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1958, Juillet : ESSAI SUR LA NATION ALGÉRIENNE

publié dans "RÉALITÉS ALGÉRIENNES ET MARXISME"-revue théorique éditée par le Parti communiste algérien

lundi 14 novembre 2011

ESSAI
SUR LA NATION
ALGÉRIENNE [1]


L’UN des arguments favoris de l’impérialisme français et de ses historiens est que les Algériens ont une « inaptitude congénitale à l’indépendance » (E.F.Gauthier), la doctrine Eisenhower du « vide » a des précurseurs parmi les théoriciens français de la conquête. L’Algérie, en 1830, « c’était le néant, le vide », disent-ils. Et c’est, assurent-ils, pour le combler que le débarquement de Sidi-Ferruch eut lieu.

Cette argumentation, les spéculations sur les « siècles obscurs du Maghreb » visent plus loin : faire débuter l’histoire de l’Algérie en 1830, couper les algériens de leur passé, obscurcir leur conscience nationale, revêtir d’une écorce idéologique le refus de la France de reconnaître la réalité de la nation algérienne et sa souveraineté.

Voici que de Gaulle, malgré les démentis de l’histoire et les déboires de la France dans ses anciennes colonies d’Asie et d’Afrique, qualifie l’Algérie de « terre française » et décide par une phrase que les Algériens sont français. Notre peuple a repoussé et repousse catégoriquement toute politique d’intégration, quelle que soit la forme que les impérialistes français lui donneront.

Les Algériens ont secoué toute résignation. À l’échelle de l’histoire, le 1er novembre 1954 a une double et profonde signification : c’est le signal de la reprise par tout un peuple et sous des formes multiples de la contre-offensive amorcée au début de juillet 1830 par les troupes algériennes, contre-offensive qui faillit faire subir au corps expéditionnaire du général de Bourmont le sort de la flotte de Charles-Quint en 1546 ; c’est aussi un cri jailli des profondeurs de la terre algérienne, d’une nation proclamant son existence et sûre de sa prochaine délivrance.


Liens pour circuler dans l’article entre les différents chapitres :

INTRODUCTION

I. DES SOURCES ET DE L’ÉVOLUTION DU SENTIMENT NATIONAL ALGÉRIEN

II. FORMATION ET RÉALITÉ DE LA NATION ALGÉRIENNE

III. QUELQUES PROBLÈMES DE LA NATION ALGÉRIENNE

CONCLUSION



I . DES SOURCES ET DE L’ÉVOLUTION DU SENTIMENT NATIONAL ALGÉRIEN

LE sentiment national algérien prend sa source très loin dans l’histoire des Berbères, premiers habitants de l’Afrique de du Nord. Comme chez tous les peuples, ce sentiment n’était pas national à ses débuts : il n’avait pas la force et la profondeur, la maturité et la qualité qu’il possède actuellement. Il se manifestait d’une façon sporadique, fruste et spontanée. Depuis ses premiers balbutiements, il a évolué sans cesse avec le déroulement des siècles au cours de notre histoire, avec les luttes, les victoires et les défaites, les transformations économiques et sociales, les changements de régime politique, les brassages de population. On peut comparer l’évolution du sentiment national au cours d’un fleuve, d’abord ruisseau, qui grandit au fur et à mesure qu’il traverse des contrées nouvelles, étroit dans les gorges qui l’enserrent, calme et large dans les plaines, enrichissant les terres et enrichi d’affluents venant des montagnes voisines.

À quelle époque situer les signes d’une certaine solidarité ressentie confusément par les premiers habitants de notre pays ? Il est difficile d’être précis dans ce domaine. Mais on peut les faire remonter sans risque de se tromper aux luttes des populations contre les comptoirs phéniciens établis sur les côtes, aux efforts des « Aguellids » (rois) berbères, en particulier à ceux du plus grand d’entre eux, Massinissa, pour unifier le pays (le fait que les limites de son royaume ne correspondent pas tout à fait à celles de l’Algérie moderne ne change rien au sens profond de ce phénomène historique), fixer les paysans au sol, créer un centre administratif, Cirta (Constantine), la capitale, déjouer les intrigues de Rome et de Carthage. Les épreuves subies par le royaume de Massinissa de fait des Romains n’ont jamais brisé l’élan vers la libération et l’unité du pays. Qu’est-ce qui fortifiait la résistance populaire à Rome, sinon l’attachement à la terre (Tamazirt) et l’amour de la liberté ? les noms de Jugurtha, Tacfarinas, Firmus, de la cavalerie numide, claquent au vent de notre histoire comme un étendard de ralliement des partisans, comme un appel au combat contre les Romains les Vandales, les Byzantins, contre l’occupant étranger.

Avec l’arrivée des Arabes prend fin un long cauchemar, celui des invasions que suivait la ruine du pays, la mise en esclavage des populations. Venu de l’Est avec la lumière, l’Islam va transformer d’une façon radiale la physionomie du pays. Le geste symbolique de La Kahena, recommandant, après une résistance héroïque, à l’un de ses fils de rejoindre les Arabes et adoptant un de ces derniers comme fils, est significatif de l’esprit dans lequel furent accueilli les soldats de Okba et Noman. Si les Berbères résistèrent au début de la pénétration arabe, habitués qu’ils étaient jusque-là à ne connaître que la servitude et l’humiliation avec l’envahisseur étranger, ils ne furent pas longtemps à s’apercevoir du caractère libérateur de l’idéologie apportée par les nouveaux venus.

Ils « se convertirent en masse à l’Islam, religion de rite simple, alliant la nouveauté à la force et à la beauté ; profondément égalitaire, elle donnait en principe aux nouveaux convertis les mêmes droits que leurs conquérants ; elle interdisait la réduction en esclavage d’un musulman et favorisait la libération des esclaves incroyants. Il n’existait pas de clergé et il n’y avait donc pas à craindre ses prévarications. Enfin, les Berbères, outre le souci d’échapper à certains impôts et de participer à de fructueuses expéditions, trouvaient dans le système juridique et social des Arabes une souplesse qui leur permettait de conserver leurs organisations sociales et leurs coutumes traditionnelles » [2]. C’est un Berbère islamisé, Tarik, qui poursuivra la chevauchée libératrice dans le Sud de l’Espagne.

Ce sentiment où la religion joue un rôle unitaire de premier plan (étant donné le contenu sociologique de l’Islam) est d’une qualité supérieure au précédent, avec désormais la prise de conscience de l’appartenance à un monde plus vaste. Notre pays (Maghreb El Awsat) a connu les splendeurs, le faste et les réalisations de la brillante civilisation musulmane sous le califat des Omeyades, des Abassides, des Fatimides. Il a formé avec l’Ifrykia (Tunisie) et le Maghreb occidental (Maroc) les empires « Almourabitounes » et les « Almouhaoudinounes ». L’empire Almohade, sous le règne de Abdelmoumen, originaire de Nedromah, ce centre d’Oranie qui demeure un des hauts-lieux du patriotisme algérien, fut l’empire le mieux organisé de l’Occident musulman. L’idée d’un terrtitoire spécifiquement algérien grandit avec les royaumes de Tahert, des Zirides (Achir dans le Titteri) et des Beni-Hammade (Bougie). Mais la solidarité avec le monde musulman reste toujours vivace. C’est ce qui explique l’appel fait aux Turcs contre les envahisseurs espagnols. Mais que les Turcs se comportent en tyrans et voilà les Algériens dressés pour défendre leurs libertés.

En 1520, avec Khaïr Dine, naît un Etat algérien avec Alger comme capitale. D’abord dépendant de la Turquie, cet Etat devient de plus en plus autonome en même temps que se dessinent les contours et la physionomie propres à chacun des trois pays d’Afrique du Nord. Quand les Français débarquent à Alger, ils trouveront un Etat souverain entretenant des relations diplomatiques avec plusieurs pays étrangers, dont la France, avec son armée, son administration, ni plus ni moins moderne que les Etats existant à la même époque en Tunisie et au Maroc, ainsi que dans certains pays d’Europe. L’Algérie était à la veille d’aborder une étape nouvelle de sa vie économique et sociale. D’une part les cadres institutionnels existaient à l’échelle nationale. D’autre part, à l’intérieur de ce cadre, l’unité du pays se forgeait contre une minorité féodale d’origine turque, dont le système de gouvernement étouffait le développement des forces sociales nouvelles. Ce qui montre d’ailleurs que la lutte des Algériens pour la liberté n’avait pas déjà un caractère spécifiquement religieux, comme tendent à le faire croire pour la guerre actuelle les partisans de nouvelles croisades. Il est difficile de dire d’une façon précise le développement qu’aurait suivi la société algérienne sans la conquête française. Cependant, l’épopée d’Abdelkader, ses rapides et prodigieux résultats dans la mise en chantier d’institutions étatiques, après la capitulation d’Alger, montrent précisément que des éléments puissants d’unification existaient déjà au sein de la société tribale des campagnes et que le pays n’allait pas tarder à franchir l’étape de l’économie marchande et des relations précapitalistes. En gestation depuis des siècles, la nation algérienne n’aurait pas tardé à surgir. L’arrivée des français freina dans certains domaines cette marche vers le progrès. Cependant, la naissance de la nation n’était que différée. La personnalité de l’Algérie s’était déjà affirmée.

Cette personnalité a été façonnée par le travail et l’apport de générations de paysans, d’artisans, de guerriers, d’architectes de savants, d’artistes : c’est le labeur patient de ceux qui ont fertilisé les terres à blé du Constantinois sous Massinissa, embelli Cherchell sous Juba II. C’est la sagesse et le sens démocratique de la société berbère survivant aux siècles. Ce sont les souffrances, c’est le sang des cohortes d’esclaves qui ont ouvert les routes et lancé des aqueducs, sous le fouet des Légions romaines. C’est l’habileté des partisans mettant au point la tactique de la guérilla et de la terre brûlée contre les envahisseurs étrangers. C’est la liaison permanente des luttes sociales avec les luttes pour la liberté qu’on perçoit déjà dans le mouvement des « circoncellions » (paysans sans terre encerclant les fermes romaines). C’est, après l’arrivée des Arabes, les constructeurs de la Kelaâ des Beni-Hammade, des mosquées de Tlemcen et d’Alger aux « mirhabs » [3] finement ciselés. Ce sont les jardiniers maures chassés d’Espagne et recréant à Médéa et à Blida les vergers de la plantureuse Andalousie. Ce sont les musiciens et les compositeurs réalisant le miracle de transmettre oralement de siècle en siècle les « stikhbars » (préludes), musique classique équivalant pour nous à celle de Corelli pour les Italiens, ou de Bach pour les Allemands. C’est l’épopée de la tribu des Kotamas au Xème siècle, en petite Kabylie, qui fonda Le Caire pour les Fatimides. C’est Tahert, centre d’un Etat égalitaire aux mœurs austères. C’est le contenu profond de justice et d’égalité du Kharédjisme. C’est la discussion passionnée des idées, la remise en cause des dogmes les mieux établis, avec l’esprit hardi des Moutazilites, ces rationalistes de l’Islam, preuve de l’ouverture d’esprit de nos ancêtres. C’est l’œuvre d’Ibn Khaldoun, le premier historien moderne. C’est l’esprit chevaleresque porté si haut en Algérie, comme en témoigne le comportement de l’Emir Abdelkader et de Moqrani dans la guerre contre la France. C’est la fierté inscrite dans la réponse des habitants de Mascara, refusant de se rendre aux troupes françaises. C’est l’esprit d’organisation des confréries religieuses et leurs réseaux de cellules tellement serrés qu’il faudra à peine une semaine pour rassembler sous la bannière de Moqrani 300 000 paysans après l’appel de Cheikh Ahadadh, chef des Rahmanias ! C’est l’habileté, l’ingéniosité des ouvriers et des artisans, créant des fabriques et des arsenaux à Miliana, à Tagdempt, pour armer et ravitailler les troupes d’Abdelkader. C’est l’amour de la langue arabe qui fera surgir du sol algérien d’innombrables écoles libres, à l’appel des Oulamas. C’est l’attachement à l’Algérie, et, pour reprendre les paroles d’Abdelkader Guerroudj, devant le tribunal qui le condamnait à mort, « la beauté de ses rivages, la limpidité de son ciel, l’éclat de son soleil, l’infini des sables de son désert, le printemps embaumé de ses jardins fleuris », c’est en un mot ce qui rend notre patrie plus attachante encore et plus grandes notre amertume et notre colère d’y vivre en étrangers.

*

Il est utile de faire deux remarques sur l’héritage que nous ont ainsi légué nos ancêtres :

  1. Ce dernier n’est pas fait que de lumière. Il a aussi ses ombres. Notre peuple ne possède pas que des qualités. Le prétendre serait faire preuve d’un esprit suffisant et dangereux. Comme tous les peuples, il a aussi ses défauts, produits d’une société basée sur l’exploitation de l’homme par l’homme. Mais qu’il se soit dressé fièrement comme un seul homme, malgré et contre un système qui a essayé de le ravaler depuis cent vingt-huit ans à la condition de bête, est une preuve éloquente des immenses richesses morales et des vertus qu’il recèle en son sein.
  1. Cet héritage n’est pas une superposition d’apports, une mosaïque de valeurs placées les unes à côté des autres. De l’œuvre de Rome, il reste surtout des pierres calcinées par notre soleil et témoins muets d’une faillite morale et matérielle retentissante. Le fond berbère est sorti indemne des tentatives de romanisation. Par contre, il a été fécondé par la civilisation arabe. Son originalité a été enrichie, mais non effacée. Il est significatif que les Algériens, Berbères arabisés, pensent dans leur grande masse que les Arabes ne sont pas venus de l’extérieur. Cela montre à quel point l’arrivée des quelques milliers d’Arabes de Okba correspondait à une véritable résurrection pour notre peuple écrasé et humilié par l’étranger. Il en sera marqué dans son âme et son corps et n’abordera jamais l’évocation de cette grandeur passée sans un triple sentiment d’émotion, de fierté et de respect. La meilleure preuve que la civilisation arabe a plus profondément imprégné notre peuple que tous les apports précédents réside dans les épreuves qu’elle a subies sans dommages, malgré deux occupations espagnole et française.

Toutes ces valeurs, tous ces épisodes historiques, cette énergie, cette vitalité peu commune, voila les conditions objectives et subjectives dans lesquelles se forge et se renforce la personnalité de l’Algérie, voila le support du sentiment national algérien depuis les siècles les plus reculés jusqu’en 1830 et de 1830 à nos jours.

En 1830, « l’Algérie était pleine de forces morales »,

écrit le Professeur Emerit. Ces forces morales, dont le sentiment national, ne resteront pas inertes devant l’évolution de l’histoire.

1 - Le sentiment national algérien a subi les assauts destructeurs du colonialisme . Les écoles libres sont fermées. La langue arabe est déclarée langue étrangère, les Habous (biens de mainmorte) qui servaient à l’entretien des établissements d’enseignement et religieux sont saisis. Remarquons en passant, avec le professeur Emerit, qu’en 1830 la proportion d’illettrés était moins forte en Algérie qu’en France. Des mosquées sont transformées en casernes, d’autres, parmi les plus belles sont détruites, certaines sont transférées au culte catholique, comme la mosquée Ketchaoua (l’actuelle cathédrale d’Alger), après une résistance acharnée des fidèles qui y étaient assiégés. Il est interdit aux Oulamas réformistes de prêcher dans les mosquées. L’impérialisme connaît le rôle progressiste et de résistance joué par l’Islam en pays opprimé (voir également le rôle joué par le catholicisme en Pologne occupée au XIXème siècle). Derrière les soldats français se profile l’ombre des missionnaires. Les portes du pays sont ouvertes au peuplement européen. Sur nos rivages s’abattent, dès 1831, des oiseaux de proie, trafiquants, aventuriers, spéculateurs, pègre des ports méditerranéens de France, d’Espagne, d’Italie, de Grèce, de Malte. Plus tard, trompés par la propagande officielle, arrivèrent des Français, petites gens pour la plupart, paysans, ouvriers des ateliers nationaux ; puis les déportés de 1848, 1871, qui ne ressemblaient pas aux premiers arrivants. Tous devaient servir, dans l’esprit des gouvernants français, à « refouler » l’indigène sur les terres arides, à changer la physionomie de l’Algérie ? la langue française, enseignée au compte-gouttes, devant former des « valets » sans dignité, sans fierté nationale, assimilés, déracinés. Pendant longtemps, le petit Algérien qui trouvait place sur les bancs de l’école française apprenait que ses ancêtres étaient les Gaulois. Le silence et la nuit régnait sur les siècles d’éclat de notre histoire. Cette politique de dépersonnalisation était accompagnée d’une politique d’extermination [4] par le fer et le feu et par des expropriations massives.

Cent vingt ans de ce régime maudit n’ont pu venir à bout des forces physiques et morales de notre peuple, dont Mustapha Lacheraf caractérise ainsi la résistance aux Français : « Il s’agit le plus souvent d’un drame debout, sans cesse en action, d’une lutte inlassable et malheureuse qu’il faut mener à son terme, non pas en vertu d’un héroïsme de façade, mais parce que le peuple est doué d’une énergie telle, d’une vitalité à ce point irréductible, qu’il lui faut épuiser toutes ses ressources physiques et morales avent de succomber . »  [5]

Battu par le nombre, le peuple algérien se réfugia dans une résistance qui prit différentes formes. Sous ses haillons, il gardait une foi intacte et, dans son cœur, brûlaient l’espoir et la flamme libératrice. Chaque Algérien joua son rôle dans cette résistance collective, digne de l’épopée, jusqu’aux mendiants troubadours, modestes hérauts des gloires passées et que l’administration française, par mépris pour le génie d’un peuple et par ignorance des « diwans essalihines » [6], laissait faire.

Combien de peuples auraient résisté à ce déluge ? Trempé et durci par ces terribles épreuves et son contact avec le colonialisme, notre peuple acquit une plus grande soif de dignité et de liberté. Nos ennemis en mesurent toute la puissance accumulée. « L’Algérie latine » de Louis Bertrand est enterrée à jamais.

2 - Un bouleversement profond est résulté cependant de la conquête . Si cette dernière a freiné la formation de la nation algérienne au sens véritable du terme, en empêchant le développement d’une bourgeoisie marchande, en contrecarrant la vie culturelle et psychique de l’Algérie, elle n’a pas échappé à la dialectique de ses lois internes. Comme la société capitaliste donne naissance à ses propres fossoyeurs, les prolétaires, le régime colonial a accéléré involontairement la formation d’un indice important de la nation : l’unification économique du territoire, avec la destruction de l’économie tribale fermée. Il en est résulté entre Algériens une unité nouvelle, plus solide que celle du passé. L’expropriation massive des fellahs a entraîné un exode vers les villes, des déplacements et des brassages de population. La lourde centralisation administrative a eu deux conséquences : le recul de l’esprit provincialiste, une oppression plus collective, avec, comme corollaire, un développement plus rapide de la conscience nationale. Les valeurs nationales, gardées jalousement au sein du peuple, n’attendaient que l’occasion de se manifester.

Des facteurs extérieurs n’allaient pas tarder à créer des conditions favorables au réveil du peuple algérien,

plongé dans une certaine léthargie après la fin de la résistance et des révoltes armées, suivies de répressions plus barbares les une que les autres.

Quels sont ces facteurs ?

a. Le mouvement de renaissance des peuples arabes

Lancée dans la deuxième moitié du XIXème siècle par Djamal Eddine el Afghani, pris en main plus tard par Cheikh Abdou, ce mouvement idéaliste et réformiste à ses débuts n’allait pas tarder à avoir un contenu de libération nationale contre l’emprise turque et surtout l’impérialisme (anglais, français, italien, plus tard américain). Ce facteur a joué un rôle décisif, éminemment positif, dans l’éveil des masses algériennes. Rôle d’encouragement d’abord : il a brisé leur isolement avec l’extérieur, leur a apporté l’espoir d’un changement à une époque où les colonialistes pouvaient en toute quiétude pressurer notre peuple et fonder leur assurance sur l’apathie apparente des masses, sans guides et sans perspectives idéologiques. Rôle progressif et moderniste ensuite, dans la mesure où il a suscité chez notre peuple la soif de connaître, de s’ouvrir au monde moderne. Devant la civilisation apportée par l’étranger (les Français) et qu’il rejetait en bloc, le peuple algérien sut désormais quelle partie en prendre, celle qui est compatible avec sa foi, son honneur, ses traditions. Il ne tardera pas à s’en servir comme d’une arme. C’est ce qui explique son désir d’apprendre la langue française, après une période de méfiance et de réserve. Le peuple algérien sut retourner contre ses oppresseurs cet outil précieux pour assimiler les méthodes d’organisation, de lutte, les doctrines d’émancipation de l’époque impérialiste. L’une de ses premières revendications nationales formulées en français fut le respect et l’enseignement de l’arabe, sa langue.

b. La Révolution d’octobre 1917, qui aura sur les peuples colonisés et de l’Orient arabe des répercussions indirectes d’une portée considérable. Suivant la formule du Président Ahmed Soekarno, elle a permis aux mouvements d’indépendance des peuples opprimés de se déployer avec une vigueur nouvelle. La jeune République des Soviets apporte une aide à la Turquie de Kemal Attaturk, dont la lutte contre l’armée grecque, instrument de l’Angleterre, était suivie passionnément par les masses algériennes et dont la victoire a fait progresser le mouvement de renaissance des pays musulmans. En portant un coup mortel au régime capitaliste sur un sixième du globe, la Révolution d’octobre 1917 a créé, avec l’affaiblissement considérable des forces impérialistes, des conditions objectivement favorables pour le passage du mouvement de libération et de renaissance arabe du stade de la propagation des idées à celui des réalisations pratiques. Ce n’est pas le fait du hasard si la lutte pour l’indépendance de l’Egypte, avec Zaghoul et le Wafd, a pris un essor plus grand après 1920.

La révolution d’Octobre a eu d’autres répercussions indirectes sur le mouvement national algérien. En 1920, la scission de Tours au sein du Parti socialiste français et, par la suite, la fondation du Parti communiste français ont transformé la plupart des sections socialistes françaises d’Algérie en sections communistes. La lutte pour l’adhésion à la IIIème Internationale s’est déroulée en Algérie sur la base du droit à l’indépendance des peuples coloniaux. C’est auprès des organisations communistes débarrassées des éléments racistes que l’Emir Khaled trouva le plus solide appui. Plus tard avec la fondation du Parti communiste algérien, en 1936, les organisations communistes d’Algérie joueront le rôle de « levain du peuple algérien », suivant la formule de Cheikh ben Badis.

L’influence des idées du prolétariat mondial s’est exercée également sur notre pays par l’intermédiaire des travailleurs algériens que la misère et le colonialisme obligeaient à l’exil en France, où ils entrèrent en contact avec les organisations politiques de gauche, dont le Parti communiste français qui les aida à organiser « L’Etoile nord-africaine ».

Ces contacts, ces influences, permettent, grâce en particulier au rôle du Parti communiste algérien, une grande clarification dans les rangs du mouvement national qui prend conscience de sa liaison avec les forces ouvrières et progressistes mondiales. L’horizon politique des Algériens s’en trouvera élargi. D’autant que, parallèlement à ces changements politiques, s’opèrent sur le plan social deux transformations :

  • L’exode vers les villes des masses paysannes expropriées, la ruine de l’artisanat, auront comme conséquences : la prolétarisation de très larges masses, la naissance d’une classe ouvrière musulmane ;
  • L’implantation massive d’Européens, la ruine de nombreux petits colons au profit des capitalistes terriens créent une main-d’œuvre qui trouve à s’employer dans certaines industries locales et les services publics. Ces travailleurs acquièrent des traditions de lutte revendicative, dues entre autres à l’influence des déportés de 1848 et 1871 et des Saint-Simoniens, du socialisme utopique et plus tard du socialisme scientifique.
  • Partis de deux pôles opposés, séparés par le cloisonnement de deux sociétés étrangères l’une çà l’autre et par les préjugés raciaux des Européens, travailleurs musulmans et européens, au fur et à mesure que les besoins de la colonie grandissent en main-d’œuvre, se côtoient, travaillent ensemble, engagent des luttes séparément, puis en commun. Plus tard - sans nous étendre sur ce processus d’unité ouvrière – nous les retrouverons ensemble au sein de l’Union générale des syndicats algériens. Les plus conscients d’entre eux militent dans les organisations communistes. En 1951, nous retrouverons certains d’entre eux dans le Front algérien pour le respect des libertés, et plus tard dans la lutte armée. C’est là un aspect original du mouvement national algérien, par rapport aux mouvements nationaux tunisien et marocain, ou de l’Orient arabe.

c. La guerre de la République du Rif, avec Abdelkrim , soutenue par le prolétariat français et le Parti communiste français, éclaire les Algériens, y compris les soldats qui, trompés, y participèrent du côté de la France, sur les possibilités de résistance à l’impérialisme.

d. À ces influences, s’ajoute celle des idées libérales venues d’Europe, de France en particulier , sur la démocratie, le principe des nationalités. Les idées de 1789 sont connues, grâce en particulier aux enseignants et aux démocrates français d’Algérie, aux étudiants algériens organisés dans l’A.E.M.A.N. (Association des étudiants musulmans de l’Afrique du Nord). Elles trouvent un terrain d’autant plus réceptif dans une fraction de notre peuple qu’elles ne lui sont pas appliquées dans la pratique. La langue française est utilisée dans la lutte patriotique et donne naissance à une littérature algérienne où passe le souffle national, avec Yacine Kateb, Mohamed Dib, Mouloud Mammeri, Mustapha Lacheraf, Malek Haddad. En ce sens, la langue française fait partie du patrimoine anticolonialiste algérien.

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II. FORMATION ET RÉALITÉ
DE LA NATION ALGÉRIENNE

DANS une étude approfondie, le camarade Joseph Staline a défini la nation comme « une communauté stable, historiquement constituée, de langue, de territoire, de vie économique, de formation psychique, se traduisant par une communauté de culture » [7] .

L’Algérie réunit aujourd’hui l’ensemble des indices de la nation. C’est une communauté stable, historiquement constituée, de langue (l’arabe), de territoire (l’Algérie dans les limites actuelles, y compris la partie algérienne du Sahara), de vie économique (indice dont la formation a été accélérée par les relations économiques capitalistes introduites par le système colonial), de formation psychique (dont la plus indiscutable est l’aspiration profonde à l’indépendance), se traduisant par une communauté de culture (arabo-islamique ouverte à l’apport de la culture occidentale, française en particulier).

Certains contestent, en partant de la définition marxiste de la nation, l’existence de la nation algérienne car, disent-ils, l’arabe n’est pas la langue des Kabyles. Le français serait-il la langue maternelle des Corses ? Il suffit de rappeler que l’arabe est la langue de religion des Kabyles, qu’ils la revendiquent, en même temps que tous les autres Algériens, comme langue nationale et qu’elle constitue la langue dominante de relation. Dans la vie pratique, les habitants de la Casbah d’Alger, dans leur immense majorité Kabyles, parlent cependant la langue arabe.

La naissance relativement tardive de la nation algérienne ne signifie nullement que l’idée de patrie était inconnue en Algérie en 1830, ou avant cette date. Reconnaître cette naissance relativement tardive ne signifie pas mésestimer les facteurs puissants qui ont contribué, tout au long de notre histoire, à l’édification de notre nation. L’Allemagne ne s’est constituée en nation que depuis 1871. Cela ne l’a pas diminuée par rapport à l’Angleterre et à la France, nations plus vieilles d’un ou deux siècles. Ceux qui tiraient argument de l’absence d’une nation algérienne, au sens scientifique du terme, pour s’opposer à notre indépendance, faisaient mine d’oublier que le régime imposé à notre peuple était à l’origine de ce retard. De plus, ils sont de mauvaise foi. Ils confondent volontairement les notions d’ETAT et de NATION [8] . La Suisse est indépendante depuis des siècles, bien qu’elle ne forme pas une nation.

Dans le chapitre précédent, nous avons vu comment les conditions historiques ont amené à maturité une réalité objective (économique en particulier) au lendemain de la première guerre mondiale. A quel moment s’est produit la conjonction de cette réalité objective avec la prise de conscience des masses, condition indispensable pour la formation définitive de cette nation ? C’est une question à laquelle on ne peut répondre avec une extrême précision, car la prise de conscience chez les peuples est progressive, tant dans les masses que dans les organisations politiques. On peut cependant distinguer différentes phases dans cette prise de conscience :

a) La période des « pionniers » du mouvement de libération nationale.

Au cours de cette période, la conscience nationale, forcément en retard sur la réalité qui l’engendre, ne se trouvait représentée (sous une forme non encore définitive) que chez des individus ou dans des organisations d’avant-garde.

C’est la période de formation des premiers mouvements anticolonialistes avec l’Emir Khaled, les organisations communistes d’Algérie, « L’Etoile nord-africaine » et, plus tard, la fédération des élus, le Parti communiste algérien, le Congrès musulman, la Parti du peuple algérien.

C’est la période de tâtonnements, des défauts d’enfance du mouvement national, en particulier sur le problème de la nation. Parmi ces défauts, citons :

  • Le courant assimilationniste : Il existait surtout au sein d’une couche d’intellectuels de formation française, ayant perdu confiance dans les possibilités de renouveau national du peuple algérien. On trouvait ces intellectuels au sein de la Fédération des élus, opposée à la grosse colonisation, avec Bendjelloul et Ferhat Abbas, qui niait en 1936 l’existence de la patrie algérienne, mais qui écrivait deux ans plus tard : « Rattachement à la France ne veut pas dire assimilation ». On retrouve ces positions assimilationnistes au sein du Congrès musulman dont la position fondamentalement erronée sur le plan national, défendue pourtant par des anticolonialistes véritables acquis à l’idée d’une personnalité algérienne (Oulamas, P.C.A), reflétait surtout la faiblesse du mouvement des masses à l’époque.
  • Le réformisme : Le courant assimilationniste favorisait le réformisme qui consistait en une lutte sans principe, limitée à des objectifs politiques ou économiques immédiats, restreints, sans perspectives nationales. L’origine du réformisme se situe dans l’influence des idées du mouvement de renaissance arabe – impulsé par les Oulamas – sur la petite bourgeoisie. L’instabilité de cette dernière et l’influnce de la social-démocratie ne sont pas étrangères aux oscillations entre les affirmations nationales et l’acceptation de solutions assimilationnistes. « La lutte sociale » (communiste) insistait déjà en 1934 sur la nécessité de combattre les « nationaux réformistes » et de constituer un véritable Parti communiste avec « des révolutionnaires arabes ».
  • L’étroitesse nationale : Le réformisme et les tendances assimilationnistes n’étaient pas les seules maladies du mouvement national algérien. La conception de la nation prônée par les Oulamas n’était pas exempte d’étroitesse religieuse. Celle du P.P.A., qui a joué un rôle dynamique dans l’éveil des masses, était empreinte d’étroitesse nationale et de chauvinisme. Elle était loin de correspondre à la conception juste, moderne et politique de la nation.

Quoiqu’il en soit de ces défauts et oscillations, un mouvement de masse était déjà amorcé. À la veille de la deuxième guerre mondiale, les principales organisations politiques : P.P.A., Oulamas, P.C.A., étaient chacune, avec sa conception propre, attachées à l’idée de la vocation nationale de notre peuple.

C’est dans le cadre de ce contexte historique et politique, avec un mouvement national encore faible et tiraillé par le courant assimilationniste, d’une part, et le chauvinisme, de l’autre, que le camarade Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste français, en tournée en Algérie, devait déclarer à Alger en 1939 :

« Il y a la nation algérienne qui se constitue historiquement et dont l’évolution peut être facilitée, aidée par l’effort de la République française. Ne trouverait-on pas ici, parmi vous peut-être, les descendants de ces anciennes peuplades numides civilisées déjà au point d’avoir fait de leurs terres le grenier de la Rome antique ; les descendants de ces Berbères qui ont donné à l’église catholique saint Augustin, l’évêque d’Hippone, en même temps que le schismatique Donat ; les descendants de ces Carthaginois, de ces Romains, de tous ceux qui, pendant plusieurs siècles, ont contribué à l’épanouissement d’une civilisation attestée encore aujourd’hui par tant de vestiges, comme ces ruines de Tebessa et de Madaure que nous visitions il y a quelques jours ? Sont ici maintenant les fils des Arabes venus derrière l’étendard du Prophète ; les fils aussi des Turcs convertis à l’Islam venus après eux en conquérants nouveaux, des Juifs installés nombreux sur ce sol depuis des siècles. Tous ceux-là se sont mêlés sur votre terre d’Algérie, auxquels se sont ajoutés des grecs, des Maltais, des Espagnols, des Italiens et des Français… ».

« Il y a une nation algérienne qui se constitue, elle aussi dans le mélange de vingt races. »

Cette définition venait, d’une part, confirmer l’orientation nationale des communistes algériens, orientation qui ira en se renforçant. Elle ouvrait, d’autre part, une voie originale à la solution du problème posé par la minorité européenne. Elle constituait ainsi une contribution positive à la cause algérienne.

b) La période de prise de conscience nationale définitive :

sous Vichy, le P.C.A. lançait le mot d’ordre de Front de la liberté pour l’indépendance de l’Algérie et de la lutte contre l’hitlérisme. Après le débarquement des troupes alliées, en novembre 1942, l’essor du mouvement national s’est concrétisé en particulier par l’immense mouvement des « Amis du Manifeste et de la liberté » (A.M.L.). les épreuves communes de mai-juin 1945 ont renforcé la cohésion nationale des Algériens. La session historique de juillet 1946 du Comité central du Parti communiste algérien constitue un autre exemple d’une prise de conscience nationale plus grande.
Cette période, où l’on peut situer LA NAISSANCE de la nation algérienne, correspond d’ailleurs à la conjonction :

1. D’une réalité objective parvenue à maturité (il s’agit des indices examinés plus haut, en particulier de l’indice économique) ;

2. Et d’une réalité subjective :

  • La prise de conscience définitive par les masses de cette réalité objective et leur refus de vivre désormais autrement qu’en nation. Le mouvement des « A.M.L. » coïncide avec la faillite totale et le rejet de la politique d’assimilation et la proclamation de la Charte de l’Atlantique, après la victoire des forces de liberté sur l’hitlérisme, victoire à laquelle l’Algérie paya un lourd tribut.
  • La prise de conscience définitive pas les masses de l’impossibilité de faire foi désormais aux promesses de la France, qui exprima sa reconnaissance aux soldats algériens d’Italie, du Rhin et du Danibe par les massacres de mai-juin 1945, dans le Constantinois, ordonnés par de Gaulle.
  • La prise de conscience de la vulnérabilité de l’impérialisme français, battu en juin 1940, prise de conscience qui ira se renforçant avec la libération du Liban, de la Syrie, la proclamation de la République du Viet-Nam en 1945 et le début de la guerre de libération nationale qu’elle mènera, les luttes décisives pour l’indépendance de l’Inde et de l’Indonésie.

c) La période de maturité du mouvement national.


Au cours de cette période, riche en événements intérieurs et extérieurs, le mouvement de libération nationale se débarrassera petit à petit de l’étroitesse nationale et du chauvinisme et des séquelles du réformisme. La liaison entre les revendications immédiates et les objectifs de libération élève l’esprit de lutte des ouvriers et des paysans. Son orientation anti-impérialiste se précisera et s’améliorera en liaison avec la formation du camp socialiste, l’essor des mouvements de libération d’Asie et d’Afrique, du mouvement international et des forces pacifiques et démocratiques mondiales. La propagande et l’action idéologique et pratique du P.C.A. ont contribué puissamment aux changements positifs dans le mouvement de libération nationale. C’est grâce en particulier à l’influence des positions du P.C.A. que l’étroitesse nationale et le sectarisme ont subi des échecs sérieux au sein du parti nationaliste le plus important, avec le congrès du M.T.L.D. de 1953.

Quand au réformisme, il a reçu un coup mortel avec la formation du C.R.U.A. (embryon du futur F.L.N.) et l’insurrection de novembre 1954.

Cette période a été marquée sur le plan intérieur par :

  • Des progrès dans l’union des forces nationales . Dès juillet 1946, le P.C.A. lance le mot d’ordre du Front national démocratique, pour une République algérienne démocratique, pour la terre et le pain. En 1951, devait se former le Front algérien pour la défense et le respect des libertés, rassemblant toutes les organisations nationales et des démocrates européens.
  • Les luttes politiques et syndicales : campagne pourl’amnistie, solidarité avec le peuple vietnamien, appui aux peuples tunisien et marocain, avec les grandes grèves de 1951, impulsées par le P.C.A., l’action contre l’article 80 (article d’une loi d’exception visant les patriotes algériens qui revendiquaient l’indépendance de l’Algérien), les grandes luttes ouvrières de 1947, 1950, 1951. (la bataille électorale de février 1948 a confirmé aux yeux des Algériens que d’autres moyens de lutte que le bulletin de vote et les moyens « légaux » étaient nécessaires pour libérer le pays.)
  • La participation de l’Algérie aux conférences internationales , des femmes, des jeunes, des syndicats, des forces de paix.
  • Sur le plan extérieur , la situation, dominée par la libération complète de l’immense Chine, libération ressentie en Algérie comme une grande défaite de l’impérialisme, est marquée par Dien Bien Phu, la lutte armée des peuples tunisien et marocain et leur victoire, le soulèvement du Kenya, enfin la Conférence de Bandoeng. Ces événements extérieurs ont renforcé la volonté de libération de notre peuple et contribué à élever son niveau de lutte, à aiguiser ls contradiction entre la nation algérienne et les forces impérialistes françaises.

La conjonction de ces différentes prises de conscience, de tous ces facteurs extérieurs et intérieurs et de cette expérience aboutit à l’inserruction de novembre 1954, qui officialise en quelque sorte l’existence de la nation algérienne aux yeux du monde entier.

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III. QUELQUES PROBLÈMES
DE LA NATION ALGÉRIENNE

a. LA MINORITÉ EUROPÉENNE

LA nation est formée d’Algériens autochtones. Elle ne comprend pas les européens d’Algérie. Seuls, les indices économiques et de territoire existent pour les deux éléments ethniques. Par contre, il faut noter l’absence entre ces derniers d’une « communauté stable, historiquement constituée, de langue et de formation psychique ». Pour ce dernier indice, il faut même ajouter que SUR LE PLAN DÉCISIF DE L’HEURE, L’INDÉPENDANCE , l’immense majorité des Européens se dresse contre l’aspiration des Musulmans. Le mouvement fasciste du 13 mai en apporte une preuve supplémentaire.

Mais un autre phénomène peut s’amorcer à un rythme lent, à savoir l’intégration d’Européens à la nation algérienne. La participation d’Européens à la lutte nationale, aussi peu nombreux soient-ils, la reconnaissance par le Front de libération nationale et le Parti communiste algérien du droit des Européens d’Algérie à la citoyenneté algérienne (non pour des raisons tactiques, mais parce que le million d’Européens d’Algérie est une situation originale qu’aucun patriote ne peut ignorer), sont l’aboutissement de changements positifs dans le mouvement national algérien depuis la fin de la première guerre mondiale et ouvrent la voie à la fusion d’Européens dans la nation.

Autant le colonialisme, par sa politique de division et le complexe de supériorité qu’il a inculqué au peuplement européen, est l’obstacle principal à cette fusion, autant la libération de la nation, avec ses conséquences (épanouissement de nouvelles forces, renaissance linguistique et culturelle dans le cadre de la civilisation moderne, efforts de scolarisation et de construction économique) peut créer, avec le temps, des conditions favorables à cette fusion.

Une analyse du peuplement européen d’Algérie révèle des facteurs dont l’évolution peut favoriser ou défavoriser cette intégration. La population européenne se prononce aujourd’hui dans sa très grande majorité pour la « souveraineté française », par réflexe de défense contre « le danger arabe », qu’on agite devant elle dès l’âge du berceau. Elle a des positions colonialistes par rapport aux « indigènes » et réactionnaires par rapport à la démocratie française. Une partie de cette population, peu nombreuse, est attachée à la France. Il s’agit, soit de Français nouveaux venus, fonctionnaires en particulier, qui, l’âge de la retraite atteint, pensent finir leurs jours en France, ou de Français établis ici depuis très longtemps, mais qui n’en considèrent pas moins la France comme leur seule patrie. Cependant, la grande majorité de la population européenne se sent plus chez elle en Algérie qu’en France qu’elle connaît peu ou pas du tout. D’ailleurs, elle est en partie néo-française. Elle est différente de la population de France à plusieurs points de vue : caractéristiques principales, mode de vie, façon de penser. C’est une minorité qui n’est pas à proprement parler française. Elle a ses intérêts, elle a aussi ses morts sur cette terre, à laquelle elle se sent attachée plus qu’à aucune autre terre. Une certaine idée – encore confuse – de la patrie algérienne a un terrain réceptif dans cette population. C’est sur ce « particularisme » algérien que les ultras ont spéculé le 13 mai dernier pour brandir le drapeau du séparatisme contre la France. C’est sur lui qu’ils fondent leur rêve d’une nouvelle Afrique du Sud, où les « petits-blancs », séparés d’une métropole peu compréhensive, régneraient en maîtres.

La vitalité et la résistance du peuple algérien ont réduit en poussière ces rêves hitlériens. De plus, le mouvement de libération nationale a réussi à détacher de l’influence des ultras de nombreux Européens dont on doit mesurer le mérite et le courage à la force du courant chauvin qui entraîne l’immense majorité de la population européenne.

Une partie de cette population est faite de petites gens [9] dont le réalisme pratique sur le plan économique est l’un des traits dominants. Cependant, elle n’a pas , comme les Sérigny, de coffres-forts abondamment garnis, ni de lieux de retraite, préparés depuis longtemps, pour un repli éventuel. Elle ne saurait quitter l’Algérie sans être dépaysée, déracinée. Elle ne veut pas abandonner une vie dont elle est satisfaite dans l’ensemble (parce qu’elle la compare à celle de la population musulmane). C’est la peur du lendemain, transformée en désespoir dans les périodes de luttes aigües, comme au mois de mai 1958, qui fait d’elle un terrain de choix pour le fascisme [10]. Cependant, ses intérêts, notamment ceux de la classe ouvrière [11], sont fondamentalement opposés à ceux de la grosse colonisation, bien que son niveau de vie soit bien supérieur à celui de la masse des Musulmans.

D’autres facteurs, négatifs, peuvent retarder pendant longtemps, sinon rendre impossible, une forte intégration des Européens à la nation algérienne : repli des deux populations chacune sur elle-même, souvenir de certains cauchemars, tels que la « chasse à l’Arabe », fin de certains privilèges en dehors de la suppression des plus monstrueux d’entre eux.

Cependant, cette population, livrée aujourd’hui aux ultras, se rendra compte que le peuple algérien, dont les épreuves ont considérablement accru la maturité politique, sait dominer sa colère. Elle se rendra compte que notre peuple ne menace pas les biens des européens, lorsqu’ils sont les fruits du travail et du mérite, et que l’Algérie indépendante aura besoin des bras et des cerveaux de TOUS SES FILS SANS DISTINCTION D’ORIGINE. Beaucoup plus nombreux que ceux qui auront participé à la lutte libératrice seront, nous en sommes sûrs, les travailleurs européens qui participeront à la réalisation des tâches pacifiques. L’histoire des nations montre que les antagonismes entre populations d’origine ethnique différente ‘(invasions, luttes de religion) ne constituent pas un obstacle insurmontable dans le temps à une fusion future.

On peut donc prévoir, malgré le fossé actuel séparant les deux populations, et parce que des Européens, communistes, progressistes, libéraux chrétiens, juifs, sont aujourd’hui aux côtés de la nation au combat :

1. L’intégration DANS L’ETAT algérien, en tant que citoyens, de travailleurs et démocrates européens, conscients de leurs véritables intérêts et débarrassés de la peur de l’avenir.

Ceux des Européens qui voudront garder la citoyenneté française seront libres de le faire. Des accords entre l’Algérie et la France pourront garantir leurs intérêts légitimes, non colonialistes, en réciprocité d’ailleurs avec la garantie des intérêts des Algériens en France.

2. L’inclusion de fait DANS LA NATION des éléments européens LES PLUS AVANCÉS qui, jusque devant les tribunaux, revendiquent hautement la qualité d’Algérien. La barrière linguistique n’est pas infranchissable pour une masse bien faible numériquement.

3. Ce phénomène historique, dans un contexte politique et moral différent du contexte colonial et avec le collège unique, contribuera à faire tomber les barrières de méfiance [12] qui ne demandent qu’à tomber chez un peuple qui porte haut le sens de l’hospitalité et de l’ « anaya » [13]. En effet, musulmans et Européens se connaîtront mieux. Ces derniers découvriront les valeurs civilisatrices du passé algérien. Ils fourniront dans l’édification de l’Algérie moderne les preuves de leur sincérité et de leur attachement à notre terre commune. Le sentiment national chez les Musulmans se débarrassera petit à petit des restes d’étroitesse que l’oppression, le caractère atroce de la répression et le comportement de la population européenne dans sa majorité engendrent naturellement. La qualité du sentiment national algérien, large, tolérant, et dont l’humanisme s’enrichit des hautes valeurs universellement admises par les peuples et inscrites dans la Charte des Nations Unies, sera ainsi plus ouvert, plus accessible aux Européens et donnera progressivement à l’attachement de ces derniers à l’Algérie un contenu patriotique réel. Le reste sera l’œuvre de nos enfants, petits-enfants et des générations futures élevées dans le respect des convictions religieuses ou philosophiques d’autrui, débarrassées des préjugés racistes, avec lesquels le régime colonial a empoisonné le cœur et le cerveau des Européens. Mais il faut que les travailleurs et démocrates européens comprennent que leur avenir est celui de leurs enfants dépendent d’abord de leur comportement aujourd’hui. Il faut qu’ils comprennent que l’ère du racisme et du paternalisme dégradant est close. Il faut qu’ils comprennent que, jamais plus, l’Algérien n’acceptera d’être traité en étranger sur son sol et que notre nation entend, dans l’égalité de tous, ne rien abdiquer de sa souveraineté.

Il dépend aussi des Européens d’Algérie, aujourd’hui et demain, que cet avenir soit rapproché. C’est un rêve, diront certains. C’est un rêve, certes très difficile à faire passer dans la vie, mais rendu quand même possible par la participation d’Européens aux luttes du mouvement de libération nationale depuis plus de trente ans et pour la réalisation duquel des hommes comme Maillot et Yveton, héros de notre peuple, ont apporté une contribution historique. C’est aussi l’intérêt de la nation algérienne de résoudre avec patience un problème humain des plus délicats. C’est pour cela que notre Parti, conscient de son rôle national, met les travailleurs européens devant leurs responsabilités, face au déchaînement du racisme, et leur demande de se désolidariser des ultras et de soutenir la nation algérienne. Ce faisant, il aide à forger cet avenir, en même temps qu’à briser un obstacle sur le chemin de notre libération. Quant à ceux des Européens (ultras et racistes inguérissables) qui trouveront moins beaux les cieux et les paysages de l’Algérie parce que celle-ci sera libre, et qui ne pourront supporter de voir les Algériens devenir maîtres chez eux, il ne leur restera qu’à partir.

L’histoire ne tiendra pas les Algériens pour responsables de ces départs dramatiques. D’une part parce qu’ils auront fait tout ce qui, dans les limites de leur souveraineté et de leur dignité, est humainement possible de faire pour les éviter. D’autre part parce que le responsable de ces maux est le régime colonial dont cette fraction d’Européens sera devenue la victime, après en avoir été longtemps la privilégiée.

*

L’habitude a été prise d’inclure dans le terme « Européens » les Juifs algériens.


Ce n’est pas la moindre des conséquences néfastes du décret Crémieux. Si son application a soulevé les protestations des colons racistes (opposés à toute mesure, même timide, décidée par Pris en faveur de l’ « indigène », musulman ou juif), elle a surtout contribué à couper les Juifs de l’Algérie, leur patrie depuis des siècles pour certains, depuis les origines de notre histoire pour d’autres. Les juifs qui ont fui le sectarisme et les persécutions de l’Espagne catholique, retrouvèrent sur notre sol le climat de compréhension et de tolérance dans lequel ils vivaient en Andalousie musulmane [14] et qui permit aux savants (dont le grand médecin Maïmonide), artistes, banquiers, artisans, etc. de participer activement à la prospérité de cette contrée.

En Algérie, ils contribuèrent entre autres à la conservation et à la transmission de l’un des trésors de notre patrimoine culturel, la musique, y compris dans leurs chants religieux : témoins des chants de Pâques sur le mode « araq » (Andalou). Abdelkader fit d’un Juif algérien son responsable aux Affaires étrangères. Un ministre juif a fait partie du gouvernement marocain à la libération du pays. En Tunisie et au Maroc, aucun signe d’animosité n’existe entre Musulmans et Juifs. En Algérie, sous Vichy, les Musulmans qui connaissaient depuis plus d’un siècle une répression autrement plus cruelle que celle subie par leurs compatriotes juifs pendant deux ans et demi, ont témoigné à ces derniers leur compréhension, leur amitié, et souvent aussi leur solidarité.

Aujourd’hui, certains Juifs algériens ont montré à leurs coreligionnaires l’exemple à suivre pour reprendre le chemin de leur véritable patrie. Ils participent aux luttes libératrices. D’autres apportent à cette lutte une aide matérielle. Ils savent que les ultra-colonialistes sont aussi les pires antisémites [15].

Aucun patriote algérien ne songe à nier aux Juifs leur place dans la République algérienne de demain, dans l’égalité des droits et des devoirs. A la condition qu’ils acceptent la citoyenneté algérienne. Mais, comme pour les Européens, c’est de son comportement à l’égard de la nation algérienne, dans l’épreuve de la libération et plus tard, de la construction pacifique, que dépendra essentiellement l’avenir de la communauté juive sur notre sol.

*

Le Parti communiste algérien s’est souvent référé à la définition de la nation algérienne par Maurice Thorez en 1939 pour apprécier la situation en Algérie.

Mais comment a-t-il interprété cette définition ?

1. Au lieu d’en dégager les deux aspects fondamentalement justes : formation de la nation (aspect principal) et voie ouverte à l’intégration d’Européens (aspect secondaire), il l’a interprétée d’une façon dogmatique, de telle sorte qu’il apparaissait que la nation ne pouvait se former avant la fusion de tous les éléments ethniques, y compris des Européens. Or, le processus de prise de conscience de la nation algérienne, déjà développé chez les Musulmans, ne pouvait pas avoir le même contenu pour l’immense majorité des Européens, et ce malgré les efforts courageux du Parti communiste algérien qui a réussi des patriotes algériens d’origine européenne ou israélite. La fusion ou le mélange des deux principaux éléments ethniques actuels est impossible dans le cadre colonial. Raisonner autrement, c’est faire preuve d’idéalisme, c’est penser que la mentalité des Européens pourra se modifier sans que soit brisé le régime économique de type colonial qui engendre (sans que cela soit schématique) cette mentalité. La libération nationale sera l’œuvre des masses musulmanes qui subissent l’oppression coloniale et constituent de ce fait les FORCES RÉVOLUTIONNAIRES .

Ainsi, l’expression « nation en formation » qui implique l’idée de mouvement, de progrès, était interprétée de telle façon qu’elle risquait de freiner le mouvement lui-même.

2. Interprétant à la lettre la formule « mélange de vingt races », le Parti communiste algérien affirmait que « l’Algérie n’est ni française, ni arabe ». Certes, « l’Algérie n’est pas la France, ne peut être la France, ne veut pas être la France » (Cheikh Ben Badis). Mais, par ses caractéristiques profondes, elle est de civilisation arabe, incontestablement. Et cela ira en s’accentuant. Dans l’Algérie libre de demain, avec l’enseignement de la langue arabe, la renaissance culturelle qui s’en suivra, la mise à jour des valeurs passées fécondées au contact de la civilisation moderne, avec l’épanouissement qui en résultera dans les lettres et les arts, avec l’écart démographique considérable entre les deux éléments ethniques, écart qui ira en s’accentuant, les caractéristiques arabes du pays ne feront que se développer. L’intégration d’Européens et d’Israélites à la nation algérienne, tout en l’enrichissant d’apports nouveaux, ne changera pas fondamentalement ses caractéristiques principales et originales.

À quoi sont dues ces deux interprétations dogmatiques ?

1. A une certaine sous-estimation persistante de la puissance des facteurs nationaux algériens , malgré l’autocritique du Comité central de juillet 1946 qui permit au Parti communiste algérien de définir une politique nationale juste. Cette sous-estimation de la puissance du mouvement de libération nationale a des causes dont l’origine remonte à la façon même dont les idées communistes ont pénétré en Algérie. Les premières organisations communistes, rattachées au Parti communiste français, étaient formées d’abord de travailleurs européens, lutteurs courageux à la conscience de classe élevée, mais qui ne subissant pas l’oppression coloniale, ne pouvaient appliquer correctement la doctrine marxiste-léniniste à la réalité nationale de l’Algérie. Leur mérite n’en est pas diminué pour autant, puisqu’ils ont permis aux idées libératrices du marxisme de pénétrer dans le mouvement de libération nationale, d’en élever la maturité politique et le niveau de lutte. D’autant plus que les meilleurs d’entre eux, sous l’impulsion du Parti communiste français et, plus tard, du Parti communiste algérien, ont mené la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, contre l’idéologie colonialiste et raciste.

2. A une certaine surestimation des sentiments anticolonialistes parmi les travailleurs européens , alors que le régime colonial a rendu ces derniers plus perméables à l’idéologie raciste et colonialiste, grâce à une entreprise de corruption sociale qui en fit des privilégiés par rapport à la grande masse des Musulmans. Le vote des électeurs européens (près de 20%) pour le Parti communiste algérien signifiait beaucoup plus (pour le plus grand nombre d’entre eux) un attachement à des positions de classe qu’à son programme de libération nationale. Cette constatation ne diminue pâs le mérite de ces électeurs. Elle montre qu’à partir de leurs intérêts de classe, il est possible de les détacher de la grosse colonisation et de les faire avancer petit à petit sur le terrain national. Elle justifie la ligne du Parti communiste algérien qui n’a pas abandonné le travail parmi les Européens, contrairement aux partis nationalistes. Mais ce travail politique comportait et comporte, dans la mesure où était sous-estimée la force du sentiment national, des risques : recul sur les positions nationales sous la pression de l’idéologie colonialiste véhiculée par les Européens, retard à percevoir les profonds changements dans les masses musulmanes et à adapter la définition de Maurice Thorez à l’évolution des événements.

À son tour, l’interprétation et l’application schématique de l’idée originale et juste donnée par Maurice Thorez pour ouvrir la voie à l’intégration des Européens d’Algérie a amené à accorder une importance exagérée à la place des Européens dans la nation et l’a empêché de mener avec plus de fermeté la lutte contre la pression de l’idéologie colonialiste.

Cette lutte, dans le cadre colonial et avec un peuplement européen important, est permanente. Le Parti communiste algérien la poursuivra avec la dernière vigueur et d’une façon conséquente, comme il le déclare dans sa Résolution sur la Déclaration des douze partis communistes et ouvriers au pouvoir :

« La Déclaration confirme la justesse de la lutte intransigeante que notre Parti a menée et continuera de mener pour une application correcte et vivante des principes universels du marxisme à la réalité nationale algérienne. La déclaration des douze condamne en effet le dogmatisme et le sectarisme qui sous-estiment les particularités nationales, remplacent l’étude de la situation concrète par les citations et l’imitation aveugle de l’expérience des autres pays. Une telle attitude vis-à-vis du marxisme ne peut conduire dans notre pays qu’à sous-estimer la puissance exceptionnelle et les grandes possibilités du mouvement national, à sous-estimer le rôle positif de la bourgeoisie nationale dans la lutte de libération et à nous détacher de l’élan des masses révolutionnaires. Le dogmatisme est un danger d’autant plus grand qu’il s’allie le plus souvent à des tendances révisionnistes qui se manifestent dans les couches les plus favorisées des travailleurs d’origine européenne, les faisant glisser sur les positions réformistes et assimilationnistes, traditionnellement défendues en Algérie par les dirigeants pseudo-socialistes de la S.F.I.O. et qui traduisent en réalité la pression considérable exercée sur ces milieux par l’idéologie colonialiste. Ce révisionnisme tend à remettre en cause les principes bien connus du marxisme-léninisme dans la question nationale et coloniale, en particulier sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il conduirait à affaiblir le sentiment national de la classe ouvrière algérienne, à lui faire quitter ses positions patriotiques et à l’empêcher ainsi de jouer pleinement et sans réticences son rôle national. » (Alger, le 1er février 1958).

En menant cette lutte idéologique, parallèlement à l’éducation de la classe ouvrière dans l’esprit de l’internationalisme prolétarien, le Parti communiste algérien ne fait que remplir son devoir de parti véritablement national, de parti révolutionnaire, honnête et sérieux, au service du peuple et qui ne doit pas craindre la critique publique de ses erreurs. Parti marxiste-léniniste, parti d’un type nouveau, il n’examine pas ses actes avec complaisance mais avec la volonté d’améliorer sans cesse son travail, son niveau politique, conscient du rôle qu’il joue dans l’intérêt de la libération du pays er dans l’intérêt des masses laborieuses.

Ce faisant, notre Parti reste digne du rôle politique très important qu’il a joué et joue au service de la patrie, pour l’organisation des masses, pour la formation de militants patriotes courageux et dévoués au peuple. Très nombreux sont nos camarades morts aux côtés de leurs frères nationalistes dans les rangs de l’A.L.N. Parmi eux des responsables du Parti : Taleb Bouali, Hamma Lakhdar, Rebbah Nourredine, Abdelkader Choukhal, Raymonde Peschard, Mustapha Inal, Degriche, Daoud Abdelkader et tant d’autres !

Ce faisant notre Parti reste digne du rôle qu’il a joué pour aguerrir les travailleurs et les paysans dans les luttes quotidiennes liées à la lutte pour l’indépendance, pour l’élévation politique du mouvement de libération nationale débarrassé de toute étroitesse, de l’esprit réformiste et des illusions sur « l’anticolonialisme américain », pour une conception juste, moderne et solide de la nation.

b) LES RAPPORTS AVEC LA FRANCE

À l’époque de Bandoeng, avec les offres désintéressées du camp socialiste aux pays sous-développés récemment libérés, le chantage impérialiste sur ces pays n’a de prise que sur les gouvernements qui s’accordent au char occidental. Les arguments de l’impérialisme français sur « l’incapacité de l’Algérie à se relever seule » ne nous impressionnent pas. Nous n’avons jamais dit que la nation algérienne se relèverait seule, après une exploitation et une oppression qui durent depuis près de cent trente ans. Elle acceptera toute aide compatible avec sa souveraineté et sa dignité. Il dépend de la France, pays bien placé pour fournir cette aide économique et technique, qu’elle ne soit pas la dernière, mais la première des puissances prêtes à nous aider sans conditions.

Malgré les terribles épreuves subies, depuis notamment novembre 1954, par le peuple algérien, ses militants, ses combattants traduits devant les tribunaux français déclarent, tout en niant à ces derniers le droit de les juger, qu’ils ne sont pas antifrançais mais anticolonialistes. Notre peuple se doit, en effet, de faire, dans son propre intérêt, la distinction entre les Français qui soutiennent sa cause, le prolétariat et son parti, et ceux qui lui font la guerre pour l’empêcher d’être souverain.

Des problèmes communs aux deus peuples, problèmes économiques, de peuplement (Algériens résidant en France, Européens d’Algérie), de culture, de langue sont posés par l’histoire aux deux peuples. Que cette histoire ait été sanglante, qu’elle ait été un immense cauchemar, ne change rien au fait que ces problèmes sont posés. De plus il y a une alliance naturelle entre le prolétariat avancé de France et le mouvement de libération nationale contre un même ennemi : la bourgeoisie impérialiste française. Cette thèse, défendue par le Parti communiste algérien depuis toujours, s’est vérifiée avec éclat à la lumière des évènements du 13 mai à Alger et avec la prise du pouvoir en France par le Général de Gaulle. Ce sont là autant de facteurs objectifs susceptibles d’ouvrir la voie à des rapports libres et égaux entre la République française et la République algérienne, dans l’intérêt supérieur des deux peuples.

À ces problèmes communs seront trouvées des solutions pacifiques et heureuses si la France admet sans réticences l’indépendance et la souveraineté de la nation algérienne. Ce n’est pas de l’intransigeance de notre part que de poser le problème dans ces termes. La nation algérienne existe. Comme toute nation, elle ne peut transiger sur ce point, sous peine de renoncer à sa qualité même de nation, à être elle-même. Jamais le peuple algérien n’acceptera l’intégration annoncée par le Général de Gaulle. Les rapports entre les deux Républiques ne seront fructueux pour tous que si, au départ, la confusion est dissipée sur le caractère fondamental de l’Algérie.

c) LE PROBLÈME DE L’UNITÉ MAGHRÉBINE

LA nation Algérienne est pour l’unité maghrébine. L’existence de trois nations, algérienne, marocaine, tunisienne, n’est pas un obstacle à cette unité. Certains des facteurs qui ont contribué à la naissance de chacune d’entre elles sont semblables et agissent dans le sens du renforcement de leur unité et non de leur séparation. L’unité maghrébine est en effet une réalité inscrite dans la géographie et l’histoire, dans une culture et une langue communes.

Elle est inscrite dans les épreuves subies par les trois peuples. La conquête de l’Algérie a été suivie de celles de la Tunisie et du Maroc. Elle est inscrite dans la solidarité agissante entre les trois peuples. Elle s’inscrit dans cette vérité qu’éclaire tragiquement l’incendie allumé à Sakiet-Sidi-Youssef : l’indépendance de la Tunisie et du Maroc, le redressement de leur situation économique, sont illusoires tant que l’Algérie ne jouira pas d’une complète souveraineté. Son corps pris au piège l’oiseau ne peut voler, même si ses ailes sont libres.

L’unité nord-africaine est vitale pour les trois nations. Des nuages menacent déjà son avenir, alors que l’Algérie est encore enchaînée et que les deux peuples frères se débattent dans des difficultés énormes, dues en premier lieu à l’héritage colonial. Ces nuages, ce sont : l’occupation étrangère (française, espagnole, américaine), l’Eurafrique et les convoitises que suscitent les richesses sahariennes, la doctrine Eisenhower, les pactes militaires qui prépareraient, avec la guerre thermonucléaire, l’extermination des trois peuples.

L’unité maghrébine passe d’abord par la libération de la nation algérienne et l’évacuation des troupes étrangères d’Afrique du Nord. Elle aura des résultats bénéfiques pour les trois pays et nos peuples si la politique d’attachement exclusif à l’Occident impérialiste, prônée par le président Bourguiba, est rejetée au profit d’une politique de neutralisme positif, une politique de relations amicales et fructueuses avec tous les pays, sur la base du respect de la souveraineté et du profit réciproques, sur la base en un mot des principes de Bandoeng précisés au Caire, et acceptés à cette Conférence par le F.L.N. au nom de l’Algérie. Pour être bénéfique pour nos trois peuples, cette politique ne saurait rejeter les relations commerciales avec les seuls pays qui ne demandent aucune condition pour le soutien aux pays sous-développés, contrairement aux Etats-Unis et aux pays de l’Occident : l’U.R.S.S. et les pays socialistes. C’est cette politique qui garantira l’indépendance et la prospérité des trois nations. Grâce à elle, l’unité nord-africaine se fera au profit des masses. Il est nécessaire que les trois pays aient un comportement commun face aux manœuvres et intrigues de l’impérialisme français. À ce sujet le Parti communiste algérien estime que tout accord entre le gouvernement tunisien et le gouvernement de de Gaulle, en vue de faire passer le pétrole d’Edjelé (Sahara algérien) en territoire tunisien serait contraire aux intérêts des trois pays. En faisant miroiter aux yeux du gouvernement tunisien les avantages immédiats d’un tel accord, les colonialistes français visent un triple objectif :

  • Faire admettre par un acte international le caractère « français » du Sahara algérien ;
  • Porter ainsi atteinte au combat national de l’Algérie et à son unité ;
  • Porter un coup aux décisions de Tanger et partant à l’unité nord-africaine en marche.

L’unité nord-africaine doit se faire dans la clarté. C’est pour cela que le Parti communiste algérien approuve le mémorandum du F.L.N. au gouvernement tunisien et réaffirme pour sa part, comme il l’a déjà fait en septembre 1957 dans son mémoire à l’O.N.U., que le peuple algérien considérera comme nuls et non avenus les accords que passerait le gouvernement français avec n’importe quel pays ou n’importe quelle société financière à propos des richesses du Sahara algérien. Les richesses sahariennes peuvent être, soit une source de bonheur, soit une source de malheur et de division pour nos trois peuples qui doivent être mis en garde dès à présent contre les plans diaboliques de l’impérialisme. L’exemple du pétrole du Moyen-Orient entre les mains des trusts étrangers illustre cette vérité.

Enfin l’unité maghrébine n’est pas viable si elle est forgée contre la République arabe unie, c’est-à-dire si elle tend à contrecarrer l’unité du monde arabe.

Voilà les conditions politiques qui nous semblent propres à activer l’unité des nations du Maghreb avec un contenu résolument anti-impérialiste à l’extérieur et véritablement démocratique à l’intérieur, une unité au service des masses laborieuses, de la paix dans cette région du monde, une unité viable et heureuse. Quant aux modalités de sa réalisation, la Conférence de Tanger en a déjà jeté les premiers jalons.

d) LE MONDE ARABE

Tous les peuples de civilisation arabe aspirent profondément à l’unité du monde arabe, fort de quatre vingt millions d’habitants et de richesses matérielles et morales incalculables. A la base de cette aspiration, il y a la nostalgie d’un passé glorieux entre tous ; il y a surtout la prise de conscience que la division du monde du monde arabe est une des causes principales des maux qui se sont abattus sur lui et que son unité sera le début d’une reconnaissance économique, sociale, culturelle, que l’impérialisme européen s’est évertué longtemps à contrecarrer ou à étouffer.

La nation algérienne et les nations sœurs, tunisienne et marocaine, partagent l’aspiration du monde arabe à l’unité. L’Afrique du Nord fait partie du monde arabe. Cette expression recouvre beaucoup plus une communauté de civilisation et d’aspirations qu’une communauté nationale ou raciale (le fond de peuplement de chacun des pays de cet ensemble est arabisé, mais possèdes des caractéristiques propres, originales). Cette expression ne recouvre pas non plus une communauté de religion (au Liban, la moitié de la population arabe est de confession chrétienne ; en Égypte, il y a un million de Coptes). À ce propos, il y a lieu de remarquer que la constitution de la République arabe unie met l’accent sur le caractère non racial ou confessionnel du nouvel État.

Cette aspiration n’a donc pas un caractère chauvin, étroit ou fanatique, comme ses adversaires le proclament. Certes l’Angleterre a essayé de manœuvrer au sein de ce mouvement, en particulier par l’intermédiaire de certains membres de la Ligue arabe. Mais, comme l’apprenti sorcier, elle a subi les effets (évacuation de l’Egypte, Suez) d’un mouvement essentiellement de libération. Certes les impérialistes américains ont intrigué et intriguent pour faire dévier ce mouvement de son cours naturel et le lier à leur sort. C’est ainsi que la Fédération irako-jordanienne s’est faite sous le drapeau de l’ « arabisme ». Mais les derniers événements (proclamation de la République irakienne, insurrection libanaise) prouvent précisément que les peuples arabes, fortement appuyés par le camp socialiste, peuvent déjouer les plans de l’impérialisme américain, que le débarquement des soldats U.S. au Liban a définitivement démasqué aux yeux des masses arabes.

Le contenu anti-impérialiste du mouvement pour l’unité du monde arabe est attesté aussi par le fait qu’il est l’une des forces les plus importantes de Bandoeng et de la Conférence afro-asiatique du Caire.

La constitution de la République arabe unie est un jalon sur la voie de cet ensemble qui élargira « la zone de paix » du Moyen-Orient avec la libération totale du monde arabe.

Certes, les bourgeoisies nationales voudraient, au travers de cette aspiration, masquer, en même temps que les luttes de classe, réalité objective, des problèmes sociaux brûlants. Mais l’aspiration des masses à la libération du joug étranger est liée profondément à la volonté de changements dans la condition des ouvriers et des fellahs.

L’Afrique du Nord et plus particulièrement l’Algérie contribueront à donner à l’unité du monde arabe un contenu social et démocratique plus avancé. Cette unité doit se faire par les masses et pour les masses. C’est donc en libérant les forces les plus étouffées par le joug colonial ou féodal, c’est en permettant, dans les pays libérés du colonialisme et de la féodalité, comme la République arabe unie par exemple, à tous les courants progressistes et démocratiques de s’exprimer qu’on ira plus rapidement vers cette unité. Nous estimons que l’illégalité à laquelle sont contraints les Partis communistes égyptien et syrien et la constitution en République arabe unie d’un parti unique, à l’exclusion de tout autre, dans un pays où existent différentes classes sociales, ne peut être pour ce pays une condition de renforcement de son unité, de sa stabilité intérieure et de son autorité sur le plan international. Le parti unique n’est concevable que dans une société sans classes, c’est-à-dire un régime socialiste, ce qui n’est pas le cas.

Nous sommes certains que, sous la poussée des masses profondes du monde arabe, des classes ouvrières nord-africaines en particulier, les libertés élémentaires d’opinion, d’association, de presse, de grèves, etc. seront appliquées dans le monde arabe et que seules seront mises hors d’&état de nuire les forces féodales ou réactionnaires, liées à l’impérialisme étranger.

Le soutien apporté à cette aspiration par les communistes et leur contribution à sa réalisation renforceront le contenu démocratique de ce mouvement. Il est difficile (et prématuré) de définir les liens qui uniront entre elles les nations du monde arabe. Ces liens seront fonction des réalités politiques, économiques, sociales, de chaque nation et de l’ensemble.

Cette unité est en marche. Elle se fera contre les forces qui la contrecarrent ou qui voudraient la faire dévier de son cours libérateur : l’impérialisme et la féodalité.

*


Nous ne prétendons pas avoir, dans cet essai, embrassé tous les aspects d’un sujet vaste et passionnant entre tous : notre nation, son histoire, sa formation, ses espoirs.

Nous demandons à nos camarades, nos sympathisants, aux autres patriotes, aux progressistes, à tous nos lecteurs de cette revue, de le considérer avant tout comme un ensemble d’idées et de réflexions ouvertes à la discussion, à partir de cette constatation fondamentale : la nation algérienne au sens moderne du terme est une réalité.

Cet essai est destiné, dans l’esprit des communistes algériens, à souder davantage encore la nation algérienne, fière de son passé et sûre de son avenir, dans le combat qu’elle livre pour son existence. Il doit donc servir le combat libérateur.

Il est destiné aussi à battre en brèche l’idéologie colonialiste, à faire avancer la cause de notre nation auprès des éléments sains de la population européenne d’Algérie, ceux-là même que notre nation est prête à accueillir, à faire avancer enfin notre cause dans l’opinion française et internationale.

Supplément aux « Cahiers du Communisme » - N° 8 – Août 1958

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[1Cette étude a été publiée dans Réalités algériennes et marxisme , revue théorique éditée par le Parti communiste algérien, numéro spécial, juillet 1958 ; puis réédité dans un Supplément aux « Cahiers du Communisme » - N° 8 – Août 1958

[2«  L’Afrique du Nord – 1ère partie – Histoire » (Yves Lacoste – EDSCO – Documents juin-juillet 1957).

[3Sorte d’alcôve réservée dans les mosquées à l’Imam pour conduire la prière collective.

[4 « Il faut se résigner à refouler au loin, à exterminer même la population indigène … » (Général Gérard, ministre français de la Guerre - 1832). « Autour des villes côtières que nous occupions, les indigènes ont disparu dans cette période meurtrière du début. En faisant la solitude il est clair que nous avons préparé en toute innocence la base de la colonisation. Et il faudrait avoir le courage de le reconnaître, il est inutile de le crier sur les toits mais il serait dangereux de l’oublier, parce que la conséquence de nos débuts absurdement sanglants se font nécessairement sentir encore. » (E-F Gauthier, cité par C-A Julien)

[5Cahiers internationaux, janvier 1956.

[6Recueils de poésies chantées.

[7 La Question nationale et coloniale , Editions sociales - Paris

[8L’Algérie n’était pas une nation au sens vrai du terme en 1830, mais il y avait un Etat algérien, c’est-à-dire l’appareil politique, administratif, judiciaire et policier avec lequel la classe au pouvoir gouverne. Par contre, l’Algérie forme une nation aujourd’hui, mais la nation n’est pas souveraine, puisqu’il n’y a pas encore un Etat algérien.

[9239.000 salariés en 1956. Les chiffres de recensement de 1958 donnent 42% d’ouvriers et d’employés spécialisés et 11% de manœuvres.

[10Le fascisme trouve un terrain fertile et des troupes de choc dans certaines couches de cette population : petite bourgeoisie (commerçants, artisans, anciens combattants, petits retraités, ménagères, petits employés, petits fonctionnaires sans qualification, dactylos, etc.), couches supérieures de la classe ouvrière et lumpen – prolétariat (notamment en Oranie), étudiants (fils de colons et de la grosse bourgeoisie). Ce sont ces différentes couches qu’on é retrouvées le 13 mai dans la rue à l’appel des ultras.

[11Il est intéressant de noter certaines réactions européennes hostiles ou de réserve par rapport au mouvement fasciste et ultracolonialiste du 13 mai : une faible partie de la classe ouvrière, attachée aux vieilles traditions de lutte antifasciste, était hostile à ce mouvement. L’absence d’organisations syndicales, le courant de masse provoqué par le mouvement du 13 mai et la répression policière l’ont empêchée de manifester ouvertement cette hostilité. Une autre partie a fait preuve de réserve en même temps d’ailleurs que le milieu enseignant (instituteurs, surtout attachés aux idées républicaines, hostiles à toute coupure avec la France et à d’éventuelles conséquences de l’intégration dur le 30% colonial) et que certains milieux chrétiens. Cependant, on peut dire que la majorité du prolétariat européen d’Algérie fut entraîné par le mouvement du 13 mai. Le chauvinisme et le racisme de la propagande coloniale ont obscurci sa conscience de classe.

[12En 1953, des électeurs musulmans avaient voté à Perrégaux (en masse) et à Bougie en très grand nombre pour des candidats européens présentés par le Parti communiste algérien sur la base du programme national du Parti.

[13Protection inviolable sacrée. Le respect de l’ « anaya » est une affaire d’honneur.

[14 « Il y eut des Juifs dans les armées arabes, comme dans les armées perses : ces Juifs qui se battaient pour la liberté de leur conscience et de leur culte. » (Genèse de l’antisémitisme – Jules Isaac, page 214.) « Quant aux Juifs d’Espagne qui fraternisèrent avec les envahisseurs et qui, selon le chroniqueur arabe, formèrent des garnisons chargées par eux de garder les villes conquises, dois-je m’excuser aussi de ne pas flétrir leur attitude ! Ils étaient esclaves libérés, non pas traitres à ue cause dont l’Eglise avait fait tout pour les détacher. » (Id. , page 249 .)

[15Les Comités de salut public du 13 mai se sont heurtés à la méfiance de la communauté juive d’Algérie : présence d’antisémites et de pétainistes notoires à la tête du mouvement ; coupure avec la France « garante de leurs libertés », liquidées sous Vichy.
Quelles que soient les raisons qui sont à l’origine de l’attitude de nos compatriotes juifs, cette réserve peut être le début d’une prise de conscience de la communauté d’intérêts qui les lient aux Musulmans, face à l’ennemi commun : les ultracolonialistes.

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