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LETTRE à JEAN FERRAT, par Philippe Torreton

mardi 1er mai 2012

Jean, J’aimerais te laisser tranquille, au repos dans cette terre choisie. J’aurais aimé que ta
voix chaude ne serve maintenant qu’à faire éclore les jeunes pousses plus tôt au printemps, la
preuve, j’étais à Entraigues il n’y a pas si longtemps et je n’ai pas souhaité faire le pèlerinage.
Le repos c’est sacré !

Philippe Torreton (Hamlet) en 2011
au Château de Grignan© Olivier Perriraz

Pardon de t’emmerder, mais l’heure est grave, Jean. Je ne sais pas si là où tu es tu ne reçois
que Le Figaro comme dans les hôtels qui ne connaissent pas le débat d’idées, je ne sais pas si
tu vois tout de là-haut, ou si tu n’as que les titres d’une presse vendue aux argentiers proche
du pouvoir pour te tenir au parfum, mais l’heure est grave !

Jean, écoute-moi, écoute-nous, écoute cette France que tu as si bien chantée, écoute-là
craquer, écoute la gémir, cette France qui travaille dur et rentre crevée le soir, celle qui paye
et répare sans cesse les erreurs des puissants par son sang et ses petites économies, celle qui
meurt au travail, qui s’abîme les poumons, celle qui se blesse, qui subit les méthodes de
management, celle qui s’immole devant ses collègues de bureau, celle qui se shoote aux
psychotropes, celle à qui on demande sans cesse de faire des efforts alors que ses nerfs sont
déjà élimés comme une maigre ficelle, celle qui se fait virer à coups de charters, celle que l’on
traque comme d’autres en d’autres temps que tu as chantés, celle qu’on fait circuler à coups
de circulaires, celle de ces étudiants affamés ou prostitués, celle de ceux-là qui savent déjà
que le meilleur n’est pas pour eux, celle à qui on demande plusieurs fois par jour ses papiers,
celle de ces vieux pauvres alors que leur corps témoignent encore du labeur, celle de ces
réfugiés dans leur propre pays qui vivent dehors et à qui l’on demande par grand froid de ne
pas sortir de chez eux, de cette France qui a mal aux dents, qui se réinvente le scorbut et la
rougeole, cette France de bigleux trop pauvres pour changer de lunettes, cette France qui
pleure quand le ticket de métro augmente, celle qui par manque de superflu arrête l’essentiel...

Jean, rechante quelque chose je t’en prie, toi, qui en voulais à d’Ormesson de déclarer, déjà
dans Le Figaro, qu’un air de liberté flottait sur Saïgon, entends-tu dans cette campagne mugir
ce sinistre Guéant qui ose déclarer que toutes les civilisations ne se valent pas ? Qui pourrait
le chanter maintenant ? Pas le rock français qui s’est vendu à la Première dame de France.
Écris-nous quelque chose à la gloire de Serge Letchimy qui a osé dire devant le peuple
français à quelle famille de pensée appartenait Guéant et tous ceux qui le soutiennent !

Jean, l’Huma ne se vend plus aux bouches de métro, c’est Bolloré qui a remporté le marché
avec ses gratuits. Maintenant, pour avoir l’info juste, on fait comme les poilus de 14/18 qui ne
croyaient plus la propagande, il faut remonter aux sources soi-même, il nous faut fouiller dans
les blogs... Tu l’aurais chanté même chez Drucker cette presse insipide, ces journalistes
fantoches qui se font mandater par l’Élysée pour avoir l’honneur de poser des questions
préparées au Président, tu leur aurais trouvé des rimes sévères et grivoises avec vendu...

Jean, l’argent est sale, toujours, tu le sais, il est taché entre autres du sang de ces ingénieurs
français. La justice avance péniblement grâce au courage de quelques uns, et l’on ose donner
des leçons de civilisation au monde...

Jean, l’Allemagne n’est plus qu’à un euro de l’heure du STO, et le chômeur est visé, insulté,
soupçonné. La Hongrie retourne en arrière ses voiles noires gonflées par l’haleine fétide des
renvois populistes de cette droite "décomplexée".

Jean, la montagne saigne, son or blanc dégouline en torrents de boue, l’homme meurt de sa
fiente carbonée et irradiée, le poulet n’est plus aux hormones mais aux antibiotiques et nourri
au maïs transgénique. Et les écologistes n’en finissent tellement pas de ne pas savoir faire de
la politique. Le paysan est mort et ce n’est pas les numéros de cirque du Salon de
l’Agriculture
qui vont nous prouver le contraire. Les cowboys aussi faisaient tourner les
derniers indiens dans les cirques. Le paysan est un employé de maison chargé de refaire les
jardins de l’industrie agroalimentaire. On lui dit de couper, il coupe ; on lui dit de tuer son
cheptel, il le tue ; on lui dit de s’endetter, il s’endette ; on lui dit de pulvériser, il pulvérise ; on
lui dit de voter à droite, il vote à droite... Finies les jacqueries !

Jean, la Commune n’en finit pas de se faire massacrer chaque jour qui passe. Quand
chanterons-nous "le Temps des Cerises" ? Elle voulait le peuple instruit, ici et maintenant on
le veut soumis, corvéable, vilipendé quand il perd son emploi, bafoué quand il veut prendre sa
retraite, carencé quand il tombe malade... Ici on massacre l’École laïque, on lui préfère le
curé, on cherche l’excellence comme on chercherait des pépites de hasards, on traque la
délinquance dès la petite enfance mais on se moque du savoir et de la culture partagés...

Jean, je te quitte, pardon de t’avoir dérangé, mais mon pays se perd et comme toi j’aime cette
France, je l’aime ruisselante de rage et de fatigue, j’aime sa voix rauque de trop de luttes, je
l’aime intransigeante, exigeante, je l’aime quand elle prend la rue ou les armes, quand elle se
rend compte de son exploitation, quand elle sent la vérité comme on sent la sueur, quand elle
passe les Pyrénées pour soutenir son frère ibérique, quand elle donne d’elle même pour le plus
pauvre qu’elle, quand elle s’appelle en 54 par temps d’hiver, ou en 40 à l’approche de l’été. Je
l’aime quand elle devient universelle, quand elle bouge avant tout le monde sans savoir si les
autres suivront, quand elle ne se compare qu’à elle même et puise sa morale et ses valeurs
dans le sacrifice de ses morts...

Jean, je voudrais tellement t’annoncer de bonnes nouvelles au mois de mai... Je t’embrasse.

Philippe Torreton - 29 Avril 2012

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