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LIBYE : TÉMOIGNAGES

mardi 29 mars 2011

Un lecteur s’étonne de la publication de ce témoignage, repris d’un organe de presse qui se fait souvent le relai ou le reflet des thèses interventionnistes et impérialistes contre les aspirations des peuples à l’indépendance et à la démocratie.
Que notre ami se rassure (s’il ne l’est déjà par les contenus du site à propos de la Libye), ni Socialgerie, ni l’ami qui nous a communiqué ce reportage ne se font d’illusion sur les intentions et le battage des BHL et consorts.
En l’absence de commentaire, Socialgerie fait confiance à la capacité de jugement des lecteurs face aux thèses qui s’affrontent autour de la complexité de la situation en Libye comme ce fut le cas en d’autres temps pour le Kosovo, pour l’Irak et d’autres situations où les dictateurs en place ont prêté le flanc aux propagandes des pseudo-démocratiseurs de l’Occident.
Les partisans du changement démocratique et social profond sont assez armés pour démêler l’écheveau des manipulations et ne pas craindre de prendre connaissance de ce qui se dit pour élever leur vigilance et le niveau de leurs propres exigences.
C’est ce que rappelait Lénine à un camarade qui s’étonnait de ce qu’il s’attarde à la lecture des journaux les plus réactionnaires ...

L’essentiel est que le peuple libyen et ses courants authentiquement révolutioonaires ne soient pas victimes des convoitises et malédictions que lui valent ses richesses naturelles et les enjeux géostratégiques de la région.

SUR LA ROUTE D’ AJDABIYA, LES MACABRES DÉCOUVERTES

Beaucoup d’histoires se racontent, parmi les insurgés, sur l’utilisation de mercenaires par l’armée du colonel Kadhafi.
REUTERS/GORAN TOMASEVIC

Nasser Idriss et Youssef Queri ne pensaient pas, en partant en patrouille clandestine vers les lignes libyennes, faire une telle découverte. Leur objectif était de récupérer des corps de combattants rebelles tués par les bombardements de la veille sur la route d’Ajdabiya. Et Youssef avait aussi un but personnel : son cousin Mohammed avait disparu depuis cette attaque d’artillerie, et il souhaitait le retrouver ou, au pire, ramener son corps à leur famille.

Nasser Idriss, 34 ans, est un militaire qui a quitté l’armée libyenne en 2000 après six ans de service. Youssef Queri a 20 ans. Les deux hommes, originaires de Benghazi, ont sympathisé sur le front il y a une semaine, lors de la déroute des insurgés qui a précédé les raids aériens occidentaux. Lorsque le jeune Youssef a annoncé, mercredi 23 mars à l’aube, qu’il partait vers les lignes ennemies à la recherche de son cousin, Nasser a décidé de l’accompagner.

"C’ÉTAIT UN PIÈGE"

Rencontrés vingt-quatre heures après leur patrouille, sur ce front à 15 km d’Ajdabiya, Nasser et Youssef sont encore bouleversés par ce qu’ils ont vu. Nasser tente de maîtriser sa colère. Youssef cache à peine ses tremblements d’émotion.

"Nous avons marché jusqu’à 2 km après le château d’eau. Nous marchions à l’écart de la route, dans le désert, raconte Youssef Queri. Nous avons d’abord vu un cadavre, puis d’autres cadavres. Il y avait huit voitures de rebelles sur le bord de la route, et une cinquantaine de corps éparpillés." "Il y avait aussi, au bord de la route, un pick-up Toyota blanc avec deux types qui écoutaient de la musique à la radio. Nous avons d’abord eu peur qu’ils soient des soldats de Kadhafi… Puis, croyant que c’était des rebelles, nous leur avons fait des signes avec nos foulards. Ils n’ont pas bougé, pas répondu… Puis nous nous sommes approchés. Et là, nous avons vu que les deux corps avaient été sectionnés au niveau du bassin, et qu’ils avaient les oreilles coupées. Leurs blessures étaient récentes, ils saignaient encore. J’ai commencé à pleurer." Le témoignage de Nasser concorde point par point. Il ajoute que les deux hommes ont aussi été "scalpés".

"Nous avons mis les deux corps à l’arrière du pick-up. Puis nous avons entendu un sifflement étrange émanant de la radio, poursuit Youssef. Nous avons coupé la radio, coupé le contact, puis remis le contact, et le sifflement a repris. Nous avons cru qu’il y avait peut-être une bombe dans la voiture et nous nous sommes enfuis. Et là, tout d’un coup, des roquettes sont tombées tout autour de la voiture. C’était un piège." "Un déluge de roquettes", dira Nasser.

En rampant sous les obus, les deux hommes prêtent davantage attention aux autres corps étalés aux alentours. "Ils étaient déchiquetés par des bombardements plus anciens, par des éclats d’obus", dit Youssef. "Mais certains étaient aussi mutilés, comme ceux de la Toyota, avec aussi des bras, des jambes et des têtes coupés", affirme Nasser. A ce moment-là, en s’enfuyant, "nous avons vu environ vingt mercenaires noirs africains, armés de longs couteaux et de machettes, à trente mètres de nous", raconte Nasser. "Ils parlaient une langue que nous ne comprenions pas. Nous avons eu peur, mais eux ont eu peur de nous, car ils n’avaient pas d’armes à feu. Ils ont couru environ 300 m pour se réfugier derrière des tanks de l’armée libyenne."

Youssef et Nasser précisent qu’ils ignorent si ces hommes mutilés, dans la Toyota et sur le côté de la route, ont été tués par ces mercenaires, ou sont morts préalablement dans des combats ou des bombardements. Youssef ajoute qu’il croit que "les corps ont été disposés sur le sol" après leur mort, de façon à impressionner des insurgés qui s’aventureraient jusque-là. Youssef raconte qu’ensuite, "sous les tirs, nous avons rampé durant des heures pour quitter la zone". Partis à 8 heures du matin, Youssef et Nasser sont revenus du côté rebelle à 14 heures.

"MONTRER AU MONDE"

Beaucoup d’histoires se racontent, parmi les insurgés, sur l’utilisation de mercenaires par l’armée du colonel Kadhafi. Des corps de combattants noirs africains ont effectivement été trouvés dans les tanks et jeeps bombardés par l’aviation occidentale près de Benghazi.
Beaucoup d’histoires circulent aussi sur leur cruauté supposée, mais jamais un récit n’était à ce point étayé, confirmé par deux témoins visuels directs, interrogés séparément. Nasser regrette de ne pas avoir eu un téléphone mobile pour "prendre des photos des cadavres, et montrer au monde ce que Kadhafi fait aux Libyens".

Le jeune Youssef est encore trop bouleversé pour émettre un commentaire, il s’en tient à un compte rendu direct et sobre. Nasser, tout aussi précis dans son récit, laisse éclater sa colère. "Ce que nous avons vu est très vicieux, très sanguinaire. Alors si je trouve un soldat libyen, je le tuerai et c’est tout. Mais si je trouve un mercenaire africain, je le taillerai moi aussi en morceaux, si Dieu le veut, pour venger nos jeunes."

Rémy Ourdan
Article paru dans “Le Monde”
édition du 26.03.2011

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