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HRANT DINK : "LA LOI INTERDISANT LA NÉGATION DES GÉNOCIDES EST UNE LOI IMBÉCILE"

lundi 26 décembre 2011

L’Assemblée nationale française a adopté ce jeudi le projet de loi interdisant la négation des génocides, dont celui des Arméniens en 1915.
En octobre 2006, le journaliste arménien Hrant Dink -assassiné trois mois plus tard par un nationaliste- expliquait à L’Express son opposition à une telle loi.

Que pensez-vous de la proposition de loi française pénalisant la négation du génocide arménien ?

J’y suis opposé, au nom du principe de la liberté d’expression, ce droit universel que l’on ne peut pas sacrifier au nom du "plus jamais le génocide !" Ensuite, si l’on mesure les avantages et les inconvénients de cette loi, il est manifeste que la diaspora arménienne, en poussant à son adoption, s’est tiré une balle dans le pied. Jusqu’à présent, la Turquie avait le mauvais rôle et les Arméniens étaient les victimes de son injustice. Désormais, c’est la Turquie qui apparaît comme la victime, car on veut la priver de sa liberté d’expression.

La loi ne doit-elle pas punir le négationnisme ?

Être négationniste, c’est nier la réalité. Mais ni la Turquie ni le peuple turc ne connaissent la réalité de ce qui s’est passé en 1915. Ils défendent ce qu’ils croient savoir. Ce n’est pas du négationnisme ; c’est de l’ignorance. Il ne peut pas y avoir de loi contre l’ignorance. En outre, les Turcs ne sont pas les seuls responsables des évènements de 1915 : cette responsabilité est plus générale et elle inclut aussi la France. Vos députés le savent-ils bien ?

Mais il existe un véritable négationnisme ?

Cette proposition de loi concerne non pas les Etats, mais les individus. Or il n’est pas besoin de traîner les négationnistes devant les tribunaux. Ils méritent tout juste la pitié.

Êtes-vous en colère ?

Oui. Comme par hasard, c’est seulement aujourd’hui que le Parlement français feint de s’intéresser aux évènements de 1915. Pourquoi ne s’est-il pas prononcé plus tôt, pendant la guerre froide, quand la Turquie était une alliée précieuse ? Parce que, désormais, tout est bon pour bloquer Ankara dans sa route vers l’Europe. Je vous le dis, en tant qu’Arménien respectueux de ses ancêtres et qui porte en lui ce génocide : je n’ai pas besoin d’un soutien hypocrite.
Il est immoral d’instrumentaliser une tragédie historique à des fins politiques.

Comment jugez-vous l’activisme du lobby arménien ?

La diaspora se trompe de programme. Sa priorité devrait être d’aider à la stabilité et à la démocratisation de l’Arménie, fragilisée par les relations tendues qu’elle entretient avec ses voisins, parmi lesquels la Turquie.
Or, au lieu d’aider l’Arménie à trouver la voie de l’Europe, la diaspora se bat pour empêcher la Turquie d’entrer dans l’Union européenne.
La diaspora se laisse guider par le ressentiment - ce que je peux comprendre. Mais, pardon de le dire, c’est faire fi de la raison.
La nation arménienne a besoin de soutenir son Etat.

Cette loi bloque-t-elle le dialogue ?

Oui. Si les Européens sont sincères, ils doivent laisser la Turquie progresser vers la démocratie. Mais comment les esprits peuvent-ils changer, si le débat est interdit ?
En réalité, ni les députés français ni la diaspora ne veulent voir que la Turquie est en train de changer, que le peuple turc, sous l’effet des témoignages et des débats, s’interroge, que le travail des consciences est à l’œuvre.
La proposition de loi française est un texte répressif que je place au même rang que la loi turque qui interdit de parler de "génocide".
Si elle était adoptée en France, j’irais chez vous la violer, en niant le génocide, tout en demandant pardon à mes ancêtres.
Car ce texte est, comme l’article 301 du Code pénal turc, une loi imbécile.

Interview publiée le 26/01/2006 par l’Express.
Lundi 26 décembre 2011.


Voir en ligne : http://www.algerieinfos-saoudi.com/...