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L’ULTRALIBÉRALISME SAPE LES BASES DE LA COHÉSION NATIONALE ET DU CONSENSUS SOCIAL

Hocine Belalloufi, dans "Les Débats" et dans "LIBERTÉ"

samedi 26 mai 2012

Cet entretien de Hocine Bellaloufi, paru dans "Les Débats" et prolongé dans "Liberté", constitue, par sa densité, un texte tout à fait approprié à alimenter les efforts de réflexion, de débats, d’études et d’éducation recherchés par tous ceux qui dans les milieux associatifs, syndicaux, politiques ou institutionnels sont en quête de réponses et solutions aux problèmes complexes liés au besoin d’action unitaire pour des changements radicaux, pacifiques et unitaires dans le pays, le régime et la société.
Ce texte est opportunément complété par l’entretien accordé par Hocine Bellaloufi au quotidien Liberté. Ce dernier s’appuie sur des constats, des états des lieux concrets et évoque des scénarios évolutifs. Il ouvre ainsi des pistes de réflexion aux différents acteurs nationaux en leur faisant prendre conscience de nombre d’intérêts communs de nature à les inciter à construire dans l’action une ligne politique convergente de sauvegarde sociale et démocratique d’une Algérie souveraine

Les Débats, quotidien
le 21 mai 2012

Dans l’entretien qui suit, notre confrère Hocine Belalloufi, auteur de l’essai La démocratie en Algérie. Réforme ou révolution ?, (coédité par les Maisons d’édition APIC et Lazhari Labter, mai 2012), s’exprime sur le challenge démocratique. Une question d’actualité qui ne peut faire l’impasse sur la crise algérienne, encore moins sur les luttes des clans au sein du régime et sur les raisons du « réalisme politique » des Algériens.

Interview réalisée par Z’hor Chérief

Les Débats : Dans votre ouvrage, vous plaidez pour une bonne interprétation de la société algérienne et en même temps pour sa transformation. À quoi visent ces deux exigences ?

Hocine Belalloufi : Il n’y a pas, selon moi, de séparation absolue entre connaissance et action. La vision dominante consiste à les séparer, voire à les opposer.
La connaissance serait le produit d’intellectuels retranchés dans leur tour d’ivoire, totalement à l’abri des intempéries de l’histoire, entièrement détachés des servitudes humaines et adeptes d’une prétendue objectivité rabaissée au rang d’une vulgaire neutralité. Armés de la connaissance avec un grand « C », ils appréhenderaient le monde et nous l’expliqueraient.
De l’autre, il y aurait les « acteurs politiques » qui agissent et participent directement à la transformation. Mus par la passion, ils seraient de ce fait incapables ou éprouveraient au moins beaucoup de difficultés à prendre le recul nécessaire pour saisir correctement le monde.

Je ne me reconnais pas dans cette vision dichotomique que je caricature à peine. Je considère que toute démarche de transformation qui se veut rationnelle et rigoureuse doit intégrer en son sein le moment de l’action.
L’action, en politique comme dans les sciences de la nature, constitue le moment de validation ou d’invalidation des connaissances acquises. Aussi doit-il exister un mouvement perpétuel de va-et-vient entre action et réflexion ? Il ne s’agit pas là de contraindre chaque chercheur à passer sa matinée au laboratoire et l’après-midi sur le terrain de l’action. Pas plus qu’il ne s’agit d’obliger chaque politique à consacrer une partie de sa journée à l’étude. Mais, il faut intégrer la réflexion et l’action comme deux moments unis et opposés à la fois du processus de la connaissance. Et il faut comprendre que l’objectivité n’est pas la neutralité, mais l’aptitude à appréhender la réalité telle qu’elle est, indépendamment de notre conscience.
C’est pourquoi, en politique, les partis politiques peuvent être et doivent absolument tendre à être des « intellectuels collectifs », qui, quand ils fonctionnent correctement, sont beaucoup plus performants que tous les départements des sciences politiques de la planète. Ils sont beaucoup plus performants, parce qu’ils repassent à la pratique en permanence et vérifient la validité de leurs thèses. Ces thèses transforment-elles la réalité ou échouent-elles à le faire ? Un parti est une équipe de chercheurs, dont le laboratoire est la société, et l’action, le moyen d’expérimentation.

Mais, pour éviter toute interprétation étroite de ce que je viens de dire, il convient d’ajouter que le travail effectué par les universitaires et autres chercheurs, même solitaire – bien que jamais isolé – participe, de son côté, à alimenter ces « intellectuels collectifs ».

Vous abordez la crise algérienne et vous la qualifiez de « crise entre les classes et fractions de classes dominantes ». Pourriez-vous être plus explicite ?

Hocine Belalloufi : Il y a deux dimensions dans la crise algérienne. La première renvoie aux contradictions entre, d’une part, les classes et fractions de classes dominantes – par exemple, la bourgeoisie d’Etat, la bourgeoisie privée, les grands propriétaires terriens durant les premières décennies de l’indépendance – qui forment ce qu’on appelle le « bloc social dominant » et, d’autre part, les classes dominées, classe ouvrière et, plus généralement le prolétariat, petite bourgeoisie. Ce sont ces contradictions qui motivent et expliquent en dernière instance les choix économiques, les luttes sociales et politiques ainsi que les controverses idéologiques. Il s’agit donc d’une lutte entre ceux d’en haut et ceux d’en bas.

Mais la crise est également une crise entre les classes et fractions de classes du bloc social dominant. Celles-ci sont alliées, ce qui implique une situation d’unité et de lutte pour savoir qui dirigera l’alliance. La capacité d’hégémonie, c’est l’aptitude à diriger et à être accepté comme tel par ceux que l’on dirige. Elle intègre en un seul toutes les dimensions de force et de consentement. Il existe donc une rivalité permanente entre les différentes classes et fractions de classes. Dans certaines circonstances, cette rivalité s’exacerbe et prend la dimension d’une crise : une classe ou une fraction de classe ou un ensemble se révolte et vient contester la domination de la force dominante. Cela provoque une crise où ceux d’en haut luttent les uns contre les autres, s’opposent, parfois même violemment, entre eux, n’arrivent plus à cohabiter sous la forme sous laquelle ils l’ont faite jusque-là. C’est la crise d’hégémonie.

Pourquoi cette crise d’hégémonie provoque-t-elle, selon vous, une crise du régime et l’empêche-t-elle de se démocratiser ?

Hocine Belalloufi : On a souvent tendance, chez nous, à mettre le refus de la démocratisation du régime sur le compte du personnel et des appareils politiques qui dirigent l’Etat. On explique que les dirigeants du pays ne veulent rien lâcher, qu’ils considèrent l’Algérie comme un bien dont ils sont les seuls dépositaires… Cela est sans doute vrai. Mais il s’agit là de la dimension subjective du problème, liée à l’histoire de la formation politique et idéologique nationale née au cours de la colonisation et développée dans les conditions particulièrement difficiles de la guerre de Libération nationale. Il existe cependant une dimension objective, indépendante de la volonté des individus, pour expliquer aussi l’impossible démocratisation du régime. La politique d’infitah menée depuis 30 ans a brisé le consensus social forgé au cours des deux premières décennies de l’Indépendance. Elle a polarisé la société entre une minorité qui a spolié et qui continue de spolier les biens qui appartenaient, par le biais du caractère public de la propriété, à la société, et une majorité qui s’enfonce dans la misère. Pis encore, elle a brisé le consensus national en bradant des pans entiers de notre économie à des puissances financières et économiques étrangères qui n’ont aucun souci de l’intérêt de notre peuple.

Une telle politique sape les bases de la cohésion sociale et nationale. Elle ne peut être durablement acceptée par la population qui se révolte. La révolte, ne serait-ce que sociale mais qui est aussi politique, ne s’est pas arrêtée depuis 30 années : grèves et émeutes sous Chadli, durant la décennie de guerre civile et depuis 2001. Cette révolte perlée, permanente, a été ponctuée par des explosions violentes en 1988, 2001 et 2011. Elle contraint donc les promoteurs de la politique libérale à la faire passer de force, de manière autoritaire. La libéralisation économique ne peut s’accompagner de démocratie, car son coût est inacceptable pour ses victimes. Il faut donc un régime autoritaire, voire une dictature, pour l’appliquer.

Le consensus social et national, c’est-à-dire la capacité hégémonique, constitue la base matérielle de toute démocratie. Qu’il vienne à manquer et la démocratie est en danger. L’absence de démocratie ne provient donc pas, contrairement à ce qu’affirme la vision raciste du néocolonialisme, de l’absence de « culture démocratique » dans nos sociétés.

En évoquant le changement dans la région arabe, vous parlez de la « prudence » du peuple algérien. À quelle logique obéit cette démarche ?

Hocine Belalloufi : La prudence du peuple algérien n’est pas univoque. Elle obéit certainement à plusieurs facteurs. Je ne crois pas qu’elle obéisse à la volonté de défendre le statu quo. Il n’y a qu’à observer l’ampleur des luttes sociales qui contraignent le gouvernement à céder sur nombre de revendications pour s’apercevoir que le peuple aspire au changement. Lorsque l’on voit que la majorité de la nouvelle APN a été élue par près de 2 millions d’électeurs (en acceptant les chiffres officiels), on se dit que le soutien au régime actuel n’est pas massif. Mais, le peuple sent en même temps que le changement auquel il aspire nécessite une alternative sérieuse, forte et crédible. Il a vu ce qu’a donné l’alternative du FIS. Il voit ce qu’a donné l’alternative à Kadhafi en Libye. Il perçoit ce que pourrait être l’alternative en Syrie, si les grandes puissances impérialistes, leurs alliés régionaux (Qatar, Arabie Saoudite, Turquie…) et leurs relais locaux prenaient le pouvoir. Il observe la situation au Mali.

Changer, oui, mais pour gagner, pas pour perdre. Je pense que le peuple algérien fait preuve de beaucoup de réalisme politique sans pour autant cesser de lutter pour le changement. Il revient aux forces politiques d’adapter leurs tactiques à cette réalité.

Les résultats des législatives du 10 mai renforcent-elles votre constat, à savoir qu’il ne faut pas confondre « vitesse et précipitation » ?

Hocine Belalloufi : Vérités stratégiques et vérités tactiques peuvent coïncider comme elles peuvent s’opposer, du moins en apparence. On peut donc considérer qu’il faut un changement de régime, que l’actuel est incapable de se démocratiser – il vient d’en faire la magnifique démonstration – mais que les conditions, en particulier subjectives, ne sont pas encore réunies. C’est pourquoi, il convient, aujourd’hui, de privilégier les batailles concrètes sur le terrain des libertés démocratiques : droits d’organisation politique et syndical, de grève, de réunion, d’expression, loi électorale, contrôle des élections… Lutter contre la répression… C’est ce travail à la fois patient et en profondeur que réalisa le mouvement national dans l’entre-deux-guerres mondiales. L’accélération de l’histoire au sortir du second conflit mondial découla du terrible massacre colonial du 8 mai 1945 et de la montée impétueuse, à l’échelle internationale, du mouvement de libération nationale (Inde, Chine, Vietnam…).

Pour résumer, c’est l’arrivée à maturation des contradictions qui ouvre un champ de possibilités dans lequel les forces sociales et politiques doivent savoir s’engager. C’est là tout l’art de la politique.

Z. C.


Hocine Belalloufi - auteur de :

“La démocratie en Algérie : Réforme ou révolution ?”

“La rupture avec le régime est incontournable”

par : Hafida Ameyar

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Après “Grand Moyen-Orient : guerres ou paix ?”, le journaliste et analyste Hocine Belalloufi vient de publier un nouvel ouvrage, “La démocratie en Algérie. Réforme ou révolution ?”, coédité par les maisons d’édition Apic et Lazhari-Labter.
Dans cette interview, notre confrère s’explique sur le choix d’un tel thème et certains points développés dans son essai. Notamment la nécessité de poursuivre la bataille pour la démocratie, pour permettre “le recouvrement de la souveraineté populaire (…) avec le moins de casse et de bavure possible”.

Liberté : À la veille du cinquantenaire de l’indépendance politique de l’Algérie, tu publies un essai, dans lequel tu nous soumets une analyse de près de 50 ans d’indépendance. Pourquoi cet intérêt à interroger l’histoire et même l’actualité ?

Hocine Belalloufi : Mon intérêt pour l’histoire des cinquante dernières années s’explique par le fait que l’on ne peut comprendre la situation actuelle de notre pays sans retracer, au moins à grands traits, son parcours récent – cinquante ans, pour un pays, ce n’est rien. C’est ce parcours qui a façonné l’Algérie aujourd’hui. Il fallait donc tenter de restituer la dynamique économique, sociale, politique et idéologique contradictoire de cette période.

Quant à l’actualité, elle est caractérisée par des événements importants, tels que la célébration du cinquantenaire de l’indépendance nationale, la situation politique internationale et régionale marquée par un vent de révolte des peuples contre la domination politique de dictatures dans le monde arabe et des peuples européens contre la domination politico-économique des marchés financiers, ainsi que la situation en Algérie, marquée par une révolte sociale profonde et l’annonce de réformes politiques par le pouvoir. L’actualité, forgée par le passé, est en même temps ouverte et peut déboucher sur des scénarios différents, voire opposés. Il faut donc rester attentif à l’évolution des choses.

Pourquoi exclus-tu, dans la phase actuelle, l’idée du départ du régime ?

Hocine Belalloufi : Cette question renvoie à la conjoncture immédiate, c’est-à-dire au moment actuel de lutte. À l’heure qu’il est, il n’existe pas, à mon avis, d’alternative politique crédible, construite et solide. Et les catégories sociales qui se battent quotidiennement pour améliorer leur situation sociale, dégradée par la politique néolibérale, ne sont pas prêtes à investir la scène politique, pour exiger le départ de ce régime et son remplacement par un autre basé sur l’expression libre et renouvelée de la souveraineté populaire.
Comment, dans ces conditions, changer de régime ? En appelant les grandes puissances impérialistes à venir “nous libérer”, c’est-à-dire à nous asservir de nouveau directement ? Ceux qui n’avaient aucun recul politique ont pu voir concrètement ce qu’il est advenu de la “Libye libérée”.
Faut-il alors créer des groupes de choc dans les villes et des maquis dans les montagnes pour mener une guerre contre le régime ? Il s’agit là d’une voie sans issue et totalement erronée dont on a pu mesurer les conséquences au cours de la décennie 1990.

Il n’existe pas de raccourci pour ceux qui considèrent que le peuple est l’acteur du changement.

Pour changer de régime, il convient que le peuple le veuille et qu’il s’en donne les moyens. Il faut donc entamer un long et patient travail de sensibilisation, afin de l’aider à s’organiser d’abord autour de ses propres revendications, tout en convergeant vers un programme de changement politique.
Il n’existe pas de miracles en politique. Là comme ailleurs, seul le travail sérieux paie. Ce n’est peut-être pas très exaltant pour ceux qui subissent la situation depuis fort longtemps ou pour les jeunes qui rêvent de tout changer. Mais on ne peut faire l’économie de la construction d’une véritable alternative nationale, sociale et démocratique. Ensuite, contrairement à ce qu’affirment ceux qui pensent qu’il faudra un siècle pour que cela change, n’oublions pas que l’histoire connaît parfois des accélérations foudroyantes. Des facteurs non prévus, qui cheminaient de manière sous-jacente, peuvent réapparaître et modifier la situation en un instant. Des facteurs internationaux, nationaux, politiques, sociaux, internes ou externes au régime… Il faut prendre en considération ces événements lorsqu’ils surviennent, mais ne pas baser sa stratégie sur eux.

La revendication démocratique est une revendication qui intéresse tout le monde en Algérie. Pourquoi dis-tu que le “caractère interclassiste” de cette revendication est une chance pour notre pays ?

Hocine Belalloufi : Affirmer que la démocratie est une revendication interclassiste ne signifie pas forcément qu’elle intéresse tout le monde. Les dominants n’en veulent visiblement pas, si l’on se réfère au caractère inéquitable ni propre ni honnête du dernier scrutin législatif.
Mais il est vrai qu’elle intéresse toutes les classes, de manière différente cependant.
De même que le caractère autoritaire de notre régime ne veut pas dire que tous ceux qui sont en son sein s’opposent à la démocratie, alors que tous ceux qui sont à l’extérieur du régime seraient pour la démocratie. Le patronat privé a besoin de démocratie pour accélérer le processus de passage à l’économie de marché : privatisations, ouverture du marché national, aide massive de l’État… La petite bourgeoisie voudrait la démocratie pour élargir son horizon social bouché et peser davantage sur la décision politique. Les travailleurs et les couches populaires ont besoin de démocratie pour pouvoir se défendre (faire grève ou manifester sans risques), s’organiser, s’exprimer et porter leur propre projet politique. Cela peut constituer une chance dans la mesure où cela peut isoler les adversaires du changement démocratique. Plus ces adversaires seront minoritaires, plus ils seront isolés et plus le recouvrement de la souveraineté populaire s’opérera dans les meilleures conditions, avec le moins de casse et de bavure possible.
Le deuxième avantage de ce caractère interclassiste est qu’il permet, potentiellement, la formation d’un véritable consensus pour éviter les risques d’ingérence étrangère des grandes puissances ou de déstabilisation.
Si l’on prend le cas de la Tunisie, on s’aperçoit que la chute de Ben Ali a été rendue possible par la conjonction de trois facteurs : la révolte spontanée des classes populaires exclues du système économique, à la suite du sacrifice de Mohamed Bouazizi ; la révolte des travailleurs intégrés dans l’économie tunisienne (syndicalistes de l’UGTT en tête), des couches moyennes qui luttaient courageusement depuis des décennies (opposants, avocats…) et qui relayèrent la révolte des exclus ; enfin, le refus de l’armée d’intervenir, aux côtés de la police, contre la population en révolte. Ce dernier refus est l’expression de la rupture opérée entre le clan Ben Ali-Trabelsi qui s’était accaparé le pays et l’avait mis en coupe réglée et des secteurs de plus en plus larges de la bourgeoisie tunisienne exclus de la décision et d’espaces économiques de plus en plus vastes.

Tu laisses entendre que l’enracinement de la démocratie en Algérie est inséparable de la mise en place de stratégies et de tactiques des luttes. Que veux-tu dire au juste ?

Hocine Belalloufi : Le caractère très large de la revendication démocratique constitue, comme nous venons de le voir, une chance. Mais il existe en même temps de grandes différences dans la vision et l’application de cette démocratie. Les classes dominantes n’ont pas un besoin absolu de la démocratie pour faire des affaires.

La démocratie s’arrête souvent à la porte des entreprises. Observons comment la démocratie bourgeoise avancée d’Europe ou d’Amérique restreint de plus en plus la démocratie parlementaire, comment les marchés financiers dictent leur loi et imposent directement leurs représentants non élus à la tête des États… La démocratie peut même constituer un frein à l’appétit vorace de certaines fractions du capital.

Enfin, ces couches sociales découplent l’aspect politique de la démocratie (la question du pouvoir) de son aspect social (amélioration de la situation des couches défavorisées) et demandent aux classes populaires de laisser de côté, sous peine de se voir accusées de n’être que des tubes digestifs, leurs revendications “étroitement sociales” pour ne s’intéresser qu’aux “grandes questions” de politique. De même que la démocratie est découplée de son aspect national (la préservation de la souveraineté économique nationale, le refus des ingérences…). Ces classes sont donc instables dans le combat démocratique qu’elles peuvent déserter à n’importe quel moment.

Les couches moyennes peuvent en partie être achetées dans le cadre d’une politique de paix sociale qui nécessite cependant de gros moyens. Mais la plus grande partie des couches moyennes est touchée de plein fouet par un processus de prolétarisation. Elle tend donc à lutter de façon de plus en plus ferme pour la démocratie.

Quant aux travailleurs actifs et au chômage, ils ont un absolu besoin de démocratie pour se défendre, s’organiser, lutter, définir et porter leur projet politique. Il s’agit donc de l’aile marchante, de l’aile la plus conséquente dans le combat démocratique. C’est pourquoi ces couches populaires doivent se battre pour diriger l’alliance, afin de lui donner un contenu politique (la démocratie), organiquement lié aux contenus social (justice sociale) et national (défense de l’économie nationale et de la souveraineté politique face aux grandes puissances…). Unité et lutte traversent ainsi les partisans de la démocratie.

Finalement, la démocratie en Algérie passera-t-elle par les réformes ou par la révolution ?

Hocine Belalloufi : Par révolution, il faut entendre rupture dont l’axe de gravité politique est extérieur au régime. Il s’agit d’une rupture procédant de l’intervention politique des masses populaires.

Cette révolution, cette rupture, est incontournable parce que le régime fait lui-même constamment la preuve, depuis vingt ans, de son incapacité à instaurer la démocratie, c’est-à-dire de se réformer. Il vient encore de rater une occasion d’entamer une véritable transition. Il est vrai que l’objet d’une telle transition, la démocratie, signifierait en même temps sa fin en tant que régime, mais pas la fin de carrière de tous les membres ou institutions du régime. Le deuxième aspect qui rend incontournable une révolution est que la politique économique suivie et la remise en cause des acquis nationaux de la Guerre de Libération nationale et du projet de développement national brisent le consensus social.

Le régime, qui mène une telle politique, représente des couches sociales qui ne peuvent changer de politique. Elles sont donc objectivement contraintes d’imposer leur politique de façon autoritaire.

La révolution n’est donc pas tant le produit de la volonté de révolutionnaires que celui de la politique menée par les dominants eux-mêmes. Leur aveuglement objectif pousse à la révolution. Maintenant, quand celle-ci interviendra-t-elle ? Réussira-t-elle ou échouera-t-elle ? Ce sont là d’autres questions…

H. A.


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