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"Chronique des deux rives"

DAHRA, DIEN BIEN PHU, LA CASBAH ET LES INVALIDES DE L’HISTOIRE

par Abdelmadjid Kaouah, "algérienews" du 4 décembre 2011, page 24

samedi 10 décembre 2011

Avant de mourir à 94 ans, le général avait souhaité que ses cendres soient dispersées au-dessus de “Dien Biên Phù” . Le général Marcel Bigeard puisqu’il s’agit de lui avait connu -avec les troupes françaises- une défaite cinglante au Vietnam le 7 mai 1954 . Date-phare du combat anti-colonialiste qui ouvrit et inspira la voie d’autres luttes de libération nationale dont celle du peuple algérien.

Apres avoir « sauté » sur Dien Biên Phu, le général Bigeard s’illustra sinistrement à la Casbah et sur les djebels algériens. Commandant du troisième régiment de parachutistes coloniaux, il a été l’un des principaux protagonistes de « La bataille d’Alger » en 1957.
Il avait employé tous les moyens inavouables pour contrer « la grève des sept jour » qui avait fait connaître au monde la lutte du peuple algérien pour son indépendance. Il n’avait d’ailleurs jamais accepté le terme de “bataille” utilisé par les historiens pour relater cette période de la guerre d’Algérie et déclarait qu’“il ne s’agit pas d’une bataille, mais tout simplement, et hélas, d’un travail policier”.

Le gouvernement du Vietnam ayant refusé ses cendres sur l’ancien camp retranché français, le ministère de la défense français a décidé dernièrement de les transférer à l’Hôtel des Invalides à Paris, où reposent les héros de l’armée française.
Une telle décision a soulevé en France l’indignation de personnalités de la Résistance française, tel que Raymond Aubrac, de Josette Audin, de Pierre Laurent dirigeant du Parti communiste français, de Noël Mamère des Verts, et autres personnalités du combat anti-raciste, tels Mouloud Aounit et les écrivains Didier Daeninckx ou Patrick Chamoiseau ainsi que le chanteur Salah Amokrane.
Ils viennent de rendre public un Appel contre cet hommage qu’ils considèrent comme une « manœuvre politicienne » et une insulte « à divers peuples qui acquirent au prix fort, naguère, leur indépendance ». Et d’ajouter : « On nous présente cet officier comme un héros des temps modernes, un modèle d’abnégation et de courage. Or, il a été un acteur de premier plan des guerres coloniales, un « baroudeur » sans principes, utilisant des méthodes souvent ignobles. En Indochine et en Algérie, il a laissé aux peuples, aux patriotes qu’il a combattus, aux prisonniers qu’il a "interrogés", de douloureux souvenirs. Aujourd’hui encore, dans bien des familles vietnamiennes et algériennes, qui pleurent toujours leurs morts, ou dont certains membres portent encore dans leur chair les plaies du passé, le nom de Bigeard sonne comme synonyme des pratiques les plus détestables de l’armée française. ».

Les baroudeurs eurent d’’“illustres” prédécesseurs lors de « la conquête d’Algérie ».Avant les “baroudeurs”, il y eut les “sabreurs”.
Parmi les plus efficaces dans la décimation : le Maréchal Saint Arnaud. Ce dernier taquinait lui-même la plume et a donc laissé des correspondances abondantes et d’une grande netteté sur la nature de ses « œuvres » durant la conquête. Son frère et sa veuve jetèrent quelques voiles pudiques sur sa correspondance en l’édulcorant à sa publication. Sainte-Beuve considérait même le maréchal comme un grand écrivain de la trempe d’Alexandre Dumas ! Les biographies de Saint-Arnaud ne manquèrent guère. Pieuses et, voire confites en dévotion, le plus souvent à des dates significatives : à titre d’exemple, en 1941, sous un autre maréchal, Pétain, et de la plume de Louis Bertrand, ès maître en roman colonial (“Le Sang des races)” et biographe d’Hitler …
Avec « L’honneur de Saint-Arnaud » - Collection Points, 1995, et réédité chez Casbah Editions -, François Maspero nous a donnés une biographie implacable, un livre symétriquement à l’opposé des mystifications et autres flatteries littéraires intéressées autour de Saint-Arnaud. « L’honneur de saint Arnaud » n’a rien à avoir pour autant avec les œuvres pamphlétaires qui ont pour but de stigmatiser et de châtier afin de rendre une justice au moins morale.

François Maspero nous donne à lire une œuvre érudite, qui remonte le temps pas à pas et décape couche après couche le vernis des manuels d’histoire coloniale.

Et c’est écrit sous forme de feuilleton - et là, il y une effective affinité avec Alexandre Dumas- mais Maspero est homme de retenue qui use surtout d’une ravageuse ironie au lieu et place de l’indignation facile.
Son Saint-Arnaud n’a rien d’une caricature, tel qu’un Victor Hugo l’a figé : « Ce général avait les états de service d’un chacal ». V. Hugo du haut de son exil fustigeait davantage le complice du Coup d’Etat du 2- Décembre contre la IIème République par le futur empereur Napoléon III que le sabreur impitoyable de la conquête d’Algérie.
Maspero nous invite à aller au-delà du « prétorien portraituré par Charles-André Julien, image d’Epinal à l’envers de la légende coloniale ». Au fond, ce qui a intéressé Maspero en Saint-Arnaud c’est comment le « fil de son destin individuel s’était intégré à la trame de la destinée collective ». Par-delà les actes qu’on peu légitimement qualifier de génocidaires contre des populations désarmées commis par une figure de proue de la hiérarchie militaire - ayant servi tour la royauté, la république et l’empire- c’est le masque bien-pensant de toute une société de classe que Maspero arrache page après page.
C’est un vrai tombeau du déshonneur qu’il érige à la fois à l’esprit bien-pensant impérial et au cynisme de ses épigones. C’est au nom du Bien, du Progrès, voire de la bonté chrétienne qu’on décime, qu’on enfume, qu’on coupe les têtes, tresse des colliers d’oreilles. Quitte à vivre de fugaces états d’âme pour garder l’illusion d’être un gentilhomme…
Victor Hugo dans « Choses vues », rapporte en date du 16 octobre 1852 : « L’armée faite féroce par l’Algérie. Le général Le Flô me disait hier soir : "Dans les prises d’assaut, dans les razzias, il n’était pas rare de voir les soldats jeter par les fenêtres des enfants que d’autres soldats en bas recevaient sur la pointe de leurs baïonnettes. Ils arrachaient les boucles d’oreilles aux femmes et les oreilles avec, ils leur coupaient les doigts des pieds et des mains pour prendre leurs anneaux. Quand un Arabe était pris, tous les soldats devant lesquels il passait pour aller au supplice lui criaient en riant : cortar cabeza ! Le frère du général Marolles, officier de cavalerie, reçut un enfant sur la pointe de son sabre, Il en a du moins la réputation dans l’armée, et s’en est mal justifié." Atrocités du général Négrier. Colonel Pélissier : les Arabes fumés vifs. ».

François Maspero n’est pas un inconnu pour les Algériens. Il fait partie de ces Français de l’honneur qui ne sont pas tus face à l’horreur coloniale et qui sont passés aux actes. Les Editions qui portaient son nom sont nées dans la grande tourmente de la guerre d’Algérie, en 1959.
Les classiques de l’anti-colonialisme lui doivent en grande partie leur parution. Tels, “L’An V de la révolution algérienne” en 1959 est l’un des premiers livres saisis suivis par “Les damnés de la terre” de Frantz Fanon, en 1961 avec une préface de Jean-Paul Sartre. “Ratonnades à Paris” de Paulette Péju rédigé dans l’urgence, accompagné de photos d’Elie Kagan après les manifestations d’octobre 61 est l’un des premiers témoignages des victimes. Publication saisie immédiatement par la censure française ainsi que “Nuremberg pour l’Algérie”, réalisé par un collectif d’avocats du FLN.
En 1961, aux éditions Maspero 12 livres sur 18 étaient consacrés à l’Algérie dont 7 censurés (In “Maspero et la guerre d’Algérie” par Jonis Clotilde). François Maspero abhorre la gloriole. Dans un courrier il devait préciser : « Entre 1959 et 1962 j’eus à affronter une quinzaine d’interdictions, soit en vertu des "pouvoirs spéciaux", soit en fonction d’inculpations - quatorze je crois – dont je fus l’objet : atteinte à la sûreté de l’État, injures envers l’armée, incitation de militaires à la désertion ». Sans parler des menaces de mort et du plasticage de l’OAS.

Or, cinquante ans après l’indépendance de l’Algérie, comme l’indique les signataires de l’Appel : « Après la loi du 23 février 2005 sur la colonisation "positive", après les stèles de Marignane et d’ailleurs honorant la mémoire des membres de l’OAS, cette initiative relève, encore, de la falsification historique (…) De son vivant, le général Bigeard a toujours bénéficié de l’admiration des forces politiques les plus réactionnaires et de leur soutien actif ».
Olivier Le Cour Grandmaison dans « Point de vue, le négationnisme colonial », (Le Monde, 2 février 2005), fait observer : « Envers et contre toute vérité historique, ces représentants défendent le mythe d’une colonisation généreuse et civilisatrice conforme aux idéaux que la France est réputée avoir toujours défendus en cette terre algérienne. […] Oubliés donc les centaines de milliers de morts, civils pour la plupart, tués par les colonnes infernales de Bugeaud et de ses successeurs entre 1840 et 1881, entraînant une dépopulation aussi brutale que spectaculaire au terme de laquelle près de 900 000 "indigènes" […] disparurent. Oubliées les razzias meurtrières et systématiques, et les spoliations de masse destinées à offrir aux colons venus de métropole les meilleures terres. Oublié le code de l’indigénat, ce monument du racisme d’Etat, adopté le 28 juin 1881 par la IIIe République pour sanctionner, sur la base de critères raciaux et cultuels, les "Arabes" soumis à une justice d’exception, expéditive et dérogatoire enfin à tous les principes reconnus par les institutions et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Oubliés les massacres de Sétif et Guelma perpétrés, le 8 mai 1945, par l’armée française […] le jour même où le pays fêtait dans l’allégresse sa libération. Oubliés les 500 000 morts, les 3 000 disparus […] et les milliers de torturés de la dernière guerre d’Algérie. [...] Singulière époque, étrange conception du "devoir de mémoire" qui se révèle partiel parce qu’il est partial, déterminé qu’il est par des préoccupations partisanes. [...] Extraordinaire persistance, enfin, de ce passé-présent qui, inlassablement, continue d’affecter notre actualité en y instillant le mensonge et la falsification mis au service de sordides considérations électoralistes et d’ambitions présidentielles. ».

Le vainqueur de Dien Biên Phu, le général Võ Nguyên Giáp, centenaire aujourd’hui, n’a-t-il-pas dit à la salle Harcha à Alger en 1975 (après une nouvelle victoire- cette fois sur les Américains : « L’impérialisme est un mauvais élève, il ne retient pas les leçons de l’histoire ». Aujourd’hui, ce sont ses nostalgiques qui sont en manque de mémoire et de leçons de l’histoire.

A.K.

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