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"UN POINT D’HISTOIRE À PROPOS DE ABDELHAMID MEHRI"

samedi 11 février 2012

TÉMOIGNAGE SUR UN POINT D’HISTOIRE

Pierre Chaulet, le 1er février 2012

publié dans “ Liberté

Abdelhamid Mehri n’a pas été arrêté en novembre 1954 ni libéré en avril 1955

Une erreur s’est glissée dans la biographie d’Abdelhamid Mehri,
publiée dans la presse nationale à la suite de son décès.
Erreur qui
se trouve déjà dans le “Dictionnaire biographique des militants
nationalistes algériens 1926-1954”
de Benjamin Stora (l’Harmattan,
1985) répétée dans le “Dictionnaire biographique de la classe politique
algérienne de 1900 à nos jours”
d’Achour Cheurfi (Casbah éditions,
2001).

Je peux apporter mon témoignage afin de rétablir les faits.

Dès le 2 novembre 1954, des dirigeants du MTLD ont été arrêtés. Mais
l’arrestation de la majorité des membres du Comité central n’a
commencé que le 21 décembre et a été annoncée le 22. À l’époque,
j’étais en relation étroite avec Mohamed Laïchaoui, Mohamed Drareni,
Larbi Demaghelatrous et Salah Louanchi. Le 21 décembre 1954, je devais
dîner avec mon ami Pierre Roche dans la famille Mandouze, à Hydra,
pour discuter du contenu du futur numéro de la modeste revue que nous
éditions “Consciences maghrébines”.

Dans l’après-midi, Salah Louanchi et Abdelhamid Mehri me font avertir
qu’ils passent à la clandestinité, étant recherchés par la police et
qu’ils ont besoin d’un refuge sûr. J’avise aussitôt André Mandouze qui
me répond : “Qu’ils viennent ce soir, et on se débrouillera !”.
Lorsque je vais chercher Salah et Abdelhamid au point de notre
rendez-vous pour aller à Hydra, ils me disent que guettés par des
envoyés de leurs logeurs respectifs, ils ont été avertis à temps que
la police les attendait.

C’est ainsi que la clandestinité d’Abdelhamid a commencé. Il a été
hébergé dans la famille d’un professeur de la faculté de sciences
récemment nommé à Alger, le professeur Benoît, dans un petit
appartement situé à Hussein-Dey. Nous étions peu nombreux à connaître
cette adresse, où nous venions le chercher pour le conduire là où il
nous le demandait. Il était toujours en contact avec Salah Louanchi et
Mohamed Drareni (au moins, et à ma connaissance) qui le tenaient au
courant des développements de la situation.
Je me souviens
d’Abdelhamid, toujours calme et souriant, assurant la garde des
enfants de la famille Benoît (qui étaient en bas âge et turbulents)
lorsque leur mère sortait pour faire des courses pour sa famille
élargie.

Lorsqu’au printemps 1955, l’Organisation lui a demandé de rejoindre la
délégation extérieure, le problème s’est posé de lui fournir des
papiers et un déguisement plausible pour un départ en bateau jusqu’à
Marseille.
Le déguisement proposé initialement était celui d’un prêtre
en soutane : l’un des vicaires du Père Scotto, alors curé
d’Hussein-Dey, était de la même taille, et la distinction naturelle
d’Abdelhamid rendait la chose acceptable. C’est à ce moment-là
qu’Abdelhamid a posé avec humour l’objection majeure : “Mais si jamais
un passager me demande de le confesser, qu’est-ce que je vais faire ?”
. Éclat de rire général et l’idée a été abandonnée.
C’est le
professeur Benoît qui a trouvé la carte d’identité d’un collègue de la
même taille, sur laquelle la photographie d’Abdelhamid a été collée.

En 1984 ou 1985, trente ans après, lorsqu’il était ambassadeur à
Paris, Abdelhamid a retrouvé l’adresse des époux Benoît et les a
invités pour un dîner à l’ambassade. À la fin du repas, il a sorti
délicatement de son portefeuille la fausse carte d’identité de 1955 et
l’a remise au professeur Benoît avec un sourire en lui disant : “Je
crois que l’un de vos amis a perdu sa carte d’identité. Pouvez-vous la
lui remettre en le remerciant ?”.

C’est lui-même qui m’a raconté cette
anecdote qui illustre parfaitement le tact raffiné, l’humour et la
fidélité en amitié d’Abdelhamid Mehri.

Alger, le 1er février 2012 Pierre Chaulet