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Avril 1970 : au trentième anniversaire de sa mort

Les communistes et Cheikh ABDELHAMID BEN BADIS

L’initiative à l’origine de "YOUM AL ’ILM"

mercredi 16 juin 2010

En avril 1970, le centième anniversaire de la naissance de Lénine était célébré dans le monde entier. La revue idéologique et culturelle du PAGS "REVOLUTION SOCIALISTE" avait consacré une grande place à cet évènement, non dans le style dithyrambique, mais en s’efforçant de saisir le sens de son oeuvre et ses conséquences sur l’évolution mondiale. Sur mon insistance, l’article principal fut rédigé par le regretté AZIZ BELGACEM, qui s’en tira aussi bien que dans ses activités pratiques et d’organisation où je ne souhaitais pas qu’il reste confiné.

Dans le même temps, 1970 coïncidait avec le trentième anniversaire de la mort de Benbadis (1940) et nous estimions que l’image de ce grand homme de pensée et d’action, éminent progressiste et proche de l’action anticolonialiste des communistes en différentes occasions, méritait d’être mieux connue des nouvelles générations qui s’en faisaient une fausse idée.
Car pour certains fondamentalistes et futurs intégristes, il commençait à représenter un "’arabo-islamisme" dans ses aspects les plus conservateurs, certains même l’ont considéré plus tard comme l’inspirateur des courants réactionnaires des années 90.
D’autres progressistes, dans leur conception "laïcarde" empruntée aux faux interprètes des "Lumières" le considéraient également comme un conservateur et antiprogressite du seul fait de ses références islamiques et de sa défense de la langue arabe.

Aucune de ces appréciations négatives ne correspond à la réalité et à l’éminente contribution qu’il a apportée aux progrès du mouvement national.

Aussi le PAGS lui consacra-t-il une brochure publiée en arabe et en français, à la laquelle Bouzid Kouza et Tahar Benaïcha (fin connaisseur de l’islam algérien) ont beaucoup contribué.

A une autre occasion, SOCIALGERIE retracera comment le PAGS, à cette date précise, appela ses militants et sympathisants à faire du 16 Avril 70 une "Journée du Savoir".
L’appel eut un grand retentissement dans les milieux étudiants et universitaires notammnent, cependant que les démagogues du FLN qui faisaient de leur modèle d’arabisation un thème politicien furent complètement pris au dépouvu.
Les bureaucrates du parti unique se rattrapèrent l’année suivante en polluant comme d’habitude chaque initiative positive : leur célébration du 16 avril consista à déverser dans des stands ad hoc des camions de littérature fondamentaliste et à la gloire du système.
Nulle trace de science et de savoir universel.
Adieu Benbadis le patriote humaniste et défenseur du progès social...

Seuls quelques intellectuels et étudiants rattachés aux courants islamistes de Bennabi ou Boukrouh ne sombrèrent pas dans cette mascarade bien que se gardant bien de mettre en valeur les excellentes relations de Benbadis avec les communistes, ce qui demeure à nos yeux l’un des pus grands mérites de cet homme dont le mouvement national reste fier.

Socialgerie serait reconnaissant à des lecteurs qui pourraient redécouvrir la version arabe de cette brochure. La version française a été retrouvée grâce à un site éducatif et culturel que nous citerons s’il nous y autorise.

Cheikh Abdelhamid Ben Badis

Toute une vie au service de la liberté et du progrès

UN HOMME DE PENSÉE ET D’ACTION

ABDELHAMID BEN BADIS est né le 5 décembre 1889 à Constantine d’une famille de vieille bourgeoisie citadine.

Après des études coraniques à la zaouyya Aissaoua, il part en 1908 pour Tunis où il poursuit ses études à l’Université Zeïtouna jusqu’en1911. C’est à la Zeïtouna où il prend contact avec des 0ulama et des patriotes tunisiens qu’il s’éveille à la conscience nationale. Cet éveil est soutenu par des motivations telles que : l’histoire da l’Algérie, la situation de la langue arabe et de la religion etc...

En 1922, il part en pèlerinage à la Mecque, puis voyage à Médine, Damas, Le Caire, rencontre des Oulama de ces pays avec qui il a des entretiens et des débats.

En 1913 pénétré des idées de la Nahdha et de l’enseignement des cheikhs Abdou et Djamal Eddine El Afghani, Abdelhamid Ben Badis retourne an Algérie.


À Constantine, les premières prédications religieuses du jeune Ben Badis rencontrent une relative audience auprès des couches populaires mais se heurtent à une violente réaction de la bourgeoisie locale et de l’Administration coloniale.

À la mosquée Sidi Lakhdar, il ouvre la première des 130 médersas que comptera le pays 20 ans plus tard. Dans cette médersa, des élèves de diverses régions viennent étudier le Coran, mais aussi, et selon des méthodes modernes, l’histoire de l’Algérie, la littérature arabe et d’autres disciplines. Ce renouvellement pédagogique est une préoccupation commune aux cercles réformistes du Maghreb et du Machreq arabes.

Abdelhamid Ben Badis impulse le développement d’un fonds d’entraide aux médersiens. Il forme le corps enseignant qui va essaimer à travers le pays. Il organise la mixité dans les médersas : garçons et filles étudient ensemble. Dans cette entreprise, il doit lutter à la fois, contre l’hostilité de l’Administration coloniale et celle des confréries maraboutiques et de la bourgeoisie locale. Il s’appuie sur les couches populaires qui lui apportent leur soutien moral et matériel. C’est que les couches populaires sont plus sensibles à son œuvre pratique qu’aux promesses des notables.

L’affluence des jeunes, fils de petits commerçants, de travailleurs, de talebs, de paysans pauvres, tous assoiffés d’instruction et de savoir font redoubler l’énergie de Ben Badis qui va consacrer conjointement à son œuvre de "Tefsir" (commentaire du Coran) une grande partie de ses forces à l’éducation de la jeunesse. Au contact des médersas, ces jeunes vont pouvoir exprimer leurs préoccupations et leurs espoirs ; ils seront l’un des chaînons du mouvement de la Nahdha en contribuant notamment à faire sortir la langue arabe du ghetto dans lequel le colonialisme l’avait confinée.

En 1919, Abdelhamid Ben Badis crée la première imprimerie en arabe et commence une longue carrière de journaliste. Il animera successivement les journaux "En Nadjah", "El Mountaqid", "Ech Chihab" et "El Baçaïr". La lecture des textes qu’il publie, surtout dans "Ech Chihab" confirme son ouverture d’esprit sur le monde moderne.

Au fur et à mesure que Abdelhamid Ben Badis avance dans son travail d’éducation de la jeunesse et de rénovation, se multiplient autour de lui et contre lui les attaques de la bourgeoisie et des marabouts, auxiliaires et chiens de garde de l’Administration coloniale. Ses prises de positions publiques se politisent de plus en plus, surtout à partir de 1931, date à laquelle il fonde "L’Association des Oulama d’Algérie" qu’il présidera jusqu’à sa mort. Cette association ouvre pour cheikh Abdelhamid Ben Badis un champ d’activité très large. Dans de nombreux articles de presse, conférences, prises de parole, il entreprend une vigoureuse défense de la langue arabe, de la liberté du culte. Il ne cesse de cerner, en des termes de plus en plus précis, la question nationale et la personnalité algérienne.

La victoire du front populaire en France (1936) coïncide avec l’essor du mouvement national et aide objectivement à son développement. Elle fait naître des espoirs. C’est l’époque du "Congrès Musulman " dont nous parlons par ailleurs.

Après la dislocation, du Congrès en été 1937, le cheikh Ben Badis retourne alors à son activité propre à la tête de "l’Association des Oulama". Il poursuit en même temps son activité de journaliste, mène une lutte quotidienne contre la répression qui s’abat sur les patriotes algériens et dénonce la propagande fasciste et les agissements antisémitiques.

enterrement de Cheikh Abdelhamid ben Badis à Constantine

Miné par la maladie, il meurt prématurément le 16 avril 1940 à Constantine, sa ville natale. Alors que la seconde guerre mondiale faisait déjà rage, aggravant les préoccupations de chacun, cette mort ne passa pas inaperçue. En effet, plus de 20000 personnes assistèrent à ses obsèques qui prirent l’aspect d’une gigantesque manifestation d’adhésion des masses populaires aux principes humanistes, anticolonialistes et démocratiques qui ont guidé la vie et inspiré l’œuvre de ce grand combattant algérien.

TOUTE UNE VIE AU SERVICE DE LA LIBERTÉ ET DU PROGRÈS

Pour de nombreux Algériens, le nom de Ben Badis évoque surtout la lutte inlassable menée par le cheikh pour préserver et revaloriser la langue et la culture arabes, pour affirmer et sauvegarder la personnalité algérienne, pour éliminer les déformations maraboutiques qui défiguraient l’islam et en faisaient un instrument au service de la domination coloniale.

Mais Ben Badis fut aussi un éminent dirigeant politique qui contribua largement au développement du mouvement national sous sa forme moderne.

À ces divers titres, Ben Badis est une des grandes figures nationales de l’Algérie. Son œuvre profondément humaniste, ses idéaux démocratiques et son action anticolonialiste constituent un enseignement précieux pour tous les algériens. Certes, cette œuvre et cette action appellent un examen critique et des études scientifiques. C’est là un travail d’historien que nous souhaitons voir réalisé.

Dans ce cadre, et pour notre part, nous pensons que le meilleur hommage que nous puissions lui rendre aujourd’hui est de mettre en relief quelques uns des aspects les plus positifs de son combat, ceux-là mêmes que publicistes, idéologues et historiens conservateurs s’efforcent pour les besoins de leur politique obscurantiste de passer sous silence ou de dénaturer. Il nous a paru important de rappeler notamment quelques épisodes de la lutte politique menée par Ben Badis pendant la période qui a précédé de peu la deuxième guerre mondiale, celle des années 1936-1937 qui ont vu la création et les activités du "Congrès Musulman Algérien ".

Ce qui émerge des faits, dès la première approche, c’est l’action inlassable de Ben Badis pour unir, toutes les forces anticolonialistes. En cela, il a fait preuve d’une clairvoyance remarquable. Ceux qui ont eu l’occasion de suivre ses conférences et causeries se souviennent sans doute de l’exemple qu’il aimait à donner souvent pour démontrer l’exigence, la nécessité et la valeur de cette unité d’action. L’ennemi, disait-il, en substance, peut briser chacun de nous comme il le ferait d’un simple roseau. Mais si nous réunissons tous les roseaux en une gerbe, il restera impuissant.

Cette union des forces patriotiques et anticolonialistes, Ben Badis a travaillé à sa réalisation en participant à la fondation du "Congrès Musulman Algérien " (CMA).

LE "CONGRÈS MUSULMAN" :
UNE ÉTAPE DANS LE DEVELOPPEMENT DU MOUVEMENT ALGÉRIEN DE LIBÉRATION

Le " Congrès Musulman Algérien" marque une étape importante dans le développement du mouvement algérien de libération. Pour aider à mieux apprécier aussi bien l’apport que les limites de cette organisation ainsi que le rôle qu’y a joué le cheikh Abdelhamid Ben Badis, nous rappellerons brièvement le contexte historique qui avait marqué cette époque.

En Algérie, les années 30 sont celles où les colonialistes célébraient avec une arrogance sans pareille le centenaire de la conquête. Notre pays vivait sous l’humiliant "code de l’indigénat" ; ses territoires du sud étaient sous le "régime du sabre", c’est-à-dire militairement administrés. Le peuple Algérien connaissait une misère effroyable, était soumis à une exploitation effrénée, maintenu dans l’ignorance, quotidiennement brimé et humilié dans sa dignité. Considéré juridiquement comme "un sujet musulman" sans droits politiques, l’Algérien était tout juste bon pour produire beaucoup, consommer peu et servir de chair à canon dans les guerres colonialistes.

Le colonialisme n’autorisait la promotion intellectuelle -fort limitée et orientée - qu’au sein des gros possédants algériens et d’une minorité de la bourgeoisie algérienne qui participaient à l’exploitation des travailleurs et des fellahs et ramassaient les miettes que leur laissaient les colons et les capitalistes français. En échange de cette promotion culturelle et sociale, cette féodalité terrienne et cette fraction de la bourgeoisie citadine se faisaient les auxiliaires de l’administration coloniale à qui elles venaient en aide pour freiner l’éveil de la conscience nationale du peuple et s’opposer à ses revendications les plus élémentaires. On connait trop bien les exactions des caïds et bachaghas dans les communes mixtes, celles des "élus" administratifs dans les villes et que le peuple appelait les "Beni oui oui".


Toutes ces mesures répressives limitaient et rendaient plus difficiles les luttes patriotiques mais elles ne pouvaient pas les empêcher. La conscience nationale continuait de se développer et trouvait son expression dans l’organisation de partis politiques, de syndicats, d’organisations démocratiques et anticolonialistes. Ce n’est certes pas un hasard si c’est dans ces années mêmes que devaient être créés l’Association des Ouléma (1931), le PCA (1936), le PPA (1937), le Congrès Musulman (1936) etc. Toutes ces organisations poursuivaient d’une façon plus vaste et mieux organisée, les actions menées dans les années 20 par le mouvement de l’Emir Khaled, les premiers groupes communistes avec Hadj Ali Abdelkader et Ben Lekhal, "l’ Etoile Nord Africaine" créée à Paris parmi les Algériens émigrés. Cela avait amené ces Algériens à poser dès cette époque la revendication de l’indépendance nationale et à engager la lutte pour la faire aboutir. Eux aussi prenaient ainsi - sous de nouvelles formes- le relais des luttes de résistance armée qui avaient été menées par Abdelkader, El Mokrani, les Oulad Sidi Cheikh et tant d’autres depuis 1830, et eux aussi devaient tomber victimes de la répression colonialiste (l’Emir Khaled mourra en exil, Ben Lekhal en déportation etc.).

Un long travail avait été donc mené en profondeur par ces forces patriotiques des années 20 soit ensemble, [1] soit séparément, bien que les objectifs des uns et des autres coïncidaient ou se rejoignaient sur bien des points.

Dans les années 30, l’unité d’action des forces patriotiques et anticolonialistes s’avérait une nécessité et une tâche primordiale pour faire face à l’aggravation de leur situation du fait des menaces que le fascisme européen faisait courir à l’Algérie comme à tous les peuples du monde.

C’était l’époque où, en Europe, après la grave crise mondiale de 1919, montait le fascisme avec l’avènement de Hitler et de Mussolini. L’axe Rome-Berlin-Tokyo se préparait à plonger le monde dans une tuerie sans précédent. On se souvient que Hitler, dans son livre "Mein Kampf" classait les arabes au 14e rang des races et les vouait à l’extermination comme les Israélites. Ce qui répondait tout à fait au vœu des ultracolonialistes d’Algérie.

Mais en France, le raz de marée qui avait soulevé le peuple fait échec aux tentatives fascistes de prendre le pouvoir. Une coalition de gauche comprenant la SFIO, le parti radical et le parti communiste, soutenue par les grandes centrales syndicales, constitue le "Front Populaire" et chasse les réactionnaires du pouvoir. Un gouvernement de ’Un gouvernement de "Front Populaire" est constitué en avril 1936 avec à sa tête Léon Blum, dirigeant SFIO. Les communistes qui ne participent pas à ce gouvernement le soutiennent en vertu du pacte signé entre eux et les socialistes le 27 juillet 1934.

Les actions antifascistes en France ont leur répercussion dans notre pays où les algériens organisent à leur tour de puissantes manifestations antifascistes et anticolonialistes. De nombreux comités d’"Amis du Front Populaire" se créent un peu partout. L’espoir est grand chez les Algériens de voir un gouvernement de gauche accorder un minimum de droits, ceux-là mêmes que les gouvernements réactionnaires précédents avaient toujours refusés.

Abdelhamid Ben Badis juge la situation favorable pour arracher ces droits. A l’égard du Front Populaire, il adopte une attitude positive. "...La France aborde une situation nouvelle, nous devons y accorder un regard neuf..." (Extrait d’un article publié dans Ech Chihab en novembre 1937).

LE PROJET BLUM - VIOLETTE

C’est pour l’Algérie, l’époque du projet Blum-Violette (ce dernier étant gouverneur général de l’Algérie) qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. Il suffit de dire qu’il a été combattu aussi bien par les colons et les fascistes français qui voyaient en lui un coup porté contre leurs privilèges que par des courants nationalistes qui ne voyaient en lui que les insuffisances et les dangers d’assimilation qu’il présentait. En fait ce projet qui comportait effectivement des insuffisances et des ambiguïtés présentait pour l’époque- compte tenu du rapport des forces- des aspects positifs certains, ceux-là mêmes qui firent lever les boucliers des ultra et des fascistes et le firent échouer.

Pour sa part, Abelhamid Ben Badis souscrit à ce projet tout en menant une vaste campagne d’explication vigilante pour dénoncer les tendances assimilationnistes. C’est dans cette bataille que se réalise l’unité d’action entre divers forces anticolonialistes : Oulama, Fédération des Elus, PCA, groupes socialistes, syndicats, personnalités démocrates.

Le 4 juin 1936, le Cheikh Ben Badis prend l’initiative d’organiser un grand rassemblement avec ces diverses forces politiques à Alger. Celui-ci se tient le 6. Un débat houleux s’engage autour du projet Blum-Violette Bendjelloul, président de la Fédération de Elus, veut tirer à lui seul le bénéfice de cette réunion pour appliquer ses vues assimilationnistes. Il est battu et contraint de reculer devant la volonté d’union et d’action exprimée par la majorité des délégués.

Le 7 juin a lieu le grand meeting du Majestic (aujourd’hui l’Atlas). Ben Badis fait acclamer l’appellation "Congrès Musulman Algérien ", la proclamation de la langue arabe comme langue nationale et d’autres revendications ayant trait à la liberté du culte et d’enseignement. D’autres délégués font approuver le principe de la continuité du Congrès par la création d’un organisme central et la constitution de comités populaires de base afin de poursuivre et d’amplifier la lutte. Ils font acclamer d’autres revendications immédiates relatives à la terre, aux libertés démocratiques et aux droits sociaux des travailleurs.

Quant aux revendications politiques, elles restent confuses par le fait de l’obstruction de certains Élus avec à leur tête Bendjelloul qui, par la suite, sera expulsé du Congrès et deviendra un adversaire acharné de Ben Badis.

Cependant, les congressistes se séparent conscients d’avoir découvert, dans leur union naissante, les prémisses d’une force gigantesque, jusque là en sommeil, capable d’arracher dans l’immédiat des avantages qui seront autant d’acquis pour mobiliser les masses dans les luttes futures pour la libération nationale.

Le 20 juillet, la première assemblée du CMA se réunit, adopte une charte revendicative, élit un Comité exécutif et désigne une délégation chargée de se rendre auprès du gouverneur français présenter les revendications du Congrès.

Un participant note à ce sujet :
"... Contrairement à ce à ce qu’affirmèrent certains, la Charte n’était point axée principalement sur le projet Blum-Violette. Elle réclamait certes l’égalité des droits politiques pour tous les habitants de l’Algérie dans le respect du Statut des musulmans et le suffrage universel, mais l’accent principal était mis sur :

  • la reconnaissance de la langue arabe comme langue nationale officielle ;
  • la non-immixtion de l’administration dans le culte musulman ;
  • le retour des mosquées et des biens Habous à la libre gestion des fidèles ;
  • la liberté de l’enseignement ;
  • l’abrogation du décret Régnier ;
  • les libertés syndicales, de presse, d’association et de réunion ; - la distribution des terrains domaniaux et communaux aux paysans pauvres ;
  • des augmentations de salaires avec diminution des heures de travail, en particulier pour les travailleurs agricoles ;
  • des congés payés et des allocations familiales pour tous les salariés.

"Ainsi, ajoute notre témoin, la Charte reflétait beaucoup plus les préoccupations immédiates des divers éléments composant le Congrès Musulman que le programme définitif d’un parti.


"Mais à part quelques éléments genre Bendjelloul et autres Benhoura ("Élus") qui lâcheront en cours de route et que seules les circonstances ont poussé au devant du mouvement, tous les autres se rejoignaient dans leur perspective commune d’une même lutte pour le mot d’ordre d’indépendance.

Les masses populaires ralliaient le Congrès et lui apportaient une force inconnue jusqu’alors. Des délégations de tribus allaient même jusqu’à demander si l’heure était venue de prendre les armes.

"En attendant, le front Populaire venait d’ouvrir une brèche dans la citadelle du colonialisme français encore tout puissant. l’heure était non aux grandes discussions, mais à l’action : l’action immédiates, organisée autour de revendications précises, susceptibles de mobiliser et d’unir les plus larges masses..."

LA LUTTE CONTINUE

La délégation revient à Alger. Les mains vides. Dans une déclaration publiée dans "Ech Chihab" (septembre 1936), Abdelhamid Ben Badis fait un bref compte rendu disant notamment s’adressant au peuple algérien :

"... Tu as constitué un Congrès et chargé une délégation unie d’aller présenter tes revendications. Cette délégation a rendu visite t aux ministres, aux partis et à la grande presse. Elle t’a fait connaître auprès d’eux et leur a fait entendre ta voix.

"Ils t’ignoraient totalement, mais par tes grandes actions et par le travail qu’a accompli la délégation, tu es aujourd’hui reconnu par ceux qui connaissent le droit, respectent le généreux et soutiennent ceux qui souffrent de l’injustice.

"Peuple ! tu as par ton œuvre grandiose, prouvé que tu es un peuple épris de liberté, cette liberté qui n’a jamais quitté nos cœurs depuis que nous avons brandi sa bannière. Et dans l’avenir, nous saurons comment lutter, comment vivre et mourir pour cette liberté (...)

Peuple ! tu as lutté et tu n’es qu’au début de ton combat. Lutte avec constance et renforce ton organisation. Et sache que cette lutte dans toute sa grandeur n’est qu’un pas, qu’un bond en avant qui amèneront d’autres pas, d’autres bonds en avant !"

Cet appel vibrant à la lutte et à l’union élève la combativité des masses populaires. Et en cette fin d’année 1936 et tout au long de 1937, seront menées des dizaines et des dizaines d’action de masse : grèves, démarches collectives autour de revendications précises (inspirées de la charte du congrès), contre la répression colonialiste, les complots fomentés par l’Administration coloniale et par ses suppôts, contre le fascisme et l’antisémitisme.

Ces actions seront impulsées par les comités populaires du Congrès Musulman, notamment en Oranie où ils se sont largement constitués, ainsi que dans l’Algérois et l’est-constantinois. Dans ce mouvement ascendant, mené parallèlement à un travail de renforcement de l’union au sein du Congrès, Abdelhamid Ben Badis se dépensa sans compter.

En juin 1937, le Congrès se réunit de nouveau, au cercle du Progrès (Nadi Et Taraqi) à Alger. Des efforts avaient été réalisés auparavant pour surmonter les difficultés créées par le groupe d’ "Élus" dirigés par Bendjelloul et pour que triomphe l’esprit unitaire.

Cette réunion devait jeter les bases d’un grand parti algérien. Différentes conceptions s’affrontèrent mais les débats ne donnèrent aucun résultat concret, si ce n’est de maintenir le CMA sous sa première forme. C’était là un indice de l’essoufflement du CMA, essoufflement dû aux coups conjugués de l’Administration coloniale et des fascistes, des menées liquidatrices de certains "Elus" et de l’opposition destructrice de Messali. A cela, il faut également ajouter l’échec de la mission auprès du gouvernement du Front Populaire qui lui aussi s’enlisait, tandis que le fascisme s’élargissait en Europe et que s’annonçait la seconde guerre mondiale.

Abdelhamid Ben Badis n’en continua pas moins ses efforts unitaires et s’efforça de maintenir la flamme qui animait les multiples comités populaires. Mais le grand Congrès avait vécu laissant cependant des traces inoubliables dans la mémoire du peuple algérien dont il a enrichi l’expérience, l’aidant par lui-même à se préparer à d’autres luttes plus âpres, luttes qui virent se réaliser d’autres formes d’unité d’action entre les forces patriotiques pour l’indépendance et la liberté.


BEN BADIS a écrit...

Les quelques citations (traduites) que voici sont dans une certaine mesure amoindries dans leur portée réelle parce que forcément extraites de leur contexte.
Elles ont cependant une valeur indicative importante.
Elles témoignent de la profondeur de vue de leur auteur, de son esprit de discernement, de son humanisme et de son attachement aux principes de liberté, de démocratie et de justice.

SUR LA NATION ALGERIENNE

"La nation algérienne n’est pas la France, ne peut pas être la France et ne veut pas être la France." (Ech Chihab - Avril 1936)

SUR LE COLONIALISME

"Nous savons parfaitement différencier, dans toute nation l’esprit humaniste de l’esprit colonialiste ; Et autant nous détestons et combattons le second, autant nous approuvons et soutenons le premier.
Ceci parce que nous sommes profondément convaincus que l’esprit colonialiste est à la base de tous les maux du monde et que tout bien fait à l’humanité provient de l’esprit humaniste,"
(Ech chihab - Janvier 1938)

SUR L’UNITE D’ACTION

(...) (Ben Badis) a rappelé la nécessité de l’union qui, si elle ne peut se faire par le biais de la religion, qu’elle se fasse par le ciment de la douleur et de la misère communes.
Il a montré combien cette union était indispensable et s’est déclaré prêt à s’unir dans l’action avec quiconque, sauf avec ceux qui sont les instruments de l’Administration (coloniale) et font ce que celle-ci leur dicte, non ce qu’ils veulent eux faire.

(Extrait d’un article publié dans El Baçaïr du 15 août 1938)

SUR LE FASCISME ET LE RACISME

’’Le peuple musulman, imprégné de principes démocratiques islamiques, ne peut suivre une doctrine qui ne préconise l’évolution humaine que par l’hégémonie d’une race sur les autres. Les principes islamiques sont basés sur l’égalité de tous les êtres humains."
(Déclaration faite le 3 avril 1937 au journal "LA LUTTE SOCIALE", organe du Parti communiste algérien).

SUR L’INDÉPENDANCE

"L’indépendance est un droit naturel pour chaque peuple de la terre. Plusieurs nations qui nous étaient inférieures du point de vue de la puissance, de la science, de la force potentielle et de la civilisation ont recouvré leur indépendance. Nous ne sommes pas des devins et ne prétendons pas - à l’image de ceux qui déclarent que l’ Algérie demeurera éternellement ce qu’elle est - partager avec Dieu la connaissance de l’avenir, De même que l’Algérie a changé à travers l’histoire, de même il est possible qu’elle continue à se transformer." (Ech Chihab - Juin 1936).

SUR LA RAISON ET LA TRADITION

"L’islam a libéré l’intelligence de toutes croyances fondées sur l’autorité. Il lui a rendu sa complète souveraineté dans laquelle elle doit tout régler, par son jugement et sa sagesse.
"En cas de conflit entre la raison et la tradition, c’est à la raison qu’il appartient de décider"
(Ech Chihab - mai 1931).

SUR LA PALESTINE, LE SIONISME ET L’IMPÉRIALISME

"Le conflit n’est pas entre un arabe palestinien et un juif palestinien ; il n’est pas entre les musulmans et les juifs du monde entier.
Il est entre le sionisme et l’impérialisme britannique d’une part et l’Islam et les Arabes d’autre part.
L’impérialisme britannique veut utiliser le sionisme pour diviser le corps arabe et profaner les lieux saints de Jérusalem."

(Ech Chihab - Août 1938)

SUR L’AMOUR DE L’HUMANITÉ

(...) Nous œuvrons, en tant qu’Algériens, à rassembler la nation algérienne, à ranimer en ses enfants le sentiment national et à leur inculquer la volonté de s’instruire et d’agir jusqu’à ce qu’ils s’éveillent en tant que nation ayant droit à la vie...
"(...) Et nous aimons l’humanité que nous considérons comme un tout et nous aimons notre patrie comme une partie de ce tout. Et nous aimons ceux qui aiment l’humanité et sont à son service et nous détestons ceux qui la détestent et lui portent tort."
(El Mountaquid - juillet 1925)


Voir en ligne : http://www.oasisfle.com/culture_oas...


[1L’Emir Khaled, petit-fils de l’Émir Abdelkader était officier de l’armée française d’où il démissionna en 1919. Profondément choqué par les discriminations raciales et l’injustice sociale, il se lance dans la lutte politique et revendique des réformes, il réalisera l’unité d’action avec les communistes et c’est ainsi qu’ aux élections municipales d’Alger en 1925, il sera élu sur la liste du "bloc ouvrier et paysan" présentée par les communistes. Quant à l’"Etoile Nord Africaine" créée avec l’aide du PCF en 1926, elle regroupait à ses débuts communistes et nationalistes et était présidée par le communiste Hadj Ali Abdelkader. Elle sera ensuite dominée par le courant nationaliste animé par Messali qui provoquera une scission.

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