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NICOLE DREYFUS EST DÉCÉDÉE LE 11 FÉVRIER 2010

mardi 23 février 2010


Nicole Dreyfus, avocate des militants du FLN, est décédée

par Hassane Zerrouky, article publié dans l’Humanité

Cette femme menue, qui a défendu des militants nationalistes et communistes algériens, était redoutée par les juges et les procureurs. Dans cette Algérie en guerre, en dépit des menaces de mort, elle n’a jamais cédé à la peur.

Nicole Dreyfus est décédée jeudi soir dans un hôpital parisien. Elle avait quatre-vingt-six ans. Avocate, elle s’est distinguée par un engagement exceptionnel pour la cause de l’Algérie en guerre en assurant la défense des militants nationalistes et communistes algériens.
C’est ainsi qu’en 1956, alors âgée de trente-deux ans, elle a fait partie du collectif de défense du Front de libération nationale (FLN). Cette année-là, en pleine « bataille d’Alger », alors que les paras du général Massu pratiquaient une « torture de masse » selon l’expression d’Henri Alleg, faisant disparaître des milliers de personnes – 25 000 morts et disparus en 1956-1957 –, Nicole Dreyfus se rendait à Alger pour assurer la défense de deux jeunes femmes, Baya Hocine et Djhor Akrou, membres de l’ALN (Armée de libération nationale), âgées de seize ans, accusées de terrorisme. Elles avaient été condamnées à mort « la veille de Noël […] en dépit de leur âge et en dépit de leur sexe », déclarait-elle dans un entretien à l’Humanité du 15 novembre 2000, avant que leur peine ne soit commuée en prison à perpétuité.
Elle a surtout défendu des femmes comme Zohra Drif, dirigeante du FLN pendant la bataille d’Alger, la communiste Jacqueline Guerroudj, toutes deux condamnées à mort en premier appel. Safia Baaziz, devenue avocate, et plus tard sa collaboratrice. Et tant d’autres militantes nationalistes et communistes algériennes. Menacée de mort par l’extrême droite, Nicole Dreyfus n’a jamais cédé à la peur.

Nicole Dreyfus puisait la force de son engagement dans l’histoire de sa famille. Très attachée à son origine alsacienne, raconte Henri Alleg, lointaine cousine du capitaine Dreyfus, elle a été marquée par le racisme antisémite.
Et de ce passé fait d’engagement pour l’indépendance algérienne qu’elle évoquait à chaque fois qu’elle y était invitée, un ami commun, ancien cadre du FLN, a vainement essayé de la persuader de le raconter par écrit pour les générations actuelles et à venir.
C’était en juillet dernier, deux mois après son retour d’Algérie où elle avait participé à un colloque sur les massacres du 8 mai 1945 à Sétif et Guelma. Elle n’en voyait pas l’utilité. « Ce n’est pas mon genre. Je n’ai fait que ce je devais faire comme l’ont fait d’autres avant moi dans d’autres circonstances tout aussi tragiques », répondait-elle.

En 2000, Nicole Dreyfus s’engage de nouveau en signant avec onze autres personnalités françaises (Henri Alleg, Germaine Tillion, Josette Audin, Simone de Bollardière, Gisèle Halimi, Alban Liechti, Noël Favrelière, Madeleine Rebérioux, Pierre Vidal-Naquet, Jean-Pierre Vernant et Laurent Schwartz) l’appel lancé le 31 octobre 2000, à l’initiative de l’Humanité, demandant au président Jacques Chirac et au premier ministre Lionel Jospin de condamner la torture pendant la guerre d’Algérie.
Cet appel « a eu l’immense mérite de réveiller dans notre peuple ce qui était refoulé. Il a remis à l’ordre du jour des faits anciens, qui dormaient dans la conscience commune, en éveillant des réactions très salutaires. Il a constitué un véritable point d’ancrage pour l’indispensable travail de mémoire », assurait-elle dans les colonnes de l’Humanité.

L’ANC sud-africaine, la défense des progressistes grecs sous la dictature des colonels, la Palestine et l’Irak sous occupation américaine ont fait aussi partie de son engagement.



Nicole Dreyfus l’avocate du FLN décédée jeudi soir

par Nadjia Bouzeghrane, EL WATAN du 14 février 2010 .

L’avocate Nicole Dreyfus était, de mon point de vue, tout indiquée pour un avis sur la décision de députés algériens de poursuivre les auteurs de crimes coloniaux commis en Algérie. C’est pourquoi j’ai tenté de la joindre, jeudi à midi. En vain. Je recommence vendredi après-midi. Au bout du fil, une voix me répond : « Qui cherche à la joindre ? Elle est décédée hier soir... »
Nicole Dreyfus a fait partie du collectif d’avocats qui a défendu les membres du FLN arrêtés pendant la guerre de Libération nationale.

Elle effectue son premier voyage en Algérie en 1956. Sa dernière visite à Alger remonte à fin octobre 1961.
L’avocate a plaidé essentiellement à Alger, mais aussi à Oran, à Annaba, à Constantine et à Ouargla.
Lorsque l’OAS se déchaîne, elle se souvient avoir dit à un militant politique : « Ce n’est plus la peine d’envoyer des avocats en Algérie parce qu’on est dans une phase telle que les condamnations à mort ne sont plus exécutées, il n’y a pas de menace immédiate. En revanche, l’OAS peut envahir les prisons, elle l’a fait dans certains cas, et là, nous ne pouvons rien.  » Peu de temps après, Maître Garrigues, avocat à Alger, était assassiné par l’OAS.

Des militants du FLN qu’elle a défendus, Maître Nicole Dreyfus a surtout revu, depuis, des femmes. L’avocate était souvent constituée par des femmes. «  J’ai revu Malika Korriche, Safia Baaziz, qui était ma collaboratrice, elle est avocate à Paris, Anne-Marie Francès, qui est morte il y a deux ans et que j’ai hébergée chez moi pendant plusieurs mois à sa sortie de prison, Mériem Belmihoub-Zerdani, Djouher Akrour ; j’ai revu à mon dernier séjour Guerroudj et sa femme ainsi que Zohra Drif…  »
L’avocate raconte : « On plaidait les affaires qui venaient, avec souvent, à la clé, des condamnations à mort. Il fallait étudier le dossier en quelques heures, et le lendemain plaider à fond. Je considère que c’était un combat juste, je suis contente de l’avoir mené. » (El Watan, édition du 8 mai 2005).

Après l’indépendance de l’Algérie, elle a poursuivi son engagement pour la vérité et la justice.

« La manifestation du 17 octobre 1961 et sa répression abominable est une affaire qui m’a particulièrement tenu à cœur, parce que je l’ai suivie devant les juridictions françaises et même devant la Cour européenne des droits de l’homme (El Watan du 8 mai 2005, ndlr). »
Sur initiative de la fondation du 8 Mai 1945, des rescapés et des ayants droit de victimes de la sanglante répression de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris ont déposé une plainte contre X devant la justice française pour crime contre l’humanité en février 1998.
Saisie par les plaignants le 15 mars 1999, la chambre d’accusation a rendu son arrêt le 3 mai, dans lequel elle confirme que les faits incriminés sont amnistiés parce qu’ils entrent dans le cadre de la loi d’amnistie couvrant les infractions en relation directe ou indirecte avec la guerre d’Algérie.
Les avocats de la partie civile ont saisi la cour de cassation. La plainte des familles avait été rédigée, signée et déposée par maîtres Bentoumi, Nicole Dreyfus et Marcel Manville. Ce dernier, ami de Frantz Fanon, est décédé le 2 décembre 1998 en plein tribunal, alors qu’il s’apprêtait à plaider devant la chambre d’accusation. Les plaignants sont allés jusque devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Présente à une rencontre témoignage de Louisette Ighil Ahriz organisée par l’Humanité en septembre 2000, l’avocate confirme que des récits tels que celui de Louisette Ighil Ahriz : « Nous en avons entendu des centaines, chacun des prisonniers de Barberousse, d’Oran, de Constantine… nous faisait le même récit, décrivait les mêmes tortures. »
« Le devoir de mémoire est un devoir essentiel. La torture pratiquée en Algérie n’intéresse pas que l’Algérie. C’est un problème universel contre lequel nous devons nous élever et lutter. »

Nicole Dreyfus ajoute que la France a attendu 1996 pour reconnaître la Shoah ;
« sur la guerre d’Algérie, personne n’a rien dit, non pas parce que pendant la guerre personne ne se soit dressé en France ou en Algérie contre la torture » .
« La loi d’amnistie a couvert ces exactions. Est-ce pour autant que ces faits doivent être couverts par la loi de l’oubli ? »
« Il y a une responsabilité de l’État français qui doit reconnaître que ce qui s’est passé il y a 40 ans, la torture, est inadmissible. »

Et «  actuellement, les choses sont mûres pour que, de part et d’autre de la Méditerranée, on parle de réconciliation, laquelle comporte une condition : la condamnation des tortionnaires par l’Etat qui les a engagés. Ce n’est pas l’oubli qui efface les crimes. C’est la reconnaissance de ses torts. (El Watan du 19 septembre 2000) ».

« Quelles que soient les vicissitudes de la colonisation, et Dieu sait ce qu’elles ont été nombreuses et cruelles, il y a quand même entre ces deux pays une histoire commune, une culture commune et des valeurs communes qui sont des valeurs de la démocratie et de la tolérance. C’est le point le plus important et pour lequel nous attachons le plus de prix et de satisfaction (El Watan du 8 mai 2005). »



Voir en ligne : http://www.humanite.fr/Nicole-Dreyf...