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DÉCÈS DE AHMED BEN BELLA, UN DES LEADERS HISTORIQUES DE L’ INDÉPENDANCE ALGÉRIENNE

samedi 14 avril 2012


ÉLOGE POST-MORTEM DE BEN BELLA ! - par Arezki Metref -“ Le Soir d’Algérie” - le 15 avril 2012.


AHMED BEN BELLA - VIE ET MORT D’UNE ICÔNE ANTICOLONIALE DU TIERS MONDE - CONTROVERSEE EN ALGÉRIE - par El Kadi Ihsane - le 11 avril 2012 - Maghrebemergent, et blog algerieinfos.


DÉCÈS DE AHMED BEN BELLA, UN DES LEADERS HISTORIQUES DE L’ INDÉPENDANCE ALGÉRIENNE - message de Sadek Hadjerès.


AHMED BEN BELLA - ENTRETIEN : PROPOS RECUEILLIS PAR SILVIA CATTORI - le 16 avril 2006 - mis en ligne par “michel collon infos” - “investig’action”.


LE PREMIER PRÉSIDENT S’EN VA : AHMED BEN BELLA EST MORT - LE PARCOURS D’UN DES LEADERS HISTORIQUES DE L’INDÉPENDANCE ALGÉRIENNE - VU PAR LEQUOTIDIEN D’ORAN


ÉLOGE POST-MORTEM DE BEN BELLA !

par Arezki Metref “
Le Soir d’Algérie”
le 15 avril 2012.

Immense hésitation : y vais-je ou n’y vais-je pas ? Cornélien, le dilemme me turlupine grave depuis que, l’autre jour, j’ai appris la nouvelle de la mort de Ben Bella. Un banal sms de source anonyme m’a affranchi : « BB dcd 7 aprem alger ». Voilà, c’est tout !

Peu de mots et quels mots. Presto, j’ai allumé la télé pour en savoir un chouïa mieux. Pendant que les sujets étaient déjà ficelés, images d’archives et interviews, et passaient en boucle sur BFMTV, iTelé, France-2, TF1 et même Agouni-Ahmed Network, poussé par une curiosité patriotique, j’ai voulu voir ce qu’avait à nous montrer l’ENTV qui possède, me suis-je dit comme ça, tout seul, comme un grand, des tombereaux d’images d’archives héritées du temps où la RTA était tenue de filmer le moindre hoquet présidentiel.
Sur les quatre ou cinq chaînes que je passe au fil de la zapette, le même minaret dodelinait dans les nuages. Décoiffant ! Peut-être qu’en loucédé, l’Unique avait déjà expédié une webcam dans le royaume des cieux pour filmer et montrer en live les premiers pas de Ben Bella dans l’Au-delà comme naguère la Nasa ceux du cosmonaute Armstrong sur la Lune ?
Pour le reste, de Ben Bella, rien ! Les mecs devaient attendre que le Prince édicte ce qu’il convient de faire avec ce sujet.
Comme quoi, quand il s’agit d’info et pas d’aplaventrisme, les derniers ne sont pas forcément les premiers. Et inversement.

Ça ne résout en rien mon problème : j’y vais ? Ou pas ? Parler de la mort de Ben Bella dans plusieurs jours, ça avance et rime à quoi ? Il y aura eu, entre-temps, la pompe des funérailles nationales, et au moins trois des huit jours de deuil seront passés, et tout le tralala avec… Après le feu d’artifices, tu te la ramènes, toi, qui plus est avec un brin de perfides allusions !... Non, ça ne colle pas.
Et puis, est-ce un événement ? Je veux dire s’agit-il d’un de ces faits qui t’obligent toutes affaires cessantes à poser les outils par terre et saluer sincèrement et humblement le cortège mortuaire ? Eh oui, mon vieux, c’est bien un événement ! Que tu le veuilles ou pas ! La preuve ? Depuis que la nouvelle s’est confirmée, tout, radio, télé, ne parle que de ça : la mort d’un héros de l’indépendance algérienne, au paletot duquel jadis de Gaulle lui-même a épinglé une médaille !
Macha Allah ! Les télés françaises rappellent ad nauseum les faits d’armes de l’adjudant des Tabors au 14e RTA sauvant la vie de son capitaine, ce qui lui vaudra une cascade de décorations.
Du coup, le problème inverse surgit : que pourrais-je ajouter ? Ben Bella a déjà le régime de dattes généreusement posé sur sa tombe qui n’est pas encore creusée et qui le sera sans doute au carré des héros à El Alia, ce carré auquel n’ont eu droit, ni Amirouche, relégué au sous-sol d’une cave gardée par le nec plus ultra de la Gendarmerie nationale, et encore moins Abane Ramdane, la bête noire, dont on ne sait même pas où se trouvent les restes.
Je n’ai encore rien décidé lorsque j’entre dans une boutique de fringues tenue par mon ami Ahmed qui me demande in petto et en VO :
- Wach, men, kach news ?
- Ben Bella imouth, Allah yarahmou ! Dis-je, mélangeant tout avec tout ! _ La formule rituelle, culturelle, sort de ses gonds un septuagénaire qui farfouillait dans le rayon chemises section XXL :
- Il est mort de sa belle mort dans son lit à 96 ans.
Ce qui n’est pas le cas de tous ceux qu’il a fait tuer lorsqu’il était président. Certains sortaient à peine du maquis pour se faire zigouiller par ses sbires. Ils avaient tenu tête à l’armée française pour se faire trucider in fine par zaâma leurs frères d’armes. Ses hommes ont semé la terreur dans nos villages. Ce n’est pas moi qui le gratifierais d’un merci. La messe est dite, si l’on ose.
Voilà un des souvenirs qui resteront de Ben Bella ! Pas très reluisant et pas le seul !

Un autre : les manœuvres pour prendre le pouvoir, le feu ouvert par ses séides sur les maquisards de l’intérieur qui feront au moins 500 morts.
Et j’en passe… Un tableau de chasse, oui ! Avec du sang tout plein
_ ! Pourtant, la mort d’un homme reste toujours triste ! La compassion ne se marchande pas. Qu’il s’agisse d’un ancien chef d’Etat ajoute à la densité dramatique de la scène.

Un concours de circonstances, dont la lecture du démêlement ne suscite pas l’unanimité chez les historiens, a fait de Ben Bella le premier président de l’Algérie indépendante. Un croisement de courbes entre Nasser et de Gaulle l’aurait mis en vedette. De l’avoir imposé, on ne sait plus s’il faut l’attribuer rétroactivement à Boumediène ou à Fethi Dib, patron des moukhabarate égyptiens qui avait la mainmise sur le pouvoir algérien d’alors.
Du haut du monticule, Ben Bella avait, à l’échelle internationale, la visibilité que méritait le combat des maquisards de l’intérieur qui ont érigé la guerre de libération en modèle pour les mouvements indépendantistes à travers le monde. Tout le prestige de l’Algérie combattante rejaillissait sur lui.
En extérieur, il joue les révolutionnaires, amis de Fidel, de Mao dont il adopte en tout cas le col, alors qu’en interne, il a déjà écarté tous ses rivaux et ceux qui lui faisaient de l’ombre.
Il fait bannir et mettre en résidence surveillée quand ce n’est pas carrément en taule, Krim Belkacem, Mohamed Boudiaf et d’autres, beaucoup d’autres.
Il pourchasse Aït Ahmed, Mohand Oulhadj et le FFS, déjà au maquis. Tous ceux qui ont une légitimité suscitent son courroux.

Bon, essayons des choses positives ! À l’indépendance, j’étais un gosse fier de voir que l’Algérie avait un président qui était non seulement « algérien » mais qui, de plus, aimait le foot car il avait été footballeur. C’est pourquoi, je ne pige rien lorsque, ce 19 juin 1965, il est renversé par un putsch.

J’apprendrai plus tard que le gosse que j’étais n’y comprenait que dalle. Ben Bella est arrivé au pouvoir de lui-même, par une sorte de coup d’Etat contre le GPRA. Boumediène, son allié, ne fera que lui rendre la pareille deux ans plus tard.
Il s’était, dit-on, comporté comme un caïd au congrès de Tripoli. Pour faire plaisir à ses tuteurs égyptiens autant que par conviction personnelle, il dégomme le passé berbère de l’Algérie l’étriquant en province arabe. Ce sera son fameux : « Nous sommes arabes, nous sommes arabes, nous sommes arabes. »
Joignant l’acte à la parole, il fait venir toutes sortes d’artisans égyptiens proscrits par Nasser au motif de sympathie aux Frères musulmans, et met les élèves algériens entre leurs mains. Ce façonnement, on en verra le désastreux résultat quelques années plus tard.
Il instaure un régime sonore et musclé vis-à-vis des opposants, au point qu’Hassan II lui-même, qui n’était pas un parangon de démocratie, le qualifie de « dictature tempérée par l’anarchie ».
Ben Bella s’accommode bien d’un système policier et militaire qui finira par le dévorer.

Un coup socialiste, un coup islamiste, sa seule fidélité est, en définitive, une détestation chronique et rédhibitoire des combattants de l’intérieur, en particulier d’Abane Ramande et un rejet durable des résolutions du Congrès de la Soummam qui remettait en cause l’architecture du pouvoir et de l’Algérie, tels que les imaginait l’arabo- islamiste socialisant qu’il était.

Il y a encore quelques mois, il s’en prenait à Abane Ramdane, Boudiaf et Aït Ahmed dans un entretien à Jeune Afrique. Il faisait de l’un « un agent du colonialisme », du deuxième un mauvais révolutionnaire ! Le troisième était « kabyle avant d’être algérien ».

Bon, on ne va pas finir sur une note mauvaise ! Il semble que, dans un tout tout récent entretien, il a révisé son opinion sur Abane Ramdane.

J’ai voulu, comme il se doit à la mort de quelqu’un, en faire l’éloge. Je n’ai pas trouvé mieux.

A. M.

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Les nécrologies du premier chef d’Etat de l’Algérie indépendante abondent. Le raccourci biographique de Kadi Ihsan restitue de manière vivante le parcours de celui qui fut d’abord connu comme footballeur de l’Olympique de Marseille.

AHMED BEN BELLA
VIE ET MORT D’UNE ICÔNE ANTICOLONIALE DU TIERS MONDE
CONTROVERSEE EN ALGÉRIE

par El Kadi Ihsane

11 avril 2012
Maghrebemergent

La mort d’Ahmed Ben Bella ce mercredi à Alger exhume une grande période du 20ème siècle, celle de la libération des peuples. Le premier président de l’Algérie indépendante est identifié dans le monde au combat de son pays pour sa souveraineté. En Algérie, les conditions de son accès au pouvoir en 1962 ont assombri son aura. Quatorze années de prison sous le régime de Houari Boumediène ont aussi flouté son nom. Son engagement anti-impérialiste et alter-mondialiste a ensuite restauré son image d’éternel rebelle écornée, toutefois, par son compagnonnage sans nuances avec quelques dictateurs arabes. Il restera son sourire emblématique de l’Algérie victorieuse.

La vie d’Ahmed Ben Bella, décédé ce mercredi à l’âge de 96 ans à son domicile algérois, est un roman du 20ème siècle. Décoré de la Croix de guerre au début de la Seconde Guerre mondiale au sein de du 141e Régiment d’infanterie alpine à Marseille, il a reçu trois ans plus tard la médaille militaire des mains du général de Gaulle pour son attitude héroïque dans la conquête du Monte Cassino, en Italie. Le jeune Ahmed a 27 ans et aurait dû mourir au front comme deux de ses frères, mobilisés pour libérer la France. Son entame de carrière de footballeur à l’Olympique de Marseille est déjà un vieux souvenir.

Les massacres du 8 mai 1945 arrivent alors. Radicalisation. Cinq années plus tard, lorsqu’éclate "l’affaire de l’OS", la branche armée du MTLD, l’organisation politique indépendantiste du mouvement national algérien, Ahmed Ben Bella est un autre homme. Il a succédé à Hocine Aït Ahmed, son complice et rival de toujours, à la tête de l’OS et se retrouve, à ce titre, être l’homme le plus recherché d’Algérie. Les deux hommes ont organisé une année plus tôt, le 5 avril 1949, l’attaque de la poste d’Oran, qui rapportera 3 millions de francs de l’époque aux préparatifs de l’insurrection armée, tout en passant aux yeux de la police coloniale pour un acte de banditisme.

Ahmed Ben Bella est arrêté en mai 1950 et aurait dû, en toute logique, connaître le sort de dizaines de militants nationalistes qui ont vécu la Guerre de libération comme prisonniers. Le sort en décidera autrement. Son évasion, le 12 mars 1952, de la prison de Blida avec son compère Ali Mahsas, met la ville sous état de siège. Les deux hommes sont réfugiés, par une nuit fraîche et pluvieuse, chez un militant du réseau. Imprévu, la famille a fêté la naissance d’un fils, la veille, et le quartier entier défile pour les félicitations. Ils se réfugient dans la niche du chien. « Ali a pris froid et s’est mis à tousser. Un cauchemar. J’ai dû l’étouffer toute une partie de la soirée. Nos têtes étaient mises à prix. Et les agents de la France pullulaient [1]. » Pour Ahmed Ben Bella, « les aboiements du chien, en couvrant la toux de Ali, ont été un allié » de son destin.

Une année plus tard le projet insurrectionnel est au creux de l’Histoire. Ahmed Ben Bella est dans une cache à Paris, isolé de l’organisation. Sans ressources, sans contacts. Un soir, il décide d’élargir le rayon de sa ronde quotidienne pour se dégourdir les jambes. Et tombe nez à nez avec Ali Mahsas. « Nous étions cachés dans le même quartier mais l’organisation a tout fait pour que nous ne le sachions pas. »

Ahmed Ben Bella a les détestations politiques tenaces. Son dédain inaltérable à l’égard des « centralistes » de Hocine Lahouel vient de là. La bureaucratie du comité central du MTLD embarquée dans l’électoralisme, notamment dans la gestion de la mairie d’Alger aux côtés des libéraux de Jacques Chevallier, est coupable, à ses yeux, d’avoir cherché à faire avorter le recours à la lutte armée. Le réseau des activistes commence à se reconstituer en France et en Algérie avant même l’éclatement de la crise entre Messali Hadj et le comité central du MTLD, en décembre 1953. Ahmed Ben Bella part au Caire.

La confiance de Nasser : pas toujours un atout

Une grande partie de la controverse autour du rôle d’Ahmed Ben Bella dans le déclenchement du 1er novembre 1954 vient de là. De sa relation au pouvoir nassérien en Egypte. « Tout est venu d’une assemblée générale organisée à Meydan Tahrir, dans le bureau arabe où tous les représentants des partis du Maghreb pleurnichaient en demandant une aide financière. J’ai pris la parole pour suggérer aux autorités égyptiennes de ne donner de l’argent qu’aux mouvements qui prennent les armes. » Les moukhabrate de Fethi Dib le repèrent. En quelques mois, il devient l’interlocuteur privilégié de Gamal Abdenasser dans le dossier algérien. « Très vite le courant est passé entre nous. Je ne saurais dire pourquoi. »

Ahmed Ben Bella est, à ce moment-là, favorable aux intonations de révolution arabe développées par le nassérisme naissant. Cela lui vaudra, plus tard, des inimités dans la direction révolutionnaire. En attendant, aux côtés de Mohamed Khider et de Hocine Aït Ahmed, il va devenir au Caire, de fait, l’homme fort de la "Délégation extérieure" de la branche activiste, regroupée en Algérie dans le "Comité des 22". Fin août 1954, sa rencontre d’une semaine à Tripoli avec la cheville ouvrière des préparatifs à l’intérieur, Mustapha Ben Boulaïd scelle l’Histoire. Au premier coup de feu en Algérie, l’Egypte apportera armes et soutien politique aux insurgés.

Deux mois plus tard, Paris désigne Le Caire et Ahmed Ben Bella comme les parrains du « complot armé » en Algérie. Le "mythe Ben Bella" est né. Les médias français ont choisi leur chef "fellaga", face à un mouvement traumatisé par la dérive de Messali Hadj qui a toujours refusé de se donner un leader. Pour la Main rouge aussi, l’organisation barbouzarde de la colonisation soutenue par le SDECE, Ben Bella est une cible prioritaire. Il a échappé à deux attentats, l’un à l’hôtel Excelsior, à Tripoli, où son assaillant est démasqué, et l’autre à l’hôtel Sémiramis, au Caire, où il a reçu un colis piégé.

Mais si Ahmed Ben Bella est le visage de la rébellion à l’extérieur, il cesse symboliquement d’en être un dirigeant de premier plan en août 1956, avec le congrès de la Soummam. La controverse entre l’intérieur et l’extérieur au sein du FLN est devenue, avec le temps, une polémique posthume entre lui et Abane Ramdane, l’architecte de l’organisation à l’intérieur, accusé d’avoir tenté d’écarter les déclencheurs de l’insurrection au profit des « centralistes » et des "tard-venus" à la Révolution. Le rapt de l’avion des dirigeants du FLN, le 22 octobre 1956, évite à la direction de la Révolution algérienne une grave crise politique.

L’arrestation des "cinq de l’avion" permet surtout au mythe Ben Bella de s’entretenir en détention. À l’abri des intrigues de l’extérieur. Ahmed Ben Bella a toujours souffert de ne pas avoir été présent au congrès qui a structuré l’insurrection. « Avec Khider, nous devions assister au congrès. Nous nous sommes rapprochés des frontières et attendions un message codé pour entrer et atteindre le lieu de la réunion. Il ne nous a jamais été envoyé. Nous avons appris, un mois plus tard, que le congrès s’était tenu sans nous. » Le sujet fait controverse à nos jours.

Le visage de l’Algérie victorieuse va pâlir

La vie du premier président de l’Algérie indépendante est une succession d’aboiements de chiens amis. Qui font pencher la chance du bon côté. L’état-major de l’ALN est en guerre ouverte contre le GPRA au moment du dénouement des négociations avec Paris. Houari Boumediène ne peut pas être, en 1962, un leader de rechange face aux historiques du FLN. Le très jeune Abdelaziz Bouteflika est dépêché en France, auprès des otages de l’avion, pour esquisser une alliance contre le gouvernement provisoire. Mohamed Boudiaf passe en travers. Ahmed Ben Bella percute. Il ne profitera pas de sa victoire politique au sein du CNRA de Tripoli sans recourir aux armes de l’armée des frontières. C’est l’affrontement fratricide de l’été 1962. Le mythe est ébréché une première fois.

La "Guerre des sables" contre le Maroc, en 1963, lui donne l’occasion de renouer avec ce qu’il sait faire le mieux : « l’agit-prop ». Ben Bella lance à la foule à Alger : « Ya khaouti hagrouna El Merrakchia » et provoque un exode populaire vers Tindouf. La guérilla du FFS à partir de septembre 1963 accélère le délitement de son autorité. Il a besoin de l’ANP de Houari Boumediène. Et malgré un nouveau succès politique de son courant au congrès du FLN d’avril 1964, son mode de gouvernement est de plus en plus contesté. Le président est plus à l’aise dans la lutte politique contre les dominants. Avec les décrets de l’autogestion en 1963, il ancre naturellement l’Algérie à gauche mais s’avère un piètre gestionnaire. « On m’a reproché tant de choses pour les deux ans et neuf mois où j’étais à la tête du pays. Les gens ne se souviennent pas dans quel état était l’Algérie en 1962, après le départ d’un million d’Européens, qui encadraient l’économie et les institutions », déplore-t-il. Sans doute en partie à juste raison.

Pendant sa présidence, Ahmed Ben Bella, resté populaire chez les plus démunis, travaille son image dans le monde. Il incarne l’Algérie victorieuse, traite d’égal à égal avec de Gaule, qui ne cache pas son respect pour l’ancien sous-officier devenu résistant puis homme d’Etat. Il brave les Etats-Unis en quittant directement New York pour La Havane, sous embargo, après une session de l’Assemblée générale des Nations unies, soutient activement les mouvements de libération en Afrique et dans le monde, reçoit longuement Che Guevara à Alger. Si le rapt de l’avion de 1956 a donné une seconde chance à la vie politique d’Ahmed Ben Bella, le coup d’Etat militaire du 19 juin 1965 solde un pan de sa vie. Le plus homérique. Plus rien ne sera plus comme avant.

« Prenez bien soin de Tipasa »

Les 40 dernières années de la vie Ahmed Ben Bella, depuis sa libération au début de l’ère du président Chadli Benjedid, scandent le même personnage dans un monde qui a changé. Engagement, anti-impérialisme, accompagnement du mouvement altermondialiste, dénonciation de la pauvreté, convictions écologiques...

Ahmed Ben Bella devient le VIP d’une planète aux luttes renouvelées. Il a tenté de rester de son temps. C’est sans doute en 1986 qu’il y parviendra le plus, en lançant, avec Hocine Aït Ahmed, l’appel de Londres pour « la démocratie en Algérie ». Une initiative qui a ébranlé le régime algérien en début de crise et permis à Ahmed Ben Bella de redevenir un acteur politique important après l’ouverture de l’après-Octobre 1988.

Réconciliateur durant la guerre civile algérienne des années 1990, Ahmed Ben Bella était signataire du "Contrat national" à Rome, en 1995, pour un retour à la paix politiquement négocié avec le FIS. Paradoxalement, c’est le retour au pouvoir d’un homme du "Clan d’Oujda", Abdelaziz Bouteflika, responsable de l’effacement du nom d’Ahmed Ben Bella de la mémoire algérienne durant 13 ans, qui va lui permettre d’être enfin reconnu. Par le régime. Il a été traité durant l’ère Bouteflika comme un président de la république, avec résidence et protocole dédiés. L’insurgé s’est assagi. Il a joué un rôle de facilitateur politique auprès du président qui avait manigancé sa perte en 1965. Il avait l’oreille de Bouteflika. Même les services de sécurité ont utilisé le canal de l’ancien président pour faire parvenir des messages à celui-ci, notamment en 2004, pour qu’il conserve Ahmed Ouyahia comme Chef du gouvernement après sa réélection.

L’époustouflante longévité de l’assaillant de Monte Cassino en 1943, l’a peut-être parfois desservi. Ahmed Ben Bella s’est souvent embarqué dans des polémiques peu fertiles sur le rôle des acteurs dans le mouvement national et la Guerre de libération nationale. Son arabisme peu actualisé l’a fait passer pour un anti-kabyle primaire, et son traitement parfois nuancé parfois abrupt, de la mémoire d’Abane Ramdane ne l’a pas aidé dans ses dénégations. De même, son amitié déclarée avec Saddam Hussein et Mouaamar Kadhafi a marqué les limites de sa clairvoyance politique.

Ahmed Ben Bella a fait deux grandes rencontres dans sa vie : le mouvement national et Zohra Sellami. Un jour de 1963, le cortège présidentiel passe au pied de la rédaction de "Révolution Africaine", près de la Grande-Poste, au centre d’Alger. Sur le balcon, tous les présents applaudissent sauf une jeune femme. Ahmed Ben Bella la fixe du regard. Et ne l’oubliera plus. Près de dix années plus tard, détenu au château de Douéra, près d’Alger, depuis son renversement en juin 1965, il demande une faveur à son geôlier, Houari Boumediène. Une compagne. Les amis du président déchu proposent à Zohra Sellami de devenir l’épouse du mythique président, disparu des regards depuis si longtemps. Elle dit oui. À leur rencontre sur son lieu de détention, il lui dit : « Je savais que ce serait toi. » Le couple fusionnel qui en est né a fait d’Ahmed Ben Bella un vieil homme heureux et bien portant. Jusqu’à ce jour de mars 2010, où Zohra s’est éteinte à 67 ans. Pour son entourage, les jours de H’mimed étaient, dès lors, comptés.

Ahmed Ben Bella est tombé malade au début de l’année 2012. Il a survécu à deux séjours à l’hôpital. Il a trouvé la force, il y a deux semaines, de faire un dernier pèlerinage. Il a pris un thé au pied du mont Chenoua. Aux badauds qui le saluaient, il a dit : « Prenez bien soin de Tipaza. »

El Kadi Ihsane, 11 avril 2012 Maghrebemergent.com

Sources :

maghremergent

blog algerieinfos : Samedi 14 avril 2012 - Vie et mort d’Ahmed Ben Bella

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DÉCÈS DE AHMED BEN BELLA
UN DES LEADERS HISTORIQUES
DE L’ INDÉPENDANCE ALGÉRIENNE

message de Sadek Hadjerès.

Suivant le cours irréversible de la Vie, disparaît aujourd’hui l’un des acteurs historiques de ma génération, ceux qui avaient engagé et guidé le combat héroïque et massif de tout un peuple en levant le drapeau de l’indépendance.

Ahmed Ben Bella a représenté longtemps, pour de larges secteurs des opinions nationale et mondiale, un des leaders et un symbole - contesté mais réel - des aspirations et des luttes algériennes pour la liberté et la justice sociale.

Son parcours et ses positions patriotiques et idéologiques, quelquefois déconcertantes, ont porté l’empreinte des conditions complexes, contradictoires et tourmentées qui ont marqué notre pays, sa société et son environnement international. L’interdiction du Parti Communiste Algérien dès novembre 1962, prélude à d’autres malfaisances du parti unique, a été un des premiers coups portés à la Nation et aux fruits de l’indépendance.

Avec la disparition du premier président de la République algérienne libérée en 1962 des formes les plus barbares du joug colonial, l’heure est à la compassion et au recueillement envers la famille du disparu, ses proches et ses amis politiques. Elle est au respect envers la mémoire du premier chef de l’Etat qui, à travers les embûches des rivalités de pouvoir, a cherché à s’identifier - et en était persuadé - aux espoirs et aux préoccupations de ses compatriotes.

À l’heure où l’Algérie ’affronte une situation et des dangers encore plus grands que ceux de l’été 1962 et des années suivantes, l’hommage le plus fécond à rendre par ses compatriotes et par l’Histoire au leader politique sera le bilan objectif établi dans la sérénité, non pas celui d’une personne mais de toute l’époque, pour tirer les enseignements les plus constructifs de novembre 1954 à nos jours

Que la Paix et la cohésion nationale soient les fruits prioritaires de l’indépendance, garantis par les libertés démocratiques et la justice sociale

Sadek HADJERES

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AHMED BEN BELLA - ENTRETIEN :
RECUEILLI PAR SILVIA CATTORI
le 16 avril 2006

Ahmed Ben Bella : « J’ai vécu 24 ans et demi en prison »

Le premier président de l’Algérie indépendante (1963-1965) Ahmed Ben Bella s’est éteint en ce 11 avril 2012 à l’âge de 96 ans. A l’heure de son décès investig’action rediffuse l’entretien qu’il avait accordé à Genève le 16 avril 2006 à Silvia Cattori

Ahmed Ben Bella est une des hautes figures du nationalisme arabe. Il fut l’un des neufs membres du Comité révolutionnaire algérien qui donna naissance au Front de Libération Nationale (FLN). Arrêté par l’occupant français en 1952, il s’évade. Arrêté de nouveau en 1956, avec cinq autres compagnons, il est détenu à la prison de la Santé jusqu’en 1962. Après la signature des accords d’Évian, il devient le premier président élu de l’Algérie indépendante.

Sur le plan intérieur, il mène une politique socialiste caractérisée par un vaste programme de réforme agraire. Sur le plan international, il fait entrer son pays à l’ONU et l’engage dans le mouvement des non-alignés. Son influence grandissante dans la lutte contre l’impérialisme conduisent de grandes puissances à favoriser son renversement par un coup d’État militaire. Il est placé en résidence surveillée de 1965 à 1980. Depuis lors, il s’est tenu à l’écart des affaires intérieures de son pays, mais continue à jouer un rôle international, notamment en tant que président de la Campagne internationale contre l’agression en Irak.

Alors que se développe en France un débat malsain sur les bienfaits de la colonisation et sur la responsabilité des Arabes dans le blocage de leurs sociétés, le président Ahmed Ben Bella rappelle quelques vérités historiques : l’illégitimité de la domination d’un peuple sur un autre -que ce soit hier en Algérie ou aujourd’hui en Palestine-, la réalité mondiale -et non pas arabe- de la colonisation et des luttes de libération nationale, l’ingérence occidentale pour renverser les gouvernements nationalistes et révolutionnaires du Sud et maintenir les séquelles de la colonisation.
Acteur central de bouleversements historiques, il répond aux questions de Silvia Cattori.

Pour accéder à l’entretien cliquer sur le lien :

http://www.michelcollon.info/Ahmed-Ben-Bella-J-ai-vecu-24-ans.html#top

pour télécharges, format pdf téléchargeable
cliquer sur le lien

http://www.michelcollon.info/IMG/article_PDF/article_a3683.pdf

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LE PARCOURS D’UN DES LEADERS HISTORIQUES
DE L’INDÉPENDANCE
ALGÉRIENNE

LE PREMIER PRÉSIDENT S’EN VA :
AHMED BEN BELLA EST MORT

VU PAR LEQUOTIDIEN D’ORAN

par Salem Ferdi

Le premier président de l’Algérie indépendante (1962-1965), Ahmed Ben Bella, est décédé mercredi à l’âge de 96 ans à son domicile familial à Alger.

L’état de santé d’Ahmed Ben Bella s’était fortement dégradé ces dernières semaines et il avait été admis à deux reprises à l’hôpital militaire d’Aïn Naâdja. L’ancien président de la République souffrait de problèmes respiratoires. Certains médias s’étaient empressés, à tort, d’annoncer son décès. C’est donc un des chefs historiques de la révolution qui s’en va à la veille de la commémoration du cinquantième anniversaire de l’indépendance. L’homme fut l’icône médiatique de la révolution dont il a été, avec de nombreux militants de l’OS, l’un des précurseurs. Une révolution dont il a accompagné la montée et les divisions qui se sont prolongées après l’indépendance.

Né le 25 juin 1916 à Maghnia, dans une famille d’agriculteurs modestes originaire de Marrakech, Ben Bella a fait l’école secondaire de Tlemcen, études qu’il ne poursuivra pas jusqu’au bout. Ce passionné de football - il a joué dans l’équipe de Maghnia mais également à l’Olympique de Marseille pour la saison 1939-40 - faisait partie, en tant qu’adjudant, de ceux qui menèrent la célèbre et dure bataille de Monte Cassino (Italie) en 1944. Comme pour beaucoup d’hommes de sa génération, les massacres du 8 mai 1945 ont constitué un tournant décisif vers la radicalisation nationaliste. Il est en 1945 responsable de la section locale (Maghnia) du PPA et il est élu conseiller municipal. Il participe, avec Hocine Aït Ahmed, alors responsable de l’OS, Organisation secrète, à la fameuse attaque contre la poste d’Oran pour financer l’organisation. Il remplacera Hocine Aït Ahmed à la tête de l’OS en 1949.

Quand l’Organisation secrète fut découverte en 1950, il en est toujours le dirigeant. Arrêté, Ahmed Ben Bella a été condamné à 7 ans de prison mais réussit à s’évader de la prison de Blida en mars 1952. Il rejoint la délégation extérieure du PPA-MTLD au Caire. Il fait partie des historiques qui ont décidé du déclenchement de la guerre de libération le 1er novembre 1954. Il est arrêté le 22 octobre 1956 avec d’autres dirigeants du FLN (Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Khider, Mostefa Lacheraf) dans le premier détournement d’avion de l’histoire commis par l’armée coloniale le 22 octobre 1956. Il fait partie de ceux qui ont contesté le Congrès de la Soummam et ses jugements sur Abane Ramdane ont continuellement suscité des polémiques.

A l’indépendance, allié à l’Etat-Major général, le fameux « Groupe d’Oujda » contre le GPRA, Ahmed Bella s’impose premier président de la République algérienne. C’est le temps du discours révolutionnaire et socialiste. Et d’une gouvernance assez chaotique dans un pays sans cadres et éprouvé par une guerre violente. Certains diront que cette intronisation à l’indépendance n’était que le premier étage du coup de force qui s’accomplira, le 19 juin 1965, par le coup d’Etat mené par le ministre de la Défense, Houari Boumedienne. Ben Bella restera en prison, sans jugement, jusqu’en octobre 1980, où il est libéré sur décision du président Chadli Bendjedid.

RETOUR

Exilé en Suisse, il lance le MDA (Mouvement pour la démocratie en Algérie). Ahmed Ben Bella revient, par bateau, après les émeutes d’octobre. Il en restera un méchant papier outrancier de l’APS intitulé « Qui êtes-vous M. Ben Bella » qui avait profondément choqué. Mais le retour politique escompté et espéré par ses partisans n’a pas eu lieu. L’Algérie avait changé. Une autre « vague » montait, celle de l’islamisme. L’ancien président de la République a pris position contre l’arrêt du processus électoral en janvier 1992. Il fait partie, en janvier 1995, des signataires de la plate-forme du Contrat national (Sant’Egidio), un acte qui suscitera un déchaînement médiatique sans précédent orchestré par le pouvoir.

A l’arrivée au pouvoir de Bouteflika en 1999, il lui exprime son soutien. Il le restera jusqu’au bout estimant que le président réalise effectivement l’objectif de réconciliation nationale. L’un des paradoxes de Ben Bella est qu’il a été l’un des plus féroces critiques du chadlisme alors qu’il avait été libéré par Chadli Bendjedid. Et l’un des plus fervents soutiens de Bouteflika alors qu’il faisait partie du… 19 juin 1965. Le premier président de la République algérienne s’en va à moins de 4 mois du cinquantenaire. Allah yerahmou !

Sources“ Le Quotidien d’Oran”
le 12 avril 2012

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[1Les citations dans cet article proviennent d’entretiens de l’auteur avec Ahmed Ben Bella.

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