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DOSSIER

LES PEUPLES ET LEURS FRONTS D’ACTION UNIE, POUR RÉSISTER OU PASSER A L’OFFENSIVE ET CONSOLIDER LEURS PREMIERS SUCCÈS.

jeudi 1er novembre 2012


« LE PEUPLE GREC SE TROUVE AUJOURD’HUI À L’ÉPICENTRE DE LA CRISE DU CAPITALISME » Discours d’Eric Toussaint au festival de la jeunesse de Syriza à Athènes, le 6 octobre 2012.


CAPITALISME LIBÉRAL, CAPITALISME DE CONNIVENCES ET LUMPEN DEVELOPPEMENT - QUELLES REPONSES IMMEDIATES ? LE CAS DE L’EGYPTE - Samir AMIN - octobre 2012.


Jean-Luc Mélenchon en Amérique du Sud, récit exclusif - L’Humanité dimanche du 25 au 30 octobre 2012
Huma Dimanche publie un article de Melanchon remarquable sur son dernier voyage en Argentine et Uruguay


LIBAN : DEUX PRISES DE POSITION : PARTI COMMUNISTE LIBANAIS et ORGANISATIONS PALESTINIENNES - article 965 mis en ligne par socialgerie le 26 octobre 2012.


TUNISIE : CONFÉRENCE DE PRESSE DU « FRONT POPULAIRE ».


« LE PEUPLE GREC SE TROUVE AUJOURD’HUI À L’ÉPICENTRE DE LA CRISE DU CAPITALISME »

Discours d’Eric Toussaint
au festival de la jeunesse de Syriza
à Athènes, le 6 octobre 2012

Plus de 3000 personnes étaient présentes pour écouter 4 conférenciers dans l’ordre suivant : Marisa Matias, eurodéputée du Bloc de Gauche (Portugal) ; Lisaro Fernandez, dirigeant syndical des mineurs (Asturies, Espagne) ; Alexis Tsipras, président de Syriza (Grèce) ; Eric Toussaint, président du CADTM (Belgique, www.cadtm.org ).


Intervention d’Eric Toussaint :
21 octobre 2012

« Nous vivons et traversons une des pires crises du système capitaliste mondial. Mais le capitalisme ne va pas mourir de mort naturelle dans son lit. Les crises font partie du métabolisme du capitalisme. Seule l’action consciente des peuples peut détruire et dépasser le capitalisme pour ouvrir la voie au socialisme démocratique.

Le peuple grec se trouve aujourd’hui à l’épicentre de la crise du capitalisme. La façon dont le peuple grec, avec ses mobilisations, pourra affronter et donner une réponse à cette crise capitaliste est déterminante pour offrir une solution au niveau international. Vous vous trouvez dans l’épicentre de la crise et de la solution à cette crise.

Il y a 6 ou 7 ans, l’épicentre de l’alternative au capitalisme se trouvait en Amérique du Sud : au Venezuela, en Équateur, en Bolivie, quand Hugo Chavez disait en 2004 qu’il ne croyait plus à la troisième voie, qu’il pensait qu’il fallait au niveau mondial un socialisme du 21e siècle. Aujourd’hui, l’épicentre des alternatives - qui n’ont toujours pas vu le jour, comme l’indiquent bien le titre de cette conférence – s’est déplacé vers l’Europe.

Ce que les peuples du Venezuela, d’Équateur et de Bolivie ont montré au niveau mondial, c’est qu’il est parfaitement possible de résister à l’offensive capitaliste, qu’il est parfaitement possible d’appliquer une politique de redistribution de la richesse, de socialiser les grandes entreprises stratégiques, qu’il est absolument possible et nécessaire de récupérer le contrôle sur les biens communs comme les ressources naturelles. Ils l’ont fait, ils sont toujours au gouvernement et espérons que demain, le 7 octobre à l’occasion des élections présidentielles, Hugo Chavez sera de nouveau réélu comme président du Venezuela.

Nous vivons aujourd’hui en Europe un moment historique. Jamais au cours des 70 dernières années, dans les pays européens, nous n’avons vécu une offensive aussi brutale qu’aujourd’hui. Partout en Europe, on utilise le prétexte de la dette, pas seulement en Grèce, mais dans tous les pays européens, pour appliquer des politiques d’austérité budgétaire. En Grèce, nous voyons clairement les résultats dans la version la plus brutale, mais la Grèce est seulement le début d’une offensive qui affecte déjà les peuples du Portugal, d’Irlande, d’Espagne et d’autres pays européens.

C’est pour cela que nous devons la combattre et unifier nos efforts pour suspendre le paiement et répudier la dette illégitime. C’est un objectif fondamental pour nous au niveau du continent.

Le peuple grec a donné une grande leçon à l’Europe ces trois dernières années. D’abord, il résiste, s’est organisé et a pris part à au moins 14 grèves générales. Mais, tout aussi fondamental, et malgré la défaite électorale, c’est que le peuple grec a voté tout de même massivement pour l’initiative radicale proposée par Syriza. C’est une leçon fondamentale pour le reste de l’Europe où trop souvent la gauche est trop timide. L’exemple grec montre la force d’une gauche unie, d’une gauche qui rassemble, qui crée une coalition entre 12 organisations politiques différentes et cherche à les unifier dans Syriza. L’exemple grec montre que quand un parti ou une coalition dit ’Non’, dit : ’Si nous arrivons au gouvernement, nous allons désobéir à la Troïka’, une telle attitude courageuse et combative peut obtenir le soutien populaire. C’est une leçon pour tous et pour toutes.

La réduction de la dette grecque en mars 2012 est une arnaque et un piège. Il est très important de montrer à l’opinion publique internationale que la dette réclamée par la Troïka, qui représente aujourd’hui 150 milliards d’euros - c’est la dette de la Grèce avec la Troïka -, que toute cette dette est une dette illégitime qui doit être annulée par l’action du peuple, grâce à la désobéissance d’un gouvernement populaire.

Ils essayent de vous convaincre que suspendre le remboursement amènera le chaos dans le pays. Mais dans les 10 dernières années, trois exemples contredisent totalement l’affirmation selon laquelle il n’y a pas de salut possible en dehors du remboursement de la dette.

  • L’Argentine a suspendu le paiement de sa dette en décembre 2001 pour une somme de 90 milliards de dollars et l’Argentine connaît une croissance économique de 4 à 7% chaque année depuis 2003.
  • L’Équateur a suspendu le paiement de sa dette commerciale de novembre 2008 jusqu’à juin 2009 et a pu imposer à ses créanciers une réduction de la dette de 65%.
  • Et l’Équateur va économiquement très bien.
  • L’Islande, ce modèle néolibéral, a connu de graves difficultés en septembre 2008 avec la banqueroute de tout son système bancaire. L’Islande a alors refusé de rembourser la dette de ses banques au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. L’Islande va très bien avec une croissance économique de 3% chaque année.

Il est clair que la Grèce n’est pas l’Islande, ni l’Argentine ou l’Équateur. Il y a de réelles différences, mais la leçon est la suivante : ici ou ailleurs, si des gouvernements ayant obtenu un soutien populaire décident de suspendre le payement d’une dette illégitime, ils peuvent obtenir une amélioration des conditions de vie de leur peuple. C’est un exemple à suivre.

Il est clair qu’une annulation de la dette est nécessaire mais pas suffisante. Annuler la dette de la Grèce sans changer le reste de l’économie et du modèle social et économique injuste ne permettra pas à la Grèce de construire une alternative en faveur du peuple. L’annulation, la suspension de payement de la dette est nécessaire, mais la socialisation du système bancaire, un autre système fiscal pour que les riches payent davantage d’impôts et pour la réduction d’impôts sur les services et les biens de première nécessité, font partie d’un modèle alternatif absolument nécessaire.

Chers amis, chères amies, l’histoire n’est pas pré-écrite. Plusieurs scénarios restent ouverts devant nous. On peut continuer dans la situation chaotique actuelle où il y a de plus en plus d’autoritarisme avec des gouvernements qui sont au service des banques. Ça peut encore durer des années. Un autre scénario est possible et pire : un scénario autoritaire néofasciste. C’est un grave danger qui menace réellement. Mais il y existe deux autres scénarios : sous pression populaire, il peut y avoir un capitalisme régulé, un capitalisme comme dans les années 1950-1960, un capitalisme de type keynésien. C’est une issue possible. Mais si nous sommes autant à s’être réunis ici ce soir, c’est parce que nous pensons que cela ne vaut pas la peine de limiter notre lutte à essayer de discipliner le capitalisme. Nous voulons dépasser le capitalisme. Nous voulons un socialisme démocratique, autogestionnaire du 21ème siècle. Vive le socialisme international. Vive le socialisme autogestionnaire. Vive Syriza. Vive le peuple grec. Vive la résistance des peuples. Vive la révolution, camarades ! »

Traduit de l’espagnol par Chris Den Hond

Sources : CADTM, le 21 octobre 2012

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CAPITALISME LIBÉRAL, CAPITALISME DE CONNIVENCES (« crony capitalism ») ET LUMPEN DEVELOPPEMENT

Quelles réponses immédiates ? Le cas de l’Egypte

Samir AMIN
octobre 2012.

A. Capitalisme « libéral » ou capitalisme de connivences ?

Le capitalisme libéral (ou néolibéral) proposé et imposé comme sans alternatives repose sur sept principes considérés comme valables pour toutes les sociétés de la planète mondialisée.

1. L’économie doit être gérée par des entreprises privées car elles seules se comportent naturellement comme des acteurs soumis aux exigences de la compétition transparente, au demeurant avantageuses pour la société, dont elle assure une croissance économique fondée sur l’allocation rationnelle des ressources et la juste rémunération de tous les facteurs de la production – capital, travail et ressources naturelles. En conséquence s’il y a des actifs possédés par l’Etat, héritage malheureux du « socialisme », (entreprises productives, institutions financières, terrains urbains ou terres agricoles), ceux-ci doivent être privatisés.

2. Le marché du travail doit être libéralisé, les fixations « autoritaires » d’un salaire minimum (et a fortiori d’une échelle mobile pour celui-ci) doivent être supprimés. Le droit du travail doit être réduit aux règles minimales garantissant la moralité des rapports humains entre employeur et employé ; les droits syndicaux limités et encadrés à cet effet. La hiérarchie des salaires qui résulte des négociations individuelles et libres entre employés et employeurs doit être acceptée, tout comme le partage du revenu national net entre les revenus du travail et ceux du capital qui en résulte.

3. Les services dits sociaux – l’éducation, la santé, voire la fourniture d’eau et d’électricité, le logement, les transports et les communications – lorsqu’ils ont été dans le passé assurés par des agences publiques (Etat et pouvoirs locaux) doivent être également ,autant que possible, privatisés ; leur coût doit être supporté par les individus qui en sont les bénéficiaires et non couverts par l’impôt.

4. La fonction fiscale doit être réduite au minimum nécessaire pour couvrir les seules fonctions souveraines (ordre public, défense nationale en particulier) ; les taux d’imposition doivent donc demeurer relativement modérés, pour ne pas décourager l’initiative privée et pour assurer la garantie de sa récompense.

5. La gestion du crédit doit être assumée par les intérêts privés, permettant à la rencontre libre entre offre et demande de crédits de se former sur un marché monétaire et financier rationnel.

6. Les budgets publics doivent être conçus pour être équilibrés sans déficit autre que circonstanciel et conjoncturel. Si un pays souffre d’un déficit structurel hérité d’un passé dont on veut renier l’héritage son gouvernement doit s’engager dans des réformes qui en réduisent l’ampleur aussi rapidement que possible. En attendant le déficit ne doit être couvert que par le recours à l’emprunt sur le marché financier privé, national ou étranger.

7. Les six principes considérés doivent être mis en œuvre non seulement aux échelles de toutes les nations de la planète mondialisée, mais encore dans les relations internationales, régionales (pour l’Union européenne par exemple) ou globales. Le capital étranger privé doit être libre de ses mouvements et être traité sur pied d’égalité avec le capital privé local.

Ces principes constituent ensemble le « fondamentalisme libéral » . Je rappellerai ici l’inconsistance des hypothèses de départ et l’absence de conformité du schéma avec la réalité. Très brièvement la preuve par le raisonnement logique que le jeu libre des marchés généralisés, même dans l’hypothèse extravagante (non conforme à la réalité) de l’existence d’une compétition dite transparente, produirait un équilibre entre offre et demande (de surcroît socialement optimal), n’a jamais pu être faite. Au contraire le raisonnement logique conduit à la conclusion que le système se déplace de déséquilibre en déséquilibre sans jamais tendre à l’équilibre. Les déséquilibres successifs en question sont produits parce que cette théorie (qui définit la pseudo science économique conventionnelle) exclut de son champ d’investigation : le conflit des intérêts sociaux et nationaux. Par ailleurs ces hypothèses décrivent un monde imaginaire qui n’a rien à voir avec ce qu’est le système contemporain réellement existant, qui est celui d’un capitalisme de monopoles généralisés, financiarisés et mondialisés. Ce système n’est pas viable et son implosion, en cours, le démontre. Je renvoie ici à mes développements sur cette critique radicale du système en question et de la théorie économique.

Mis en œuvre à l’échelle mondiale les principes du libéralisme ne produisent pas autre chose, dans les périphéries du « sud » qui acceptent de s’y soumettre, qu’un capitalisme de connivences (crony capitalism ) articulé sur un Etat compradore, par opposition à l’Etat national engagé sur une voie de développement économique et social viable. Ce capitalisme de connivences (et il n’y en a pas d’autre possible) produit donc non le développement, mais un lumpen-développement.
L’exemple de l’Egypte, considéré dans ce qui suit, en fournit un bel exemple.

B. Capitalisme de connivences, Etat compradore
et lumpen développement : le cas de l’Egypte (1970-2012)

Les gouvernements égyptiens successifs depuis l’accès de Sadate à la Présidence (1970) jusqu’à ce jour ont mis en œuvre avec assiduité tous les principes proposés par le fondamentalisme libéral. Ce qui en est résulté a fait l’objet d’analyses précises et sérieuses dont les conclusions indiscutables sont les suivantes :

1. Le projet nassérien de construction d’un Etat national développementaliste avait produit un modèle de capitalisme d’Etat que Sadate s’est engagé à démanteler, comme il l’a déclaré à ses interlocuteurs étatsuniens (« je veux renvoyer au diable le nassérisme, le socialisme et toutes ces bêtises et j’ai besoin de votre soutien pour y parvenir » ; un soutien qui lui a été évidemment apporté sans restriction). Les actifs possédés par l’Etat – les entreprises industrielles, financières et commerciales de l’Etat, les terrains agricoles et urbains, voire les terres désertiques – ont donc été « vendus ».
À qui ? À des hommes d’affaires de connivence, proches du pouvoir : officiers supérieurs, hauts fonctionnaires, commerçants riches rentrés de leur exil dans les pays du golfe munis de belles fortunes (de surcroît soutiens politiques et financiers des Frères Musulmans). Mais également à des « Arabes » du Golfe et à des sociétés étrangères américaines et européennes.
À quel prix ? À des prix dérisoires, sans commune mesure avec la valeur réelle des actifs en question.
C’est de cette manière que s’est construite la nouvelle classe « possédante » égyptienne et étrangère qui mérite pleinement la qualification de capitaliste de connivence (rasmalia al mahassib, terme égyptien pour la désigner, compris par tous). Quelques remarques :

  • la propriété octroyée à « l’armée » a transformé le caractère des responsabilités qu’elle exerçait déjà sur certains segments du système productif (« les usines de l’armée ») qu’elle gérait en tant que institution de l’Etat. Ces pouvoirs de gestion sont devenus ceux de propriétaires privés. De surcroît dans la course aux privatisations les officiers les plus puissants ont également « acquis » la propriété de nombreux autres actifs d’Etat : chaines commerciales, terrains urbains et périurbains et ensembles immobiliers en particulier.
  • L’opinion égyptienne qualifie toutes ces pratiques de « corruption » (fasad) en se situant sur le terrain de la morale, faisant ainsi l’hypothèse qu’une justice digne de ce nom pourrait les combattre avec succès. Une bonne partie de la gauche elle-même fait la distinction entre ce capitalisme « corrompu » condamnable et un capitalisme productif acceptable et souhaitable. Seule une petite minorité comprend que dès lors que les principes du « libéralisme » sont acceptés comme fondements de toute politique prétendue « réaliste » le capitalisme dans les périphéries du système ne peut être autre. Il n’y a pas de bourgeoisie se construisant par elle-même, de sa propre initiative comme la Banque mondiale veut le faire croire. Il y a un État compradore actif à l’origine de la constitution de toutes ces fortunes colossales.
  • Les fortunes en question égyptiennes et étrangères ont été constituées par l’acquisition d’actifs déjà existants, sans adjonction autre que négligeable aux capacités productives. Les « entrées de capitaux étrangers » (arabes et autres), au demeurant modestes, s’inscrivent dans ce cadre. L’opération s’est donc soldée par la mise en place de groupes monopolistiques privés qui dominent désormais l’économie égyptienne. On est loin de la concurrence saine et transparente du discours libéral élogieux à leur encontre. D’ailleurs la plus grande part de ces fortunes colossales est constituée par des actifs immobiliers : villages de vacances (« marinas ») sur les côtes de la Méditerranée et de la Mer Rouge, quartiers nouveaux » fermés d’enceintes, gardées (à la mode latino-américaine – jusque là inconnue en Egypte), terrains désertiques en principe destinés à une mise en valeur agricole. Ces terrains sont conservés par leurs propriétaires qui spéculent sur leur revente après que l’Etat ait assuré les coûts vertigineux des infrastructures qui les valorisent (et ces coûts n’ont évidemment pas été pris en compte dans le prix de cession des terrains)…

2. Les positions monopolistiques de ce nouveau capitalisme de connivences ont été systématiquement renforcés par l’accès presqu’exclusif de ces nouveaux milliardaires au crédit bancaire, (notamment pour « l’achat » des actifs en question) au détriment de l’octroi de crédits aux petits et moyens producteurs.

3. Ces positions monopolistiques ont été également renforcées par des subventions colossales de l’Etat, octroyées par exemple pour la consommation de pétrole, de gaz naturel et d’électricité par les usines rachetées à l’Etat (cimenterie, métallurgie du fer et de l’aluminium, textiles et autres). Or la « liberté des marchés » a permis à ces entreprises de relever leurs prix pour les ajuster à ceux d’importations concurrentes éventuelles. La logique de la subvention publique qui compensait des prix inférieurs pratiqués par le secteur d’Etat est rompue au bénéfice de super profits de monopoles privés.

4. Les salaires réels pour la grande majorité des travailleurs non qualifiés et des qualifications moyennes se sont détériorés par l’effet des lois du marché du travail libre et la répression féroce de l’action collective et syndicale. Ils sont désormais situés à des taux très inférieurs à ce qu’ils sont dans d’autres pays du Sud dont le PIB per capita est comparable. Super profits de monopoles privés et paupérisation vont de pair et se traduisent par l’aggravation continue de l’inégalité dans la répartition du revenu.

5. L’inégalité a été renforcée systématiquement par un système fiscal qui a refusé le principe même de l’impôt progressif. Cette fiscalité légère pour les riches et les sociétés, vantée par la Banque mondiale pour ses prétendues vertus de soutien à l’investissement, s’est soldée tout simplement par la croissance des superprofits.

6. l’ensemble de ces politiques mises en œuvre par l’Etat compradore au service du capitalisme de connivence ne produit par elle-même qu’une croissance faible (inférieure à 3%) et partant une croissance continue du chômage. Lorsque le taux de celle-ci a été un peu meilleur, cela a été du intégralement à l’expansion des industries extractives (pétrole et gaz), à une conjoncture meilleure concernant leurs prix, à la croissance des redevances du Canal de Suez, du tourisme et des transferts des travailleurs émigrés.

7. Ces politiques ont également rendu impossible la réduction du déficit public et de celui de la balance extérieure commerciale. Elles ont entraîné la détérioration continue de la valeur de la livre égyptienne, et imposé un endettement interne et extrême grandissant. Celui-ci a donné l’occasion au FMI d’imposer toujours davantage le respect des principes du libéralisme.

C. Les réponses immédiates

Ces réponses ne sont pas l’œuvre de l’auteur de ces lignes qui s’est contenté de les collecter auprès des responsables des composantes du mouvement – partis de gauche et du centre démocratique national, syndicats, organisations diverses de jeunes et de femmes etc. Un travail considérables et de qualité a été conduit depuis plus d’un an par ces militants, responsables de la formulation d’un programme commun répondant aux exigences immédiates. Leur mise en forme (reprise ici) a d’ailleurs déjà fait l’objet de publications entre autre de notre collègue Ahmad El Naggar. J’en retiens les points saillants qui sont les suivants :

1. Les opérations de cession des actifs publics doivent être l’objet de remises en question systématiques. Des études précises – équivalentes à de bons audits – sont d’ailleurs disponibles pour beaucoup de ces opérations et des prix correspondant à la valeur de ces actifs précisés. Etant donné que les « acheteurs » de ces actifs n’ont pas payé ces prix, la propriété des actifs acquis doit être transférée par la loi après audit ordonné par la justice à des sociétés anonymes dont l’Etat sera actionnaire à hauteur de la différence entre la valeur réelle des actifs et celle payée par les acheteurs. Le principe est applicable pour tous, que ces acheteurs soient égyptiens, arabes ou étrangers.

2. La loi doit fixer le salaire minimum, à hauteur de 1 200 LE par mois (soit 155 Euro au taux de change en vigueur, l’équivalent en pouvoir d’achat de 400 Euros). Ce taux est inférieur à ce qu’il est dans de nombreux pays dont le PIB per capita est comparable à celui de l’Egypte.
Ce salaire minimum doit être associé à une échelle mobile et les syndicats responsables du contrôle de sa mise en œuvre. Il s’appliquera à toutes les activités des secteurs public et privé.
Etant donné que, bénéficiaires de la liberté des prix, les secteurs privés qui dominent l’économie égyptienne ont déjà choisi de situer leurs prix au plus proche de ceux des importations concurrentes, la mesure peut être mise en œuvre et n’aura pour effet que de réduire les marges de rentes des monopoles. Ce réajustement ne menace pas l’équilibre des comptes publics, compte tenu des économies et de la nouvelle législation fiscale proposées plus loin.
Les propositions faites par les mouvements concernés seront renforcées par l’adoption du salaire maximal : 15 fois le salaire minimum.

3. Les droits des travailleurs – conditions de l’emploi et de la perte d’emploi, conditions de travail, assurances maladies/chômage/retraites – doivent faire l’objet d’une grande consultation tripartite (syndicats, employeurs, Etat). Les syndicats indépendants constitués à travers les luttes des dernières dix années doivent être reconnus légalement, comme le droit de grève (toujours « illégal » dans la législation en cours).
Une « indemnité de survie » doit être établie pour les chômeurs, dont le montant, les conditions d’accès et le financement doivent être l’objet d’une négociation entre les syndicats et l’Etat.

4. Les subventions colossales octroyées par le budget aux monopoles privés doivent être supprimées. Ici encore les études précises conduites dans ces domaines démontrent que l’abolition de ces avantages ne remet pas en cause la rentabilité des activités concernées, mais réduisent seulement leurs rentes de monopoles.

5. Une nouvelle législation fiscale doit être mise en place, fondée sur l’impôt progressif des individus et le relèvement à 25% du taux de taxation des bénéfices des entreprises occupant plus de 20 travailleurs. Les exonérations d’impôts octroyées avec une largesse extrême aux monopoles arabes et étrangers doivent être supprimées. La taxation des petites et moyennes entreprises, actuellement souvent plus lourde (!) doit être révisée la baisse. Le taux proposé pour les tranches supérieures des revenus des personnes – 35% – demeure d’ailleurs léger dans les comparaisons internationales.

6. Un calcul précis a été conduit qui démontre que l’ensemble des mesures proposées dans les paragraphes 4 et 5 permet non seulement de supprimer le déficit actuel (2009-2010) mais encore de dégager un excédent. Celui-ci sera affecté à l’augmentation des dépenses publiques pour l’éducation, la santé, la subvention aux logements populaires. La reconstitution d’un secteur social public dans ces domaines n’impose pas de mesures discriminatoires contre les activités privées de même nature.

7. Le crédit doit être replacé sous le contrôle de la Banque centrale. Les facilités extravagantes octroyées aux monopoles doivent être supprimées au bénéfice de l’expansion des crédits aux entreprises de petites dimensions actives ou qui pourraient être créées dans cette perspective. Des études précises ont été conduites dans les domaines concernées et toutes ces activités artisanales, industrielles, de transport et de service. La démonstration a été faite que les candidats à prendre des initiatives allant dans le sens de la création d’activités et d’emplois existent (en particulier parmi les diplômés chômeurs).

8. Les programmes proposés par les composantes du mouvement demeurent moins précis pour ce qui concerne la question paysanne. La raison en est que le mouvement de résistance des petits paysans aux expropriations accélérées en cours depuis que les politiques de « modernisation » de la Banque mondiale ont été adoptées demeure éclaté ne dépasse jamais le village concerné – en particulier du fait de la répression féroce auquel il est soumis et de la non reconnaissance de sa légalité.
La revendication actuelle du mouvement – principalement urbain, il faut le reconnaître – est simplement l’adoption de lois rendant plus difficile l’éviction des fermiers incapables de payer les loyers exigés d’eux et l’expropriation des petits propriétaires endettés. En particulier on préconise le retour à une législation fixant les loyers de fermage maximaux (ils ont été libérés par les lois successives de vision de la réforme agraire).
Mais il faudrait aller plus loin. Des organisations progressistes d’agronomes ont produit des projets concrets et argumentés destinés à assurer l’essor de la petite paysannerie. Amélioration des méthodes d’irrigation (goutte à goutte etc.), choix de cultures riches et intensives (légumes et fruits), libération en amont par le contrôle par l’Etat des fournisseurs d’intrants et de crédits, libération en aval par la création de coopératives de commercialisation des produits associées à des coopératives de consommateurs. Mais il reste à établir une communication renforcée entre ces organisations d’agronomes et les petits paysans concernés. La légalisation des organisations de fait des paysans, leur fédération aux niveaux provinciaux et national devrait faciliter l’évolution dans ce sens.

9. Le programme d’actions immédiates repris dans les paragraphes précédents amorcerait certainement une reprise d’une croissance économique saine et viable. L’argument avancé par ses détracteurs libéraux – qu’il ruinerait tout espoir d’entrées nouvelles de capitaux d’origine extérieure – ne tient pas la route. L’expérience de l’Egypte et des autres pays, notamment africains, qui ont accepté de se soumettre intégralement aux prescriptions du libéralisme et ont renoncé à élaborer par eux-mêmes un projet de développement autonome « n’attirent » pas les capitaux extérieurs en dépit de leur ouverture incontrôlée (précisément à cause de celle-ci). Les capitaux extérieurs se contentent alors d’y conduire des opérations de razzia sur les ressources des pays concernés, soutenues par l’Etat compradore et le capitalisme de connivences. En contrepoint les pays émergents qui mettent en œuvre activement des projets nationaux de développement offrent des possibilités réelles aux investissements étrangers qui acceptent alors de s’inscrire dans ces projets nationaux, comme ils acceptent les contraintes qui leur sont imposées par l’Etat national et l’ajustement de leurs profits à des taux raisonnables.

10. Le gouvernement en place au Caire, composé exclusivement de Frères Musulmans choisi par le Président Morsi a d’emblée proclamé son adhésion inconditionnelle à tous les principes du libéralisme, pris des mesures pour en accélérer la mise en œuvre, et déployé à cette fin tous les moyens de répression hérités du régime déchu. L’Etat compradore et le capitalisme de connivences continuent ! La conscience populaire qu’il n’y a pas de changement en vue grandit comme en témoigne le succès des manifestations populaires des 12 et 19 octobre. Le mouvement continue !

11. Le programme des revendications immédiates dont j’ai retracé ici les lignes dominantes ne concerne que le volet économique et social du défi. Bien entendu le mouvement discute tout également de son versant politique : le projet de constitution, les droits démocratiques et sociaux, l’affirmation nécessaire de « l’Etat des citoyens » (dawla al muwatana) faisant contraste avec le projet de théocratie d’Etat (dawla al gamaa al islamiya) des Frères Musulamns. Ces questions n’ont pas été abordées ici.

(document rédigé par Samir Amin en octobre 2012)

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Jean-Luc Mélenchon en Amérique du Sud, récit exclusif

L’Humanité dimanche du 25 au 30 octobre 2012
- le 25 Octobre 2012

Déjà bien présent au Venezuela et au Brésil cet été, Jean-Luc Mélenchon est retourné en Amérique du Sud entre les 10 et 19 octobre, à l’invitation des présidences de l’Argentine et de l’Uruguay. Le co-président du Parti de gauche offre aux lecteurs de l’Humanité dimanche cette semaine le récit de ses rencontres avec la présidente de l’Argentine, Cristina Kirchner et le président de l’Uruguay, José Mujica, entre autres.

Le déplacement de Jean-Luc Mélenchon s’inscrit dans le cadre de la préparation du premier Forum mondial de la révolution citoyenne, dont la convocation est envisagée pour avril prochain à Quito, en Equateur.

Extrait :
"Ici, ils ont fait comme si c’était mon élection qui était en cause ! Si Chavez perdait - et ils croyaient tous qu’il allait être battu - c’est comme si c’était moi qui perdais !" Voilà ce que m’a dit Cristina Kirchner, la présidente argentine. Quand je suis arrivé à Buenos Aires en Argentine et ensuite quand je suis passé à Montevideo en Uruguay, l’onde de choc de la victoire éclatante de Chavez continuait de produire ses effets. Les nôtres se sentaient si soulagés et si renforcés après des semaines de harcèlement médiatique venimeux ! Les autres ont baissé d’un ton..."

http://www.humanite.fr/politique/dans-lhd-jean-luc-melenchon-en-amerique-du-sud-recit-exclusif-507181

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