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DES FEMMES AU MAGHREB : regards d’une ethnologue sur 50 ans d’études et de recherches

samedi 30 juin 2012

Camille Lacoste-Dujardin [1]

SOMMAIRE

Introduction

Bibliographie [2]

Résumé


Introduction

Fidèle contributrice à Hérodote [3], mes participations ont abordé diverses questions géopolitiques voire une « ethno politique » (Lacoste-Dujardin, 1986), - nationales (1988), - des Eglises (1990) et religieuses (1995), - coloniales ou post-coloniales (1992, 2002) - culturelles (2001). Chacune d’entre elles a résulté de l’analyse d’exemples puisés dans mon expérience d’un « terrain » privilégié dans ma pratique d’ethnologue, parmi les Berbères de Kabylie, dont une grande partie vit désormais loin de leur montagne algérienne, en une diaspora répandue à travers le monde francophone.

C’est dire si, en apparence restreinte à un peuple montagnard, à sa langue, sa culture, la recherche que j’ai poursuivie en ethnologue n’a jamais été limitée ni dans l’espace, ni dans le temps, non plus que strictement à quelque seul « objet » d’observation qui a toujours impliqué des références à de plus vastes ensembles. Une longue pratique m’a entraînée à explorer successivement de multiples facettes de cette société maghrébine de culture berbère, dans la richesse tant littéraire de ses productions orales que de l’ensemble de sa culture, à travers les nombreux bouleversements qui l’ont éprouvée dans l’histoire et tout particulièrement au cours de la guerre d’indépendance de l’Algérie (C.L.-D.1976 et 1997).

Cependant mon attention a toujours été attirée plus particulièrement par le « côté femmes » de la société, sur lesquelles les quelques publications jusqu’alors produites m’étaient apparues trop schématiques, par leur regard trop extérieur et peu convaincant. Toujours en recherche des places et rôles qu’aux côtés des hommes les femmes pouvaient réellement jouer, tant en Kabylie qu’aussi bien aussi dans l’ensemble du Maghreb, ma quête d’ethnologue auprès des femmes kabyles a commencé par l’exploration de la grande richesse de leurs productions littéraires orales : leur discours propre (C.L.-D.1970), puis, dans le dialogue avec l’une d’elles émigrée en France (C.L.-D. 1977), pour ensuite analyser les difficiles rapports entre femmes de générations différentes, consécutives à leur vocation à la maternité dictée par le patriarcat (C.L.-D. 1985), puis des femmes immigrées en France (L.-D. 1992). Mes explorations auprès de femmes kabyles, tant en France qu’en Kabylie ont été poursuivies régulièrement par approfondissements successifs.

Or, en 1972, j’ai été profondément scandalisée par la représentation que le célèbre sociologue Pierre Bourdieu, a prétendu résulter de son analyse sociologique du rôle des femmes, kabyles : les donnant en exemple d’un « consentement à la domination » attribué parfois aux femmes, il prétend que les femmes kabyles offrent un modèle d’« incorporation » de cette même « domination masculine » (Bourdieu, 1972). L’erreur outrancière de cette affirmation qui m’a scandalisée, m’est alors apparue en telle contradiction avec ma propre connaissance de la société et de la culture féminine kabyles, que j’ai aussitôt entrepris de démontrer l’étendue de la « science des femmes », et les réels contre-pouvoirs qu’elles exercent en maints domaines. N’en sont-elles pas venues jusqu’à imposer un personnage d’épouvante, -non pas l’’ogre masculin, banal dans le monde entier-, mais une femme ogresse : une mère du monde, femme mythique des origines, demeurée volontairement sauvage… et anti-sociale et dévoratrice de garçons.

Or cette teryel est si importante dans l’imaginaire culturel, qu’elle est aujourd’hui reprise dans les nouvelles formes de luttes féminines, en forme d’emblème jusqu’à servir d’intitulé à un très actif forum féministe, sur Internet… présentée comme « femme active, maîtresse de son ‘destin’, autonome, entière et insoumise »
 [4]. Or ce forum qui se veut « espace de parole » de femmes et d’hommes, kabyles ou non, partout dans le monde, s’implique dans toutes les expressions y compris dans les débats géopolitiques actuels, dont, par exemple : « La femme et l’autonomie de la Kabylie. »

De telles expressions féminines si combatives, et durables, en contradiction flagrante avec les allégations présentées par P. Bourdieu, ont achevé de me déterminer à l’élaboration de cette dernière synthèse : « La vaillance des femmes » (L.-D., 2008), qui a profité de ma connaissance acquise en une bonne cinquantaine d’années.

Ma compréhension, comme ethnologue, du rôle des femmes et de la place qu’elles occupent dans les sociétés maghrébines, s’est ainsi nourrie, au long de ce demi-siècle, de l’observation de situations diverses et mouvantes à travers l’espace et le temps. Loin de me limiter à un seul « regard de l’intérieur » de la société berbère de Kabylie que j’avais choisi de privilégier comme initiation, ma quête ethnologique a tenu compte de diverses échelles d’observation ethnologiques, depuis l’étude de productions techniques locales très spécifiques (des « objets ethnologiques ») jusqu’aux répercutions d’actions militantes des Kabyles au sein de la communauté musulmane aux quelque 1 milliard et 520 millions d’adeptes à travers tous les continents.

Ma pratique de recherche a ainsi pu bénéficier à la fois de dialogues avec des partenaires kabyles, hommes et femmes surtout, comme d’enquêtes et observations d’ensembles de populations villageoises, nationales, ou même transnationales jusqu’au sein d’une actuelle diaspora émigrée, aussi bien contemporaines qu’au travers de maints changements historiques.

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ETHNOLOGIE DES RAPPORTS ENTRE HOMMES ET FEMMES :
DES ARMES POUR LA DÉFENSE DU TERRITOIRE

Alors jeunes mariés, un séjour d’à peine trois années en Algérie (1952-1955) nous avait, par chance, liés d’amitié avec un couple d’instituteurs auxquels nous devons beaucoup. Tous deux français, la jeune femme, d’origine savoyarde, et son mari d’origine kabyle, il était l’un des premiers algériens volontairement naturalisés français, dont la famille habitait un village de Kabylie. Ce fut lui qui nous permit de rencontrer des Kabyles dans leur si belle Kabylie que nous avons ensuite souvent fréquentée… jusqu’à ce que la lecture de « La colline oubliée » de Mouloud Mammeri Paris : [5] décrivant « l’étrange maladie » de son village de Kabylie, achève de m’y intéresser et attacher.

Déjà initiée à la géographie, complétée de l’ethnologie, j’avais été sensible, non seulement à la spécificité berbère, mais aussi, en cette Kabylie, à la combinaison étonnante d’une grande ancienneté culturelle dans son enracinement montagnard, avec une étonnante modernité, une grande activité, et aussi une grande fierté, susceptible jusqu’à la combativité. C’est alors que mon désir de comprendre, tant en profondeur que dans leur ensemble, les modalités de vie de ces Berbères autochtones du Maghreb, s’est alors trouvé contrarié par un évènement historique : la guerre. En cette année 1956
 [6] du début de ma pratique d’ethnologue, ce « terrain » principal dont j’avais fait choix me fut interdit d’accès par la guerre d’indépendance algérienne déjà tout particulièrement active et meurtrière en cette fameuse « willaya III », celle-là même de Kabylie.

Néanmoins, loin de me désintéresser des évènements contemporains, mais en ethnologue curieuse de l’ensemble d’une société et de sa culture, j’ai pu faire mon profit de l’observation de leurs différentes et multiples expressions, dont certaines sont parfois accessibles à distance. Les premiers furent, par chance, de remarquables productions techniques : des « objets ethnologiques », à la fois très caractéristiques de la culture kabyle, spécifiquement masculins et d’une très grande richesse significative pour l’ensemble de la société, et révélateurs d’un aspect capital des rapports entre les hommes et les femmes dans le contexte stratégique de la montagne kabyle : ces sabres kabyles se trouvaient alors conservés au Musée de l’Homme.

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EN KABYLIE, DES FEMMES PROTEGEES PAR LEURS HOMMES EN ARMES.

Ces « outils » étaient très particuliers : ces armes jusque là demeurées quasi ignorées, me furent confiées à fin d’une première étude technologique inspirée des méthodes d’André Leroi-Gourhan. Ainsi puis-je établir qu’en dépit de leur spécificité strictement masculine, ces armes se révélaient très significatives d’une fonction déterminante des rapports entre les hommes et les femmes dans la dure réalité de leur vie commune de montagnards kabyles : c’était un lot d’une trentaine de grands sabres, appelés « flissa » si originaux qu’ils se sont révélés exceptionnels et sans équivalents connus à travers le monde (Lacoste, 1958). Fabriqués par les Iflissen Lebhar de Kabylie maritime, dans un arsenal niché en un site stratégique de cette montagne kabyle aux nombreux gros villages perchés et fortifiés, ces armes blanches exceptionnelles se sont avérées parfaitement appropriées à une tactique spécifique : celle de paysans armés, en permanente vigilance et souci de défense contre les incursions de cavaliers trop souvent envahisseurs de leurs basses terres céréalières. En effet, si ces plaines fertiles sont situées tout alentour et aux pieds de la montagne Kabyle, elles se trouvent être aussi de vastes couloirs de communication très fréquentés, allongés d’Est en Ouest à travers l’ensemble de l’Afrique du Nord : ce sont de grandes voies de commerce, certes, mais aussi des voies d’invasions successives au cours des siècles - depuis les Romains jusqu’à la colonisation française -. Une telle position rend très vulnérable cette montagne refuge, non seulement dangereusement encerclée, mais de surcroît située à redoutable proximité de villes portuaires, et centres de pouvoir.

Or, ces œuvres d’artisans très qualifiés, témoignent d’une tradition kabyle d’armurerie spécialisée, créatrice de ces sabres originaux très exactement appropriés à une tactique d’embuscade d’hommes à pied contre des cavaliers [7]. Dès lors, et ainsi que devaient le confirmer maintes autres de ses expressions propres, la culture kabyle se révélait tout entière comme une « culture de résistance » : l’expression armée de montagnards méditerranéens en constant souci de défense de leurs femmes et enfants tenus à l’abri de leurs villages fortifiés sur les crêtes, en situation à la fois de refuge et d’observation vigilante de leurs basses terres céréalières à la merci de cavaleries hostiles. Vigilance masculine armée d’autant plus nécessaire que ces plaines conduisent à des villes toutes proches, à la fois ports et centres de pouvoir, dont, à l’Ouest : Alger à 60 Km, et, en son Est même : Bougie.

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DES FEMMES LIBRES EN DEDANS DE CET ESPACE MONTAGNARD

Or, quoique bien gardées par leurs vaillants protecteurs à l’abri de ce vaste bastion montagnard, les femmes kabyles s’y montrent, tant dans leur vêtement que dans leurs déplacements, beaucoup plus libres que, par exemple maintes citadines au Maghreb plus souvent arabisés depuis plus ou moins longtemps. Ainsi protégées dans cet espace familier, les femmes kabyles n’y sont pas non plus cachées par leur vêtement : une robe très colorée aux manches souvent raccourcies. Leur seule chevelure est retenue par un fichu dégageant le cou et la nuque, les traits de leur visage parfois ornés de tatouages discrets, et leurs yeux sont souvent soulignés au khol. Elles ne sont nullement recluses – ni à l’intérieur de la maison, - ni dans l’espace villageois ou dans l’aire de la parenté - non plus qu’en leurs alentours plus distants où elles se déplacent, souvent à plusieurs, pour aller puiser l’eau à la fontaine, ou cultiver les jardins potagers des fonds de ravins, quêter le bois pour le feu à travers le maquis, ou encore, en quelque pèlerinage à des lieux saints plus ou moins éloignés. Les femmes kabyles disposent d’une liberté de déplacement dans un territoire de montagne point trop restreint, dont les frontières sont gardées par les hommes, et que nul étranger ne pouvait franchir sans sauf-conduit particulier (leânaya) délivré par un homme ou une femme kabyle de cette tribu, et alors que, pour labourer cette même plaine céréalière, les hommes ne s’y aventuraient qu’armés. [8]

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DES FEMMES BERBÈRES
PLUS LIBRES EN D’AUTRES TERRITOIRES ? :
D’AUTRES GENRES DE VIE.

Or, des comparaisons font apparaître quelque similitude entre cette relative liberté des femmes berbères de Kabylie, et celle d’autres femmes berbères au Maghreb [9] étudiées par d’autres : - les Chaouïa de l’Aurès (Gaudry, 1929), ainsi que - les Aït Hadidou du Haut Atlas marocain (Hart, 1979, Kasriel, 1989), et surtout, les plus considérées d’entre elles : les femmes Touarègues (Claudot-Hawad, 1989).

Les Aurasiennes disposent, -alors sous le nom de “âzriya”-, de liberté de circulation et de fréquentations –y compris avec des hommes- dans la période qui sépare deux mariages, et sont alors fort recherchées pour animer des fêtes.

Les jeunes filles des Aït Hadidou disposent, entre autres, de la faculté de choix de leur premier mari, lors de fêtes collectives.

Quant aux femmes touarègues, courtisées dans leur jeunesse par les jeunes hommes en des « cours d’amour » où les uns et les autres rivalisent d’expression poétique, non seulement elles sont propriétaires de la tente familiale, mais elles disposent aussi d’une réelle autorité dans le droit. En effet, elles transmettent elles-mêmes, par matrilinéarité, non seulement la filiation à partir d’une femme ancêtre –tout comme l’ensemble de la société touarègue descendante d’une femme : la célèbre Tin-Hinan -, mais encore le pouvoir, quoique, toutefois, elles ne puissent l’exercer elles-mêmes.

Or, chacun de ces autres groupes, certes tous de culture et langue berbère, vivent sur des territoires à la fois plus vastes et fort différents que les Kabyles, de surcroît éloignés des villes et des pouvoirs. Dans des situations peu comparables, chacun d’entre eux a vécu grâce à des genres de vie [10] fort différents.

En effet, les paysans sédentaires kabyles si souvent privés de leurs terres céréalières, réfugiés dans leurs villages surpeuplés de la montagne, n’ont guère pu faire prospérer alentour que l’arboriculture (oliviers et figuiers surtout), complétée par un artisanat tant masculin que féminin, dont des hommes colportaient les productions vers les villes.

Tandis que les Chaouias de l’Aurès, surtout éleveurs transhumants, se déplacent en un assez vaste territoire, différencié, alternativement tant en montagne qu’en plaine.

Et cependant que les Aït Hadidou pasteurs semi-nomades, parcourent, avec leurs troupeaux, en famille, de grandes distances sur un territoire étendu.

Quant aux Touaregs, à la fois éleveurs nomades et nobles guerriers pourvus d’esclaves, leurs territoires de parcours sillonnent certaines parties du Sahara (algérien, comme aussi du Mali et du Niger), en quête de lieux de pacage et de puits, suivis par la réunion des tentes familiales sous autorité féminine, selon leurs règles propres encore d’actualité.

Pourtant, en dépit de ces différences notables, la plupart de ces femmes berbères du Maghreb, vivent encore aujourd’hui dans des sociétés pareillement organisées selon les principes d’anciennes structures démocratiques traditionnelles berbères, semblablement islamisées, et au sein de différents Etats. Aujourd’hui cependant limitées, tant dans les montagnes qu’au désert, et plus ou moins à l’écart des villes et des voies de circulation fréquentées, les femmes berbères n’en partagent pas moins partout une même relative liberté de mouvement, certes en des degrés différents selon non seulement la situation occupée par chacun de ces groupes berbères dans l’espace, mais plus encore selon leurs genres de vie adaptés au territoire occupé. Certes, si les règles sont partout imposées aux femmes, entre elles et par les hommes, pourtant, l’importance de l’écart entre les contraintes à la protection masculine des femmes de Kabylie sous tutelle patrilinéaire, et la transmission matrilinéaire du pouvoir à disposition des nobles femmes touarègues du désert saharien, demeure remarquable, et certes bien loin du « patriarcat méditerranéen » !

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UN CAS D’EXCEPTION : FEMMES BERBÈRES DU MZAB.

L’hypothèse d’une détermination de la place faite aux femmes berbères selon les différents genres de vie pratiqués par les groupes sociaux autochtones où elles vivent au Maghreb, paraît devoir être confirmée –a contrario- par un autre cas très particulier : celui des Berbères mozabites citadins (Goichon, 1927). En cette oasis du Mzab, dans le désert du Sud algérien, à plus de 600 kilomètres d’Alger, la ville principale de Ghardaïa est entourée de quatre autres villes en une pentapole établie dans les dépressions d’un plateau calcaire dont les fonds sont percés d’un nombre considérable de puits qui alimentent des palmeraies. Adeptes d’une secte musulmane particulièrement rigoriste, ces berbères « Ibadites » se veulent observer une « voie de défense », et ont trouvé refuge dans l’espace restreint de cette oasis. Dans leurs villes sanctifiées, leurs lois et usages étaient, jusqu’à il y a peu de temps, particulièrement sévères envers les femmes : nourries à l’orge pour réserver le blé aux hommes, il leur a été longtemps interdit de sortir du Mzab, tandis que la plupart des hommes ont toujours émigré dans les villes du Nord comme commerçants. Aucune limite inférieure n’était imposée à l’âge des femmes au mariage. Contraintes d’accoucher seules, -sauf la première fois-, dans l’isolement d’une pièce fermée, le garçon était, plus tard, souvent éloigné de sa mère, emmené hors du Mzab par son père. Cependant, était concédée aux femmes l’instruction : lecture et écriture, en arabe, afin de se cultiver en religion. Longtemps, aucune liberté de déplacement à l’extérieur ne leur a été autorisée [11], cependant que, le plus souvent, elles se réunissaient entre elles dans les maisons, pour des travaux de tissage de tapis ou de vêtements, que les hommes se chargeaient ensuite d’aller vendre ailleurs, avec d’autres marchandises.

À ce genre de vie particulier, en ce territoire limité à cette oasis de peu de ressource qui contraignait les hommes au déplacement dans leur quête de revenus, s’est combinée cette idéologie religieuse « ibadite », secte musulmane crispée sur les femmes, plus qu’ailleurs constituées en pôles de fixité en la fréquente absence des hommes. Certes, la condition des femmes mozabites, protégées, mais aussi rigoureusement opprimées, a aujourd’hui dû changer, cependant leur exception semble confirmer, sinon la règle, du moins l’importance du rôle que peut – ou qu’a pu ?- avoir le genre de vie d’un groupe social sur la place que les femmes y occupent… et que les hommes ont pu, de fait, leur imposer.

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LA SCIENCE DES FEMMES

ET L’ENSEIGNEMENT DES REPRÉSENTATIONS FÉMININES.

À défaut d’accès au « terrain » toujours interdit par la guerre, d’autres productions culturelles kabyles, celles-ci féminines, me permirent d’approfondir mes premières explorations de la société kabyle « côté femmes ». Une autre découverte fut décisive : un corpus de contes recueilli et publié en langue berbère de Kabylie, aux débuts de la colonisation, par un professeur d’arabe… mais dont les quelque quatre-vingt-cinq longs textes, par lui transcris, n’avaient encore jamais été traduits en français ! Leur traduction fut la première tâche de la fraîche diplômée de Berbère que j’étais (Lacoste, 1965), ensuite complétée par leur étude approfondie (Lacoste, 1970).

Or, nouvelle découverte : cette littérature orale m’est apparue comporter deux catégories de contes :

  • d’une part : un répertoire masculin aux héros individualistes conquérants d’un pouvoir personnel, apparemment emprunté aux conteurs citadins et manifestement inspiré des Mille et Une Nuits ;
  • et d’autre part, mais de beaucoup le plus riche et le plus ancien : un répertoire féminin aux héros défenseurs du groupe contre le monde sauvage, gardiens ou restaurateurs de la fécondité et de la cohésion villageoise, des contes paysans, d’expression à la fois plus locale et méditerranéenne.

Ces œuvres littéraires orales féminines sont une mine puisqu’elles sont un discours que la société se tient à elle-même par la voix des femmes initiatrices des enfants à la vie en société. Cette initiation a trois fonctions essentielles :

  • transmettre aux enfants garçons et filles, un savoir et une façon d’appréhender le monde ;
  • leur inculquer un système de représentations à valeur symbolique, garant du maintien des structures sociales en place ;
  • et aussi un moyen d’action idéologique. De sorte que cette parole des femmes permet d’entendre leur propre représentation du monde, de l’espace et du temps, comme aussi des rôles féminins et masculins autour desquels s’organise l’univers social.

Elles y montrent ainsi un espace féminin préservé au sein de la maison dont l’agencement de la charpente représente l’indispensable complémentarité entre homme et femme : son pilier vertical central, féminin en kabyle, supporte, en hauteur, au creux de sa fourche terminale, le faîte central masculin qui, à son tour, soutient le toit qui abrite la maisonnée. De même, en ce dedans comme au-dehors, tout un univers symbolique exalte le privilège féminin de détenir la valeur la plus précieuse, de l’ordre de la nature, indispensable à la société des hommes qui s’en approprient le fruit : cette fécondité – appréciée en garçons surtout, ainsi gage de prospérité des lignées patriarcales. La société kabyle apparaît dans ces contes, comme le bastion d’un ordre traditionnel en constant état de défense contre les nombreux dangers menaçant sa survie : depuis, en son sein, l’éventuelle stérilité féminine funeste aux lignées de protecteurs armés des familles, jusqu’aux agressions aux frontières où les hommes doivent combattre pour survivre.

Ces femmes dénoncent jusqu’aujourd’hui l’appropriation par les hommes de la filiation officielle des enfants qu’elles mettent au monde, et elles ont su encore, jusqu’en ce même domaine de la parenté confisquée par les hommes, leur imposer en forme de réels contre-pouvoirs, deux privilèges féminins de l’ordre de la nature, dont elles seules disposent :

  • la transmission d’une fraternité par le lait, qui interdit le mariage entre les deux nourrissons d’une même nourrice mais de mères différentes,
  • et la croyance en « l’enfant endormi dans le ventre de sa mère » qui justifie une incertitude des durées de grossesse, et permet ainsi aux femmes d’imputer elles-mêmes la paternité d’un enfant à un homme, par exemple après un veuvage, ou en l’absence d’un mari retenu au loin (Lacoste-Dujardin, 2008, p. 97).

Les femmes kabyles ont pareillement instrumentalisé le domaine de l’imaginaire, en créant un personnage redoutable, qu’elles manient en forme d’arme à destination des hommes : cette fameuse “teryel” « l’ogresse » femme sauvage et libre, rebelle, anti-sociale, qui refuse à la fois - l’assignation à résidence au service des hommes dans une maison, - d’y faire la cuisine, et - d’engendrer des garçons… qu’à l’opposé elle se plaît… à dévorer ! à l’antithèse des rôles domestiques et de la fécondité que les hommes attendent des femmes.

Cette image d’épouvante, menace brandie en forme de spectre imaginaire, aujourd’hui tseryel que l’on ne trouve sous ce nom qu’en la seule Kabylie, est souvent convoquée par les femmes à leur secours, et brandie à l’adresse des hommes par les femmes elles-mêmes, conscientes du privilège de posséder le pouvoir évident de leur indispensable fécondité abusivement accaparée par les hommes à leur seul avantage par patrilinéarité exclusive.

Ainsi dénoncent-elles, grâce à leurs productions orales l’abus de ce pouvoir masculin qui refuse de reconnaître une commune et double filiation en réservant l’organisation de la parenté au bénéfice des seuls hommes. Aujourd’hui encore des manifestations féministes kabyles brandissent souvent le spectre de cette teryel, aussi bien au fond des villages qu’en ville et sur internet [12] (Lacoste-Dujardin, 2008, p.55-59).

La richesse de l’expression littéraire orale des femmes berbères de Kabylie est le fondement culturel qui, jusqu’aujourd’hui encore, permet de comprendre quelques-uns des traits et des modalités qui déterminent la place et le rôle des femmes dans l’ensemble des sociétés maghrébines, comme leurs propres évolutions et revendications.

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AUX VILLAGES, APRÈS LA GUERRE : TROIS FEMMES POUR UN HOMME.

La paix enfin revenue en Algérie me permit enfin l’accès au « terrain » : ce fut chez ces anciens armuriers si talentueux producteurs de sabres qui portent leur nom, et cependant peu connus : les Iflissen Lebhar.

Leur ancienne industrie désormais ruinée, ils n’ont pas eu la possibilité de se convertir à quelque autre activité dans leurs villages, certes stratégiquement protégés en montagne, mais trop isolés et sur un sol trop ingrat impropre à une culture nourricière.

Dès ma première visite, l’évidence des ravages de la guerre était saisissante : traces de napalm, maisons et villages aux ruines abandonnées, constructions précaires de cabanes hâtivement bricolées par les femmes. Les villages étaient alors peuplés surtout… de femmes : pour trois femmes, seul un homme était alors présent. Beaucoup d’entre eux étaient, certes, émigrés, mais manquaient aussi de trop nombreux morts : parmi les 6 000 habitants de toute la commune, pas moins de 900 femmes y étaient veuves de guerre !

Un bilan de la situation s’imposait (Lacoste-Dujardin, 1976) [13] , d’autant plus que cette guerre avait été tout particulièrement terrible aux Iflissen. Parmi eux, en effet, avait été entreprise, dès 1956, une affaire très spéciale : mise en œuvre par les services spéciaux conjoints du Gouvernement Général et de l’Armée, elle était destinée à recruter des hommes afin de constituer des « maquis contre-maquis ». L’échec de cette tentative [14], s’était soldée par la première opération de grande envergure de l’armée française, menée conjointement par la marine, l’aviation et l’armée de terre, blindés compris, sur les lieux de refuge du maquis, où périrent un grand nombre d’hommes des villages. J’en eu la première information des femmes elles-mêmes lors de séances douloureuses, réunies en des lieux saints où elles déploraient leurs morts en de pathétiques complaintes. Quant aux hommes, ils préféraient offrir de ce même drame, des récits en forme de ruse de guerre, à l’avantage de leur audace…

Or, ces anciens armuriers, qui avaient montré leur résolution à l’indépendance – fort sous-estimée par les autorités françaises- dans ce fait de guerre peu banal, avaient été parmi les premiers à émigrer, d’autant plus que dès 1913, fut installée en leur village principal l’une des écoles laïques françaises dites « ministérielles » parce qu’elles furent imposées depuis Paris en dépit de la forte opposition des colons pesant sur Alger. Situées de préférence en de gros villages d’artisans, elles devaient permettre l’émigration kabyle en France.
Le succès fut tel qu’au début de la guerre d’indépendance, il n’était plus, chez ces anciens armuriers, aucun homme de plus de 25 ans qui ne soit allé travailler en France, au moins quelques années.

Loin du traditionnel modèle de famille patriarcale qui regroupe en un seul foyer tous les fils mariés, leurs femmes et leurs enfants sous la direction du maître et de la maîtresse de maison, les maisonnées d’après cette guerre étaient fort disparates, certains ménages « isolés », « dissociés », ou « associations de veuves » vivant de leurs pensions réunies. [15]

La réprobation longtemps unanime au départ des femmes hors de Kabylie pour rejoindre un mari à Alger et a fortiori à l’étranger, était encore opposée à tout projet de départ féminin, au village même où les Anciens, chefs de famille, exerçaient une autorité masculine d’autant plus renforcée que fort intéressée sur les femmes des fils émigrés à l’étranger [16].

Jusqu’aujourd’hui, l’autonomie conjugale est encore proscrite au sein des villages : un jeune couple qui prétendait s’autonomiser a payé son audace d’une exclusion de la communauté villageoise [17]. Les difficultés étaient manifestes parmi la jeunesse : les jeunes filles, maintenant souvent scolarisées, étaient déjà les plus critiques, sans nul espoir de pouvoir réaliser quelque ambition de travail… Plus tard, nombre de ces jeunes hommes et femmes, exprimeront jusque dans les rues des villes, tant en Kabylie que jusqu’à Alger, leurs revendications, à la fois au travail et à des épanouissements plus personnels.

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DANS L’ENSEMBLE DU MAGHREB : DES FEMMES SOUMISES AU PATRIARCAT

À Paris même, des kabyles descendants des anciens armuriers me firent connaître la première femme des villages émigrée à Paris (dès le début de la guerre, en 1954). Cette femme de mon âge établit avec moi une relation privilégiée (Lacoste-Dujardin, 1977). D’emblée, elle évoqua la guerre d’indépendance et ses profonds traumatismes, dont la perte d’un jeune frère. Dès ses vingt-deux ans, elle-même avait été éprouvée par la mort accidentelle en France d’un premier mari ; alors veuve, et déjà mère d’un garçon de cinq ans, celui-ci aurait du alors demeurer dans la famille paternelle à laquelle il appartenait, la privant ainsi de son enfant. Alors, pour éviter d’abandonner son fils revendiqué par sa famille paternelle, elle avait accepté la solution trouvée par son propre père compréhensif : demeurer dans cette famille… en épousant le frère aîné de son mari, qui l’avait aussitôt emmenée à Paris où se trouvait aussi vivre aussi son père émigré : elle y serait moins seule [18].

Cet exemple de sacrifice d’une mère, suggérait une représentation qui s’imposait alors à moi, avec force, aux villages certes, mais aussi ailleurs en Algérie ainsi qu’au Maroc ou en Tunisie : les femmes du Maghreb se trouvaient ainsi prises au piège de leur propre fécondité ; certes elles exaltent le pouvoir qu’elle leur confère, de l’ordre de la nature, en maints domaines divers où leur concours quasi sacralisé est apparu indispensable à la société des hommes, cependant qu’en revanche, ces mêmes hommes se sont institués protecteurs des femmes et des foyers familiaux, non seulement grâce à leurs armes, mais aussi en se réservant l’organisation et le pouvoir de la société, tant familiale, que sociale et aussi politique.

Cette représentation n’est pas spécifique aux habitants des villages refuges et surpeuplés de la montagne kabyle. Elle existe aussi dans la plupart des familles à travers l’ensemble du Maghreb, désormais admise à la fois par les Berbères de Kabylie ou d’ailleurs, comme par les citadins arabophones, à qui elle est imposée par les hommes au pouvoir de leurs États.

Ceux-ci ont promulgué des « codes de la famille », il est vrai à des degrés quelque peu variables du Maroc en Tunisie, en passant par l’Algérie (Lacoste-Dujardin, 1985). Cependant que font encore exception des sociétés berbères maghrébines éloignées des pouvoirs centraux, qui étaient souvent déjà connues pour leur tolérance d’une certaine liberté féminine : parmi les Chaouyas transhumants de l’Aurès, comme chez les Aït Hadidou semi nomades du Haut Atlas marocain, et plus encore parmi les nobles Touaregs sahariens dont les femmes transmettent encore aujourd’hui à la fois la lignée, les biens et le pouvoir.

C’est ainsi qu’après ma première approche initiée dans une relation amicale et féconde partagée avec une femme de Kabylie, suivie de fréquents séjours « sur le terrain », au Maghreb, les appartenances à des ensembles différents dans l’histoire se sont imposées comme réalités déterminantes de la place faite aux femmes dans la société. Et pourtant, tous les hommes du Maghreb, qu’ils soient arabisés ou berbère, - à l’exception remarquable des Touaregs - imposent encore pareillement aux femmes non seulement la patrilinéarité (lignée d’homme en homme à l’exclusion des femmes), mais en réalité le même patriarcat, certes commun à travers une vaste aire depuis la Méditerranée jusqu’au Japon, sinon de tout temps, du moins depuis notre ère et le développement des religions monothéistes. Ce patriarcat a assigné les femmes à une vocation primordiale à la fécondité, préférentiellement en garçons, futurs hommes armés, à la fois défenseurs, éventuellement conquérants, et aussi producteurs, garants de prospérité, encore tenus comme seuls aptes au pouvoir politique. Quant aux femmes, conscientes de disposer de ce pouvoir exceptionnel si précieux à la société qui associe fécondité et fertilité du même ordre de la nature, et comblées par leurs maternités, la plupart d’entre elles n’ont, jusque là, guère revendiqué de concurrencer les hommes en d’autres domaines –politique par exemple- durant leur vie consacrée à cette fécondité unanimement glorifiée.

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LES FEMMES PIÉGÉES COMME MÈRES DES HOMMES,
DE LA FAMILLE JUSQU’À L’ÉTAT.

Quoique célébrée par les hommes reconnaissants, la maternité demeure dans tout le Maghreb, soumise aux règles d’une patrilinéarité qui contraint les femmes à la reproduction en hommes en une sorte de « service patrilignager procréateur » (Lacoste-Dujardin, 1985). Car la filiation paternelle exige d’être garantie par : – la virginité féminine au mariage, puis ensuite - la ségrégation entre les sexes, cependant à l’exception remarquable d’une seule relation entre homme et femme, certes protégée par la prohibition de l’inceste [19] : - la relation mère–fils, durable la vie entière dans la maison du patrilignage, et la seule autorisée d’expression.

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FEMMES CONTRAINTES PAR LES FAMILLES.

Forcées, par un mariage imposé, de changer de famille, les femmes sont contraintes à une mobilité nécessaire à leur intégration dans une autre maisonnée peuplée d’inconnus [20] – à commencer par leur propre mari -. Certes, elles y sont glorifiées dès leur première maternité en garçons près d’elles, à demeure, la vie durant, mais alors qu’elles s’y devront plus tard être privées de leurs propres filles qui, à leur tour, iront « enrichir la maison des autres » par mariage. Dans l’impossibilité de tout autre épanouissement féminin, la cohabitation entre les femmes de différentes générations la maisonnée : les mères de fils et leurs épouses, est bien difficile, minée par la rivalité. L’expression des conflits entre belles-mères et belles-filles a beau avoir été ritualisée sous forme de joutes poétiques sans complaisance entre femmes (C.L.-D. 1985), les relations sont bien difficiles au sein de ces nombreuses familles, tant entre générations de femmes, qu’entre les hommes et les femmes, -dont particulièrement entre mari et femme-, qui font obstacle aux relations individuelles. Celles-ci sont étroitement limitées, contraintes à la restriction d’expression imposée par la règle de la hachuma « pudeur, honte, respect », au sein même de la maisonnée. La règle interdit toute manifestation et parole entre hommes et femmes au sein de la maisonnée comme menace à la cohésion familiale… Seule une relation échappe à cet interdit : celle qui lie un fils et sa mère, au plus grand profit de la domination des mères de garçons parmi les femmes de la famille.

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FEMMES CONTRAINTES PAR LES LÉGISLATIONS DES ÉTATS.

Les principes de cette organisation familiale patriarcale perdurent au Maghreb, désormais entérinés par les instances gouvernementales nationales dans de modernes « codes de la famille », trop souvent encore inadéquats à de modernes conditions de vie. Car les trois Etats maghrébins ont proclamé une religion d’État : l’Islam, et, tout spécialement en ce domaine de la famille [21], ils se veulent respectueux du droit musulman qui doit déterminer la place des femmes dans les sociétés nationales, avec, cependant, quelques différences selon les conjonctures politiques propres à chacun d’entre eux.

  • C’est au Maroc que le lien entre Islam et droit est le plus étroit, puisque le roi puise pouvoir et légitimité de sa sainte filiation à la fois comme Amir al Muminin « Commandeur des Croyants » et Imâm al Muslimîn « Imam des Musulmans » : descendant du Prophète, son autorité est à la fois spirituelle et temporelle.
    La législation marocaine a été l’œuvre de penseurs musulmans réformistes qui ont élaboré le Code marocain de statut personnel : la Muduwana , en se prévalant d’un certain égalitarisme musulman assoupli. Ce code, certes, maintient les femmes marocaines dans le rôle de « mère avant tout » au profit de la communauté musulmane entière (l’Oumma) ; il autorise la répudiation, surtout pour stérilité. Cependant la Muduwana supprime la contrainte au mariage auquel elle impose un âge minimal, dans une sorte de modernité comprise dans un grand respect de la tradition religieuse. Certes, les Marocaines, comme les autres femmes du Maghreb, disposent de libertés en réalité fort inégales selon l’aisance de leur milieu social, où, parfois, une certaine modernité est jugée compatible avec la tradition religieuse [22].
  • Les Tunisiennes ont dès 1956, dans la foulée de l’indépendance, été les premières à bénéficier du Code de la famille le plus avancé du Maghreb : la Majalla , à l’encontre du modèle patrilignager. Le président Bourguiba, juriste formé à Paris, bénéficiait alors, dans ce petit pays urbanisé, d’un grand prestige, tandis que les religieux y étaient fort affaiblis, et alors qu’une longue tradition réformiste y avait déjà existé, liée à un mouvement moderniste proche oriental : la nadha, illustrée par un tunisien : Tahar Haddad, auteur, dès 1830, d’un livre : « Notre femme dans la loi (religieuse) et dans la société » en faveur d’une égalité entre hommes et femmes. Selon la Majalla, la stérilité ne peut être cause de divorce, devant lequel hommes et femmes sont égaux, et il est stipulé qu’un enfant peut reconnaître sa filiation maternelle [23]… Les Tunisiennes demeurent cependant très vigilantes en matière de changement, jusqu’aux habitantes des faubourgs populaires de Tunis qui n’hésitent pas à revendiquer dans la rue [24].
  • Les Algériens ont traversé de longues et pénibles épreuves : après une précoce colonisation de peuplement longue de 132 ans, achevée par huit années d’une guerre d’indépendance particulièrement meurtrière, la guerre civile des années 1992-2000, la religion et les valeurs qui s’y trouvent liées ont été promues en repère d’une identité arabo-musulmane constituée en ciment national. De sorte que nombre d’Algériens se sont alors crispés dans un conservatisme de résistance… autour des femmes, promues, avec la religion, en bastion identitaire. Dans ces conditions, les projets d’un Code de la famille ont du attendre vingt années après l’indépendance pour aboutir à ce que, en dépit de quelques aménagements, les Algériennes le dénoncent jusqu’aujourd’hui comme « le code de la honte » inspiré de très près du modèle musulman : la shari’a. Entre autres dispositions : le respect des liens de parenté est tout particulièrement recommandé aux conjoints, la femme est placée sous l’autorité du « chef de famille » à qui elle doit obéissance. La vocation maternelle est liée à l’allaitement.

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CONSERVATISME RELIGIEUX …
MAIS CONTESTATIONS ET REVENDICATIONS FÉMININES CROISSANTES.

Les États du Maghreb sont ainsi demeurés fidèles à l’idéologie religieuse islamique, dont cependant s’écarte la Majalla tunisienne, qui, de surcroît, légitime l’adoption, pourtant interdite par la chari’a [25] (Lacoste-Dujardin, 1988). En fait, le contexte politique peut, en chacun des Etats, freiner l’innovation, par ailleurs souvent jugée inopportune, tandis que, de surcroît, l’opposition islamiste a incité les hommes au pouvoir en chacun des trois Etats à une extrême prudence dans l’attention portée à ces « questions » dites « des femmes ». Il a fallu l’évidence constatée de l’excès de pression démographique pour contraindre à divers aménagements -d’abord forts prudents-, au patriarcat triomphant, dont une fécondité alors apparue dangereusement productive… de chômeurs [26] . La scolarisation croissante, y compris celle des filles -surtout décisive au niveau du secondaire [27]-, les progrès médicaux et les campagnes d’éducation à la santé et à la contraception, aidés par le développement de nouveaux moyens de communication, ont poussé au changement désormais publiquement revendiqué par les femmes dont le taux de fécondité égale presque actuellement le taux des françaises (en Algérie : 2,5 en 2005 [28] ). Pourtant, les écarts opérés par des politiques de rupture avec le modèle féminin de « mère-avant-tout », demeurent fort inégaux selon les conjonctures et, peut-être surtout, selon les dispositions des gouvernements à ménager les oppositions religieuses, dont tant les formes que les activités sont variables en chacun des États.

Quoi qu’il en soit, les femmes du Maghreb partagent les mêmes aspirations que les femmes du monde entier, à une triple réalisation dans le choix : - de leur conjoint, - du nombre de leurs enfants, et – d’une activité participative à la société. Les mouvements féminins se développent au Maghreb, de plus en plus actifs à la mesure de la nécessité de changements dont la conscience profite des nouvelles modalités de communication, certes, mais encore au prix du courage de leurs militantes qui ont été victimes de campagnes de violence contre les femmes qui, en Algérie tout particulièrement, à partir des années du début de la guerre civile 1989-1990, ont culminé en 1995 [29] (Lacoste-Dujardin, 1998). Pas moins d’une centaine d’associations féminines y existent aujourd’hui jusque dans les villages montagnards, dont les femmes revendiquent maints amendements sinon même l’abrogation du code de la famille algérien le « code de la honte », et la séparation de la religion et de l’Etat. Mais encore faut-il que les hommes acceptent d’accorder une plus grande et plus diverse participation des femmes à la société, même si quelques unes ont, il est vrai, pu parvenir à s’imposer. Pourtant, si les maris paraissent toujours réticents à tout changement quant à leurs épouses, les pères paraîtraient plus disposés à l’égard de leurs filles [30] . L’ambition paternelle pourrait-elle fournir un levier à l’émancipation précoce des femmes en tant que filles ?

Au demeurant, les femmes du Maghreb ont aussi besoin que le projet d’enfant cesse de venir combler le vide affectif où elles ont été jusque là cantonnées, pour devenir un accomplissement voulu par un commun dessein parental. En réalité, bien des jeunes femmes d’origine maghrébine sont déjà parvenues à la triple réalisation, la plupart, certes, au Maghreb même, mais bien d’autres… hors du Maghreb : en émigration. Les fréquentations féminines lors des voyages familiaux, souvent annuels, entre femmes vivant en émigration et celles demeurées au pays, concourent, avec les progrès des communications, à la prise de conscience des unes et des autres, et des unes par les autres, des différences et des décalages entre leurs aspirations et leurs possibilités de réalisation, non sans aiguiser davantage leurs revendications, qui se développent aujourd’hui en profitant des situations nouvelles : déplacements, et aussi possibilités accrues de communication.

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FEMMES DU MAGHREB EN FRANCE :

« INTÉGRATION » PAR DELÀ DE LA MÉDITERRANÉE [31].

L’exemple de mon amie et complice kabyle, dans son expérience de pionnière de l’immigration féminine, m’avait initiée aux considérables difficultés affrontées par ces femmes déracinées, troublées et apeurées par ces conditions de vie si différentes en ce nouvel espace d’immigration totalement inconnu où la frontières est si rétrécie entre ce dedans et le dehors d’une inquiétante proximité. De peur d’être exposée à ce dehors si étranger dont elle ignorait tout et ne disposait d’aucune clef de son usage, à commencer par la langue, elle avait, redoutant cet univers étranger présent à sa porte, d’abord vécu confinée en dedans : son refuge de 25 mètres carrés aux petites fenêtres donnant sur une cour intérieure étroite, au 6ème étage d’un immeuble vétuste du 19° arrondissement, avant qu’une voisine française secourable lui offre d’accéder à sa fenêtre sur la rue : dure vie de cette pionnière de l’émigration qui n’osera s’aventurer au dehors que, d’abord, avec son mari qui assurait le ravitaillement, tout comme, au « pays » les hommes se réservent la fréquentation du souk ; elle sera mère de six nouveaux enfants. Lorsque je fis sa connaissance, près de quinze années plus tard, elle se dira gratifiée de « travailler » avec moi [32], qu’elle devait initier à ses préoccupations et à sa propre connaissance de femme kabyle en se plaisant à évoquer la vie au village : ce fut dans une profonde et durable amitié, en même temps que, surmontant ses réticences, elle s’adaptait à la vie citadine, et fréquentait d’autres femmes kabyles émigrées. Les résultats de mes recherches lui doivent beaucoup, y compris à titre très personnel, par l’exemple de cette forte et courageuse identité féminine assumée en dépit d’une vie de femme bien éprouvée, dans l’intimité d’une très difficile histoire personnelle suggestive de multiples réflexions … (Lacoste-Dujardin, 1977).

Certes, une certaine mobilité est, dès le mariage, imposée aux femmes maghrébines, mais mobilité familiale, alors limitée à une autre maisonnée. Lucides par leurs critiques à cette contrainte, les femmes ont du se résigner à cette rupture familiale suivie d’intégration en ce nouveau foyer, autre, certes, mais analogue dans un même ensemble culturel. Pourtant, cette première expérience de mobilité imposée, ne les dispose pas davantage que les hommes, à s’adapter à un milieu aussi différent qu’éloigné, où l’inconnu, cet étranger redouté, cerne l’asile familial dès sa porte franchie. Dans cette lointaine migration « au-delà des mers », point de grande famille semblable à la sienne où prendre place : en revanche homme et femme s’y retrouvent alors isolés, affrontés dans une relation duelle, imprévue, difficile et souvent conflictuelle, cependant toujours limitée par la restriction à la communication (hachuma) [33], et que la présence d’enfants ne peut que compliquer. Le père, certes, domine plus que jamais, seul cumulant, par masculinité et génération, une autorité qu’il exerce sur la famille. Si bien que ce soit de ce chef de famille même que dépendent les possibilités d’intégration des uns et des autres à la société d’accueil, selon sa propre faculté d’adaptation et son aptitude à un syncrétisme favorable à l’intégration de tous les membres de la famille, tout particulièrement des femmes et des filles. En réalité, les meilleurs ajustements sont fonction du niveau d’instruction et du milieu social de ce père. Quant aux mères, l’âge venant, et une fois les jeunes élevés, elles osent souvent user d’une liberté de déplacement qu’elles estiment justifiée, surtout entre la France et le Maghreb [34].

Quant aux jeunes filles et jeunes femmes maghrébines en France, la plupart font souvent preuve d’un remarquable dynamisme, de réussite scolaire supérieure aux jeunes gens, pour conquérir une autonomie économique appréciée de leurs mères… pour sa vertu libératrice de la tutelle masculine (Lacoste-Dujardin, 1992). Leurs réalisations personnelles peuvent être d’une grande diversité selon le niveau culturel et social des parents en France [35] . De plus, loin de rejeter la culture des parents, nombre de jeunes filles et femmes de cette génération née en France s’attachent souvent aussi à promouvoir des expressions de culture maghrébine comme enrichissement à la culture française et à la francophonie [36]. D’autres parmi ces mêmes jeunes filles maghrébines manifestent une réelle soif de mobilité, antithèse à la sédentarité traditionnelle, dans des métiers rêvés tels que : reporter, interprète, hôtesse de l’air, médecin sans frontières… Aujourd’hui, aux mères sédentaires succèdent des filles assoiffées d’espace ! (Lacoste-Dujardin, 1987) [37].

Cependant un problème est encore parfois difficilement résolu : celui du mariage des jeunes filles de parents maghrébins nées en France. L’exigence d’endogamie réclamée par la plupart des parents, est, en France, admise éventuellement à une échelle moins stricte qu’au pays d’origine : la préférence à l’aire de la « communauté » locale d’origine peut être élargie – à un ensemble national : algérien, tunisien ou marocain, ou plus largement - ethnique : « arabe » ou « berbère », ou encore – largement régional : « maghrébin », mais demeure pratiquement impossible, -sauf à niveau social élevé-, hors de l’ultime extension possible : - la communauté religieuse « musulmane » [38]. Là, en effet, est l’obstacle le plus dirimant à la totale « intégration » des femmes et de leurs filles en Europe.

De sorte que, tandis que nombre d’hommes nés au Maghreb, installés avec leur famille restreinte en France, sont disposés à permettre à leurs filles ou leurs femmes d’épanouir leurs potentialités, c’est aussi aujourd’hui dans ce cadre national français et éventuellement international, à condition que ne pèse pas trop l’influence d’orientations politiques qui peuvent conduire à des formes de contre-culturation.

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LA RELIGION, LE POLITIQUE ET LES FEMMES EN FRANCE.

La quasi totalité des femmes d’origine maghrébine en France se disent et se veulent musulmanes : cette appartenance à une grande religion, forte d’être une « communauté » de plus de 1 milliard et demi d’adeptes sur tous les continents, peut être, certes, pour elles, très gratifiante par son importance mondiale. Pourtant, ces jeunes femmes sont rares à être pratiquantes, et si, dans l’espace domestique, les mères suivent le plus souvent, mais en partie seulement des prescriptions de l’Islam (les interdits surtout), nombre des jeunes filles de l’immigration maghrébine en France, s’accordent pour se qualifier de « musulmanes par filiation », par respect de l’héritage parental (Lacoste-Dujardin, 1992).

En effet, si la plupart d’entre elles ne mettent guère en doute leur conviction religieuse, leur connaissance en est cependant limitée, et leur pratique guère rigoureuse. En réalité, tout se passe comme si les prescriptions religieuses, se trouvaient, pour elles, confondues avec l’autorité paternelle et patriarcale. Il est vrai cependant que rares sont les jeunes femmes à pouvoir, faute d’en connaître la langue, lire le Coran dans son texte arabe, en principe interdit de traduction.

Pourtant, certaines jeunes femmes en quête de sens, peuvent parfois trouver des recours extérieurs, y compris au sein même d’un Islam mondial et moderne dont l’influence peut déterminer leur attitude. Aussi, profitant de cet appétit d’une jeunesse en recherche, certains propagandistes d’un islam militant peuvent inciter certaines de ces jeunes femmes témoins d’intégration en France, à s’engager dans des voies qui, tout en leur donnant l’illusion d’une réconciliation avec l’héritage religieux parental, sont bien au contraire à l’opposé, inspirées d’un courant militant politique mondial et réactionnaire : celui de l’Islam intégriste. Cet autre visage de l’Islam, parfois dénoncé comme « Islam-action » (Weibel, 1992), mais plus souvent comme « Islam politique », sait profiter du développement et de l’importance de l’immigration féminine en Europe et en France, où, aujourd’hui, l’immigration musulmane comprend la moitié de femmes, (sur un total de près de 5 millions de musulmans). Ce courant militant politique islamiste instrumentalise la religion en exploitant le trouble de jeunes femmes en recherche de cohérence.
Ainsi sont survenues, en France deux manifestations particulières qui ont successivement défrayé la chronique : le port, par de jeunes femmes, de nouvelles formes de vêtements, cependant voulus traditionnellement islamiques. Ce fut tout d’abord, à l’automne 1989, l’affaire dite du hidjâb traduit de façon erronée comme « foulard islamique » [39] -porté sur la seule tête, cependant entièrement recouverte ainsi que le cou-, à Creil, (Lacoste-Dujardin, 1990). Mais, aujourd’hui, un autre avatar en est apparu : un voile couvrant tout le corps, vêtement intégral qui ménage cependant une fente indispensable au regard au niveau des deux yeux, vêtement féminin qui, sous ce nom de « burqa » [40], est particulier aux femmes afghanes, tandis qu’il est porté, en France, par quelques musulmanes de l’immigration, en réalité par assez peu de femmes - qui seraient aujourd’hui 2 000 sur l’ensemble du territoire français .

Certes, le voile a été conseillé par le Prophète, dans le Coran [41], aux « femmes des croyants », ou « femmes libres », dans des versets dont la rédaction écrite a été, en ce 7ème siècle de notre ère, contemporaine de l’organisation de l’Etat dans la cité islamique de Médine. Or, de cette même époque fondatrice du pouvoir musulman, datent aussi la plupart des versets coraniques qui concernent les femmes. Pourtant déjà dès ce moment, des femmes proches du Prophète et de ses compagnons, exprimèrent nombre de revendications féministes novatrices auxquelles, dans un premier temps, le Prophète ne fut pas lui-même hostile – dans la continuité du souvenir de la grande influence qu’avait eu sur lui, sa première épouse regrettée : Khadidja. Cependant, pour des raisons d’opportunité politique [42] , aucune novation ne put alors être réalisée dans cette Arabie du septième siècle, à la société de type patriarcal, comme par la suite le demeurèrent la plupart de celles de la Méditerranée comme du Proche et du Moyen-Orient.

Cette prescription coranique avait, en fait, précisément pour but, dans l’intérêt de la bonne organisation de la nouvelle ville-Etat en ce septième siècle après J.C., de distinguer les musulmanes des « femmes serviles » afin « d’échapper à toute offense » au sein de la nouvelle ville islamique. Distinction non seulement religieuse, mais aussi ne niveau social affiché supérieur au vil peuple.…

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L’ INTÉGRATION MALGRÉ TOUT.

Mais, aujourd’hui, dans les sociétés européennes actuelles le port d’un voile, ignoré de la plupart des femmes, apparaît, à l’évidence, chargé d’un sens nouveau, volontairement non seulement distinctif, mais aussi provocateur, en forme de manifestation vestimentaire féminine exceptionnelle, apte à susciter des polémiques nationales espérées en forme de conflits faussement identitaires. Certes, présenté comme religieux, ce vêtement prend les femmes elles-mêmes au piège d’une protection paradoxalement imposée comme valorisante, qui, cependant, affichée de façon provocatrice sous forme de vêtement protecteur, en réalité non seulement les distingue mais les sépare de toutes autres femmes jugées à l’égal des femmes serviles de Médine, de peu de qualité. En vérité cet affichage d’une appartenance religieuse différente et voulue survalorisante, paraît bien, en réalité instrumentalisée à des fins politiques par des partisans d’un islam militant, et destinée à empêcher l’intégration de ces jeunes femmes maghrébines.

Pourtant, concurremment à ces porteuses de vêtements provocateurs, maintes autres jeunes femmes de l’immigration maghrébine partagent les valeurs nationales françaises, d’égalité et de fraternité, y compris jusqu’au respect d’une commune laïcité de l’Etat. En réalité, en dépit de ces tentatives contemporaines d’un islamisme militant qui mise sur la particulière sensibilité de l’opinion à propos des femmes, en France, la plupart d’entre les femmes d’origine maghrébine participent chaque jour de plus en plus nombreuses, à la vie active de la nation française. Désormais, loin de se distinguer d’une solidarité nationale, souvent elles excellent, à tous les niveaux de nombreux et divers domaines sociaux, culturels ou politiques en France et même jusque y compris dans les instances gouvernementales …

Mieux, nombreuses sont les jeunes femmes qui participent et souvent initient des forums de discussion sur le net, ainsi transméditerranéens : tel celui très précisément nommé « yessi-s n-teryel » « les filles de l’ogresse » qui se revendiquent de cette femme mythique des origines qui, dans culture kabyle, aurait été « laïque », « femme active, maîtresse de son ‘destin’, entière et insoumise ». Cependant que ce forum se veut aussi « ouvert aussi à l’homme kabyle ». Plus encore, après avoir initié un débat sur « la domination masculine » la fondatrice de « yessi-s n-teryel » lance une discussion politique nationale sur le thème de : « La femme et l’autonomie de la Kabylie » tandis que nombre d’entre elles élargissent leurs fronts de leur lutte pour les droits « des femmes », certes, mais aussi « des Amazighs et des peuples autochtones », ainsi que dans ‘la société civile’… en partenariat avec des ONG internationales »…

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Résumé :

Une longue écoute attentive de femmes maghrébines a servi mon projet d’ethnologue, à la recherche, non seulement de la place protégée que les hommes assurent aux femmes dans la société, mais plus encore, de ce qu’elles expriment et parviennent même à imposer aux hommes.

Au Maghreb, la liberté de déplacement des femmes berbères au sein des territoires occupés par les groupes où elles vivent paraît être en relation avec leurs différents genres de vie plus ou moins sédentaires, jusqu’à l’exception révélatrice des citadines confinées dans l’oasis du Mzab.

La pensée des femmes au Maghreb, a été transmise par elles-mêmes dans leur fonction enseignante des enfants. Contraintes par un patriarcat toujours imposé de la famille jusqu’aux aux Etats modernes, elles ont toujours su disposer de contre pouvoirs, jusqu’aujourd’hui même où, plus que jamais, elles luttent pour revendiquer une place plus égale à celle des hommes dans leur participation à la société, de part et d’autre de la Méditerranée.

Women in Mahgreb : looks of ethnologist on fifty years studies and research

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[1Directrice de recherche honoraire au C.N.R.S. - Hérodote, n° 136, mars 2010. pp. 82-104.

[3À neuf reprises depuis 1977.

[4« Yessis n Teryel » Forum des femmes kabyles, où figure une citation –non référencée-, de P. Bourdieu : « La femme kabyle se
débat dans le lait comme une mouche. »

[5Librairie Plon, 1952.

[6Année qui, suivant notre retour en France, fut marquée d’évènements considérables : - au printemps, la naissance de notre fils
aîné, suivie, l’été finissant, - de mon entrée au CNRS, puis à l’automne, ce que je n’apprendrai que plus tard : - cette affreuse
épreuve que fut, sous le nom de « Oiseau bleu », que, sur place, on nomme « le complot » : une tentative de création de maquis
contre-maquis, organisée par les services secrets du Gouvernement Général de l’Algérie, la DST et les services de renseignements
de l’armée, qui, surtout chez les Iflissen Lebhar qui m’accueillirent plus tard, s’y acheva par la première grande opération de la
guerre d’indépendance (en 1956), menée conjointement par terre, par air et par mer. (Lacoste-Dujardin, 1997)

[7Cette première découverte me fut l’occasion d’une anecdotique victoire « féministe » : un officier lecteur de mon article fut fort incrédule à double titre : - troublé de découvrir que « Camille Lacoste » pouvait être… « une jeune femme », osant empiéter sur un domaine réservé aux hommes … - et « impossible que « ces gens-là » aient « inventé
cela » !
 » On était en1958, en pleine guerre d’Algérie.
Aujourd’hui, l’article que j’ai consacré à ces « flissas » a l’honneur de figurer sur le site Internet des Iflissen Lebhar.

[8« Qui a les siens dans la montagne n’a rien à redouter dans la plaine » : proverbe kabyle. Je reçus moi-même ce conseil : « Sur le territoire de la commune, vous ne craigniez rien ; mais dans le « pays des Arabes » … ?????? »

[9Les Berbères sont autochtones à travers l’ensemble du Maghreb, d’Ouest en Est des Canaries jusqu’à l’oasis de Siwa en Egypte
à la frontière de la Lybie, et du Nord au Sud entre la Méditerranée et la plus grande partie du Sahara.

[10Au sens de Vidal de La Blache, qui, à la fin du XIX° siècle, par cette expression "genre de vie", entendait : un type d’activités
productives pratiquées globalement dans un type de milieu naturel (par exemple « montagne semi-aride ») par un groupe humain
vivant en relative auto-subsistance, en s’adaptant, y compris dans ses représentations, aux contraintes du milieu physique et
géopolitique, et sans division du travail très poussée, sinon entre les hommes et les femmes. Il ne reste certes plus, de nos jours, de
groupe humain à vivre en auto-subistance ; cependant les héritages de son ancien genre de vie permettent de mieux comprendre certaines de ses pratiques et de ses représentations encore actuelles.

[11Ce fut avec grande émotion qu’un jour, les étudiants de mon séminaire sur les femmes du Maghreb à l’EHESS, accueillirent une
jeune étudiante mozabite : la première à « sortir » jusqu’à Paris… qui nous avouera plus tard que sa mère était originaire de Tlemcen…

[12Un site est actuellement nommé yessi-s n-teryel « les filles de l’ogresse ».

[13Au titre : « Un village algérien. Structures et évolution récente » erroné puisque neuf villages en sont l’objet, connus sous le nom d’« Aït Zouaou » dans l’APC d’Iflissen Lebhar.

[14Que j’étudierai par la suite : 1997 : Opération « Oiseau Bleu ». Des Kabyles, des ethnologues et la guerre d’Algérie. Paris : La Découverte, 308 p.

[15D’après les « feuilles de ménages » du recensement officiel qui me furent alors confiées.

[16Dont la présence et celle de leurs enfants au foyer villageois assurait la régularité du mandat envoyé de France.

[17Le bannissement était la plus grande condamnation prescrite par l’assemblée du village qui sanctionnait une trahison. En fait, le jeune couple a été privé de relations de voisinage.

[18Cet homme, le père de mon amie, d’une fort bonne famille, devait retourner bientôt au village, où il m’honora d’un accueil en forme d’adoption : à son épouse ne pouvant comprendre ce que je venais chercher sur place, il déclara que j’étais « une fille qu’il
avait eue en France »
… me conférant, à ce titre, mon admission dans le village.

[19Quoique la lucidité féminine perçoive fort bien ce danger de cette limitation d’épanouissement affectif à la maternité, qu’elles dénoncent dans leur expression littéraire orale sous forme de relations d’une mère et de son fils… en symétrie inverse du « Peau
d’âne »
européen entre un père et sa fille (Lacoste-Dujardin, 1985, pp. 171-173).

[20Jusqu’à une vingtaine pour les plus nombreuses.

[21Il est vrai, à la seule exception du droit de contrainte et de l’absence d’âge minimal au mariage de la femme abolis dans les trois pays du Maghreb. Pourtant, alors que le droit public, dans les domaines économique et politique s’y est trouvé aménagé, seul le
droit privé, imposé à la famille, celui-là même institué dans l’Arabie du 7ème siècle n’a guère été modifié !

[22Quoique, dès 1969, le souverain marocain ait déclaré que la femme devait constituer « un rempart infranchissable face à
l’occidentalisation et à la dépersonnalisation »
(Lacoste-Dujardin, 1985, p. 194.

[23En totale contradiction avec la logique généalogique patriarcale coranique.

[24La Tunisie est le seul Etat du Maghreb à avoir adhéré aux trois conventions de New York sur le droit des femmes, auquel il s’efforce de se conformer. La Tunisie a aussi été la seule à condamner la polygamie, y compris celles d’unions contractées avant la publication de la loi !

[25« Ensemble normatif contenu dans le Coran et la tradition du prophète », de fait : guide de conduite et référent des musulmans.
L’adoption y est interdite du fait d’une inopportune « tentation » éprouvée par le prophète envers la femme de son propre fils
adoptif (Lacoste-Dujardin, 1988).

[26En Algérie le taux de fécondité de 9 enfants par femme en 1986, est passé à 7,7 en 1992, et 2,5 en 2005 : soit, en moins de 20 ans, ce que les Françaises ont accompli en deux siècles !

[27Il a été établi que les femmes ont très précisément un enfant de moins par niveau scolaire atteint (primaire > secondaire > supérieur).

[28Soit, en une cinquantaine d’années à peine ce que les Françaises ont mis plus de deux siècles à réaliser !

[29Telle Nabila Diahmine fondatrice de l’association « Cris de femmes » pour un planning familial et l’information des femmes à la santé de Tizi-Ouzou, assassinée le 15 Février 1995.

[30Une enquête réalisée en Tunisie dans les années 1980, montre que 60% des hommes y étaient encore opposés à la formation professionnelle des femmes, dont leurs épouses, tandis qu’à peine 8% refusent celle de leurs filles, qui, il est vrai, ne continueront
pas leur lignée… !

[31« Intégration » est ici employé avec le sens que lui donnent les jeunes femmes maghrébines en France : « leur place dans la société française ».

[32J’avais pu lui obtenir la rétribution de quelques « vacations » du CNRS.

[33Voir plus haut.

[34Alors parfois sans limites restreintes, comme par l’apprentissage de la conduite et l’usage d’une voiture, par exemple pour les
femmes marocaines.

[35Depuis les fugueuses jusqu’à l’exercice d’un ministère au gouvernement de la France !

[36Au point qu’un colloque récent a été consacré à ces apports à la francophonie, initié par de jeunes kabyles émigrés…au Québec ! Voire aussi Lacoste-Dujardin, 1999

[37Par exemple, Farida Hammak, née en 1950, a été grand reporter de guerre, correspondante de Newsweek, et reporter
photographe à l’agence Gamma.

[38Cette conclusion est celle d’une enquête menée de 1987 à 1990, réalisée en entretiens approfondis avec des jeunes femmes de familles maghrébines aux caractéristiques variées

[39En fait, élément de « séparation », voire tenture à l’intérieur d’une pièce de la maison.

[40Inconnu par ce nom hors de l’Afghanistan, mais équivalent d’autres différents voiles intégraux portés en terre d’Islam, comme l’abaya (noire) en Arabie Saoudite, ou en Iran : le tchador, mais tchadri au Pakistan et en Inde ; ces vêtements intégraux sont parfois complétés d’un autre petit voile sur le seul visage : le niqab.

[41Sourate 33, verset 53.

[42Surtout l’opposition des Qoraïchites : les membres d’une puissante tribu de la Mekke, jusque là rivale mais récemment ralliée
au Prophète.

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