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DÉBATS - OPINIONS ET RÉACTIONS AUX ÉVÈNEMENTS D’ EGYPTE :

vendredi 18 février 2011

Ahmed HALFAOUI : "SUCCESSIONS INCERTAINES - LES RÔLES QUI SE PREPARENT EN COULISSE" ;


SAMIR AMIN : "L’INSURRECTION EN ÉGYPTE : SUR LE MOUVEMENT POPULAIRE ÉGYPTIEN" - 7 février 2011 ;


DOSSIER : L’Égypte et les révolutions arabes (Afrique du Nord, Yémen....) lien avec
http://www.mondialisation.ca ; le 14 février 2011


SAMIR AMIN : « MOUBARAK A INTÉGRÉ L’ISLAM POLITIQUE DANS SON SYSTÈME » - 7 février 2011 ;


"ERIC ROULEAU : FAUT-IL AVOIR PEUR DES FRÈRES MUSULMANS ?" 4 février 2011 ;


LE CAIRE PLACE DE LA LIBÉRATION , 8 février 2011.


LES RÔLES QUI SE PREPARENT EN COULISSE

SUCCESSIONS INCERTAINES

Hilary Clinton, la secrétaire d’État d’Obama, convertie en révolutionnaire, quand des « révolutions » bien contrôlées, se passent ailleurs que dans un cercle bien déterminé de pays, a déclaré : « Nous sommes convaincus qu’un Internet ouvert promeut à long terme la paix, le progrès et la prospérité… Ceux qui verrouillent la liberté de l’Internet peuvent contenir les conséquences des aspirations de leur peuple pour un temps, mais pas pour toujours ».
À la bonne heure ! On attend que la censure de Google sur l’actualité islandaise cesse.

De son côté, le Potus, a ordonné une enquête sur les mouvements de révolte en Tunisie et en Egypte. L’objectif étant de savoir si les bases de ces phénomènes sociaux portent bien une « démocratie » en gestation, ou (ce n’est pas dit) autre chose, qui pourrait déranger les plans et stratégies qui se concoctent, pour la région, dans les laboratoires des think tanks étatsuniens.

La crainte essentielle est que cela évolue réellement vers des reconfigurations fondamentales, en dépassant les leurres Ben Ali et Moubarak.
Car, Obama et ses satellites européens savent bien que cela risque d’aller plus loin que la simple revendication démocratique.

L’idée est en l’air et elle est bien exprimée par Samir Amin qui dit que « bien évidemment, aussi longtemps que le système sera géré en adéquation avec le "jeu de la mondialisation", aucun des problèmes soulevés par le mouvement ne sera résolu ».

En apparence, tout semble se dérouler dans le « bon sens ».
L’armée au pouvoir en Egypte garantit à Israël la préservation de ses intérêts et des accords en vigueur. Ceci, avant même qu’un « gouvernement issu du peuple » puisse décider démocratiquement, par lui-même, des suites à donner à la gestion du président déchu. Peut-être que cette assurance vient du fait que les Frères musulmans, qui devraient constituer la majorité du Parlement et qualifiés de « modérés » par les États-Unis, ont accepté de se soumettre au fait accompli et de laisser Israël dévorer la Palestine.

Sauf que des prémices inquiétantes augurent d’une probable redistribution des cartes dans le pays et que la vérité d’hier n’est plus celle d’aujourd’hui. Le peuple égyptien ne peut pas avoir secoué le régime et être resté le même, qu’il était avant.
Il est en train de le démontrer. Il semble ne pas se suffire d’un simple replâtrage du sommet de l’Etat.
Lundi 14 février, des milliers de fonctionnaires ont manifesté au Caire pour revendiquer des augmentations de salaires. Ils ont même occupé la fameuse place Tahrir. Les employés de banque se sont mis en grève, puis rejoints par des policiers. Ces conflits sont en cours et risquent de faire tâche d’huile pour rappeler le caractère social du mécontentement populaire. Caractère étouffé par les médias, qui ont choisi de l’ignorer pour mettre en avant des figures acquises à une transition « apaisée », qui maintient l’ordre en vigueur. Ce sont ces mêmes produits des machines médiatiques qui tiennent encore la vedette.

Ils s’installent, même, en représentants de la société égyptienne.
L’un d’entre eux, parmi les plus célèbres, un directeur de Google (hasard ?) vient de dire que « les leaders militaires lui ont promis qu’un référendum serait organisé dans deux mois pour réviser la constitution ». Ce serait même lui qui aurait obtenu cet engagement. C’est ce qu’il affirme.

Toutefois, il n’y a pas de quoi faire baisser la vigilance de la Maison-Blanche inquiète, qui reste à l’écoute de ce qui se passe plus bas.

Par Ahmed Halfaoui
le 17 février 2011

Sources : http://www.lesdebats.com

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L’INSURRECTION EN ÉGYPTE :
SUR LE MOUVEMENT POPULAIRE ÉGYPTIEN

par Samir Amin [1]

L’Égypte détient un rôle essentiel dans le plan américain pour le contrôle de la planète. Washington n’acceptera aucune tentative de l’Égypte de s’éloigner de la soumission totale qu’elle démontre à l’égard des États-Unis. D’autant plus que cette soumission est encouragée par Israël, dans le but de coloniser ce qui reste de la Palestine. C’est là l’unique explication à la « participation » de Washington à l’organisation d’une « transition en douceur ». C’est pourquoi les États-Unis soutiennent que Moubarak devrait démissionner. C’est le nouveau vice-président, Omar Souleiman, à la tête des services de renseignements de l’armée, qui remplacerait le général Moubarak. L’armée a pris soin de ne pas prendre part à la répression afin de préserver son image.

C’est là qu’intervient El Baradei. Il est encore toujours plus célèbre à l’étranger qu’en Égypte même, mais cela pourrait très vite changer. C’est un « libéral », n’ayant aucune autre vision de la manière de gérer l’économie que celle qui est actuellement d’application, et ne comprend pas que c’est justement cette gestion économique qui est à l’origine du ravage social. Tout ce qu’il a de démocrate réside dans deux choses : le souhait de mettre en place de « vraies élections » et de faire respecter la loi (c’est-à-dire mettre un terme aux arrestations et aux tortures, etc.).

Il n’est pas impossible qu’il joue un rôle dans la transition. Cependant, ni l’armée ni les services de renseignements ne vont abandonner leur position prépondérante dans la société. Est-ce que El Baradei sera en mesure de l’accepter ?

Dans le cas d’une « réussite » et de la mise en place d’ « élections », les Frères musulmans seront la fraction principale au Parlement. Les États-Unis encouragent ce cas de figure et ont, d’ailleurs, qualifié les Frères musulmans de « modérés ». C’est normal puisque les Frères musulmans acceptent la soumission à la stratégie américaine et laissent Israël libre de continuer à envahir la Palestine. Les Frères musulmans sont également en faveur du système de « marché » actuel, qui dépend totalement de l’extérieur. En réalité, ils sont également en faveur de la suprématie de la classe bourgeoise « compradore » au pouvoir et se sont opposés aux grèves de la classe ouvrière et à la lutte des paysans pour préserver la propriété de leurs terres.

Le plan des États-Unis pour l’Égypte est très semblable au modèle pakistanais : mettre en place un pouvoir qui combine « islam politique » et services de renseignements de l’armée. Les Frères musulmans pourraient compenser leur alignement à une telle politique en n’étant justement « pas modérés » dans leur attitude vis-à-vis des coptes (minorité chrétienne). Un tel système peut-il réellement être qualifié de « démocratique ? »
Le mouvement actuel regroupe des jeunes de la ville, essentiellement des gens possédant un diplôme, mais ne trouvant aucun travail, soutenus par des personnes de la classe moyenne, des démocrates. Le nouveau régime pourrait peut-être faire des concessions - engager davantage au sein de l’État- mais pas beaucoup plus.
Il est clair que les choses pourraient changer si la classe ouvrière et le mouvement paysan montaient au pouvoir, mais il semble que ce ne soit pas à l’ordre du jour. Bien évidemment, aussi longtemps que le système sera géré en adéquation avec le « jeu de la mondialisation », aucun des problèmes soulevés par le mouvement ne sera résolu.

publié : le 7 février 2011

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DOSSIER :
L’Égypte et les révolutions arabes (Afrique du Nord, Yémen....)

http://www.mondialisation.ca

Mondialisation.ca, Le 14 février 2011

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Pour l’économiste Samir Amin

« MOUBARAK A INTÉGRÉ L’ISLAM POLITIQUE DANS SON SYSTÈME »

Économiste franco-égyptien, membre du conseil international du Forum social mondial et président du Forum mondial des alternatives, Samir Amin analyse les enjeux politiques et économiques de la crise que traverse l’Égypte.

Les événements qui secouent la Tunisie et l’Égypte relèvent-ils de simples « révoltes populaires » ou signent-ils l’entrée de ces pays dans des processus révolutionnaires ?
Samir Amin. Il s’agit de révoltes sociales potentiellement porteuses de la cristallisation d’alternatives, qui peuvent à long terme s’inscrire dans une perspective socialiste.
C’est la raison pour laquelle le système capitaliste, le capital des monopoles dominants à l’échelle mondiale, ne peut tolérer le développement de ces mouvements. Il mobilisera tous les moyens de déstabilisation possibles, des pressions économiques et financières jusqu’à la menace militaire. Il soutiendra, selon les circonstances, soit les fausses alternatives fascistes ou fascisantes, soit la mise en place de dictatures militaires. Il ne faut pas croire un mot de ce que dit Obama. Obama, c’est Bush, mais avec un autre langage. Il y a là une duplicité permanente.
En fait, dans le cas de l’Égypte, les États-Unis soutiennent le régime. Ils peuvent finir par juger plus utile le sacrifice de la personne de Moubarak. Mais ils ne renonceront pas à sauvegarder l’essentiel : le système militaire et policier. Ils peuvent envisager le renforcement de ce système militaire et policier grâce à une alliance avec les Frères musulmans. En fait, les dirigeants des États-Unis ont en tête le modèle pakistanais, qui n’est pas un modèle démocratique mais une combinaison entre un pouvoir dit islamique et une dictature militaire.
Toutefois, dans le cas de l’Égypte, une bonne partie des forces populaires qui se sont mobilisées sont parfaitement conscientes de ces visées. Le peuple égyptien est très politisé. L’histoire de l’Égypte est celle d’un pays qui tente d’émerger depuis le début du XIXème siècle, qui a été battu par ses propres insuffisances, mais surtout par des agressions extérieures répétées.

Ces soulèvements sont surtout 
le fait de jeunes précarisés, 
de diplômés chômeurs. Comment 
les expliquez-vous ?
Samir Amin. L’Égypte de Nasser disposait d’un système économique et social critiquable, mais cohérent. Nasser a fait le pari de l’industrialisation pour sortir de la spécialisation internationale coloniale qui cantonnait le pays à l’exportation de coton. Ce système a su assurer une bonne distribution des revenus en faveur des classes moyennes, mais sans appauvrissement des classes populaires.
Cette page s’est tournée à la suite des agressions militaires de 1956 et de 1967 qui mobilisèrent Israël.
Sadate et plus encore Moubarak ont œuvré au démantèlement du système productif égyptien, auquel ils ont substitué un système totalement incohérent, exclusivement fondé sur la recherche de rentabilité. Les taux de croissance égyptiens prétendument élevés, qu’exalte depuis trente ans la Banque mondiale, n’ont aucune signification. C’est de la poudre aux yeux. La croissance égyptienne est très vulnérable, dépendante du marché extérieur et du flux de capitaux pétroliers venus des pays rentiers du Golfe.
Avec la crise du système mondial, cette vulnérabilité s’est manifestée par un brutal essoufflement. Cette croissance s’est accompagnée d’une incroyable montée des inégalités et du chômage, qui frappe une majorité de jeunes. Cette situation était explosive, elle a explosé. Ce qui est désormais engagé, au-delà des revendications initiales de départ du régime et d’instauration des libertés démocratiques, c’est une bataille politique.

Pourquoi les Frères musulmans tentent-ils désormais de se présenter comme des « modérés » ?
Samir Amin. Parce qu’on leur demande de jouer ce jeu. Les Frères musulmans n’ont jamais été des modérés. Il ne s’agit pas d’un mouvement religieux, mais d’un mouvement politique qui utilise la religion.
Dès sa fondation en 1920 par les Britanniques et la monarchie, ce mouvement a joué un rôle actif d’agent anticommuniste, antiprogressiste, antidémocratique. C’est la raison d’être des Frères musulmans et ils la revendiquent. Ils l’affirment ouvertement : s’ils gagnent une élection, ce sera la dernière, parce que le régime électoral serait un régime occidental importé contraire à la nature islamique. Ils n’ont absolument rien changé sur ce plan.
En réalité, l’islam politique a toujours été soutenu par les États-Unis. Ils ont présenté les talibans dans la guerre contre l’Union soviétique comme des héros de la liberté. Lorsque les talibans ont fermé les écoles de filles créées par les communistes, il s’est trouvé des mouvements féministes aux États-Unis pour expliquer qu’il fallait respecter les « traditions » de ce pays. Ceci relève d’un double jeu. D’un côté, le soutien. De l’autre, l’instrumentalisation des excès naturels des fondamentalistes pour alimenter le rejet des immigrés et justifier les agressions militaires.
Conformément à cette stratégie, le régime de Moubarak n’a jamais lutté contre l’islam politique. Au contraire, il l’a intégré dans son système.

Moubarak a-t-il sous-traité la société égyptienne aux Frères musulmans ?
Samir Amin. Absolument. Il leur a confié trois institutions fondamentales : la justice, l’éducation et la télévision. Mais le régime militaire veut conserver pour lui la direction, revendiquée par les Frères musulmans.
Les États-Unis utilisent ce conflit mineur au sein de l’alliance entre militaires et islamistes pour s’assurer de la docilité des uns comme des autres. L’essentiel est que tous acceptent le capitalisme tel qu’il est.

Les Frères musulmans n’ont jamais envisagé de changer les choses de manière sérieuse. _ D’ailleurs lors des grandes grèves ouvrières de 2007-2008, leurs parlementaires ont voté avec le gouvernement contre les grévistes.
Face aux luttes des paysans expulsés de leur terre par les grands propriétaires fonciers, les Frères musulmans prennent partie contre le mouvement paysan.
Pour eux la propriété privée, la libre entreprise et le profit sont sacrés.

Quelles sont leurs visées à l’échelle du Proche-Orient ?
Samir Amin. Tous sont très dociles.
Les militaires comme les Frères musulmans acceptent l’hégémonie des États-Unis dans la région et la paix avec Israël telle qu’elle est.
Les uns comme les autres continueront à faire preuve de cette complaisance qui permet à Israël de poursuivre la colonisation de ce qui reste de la Palestine.

Dakar, envoyée spéciale.
Entretien réalisé par Rosa Moussaoui

le 7 Février 2011

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Source : L’HUMANITÉ :

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ERIC ROULEAU : FAUT-IL AVOIR PEUR DES FRÈRES MUSULMANS ?

4 Février, 2011

L’éclairage d’Eric Rouleau, journaliste, né en Égypte, écrivain, ancien ambassadeur et spécialiste du Moyen-Orient, sur le mouvement islamiste qui sert de repoussoir pour les chancelleries occidentales à l’idée de changements démocratiques.

Qui sont les Frères musulmans ?
Eric Rouleau. Beaucoup de mythes ont été propagés à leur propos.
L’organisation a été créée en 1928 par un jeune instituteur égyptien du nom de Hassan El Banna. C’était la première fois dans le monde arabe que la religion était liée à la politique.
Les Frères musulmans avaient deux objectifs : islamiser la société égyptienne et lutter contre l’occupation britannique.
Ils sont restés très anti-impérialistes, mais aussi très conservateurs au plan social, notamment vis-à-vis des femmes et des minorités. Par la suite, leur mouvement a essaimé dans le monde arabe et inspiré la plupart des mouvements islamistes, comme le Hamas palestinien. Mais inspiration ne veut pas dire copie conforme, loin de là. Chaque mouvement reflète les conditions particulières du pays dans lequel il est né et s’est développé. L’AKP turc n’est pas le Hamas palestinien ou le Ennahda tunisien.

S’ils font peur, c’est qu’ils ont eu recours à la violence…
Eric Rouleau. Ils y ont renoncé depuis les années 1970. Mais c’est vrai que par le passé, ils ont commis des assassinats politiques.
C’est un frère musulman qui a assassiné le premier ministre Fahmi El Noukrachi en décembre 1948. Le régime s’est vengé en assassinant Hassan El Banna, le 12 février 1949. Les Frères musulmans ont ensuite été pourchassés et réprimés dans les années 1950, avec l’installation du régime laïcisant de Nasser, qu’ils ont d’ailleurs tenté d’assassiner en 1954.
Depuis lors, ils n’ont cessé d’être réprimés, tout particulièrement depuis l’arrivée au pouvoir de Moubarak. Il en a fait arrêter des milliers, plusieurs sont morts sous la torture. Il avait très peur de ce mouvement, qui a des ramifications très importantes dans le pays.

N’ont-ils pas assassiné le président Sadate en 1981 ?
Eric Rouleau. Non, c’est un petit groupe radical, le Djihad islamique égyptien, qui a assassiné Sadate pour stopper la politique de rapprochement avec Israël.
Il y a eu, soit par scissions au sein des Frères musulmans, soit à côté, divers groupes islamistes terroristes, comme la Gama’a islamya qui a commis de nombreux attentats, dont celui d’Hachepsout en 1997 (1). Cette organisation armée, qui a été dissoute, avait été créée par Ayman Al Zawahiri, le numéro deux d’al-Qaida. Il avait aussi été membre du Djihad islamique, responsable de l’assassinat de Sadate. Toutes ces organisations ont disparu et il ne semble pas qu’al-Qaida soit présente en Égypte.
Quant aux Frères musulmans, comme je l’ai dit, ils ont renoncé à la violence il y a quarante ans et condamnent le terrorisme.

Quel est leur rôle actuel ?
Eric Rouleau. Interdits comme organisation politique, ils ont surtout un rôle caritatif. _ Ils ont couvert l’Égypte d’associations qui suppléent aux carences de l’État. Leur association de bienfaisance possède 450 filiales dans tout le pays. Ils ont des cliniques où l’on pratique une médecine gratuite, ils aident à la scolarisation des enfants, organisent les mariages…
Ils sont seulement 100 000 membres, mais des millions de partisans. Pas seulement chez les plus pauvres. Ils sont forts dans la petite bourgeoisie, dans les universités, les écoles d’ingénieurs.

Quel est leur poids politique ?
Eric Rouleau. Il est difficile à évaluer. Ils n’ont jamais été autorisés à prendre part à des élections. En 2005, Moubarak les avait laissés se présenter (sans l’étiquette FM).
Les « indépendants » qu’ils soutenaient ont obtenu 88 sièges, soit 20% des voix. Ce fut un choc pour Moubarak.
Aujourd’hui, ils auraient sans doute 30%. En fait, le courant islamiste n’est nulle part majoritaire dans le monde arabe. Ils prospèrent quand ils sont réprimés, mais perdent vite de leur influence quand ils sont autorisés, comme c’est le cas au Maroc ou en Algérie.
Cela s’explique par le fait que sous les régimes dictatoriaux où aucune opposition n’est autorisée à s’exprimer, la mosquée est le seul lieu de contestation possible. Mais cela ne signifie pas que les gens approuvent leur programme.

Quel est-il ?
Eric Rouleau. Il y a deux courants : l’un, conservateur, auquel appartient leur chef actuel, Mohamed Badie, un vétérinaire. Il veut garder le nom du mouvement et son programme 
ultraconservateur.
L’autre, moderniste, qui prône l’ouverture, notamment en ce qui concerne la place des femmes. Il y a dix ans, des modernistes ont quitté le mouvement pour créer Al Wasat. Ils ont des coptes dans leur comité directeur et appellent à un islam démocratique et laïque.
Le débat est d’autant plus aigu que se pose la question du nom que pourrait prendre le parti en cas d’élections démocratiques. La Constitution égyptienne interdit tout parti religieux. Or, jusqu’ici, les Frères musulmans ont refusé de changer de nom, ce qu’ont fait d’autres partis islamiques dans le monde : le parti tunisien s’appelle Ennahda (renaissance) et le parti turc AKP (Parti du développement).
Il est tout à fait impensable d’autoriser un parti islamique dans une Égypte démocratique, d’autant plus qu’il y a dans ce pays une forte minorité copte. Ce serait contre nature.

Quel est leur modèle ? La Turquie 
ou l’Iran ?
Eric Rouleau. Sûrement pas l’Iran, avec lequel ils n’ont aucune relation. Ils honnissent le régime des ayatollahs. Les prétendus liens avec l’Iran sont agités pour faire des Frères musulmans un épouvantail. En réalité, les États-Unis comme Israël savent parfaitement ce qu’il en est. Ils savent que les Frères musulmans n’auront pas la majorité en cas d’élections, car il y a en Égypte un courant laïque et de gauche non négligeable. Ils n’en veulent pas pour des raisons géostratégiques, parce qu’ils savent que, dans un régime démocratique, ils exerceraient leur influence pour que l’Égypte cesse d’être le valet des États-Unis et prenne ses distances à l’égard de l’Israël actuel, expansionniste et intransigeant à l’égard des Palestiniens.
C’est cela qui les effraie, et l’influence qu’un tel bouleversement pourrait avoir sur d’autres pays arabes de la région dans leurs relations avec les États-Unis et Israël.

(1) Cinquante-huit touristes étrangers avaient été tués lors d’un attentat suicide sur ce site proche de Louxor.

Eric Rouleau, qui collabore au Monde diplomatique, a écrit plusieurs livres sur le Proche-Orient :
Israël et les Arabes, le 3e combat” (Seuil 1967) ;
Palestiniens sans patrie” (Fayolle 1978) ;
Les Palestiniens d’une guerre à l’autre” (le Monde la Découverte 1984).

Entretien réalisé par Françoise Germain-Robin

Source : L’HUMANITÉ du 3 février 2011

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Le Caire, Place de la Libération, le 8 février 2011
image reprise de facebook
parue en 1ère page du "Quotidien" à Tunis, le 9 février 2011

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[1SAMIR AMIN : Analyste politique et écrivain.
Directeur du Forum du Tiers-Monde à Dakar (Sénégal).
Président du Forum mondial des alternatives (FMA)

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