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POUR OUVRIR LA VOIE AU SOCIALISME

1962 , 18 avril - Alger : PROGRAMME DU PARTI COMMUNISTE ALGÉRIEN

POUR L’INDÉPENDANCE TOTALE, LA TERRE ET LE PAIN, LE TRAVAIL ET L’INSTRUCTION, LA PAIX ET LA DÉMOCRATIE RÉELLE

vendredi 11 juin 2010


TABLE DES MATIERES

POURQUOI CE PROGRAMME ?

CE QUE DEVRA ETRE LA RÉPUBLIQUE ALGÉRIENNE

  • Une République indépendante, souveraine, une et indivisible
  • Une République réellement démocratique
  • Une République sociale

C’EST POUR CELA QUE LE PROGRAMME DU P.C.A. A POUR OBJECTIF

  • La réforme agraire
  • Une industrialisation véritable
  • Des mesures sociales

COMMENT REALISER CE PROGRAMME ?

LES CONDITIONS D’UN SUCCES RAPIDE :

  • Une orientation juste dans le choix de notre voie de développement
  • La mobilisation totale et enthousiaste de notre peuple
  • Une politique extérieure conforme à l’intérêt national

SUR LA VOIE DU SOCIALISME


Les accords d’Évian ont mis fin à la guerre. Ils ont constitué une grande victoire de notre peuple. Leur application effective ouvre la voie à la paix, à l’écrasement de l’OAS et surtout à l’indépendance, idéal pour lequel se sont levés et sont tombés dans le combat des légions de héros.

Mais les accords d‘ Évian n’ont pas donné et ils ne pouvaient donner immédiatement satisfaction à toutes nos revendications nationales. Vigilant et uni, notre peuple poursuivra donc la lutte dans des conditions et sous des formes nouvelles, et en utilisant les positions arrachées par les accords d’Évian, pour en finir avec l’emprise économique et militaire des néo-colonialistes. Dans un monde où l’impérialisme se présente essentiellement sous la forme du néo-colonialisme économique, le renforcement de l’indépendance sera une tâche constante, l’indépendance réelle sera une tâche continue.

Pour que l’indépendance soit complète , les institutions coloniales doivent être remplacées par un État réellement démocratique , permettant à chaque algérien de participer effectivement à l’exercice de la souveraineté nationale, de sortir les pays de son sous-développement et de l’amener rapidement au rand de nation moderne et prospère.

POURQUOI CE PROGRAMME ?

Durant toute la guerre , le P.C.A. s’est efforcé d’expliquer quel devra être le contenu politique, économique et social de l’indépendance. Il l’a fait pour mieux mobiliser dans l’effort de guerre les masses les plus pauvres qui sont l’immense majorité de notre peuple. Il l’a fait aussi pour que, une fois la guerre finie, notre peuple connaisse déjà et juge d’un œil critique les expériences de tous les pays libérés du colonialisme comme l’Inde, la Tunisie, le Maroc, la RAU, etc., afin d’en tirer les leçons utiles et d’éviter les erreurs des dirigeants de ces pays.

Dans ces pays, en effet, les bourgeoisies au pouvoir n’ont pas apporté encore aux problèmes économiques et sociaux les solutions radicales fondamentales que souhaitent ardemment leurs peuples, alors que le Vietnam du Nord ou Cuba ont extirpé totalement l’emprise des monopoles impérialistes et avancent rapidement dans la voie du progrès et de l’édification du socialisme.

C’est pour la nouvelle étape qui suivra l’application de l’autodétermination que le Parti communiste algérien présente aujourd’hui son programme à toutes les couches sociales de notre peuple, à a classe ouvrière, aux paysans pauvres, aux artisans et commerçants, aux intellectuels, aux femmes et aux jeunes. Cat il est bien entendu que, jusque là, la tâche principale c’est d’écraser l’OAS, d’assurer la paix, le respect des libertés, de préparer le passage de l’Algérie coloniale à l’Algérie indépendante.

Ce programme est un programme de libération nationale, de démocratie réelle et de progrès économique et social. C’est le programme de l’édification d’un État algérien de démocratie nationale qui doit ouvrir la voie à une Algérie socialiste.

Ce programme ne doit pas être considéré comme un ensemble de principes rigides, qui ne changeront jamais. Il devra être adapté et corrigé au fur et à mesure des réalités et questions nouvelles qui naîtront de son début d’application. Bien mieux notre Parti appelle tous les patriotes à l’étudier dès à présent sous un angle critique pour l’améliorer et l’enrichir. Car l’Algérie de demain sera l’œuvre non d’une seule classe ou d’un seul parti, mais de tous les Algériens dans le cadre d’une émulation de masse fraternelle et enthousiaste et d’une discipline commune librement consentie pour le bien suprême de la nation.


CE QUE DEVRA ÊTRE LA RÉPUBLIQUE ALGÉRIENNE

I. Une République indépendante, souveraine, une et indivisible.

La République est la forme de gouvernement pour laquelle s’est prononcé une grande partie du mouvement de libération bien avant 1954 et sur laquelle s’est porté le choix de notre Parti dès juillet 1946. Le Gouvernement provisoire algérien l’a choisie en 1959. Le P.C.A. proposera qu’elle soit la forme de l’État algérien moderne issu de l’Assemblée constituante qui sera élu après le référendum d’autodétermination.

Les accords d’Évian consacrent :

  • a) Le principe de l’indépendance et de la souveraineté de l’Algérie au-dedans et au-dehors.
    Cela implique que la République algérienne aura tous ses attributs de souveraineté, sa constitution, son drapeau, son armée, sa diplomatie et sa propre orientation sur le plan de la politique extérieure, le choix libre de son régime politique et social sur le plan intérieur.
  • b) L’intégrité territoriale.
    Cela exclut toute souveraineté étrangère sur quelque portion que ce soit du territoire national (au sud comme au nord du pays) ; cela implique l’évacuation tôt ou tard de la présence militaire française.
  • c) L’unité de notre peuple.
    Cela implique la fin de tout privilège découlant de la colonisation.
    Cela n’est pas incompatible avec la garantie des intérêts légitimes non colonialistes de la minorité algérienne d’origine européenne ou juive, avec sa représentation équitable au sein des assemblées élues, avec le respect de ses particularismes linguistiques, culturels et religieux dans le cadre des lois algériennes.

II. Une République réellement démocratique

L’aspiration à la démocratie est devenue de plus en plus profonde et consciente chez notre peuple.

Avant 1830, le régime politique semi - féodal de l’Algérie et le déclin de la pensée libérale et progressiste dans le monde musulman n’ont pas empêché le maintien vivace de certaines traditions démocratiques (djemââs, etc.) dans plusieurs régions du pays. Malgré l’écrasement de notre peuple par l’occupation coloniale, les patriotes algériens ont mené un combat politique acharné pour arracher aux colonialistes pendant certaines périodes (après 1918) les rares libertés démocratiques qu’ils ont utilisées pour aider au développement du mouvement national, ce qui a fait mûrir les conditions de l’insurrection.

Durant toutes ces luttes et pendant la guerre de libération, les Algériens et leur mouvement de libération ont élevé et enrichi leur conscience démocratique au contact des organisations ouvrières et démocratiques françaises et au contact du plus grand courant démocratique qui caractérise toujours plus les mouvements de libération politique et sociale du monde entier. Exprimant l’opinion de tous les Algériens, le G .P.R.A. a déjà souscrit sans réserve à la Déclaration universelle des Droits de l’homme, affirmant dans la Déclaration générale contenue dans les accords d’Évian que « l’État algérien fondera sa constitution sur les principes démocratiques ».

Aujourd’hui la démocratie réelle est un besoin pressant et vital pour la construction du pays. Elle est indispensable pour susciter la mobilisation et l’enthousiasme des masses populaires en vue de bâtir leur propre avenir, en vue de consolider l’indépendance. Elle implique le rejet de méthodes autoritaires et de contrainte contre les masses. Elle implique une grande confiance dans l’énergie créatrice et l’initiative du peuple et de la classe ouvrière, dans la confrontation constructive des opinions en vue des mêmes objectifs. Le bénéfice des libertés démocratiques doit s’étendre à toutes les forces nationales et anti-impérialistes du pays, encourager leur libre épanouissement et ne jeter l’exclusive sur aucune d’entre elles, en particulier sur les plans progressistes. Seules devront être limitées et combattues les forces contre-révolutionnaires et réactionnaires, au service de l’ennemi impérialiste.

Ce sont avant tout les masses populaires, les patriotes clairvoyants et leurs organisations qui doivent en permanence préserver, élargir les méthodes démocratiques et les faire entrer dans la vie du pays.

La démocratie réelle doit se traduire aussi dans les institutions de l’État algérien telles qu’elles seront mises sur pied par l’Assemblée nationale constituante.

  • a) Cette Constituante doit être élue par un collège unique, au suffrage universel, direct et secret pour tous les citoyens algériens, hommes et femmes, âgés de 18 ans révolus. Tous les Algériens ayant 20 ans révolus peuvent être candidats.
    Pour permettre à toutes les tendances nationales et progressistes du pays d’être représentées dans cette Assemblée, cette dernière doit être élue au scrutin proportionnel.
  • b) L’Assemblée constituante doit doter rapidement le pays d’une constitution écrite prévoyant entre autres :
    • Un Parlement formé d’une Assemblée nationale élue dans les mêmes conditions que la Constituante et renouvelable tous les 4 ans ;
    • Un gouvernement issu du Parlement et responsable devant lui ;
    • Un Président de la République dont le mode d’élection et les pouvoirs seront fixés par la Constitution ;
    • Des assemblées élues au suffrage universel dans les diverses subdivisions administratives et dans les villes, villages et douars ;
    • Une armée nationale et populaire, non de métier. Cette armée aidera aux tâches civiles de reconstruction, dans la mesure où elle ne sera pas occupée à des tâches de défense nationale. Elle sera au service de la République, du peuple de la démocratie et de la paix. Le peuple veillera à ce que cette armée, composée de ses fils, ne soit pas utilisée comme l’instrument de politiques réactionnaires et antidémocratiques, à l’exemple de nombreux pays du Moyen-Orient et d’Amérique latine.
    • La garantie par la loi des droits de l’homme, des libertés individuelles et publiques de pensée, d’opinion, de presse, de réunion, d’association et de culte, le respect des libertés syndicales et du droit de grève ;
    • La garantie par la loi de l’égalité en droits et en devoirs de tous les citoyens algériens sans distinction de race, d’origine, de religion, de sexe, de rang social, d’opinions politiques ou philosophiques ;
    • Une justice indépendante du pouvoir politique ; la rédaction d’un code de justice moderne, tenant compte des réalités actuelles, s’inspirant des traditions démocratiques de notre peuple et de tout ce qui est progressiste dans le droit musulman, mais dégagé de tout ce qui est figé ou conservateur dans ce droit ;
    • Des sanctions pénales sévères contre toute propagande de caractère raciste écrite ou verbale, contre toute discrimination raciale, politique ou autre interdite par la Constitution ;
    • La neutralité et la non-ingérence de l’État dans les affaires de culte, le respect mutuel et l’esprit de tolérance entre les différentes croyances ou conceptions philosophiques.

III. Une République sociale

L’indépendance politique à elle seule n’apporte pas à la situation des masses de changements profonds ; elle doit s’accompagner d’une indépendance économique réelle et de mesures sociales radicales . De plus l’indépendance économique et le progrès social consolident l’indépendance politique.

- Par quoi se caractérise la situation économique de notre pays à la veille de l’autodétermination ?

Avant tout par des liens de domination et de dépendance , imposés par le régime colonial. Cette domination est d’abord directe : les propriétaires fonciers ultra-colonialistes possèdent les meilleures terres tandis que les monopoles français et étrangers ont la main sur les ressources minières et pétrolières, sur les entreprises industrielles et les banques. La plus grande partie de la production du pays échappe ainsi aux Algériens, qui sont à la fois pillés dans leurs richesses nationales et exploités dans leur travail. La domination est également indirecte : elle s’exerce par des institutions coloniales imposées, telles que l’union douanière, la liberté de transfert des capitaux , le monopole du pavillon, le contrôle des investissements publics et des crédits bancaires, etc.

Quels changements prévoient les accords d’Évian dans ces domaines ?

  • Une coopération culturelle et technique est prévue entre l’Algérie et la France. L’importance et l’aspect bénéfique de cette coopération se fera sentir pour l’Algérie avec la formation de cadres nécessaires au progrès du pays.
    À condition de veiller à ce que cette aide forme rapidement ces cadres, à ce qu’elle ne soit pas un moyen pour les gouvernants français de se mêler indirectement de notre vie publique par l’intermédiaire des assistants techniques ».
  • Il est prévu une aide de la France à l’Algérie sur les plans financier et technique ; cette aide serait de l’ordre d’environ 100 Milliards d’anciens francs par an pour une période de trois ans renouvelable. L’État algérien ne sera pas seul à décider de l’emploi de cet argent. Par exemple, si le projet de construction d’une usine ne plaît pas aux autorités françaises, il ne bénéficiera pas de cette aide.
    Pour éviter donc que l’aide française ne devienne un moyen de pression économique ou politique, notre pays doit rechercher des prêts, sans condition politique ou autre, auprès de tous les pays, en premier lieu auprès des pays du camp socialiste.
    L’Algérie fera partie de la zone franc, ce qui, étant donné l’importance du commerce franco-algérien, pourra faciliter les relations commerciales entre les deux pays. Toutefois, les accords d’Évian consacrent le principe de l’indépendance commerciale et douanière de l’Algérie et la fin du monopole du pavillon. L’État algérien aura la possibilité de restreindre les importations qui contrarieraient le développement de l’industrie nationale. L’Algérie aura sa propre monnaie, son propre institut d’émission et ses propres avoirs en devises. Toutefois, il est prévu une trésorerie commune des devises avec la France et l’établissement de règles communes pour les opérations commerciales hors zone franc. Le transfert de capitaux hors d’Algérie sera en principe libre. Néanmoins un contrôle sera exercé pour éviter que ces transferts ne nuisent au développement du pays. Cependant l’État algérien ne sera pas seul à décider des restrictions à apporter à ces transferts. En effet, la commission prévue pour exercer un contrôle sera franco-algérienne.
    Pour échapper au tête-à-tête franco-algérien auquel voudraient nus contraindre les néocolonialistes, l’Algérie devra multiplier les échanges commerciaux avec tous les pays sur la base de l’avantage mutuel.
  • Il est prévu que la réforme agraire se fera par rachat avec une aide de la France (aide dont la forme, dons ou prêts, n’est pas prévue) ; la clause du rachat et ses modalités d’application risquent de faire dépendre la réforme agraire du bon vouloir de la bourgeoisie française.
  • Il est prévu que l’Algérie sera servie en priorité pour ses besoins en pétrole et en gaz sahariens. Elle bénéficiera des devises rapportées pas les ventes de ces produits à l’étranger, la France, elle, les payant en francs. Mais les accords d’Évian font barrage à la nationalisation de ces deux ressources naturelles de l’Algérie.

En conclusion, la partie économique et financière des accords d’Évian constitue un progrès considérable par rapport à la situation coloniale. Elle admet le principe de la souveraineté économique et financière de l’Algérie. Mais elle limite en même temps dans divers domaines cette souveraineté, en particulier dans le domaine de la réforme agraire et de la nationalisation de nos grandes richesses.

Les colonialistes pensent empêcher ainsi le développement indépendant et rapide de l’économie algérienne. Ils veulent empêcher ainsi ce développement de se réaliser dans une voie non capitaliste. Ils veulent maintenir des liens de dépendance économique entre l’Algérie et la France, conserver dans notre pays un large secteur de domination économique au profit des grands monopoles français et aussi de la bourgeoisie colonialiste française d’Algérie.

Or, il sera impossible de mettre fin au sous-développement tragique de notre pays s’il n’est pas mis fin à cette domination et cette dépendance économiques. C’est l’emprise économique ultra et néocolonialiste qui est responsable de la misère et de l’ignorance effroyables du secteur algérien sous-développé dit « traditionnel », dans lequel vivent plus des trois quarts de notre peuple, tandis que le secteur « moderne », privilégié, englobant en majorité des Européens, se développe comme une enclave dans le pays, attire à lui toutes les richesses qui sont pompées vers l’extérieur ou servent à alimenter à l’intérieur des activités parasitaires, inutiles au pays.


C’EST POUR CELA QUE LE PROGRAMME DU P.C.A. A POUR OBJECTIF :

1. De briser complètement les liens de dépendance économique et financière avec l’impérialisme français , d’éliminer l’emprise des monopoles français et internationaux, de supprimer les privilèges de la colonisation et de la féodalité.

2. D’en finir rapidement avec la misère par un développement de l’économie nationale bénéficiant d’abord aux couches sociales les plus pauvres, tout en préparant les conditions d’un développement ultérieur accéléré et plus important.

3. De transformer radicalement les structures économiques, financières et sociales qui ont abouti à l’appauvrissement constant du secteur « traditionnel » au profit du secteur « moderne ».

4. D’élaborer un plan de développement pour toute l’Algérie , ayant pour objectifs le développement de l’économie nationale, son unification, la diversification des productions, une plus juste répartition des revenus et l’accroissement du niveau de vie du peuple.

Ce plan de développement doit avoir pour bases essentielles :

  • La réforme agraire qui doit aboutir à un changement radical dans la répartition des terres et des revenus agricoles ;
  • Une mobilisation nationale de l’épargne pour des investissements élevés, notamment dans l’industrie lourde ;
  • Du travail pour tous par l’utilisation massive de la main d’œuvre actuellement sans emploi pour des travaux d’intérêt national.

A. La réforme agraire :

C’est l’aspiration de notre paysannerie pauvre et le besoin vital de tout notre peuple. Sans sa réalisation rapide et complète, il n’y aura ni indépendance nationale véritable, ni relèvement économique possible. La réforme agraire permettra une première élévation du niveau de vie des grandes masses et la création d’un marché intérieur algérien favorisant le développement industriel.

Dans le programme de réforme agraire qu’il préconise depuis des années, le P.C.A. propose la confiscation pure et simple, sans indemnités, des terres de la grosse colonisation. C’est la solution la plus juste et la plus satisfaisante pour la paysannerie.

L’indemnisation des anciens possédants, prévue dans les accords d’Évian, même si elle est en totalité ou en partie financée par une aide française, risque de retarder cette réforme et de restreindre son ampleur. La paysannerie pauvre algérienne, aidée de la classe ouvrière et de toutes les autres forces anti-impérialistes, devra dons se mobiliser pour que les modalités pratiques de cette réforme agraire ne servent pas de prétexte aux colonialistes pour retarder ou escamoter une réforme capitale pour l’avenir de la nation.

Celle-ci comprendra dans ses grandes lignes :

1. L’expropriation rapide et sans frais d’indemnisation à supporter par l’Etat algérien :

  • a) Des terres de la colonisation terrienne, c’est à dire essentiellement les quelques 7.000 gros colons qui possèdent à eux seuls près de 90% des terres de colonisation. Quant aux quelque 13.000 petits et moyens colons (dont 7500 ne possèdent en tout que 22.000 hectares), il est dans l’intérêt de l’État et de la paysannerie algérienne de les distinguer de la grosse colonisation pour isoler cette dernière ;
  • b) Des grandes propriétés appartenant à la grande féodalité algérienne ;
  • c) Des grands domaines appartenant à des propriétaires fonciers qui ont trahi la cause de la libération ou qui ont acquis leurs terres par des manœuvres frauduleuses pendant l’occupation française, au détriment des fellahs.

2. La limitation, à l’amiable et en fonction de la valeur des terres, de la superficie des grandes propriétés appartenant à des Algériens qui n’ont pas trahi la cause nationale.

3. La distribution gratuite des terres ainsi récupérées et des biens y attenant, ainsi que des terres domaniales et communales et les terres comprises dans les biens habous qui doivent être réintégrés dans le circuit économique de la nation :

  • a) Aux ouvriers agricoles, khammès, fellahs pauvres t petits fellahs ;
  • b) Aux fellahs moyens insuffisamment pourvus de terre (en assurant pour ces deux catégories la priorité pour les anciens combattants de l’A.L.N. et les familles de ceux qui sont tombés dans la guerre de libération) ;
  • c) Aux petits agriculteurs citoyens algériens d’origine européenne insuffisamment pourvus de terre (en priorité à ceux qui ont aidé l’A.L.N.).

La superficie des lots distribués variera suivant l’importance et la situation de chaque famille bénéficiaire et la valeur des terres.

La répartition devra se faire avec la participation, dans chaque région, de commissions élues et composées en particulier de représentants de la paysannerie pauvre. Il faudra également prévoir la constitution d’une commission centrale composée de techniciens et de paysans qui aidera le gouvernement algérien à veiller entre autres à une juste répartition des terres à l’échelle nationale ?

4. Les dispositions et mesures à prendre par l’Etat algérien pour assurer à la réforme agraire toute son efficacité et pour élever la production agricole nationale :

  • a) Lois en vue
    • de garantir la propriété individuelle de chaque paysan et de la protéger contre toutes les spéculations, les prêts usuraires et le ré-accaparement par les grands propriétaires des terres distribuées.
    • d’aménager le régime juridique pour éviter l’émiettement des terres par héritage au bout de plusieurs générations.
  • b) Susciter et développer la coopération agricole authentique de sa forme la plus simple aux formes les plus élevées, par la persuasion patiente et l’exemple , en faisant ressurgir et en élevant l’esprit coopérateur de nos paysans.

Cela permettra :

    • de relever le pays dans une ambiance de mobilisation des masses
    • de fournir dès le début, dans nos campagnes appauvries, le bâtiment, le cheptel et les moyens de production, non à chaque paysan, mais à des collectivités qui les utiliseront avec un rendement plus grand ;
    • de conserver tels quels certains grands domaines (notamment les vignobles produisant des crus réputés dont l’exportation entre pour une grande part dans le revenu national) et de les exploiter, dans l’intérêt national et avec l’accord des travailleurs, en coopératives ou en fermes d’Etat gérées par des ouvriers agricoles et des techniciens.
  • c) Aide importante de l’Etat pour le développement du secteur agricole :
    • Mise à la disposition des bénéficiaires de la réforme agraire de tous les organismes rattachés à l’agriculture : organismes de crédits, coopératives de labours, de stockage, d’achat et de vente ou de transport des produits agricoles ;
    • Démocratisation de la gestion des coopératives par la plus large participation et le contrôle des paysans ;
    • Aide à la paysannerie par les crédits, semences, engrais et matériel en vue de l’exploitation des terres par des procédés modernes ;
    • Prise en charge des grands travaux d’intérêt national :
      • problème de l’eau, vital pour la culture comme pour l’élevage ; travaux d’irrigation pour étendre les périmètres irrigables, points d’eau sur les terres de parcours, forage de puits artésiens dans le sud du pays, etc.
      • reboisement et restauration des sols : question de vie ou de mort pour l’agriculture algérienne.

B. Une industrialisation véritable :

Elle ne pourra se réaliser que sur la base du retour à notre peuple des ressources du pays, donc sur la base de la liquidation de toute mainmise des impérialistes sur les richesses du sol et du sous-sol.

Elle nécessitera donc :

  • 1. La nationalisation des grandes richesses nationales du sol (alfa, liège, etc.) et du sous-sol (pétrole, gaz, charbon, fer, phosphates, etc.)
  • 2. L’équipement et la modernisation du pays, avec :
    • La réalisation d’une industrie lourde de base , qui conditionne l’indépendance économique et le développement futur ;
    • La multiplication des industries légères , petites et grandes, pour traiter les produits du pays, satisfaire à la consommation intérieure et créer des emplois nouveaux. A cet égard, il faudra favoriser, en les contrôlant, les industries privées créatrices d’emplois.
      En outre, dans l’implantation industrielle, il faudra corriger le déséquilibre régional accentué par le plan de Constantine qui a prévu la concentration des principales entreprises autour d’Alger, d’Oran et de Bône ;
    • L’électrification du pays, urbaine et rurale, mettant à profit les grandes ressources énergétiques existantes ;
    • L’extension du réseau ferroviaire et routier, l’ouverture de chemins vicinaux et de pistes afin de transformer le réseau ferroviaire et routier de la période coloniale, conçu essentiellement pour l’évacuation de nos richesses vers l’extérieur et pour le développement rapide des forces répressives et pour en faire un instrument d’élargissement et d’unification renforcée du marché intérieur.

L’effort d’équipement industriel s’accompagnera de l’encouragement des coopératives d’artisanat, traditionnel et moderne, source de devises pour le pays et l’élévation du niveau de vie dans les petits centres.

  • 3. Des institutions algériennes indépendantes sur le plan financier, commercial, administratif et social :
    • a) Sur le pan commercial :
      • Monopoles d’Etat pour le commerce extérieur des principaux des principaux biens exportés et importés afin d’alléger le poids de la dépendance à l’égard des monopoles impérialistes, de réduire au minimum le secteur parasitaire constitué par les intermédiaires, de mieux contrôler la fiscalité, les prix des denrées importées et la consommation intérieure (en faveur des produits nécessaires et au détriment des articles de luxe) ;
      • Contrôle des prix , extension des coopératives de consommation, nationalisation ou contrôle du commerce intérieur de gros ;
      • Mesures de protection douanière en faveur des produits de l’industrie algérienne.
    • b) Finances et crédits :
      • Participation exclusive ou majoritaire de l’Etat aux importants investissements dans les industries-clefs et contrôle des investissements étrangers ou nationaux, de façon qu’ils se réalisent conformément à l’orientation et aux directives du plan ;
      • Contrôle des transferts et capitaux afin que les profits réalisés en Algérie y demeurent et soient investis dans les activités les plus utiles ;
      • Echanges commerciaux, coopération et entraide économique avec tous les pays, sur la base de l’avantage mutuel et de l’absence de conditions portant atteinte à notre indépendance, ce qui implique une vigilance accrue avec les pays capitalistes, principalement l’Europe de Six et les Etats-Unis ;
      • Création d’une Banque centrale d’Etat, maîtresse de la monnaie et du crédit, en liaison avec le transfert de la Banque d’Algérie à l’Etat algérien ;
      • Diffusion dans les campagnes d’organismes collecteurs d’épargne et distributeurs de crédits (mutuels, agricoles, artisanaux, etc.) ;
      • Fiscalité démocratique pour faire payer surtout les riches.
    • c) Algérianisation et démocratisation des grands corps de l’Etat et de la fonction publique . « Prendre les hommes qui conviennent à la tâche et non ceux à qui convient la tâche », pour éviter la course aux places, comme dans nombre de pays libérés avec certains milieux bourgeois arrivistes.

C. Des mesures sociales

Le progrès économique doit se traduire par le progrès social pour les Algériens qui en ont le plus besoin.

1. Remédier aux graves conséquences de la guerre :

  • Aide d’urgence pour la réinstallation des personnes déplacées, les réparations t le rééquipement des agglomérations détruites ;
  • Création d’un fond national pour les orphelins, les mutilés, les grands invalides et les veuves de la guerre de libération ;
  • Priorité dans les domaines de l’emploi, de l’habitat, de la santé, de la scolarisation, etc. en faveur des familles victimes de la guerre.

2. Pour les travailleurs :

  • Politique de plein emploi et de résorption du chômage, en liaison avec les objectifs nationaux dans les domaines agricole et industriel ;
  • Elévation du niveau de vie, en premier lieu des couches les plus pauvres, nécessitant :
    • • Une juste politique des salaires : compte tenu des tâches économiques et sociales écrasantes de l’Etat algérien de demain, et des ressources financières importantes qu’elles nécessiteront, il sera difficile d’aboutir à des hausses immédiates de tous les salaires et à une amélioration immédiate des prestations sociales (sécurité sociale, allocations familiales, etc.). l’amélioration immédiate devra viser surtout les catégories de travailleurs les plus défavorisés jusqu’ici.
      La classe ouvrière, dont les intérêts fondamentaux se confondent avec les intérêts véritables de la nation, est prête à consentir des sacrifices dans l’intérêt général, dans la mesure où les mesures d’austérité seront réparties équitablement et où les sacrifices ne seront pas supportés uniquement ou pour la plus grosse part par la classe ouvrière et les classes déshéritées dans leurs besoins les plus vitaux. Dans leurs revendications, les travailleurs tiendront d’autant mieux compte des nécessités du « plan de développement » (notamment le premier en date) que ce plan devra être soumis à l’approbation de leurs organisations syndicales. Avec ces dernières ils veilleront à ce que le gouvernement applique, avec leur appui, une politique de progrès économique et social, tendant à limiter dans le temps la période d’austérité pour les travailleurs.
    • Amélioration progressive de la législation sociale (minimum vital, à travail égal salaire égal, journée de travail de 8heures, protection des droits du travailleur contre les discriminations et l’arbitraire patronal, de sa santé et de sa sécurité dans le travail, législation spéciale en faveur des femmes et des jeunes, code de la vieillesse, etc.)
    • Amélioration et extension des services sociaux : sécurité sociale et allocations familiales, etc.
    • Mesures pour la formation et la qualification professionnelle accélérées, pour que le travailleur algérien sorte au plus vite de sa condition de manœuvre colonial.

3. Pour les femmes :

Législation hardie qui donne et garantisse effectivement à la femme l’égalité totale avec l’homme dans tous les domaines, politique, économique, social et familial, qui abolisse la polygamie, la répudiation unilatérale, les inégalités dans l’héritage et tout ce qui maintient l’inégalité entre l’homme et la femme afin que nos sœurs, qui constituent la moitié de la nation, participent pleinement à la construction de l’Algérie libre.

4. Pour tout le peuple :

  • a) L’instruction et la culture :

Liquidation de l’analphabétisme et scolarisation générale des enfants, avec les mots d’ordre suivants :

    • • Celui qui sait lire et écrire doit apprendre à celui qui ne sait pas dans les familles, les entreprises, les villages, à tout moment de la journée et par tous les moyens, comme l’ont fait en pleine guerre des milliers de patriotes dans les prisons, les camps ou les maquis ;
    • • A chaque village ou douar, son école, avec utilisation de tous les locaux disponibles, l’aide de toute la population et la formation accélérée d’instructeurs et de moniteurs.
    • Nationalisation de l’enseignement, donné en langue arabe comme langue de base et de culture nationale, et en langue française comme deuxième langue de base, ainsi que comme langue d’études des sciences modernes, dans la période de transition vers l’arabisation de l’enseignement ;
    • Effort continus pour la prolongation de la période scolaire et aide particulière de l’Etat aux enfants issus de familles pauvres pour la poursuite de leurs études ;
    • Plan de formation rapide de cadres supérieurs techniques et scientifiques avec l’aide de tous les pays amis et en particulier de l’U.R.S.S. qui est à l’avant-garde du progrès humain ;
    • Rénovation de notre patrimoine culturel arabo-islamique (création d’un Conservatoire national de musique, d’une Ecole nationale des Beaux-Arts, etc.) et développement d’une culture nationale progressiste, populaire, scientifique, ouverte aux valeurs culturelles universelles.
  • b) L’habitat :
    • Politique de l’habitat rural et urbain pour liquider les bidonvilles et l’entassement des familles dans les pires conditions d’hygiène ;
    • Mise à l’étude et application d’une réforme urbaine » radicale, visant à
      • • Établir des loyers accessibles aux travailleurs (tenant compte des salaires) ;
      • • Limiter les profits scandaleux réalisés par les bourgeoisies européenne, israélite et algérienne dans les spéculations immobilières (sans viser les petits propriétaires) ; organiser ces capitaux vers les secteurs productifs industriels.
  • c) La santé
    • Organisation d’un réseau médico-social en portant l’effort le plus grand vers les campagnes pratiquement délaissées jusqu’ici par les colonialistes ;
    • Développement de la médecine préventive et l’éducation sanitaire des masses pour combattre notamment les fléaux, tels que la tuberculose, le trachome, etc.
    • Formation rapide de personnel médico-sanitaire qualifié, organisation et orientation de la profession médicale dans une voie sociale et non « commerciale ».
  • d) La jeunesse
    • Aide aux organisations éduquant la jeunesse dans un esprit patriotique, progressiste, démocratique et moderne ;
    • Politique populaire d’accès aux sports et à la culture (terrains sportifs, bibliothèques, cinémas, cercles culturels, etc.) ;
    • Protection juridique et sociale du droit des jeunes à la création d’un foyer fondé sur le libre consentement des conjoints ;
    • Mesures sociales de lutte contre la prostitution.

COMMENT RÉALISER CE PROGRAMME

Le programme présenté par le P.C.A. n’est pas comme la bague du prince des « Mille et une nuits » qu’il suffirait de tourner pour voir aussitôt ses désirs se réaliser.

Le programme du P.C.A. est un programme révolutionnaire . Contrairement aux programmes réformistes, il fixe des objectifs audacieux et il montre des perspectives claires. Contrairement aux programmes démagogiques qui ne tiennent pas compte des réalités et des difficultés, il montre les obstacles , il indique l es moyens de les surmonter.

Les réalités coloniales, dont il faut tenir compte au départ, constituent un héritage très lourd , dû à plusieurs raisons : le retard pris par le monde arabe et africain sur l’Occident depuis le XVIème siècle ; l’aggravation de ce retard par 130 ans d’exploitation et d’oppression coloniale ; et enfin les ruines accumulées par l’armée d’occupation pendant sept ans de guerre . A quoi s’ajoute l’emprise des néocolonialistes français décidés à s’incruster dans notre pays avec le soutien des impérialistes d’Europe occidentale et des Etats-Unis.

Mais le programme du P.C.A tient compte aussi des grandes possibilités de notre peuple, riche des ressources naturelles du pays, fort de sa combativité, de l’expérience acquise dans sa propre lutte anti-impérialiste et dans celle des autres peuples du monde, ainsi que de son désir ardent de progrès et de l’existence d’un rapport de forces favorables aux peuples dans le monde, en raison de la supériorité croissante de l’U.R.S.S. et du camp socialiste sur le camp impérialiste.

C’est pourquoi la réalisation de ce programme ne nécessitera pas obligatoirement l’effort de plusieurs générations : elle pourra se faire dans un délai beaucoup plus court, répondant à la légitime impatience des masses populaires. Ce sera au prix de luttes difficiles et sous certaines conditions que doit bien connaître notre peuple.

Quels sont les obstacles principaux ?

1) L’impérialisme français :

  • a) Les néocolonialistes qui utiliseront l’emprise économique et militaire qu’ils conservent sur notre sol pour freiner notre développement ;
  • b) Les ultra-colonialistes qui essaieront d’utiliser la population européenne pour saboter la construction de l’Algérie indépendante ;

2) Les alliés des néo-colonialistes français, dont les plus dangereux sont les Etats-Unis d’Amérique et l’Allemagne de l’Ouest qui, après avoir aidé la France durant toute la guerre, veulent, sous des formes nouvelles, garder l’Algérie dans l’orbite impérialiste.

3) Au sein de notre peuple ainsi que parmi les peuples d’Afrique et du monde arabe, certains forces conservatrices effrayées par l’élan révolutionnaire des masses et qui s’efforcent de gêner l’union solide des forces progressistes et anti-impérialistes.


LES CONDITIONS D’UN SUCCÈS RAPIDE :

1° Une orientation juste dans le choix de notre voie de développement.

La rapidité des progrès économiques et sociaux n’est pas un simple problème technique. Elle dépend de l’orientation politique.

La condition décisive de progrès rapides, c’est que notre peuple choisisse au départ et pour l’essentiel la voie non capitaliste de développement pour les secteurs – clefs de son économie. La voie capitaliste est en effet la voie des souffrances populaires, celle du pillage de nos richesses par les monopoles capitalistes étrangers, la voie enfin de l’enrichissement d’une seule classe sociale, la bourgeoisie, qui dans notre pays n’a pas encore d’assises économiques solides et larges.

La voie du développement non capitaliste ne peut être appliquée que grâce au renforcement des rapports d’entraide et de coopération surtout avec le camp socialiste. Seule l’aide efficace et sans conditions du camp socialiste permettra à l’Algérie de créer à la fois une industrie lourde, fondement de son indépendance économique, et une industrie légère. Etant donné ses faibles possibilités d’épargne, l’Algérie, sans une telle aide, mettrait un temps très long et consentirait de très lourds sacrifices pour avoir une telle industrie ; elle resterait dépendante des monopoles impérialistes qui ne cherchent que le profit (en supposant même que ces derniers acceptent d’aider réellement et sans conditions à la réalisation d’une industrie lourde).

En mettant au compte du camp socialiste les difficultés rencontrées par certains pays d’Afrique comme la Guinée, les colonialistes cherchent à faire oublier qu’ils sont les principaux responsables de ces difficultés. Ils veulent surtout détourner notre pays des pays du camp socialiste « qui se sont toujours rangés au côté des peuples en lutte pour leur indépendance et des Etats nouvellement indépendants sans assortir leur aide et leur soutien de quelque condition que ce soit ». (El Moudjahid du 29 août 1961).

2° La mobilisation totale et enthousiaste de notre peuple, de ses travailleurs manuels et intellectuels :

a) La première condition de cette mobilisation est l’union consciente et résolue dans l’action de toutes les forces anti-impérialistes et progressistes de la nation.

Ce rassemblement, sur la base d’un programme commun, doit se réaliser dans un Front groupant les organisations nationales et l’ensemble des patriotes dans le respect de l’autonomie de chaque organisation et dans le cadre d’une discipline commune.

De nombreux patriotes et des dirigeants du F.L.N. estiment que ce rassemblement doit se faire dans un parti unique. Quels seront le programme et l’idéologie de ce parti unique ? C’est en fonction de la réponse à cette question que se déterminera la réponse des communistes algériens.

Le P.C.A. est opposé au parti unique sur les bases de l’idéologie nationaliste bourgeoise. Un tel parti, même si sa composition est populaire, même si ses dirigeants sont issus de la classe ouvrière ou de la paysannerie pauvre, sera tôt ou tard l’instrument de la domination de la bourgeoisie sur les mases laborieuses, même si cette bourgeoisie n’a pas aujourd’hui des assises économiques solides dans le pays. Il ne supprimera pas les divergences ou contradictions entre classes sociales et ne réalisera pas l’unité politique et morale de la nation. Prenons l’exemple du parti unique de la R.A.U. Sous couvert de « l’union nationale », il est une dictature bourgeoise et militariste, domestiquant les syndicats, muselant la liberté, emprisonnant les démocrates, les communistes et les syndicalistes authentiques. Il a dépolitisé les masses égyptiennes. Il n’a pas supprimé et ne peut supprimer l’exploitation de l’homme par l’homme. Il a précipité l’éclatement de la R.A.U.

Si les conditions politiques et sociales sont réalisées, le P.C.A. se prononcera pour le Parti unique sur les bases idéologiques de la classe ouvrière ; il en sera le meilleur artisan parce que l’objectif du P.C.A. est l’abolition des classes, la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme, source de luttes et de divisions de la nation. Ce parti, à l’exemple du Parti socialiste unique de Cuba sera réalisé avec toutes les forces algériennes de progrès sur les bases marxistes-léninistes, idéologie de la classe ouvrière, laquelle une fois libérée et au pouvoir, libérera tout le peuple et n’exercera de contrainte que sur les agents contre-révolutionnaires et les exploiteurs.

Mais tout en œuvrant pour le parti unique sur de telles bases et en attendant que mûrissent les conditions politiques et sociales d’un tel parti, le P.C.A. n’est pas partisan de la suppression des partis reflétant les intérêts des couches bourgeoises ou petite-bourgeoises anti-impérialistes.

Le P.C.A. ne se dérobera pas à toute discussion qui s’ouvrirait pour la constitution d’un parti unique. Il y participera avec le ferme désir de clarifier les idées et d’œuvrer à l’unité morale et politique de notre nation. Mais ces discussions ne doivent pas détourner le peuple des tâches qui se posent avec l’indépendance.

Dans le cadre des réalités politiques et sociales de l’Algérie d’aujourd’hui et dans la lutte contre l’emprise néo-colonialiste, le rassemblement des énergies nationales, l’union des nationalistes et des communistes doivent se réaliser au sein du Front de libération nationale, en tant que rassemblement et non en tant que parti, dans le respect de l’indépendance du P.C.A. L’indépendance et le renforcement du P.C.A., qui ont été bénéfiques à la lutte et à l’union dans la guerre, continueront à l’être dans la paix.

Les patriotes devront bannir les exclusives et le sectarisme nuisible au peuple algérien. Ils devront combattre l’anticommunisme, arme de division et de diversion de l’ennemi, obstacle aux objectifs démocratiques et sociaux de la Révolution.

b) C’est par l’action unie et ininterrompue entraînant les plus larges masses que se réalisera un tel programme. Tout attentisme devra être vigoureusement combattu : la réalisation d’objectifs élevés se fait grâce à l’accomplissement chaque jour de tâches modestes ou importantes qui préparent les changements fondamentaux.

c) L’évaluation fraternelle et démocratique est nécessaire à une mobilisation fructueuse et à une discipline nationale véritable. C’est pourquoi il faudra bannir les méthodes autoritaires et antidémocratiques, éviter d’imposer des mesures de façon bureaucratique. L’emploi de certaines méthodes de contrainte envers les patriotes, déjà nuisible dans certaines conditions de la guerre, doit être à plus forte raison rejeté dans les conditions de la paix. Il doit être réservé aux seuls contre-révolutionnaires incorrigibles. Il faudra au contraire intéresser directement les larges masses à la construction consciente de leur avenir, expliquer et persuader, stimuler l’émulation individuelle et collective. Il faut un pays qui parle, des ouches qui s’ouvrent librement à la djemaâ comme à l’Assemblée nationale, dans les comités de quartier comme dans les syndicats et les partis politiques, dans les bureaux comme sur les chantiers. Dans les journaux, à la radio, à la télévision, il faut populariser et mettre en valeur les initiatives, encourager l’échange d’expériences d’un bout à l’autre du pays.

d) L’élévation du niveau d’éducation du peuple dans un esprit de progrès , jointe à l’instruction, facilitera la mobilisation des masses.
À l’époque des fusées cosmiques et du socialisme, notre peuple et surtout sa jeunesse, avide de s’émanciper dans le respect de nos traditions les plus saines et les plus progressistes, devront poursuivre la lutte déjà entamée pendant la guerre de libération contre l’héritage de la société féodale et colonialiste, contre les charlatans qui voudraient utiliser la religion dans un but politique contre-révolutionnaire et conservateur, contre l’esprit de facilité ou d’égoïsme, contre l’esprit de profit au détriment de la société, contre tout ce qui pervertit les consciences et les mœurs saines.

L’enseignement, l’éduction et le bon exemple devront encourager les courants de progrès, « l’idjtihad », effort intellectuel au contact de l’action. Ils devront mettre l’action sur l’amour de la patrie, la fraternité, la solidarité nationale, l’élévation de la conscience démocratique, l’idéal de solidarité et d’amitié avec tous les peuples, l’amour du travail, l’honnêteté, le respect du bien public, le dévouement aux tâches de reconstruction et l’épanouissement de la famille dans la pleine égalité des époux, l’affection et l’harmonie entre ses différents membres, dans le sens du progrès et des intérêts de la patrie.

3° Une politique extérieure conforme à l’intérêt national :


La politique extérieure du pays devra être en harmonie avec sa politique intérieure.

Notre pays doit mener une politique active de paix . C’est dans un climat de paix mondiale que nous pourrons réaliser le mieux notre programme de révolution nationale et démocratique, que nous serons plus forts pour faire respecter notre souveraineté nationale.

Cette politique de paix doit être basée sur :

  • Les principes de Bandoeng : respect de l’intégrité territoriale, non agression, non ingérence réciproque dans les affaires intérieures, coexistence pacifique, égalité et bénéfice mutuel des Etats ;
  • La non appartenance à tout bloc militaire impérialiste, la non utilisation du Sahara algérien comme champ d’expérimentations nucléaires ;
  • La lutte contre les séquelles de l’occupation étrangère, pour l’évacuation des bases militaires par les troupes françaises ;
  • L’aide active à tous les peuples encore sous le joug colonial ;
  • Des rapports étroits de solidarité avec le Maroc et la Tunisie, sur la voie de la réalisation du Maghreb arabe uni sur des bases anti-impérialistes, démocratiques et de progrès social ;
  • Des rapports étroits de solidarité avec les pays arabes par l’union des peuples arabes sur une base anti-impérialiste, démocratique, dans le respect de la personnalité de chaque peuple et en tirant les leçons de l’éclatement de la République arabe unie. Notre diplomatie devra proposer des changements fondamentaux dans l’orientation et les structures sclérosées de la Ligue arabe qui donne aux peuples arabes le spectacle de son impuissance, parce qu’elle représente des gouvernements parmi lesquels se trouvent des gouvernements féodaux et réactionnaires, valets de l’impérialisme ;
  • Des rapports étroits de solidarité avec les pays africains, en particulier avec ceux du groupe de Casablanca, sur la base de la Charte définie par ces derniers ;
  • Des rapports de coopération libres et sur un pied d’égalité avec la France. Briser les liens de dépendance avec l’impérialisme français n’est pas incompatible avec une telle coopération. Au contraire, l’indépendance totale rendra la coopération établie sur les bases d’Evian, réellement fructueuse et solide par ce qu’elle l’aura débarrassée de tout ce qui est contraignant pour notre pays. Elle permettra d’apporter des solutions heureuses et pacifiques aux problèmes que l’histoire a posés en commun aux peuples algériens et français ;
  • Des rapports de coopération et d’amitié avec tous les pays sans exclusive et notamment avec les pays du camp socialiste.
    Le renforcement du camp mondial de la paix et le renforcement du camp socialiste créent à l’Algérie les conditions internationales les plus favorables. C’est pourquoi notre gouvernement devra soutenir en toute occasion les efforts de l’U.R.S.S. en faveur de la paix et du désarmement général et complet , qui aurait notamment pour effet de faciliter notre lutte pour l’évacuation des bases françaises et de créer de nouvelles et immenses ressources dans le monde pour mettre fin au sous-développement.

A ceux qui prétendent que l’Algérie, en raison de sa situation géographique, serait définitivement soumise à l’influence de l’Occident, c’est-à-dire des puissances impérialistes et vouée au commerce de l’Europe des Six, au rôle d’appendice de cette Europe-là nous disons : La proximité des Etats-Unis n’a pas empêché Cuba de devenir une République socialiste. L’appui du camp socialiste permettra de mieux résister aux conditions et aux pressions impérialistes. Aucune force extérieure ne pourra alors s’opposer à la marche des Algériens vers le progrès. Celle-ci dépendra avant tout de notre peuple, de sa volonté, de sa lutte, de son niveau d’organisation et de l’élévation de sa conscience nationale et sociale.


SUR LA VOIE DU SOCIALISME

Ni la réforme agraire, ni les nationalisations ne suffiront à construire le socialisme. Mais la réalisation de ce programme de démocratie nationale créera les conditions économiques, sociales et politiques pour le passage de l’Algérie à un régime socialiste réel.

Cela nécessitera, comme l’ont montré les exemples exaltants de la République démocratique du Vietnam ou de Cuba, l’application aux réalités nationales de l’Algérie des lois générales du socialisme, c’est-à-dire :

  • Propriété sociale des principaux moyens de production ;
  • Collectivisation progressive de l’agriculture ;
  • Front uni de la classe ouvrière, de la paysannerie pauvre et de toutes les forces nationales et progressistes sous la direction de la classe ouvrière ;

-  Existence d’un parti marxiste-léniniste puissant.

Le marxisme-léninisme enseigne lui-même que le socialisme ne peut s’édifier si l’application de ses lois générales ne tient pas compte des réalités nationales du pays.
L’expérience mondiale montre en même temps qu’il n’a jamais existé de régime socialiste dans un pays sans application à ce pays des lois générales du socialisme valables pour tous les pays. Les dirigeants bourgeois africains ou arabes qui, sous la pression de leurs peuples, parlent de socialisme, prennent prétexte de leurs réalités nationales pour construire non pas le socialisme véritable, mais un régime où subsiste encore l’exploitation des masses laborieuses et l’infiltration impérialiste.

Quand l’U.R.S.S. était le seul pays socialiste, les capitalistes et leurs agents disaient : « Le communisme ne convient pas à la Chine, pays de civilisation millénaire. » Mais la Chine est devenue socialiste. Ils disaient aussi : « Il ne convient pas aux pays musulmans. » Mais les Républiques soviétiques d’Asie ont atteint et parfois dépassé le niveau de production et de culture des pays les plus avancés d’Europe. En vérité, les principes marxistes-léninistes, parce qu’ils ne sont pas un dogme ou une recette, mais un guide pour l’action, s’appliquent aussi bien aux réalités nationales du Vietnam, ancienne colonie française, qu’à celles de l’ancienne république bourgeoise de Tchécoslovaquie, à celles de l’ancienne Russie tsariste qu’à celles de l’ancienne semi-colonie américaine de Cuba.

L’immense majorité des Algériens a intérêt à ce que l’Algérie devienne socialiste. Comment en serait-il autrement quand notre peuple prend connaissance des grandioses réalisations de l’U.R.S.S. et des autres pays socialistes, quand il compare dans les deux tableaux ci-dessous le rythme de croissance des pays engagés sur la voie socialiste avec celui des pays qui ont suivi la voie capitaliste :

TABLEAU I

PAYS ACIER (kg par habitant) ÉLECTRICITÉ (kWh par habitant)
1950 1960 1950 1960
INDE 4.1 7.5 14 40
CHINE 1.1 27 8.3 85

Ce tableau montre que, pour la production fondamentale en acier et en électricité, la production par habitant en Chine socialiste se développe 12 fois plus vite qu’en Inde (engagée dans la voie capitaliste) pour l’acier et 3.5 fois plus vite pour l’électricité.
Aujourd’hui, alors qu’au départ l’Inde était en tête pour ces deux productions, la Chine la dépasse très largement et la dépassera de plus en plus.

La Chine détenait le 18ème rang dans le monde pour la production de l’acier en 1952. En 1960, elle occupe le 6ème rang. La Chine occupait le 22ème rang dans le monde pour l’électricité en 1952. Aujourd’hui, elle occupe le 8ème rang.

Le tableau ci-dessus comparant le développement de la production électrique dans les deux Vietnam montre que les conclusions précédentes sont valables pour les petits pays.

Les chiffres montrent également qu’en régime capitaliste le retard des pays sous-développés se maintient par rapport aux pays capitalistes avancés tandis qu’en régime socialiste les pays sous-développés rattrapent très rapidement leur retard sur les pays socialistes déjà industrialisés.

Des conditions favorables existent pour que la jeune République algérienne ouvre la voie au socialisme :

  • 1° Notre classe ouvrière, bien qu’elle soit jeune, possède de glorieuses traditions de lutte nationales et sociales, un sens de classe élevé malgré les efforts de la C.I.S.L. pour pervertir son esprit national et sa conscience de classe, un Parti communiste solide politiquement et idéologiquement et qui a joué son rôle de guide de la classe ouvrière au travers des multiples difficultés et obstacles qui ont jalonné ses 25 ans d’existence et de lutte au service du peuple. Notre Parti a éduqué la classe ouvrière dans un esprit de patriotisme et « d’indépendance du mouvement prolétarien, même sous la forme la plus embryonnaire » (Lénine) au sein du mouvement de libération, tout en soutenant résolument la politique anti-impérialiste du F.L.N. dont il se considère par sa lutte comme partie intégrante. Le P.C.A. est le pionnier du socialisme en Algérie. Il est le seul parti algérien à avoir fait connaître et aimer les idées libératrices du socialisme et les réalisations des pays socialistes à notre peuple, celui qui a le plus œuvré pour la réalisation future du socialisme parce qu’il est le seul parti algérien marxiste-léniniste.
  • 2° Les forces progressistes sont nombreuses et agissantes eu sein du mouvement de libération. La conscience sociale des masses grandit, liée au renforcement de la conscience nationale. Les masses sentent, en effet, que l’obstacle premier à la réalisation de leurs aspirations sociales brûlantes sera, même après l’indépendance, le néo-colonialisme avec son emprise économique et militaire. Nombreux sont aussi les patriotes qui sentent de plus en plus que le socialisme donnera à l’Algérie son unité morale et politique. Nombreux sont les patriotes révolutionnaires d’origine petite-bourgeoise qui se rapprochent des positions marxistes.
  • 3° La bourgeoisie a des assises économiques relativement peu solides. L’expérience de tous les pays libérés du colonialisme a également montré que la bourgeoisie n’est pas la classe la plus capable de diriger les grandes tâches vitales de renaissance nationale dans l’esprit de notre siècle. Par ailleurs, les bourgeois attachés à la patrie pour qui ils ont consenti aussi des sacrifices, en particulier sur le plan financier, pendant la guerre, ne doivent pas être effrayés par les perspectives du socialisme. En Chine, nombreux sont les membres de la bourgeoisie qui, après avoir abandonné leurs privilèges de classe, ont mis au service de leur pays leurs qualités professionnelles et jouent un rôle dirigeant dans certains secteurs de l’économie nationale.

Mais l’étape d’aujourd’hui, répétons-le encore, est celle de la libération nationale, c’est-à-dire de l’indépendance complète, de la démocratie réelle, du progrès économique et social.

De la réalisation de ce programme, du rôle que joueront la classe ouvrière, la paysannerie pauvre, les intellectuels avancés et leur Parti, le P.C.A., dépend l’étape du socialisme.

C’est pour y mener notre peuple, en union avec toutes les forces algériennes patriotiques et progressistes, que notre Parti, conscient de son rôle de guide, a élaboré ce programme et le propose à tous les Algériens, en cette année qui doit être le point de départ de nouvelles luttes pour l’indépendance réelle, pour la terre et le pain, pour le travail et l’instruction, pour la démocratie véritable, pour le progrès illimité de notre nation.

Alger, 18 avril 1962

LE PARTI COMMUNISTE ALGÉRIEN

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