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JEAN FERRAT ET LE VIETNAM

par Alain Ruscio (*)

mercredi 17 mars 2010

Jean Ferrat n’est plus. De partout en France montent des hommages dont on sent bien qu’ils n’obéissent pas à la règle habituelle des mondanités. L’émotion est réelle, le respect est grand face à cet homme qui n’a jamais baissé pavillon, de Nuit et Brouillard à La jungle et le zoo , sans oublier Le bilan .

Pour ceux qui ont naguère, lors de la plus longue guerre du XX è siècle, eu le Vietnam au cœur – et qui aujourd’hui encore observent ce pays avec intérêt – le nom de Ferrat reste lié à quelques vers provocateurs jetés à la face de la suffisance coloniale, le tout chanté avec son sourire inimitable. Il fut :

« L’empêcheur de tuer en rond
Perdant avec satisfaction
Vingt ans de guerres colonialistes
La petite voix qui dit non
Dès qu’on lui pose une question
Quand elle vient d’un parachutiste »
 [1]

Un épisode est resté célèbre : en avril 1975, la guerre du Vietnam s’achève enfin par la victoire des révolutionnaires. Le pays est ravagé, de partout dans le monde monte un sentiment de soulagement. Et qu’écrit l’éditorialiste du Figaro, Jean d’Ormesson ? Que, malgré tout, il regrette l’air de liberté qui flottait auparavant sur Saigon. Drôle de liberté : le régime pro-américain pourchassait, emprisonnait jusque dans les cages à tigres de Poulo Condor, assassinait les opposants.

Lisant cet article, l’ami Ferrat est saisi d’une sainte colère. Et écrit, d’une traite, une chanson-pamphlet digne de figurer dans une anthologie du genre. [2]

Il commence par rappeler que la presse conservatrice avait été continûment en faveur de la guerre coloniale, puis de la guerre américaine – ce qui était l’exacte vérité :

« Les guerres du mensonge, les guerres coloniales
C’est vous et vos pareils qui en êtes tuteurs
Quand vous les approuviez à longueur de journal
Votre plume signait trente années de malheur »

Il poursuit par un rappel de l’histoire des luttes :

« Allongés sur les rails, nous arrêtions les trains
Pour vous et vos pareils nous étions la vermine
Sur qui vos policiers pouvaient tirer sans fin
Mais les rues résonnaient de “Paix en Indochine“ »

Quelques vers firent énormément de bruit :

« Quand le canon se tait, vous, vous continuez »

Et surtout :

« Oui, vous avez un peu de ce sang sur les mains »

Parabole, sans aucun doute, car Monsieur d’Ormesson , certes solidement réactionnaire, n’était pas responsable de tous les écrits bellicistes de son journal dans le passé. Mais c’est la loi du pamphlet.

D’Ormesson, évidemment, réagit, et la chanson fut comme de bien entendu interdite d’antenne dans cette France blême et giscardienne.

Voilà Jean Ferrat : tout de colère contre les réacs, tout de fraternité envers les peuples. Tout de fidélité, aussi : il fut membre, jusqu’à ses derniers instants, de l’Association d’Amitié franco-vietnamienne.

__________________________________
* Historien,
auteur de "Que la France était belle au temps des colonies". "Anthologie de chansons coloniales et exotiques françaises" , Paris, Ed. Maisonneuve & Larose, 2001


Pour entendre "Un air de liberté" de jean Ferrat

cliquez ici... :http://www.youtube.com/watch?v=qfsoQfhXeeA

ou
cliquez ici... : http://www.dailymotion.com/video/xcl7o2_jean-ferrat-un-air-de-liberte_music


Un air de liberté
Jean Ferrat

Les guerres du mensonge les guerres coloniales
C’est vous et vos pareils qui en êtes tuteurs
Quand vous les approuviez à longueur de journal
Votre plume signait trente années de malheur

La terre n’aime pas le sang ni les ordures
Agrippa d’Aubigné le disait en son temps
Votre cause déjà sentait la pourriture
Et c’est ce fumet-là que vous trouvez plaisant

Ah monsieur d’Ormesson
Vous osez déclarer
Qu’un air de liberté
Flottait sur Saïgon
Avant que cette ville s’appelle Ville Ho-Chi-Minh

Allongés sur les rails nous arrêtions les trains
Pour vous et vos pareils nous étions la vermine
Sur qui vos policiers pouvaient taper sans frein
Mais les rues résonnaient de paix en Indochine

Nous disions que la guerre était perdue d’avance
Et cent mille Français allaient mourir en vain
Contre un peuple luttant pour son indépendance
Oui vous avez un peu de ce sang sur les mains

Ah monsieur d’Ormesson
Vous osez déclarer
Qu’un air de liberté
Flottait sur Saïgon
Avant que cette ville s’appelle Ville Ho-Chi-Minh

Après trente ans de feu de souffrance et de larmes
Des millions d’hectares de terre défoliés
Un génocide vain perpétré au Viêt-Nam
Quand le canon se tait vous vous continuez

Mais regardez-vous donc un matin dans la glace
Patron du Figaro songez à Beaumarchais
Il saute de sa tombe en faisant la grimace
Les maîtres ont encore une âme de valet.


[1 En groupe, en ligue, en procession , 1969

[2 Un air de liberté , 1975

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