut qu’accélérer le déclin du pétrole avec un prix aussi dérisoire qui incite au gaspillage.
Avec un prix du pétrole par exemple de 70 dollars le baril et un prix du gaz à 7 dollars le million de BTU, l’écart entre les deux est de 12,4 dollars par tonne équivalent pétrole (Tep).
Le gaz est moins cher que le pétrole à même équivalent énergétique.

Renforçant notre point de vue depuis une quinzaine d’années, Nicolas Sarkis déclare : « L’Algérie va devenir un importateur de pétrole. »
Après que la revue statistique de British Petroleum ait prédit, en 2004, que l’Algérie deviendrait un pays importateur de pétrole dans 16 ans, l’expert international Nicolas Sarkis affirme que l’Algérie est le premier pays producteur qui risque de devenir un pays importateur de pétrole. « L’Algérie est le pays qui détient le plus faible taux de production et de réserves à l’Opep... De plus, nous remarquons que du fait de l’augmentation des besoins énergétiques internes, l’Algérie ne pourra pas exporter dans un proche avenir des quantités importantes de pétrole », indique M.Sarkis.
L’Algérie n’a pas joué la prudence dans l’exploitation de ses richesses :
« Non seulement la dépendance aux hydrocarbures a augmenté de 70% dans les années 1970 à 98% aujourd’hui, la production actuelle, estimée à 1,4 million de barils/jour, demeure élevée. »
N.Sarkis s’interroge sur cette propension algérienne à vouloir épuiser les réserves : « C’est une erreur que de penser à gagner beaucoup d’argent en un temps réduit en épuisant les réserves, notamment dans la conjoncture actuelle », dit-il.
Plaidant pour une exploitation rationnelle des hydrocarbures, il signale que les réserves de Hassi Messaoud s’amenuisent et que les nouvelles découvertes ne font que couvrir cette faiblesse pour un temps. « Avec le maintien de sa dépendance aux hydrocarbures, l’Algérie peut se réveiller un jour sur une situation très douloureuse », note M.Sarkis. (3)

Merci M.Sarkis de marteler comme moi une vérité qui dérange. Puissiez-vous être écouté pour le bien de ce pays !
Je vais, cependant plus loin que vous. il faut un bouquet énergétique en Algérie à l’horizon 2030 ! On sait que depuis près de cinquante ans, la vie économique algérienne s’est organisée autour des recettes pétrolières.
Au total, durant la décennie 2000, c’est plus de 300 milliards de dollars qui ont été engrangés.
D’après plusieurs sources (AIE et BP,) les réserves pétrolières de l’Algérie sont estimées entre 16 et 17 milliards de barils. Les découvertes faites chaque année ne couvrent qu’une partie de la production. On parle de 60%. Cela veut dire que chaque année, nous entamons inexorablement les réserves avec un pourcentage de plus en plus élevé. La production actuelle est de l’ordre de 1,4 million de barils/jour tous liquides confondus.
S’agissant du gaz naturel, nos réserves de 4359 milliards de m3 nous placent en 9e position. L’Algérie exporte plus de 60 milliards de m3 de gaz et envisage, à Dieu ne plaise, de porter l’exportation à 100 milliards de m3. La consommation de l’Algérie est d’environ 1 tonne équivalent pétrole.
Par ailleurs, dans toutes les prévisions de consommation, il n’est nulle part tenu compte de l’entrée progressive et incontournable des énergies renouvelables dans les bilans énergétiques de l’Algérie, telles que le solaire, l’éolien, le géothermique ; dans les statistiques actuelles elles sont infimes.

L’Algérie et les pays du Maghreb seront très vulnérables aux changements climatiques selon une étude de « Climate Change Knowledge Network ».

Il est aussi intéressant de voir ce qui se passe ou ce qui adviendra en Algérie face à tous ces risques et incertitudes climatiques.
Le territoire algérien connaît depuis 1975, une hausse de température puisque globalement et en moyenne sur cette période, la pluviométrie a baissé de 35% « le nombre de jours de neige a diminué de 40% dans plusieurs régions d’Algérie. L’augmentation de température citée ci-dessus pourrait alors se traduire par une évapotranspiration de près de 200 mm par an et par conséquent, une remontée des ceintures de végétation en latitude de plus de 500 kilomètres. »
Que doit faire l’Algérie ? Quelques principes. Avant toute chose, il faut être convaincu que les défis majeurs que l’Algérie aura à affronter et sans être exhaustif, concernent la sécurité alimentaire, le stress hydrique, l’énergie et les changements climatiques.
Ceci dans un contexte mondial de plus en plus perturbé par les stratégies énergétiques des grandes puissances dans un contexte de raréfaction inexorable des énergies renouvelables, de changements climatiques et de chocs des cultures, voire, à Dieu ne plaise, du choc des civilisations.
L’eau, l’énergie et l’environnement sont le triptyque autour duquel devrait s’articuler, dans une grande mesure, le développement économique scientifique du pays pour les prochaines décennies.
Sur la base de modèles énergétiques, il nous faut imaginer rapidement des Etats généraux de l’énergie qui concerneront tous les départements ministériels et même la société civile qui devra être convaincue de la nécessité de changer de cap : passer de l’ébriété énergétique à la sobriété énergétique .
Nous sommes profondément convaincus que le problème de l’énergie, problème majeur s’il en est, sera de plus en plus le problème structurant de notre devenir tant il est vrai qu’une utilisation rationnelle pondérée sans compromettre l’avenir des générations futures est le plus sûr moyen d’augmenter la durée de vie de nos ressources fossiles.
De ce fait, le problème du cap énergétique est un dossier transversal qui intéresse à des degrés divers tous les départements ministériels.
En fait, il faut passer de la situation où personne ne se sent concerné à une situation où tout le monde, à des degrés divers, se sent concerné.
Imaginons que nous aboutissons à une stratégie énergétique après des Etats généraux où toutes les forces vives du pays participent (les départements ministériels, les universités, les organisations syndicales, la société civile au sens large).
En 2030 la population algérienne sera de 45 millions d’habitants. Si on admet que le développement amènera une consommation à 2 tep/hab /an, il faudra à l’Algérie une consommation de près de 100 millions de tep/an ; les aura-t-elle ?
À 20% d’énergie renouvelable, il nous faut produire 20 millions de tep en énergie renouvelable ! Comment ? C’est là le plan Marshall qui devra mobiliser notre potentiel.

Un plan Marshall de l’énergie

Nous allons inexorablement vers la fin des énergies fossiles. Il est donc important de se convaincre qu’un baril de 2010 coûtera 10 fois plus, au fur et à mesure que nous approchons de la fin. Au risque de me répéter encore une fois. Notre meilleure banque est notre sous-sol.
Avec un modèle énergétique, nous ne produirons que ce dont on a besoin, sans compromettre l’avenir. Le temps presse. Soit on organise cette mutation, soit on la subit.
Cette détermination des besoins graduelle ne sera perceptible que dans le cadre d’une stratégie énergétique devant déboucher sur un « bouquet énergétique » comprenant les différentes énergies.
La mise en place de ce bouquet énergétique permettra d’une part, de créer de la richesse en développant à marche forcée les énergies renouvelables , notamment le solaire thermique et photovoltaïque, la géothermie et l’éolien.
Elle devra d’autre part re-développer le « barrage vert » et exploiter la biomasse sous toutes ses formes.
Elle devra enfin s’attaquer au gaspillage qui lui permettra de consommer moins en consommant mieux .
Le fait de dire qu’on a découvert du gaz à Tiaret n’est pas une bonne nouvelle, elle renvoie aux calendes grecques toute remise en cause du farniente actuel et de tordre le cou aux comportements de satrapes qui font que, comme les roitelets du Golfe, nous gaspillons d’une façon paresseuse en victuailles une rente qui compromet dangereusement l’avenir du pays.
La stratégie à mettre en œuvre consistera justement à un triple objectif :

  • assurer une relève graduelle par les énergies renouvelables,
  • modérer et dimensionner notre production en fonction des stricts besoins de l’Algérie
  • en rompant une bonne fois pour toutes avec la culpabilité de « nos engagements ».

On devrait ajouter que pour le pays, la meilleure énergie c’est encore et toujours sa jeunesse qui devra être partie prenante de son avenir.
Un plan Marshall de l’énergie donnerait de l’emploi aux milliers d’ingénieurs qui chôment ou quittent le pays.
Dans le monde actuel, il n’y a pas de patriotisme désintéressé -surtout s’il n’y a pas d’exemple de référence-, nos élites s’offriront à ceux qui les évaluent à leur juste valeur.
C’est à nous tous de savoir les mobiliser pour des projets structurants et non pas en leur offrant des CDD sans lendemain, façon solidarité à 800 km des côtes européennes où leur talent est reconnu.

Pr Chems Eddine CHITOUR

13 Février 2010


1.Chakib khelil estime qu’une réaction du Fpeg est nécessaire. Journal Es Sabil fevrier 2010.

2. Nasser Rarrbo : Le gaz naturel non conventionnel. El Watan 17 septembre 2009

3.N. Sarkis ; Interview El Khabar février 2010

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