MESSAGE AU GENERAL VO NGUYEN GIAP

Le 27 Août 2009

À DAO DUY CAT (Assc. Prof. PhD.)
rédacteur en chef du journal en ligne du Parti communiste Viet Nam

Cher camarade,

Désireux de me joindre à l’hommage rendu à l’un des plus illustres représentants de votre Histoire nationale, je vous serais reconnaissant de faire parvenir ce message personnel d’hommage et de félicitations au Général Vo Nguyen Giap, ami inoubliable de l’Algérie, à l’occasion de son 99 ème anniversaire.

Et à l’occasion de cette heureuse commémoration, transmettre aussi mes vives félicitations au camarade Nong Duc Manh, secrétaire général du Parti Communiste (PCV).

Avec mes plus grands remerciements.


MESSAGE DE SADEK HADJERES AU GÉNÉRAL VO NGUYEN GIAP POUR SON 99ème ANNIVERSAIRE – socialgerie – le 27 août 2009;


LETTRE DE SADEK HADJERES À BENJAMIN STORA QUI PARTAIT POUR LE VIETNAMle 26 Novembre 1995;


Le 27 Août 2009

Cher camarade GIAP,

J’apprends avec joie et émotion que tu es encore parmi ton peuple valeureux et parmi nous tous au moment où le Viet-Nam célèbre le 99ème anniversaire de ta naissance.

Ainsi tu rappelles de façon encore plus vivante aux nouvelles générations de Vietnamiens et d’Algériens l’héroïque épopée de votre libération nationale.

Avec notamment l’épisode majeur de Dien-Bien Phu le 8 mai 1954.

Cette abnégation populaire et cette victoire avaient servi d’exemple et d’encouragement puissant à notre insurrection algérienne du 1er novembre 1954.

Ton passage à Alger après votre indépendance et la libération totale du Viet-Nam, est resté inoubliable dans la mémoire populaire algérienne. Ta formule selon laquelle «les colonialistes sont de mauvais élèves de l’Histoire» est restée proverbiale chez nous. Elle continue à guider la vigilance patriotique des couches les plus conscientes de notre peuple envers les agissements impérialistes et néolibéraux.

Au nom de l’ensemble de mes camarades et des travailleurs algériens qui en ces dures années ont mené contre l’occupant colonial commun des luttes difficiles en solidarité avec votre élan libérateur, je salue en toi le digne fils du peuple vietnamien, de ses travailleurs, de ses intellectuels et des institutions politiques, civiles et militaires, qui ont organisé la mobilisation et les luttes victorieuses.

A toi et à ton peuple, mes plus chaleureuses félicitations et notre reconnaissance pour avoir si bien nourri nos espoirs et nos aspirations. Avec le souhait de grand succès dans l’édification nationale.

Sadek HADJERES

Ancien membre du Bureau Politique et du Secrétariat du PCA (Parti Communiste Algérien, 1952 – 1965)

Ancien premier Secrétaire du PAGS (Parti de l’Avant-Garde Socialiste, de 1966 à 1990)

PS : Comme symbole de notre reconnaissance, je te transmets cher camarade Vo Nguyen Giap, le texte de la lettre manuscrite que j’avais adressée à l’historien français Benjamin Stora qui a travaillé dans les années 90 au Viet Nam. Cette lettre relate plusieurs épisodes de la solidarité de lutte entre nos deux peuples. Elle avait été reproduite en vietnamien dans la Revue d’Histoire de votre pays.

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LETTRE À BENJAMIN STORA

Le 26 Novembre 1995

Cher Stora,

J’ai appris que tu partais bientôt pour le Viet-Nam et j’espère que cette lettre te parviendra avant ton départ.

Je crois que cette nouvelle étape universitaire sera une bonne chose pour toi, pas seulement pour ta santé mais parce que ce pays semble vivre une expérience passionnante actuellement. Yves Lacoste qui y est retourné au printemps de cette année pour une quinzaine de jours en est revenu impressionné.(ndlr: Y. Lacoste avait en pleine guerre activement contribué sur le terrain comme géographe à démasquer la perfide barbarie des bombardements US sur les digues pour provoquer des inondations géantes) Ce peuple redéploie ses qualités après quelques années de difficultés consécutives aux dures guerres de libération qu’il a dû mener.

Mais je pense aussi que comme historien – c’est de cela que je voulais surtout te parler – tu aurais aussi la possibilité d’étudier certaines parmi les plus belles pages de la solidarité et de l’amitié franco – algéro – vietnamiennes.

Personnellement, je suis resté très sensible aux souvenirs de ces luttes à plusieurs époques de ma vie militante.

Déjà au début des années 40 (vers 1942), le livre de Andrée Viollis « SOS Indochine » écrit vers la fin des années 30 avait avivé mes sentiments patriotiques en décrivant les souffrances et les luttes des peuples d’Indochine, et cet épisode de la révolte de Yen-Bay qui a dû être pour ces peuples ce qu’ont été pour nous en Algérie les événements du 8 mai 1945.

Plus tard, vers 1949 au PPA, j’ai connu Si Djilani, l’un des fondateurs de l’Étoile Nord-Africaine, qui me racontait avec émotion ses souvenirs lorsqu’il était gérant du journal «Le Paria » dans lequel Ho Chi Minh à Paris était le rédacteur en chef (ils travaillaient tous deux à le faire).

Quand j’ai adhéré au Parti Communiste Algérien en 1950 – 1951, les communistes algériens et les syndicats algériens CGT menaient une campagne très active contre la guerre du Viet-Nam.

Les dockers algériens perdaient des journées entières de salaires en refusant de charger les bateaux en partance pour le Viet-Nam, malgré la répression coloniale et les campagnes hostiles des nationalistes contre ce boycott.
De nombreux jeunes ont été emprisonnés parce qu’ils s’opposaient aux sergents recruteurs français qui allaient recruter dans les campagnes de la chair à canon en payant ces jeunes paysans au poids.
Parmi ces emprisonnés, il y a eu Mustapha SAADOUN, qui était à l’époque un des secrétaires de l’UJDA (version de la Jeunesse Démocratique Algérienne), qui est celui-là même qui sera officier dans l’armée de Libération Nationale et qui, vers la fin de la guerre, fera partie avec Larbi Bouhali et Abdelhamid Boudiaf (un autre officier de l’ALN et membre de CC du PCA), d’une délégation du PCA au Viet-Nam.
Saadoun et Boudiaf avaient écrit au GPRA, en accord avec la direction du PCA, des lettres dans lesquelles s’inspirant des orientations qui avaient si bien assuré la mobilisation patriotique au Viet-Nam, ils proposaient fortement d’améliorer certaines méthodes critiquables en cours dans l’ALN. Certaines de ces lettres ont été publiées dans «Archives de la Révolution algérienne» de Mohamed Harbi.

Je me souviens aussi de l’impact extraordinaire qu’a eu la victoire de Dien Bien Phu en Algérie. Je me trouvais la 8 mai 1954 à Sidi Bel Abbes, ville garnison de la Légion Étrangère. Habituellement, les années précédentes, ce jour anniversaire du 8 mai 1945, les Algériens étaient en deuil et les militaires français faisaient la fête dans la ville. Mais cette fois-là, les Algériens étaient rayonnants, ils se souhaitaient bonne fête en souriant, les paysans algériens et les cheminots européens avec qui j’avais réunion étaient pleins de confiance dans la cause nationale, Novembre 54 n’était pas loin.

Après notre indépendance, il y a eu rapidement la 2ème guerre du Viet-Nam déclenchée par les Américains. Le PAGS, malgré sa clandestinité, a mené une très active campagne de solidarité. Les organisations étudiantes en particulier (UNEA) organisaient en commun avec les représentants de la Résistance Viet-Namienne à Alger de nombreuses manifestations malgré les réticences ou l’hostilité des bureaucrates du FLN algérien
[[Patrice GARNIRON (le fils de Monique GADANT, universitaire comme toi à Paris 8) qui était alors lycéen au lycée Descartes, menait lui aussi une activité en ce sens et c’est une des raisons pour lesquelles il avait été arrêté et torturé par la SM en 1971.]].

Plusieurs Algériens enrôlés dans l’armée française qui avaient rejoint pendant la 1ère guerre du Viet-Nam les rangs des patriotes vietnamiens ont milité clandestinement dans le PAGS après leur rapatriement du Viet-Nam et ont fait du bon travail parmi les paysans ou dans les usines. L’un d’eux, qui était capitaine dans les unités – constituées de Maghrébins qui avaient déserté le corps expéditionnaire français – a travaillé dans les équipes d’animation théâtrale constituées par Kateb Yacine, qui a monté en particulier la pièce «L’homme aux sandales de caoutchouc», en hommage à Ho Chi Minh.

Je me souviens aussi de l’enthousiasme qu’a soulevé la visite du Général GIAP à Alger. Vivant alors clandestinement à Alger, je n’ai pu le saluer comme je l’aurais souhaité et j’ai écouté avec émotion ses exposés à la télévision qui ont passionné les Algériens qui pendant des années répétaient sa fameuse phrase : «les colonialistes sont de mauvais élèves de l’Histoire …».

Je crois qu’il ne serait pas mauvais, par des travaux historique, de faire revivre et valoriser cette période de solidarité internationale qui a marqué toute une génération et qui pourrait contribuer à faciliter la période en cours de reconstruction pacifique menacée de tant de dangers, alors que les leçons de l’histoire ont tendance à être perverties.

En tout cas, je te souhaite là-bas bon séjour et ne manque aucune occasion de transmettre à nos amis mes chaleureuses salutations à ce peuple qui mérite tant de vivre heureux.

Sadek HADJERES.

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L’HISTOIRE PAR LE BOUT D’UNE LORGNETTE IDÉOLOGIQUE

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par Sadek Hadjerès [[dirigeant politique algérien, nationaliste puis communiste, de 1944 à 1990, chercheur en Géopolitique]]

Le Monde du 5 Novembre dernier a publié sur plusieurs colonnes un article de Jacques Charby sous le titre : «Henri Alleg : une mémoire algérienne communiste».

Charby avance, à propos d’une phrase d’un communiqué du PCF (qu’il extrait de son contexte et sur laquelle je reviens plus loin) : «on constate à quel point les partis communistes (algérien et français) étaient coupés de ceux qui allaient déclencher l’insurrection, contrairement à ce que veut nous faire croire aujourd’hui encore Henri Alleg».

Je connais les périodes et les faits auxquels croit pouvoir se référer Jacques Charby ; je les ai vécus sur le terrain en Algérie entre 1954 à 1962. J’étais alors membre de la direction du PCA ( au bureau politique à partir d’avril 1955) et responsable national adjoint des «Combattants de la Libération», formation tournée vers la lutte armée qui a commencé à être mise sur pied en février 1955 par le secrétariat PCA après les trois premiers mois de l’insurrection. Les dirigeants du FLN tardaient en effet au départ, (pour diverses raisons que je ne détaille pas ici) à répondre à nos demandes pressantes de contact officiel (car il y en avait d’informels). Nos groupes ainsi constitués ont mené quelques actions avant d’être effectivement intégrés dans les rangs de l’ALN suite aux accords FlN-PCA de mai-juin 1956 ; ils portaient sur plusieurs points, conclus entre Abbane et Benkhedda du côté FLN, Bachir Hadj Ali et moi même du côté communiste.

Deux raisons m’incitent à m’inscrire en faux contre l’opinion exprimée par Jacques Charby.

D’abord, le souci de la vérité historique. Si chacun, à travers ses lunettes idéologiques, a le droit d’interpréter les faits, il n’a pas le droit de les inventer, les nier ou les travestir,

Ensuite, les interprétations de Charby, procès d’intention beaucoup plus qu’analyses factuelles, sont improductives, pour ne pas dire plus.

Elles restent enlisées dans une logique et des pratiques compréhensibles au temps des passions, des occultations et des déformations propagandistes il y a une cinquantaine d’années, mais de plus en plus dépassées.

Elles ne servent en rien les intérêts et la solution des problèmes rencontrés aujourd’hui des deux côtés de la Méditerranée.

A la veille de l’insurrection

Charby reprend la tarte à la crème des pourfendeurs du PCA qui, durant les lourdes décennies algériennes du parti et de la pensée uniques, déniaient aux militants du PCA et à leurs dirigeants, en cette veille d’insurrection, à la fois une sensibilité nationale, une volonté d’œuvrer à l’indépendance et une bonne perception des aspirations militantes et populaires au recours à la lutte armée.

Mais en 2005, Charby n’aurait-il pas gagné à consulter sereinement les documents de l’époque, les ouvrages parus depuis, et interroger ceux parmi les dirigeants algériens survivants que les répressions et les occultations d’après l’indépendance ont empêchés de répondre à la soif d’informations véridiques ? N’aurait-il pas dû, comme tout bon journaliste ou historien, poser à ceux qu’il prétend «hors du coup» la question suivante: «Où étiez-vous, que pensiez-vous et que faisiez-vous dans la semaine qui a précédé l’insurrection» ?

Il aurait alors appris que le week-end avant celui de la Toussaint, Bachir Hadj Ali et moi-même étions allés à Tizi Rached, localité de Grande Kabylie et un des hauts lieux de la ferveur patriotique de l’époque. Nous y étions à l’invitation de la cellule locale du parti en raison de l’ébullition dans la région et des signes avant-coureurs d’évènements imminents. La réunion s’est déroulée au domicile de l’instituteur Jean Galland, un camarade persécuté par les autorités coloniales qui le mutaient périodiquement d’un poste à l’autre en raison de ses activités politiques. Il a amplement relaté les évènements de ces années dans son ouvrage « En Algérie du temps de la France » (éditions Tiresias) .

Lui même avait discuté à son domicile toute une nuit au mois de juin précédent avec Amar Ouamrane, maquisard depuis 1946, un des initiateurs de l’insurrection et qui sera après 1954, colonel dirigeant la wilaya IV (Algérie centrale).
[[voir livre « En Algérie du temps de la France » de Jean Galland, Editions Tiresias, 1999]]

Moi même j’avais rencontré Ouamrane deux ans auparavant à Alger sur les hauteurs du Telemly en compagnie de notre ami commun Said Akli. Je lui avais remis à cette occasion l’ouvrage «L’Ob-kom clandestin à l’œuvre» dans lequel son auteur, Fedorov, relate dans le détail les luttes victorieuses des partisans qu’il avait dirigées durant la seconde guerre mondiale en Biélorussie contre les occupants nazis.

Notre réunion de Tizi Rached regroupait des camarades nouveaux adhérents ou anciens membres du PPA et proches de l’OS (organisation spéciale du PPA). Les indications recueillies sur les évolutions locales nous ont paru si importantes qu’une réunion élargie à d’autres participants patriotes fut programmée avec Bachir Hadj Ali.

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Elle se tint le week-end suivant à la section de Ath Yanni, une zone voisine. Les discussions jusque tard dans la nuit tournèrent presque exclusivement sur ce qu’il convenait de faire dès l’apparition fortement probable d’actions armées. Au petit matin, les supputations étaient devenues réalité. Le chemin du retour vers Alger fut entrecoupé d’innombrables contrôles de police, armée et gendarmerie française sur pied de guerre. Et Bachir confiait au camarade instituteur qui le véhiculait : «pourvu que ça dure !».
[[voir livre de Jean Galland « En Algérie du temps de la France » (éditions Tiresias) 1999]]

Je m’en tiens à ce témoignage. Je pourrais en citer d’autres en diverses régions sensibles du pays, ils ne feraient que refléter sous des formes différentes le même état d’esprit des communistes algériens à la veille de l’insurrection

Mûrissement et problèmes d’une insurrection

En fait les parti-pris idéologiques ne favorisent pas une vision objective du contexte algérien à la veille de l’insurrection. Depuis quelques années déjà, bien que dans le cadre légal et en butte aux répressions comme l’étaient aussi le MTLD (messaliste ou centraliste), l’UDMA et les Oulama, le PCA exprimait dans ses activités et ses prises de position ce que ressentait, plus fortement encore durant l’été et l’automne 54, un peuple électrisé par Dien bien Phu, par l’action des fellagas tunisiens et par le bouillonnement de la révolte marocaine. Le PCA amplifiait l’écho de ces changements, appelait à s’en solidariser, insistant sur le fait que face à l’obstination coloniale, ils annonçaient la tempête.

Quand le quotidien français « Le Monde », dans les semaines qui ont précédé l’insurrection, avançait imprudemment l’analyse selon laquelle l’Algérie restait une oasis de paix au milieu d’une Afrique du Nord qui brûlait à ses extrémités, Bachir Hadj Ali, secrétaire du PCA, réfutait ce point de vue sur toute la première page de «Liberté» , ce qui lui valut, ainsi que Larbi Bouhali le premier secrétaire, d’être un peu plus contraint à une vie semi-clandestine. L’Algérie, écrivait-il, corps central et ardent du grand oiseau qu’était le Maghreb, ne pouvait échapper à l’incendie alors que ses deux ailes avaient pris feu. Deux membres du Bureau Politique, dont je ne faisais pas encore partie, m’ont confié que peu de temps après Dien-Bien- Phu, la question a été soulevée dans cette instance d’une réflexion plus poussée sur l’éventualité d’une éclosion en Algérie d’actions armées patriotiques.

À cette époque, notre préoccupation n’était pas qu’une explosion de ce genre puisse survenir. Sa préparation par une minorité d’activistes issus de l’OS (organisation spéciale mise en place par l’aile radicale du PPA en 1947) était un secret de Polichinelle, tant pour les militants algériens que pour les services français. Notre souci et nos préoccupations tenaient à l’état d’impréparation politique des formations nationalistes, frappées à ce moment là d’une crise et de divisions profondes. Le nationalisme algérien serait-il, comme ce fut le cas au Viet Nam, en mesure d’élaborer et mettre en œuvre des orientations politiques à la hauteur d’une mutation aussi importante des formes de lutte, dans des conditions plus défavorables par certains côtés que celles de l’Indochine?

C’est une préoccupation dont les activistes du futur FLN ne tenaient pas suffisamment compte, polarisés avant tout sur les préparatifs techniques du soulèvement et porteurs même d’un certain mépris ou d’une sous-estimation de sa dimension et de ses implications politiques. La suite des évènements confirmera que nos inquiétudes n’étaient pas vaines. L’insurrection et sa répression par les colonialistes ont induit un dépassement de la crise interne (et non sa solution) grâce à l’entrée en mouvement de larges masses populaires et grâce aux premiers efforts de politisation impulsés jusqu’en 1956 par le duo Ben Mehidi-Abbane. Mais de multiples dérives et sérieuses défaillances politiques aujourd’hui mieux connues sont survenues. Le succès final, reconnaissance formelle de l’indépendance nationale, fut acquis grâce à un environnement régional et international exceptionnellement favorable, au prix de sacrifices démesurés de la population mais aussi et surtout au prix de conséquences négatives sur les futures institutions et de l’instauration de mœurs socio-politiques générées par les pratiques perverses du temps de guerre.

L’Algérie indépendante continue d’en payer le prix.

On comprend mieux ainsi les appels à la vigilance envers les dérives de la lutte armée que le PCA n’a cessé de lancer depuis le début jusqu’à la fin de la guerre (en particulier par ses lettres adressées au GPRA depuis Alger en 1959). Ces observations critiques ne signifiaient en aucune façon un désaveu de la lutte armée, conséquence logique de l’obstination colonialiste. La mise en garde contenue dans le communiqué du PCF cité par Charby n’avait pas d’autre signification, en dépit d’une formulation maladroite, que Bachir Hadj Ali avait signalée sans résultat aux auteurs du communiqué avant sa publication. De la même façon plus tard nous avions considéré que le vote du PCF en faveur des pouvoirs spéciaux résultait d’une erreur d’appréciation de sa part sur les dirigeants socialistes (qu’il corrigea trois mois plus tard) mais qui ne mettait pas en cause sa volonté de solidarité politique anticolonialiste.

Il faut un solide parti-pris idéologique à Charby pour lui donner à ces démarches du PCF une interprétation grotesque «les colonialistes organisateurs du soulèvement algérien !». Que ne se souvient-il du malaise éprouvé par nombre d’amis et de soutiens français à la cause algérienne face à plusieurs dérives qui avaient entaché le légitime combat armé, sans qu’ils aient osé, par scrupule compréhensible, se démarquer publiquement comme l’avait fait le PCF.

Cinquante ans après, une double exigence

Les enseignements généralement tirés aujourd’hui de la guerre d’Algérie, me laissent penser que les jugements de Charby n’ont pas tiré profit des éclairages apportés par les décennies écoulées. Non seulement infondés, ils sont aussi inappropriés à un examen utile des problèmes aigus que connaissent aujourd’hui l’Algérie et la France, aux rassemblements nécessaires et à leur solution.

Le fait est largement reconnu : nombre d’occultations, de préjugés et de lieux communs qui avaient été exacerbés par les passions du temps de guerre et les appétits de pouvoir des clans dirigeants ont longtemps trompé les publicistes qui consciemment ou non leur ont emboîté le pas.

Ils ont déformé, souvent grossièrement, la trame historique et la substance du combat algérien à l’encontre pas seulement des communistes mais aussi des courants nationalistes qui se démarquaient ou s’opposaient à des pratiques nocives, celles du temps de guerre ou celles qui se sont perpétuées après l’indépendance.

Ces pratiques propagandistes ont systématiquement et unilatéralement privilégié l’activisme armé (surtout celui des factions au pouvoir), cherchant du même coup à discréditer la mobilisation et les orientations politiques qui visaient à donner aux objectifs et aux pratiques du combat armé un contenu démocratique et social garant de l’efficacité et de l’union dans l’immédiat, mais aussi investissement politique inestimable pour l’avenir.

Avec le recul du temps, chez nombre d‘acteurs algériens nationalistes ou des sympathisants français de la guerre d’indépendance, y compris d’anciens participants du réseau Jeanson. a grandi une double exigence. D‘abord celle d’une approche plus objective par la recherche et la diffusion d’informations longtemps et sciemment occultées. En même temps, la nécessité d’une réflexion rétrospective qui contribue aux convergences indispensables à la solution des problèmes d’aujourd’hui grâce aux leçons tirées des divisions passées.

C’est selon moi le mérite de Henri Alleg à travers son autobiographie, d’avoir proposé aux lecteurs de différentes sensibilités idéologiques et politiques l’ample et vivante toile de fond d’un demi siècle de problèmes et de luttes algériennes, ouverte aux réflexions et échanges constructifs.

Nombreux sont les media français et algériens, indépendamment de leurs opinions sur différents épisodes relatés, qui ont rendu compte de cet apport historique, politique et humain.

Le commentaire de J Charby élude cet apport majeur en quatre petites lignes d’un hommage formel rendu à celui qui a dénoncé les tortures coloniales dans les conditions difficiles et avec le retentissement international que l’on sait. Précaution de style liminaire de la part de Charby, comme pour se libérer d’une corvée avant de s’engouffrer dans un dédale de polémiques stériles auxquelles peu d’Algériens et de Français se laissent encore prendre. Du moins dans la version selon laquelle l’engagement de Alleg et de ses compagnons n’aurait été qu’un ralliement contraint, tardif et opportuniste à l’initiative historique du 1er novembre, car, dixit Charby, Alleg et ses compagnons n’auraient ni pressenti la survenue ni saisi la justesse et la portée de l’événement.

Qui peut vraiment croire, à part des sectaires enfermés dans leurs rancœurs partisanes, que le courage et les sacrifices consentis par Alleg et les centaines de ses camarades auraient été humainement possibles s’ils n’avaient été sous-tendus par une conviction enracinée de la justesse de ce combat, résultat d’une adhésion politique de longue date et de l’attachement humain à une cause nationale inséparable de leur internationalisme ?

Jacques Charby s’est trompé tout simplement d’époque.

Les efforts de recherche historique et les échanges politiques sereins liés aux nouveaux enjeux sont en train de remettre en cause bien des passions et bien des mythes idéologiques algériens et français qui ont entouré la guerre d’indépendance.

Les clarifications se poursuivront en dépit des visions attardées et des réflexes d’une autre époque.

S. H.

UN DEMI-SIÈCLE APRÈS LE CONGRÈS DE LA SOUMMAM

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À l’occasion de l’anniversaire du Congrès de la Soummam, l’article de Saïd Radjef dans le Quotidien d’Algérie, a initié un débat-forum, qui s’est développé avec une importante participation.

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Nous allons célébrer dans quelques jours le 53 ème anniversaire du Congrès de la Soummam au cours duquel Larbi Ben M’hidi et Abbane Ramdane ainsi que d’autres dirigeants ont structuré politiquement et militairement la révolution. De grandes résolutions pour tracer loin de toutes les influences étrangères, le destin de la jeune future nation algérienne, ont été adoptées. De même des instances politiques pour gérer, internationaliser et donner un large écho « au combat légitime du peuple algérien », ont été mises sur pied lors de ce Congrès, historique à bien des égards.
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Les deux interventions de Sadek Hadjeres dans ce forum sont données ci-dessous.


admin
août 21, 2009 21:14

Nous venons de recevoir la contribution de notre frère Sadek Hadjerès, ancien membre du bureau politique du Parti communiste Algérien (1955-1965) que nous avons sollicité ainsi que d’autres personnalités du mouvement national, pour apporter leur éclairage sur cet événement. Nous tenons à remercier notre frère Si Sadek pour sa disponibilité et sa contribution qui va enrichir le débat initié par l’article de notre frère Saïd Radjef.

Salah-Eddine SIDHOUM

RÉPONSE DE SADEK HADJERES:

Je reçois votre invitation à mon retour chez moi et je me suis empressé d’ouvrir le site du Quotidien d’Algérie sur lequel se déroule le forum que vous avez initié.

Je vous en remercie et vous prie de considérer ce qui suit comme une première participation aux échanges dont j’ai commencé à prendre connaissance.
Je suis d’une façon générale ouvert à toute initiative qui me parait apporter un éclairage utile aux générations nouvelles. Celles ci, comme vous le soulignez, ainsi que Mr Saïd Radjef, sont assoiffées de vérités historiques jusqu’ici occultées ou déformées par les responsables d’une chaîne de malheurs algériens, dans lesquels les agissements des anciens et nouveaux colonialistes et réactionnaires chez nous et dans le monde ne sont pas seuls en cause.

Nombre d’interventions m’ont beaucoup intéressé par leur sérieux, leur souci d’ouverture unitaire et leur effort de documentation véridique. Ce qui m’incite à souhaiter que votre initiative puisse se poursuivre dans la durée, au delà de la période qui entoure cet anniversaire. Car les problèmes soulevés embrassent en fait tout le demi-siècle écoulé et ils continueront de marquer l’avenir de leur empreinte, positivement ou négativement selon la façon dont ils seront abordés.

Sur nombre de ces problèmes, il m’est plusieurs fois arrivé dans le passé de livrer des informations et des opinions, plus particulièrement autour de que j’ai vécu successivement dans le mouvement associatif, le mouvement nationaliste et le mouvement communiste ces soixante dix dernières années.

Aussi dans un premier temps, ne pourrai-je faire mieux que de fournir les références nécessaires pour prendre connaissance de ces faits et opinions. Les uns se trouvent déjà consignés sur le site que j’ai ouvert à cet effet: http://www.socialgerie.net (MOUVEMENT SOCIAL ALGERIEN: HISTOIRE ET PERSPECTIVES).

D’autres documents, opinions et témoignages y seront intégrés progressivement. Je suis évidemment disposé à répondre dans la mesure de mon temps et de mes possibilités aux demandes plus précises qui me seraient adressées.

En attendant en ligne des prolongements féconds à ce colloque, je vous fais part de deux remarques.

La première concerne le document-rapport au CNRA , excellente référence que vous avez présentée. La date n’en est-elle pas plutôt 1957 (probablement l’été) et non pas 1956 ? S’agirait-il par ailleurs du même rapport qui a été présenté par la revue «NAQD», le numéro 12 si je me souviens bien ? Auquel cas, mais je n’ai pas en cette période le document sous les yeux pour le vérifier, ne manque-t-il pas à cet exposé-bilan un certain nombre de passages très critiques ? Il se peut cependant que ma mémoire me trompe.

La seconde remarque concerne des affirmations qui m’ont littéralement sidéré , bien que je me croyais vacciné pour en avoir connu de toutes les couleurs….

Dans une de ses interventions, Mr. Brahim Younessi a déclaré:

« …. De son côté, le Parti communiste algérien, le 2 novembre 1954 avait qualifié le déclenchement de la lutte armée de «provocation», considéré cette action comme «suicidaire», «sans lendemain» et condamné «la violence aveugle d’une minorité irresponsable et sans avenir.» Mais, en 1955, il prend la décision de créer les Combattants de la Liberté (CDL) pour ouvrir un front autonome. But des négociations qui se sont ouvertes entre Abane Ramdane et Bachir Hadj-Ali, secrétaire général du PCA. Sadek Hadjerès qui s’est exprimé à maintes reprises sur cette question notamment dans le Quotidien d’Oran en 2006 était présent à la négociation. Il serait intéressant qu’il intervienne sur ce site pour nous donner son point de vue».
Brahim Younessi
(fin de citation)

J’aurais considéré de telles affirmations comme la mille et unième rumeur et autres spéculations de radio trottoir caractéristiques des allégations polémiques partisanes (compréhensibles à la rigueur pour l’époque mais pourtant déjà injustifiables il y a cinquante ans).

Le problème est qu’aujourd’hui elle émane d’une personne honorable qui probablement y croit dur comme fer, jusqu’à citer un document précis et même des formulations lapidaires mises entre guillemets comme pour en souligner l’authenticité.

Chers amis participants au colloque,

Peut être intrigués par ces citations péremptoires, munissez vous non pas d’une loupe mais d’un microscope du dernier modèle, pour examiner le texte de la déclaration du PCA du 2 novembre 54, la seule d’ailleurs des déclarations publiques qui ait été faite dans un délai aussi court par les partis nationaux encore légaux à ce moment là.

Non seulement vous n’y trouverez pas la moindre de ces formulations caricaturales jusqu’au grotesque ou même quelque chose d’approchant, mais la déclaration, en gros et en détail, dit exactement le contraire de ces affabulations, dans la marge étroite que permettait le statut encore légal, mais que les publications et les militants communistes ont payé dès ce moment par de lourdes sanctions répressives.

L’auteur de ces soi disant citations a battu à mes yeux le record que je croyais imbattable d’un historien israélien, Emmanuel Sivan, par ailleurs fort intelligent mais qui dans son ouvrage «Nationalisme et communisme en Algérie» publié il y a une trentaine d’années, s’était spécialisé dans les fragments de citations tronquées jusqu’à n’en donner qu’une demi phrase, coupée de son contexte et propice à toutes les interprétations, en premier lieu ses propres thèses. Mais du moins la demi-phrase en question existait et il en donnait les références précises. Il s’en tenait là prudemment, se gardant bien de citer les textes entiers, et vous savez que quand on calomnie, il en reste toujours quelque chose.

De toutes les publications en langue française relatives à l’histoire de la guerre d’indépendance que j’ai pu consulter, seuls les trois tomes coordonnés par Henri Alleg (vers le milieu des années 70) et peut être si je m’en souviens bien, un des ouvrages de Jurquet, ont publié intégralement cette déclaration.

Ce qui n’a pas empêché bien des historiens et des journalistes oublieux des règles les plus simples des disciplines historiques, de parler en long et en large des positions communistes comme s’ils avaient lu la déclaration du PCA intégralement et sans même prendre la peine de s’adresser à un communiste encore vivant pour la leur procurer.

Je voudrais conclure.

L’important pour nous, qui débattons et voulons le faire avec des objectifs clairs d’intérêt national et général commun, ce n’est pas tant les raisons particulières qui peuvent rendre chacun de nous plus vulnérable à des méprises ou des malentendus. Si quelqu’un tombe dans ce piège malgré sa sincérité et sa bonne volonté, c’est à lui bien sûr de faire son introspection pour en déceler les raisons individuelles, conscientes ou inconscientes.

Mais le plus important réside dans une démarche collective pour comprendre et saisir la portée des dégâts énormes qui ont consisté à rabaisser le travail de mémoire et d’histoire au niveau des rumeurs et polémiques étroites, qui émoussent la rigueur et l’esprit critique, engendrent et aggravent la passivité et les sectarismes partisans. L’important est une démarche collective pour comprendre les mécanismes grossiers et subtils à la fois, qui en définitive sont aussi bien les symptômes que les causes de ce qui est arrivé à notre peuple, à notre État, à notre société.

Il s’agit de bien repérer les résultats de ces comportements, voulus ou non, les divisions aggravées de ceux qui par leurs intérêts objectifs communs auraient gagné à renforcer leur unité d’action et par là même, la vigilance et la largeur de vue pour protéger cette unité d’action.
L’ensemble des composantes du mouvement national a subi les conséquences de ce laminage et de ces déformations des réalités historiques, même si les communistes ont été les boucs émissaires les plus systématiquement ciblés par ces méthodes.
Toutes les formations politiques, au-delà de leurs mérites, ont eu des erreurs et des faiblesses, certaines les ont corrigées, d’autres non, ce n’est pas une raison, pour qui vise l’intérêt général et l’avenir, d’en rajouter et brouiller les bases d’une vraie réflexion.

A nous donc de savoir, au delà des divergences normales, repérer aussi les fortes raisons de convergence sur l’essentiel du moment.
C’est cela qui au delà des épisodes douloureux, a permis de déboucher sur la victoire politique de la cause de l’indépendance nationale malgré un déséquilibre militaire écrasant.

C’est bien pourquoi; loin d’en souligner l’inconséquence ou la contradiction, je souscris pleinement à l’appréciation de Brahim Younessi lorsqu’il dit dans une autre intervention (je recopie le message) :

« Brahim YOUNESSI
août 20, 2009 10:12

Bonjour « Il faut arrêter les procès d’intention. Le travail des historiens et des intellectuels est de faire parler les textes, de procéder à un travail scientifique» (fin de citation)

En vue de cette forme de travail et de dialogue, je mettrai à votre disposition ceux des documents en ma possession qui pourraient éclairer, à commencer par la déclaration du PCA du 2 nov 54, qui se trouve déjà sur le site «socialgerie.net»

Avec mes cordiales salutations et le vif souhait de voir ce colloque porter les meilleurs fruits

Sadek Hadjerès


admin
août 25, 2009 16:10

Notre frère Saddek Hadjerès vient de nous faire parvenir cette contribution au débat. Avec tous nos remerciements pour sa disponibilité.

Salah-Eddine SIDHOUM

DEUXIÈME INTERVENTION DE SADEK HADJERES:

Suite aux attentes qui s’expriment sur plusieurs thèmes liés à la guerre de libération, je crois dans un premier temps répondre d’abord en fournissant le maximum d’informations. On constate chaque jour que le déficit en ce domaine est l’un ou le premier facteur des malentendus qui existent, entre gens de bonne volonté évidemment.

Le temps viendra ensuite des débats et commentaires sur des bases beaucoup plus claires et saines. Bien entendu, je ferai tout pour aller au devant de la curiosité légitime sur tout ce qui fait problème.

Donc en plus des documents déjà existants sur le site et sur lesquels j’attire à nouveau l’attention, j’intégrerai au fur et à mesure d’autres documents.

Aujourd’hui, mon intervention en 2004 au siège du PCF me parait répondre en partie à certaines questions. Je poursuivrai avec d’autres points. J’espère que les commentaires qui en découleront, y compris les plus critiques, seront alors assis sur des données plus opérationnelles, parce que non altérées par l’immense entreprise de laminage anti-historique que nous avons connue les uns et les autres.

Bien amicalement à vous
et aux participants au colloque dont je mesure chaque jour l’intérêt.


INTERVENTION de Sadek HADJERES

POUR LE 1er Novembre 1954

(au siège du PCF, Colonel Fabien, le 28 Octobre 2004)

Chers camarades et amis

Je remercie la direction du PCF d’avoir sollicité mon témoignage et mon opinion. A ma connaissance, cette célébration est jusqu’ici la seule, de la part des organisations françaises, à honorer avec cette solennité un événement historique qui a bouleversé mon peuple et son destin.

J’y vois la continuité d’une tradition de solidarité de classe et d’amitié anticolonialiste pour qui le critère des bonnes relations et de l’internationalisme réside essentiellement dans une communauté d’intérêts légitimes traduite en actes, par delà la diversité des appartenances et des affinités ethniques, culturelles, religieuses ou de civilisation.

Il est souhaitable, comme cela semble déjà le cas en France comme en Algérie, que les débats se prolongent au delà de quelques journées symboliques. Qu’ils se poursuivent dans des efforts et des échanges d’émotions, d’informations et d’analyses sereines qui nous changent des panégyriques ou des procès d’intention envers les épisodes et les acteurs de cette guerre. Ces commémorations se hausseront ainsi à la hauteur de ce qui, après les libérations de la Chine, du Viêt-Nam et de Cuba, constitua un tournant de la décolonisation en Afrique et dans le monde. Ces journées donnent aussi l’occasion aux citoyens algériens et français de découvrir et mesurer l’importance des occultations et des déformations qui ont entouré l’histoire de la guerre d’Algérie. Ces déformations nous semblent aujourd’hui à peine croyables, Pourquoi ont-elles pourtant longtemps marché ? Parce que les esprits, même parmi les plus sincères, ont été obscurcis par des enjeux immédiats de pouvoir, par les séquelles de lourds contentieux politiques et partisans, par des règlements de compte idéologiques, ainsi que par des pesanteurs sociologiques dans l’un et l’autre pays, amplifiées par les leviers médiatiques au service d’intérêts étroits. Malgré les premiers efforts méritoires de quelques historiens, plusieurs composantes du mouvement national algérien et leurs alliés dans le monde ont été victimes de ces passages à la trappe, et parmi elles, davantage encore les communistes et les courants les plus progressistes dans les deux pays.

A ce propos et sans entrer dans les détails, je signale à ceux que ces questions intéressent, que je mettrai à leur disposition des documents dont la plupart, quand ils n’ont pas été purement et simplement ignorés, n’ont eu droit qu’à des commentaires tendancieux ou de seconde main sans qu’ils aient jamais été reproduits dans leur version intégrale. Parmi eux, la déclaration du PCA du 2 novembre 1954, les lettres adressées au FLN en 1956 au moment de l’intégration des CDL dans l’ALN en 1956, les lettres adressées par Bachir Hadj-Ali et moi même depuis Alger au GPRA en 1959, ainsi que plusieurs autres documents et témoignages de terrain.

Chers camarades et amis

En tant que membre de la direction du parti communiste algérien sur le sol national durant la guerre d’indépendance, je tiens à réaffirmer, avec le recul du temps, l’appréciation positive que mes camarades et moi avons eue des positions anticolonialistes défendues alors par le PCF. Ses dirigeants et militants ont livré un long et persévérant combat, à contre-courant d’une opinion forgée, jusque dans les couches les plus modestes des travailleurs et de la population française, par des décennies de propagande nationaliste, raciste et impérialiste. Nous avions exprimé à l’époque à nos camarades français notre désaccord et notre regret de certaines des positions tactiques du PCF telles que le faux pas, rapidement corrigé, du vote des pouvoirs spéciaux en 1956 ou d’autres erreurs moins lourdes dans l’appréciation de la situation. Elles nous furent d’autant plus préjudiciables que, de bonne ou mauvaise foi, ces positions étaient imputées également au PCA, censé à tort être automatiquement aligné sur le PCF. Mais à nos yeux, dans les conditions où il menait cette lutte, jamais autant qu’au cours de la guerre d’Algérie le PCF n’a été aussi proche de sa vocation anti-colonialiste. Nous ne demandions pas aux travailleurs français de réclamer l’indépendance à notre place, ni aux plus avancés d’entre eux de prendre le fusil avec nous, il y avait assez de combattants. Il était vital par contre que le peuple français prenne suffisamment conscience de ses propres intérêts pour infléchir la politique de guerre des gouvernants socialistes puis gaullistes. Dans ce but, la ligne la plus susceptible de rassembler le maximum de Français au fur et à mesure de leur expérience, comme l’a fait remarquer à juste titre Claude Liauzu, était la revendication de la paix sur la base du droit des peuples à leur autodétermination. Cela n’empêchait pas des Français à s’engager individuellement ou en groupes forcément minoritaires dans des actions pouvant apporter une aide précieuse du type technique, conspiratif ou d’insoumission ouverte. Qui nous dit d’ailleurs, et j’ai à ce sujet ma propre information, que des communistes français n’ont pas eux aussi mené ce genre d’activités avec l’aval de leur parti, sans pour autant qu’ils aient jugé utile ou opportun que l’Huma le claironne ? Même symbolique, cette participation de Français communistes ou non, à ce genre d’actions algériennes pouvait contribuer elle aussi à contrer la propagande colonialiste selon laquelle les résistants algériens n’étaient que des terroristes, des anti-français barbares fanatisés par l’islam. En Algérie, les communistes d’origine européenne, brisaient eux aussi ce mythe propagandiste, non en tant que français mais comme patriotes algériens. Voilà pourquoi nous étions désolés par les anathèmes qu’échangeaient publiquement en France les tenants de différentes formes de solidarité pour imposer l’idée que seule leur propre action était honorable ou efficace.

Je dis tout cela d’autant plus à l’aise que nous avons porté un jugement très critique sur des orientations stratégiques du PCF envers l’Algérie, pour des périodes situées avant ou après la guerre d’indépendance. Dans les années 43- 47, il se défiait de façon excessive du mouvement nationaliste algérien dont le caractère foncièrement libérateur prédominait en dépit de faiblesses aujourd’hui reconnues qui méritaient des critiques constructives et non des anathèmes. Après l’indépendance de l’Algérie, surtout après 1973, la direction du PCF de l’époque, pour des raisons qu’il appartient d’abord au PCF d’étudier, a versé au contraire dans le soutien inconditionnel aux orientations prétendument socialistes du nationalisme algérien, au moment où ce dernier basculait vers les courants conservateurs et réactionnaires au sein des institutions et du parti officiel du FLN. Nombreux sont les militants communistes français qui apprendront aujourd’hui seulement que durant quinze ans, de 1973 jusque peu après octobre 88, le PCF avait rompu unilatéralement ses relations avec les communistes algériens organisés dans le PAGS, parce qu’il considérait que l’Algérie construisait le socialisme sous la direction du FLN, alors que les communistes, les syndicalistes, les démocrates de progrès étaient interdits, réprimés, torturés et calomniés par le pouvoir algérien.

Je ne crois pas m’aventurer en pensant qu’aujourd’hui le PCF tend à s’oriente vers des actions et des positions de solidarité concrète envers l’Algérie profonde, celle des travailleurs, des paysans, des couches déshéritées, des cadres et des entrepreneurs honnêtes. Il est heureux qu’il cherche à privilégier une information et une écoute plus objective plutôt que des a priori idéologiques plus ou moins fondés, en évitant le piège des implications dans les rivalités de clans et de pouvoir en Algérie. Je souhaite avec beaucoup d’autres Algériens que cette célébration du premier novembre soit un jalon solide en cette direction.

Chers camarades et amis

Une commémoration digne d’un tel événement, ne consiste pas à s’incliner devant un monument.

Je soulignerai en premier lieu une des perceptions majeures du 1er novembre 54 que l’histoire a validée. Il n’existe pas au monde de force oppressive ou exploiteuse qui soit invincible à jamais, quelle que soit sa puissance dans tous les domaines. La conquête de la souveraineté nationale a été pour ceux de ma génération le dénouement d’un rêve fabuleux. L‘affrontement armé était devenu inévitable puis maintes fois prolongé par l’intransigeance et l’aveuglement colonialistes. Mais il a commencé, si on ne voit les choses que sous leur aspect formel, par l’initiative d’une poignée de patriotes disposant d’un armement dérisoire. Quand au lendemain du 1er novembre, chacun de nous a pris conscience des lourdes épreuves à venir, sachant en particulier la sérieuse impréparation politique de la mouvance nationaliste qui était entrée en crise et divisée depuis de longs mois, ces jours là, même l’air étouffant de l’Algérie colonisée nous était devenu plus léger, chargé d’une massive bouffée d’espoir. Ces espoirs n’étaient pas infondés, la libération du joug colonial ne fut pas un miracle.

Là réside le deuxième enseignement majeur. Si la volonté de liberté du peuple algérien a fini par triompher, malgré la disproportion des potentiels militaires, c’est qu’elle a bénéficié en Algérie comme à l’échelle internationale d’un ensemble de facteurs politiques favorables et irremplaçables. Faute de temps, je ne détaillerai pas ces facteurs, je rappellerai seulement la raison de leur efficacité : ce fut la convergence ou plutôt les convergences, les unités d’action réalisées progressivement en Algérie comme en France et dans le monde autour d’un objectif concret, le droit des Algériens à décider de leur destin.

Souvenez-vous : les courants les plus différents ou même les plus opposés quant à leurs préférences pour telle voie ou moyen ou pour telle perspective idéologique se sont pour la plupart retrouvés sur le terrain quotidien de la lutte et des sacrifices pour atteindre un objectif tangible, identifié et intériorisé par l’expérience collective comme relevant de l’intérêt commun. Les plus grands succès au cours de la guerre d’indépendance ont été enregistrés toutes les fois que ces facteurs ont été pris en compte suffisamment à temps, de façon consciente et organisée tant par le mouvement national dont le FLN a pris la tête, que par ses alliés naturels ou conjoncturels dans le monde. C’est pourquoi la petite flamme vacillante de la lutte armée durant les premiers mois a pris une ampleur nationale, portée par ce qu’il y eut de meilleur et de plus unitaire dans les orientations qui seront définies ensuite au Congrès de la Soummam du FLN d’août 1956. Lorsque surgiront des retards, des défaillances ou des violations de ce qu’il y avait de plus bénéfique dans ces orientations, notamment au sein des sphères dirigeantes ou du fait de lourds préjugés dans les sociétés, toutes les fois que les préoccupations hégémonistes ont prévalu contre l’esprit démocratique de l’unité d’action, ce fut au détriment de la cause de la libération de l’Algérie et de l’amitié entre nos deux peuples, avec des conséquences à long terme pour les générations successives.

Fort heureusement, en dépit des défaillances, l’abnégation de la base populaire, encouragée par le mûrissement d’une solidarité internationale diversifiée, est parvenue à vaincre les obstacles. Car la société qui souhaitait ardemment l’indépendance n’était pas directement impliquée dans les rivalités sans principe d’une partie des sphères dirigeantes qui mettaient à mal l’unité d’action. Les manifestations populaires algériennes de Décembre 1960, enclenchées au départ sans l’intervention de la direction du FLN et du GPRA, ont constitué le tournant décisif de la guerre de libération. Elles ont créé les conditions d’une prise de conscience plus massive dans le monde et plus particulièrement en France aussi bien dans la sphère civile que parmi les soldats du contingent et dans les institutions. Elles ont fini par contraindre le pouvoir français à de vraies négociations de paix fondées sur les droits légitimes de notre peuple, alors que De Gaulle, qui à la différence des dirigeants socialistes français s’était détaché des intérêts ultra-colonialistes de « papa », avait d’abord déchaîné toute la puissance militaire française pour tenter d’assurer les nouveaux intérêts pétroliers et géo-stratégiques des classes dirigeantes.

Chers camarades et amis

J’ai insisté sur l’importance des convergences et de l’unité d’action en sachant bien qu’elles sont plus faciles à évoquer qu’à réaliser. Elles requièrent des efforts, une culture politique, un art et une expérience collective à la hauteur de son caractère vital. D’autant plus qu’une solide unité d’action ne signifie pas alignement intégral en tout mais une réelle autonomie assumée avec esprit de responsabilité par tous les partenaires : discipline de combat et autonomie d’opinion et d’expression ne vont pas l’une sans l’autre. C’est la raison pour laquelle et je vous prie de croire que ce ne fut pas facile, le PCA, tout en soutenant vigoureusement le FLN et en intégrant ses combattants dans l’ALN, a tenu à conserver son existence politique et son indépendance de jugement face aux évènements.

Je voudrais à ce propos rendre un hommage particulier aux représentants des courants français et algériens qui avant guerre ont beaucoup œuvré à faire avancer cette conception ouverte de l’unité d’action et dont certains sont présents à cette commémoration. Je me souviens avec quelle constance le résistant et chrétien progressiste français André Mandouze travaillait à rapprocher les positions des formations nationales, à leur faire surmonter leurs préjugés mutuels et leurs contradictions secondaires au regard de leurs objectifs communs sur le court et le long terme. Dans les comités d’action et d’union qui regroupaient toutes les formations nationales où je représentais l’Association des Etudiants Musulmans dont j’étais le président, à côté d’autres organisations syndicales et de jeunesse agissaient avec persévérance d’autres artisans de l’unité d’action comme mon ami le regretté Ali Boumendjel qui représentait souvent le mouvement de la Paix. Il y avait aussi, garants d’une répercussion très large de ces efforts dans la population, les représentants d’Alger républicain, seul quotidien anticolonialiste et son directeur Henri Alleg que je n’ai pas besoin de vous présenter. Tâche ingrate que celle des artisans des convergences, dont les efforts tant du côté algérien que du côté français n’ont pas toujours été payés de retour, avant comme après l’indépendance. Ils le savent bien, Mandouze, Alleg et aujourd’hui Zouhir Bessa, sur ce chemin ils ne pouvaient s’attendre qu’à des plaies et des bosses.

Comment à ce propos ne pas évoquer aussi la mémoire du général de Bollardière, dont la présence de sa veuve parmi nous me touche à un double titre. Ce résistant français anti-nazi, a sauvé à nos yeux l’image des meilleures traditions de la France en se démarquant des atrocités coloniales et en refusant de voir l’armée française engluée dans ce genre de tâches. J’ai lu quelque part qu’à une période il avait commandé dans la région de Larbâa-Tablat et de l’Atlas blidéen, région où j’ai grandi et milité et où des dizaines de mes jeunes camarades, ouvriers agricoles, petits artisans ou chômeurs dont je suivais l’action, ont gagné la montagne parmi les premiers. Je n’en retrouverai que deux ou trois après l’indépendance. De cette région étaient originaires aussi des Français aussi honorables tels que Jules Roy ou Jean Pellegri, c’est là aussi que Jean-Jacques Servan-Schreiber a participé aux  » commandos de chasse  » dont il a relaté les actions dans des reportages de l’Express. La même région a subi aussi, hélas, les exactions d’un officier de triste mémoire, il s’en vantait et en fit même, comme vous le savez, le point de départ d’une carrière de chef de file raciste de la droite ultra-réactionnaire française.

Nos deux peuples abandonneront-ils aujourd’hui l’exigence de fortes convergences comme une simple relique du passé ? Sous le règne conjugué de la haute finance et de la haute technologie militaire, le colonialisme n’est pas mort. Non seulement il ne se contente pas de se renouveler dans les formes et les moyens économiques, financiers, idéologiques et médiatiques plus subtils, mais on le voit encore recourir aux formes les plus violentes et les plus barbares pour se perpétuer en Palestine et reprendre aux Irakiens l’indépendance conquise en juillet 1958. On le voit partout exploiter les difficultés des anciens colonisés pour tenter d’exercer sa domination par l’intermédiaire de pouvoirs ou des mouvements locaux interposés. Aujourd’hui comme hier, construire les convergences et les unités d’action au delà des différences reste une question de survie. Malheur aux peuples, aux travailleurs, s’ils se laissent dépouiller de cette arme la plus décisive dont ils disposent pour bâtir une citoyenneté démocratique et sociale. Malheur à nos peuples s’ils viennent à succomber au piège mortel d’une  » guerre des civilisations  » que Samuel Huntington n’a pas du tout inventé, car les colonialistes en ont largement usé et abusé en Algérie et partout ailleurs. Ils ont semé dans les sociétés algérienne et française les graines d’un poison idéologique à retardement d’autant plus mortel qu’il se présente sous les apparences de l’auto-défense.

Saurons nous tirer les leçons du gâchis épouvantable que fut d’abord la conquête au 19ème siècle puis la deuxième guerre d’Algérie pour deux peuples, qui auraient eu tout à gagner à coopérer ? Même un colonialiste, appelé à témoigner en faveur du tortionnaire Aussaresses à son procès, s’était exclamé avec amertume :  » Puisqu’il en a été ainsi, je pense qu’il aurait fallu leur donner dès le début l’indépendance ! « . Lueur de bon sens tardive mais après quels dégâts pour l’immédiat et le futur !

Car le plus grave est que les choses se sont déroulées de façon telle que les nouvelles générations n’ont pas été suffisamment vaccinées contre les chauvinismes, les racismes, les intégrismes et les pratiques terroristes. Mal redoutable qui, alors que notre libération nationale se projetait comme une révolution démocratique et sociale exemplaire, respectée dans le monde et respectueuse des valeurs nationales culturelles et religieuses, a perverti les évolutions souhaitées. L’Algérie a été progressivement acculée par les sectarismes, les hégémonismes croisés et arrogants des armes et de l’argent à des positions conservatrices sinon rétrogrades dans les domaines vitaux pour son développement. Certaines évolutions symétriques en France (telles que la mise à l’index du  » pétrole rouge  » algérien après les nationalisations de 1971) ont élargi le fossé des deux côtés de la Méditerranée.

Si on en juge par les vagues d’indignation qu’ont soulevé dans nos deux pays les agressions au Proche et Moyen Orient, ainsi que la dénonciation des actes de barbarie et de torture massives, la voie reste ouverte aux espoirs de convergences et de combativité pour combattre ces fléaux.

Il est à nouveau impératif comme au temps de la guerre d’Algérie, que les opinions de nos deux pays se mobilisent pour prévenir et contrecarrer le déferlement irresponsable des racismes et des essentialismes de tous bords. Il est capital que les bases populaires, les intellectuels, les media apprennent à discerner les intérêts et les enjeux véritables que recouvrent les idéologies, les cultures et les professions de foi, dans le domaine religieux comme dans la sphère laïque. La montée des sentiments aussi bien islamo-phobes que judéophobes, anti arabes, anti maghrébins ou globalement anti-occidentaux, les virulentes campagnes crispations autour des modes vestimentaires, tout cela constitue le terrain propice aux évolutions intégristes et terroristes qui prospèrent toutes les fois que n’est pas reconnu le droit sacré aux résistances démocratiques à l’oppression et à l’exploitation.

Chers amis et camarades,

Il est salutaire devant tout fléau de remonter aux racines du mal pour en éviter l’aggravation et les récidives. N’oublions pas le rôle fondateur de deux évènements néfastes au cours de la guerre d’Algérie.

Le premier a été l’invasion tripartite déclenchée contre l’Egypte en 1956 par la coalition Israel-France-Grande Bretagne. Elle visait entre autres à écraser le mouvement de libération algérien, qui avait commencé à gagner le soutien de nombreux juifs d’Algérie. Un exemple : étant recherché activement à cette époque par les forces de sécurité françaises, je fus hébergé plusieurs jours par un camarade juif qui avait participé quelques années auparavant comme volontaire du côté israélien à la guerre israélo-arabe de 1948. Il en était revenu écœuré et peu optimiste quant à l’avenir démocratique d’Israël.

Un deuxième coup de boutoir a fait basculer les européens et les juifs d’Algérie dans le désespoir et les réactions ultra-racistes. Ce fut au printemps 1962. Les autorités des deux côtés venaient de réaliser dans les proclamations et les textes des accords d’Evian le droit de l’Algérie à l’indépendance et le droit des européens de continuer à vivre en Algérie. Ces autorités ont perdu à ce moment crucial le contrôle de leurs opinions respectives. A cause de l’OAS du côté français, et du côté algérien les réactions de vengeance de minorités irresponsables au moment où les dirigeants algériens en place se trouvaient gravement divisés et défaillants en se disputant le pouvoir. D’autres occasions de réparer ces dégâts ont été lamentablement gâchées depuis l’indépendance.

Voilà pourquoi il est important de donner aujourd’hui un contenu démocratique et social aux initiatives amorcées par les autorités de nos deux pays en vue de relations plus amicales dans un esprit d’égalité. La France et l’Etat français se grandiraient en reconnaissant solennellement le tort causé aussi bien à l’Algérie qu’aux intérêts français légitimes par un passé de rapports inégaux fondés sur la violence armée. Ce serait la meilleure façon de désamorcer les risques d’escalades maléfiques qui ne bénéficieraient une fois de plus qu’aux seules forces d’oppression et d’exploitation

Il n’y a pas de fatalité, ni du meilleur ni du pire. Une seule certitude : agir pour rendre vivable le sort des individus dans nos deux sociétés, de rendre viable l’existence de nos nations et assurer la qualité des relations internationales.

Les espoirs de justice et de fraternité évoquées par le film de J. Pierre Lledo ne sont pas seulement un rêve, à condition de les replacer dans le contexte nouveau forgé par l’Histoire du demi-siècle écoulé. Faisons en sorte d’y contribuer dans un espace de solidarité et de lutte franco-algérien qui ne se confond pas avec celui des frontières territoriales, institutionnelles, linguistiques, religieuses et de civilisation. Cet espace de lutte et de solidarité est complémentaire des autres espaces communs algéro-maghrébin, arabe, méditerranéen et africain. C’est un espace aux atouts certains et ouvert à nos espoirs communs, celui des sociétés civiles et des solidarités actives, celui des orientations démocratiques convergentes, celui des droits sociaux et des droits de l’homme et de la femme, celui de l’émulation dans la création et les échanges culturels.

Ce monde nouveau qui reste à construire est celui qui habitait les pensées de mon camarade Ahmed Inal, ancien responsable des étudiants algériens de Paris, torturé à mort en 1957 après avoir été fait prisonnier au combat dans les maquis de Sebdou. Ce rêve a été aussi celui qui jusqu’à l’ultime seconde de sa vie n’a pas quitté mon camarade l’ouvrier Fernand Iveton, guillotiné au petit matin de février de la même année à quelques minutes de ses deux autres codétenus musulmans.

Le rêve de l’indépendance est devenu réalité, soyons aujourd’hui des millions à poursuivre dans l’action unie le rêve de la citoyenneté inscrit dans l’appel du 1er novembre 54.


ALGER RÉPUBLICAIN SUR LE NET

ALGER RÉPUBLICAIN SUR LE NET

Le journal Alger Républicain entre en ligne sur le Net.

Le numéro du mois d’août 2009 est en cours de publication sur le site.

http://www.alger-republicain.com/spip.php?article6

La nouvelle réjouira, au-delà de ses anciens lecteurs, tous les partisans de la libre expression et les témoins de la longue tradition de Alger républicain au service de l’indépendance nationale, des libertés démocratiques et de la justice sociale.

Les mouvances patriotiques et progressistes dans leur diversité d’opinions, apprécieront une fois de plus le courage de ses animateurs. Comme bien d’autres, ils ne se résignent pas aux tentatives grossières ou insidieuses visant à enfermer le mouvement démocratique, social et anti-impérialiste dans un «cocon de chrysalide», comme l’ont toujours fait les forces hostiles à un Front uni des libertés et du progrès social.

Un coup d’œil sur ses dernières livraisons indique qu’Alger républicain continue en particulier à accompagner et encourager les efforts pour l’autonomie et l’unité d’action du mouvement syndical émergent à travers les luttes et les initiatives à la base.

Face aux agissements redoublés du néolibéralisme mondial et des courants prédateurs nationaux, souhaitons que cette persévérance, comme celle d’autres forces patriotiques et démocratiques, trouve son répondant dans la société et les larges courants de libération politique et sociale.

Pour tous, l’enjeu est de savoir si les approches conjuguées de classe et d’intérêt national, seront capables de surmonter dans l’unité d’action aussi bien les attaques réactionnaires que les divisions, les enfermements dogmatiques et les dérives opportunistes.

Nul doute que, au-delà des horizons idéologiques et des visions politiques différenciées, Alger républicain comme les autres forces de progrès s’y emploieront.


ALGER RÉPUBLICAIN
Numéro spécial en arabe, Juillet 2009

reçu par Internet

SOMMAIRE DES ARTICLES

Editorial

LA GROGNE D’UN PEUPLE ET DES JEUNES ENVERS UN SYSTEME QUI N’AIME PAS SON PAYS

par Zouhir Bessa (p 1)

article disponible en version française sur

http://www.alger-republicain.com/spip.php?article4

Affaires nationales

APRÉS LES DERNIERES ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES,
IL EST SOUHAITABLE D’OUVRIR UN DÉBAT AUTOUR DES MEILLEURS MOYENS DE RÉALISER LES LIBERTÉS DÉMOCRATIQUES.

par Zouhir Bessa ((p 2 et 3)

intéressante analyse et enseignements du passé quant aux obstacles et difficultés pour forger l’unité d’action d’un courant national démocratique.

RÉVISION DE LA CONSTITUTION : LES OBJECTIFS CACHÉS

par Q B (p 4)

QUEL EST LE SYSTEME POLITIQUE ET CONSTITUTIONNEL LE MIEUX ADAPTÉ A L’ALGÉRIE

par Nadir (p 5)

À LA FAVEUR DE LA CRISE DU SYSTEME CAPITALISTE MONDIAL, LE SYSTEME EN ALGÉRIE CONDUIT LE PAYS VERS L’ABIME

par Mohammed Ali (p 6 et 7)

APRÉS AVOIR DÉTRUIT LE SECTEUR PUBLIC, TEMMAR APPELLE A RENFORCER LES INDUSTRIES ALIMENTAIRES

(par Mohammed Ali) (p 8)

Monde du travail :

TERMINAL DE CONTAINERS DU PORT D’ALGER : UNE ACTIVITE JUTEUSE ET DES CONCESSIONS SANS JUSTIFICATION A L’ÉMIRAT DE DABI,

par Khaled Safi (p 9 et 10)

LES DOCKERS PROTESTENT CONTRE LA PRIVATISATION DES PORTS ; LA CENTRALE SYNDICALE QUI EXPRIME SON ALLEGEANCE AU POUVOIR, S’OPPOSE À CE MOUVEMENT

par T W (p 11)

GREVE DES TRAVAILLEURS DU PORT DE COSTANTZA, CONTRE LA SOCIETE MONDIALE DES PORTS DE DABI, EN ROUMANIE.

traduction de B.Saida (p12 et 13)

article disponible en version française sur

http://www.alger-republicain.com/spip.php?article18

Affaires régionales et internationales :

DIXIÉME RENCONTRE MONDIALE DES PARTIS COMMUNISTES ET OUVRIERS A SAO PAULO: LE SOCIALISME EST L’ALTERNATIVE

(p 14)

50EME ANNIVERSAIRE DE LA VICTOIRE DE LA REVOLUTION CUBAINE, LE SOCIALISME N’EST PAS UNE ASPIRATION UTOPIQUE MAIS UNE REALITE CONCRETE.

extrait d’un long article de Lazaro Barido Medina dans Granma (p15-16)

IRAN, LE RÉGIME OPPRESSIF RÉPRIME LES MANIFESTATIONS ET LES LIBERTÉS DÉMOCRATIQUES SOUS LA DEVISE DE COMBATTRE L’HÉGÉMONISME MONDIAL

(p 17)

ENTRETIEN AVEC KHALED HADDADEH : LE LIBAN VIT ENCORE LE TEMPS DES TRIBUS QUI S’ENTREDECHIRENT

(p 18-19)

ZIMBABWE SOUS LES ORDRES DES ANCIENS COLONIALISTES.

par Qader Badreddine (p 20-21)

ÉLECTION DE BARAK OBAMA LA GRANDE TROMPERIE,

par Q B (p 22-23)

Evocation

LE DÉCÉS DE MUSTAPHA KAÏD, UNE VIE AU SERVICE D’UN HAUT IDÉAL

par Alger Républicain (p 24)

Documents joints

  1. Alger Républicain, juillet 2009, édition en arabe, format pdf.
  1. éditorial de Zouhir Bessa, Alger Républicain juillet 2009, traduction en français.

Lettre de Marwan al Barghouti au Congrès du Fatah

Dans la deuxième moitié de la lettre adressée depuis la prison israélienne au Congrés du Fatah qui l’a élu au Comité Central, Marwan Al Barghouti, espoir des Palestiniens en cette période de crise aiguë, aborde les problèmes intérieurs qu’a dû affronter cette organisation depuis vingt ans.

L’ intérêt de ce document réside aussi pour nous en ce qu’il évoque avec précision les maux et les obstacles externes et internes qu’affrontent dans le monde arabe les courants attachés aux libertés démocratiques, aux aspirations sociales.

Des problèmes dont le PCA et le PAGS ont bien connu les manifestations en Algérie, alimentées et suscitées par les agissements réactionnaires, proimpérialistes ou simplement hégémonistes.

في ظل عدم تقديم اللجنة المركزية لحركة « فتح »، خلال مؤتمرها الحالي، تقريراً شاملاً عن أوضاع الحركة على مدار العقدين الماضيين، جاءت رسالة أمين سر « فتح » في الضفة، الأسير مروان البرغوثي، لتكون التقرير البديل، الذي شرّح وضع الحركة وأعطى استشرافات للمستقبل. وهنا أبرز ما جاء في الرسالة

المطلوب اليوم في مؤتمر حركة فتح السادس أن نرتقي إلى مستوى الشعب الفلسطيني العظيم، وإلى مستوى تطلعاته وطموحاته، وإلى مستوى صلابته وإرادته، وإلى مستوى توقعاته من هذه الحركة التي منحها ثقته على مدار العقود الماضية لتقوده نحو الحرية والعودة والاستقلال. وتجديد ثقة شعبنا بنا مرهون اليوم بقدرة هذا المؤتمر على استنهاض الحركة وتعزيز وحدتها وتجديد قيادتها ونفض الغبار عنها وتصحيح المسارات ومراجعة الأخطاء، وفي القدرة على وضع رؤية وآليات وأطر مناسبة لتحقيق حلم الفلسطينيين في الحرية والعودة والاستقلال.
إننا نقف اليوم في هذا المؤتمر التاريخي، أمام حقائق لا يجوز لأحد أن يتجاهلها أو يقفز عنها لاستشراف المستقبل ولوضع استراتيجية فلسطينية تقود لإنهاء الاحتلال وإنجاز حلم شعبنا بالعودة والحرية والاستقلال، وفي مقدمتها وأولها أنه ليس هناك شريك للسلام الحقيقي في إسرائيل، وأن الحكومة الحالية المتطرفة إرهابية لا تنوي قبول قرارات الشرعية الدولية وما ينطوي عليها من انسحاب شامل لحدود 1967. والحقيقة الثانية أن الاستيطان كان ولا يزال إحدى أهم الركائز التي قامت عليها الحركة الصهيونية وإسرائيل لاحقاً، وأن الاستيطان لم يتوقف منذ نهاية القرن التاسع عشر حتى هذه اللحظة، وأن استمرار الاستيطان وبقاء المستوطنات يجهضان مشروع الدولة المستقلة الكاملة السيادة على حدود 1967. والحقيقة الثالثة التي يجب مواجهتها والتوقف أمامها هي عملية الاستيطان والتهويد وهدم المنازل والاستيلاء على الأرض والمحال التجارية والبيوت في مدينة القدس، حيث إن إسرائيل تسابق الزمن لحسم قضية القدس وتهويدها، لأنها تدرك أن أقصى موقف يتخذه الأميركيون هو القول ما للعرب في القدس للعرب وما لليهود لليهود. أي التسليم بالاستيطان والتهويد وبالأمر الواقع، وتكريس القدس تحت الاحتلال الإسرائيلي. أما الحقيقة

الرابعة فهي، وإن كان هناك كلام أميركي وتصريحات ونوايا جديدة، فإنه لا يمكن الاتكاء عليها وحدها لإجبار إسرائيل على وقف الاستيطان والإذعان لقرارات الشرعية الدولية، وأن هنالك حدوداً للضغط الأميركي على إسرائيل بوصفها حليفة من الدرجة الأولى وتربطها علاقة لا تشبه أي علاقة بين أي دولتين حليفتين في العالم. أما الحقيقة الخامسة فهي أن الوضع العربي لا يمثّل رافعة وعامل قوة للموقف الفلسطيني، ولا يظهر العرب استعداداً حقيقياً لوضع رؤية شاملة قادرة على التحقق، وحتى مبادرة السلام العربية التي اقترحها العرب وأقروها، فإنهم لم يتمترسوا خلفها ويدافعوا عنها ويصروا على أن لا بديل منها مطلقاً. والحقيقة السادسة أن حالة الانقسام تمثّل نزيفاً دامياً في الجسد الفلسطيني يضعف الموقف الفلسطيني ويلحق الضرر بالمصالح الوطنية الفلسطينية. والحقيقة السابعة أن النظام السياسي الفلسطيني يعاني الوهن والضعف والانقسام وأن التجربة الديموقراطية تتعرض للخطر الفعلي، وأن منظمة التحرير الفلسطينية تعاني ضعفاً وترهلاً في مؤسساتها بل غياب هذه المؤسسات، كما أن غياب حركتي « حماس » و »الجهاد » عن مؤسسات المنظمة يضعف التمثيل الفلسطيني ويعرضه للمخاطر.

والحقيقة الثامنة أن حركة « فتح » في المؤتمر السادس هي ليست حركة « فتح » في الموتمر الخامس، وأن الحركة تعرضت لهزات عنيفة أولاً باستشهاد الرئيس القائد ياسر عرفات وما يمثّله في تاريخ الحركة والشعب الفلسطيني وقيادتهما، وثانياً الهزيمة التي تعرضت لها في الانتخابات التشريعية والبلدية والمحلية، وثالثاً انهيار السلطة وخسارتها في قطاع غزة وتفرد « حماس » بها، ورابعاً عملية السلام تواجه انسداداً وتعثّراً ومأزقاً وفشلاً، وخامساً أن الحركة تعاني غياباً لقيادتها وعجزاً وفشلاً وحالة نزاع وصراع وغرق في الصراعات الشخصية والمصلحية وغياب لمؤسساتها وحالة ذوبان في السلطة والمنظمة وانهيار لمبادئ المساءلة والمحاسبة واستشراء للفساد والكسب غير المشروع.
أمام هذه الحقائق التي عرضنا، وغيرها ليس أقل أهمية، فإننا ندعو المؤتمر للنقاش الصريح والصادق والديموقراطي، وذلك بهدف إجراء مراجعة شجاعة وجريئة للعقدين الماضيين من دون الغرق في التفاصيل والمناكفات، وإلى استشراف المستقبل وإحداث تغيير حقيقي، وإلى اتخاذ قرارات وسياسات على النحو الآتي :

■ على الصعيد السياسي

1ـــ انطلاقاً من أننا ما زلنا نعيش مرحلة التحرر الوطني، وباعتبار حركة فتح قائدة لحركة التحرر الفلسطيني، فإنها تعتبر أن المهمة الأساسية والرئيسية والأولى والمقدسة للشعب الفلسطيني في الوطن والشتات هي مواصلة النضال الوطني لإنهاء الاحتلال الإسرائيلي والاستيطان والانسحاب الشامل لحدود الرابع من حزيران 1967، بما في ذلك مدينة القدس الشرقية المحتلة، وإقامة الدولة الفلسطينية المستقلة كاملة السيادة وعاصمتها القدس الشرقية، وحق اللاجئين في ممارسة حقهم طبقاً للقرار الدولي 194، وتحرير جميع الأسرى والمعتقلين.

2ـــ أن مقاومة الاحتلال الإسرائيلي هي واجب وطني، وهي حق مشروع كفلته الشرائع السماوية، والشرعية الدولية والقانون الدولي، وأن هذه المقاومة تنتهي فقط بانتهاء الاحتلال وإنجاز شعبنا لحقوقه الوطنية.

3ــــ اعتبار الوحدة الوطنية مبدأ وطني فتحاوي وضرورة لا غنى عنها، وخاصة في مرحلة التحرر الوطني، واعتبار أن الوحدة الوطنية هي قانون الانتصار للشعوب المقهورة ولحركات التحرر الوطني. ولهذا فإن حركة فتح ستواصل سعيها وجهدها دون توقف لإنجاز الوحدة الوطنية للشعب وللوطن وللسلطة وللفصائل.

4ــــ إننا نوكد أن منظمة التحرير هي الممثل الشرعي والوحيد لشعبنا في كل أماكن وجوده وقائدة نضاله الوطني، ومرجعيته السياسية والتفاوضية، ونرحب بدخول حركتي « حماس » و« الجهاد » إلى مؤسسات المنظمة ومشاركتهما فيها، ونؤكد ضرورة إجراء انتخابات لعضوية المجلس الوطني الفلسطيني بأسرع وقت ممكن في الداخل والخارج، وبما لا يزيد عن 350 عضواً والتوافق، حيثما تعذر الانتخاب.
5ــــ التمسك بالخيار الديموقراطي أساساً للنظام السياسي الفلسطيني والإصرار على إجراء الانتخابات الرئاسية والتشريعية والمحلية دورياً وفي إطار ما قرره القانون الأساسي للسلطة الوطنية والقوانين المعمول بها، والتمسك بمبادئ النظام الديموقراطي وأسسه، وفي مقدمتها بند تحريم العنف في حل الإشكالات والخلافات والنزاعات الداخلية، والإصرار على الحوار خياراً وحيداً وتحريم الدم الفلسطيني، والتمسك بمبدأ التداول السلمي للسلطة، ومبدأ فصل السلطات، واستقلال القضاء، وسيادة القانون، وحماية الحريات العامة والفردية، وحماية التعددية السياسية، وحرية الرأي والتعبير والاعتقاد، وحرية الصحافة، وتكريس مبادئ المحاسبة والمسائلة.

6ــــ بناء مؤسسة أمنية وطنية ومهنية، عصرية وحديثة، تتولى مهمة الدفاع عن الشعب والوطن والحفاظ على الأمن والنظام والاستقرار، وحماية الممتلكات العامة والخاصة، مؤسسة أمنية بعيدة عن النزاعات الفصائلية ولا تتدخل في الشأن السياسي والنزاعات أو الخلافات الداخلية الديموقراطية، وتخضع للمستوى السياسي الشرعي والمنتخب.

7ــــ اعتبار السلطة الوطنية نواة الدولة المستقلة، وإنجازاً وطنياً حققه شعبنا بفضل تضحياته على مدار العقود الماضية وبفضل صموده العظيم، وضرورة حماية هذا الإنجاز الوطني، وتكريس بناء مؤسسات السلطة كمؤسسات مؤهلة لإدارة الدولة الفلسطينية، واعتبار السلطة الوطنية ملكاً للشعب الفلسطيني بأسره و في خدمته، يقوم مبدأ التوظيف فيها على أساس القانون وتكافؤ الفرص.

■ على صعيد المفاوضات

إن تجربة ما يقارب العقدين من المفاوضات تثبت بوضوح وصراحة ألا شريك للسلام في إسرائيل، وأن الحكومات المتعاقبة استخدمت المفاوضات مظلة للتغطية على جرائم الاحتلال والاستيطان، وأن الحكومات الإسرائيلية لم تلتزم يوماً بمرجعيات عملية السلام مطلقاً، عوضاً عن الاتفاقيات، بل تحاول استحداث مرجعيات جديدة بهدف شطب قرارات الشرعية الدولية ومرجعية القانون الدولي. وإننا إذ ندعو لوقف كامل ومطلق للمفاوضات بكل أشكالها ومستوياتها وإلى عدم العودة إلى طاولة المفاوضات قبل التزام حكومة إسرائيل بما يلي :

1ــــ الالتزام بمبدأ إنهاء الاحتلال والانسحاب الشامل لحدود الرابع من حزيران 1967، بما في ذلك مدينة القدس، والاعتراف الصريح الواضح بقرارات الشرعية الدولية ومرجعيتها لأية مفاوضات في إطار الالتزام بالقانون الدولي.

2ــــ الوقف الشامل والفوري لكل النشاطات الاستيطانية ومصادرة الأراضي، ووقف الاستيطان في القدس ووقف هدم البيوت ومصادرتها ووقف عملية تهويد المدينة.

3ــــ الاعتراف الرسمي بحق الشعب الفلسطيني في تقرير مصيره، بما في ذلك حقه في إقامة دولتة المستقلة كاملة السيادة على الأراضي المحتلة عام 1967 ورحيل كل المستوطنين وإخلاء كل المستوطنات وحق اللاجئين في العودة طبقاً للقرار الدولي 194.

4ــــ إنهاء الحصار المفروض على الشعب الفلسطيني وإزالة الحواجز ووقف الاقتحامات والاعتقالات وإعادة مناطق السلطة الوطنية للمسؤولية الفلسطينية وإنهاء الحصار على قطاع غزة.

5ــــ الالتزام بالإفراج عن جميع الأسرى والمعتقلين في إطار جدول زمني لمدة سنة من تاريخ استئناف المفاوضات.

6ــــ في حال التزام إسرائيل بالمبادئ المذكورة، يجري استئناف المفاوضات فقط من النقطة التي انتهت إليها، والرفض المطلق للعودة للوراء على أن تتعلق المفاوضات بترتيبات الانسحاب الإسرائيلي لا التفاوض على المبدأ، شريطة أن يكون سقف المفاوضات ستة أشهر للوصول لاتفاق إنهاء الاحتلال.

■ على صعيد حركة فتح

منذ المؤتمر الخامس قبل عشرين عاماً تماماً، وقعت أحداث وتطورات وتغيرات دولية وإقليمية ومحلية غير مسبوقة، وانهارت معسكرات دولية واختفت وولدت دول جديدة وتفككت أخرى، وانفردت الولايات المتحدة بقيادة العالم والتحكم في مصائر الشعوب ووقعت حرب الخليج العربي، وعانى النظام العربي وما زال من حالة انقسام وضعف وتراجعت مكانة القضية الفلسطينية في اهتمامات النظام العربي الرسمي. ودخلت منظمة التحرير، بقيادة فتح، في عملية السلام التي انطلقت في مدريد، ثم جاء اتفاق أوسلو ناقصاً ومفتقداً لضمانات التنفيذ. ورغم ذلك مهد الطريق لإقامة أول سلطة وطنية على الأرض الفلسطينية بقيادة فتح، حيث قاطعتها الفصائل الرئيسية جميعها، وتولت فتح مهمة بناء مؤسسات السلطة المدنية والأمنية. وفي ظل غياب خطة واضحة المعالم، حيث سادت حالة من الارتجال والفوضى، وفي ظل غياب الرقابة قامت إقطاعيات، وانتشرت ظاهرة التسابق على المراكز والمناصب ومغانم السلطة وهجر التنظيم وقد هُمّشت مؤسسات « فتح »، وحلّت مؤسسات السلطة مكانها وتعزز نفوذ الأجهزة الأمنية وازدادت سطوتها، وساد التنافر بين الأجهزة والصراعات والخلافات، وغابت فلسفة المؤسسة الأمنية الموحدة والمهنية والعصرية.

وقد مورست سياسة تهميش للتنظيم وتحجيم، شارك فيها معظم القيادات والمؤسسات الحركية، وتعرض التنظيم للنهش والاستقطاب والتضييق وعانى من ضعف الإمكانات وهجرة الكادر لمؤسسات السلطة. وعندما بادرنا في اللجنة الحركية العليا لإعادة بناء التنظيم منذ بداية صيف 1994 مباشرة بعد إقامة السلطة الوطنية. وقفت اللجنة المركزية ضد المبادرة وعملت على تعطيلها، وفيها أكدنا أن هنالك فرصة لإعادة البناء وتقوية التنظيم وتعزيزه، وأكدنا أن السلطة ليست بديلاً من فتح أو من التنظيم، وأن من الضروري إطلاق عملية البناء التنظيمي وعقد مؤتمرات من مستوى الحلقات والأجنحة والشعب والمناطق والأقاليم، وأنه لا يجوز الجمع بين العمل في الأجهزة الأمنية والعمل التنظيمي، وكان الهدف هو التحضير لعقد المؤتمر السادس في عام 1997 ــــ 1998. ولكن للأسف الشديد استمرت عملية المماطلة، وكثير ممن يتباكون اليوم على حال فتح أسهموا في إضعافها وفي ترهلها وفي تعطيل المؤتمرات الحركية، وفي تعطيل المؤتمر السادس، مراكزهم في السلطة كانت أهم بالنسبة إليهم من الحركة.

إن من غير المعقول الاعتقاد أنه يمكن أن تعطل المؤتمرات وتعطل الحياة الداخلية، ونحصل على حركة قوية وتنظيم متماسك، كما أن حال اللجنة المركزية التي غابت اجتماعاتها لفترة طويلة، وغابت عن الساحة وأصدرت مواقف متناقضة في أزمات مفصلية، وانقسمت في العديد من المحطات، وقدمت خطاباً سياسياً وإعلامياً ضعيفاً ومتناقضاً ومنقسماً وغير موحد. وغذى العديد من أعضائها حالة المحاور وبث الشائعات والتحالفات، وغاب عنهم أنهم الخلية الأولى التي إذا توحدت تتوحد الحركة خلفها. وبعد عشرين عاماً من شغلها مهماتها فقد كانت النتيجة أن اللجنة المركزية إلى جانب المجلس الثوري تتحمل المسؤولية عن النكسات والهزائم التي لحقت بالحركة. وقد انتشرت ظواهر يعرفها الجميع في الحركة بسبب غياب المؤسسات الحركية، وتحملت الحركة وزر ظاهرة الفساد في السلطة الفلسطينية، بغض النظر عن أغراض بعض الجهات في تضخيم هذا الفساد وتوظيفه لمحاربة الحركة، إلا أن هذه يجب ألا يدفعنا للتغطية على حقيقة أن مبادئ المحاسبة والمساءلة والكسب غير المشروع، لم تجد أي معالجات مطلقاً.

وبالمناسبة فنحن شعب صغير العدد نسبياً، وفي الحركة كثيرون يعرف بعضهم بعضاً، كما أن دخل معظم الناس في الحركة حتى وقت قريب كان متشابهاً أو مختلفاً قليلاً. وفجأة أصبحنا نرى ونسمع ونشاهد بل نعرف كوادر وقيادات لم تمتلك يوماً سوى مخصصها وكفايتها، وأصبحت تمتلك الفلل والبيوت الكبيرة والسيارات الفخمة ومواكب المرافقين ومصروفات شخصية تكفي للصرف على تنظيم بكامله في إحدى المحافظات أو عدد منها. ومن المؤسف أن الحركة تتذرع بأنها لا تمتلك المال لتصرف مخصصات للشهداء العظام والأسرى، بينما الفصائل الأخرى تصرف بانتظام لأسراها في كل الظروف ورغم الصعوبات. وأن الحركة التي لا ترعى مناضليها من شهداء وأسرى وجرحى تفقد واحداً من أهم عناصر وقواعد تماسكها وقوتها وهي التضامن الداخلي وروح الأخوة وتقاسم الهموم والمشاركة في الأفراح والأتراح.

إن الأخطر من ذلك كله هو التقصير بل القصور في رؤية القيادة لمهماتها، فحين وُجدت هذه القيادة خارج الوطن، أهملت الوطن ولم ينل من الإمكانات والموازنات ما يوازي موازنة أو مصروفات بعض المسؤولين، وحتى اندلاع الانتفاضة الأولى فإن ما كان يصل للأرض المحتلة هو فتات بل مخجل الحديث فيه. وما بعد اندلاع الانتفاضة تحسن الأمر قليلاً ولكنه بقي مأساوياً. والأخطر أن القيادة عندما تخرج من ساحة إلى أخرى تهمل الأولى وتغرق في الثانية. وعندما عادت للوطن أهملت الجسم الحركي والتنظيم ومؤسسات الحركة ومناضليها ومقاتليها بل هُمّش التنظيم ومؤسسات الحركة خارج الوطن، ولم يحصل ذلك لحساب رعاية الحركة والتنظيم في الداخل، بل في الغرق في السلطة.

الأمر الآخر الذي تجاهلته اللجنة المركزية ومؤسسات الحركة عموماً، هو العلاقة التنظيمية بالأرض المحتلة، حيث تجاهلت أي تمثيل للداخل في مؤسسات الحركة ابتداءً من المؤتمر العام ومروراً بالمجلس الثوري وانتهاءً باللجنة المركزية.

لقد حان الوقت لإحداث توازن خلاق ومبدع في الحركة وفي كل هيئاتها في الداخل والخارج، لأن من الكارثة إهمال هذه الطاقات لشعبنا الذي يعد بالملايين والمنتشر في كل مكان، والأهم أنه فاعل ومنتمٍ لفلسطين وقدم تضحيات جسيمة. وقد استمرت اللجنة المركزية في تغييب رؤية التنظيم ومشاركته في الوطن بعد خمس عشرة سنة من عودتها. وتجسد ذلك في تشكيلة اللجنة التحضيرية للمؤتمر وعقد اجتماعاتها، وتجاهلت تمثيل قطاعات أساسية مثل الشبيبة والمرأة والقطاع الخاص والأسرى المحررين والأسرى عموماً، وأغفلت كل التطورات التي طرأت على الحركة بعد إقامة السلطة الوطنية، وتجاهلت أن للوطن والتنظيم سمات مختلفة عنه في الساحات الخارجية. وعندما أقيم المؤتمر جاء قاصراً وعاجزاً ومرتجلاً وباهتاً وغاب عنه تمثيل حقيقي لقطاعات أساسية.
وإذا كان 75% من أبناء الحركة دون الأربعين عاماً، فهل يجوز تمثيل الشبيبة بـ1% فقط، أي عشرة أشخاص.

إن الشبيبة هي ربيع فتح المتجدد، وهي ضمير هذه الحركة وهي قلبها النابض بالحياة ، وأن رعايتها ومساندتها ودعمها ضرورة وطنية وفتحاوية، وكذلك المرأة التي تمثل 29% من أعضاء الحركة، هل يجوز أن تمثل بـ7%؟ ولماذا تجاهل تمثيل أكثر من ألف أستاذ جامعي فتحاوي في الجامعات الفلسطينية من حملة شهادة الدكتوراه وأصحاب التخصص في مجالات عدة وأغلبهم كانوا ناشطين في الشبيبة، وفي المجال النقابي والطلابي وفي العمل السياسي والنشاط الجماهيري، ولهم تأثيرهم في المجتمع. وكذلك كيف يُتجاهل آلاف من الأسرى المحررين الذين دفعوا ثمناً غالياً وانتظروا اليوم الذي يستطيعون فيه المشاركة في مؤتمر للحركة، وهم الذين قضوا أجمل سنوات حياتهم في السجون وظلوا على العهد. وكيف جرى تجاهل خمسة آلاف وخمسمئة أسير وأسيرة فتحاويين من خيرة أبناء الحركة ومناضليها ومنهم 155 قبل اتفاق أوسلو ولم تتذكرهم قيادتهم ولم تفعل شيئاً لتحريريهم. حتى أن البعض لا يريد تمثيلهم، وبالفعل كان قرار اللجنة التحضيرية عدم تمثيل الأسرى، الأمر الذي يمثّل طعنة لهؤلاء المناضلين المقاومين المقاتلين. وهذه إشارة إلى عقلية هذه القيادة وطريقة تفكيرها ومعالجتها للقضايا الحركية.

أما في ما يتعلق بالنظام الداخلي والسياسي للحركة، فأعتقد أن هنالك ضرورة لإجراء تعديلات أساسية تتعلق في البنية التنظيمية، وفي تقليل التراتبية التنظيمية وتخفيفها واقتصارها على أقل حلقات ممكنة، وذلك بهدف توسيع دائرة المشاركة وتكريس الحياة الديموقراطية.
وقد آن الأوان لاستحداث مجلس حركي في كل إقليم، ينتخب في كل مؤتمر إقليماً من 51 عضواً، يمثلون مختلف القطاعات ويحاسب عمل لجنة الإقليم ويراقبها ويتابعها ويجتمع كل ثلاثة شهور، والهدف توسيع باب المشاركة وتفعيل آليات العمل الديموقراطي وتفعيل آليات المحاسبة.
أما بخصوص اختيار مرشحي الحركة في المجلس التشريعي، فمن المفروض وضع آلية متفق عليها تترك المجال لكل أخ للترشح في انتخابات داخلية على مستوى كل دائرة يختارها المرشح، على أن تكون الهيئة العامة الانتخابية في كل دائرة، هي أعضاء مؤتمر الإقليم لآخر مؤتمر، وترتّب بعد ذلك اللجنة المركزية قوائم الترشيح الخاصة بالحركة وتعرضها على المجلس الثوري للتصويت عليها، وبعد ذلك يحظر على أي مرشح من الحركة أن يرشح نفسه خارج القوائم الرسمية.

إنني أدعو لمناقشة كل القضايا ومراجعة كل المحطات السابقة بكل شجاعة وموضوعية، وبكل صراحة وصدق، والإقدام على محاسبة المقصرين، ومن أساؤوا لحركتنا بسلوكهم، الذين يتحملون المسؤولية عن التراجعات والانتكاسات والهزائم التي تعرضت لها الحركة، وذلك في إطار بعيد عن الأحقاد والكراهية، وبعيداً عن تصفية الحسابات الشخصية والمصالح الأنانية والضيقة، وبعيداً عن عقلية الإقصاء والنزعات « الجهوية »، ومن خلال التمثل بقانون المحبة الفتحاوي، ولكن دون أن نستخدمه غطاءً للتهرب من المحاسبة والمساءلة، وإجراء نقاش عميق وشجاع يتعلق بعلاقة حركة فتح بمنظمة التحرير ومؤسساتها وبالسلطة الوطنية، وأهمية بناء مؤسسات مستقلة للحركة وعدم الذوبان في المنظمة والسلطة، وضرورة إحداث تطوير جذري في النظام الداخلي ليواكب طبيعة التغيرات. وإذا كانت الحكمة تقضي أن نستفيد من المناخ الدولي الجديد، وحشد العالم بأسره لإجبار حكومة إسرائيل على وقف الاستيطان وإنهاء الاحتلال وإقامة الدولة المستقلة، فإن من الوهم الاعتقاد أن هذا سيتحقق بدون إسناد شعبي وبدون حركة شعبية جماهيرية مساندة للتحرك الفلسطيني السياسي، ولذا فإنني أدعو المؤتمر لاتخاذ قرار بإطلاق أوسع حركة مقاومة شعبية سلمية في كل أرجاء الوطن لمواجهة الاستيطان وجدار الفصل العنصري وتهويد القدس، والحواجز العسكرية والاعتقالات والاقتحامات والحصار، وإسناداً للأسرى والمعتقلين آملين أن يدفع هذا أيضاً لإنهاء الانقسام الكارثي وإعادة الوحدة للوطن وللشعب وللسلطة.

Al-Akhbar, 10 août 2009

LA CRISE DU PPA-MTLD DE 1949

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Juillet – Aout 1949, été brûlant et point culminant d’une crise qui a laissé chez tous les acteurs un sentiment amer et douloureux pour la cause nationale.

Soixante ans après, peut-on esquisser un aperçu global et quelques enseignements pour les nouvelles générations?

J’en résume ici quelques épisodes, restés pratiquement inconnus de l’opinion patriotique et démocratique. Sur ce site, je les complèterai en cette année anniversaire par d ‘autres évocations, documents et extraits d’un ouvrage non encore publié.

I. « WELLAT DRÂA » OU LA BIFURCATION FATALE

Nous avions en vain proposé à la direction du parti, face aux équivoques criantes de ses orientations et de ses pratiques, de définir plus clairement les problèmes de la nation, de la voie révolutionnaire et de son contenu en matière de démocratie politique, sociale et culturelle. Ces propositions n’étaient pas à prendre ou à laisser. L’important était d’ouvrir un débat constructif, dans les formes les plus appropriées. Dans notre esprit cela devait permettre à l’organisation nationale la plus influente de répondre à l’attente de sa base militante, aux interrogations de la population, de gagner ainsi un temps précieux pour mieux mobiliser en prévision des dures épreuves à venir.

La plupart des membres de l’exécutif de ce parti (qui en fait était déjà entré en crise avant notre initiative) avaient réagi par réflexe autoritaire et bureaucratique. Comme ils refusaient d’examiner et traiter les problèmes sur le fond, ils ont préféré qualifier notre groupe de «berbériste». Cela rejoignait l’appréciation de la presse coloniale et faisait tout à fait son affaire. C’était pourtant à tort, car malgré l’origine géographique et les affinités culturelles majoritaires de ce groupe, notre revendication était prioritairement démocratique , elle concernait l’ensemble du mouvement national. Nous n’avions pas placé au départ le problème culturel lié à la berbérophonie au premier plan, comme l’ont fait ensuite les dirigeants du MTLD pour donner des justifications à leur autoritarisme. Il suffit pour s’en convaincre de relire la brochure «L’ALGERIE LIBRE VIVRA» qui exposait nos propositions pour un débat, clairement, sans polémique ni attaque malveillante contre quiconque.

Après bien des dégâts liés aux suites immédiates de cette crise puis de celle de 53-54, cette tentative de réflexion ne commencera à se faire qu’au congrès de la Soummam de 1956. Mais les conditions de guerre et les tensions entre responsables politico-militaires ne permettaient déjà plus l’examen aussi profond et aussi serein de ces questions par un plus large éventail de tendances, comme cela aurait été possible en temps de paix. C’est d’ailleurs pourquoi de nombreuses recommandations politico-idéologiques de ce congrès seront peu suivies d’effets ou même contestées sur le terrain.

Depuis la crise de 1949, il a fallu pratiquement un demi-siècle pour qu’une Constitution algérienne (celle de 1996) commence à établir la «carte d’identité» du pays d’une façon plus équilibrée et plus réaliste, quoiqu’avec encore beaucoup d’équivoques. Si les lois destinées à réprimer les atteintes aux «constantes» nationales (je préfère dire les «valeurs») s’appliquaient d’une façon rétroactive, elles s’appliqueraient en premier lieu à ceux qui ont freiné durant cinquante ans une conception ouverte et démocratique de la nation, en désignant toute référence à l’amazighité comme un coup porté à la cohésion nationale. Il est vrai qu’au début, avant de porter ce type d’accusation porteur de risques énormes, les dirigeants croyant que c’était des problèmes de «postes» et de «fauteuils» qui étaient en jeu, avaient usé de prétextes et d’arguments dérisoires. Pour eux, les problèmes de fond que nous soulevions n’étaient qu’une façon indirecte de soutenir Lamine Debbaghine dans le conflit qui l’opposait à Messsali. Et ils ont proposé à certains d’entre nous, pour résoudre la question, de nous concéder des postes au Comité central, suivant la désastreuse méthode qui consiste à ignorer et contourner les problèmes de fond par des manipulations d’appareil. Ils voyaient les choses en termes de partage interne du pouvoir conçu comme un gâteau, avant même que le pouvoir colonial ne soit ébranlé (certains d’entre eux engageront d’ailleurs quelque temps plus tard, dans l’espoir de quelques strapontins, des manœuvres de rapprochement avec l’aile néo-colonialiste de Jacques Chevallier). Quant aux problèmes démocratiques, économiques, sociaux et culturels vécus par la société dans ses différentes couches et en particulier les plus opprimées et les plus exploitées, cela n’entrait apparemment pas dans leurs priorités.

Comment avons-nous réagi, comme patriotes algériens qui brûlaient d’arracher l’indépendance, lorsque nous avons fait à ce moment-là le constat d’une maturation insuffisante de la culture démocratique dans les appareils dirigeants? Nous venions de comprendre avec amertume, qu’une porte venait de se refermer sur les voies constructives de recherche collective de solutions efficaces, unitaires et mobilisatrices aux problèmes que rencontrait notre jeune mouvement national. Mais c’est bien longtemps plus tard que j’ai mesuré le sens profond d’une parole simple et spontanée de mon ami H’midat, au moment même où se produisait en 49 ce basculement vers l’arbitraire qui marquera les décennies suivantes de la libération et de l’édification.

DES MILITANTS DE BASE EN QUÊTE DE CLARTÉ ET D’UNION

H’midat, avait d’abord été «routier» (les plus de seize ans) du groupe SMA de Larbâa, puis militant PPA dès la première moitié des années 40. Depuis la répression consécutive au 8 Mai 1945, recherché par la police, il vivait comme maquisard solitaire dans ces montagnes du piémont de Larbâa. Cette région verra dès la première partie de la guerre de libération les katibas de l’ALN de Ali Khodja affronter les unités répressives dans lesquelles s’étaient illustrés Le Pen ou les commandos de chasse décrits à l’époque dans l’Express par J. J. Servan Shreiber. C’est après son passage dans cette région que le général français De La Bollardière donna sa démission pour protester contre des exactions qui portaient atteinte selon lui à l’honneur de l’armée française. Ces montagnes et la riche plaine qu’elles dominent seront ensanglantées à nouveau dans l’Algérie indépendante par le groupe islamiste de Bouyali des années 80 ou ceux des GIA des années 90.

«Vivant parmi les chacals» comme disaient de lui les gendarmes français qui le recherchaient sans trop oser l’approcher, H’midat avait soif d’informations et restait attentif à chaque événement politique du village. A l’automne 49, caché derrière un fourré, il vint ainsi assister de nuit à l’assemblée d’information clandestine des militants, qui se tenait, faute de local, dans la forêt communale. Lahouel Hocine, dirigeant du MTLD (futur leader des centralistes), était venu en personne avec l’intention d’engager un réquisitoire contre ceux qu’ils avaient décidé de qualifier de «berbéristes séparatistes». Auparavant, il n’avait pas eu la bonne idée d’apporter à la presse colonialiste le démenti qui s’imposait, comme aurait dû le faire une direction nationale responsable, soucieuse de calmer les passions et de chasser le spectre de la division. « L’Echo d’Alger » avait été heureux d’inventer cette information diabolique au lendemain de la tentative d’assassinat de Ferhat Ali, tandis que par un curieux hasard, les services français de sécurité avaient arrêté successivement plusieurs des dirigeants PPA contestataires (dont Bennaï Ouali, Ould Hamouda Ammar et Omar Oussedik) qui vivaient depuis plus de trois ans dans la clandestinité et que ces services considéraient comme particulièrement dangereux.

Les militants de Larbâa, en presque totalité arabophones, n’étaient pas informés de ces problèmes (tout juste des rumeurs inspirées par les dirigeants de la rue Marengo). Moi-même, bien informé de tout cela, je n’avais pas été invité, sous prétexte que je militais à la section étudiante du PPA de la capitale. J’en avais été élu démocratiquement comme responsable à la quasi-unanimité, malgré l’opposition de la direction centrale qui voulait y placer Kiouane, son homme de confiance, prêt à appliquer avec zèle toutes les besognes de caporalisation.

Les militants présents à cette assemblée de Larbâa s’attendaient surtout à des explications qu’ils réclamaient en vain à la direction depuis des mois, à propos du désarroi croissant du parti et de la population, suite à la répression massive après la participation aux élections «à l’algérienne» qu’avait organisées à sa façon le gouverneur Naegelen l’année précédente. Ils furent déçus en entendant rabâcher les mêmes généralités usées sur l’indépendance sacrée, les sacrifices nécessaires, la solidarité assurée de la Ligue arabe etc. Or les militants souhaitaient une actualisation, une mise à jour des orientations, des consignes de lutte plus conformes au nouveau contexte. Ces dirigeants semblaient ignorer que lorsque les militants se retrouvaient, leur première question était inévitablement: « wach as-sel’âa? kach jdid? (quoi comme «marchandise» ? – on appelait ainsi discrètement la politique – : Y a-t-il du nouveau?)». Ils étaient donc déçus par l’exposé répétitif. Mais l’objectif de l’orateur leur apparut mieux lorsqu’il enchaîna sur une attaque en règle contre les contestataires qu’il présenta comme des diviseurs, des comploteurs, et plus grave encore, des antiarabes, etc. À l’irritation de la plupart des militants de ne pas recevoir de réponses aux questions qu’ils posaient depuis des mois, s’est ajoutée alors la stupéfaction de me voir ainsi qualifié alors que nombre d’entre eux connaissaient de près mes positions depuis des années.

Il y avait en effet pour la plupart des militants honnêtes de quoi s’étonner et s’indigner de ces procès d’intention, fondés visiblement sur des divergences d’opinion qui méritaient des éclaircissements et non des calomnies. J’avais été responsable du district de l’Est-Mitidja pour le mouvement des Scouts Musulmans Algériens, je soutenais activement les efforts du Nadi-l-Islah pour édifier et faire fonctionner médersa et lieu de prières. Comme PPA, et bien qu’absent de Larbâa, la plupart des responsables attendaient et mettaient à profit ma venue pour confirmer des informations ou des opinions, me consulter sur des questions politiques et organiques délicates, comme le choix des éléments à verser à l’OS. Je ne leur cachais aucune de mes opinions, aussi nos rapports étaient-ils francs et confiants même quand je bousculais certaines de leurs idées reçues.
Ainsi avais-je pu faire reculer les réticences des plus conservateurs dans le mouvement associatif, quand leurs préjugés envers le mouvement sportif du Riadha Club risquaient d’empoisonner l’atmosphère et diviser la jeunesse du village. Avec ceux qui comme moi faisaient leur prière tout en étant ouverts sur les exigences de la vie moderne, nous avions réussi, avec l’aide de Osmani, un élève de la Zitouna de Tunis et membre du PPA, à gagner dans la population la bataille contre ceux que nous appelions «s-hab el bouaqel» qui passaient leur journée à des bavardages creux, à attendre l’adhan (appel du mouedhen à la prière) et refaire ostensiblement leur «oudhou» (ablutions avant la prière) en regardant de travers les jeunes qui passaient et en critiquant de façon hypocrite tout ce que faisaient ces jeunes comme si leur propre place au Paradis en dépendait. Ils considéraient le football comme une «bid’â» (innovation hérétique) et ses joueurs et supporters comme voués à brûler en enfer. La population leur donna tort en considérant comme un honneur qui rejaillissait sur elle chaque but marqué par ces jeunes qui, faute d’autre occupation, aimaient aussi se retrouver pour jouer aux dominos au café, tout comme mon ami Ali Souag le champion de demi-fond de l’USMA qui sera un des premiers à monter au maquis, ou encore Mahdi le coureur cycliste qui, lui, ne manquait pas ses prières sans négliger pour autant son entraînement.

Dans cette grosse localité où habitaient à peine quelques commerçants ou fonctionnaires kabyles, il n’y avait eu aucun problème lorsqu’à l’occasion des fêtes annuelles du groupe scout ou de certains mariages de militants nationalistes, les jeunes du groupe scout chantaient «Ekker a mis en Mazigh» ou «Di Jerjer nedder» (beaucoup plus difficile encore pour des gosiers arabophones) que je leur avais appris en plus de nombreux autres chants en arabe. Ces jeunes arabophones en éprouvaient même une certaine fierté car, disaient-ils, cela leur faisait connaître d’autres visages de notre patrie algérienne qui s’apprêtait à combattre dans l’union pour l’indépendance.

LES FRUITS DE L’ARBITRAIRE

C’est pourquoi, indigné par les calomnies qu’il venait d’entendre et ne se retenant plus, H’midat surgit de sa cache, enveloppé de sa qachabya, visage envahi par la barbe et marqué par les privations. Il dit en substance aux organisateurs de l’assemblée, avec le ton froidement résolu que tout le monde lui connaissait: « Il y a longtemps que vous nous endormez avec de bonnes paroles et aujourd’hui vous venez nous parler des absents sans qu’on puisse les écouter. Je connais Si Sadeq, je connais ses idées et ses actes; je sais qu’il est droit et franc (moukhliss). Alors écoutez moi, si je vis dans la montagne, si je suis prêt à aller jusqu’au bout pour la liberté et la révolution, ce n’est pas pour laisser noircir les patriotes honnêtes. Je dis à ceux qui parlent en mal: on a besoin de vérité, barkaou ma tqatt’oû f en-nass (arrêtez de calomnier les gens), ouvrez les yeux (prenez garde) avant de décider quoi que ce soit dans le dos des autres ». L’intervention mit la réunion dans une impasse. En plus du fait que chacun savait que H’midat était armé, il y avait surtout une insatisfaction du manque d’attention des dirigeants envers leurs préoccupations et de la légèreté avec laquelle ils utilisaient leur autorité pour s’attaquer à des militants que eux-mêmes connaissaient bien. C’est pourquoi personne, quel que soit son point de vue, ne jugea opportun de poursuivre une réunion aussi mal engagée. Elle se dispersa dans la nuit, avec les multiples questionnements inquiets des uns et des autres.

Lorsque je revis H’midat quelques semaines plus tard après sa brutale intervention au bois communal, dont des amis m’avaient déjà informé, je lui donnai franchement mon avis. Sentimentalement je le comprenais, c’est vrai que sa réaction me donnait chaud au coeur par ce qu’elle avait de sain, et je le remerciai pour sa confiance. Mais politiquement, n’aurait-il pas été préférable de laisser le débat ouvert? N’était-il pas souhaitable plutôt d’exiger des réponses aux questions brûlantes que se posaient les militants et de ne pas donner de prétextes aux dirigeants de se dérober en invoquant la provocation? Il n’était pas convaincu. « On dirait que tu ne les connais pas; ils ne veulent pas la discussion. Puisque pour eux « wellat draâ » (c’est devenu une question de force), je leur ai répondu avec le seul langage qu’ils comprennent ». J’ai eu beau lui expliquer qu’il ne s’agissait pas tellement de convaincre absolument les dirigeants, mais au moins d’éclairer les militants présents. Il pensait que son geste aiderait ces derniers à comprendre que c’était la seule façon de ne pas se laisser faire. J’ai compris moi-même que H’midat, déçu et frustré dans sa soif de dialogue et de participation, ne voyait désormais comme ultime recours que l’arme prête à servir sous sa qachabya. Celle-là au moins, était-il désormais persuadé, ne le trahirait pas. Aussi malgré toute l’ouverture politique dont il faisait preuve habituellement, les efforts de réflexion et de conviction lui paraissaient désormais peser bien peu à côté de la logique des armes et du cynisme des puissants du moment.

AU POINT DE DÉPART D’UNE SPIRALE DANGEREUSE

Sans en mesurer probablement les conséquences à long terme, l’instinct du militant de base lui faisait percevoir, avec une clairvoyance qui aurait dû être celle des dirigeants, l’irruption des logiques perverses et destructrices qui allaient faire le malheur de notre pays jusque dans les moments de ses plus grands élans et de ses plus grands succès.

Dans sa simplicité, la petite phrase de H’midat résumait hélas la transformation qui s’opérait dans les pratiques et l’esprit du mouvement national. Elle soulignait une espèce de bifurcation fatale.

Une des voies potentielles d’évolution achevait de s’obstruer, comme cela venait de se produire chez H’midat. On venait de fermer la voie des échanges comme méthode, qui aurait pu mener vers des approfondissements prometteurs et rassembleurs, qui pouvait permettre à chacun et à l’ensemble de s’enrichir et se renforcer de l’opinion des autres. À défaut de la concertation et de la régulation collectives souhaitables, une autre philosophie, une mentalité déjà vivace et préexistant spontanément en chacun de nous s’épanouissait, celle de l’activisme pur s’appuyant si nécessaire sur l’exclusion. Elle consistait à emporter la décision non pas en évaluant les problèmes sous divers angles, à partir des points de vue existants parmi les partenaires et de l’intérêt général, mais en comptant d’abord ou exclusivement sur la vertu du rapport de force.

On se mettait à imiter sans le savoir les chevaliers du moyen-âge européen. Faute de clarté ou de bonne volonté sur le droit des uns ou des autres, ils s’en remettaient, dit-on, au sort des armes dans des combat singuliers, pour déterminer qui des deux avait la préférence divine. Chez nous, on a perverti la belle sentence “An-nas m’âa l waqfin” (les gens sont avec ceux qui sont debout), on en a fait en politique une caricature justifiant le droit du plus fort. On ne se sent debout que si les autres sont à genoux, on n’a raison que si les autres ont tort. On n’est heureux que si les autres sont malheureux, on ne se sent le droit de vivre dans ce pays que si on en prive les autres, si on les contraint à parler, penser, agir strictement comme vous. A peine commençant à nous dégager de l’unanimisme communautaire traditionnel, voilà que nous nous forgions une nouvelle mentalité unanimiste où se conjuguaient les modes de pensée anciens et une façon autoritaire d’intégrer les concepts modernes de nation et de parti.

Les pesanteurs socio-historiques y étaient certainement pour quelque chose. On ne peut pas dire pour autant que les acteurs, y compris parmi ceux qui se réclamaient de modernité, n’y étaient pour rien. Leur responsabilité n’aura pas que des conséquences immédiates, elle sera encore plus lourde au regard des conséquences futures. C’est ce qu’illustreront les épisodes futurs que j’aborde.

( à suivre)


LA CRISE DU PPA DE 1949
ET L’ACTUALITÉ ALGÉRIENNE

(suite)

II. DE CRISE EN CRISE, LES INTERACTIONS PERVERSES

Comme démocrates, essayons de faire le point et de repérer les dérives successives qui ont découlé de cette crise de 49. Bien des faits confirment qu’elle fut la crise prémonitoire, la matrice qui, par les problèmes de fond qu’elle révélait et par les méthodes avec lesquelles elle a été gérée, portait en germe toutes les autres grandes crises qui ont frappé le mouvement national algérien depuis un demi-siècle.

Dans les conditions de l’époque, comme militants du PPA ou de l’OS, nous nous interrogions sur les meilleures façons d’élever la formation et la culture politiques face à l’inertie ou aux entraves d’une direction empêtrée dans ses luttes de clans. Nous étions pour cela contraints d’agir dans une marge étroite. D’un côté nous ne pouvions pas rester les bras croisés devant des orientations que nous jugions négatives, sans avoir tenté de faire réfléchir, de susciter des améliorations que nous estimions encore possibles. Mais nous ne souhaitions pas non plus engager des initiatives qui dépassent les possibilités du moment ou qui auraient fait plus de mal que de bien, car la cohésion nationale cherchait encore ses repères alors que les dirigeants croyaient faussement les avoir trouvés.

A l’intérieur de cette marge, il y a eu certainement, en réaction à l’incurie ou aux provocations de plusieurs des dirigeants MTLD, des maladresses tactiques, des excès ou au contraire des insuffisances par rapport aux possibilités qui s’offraient. Nous avons dû agir plus par réaction envers les défaillances de l’appareil du parti que nous estimions nuisibles, que selon une stratégie mûrie de longue date. Cette stratégie à laquelle nous souhaitions contribuer supposait ou aurait mérité qu’un large éventail de sensibilités arabophones et berbérophones, révolutionnaires ou réformistes, y participent. La direction de l’époque n’a pas voulu adopter cette voie, elle a préféré continuer à s’enliser dans les équivoques et les manœuvres.

UN DÉBAT QUI RESTE OUVERT

L’idéal serait aujourd’hui que les survivants de cette période ou ceux qui aujourd’hui s’y sont intéressés puissent joindre et recouper leurs souvenirs et leurs opinions. Ils pourraient ainsi mieux se rapprocher ensemble d’une évaluation capable de contribuer plus finement à la culture démocratique dont l’Algérie a encore tellement besoin et qui doit s’édifier par plusieurs bouts à la fois. D’autant que le débat reste encore ouvert, pas seulement quant à l’ampleur de la marge d’intervention que nous nous étions accordée, mais quant à sa légitimité même. J’ai entendu ou lu à ce sujet des appréciations contradictoires qui ont des connotations très actuelles.

Il y a ceux pour qui il n’était pas opportun de soulever dès cette époque le problème du contenu démocratique de la révolution ou pour le moins son aspect culturel, celui en particulier qui tend à valoriser dans l’édification de la nation les langues maternelles et les parlers populaires à côté de la langue arabe écrite littéraire, dans ses formes classique et moderne. Je pense que la vie et l’expérience ont beaucoup aidé à comprendre que, plus tôt et plus fortement des éléments de conscience et de pratiques démocratiques, même minimes, investissent le champ politique, mieux cela vaut pour la société et le mouvement politique progressiste. Mais le vrai problème reste, à chaque moment, celui de la capacité des acteurs politiques et des composantes de la société civile à œuvrer de façon plus responsable vers cet objectif.

En sens contraire, des responsables politiques ou des commentateurs défenseurs ardents de la place de la berbérité dans la nation, se sont interrogés (d’autres ont avancé des certitudes tranchantes) quant au bien-fondé de la décision des démocrates contestataires au début des années 50, de mettre en veilleuse l’aspect politique de la revendication culturelle berbère (je ne parle pas des efforts de création culturelle qui sont et gagnent à être un chantier ininterrompu, je parle de la revendication politique correspondante). Ils ont tendance à assimiler cette pause voulue à un renoncement opportuniste. Ces critiques idéologisent à l’extrême une aspiration juste sans mesurer comme il se doit les contextes politiques et les risques d’interactions négatives autant sur le plan culturel que politique, à un moment où approchait l’épreuve décisive avec le colonialisme à laquelle il fallait se préparer. On ne peut de toute façon refaire l’Histoire, mais quelles conséquences aurait eu cette politique du pire, comparée à ce qui ne fut certes pas l’évolution la plus souhaitable, mais fut sans doute l’une des moins mauvaises?

Il appartenait aux démocrates dans ces conditions pénibles et quels qu’en soient les résultats immédiats, de montrer que dans les circonstances critiques que traversait le mouvement national, ils faisaient davantage preuve de sens des responsabilités nationales que les tenants des approches ethno-centriques chauvines. C’était un de leurs meilleurs apports à la gestation difficile d’une culture démocratique. Cette preuve ainsi administrée était de nature à laisser plus ouverte la voie à la relance pacifique de toutes les revendications démocratiques aussitôt après l’indépendance.

J’oserai même une hypothèse, en faveur de laquelle militent plusieurs indices, notamment les correctifs qu’ont apportés en 1953-54 aussi bien des dirigeants centralistes que messalistes par rapport à leurs appréciations tranchantes et à leurs décisions brutales (et même irresponsables) durant la crise de 49. Ces correctifs avaient certes en partie des motivations tactiques et n’allaient pas jusqu’au bout de ce qu’ils reconnaissaient à demi-mot, ils témoignaient néanmoins de la pression plus grande des idées démocratiques et sociales dans le pays. Pour mémoire, certaines des orientations démocratiques avancées en 49 ont été reprises parfois intégralement (mais sans en indiquer la source) dans la littérature du MTLD, alors que ces dirigeants avaient en 49 lancé leurs commandos pour tenter de saisir les brochures «L’ALGERIE LIBRE VIVRA» dont ils reprenaient trois ans plus tard des paragraphes entiers. Quelques uns de ces dirigeants semblaient avoir pris relativement conscience de l’importance des problèmes de fond soulevés, mais les enjeux de pouvoir internes les empêchaient d’aller plus loin, d’être plus conséquents pour extirper les pratiques d’hégémonismes qui s’alimentaient mutuellement.

Les orientations qui avaient été d’abord qualifiées à tort d’anti-arabes ou de scissionnistes, auraient en effet encore eu à ce moment une nouvelle chance d’être prises en considération ou tout au moins de faire leur chemin, si la grave crise de 53-54 (dans laquelle les «berbéristes» n’étaient en aucune façon impliqués) avait été abordée par ses protagonistes (messalistes et centralistes) avec un état d’esprit moins hégémoniste. Ces idées auraient beaucoup plus avancé si les dirigeants protagonistes de cette nouvelle crise avaient été davantage tournés vers des préoccupations constructives, vers la recherche sincère d’un compromis positif plutôt que vers le désir d’isoler à tout prix la tendance adverse pour lui imposer son leadership. L’insurrection de Novembre et le futur rassemblement autour du FLN en auraient été du coup mieux armés politiquement et plus solidement unis.

Justement, dira-t-on, était-ce pensable, à partir du moment où les protagonistes se maintenaient dans les mêmes dispositions d’esprit qui avaient déjà mené au gâchis de 1949? Parviendra-t-on un jour à éclairer la part de responsabilité qui revient dans cette période à une maturation historique objectivement insuffisante dans la société et le champ politique, et la part qui revient aux défaillances des acteurs placés aux postes de décision, en contradiction avec leur volonté proclamée d’unir les énergies et d’œuvrer pour un nationalisme démocratique et social.

OCCASIONS MANQUÉES D’UNE PLUS GRANDE COHÉSION NATIONALE

La domination coloniale servait de prétexte à étouffer tout débat sur les projets de société. Cela, disait-on, risquait de diviser et faire le jeu du colonisateur, il faut d’abord faire face au danger le plus pressant, on discutera après. En 1947, on écrivait donc en grandes lettres sur les murs, en risquant la torture et les prisons: «Contre tout statut (français), la parole au peuple! vive l’indépendance!» Lorsque la domination coloniale a pris fin, à chacun de ceux qui croyaient enfin venu pour le peuple, les citoyens, les travailleurs, les femmes, les jeunes, les associations, le temps de reprendre la parole, on a dit: «anta t’hewes tefhem» (tu cherches trop à comprendre), sois raisonnable sinon ta place est en prison! Discuter, oui, mais, entre anciens de la guerre de libération, seulement le pistolet sur la table. Quant à la démocratie formelle, ce sera pour plus tard, «l’édification de l’Etat et de l’économie passent avant». Ainsi, en attendant de discuter sérieusement un jour de ce qu’était notre identité collective, chacun s’est mis à décider de lui-même, au nom et à la place des autres, de quoi était faite la personnalité nationale que nous venions de forger ensemble au feu des combats pour la liberté. Cet abus de pouvoir frisait parfois la caricature, à commencer par la célèbre sortie impulsive de Benbella. Ce dernier, sans doute par allégeance envers la stratégie du régime du Caire, qui rêvait d’une emprise sur le Maghreb de la même nature que celle qui avait échoué deux ans auparavant avec la Syrie et le Liban (RAU), jeta en guise de provocation à la face de Bourguiba trois exclamations pour crier sa conception exclusive de l’arabité. N’aurait-il pas été plus indépendant, plus digne et plus proche des réalités et des sentiments de notre peuple, de dire que comme Algériens, comme arabes, berbères et musulmans fiers de notre nation libérée, nous sommes reconnaissants envers les nations – sœurs du monde arabe, leurs peuples et leurs gouvernants qui nous ont aidés dans l’épreuve.

Les sacrifices de notre peuple auraient mérité qu’on inaugure dès la première année de l’indépendance des approches plus ouvertes, plus réfléchies et moins autoritaires, dans un climat plus favorable pour rattraper le temps perdu. Les choses ne se seraient-elles pas passées autrement si les courants, les forces ou groupes d’intérêts qui se tenaient derrière Benbella, Boumediène, Aît Ahmed, Boudiaf, les dirigeants de wilayas, etc., avaient su trouver ensemble les voies d’une édification nationale pacifique et démocratique. C’est ce à quoi aspirait dans toutes ses composantes un peuple au nom duquel chacun d’eux disait s’exprimer.

Mais en réaction à la façon dont s’est réglée par les armes la question du pouvoir dès le printemps et l’été 62, une partie des tenants de la revendication démocratique est tombée dans le piège et la logique de ses adversaires. Quand ces derniers ont brutalement monopolisé le pouvoir en s’appuyant sur l’ALN des frontières, une partie des opposants ont emprunté eux aussi l’année suivante, pour réagir contre les conséquences de ce coup de force, les mêmes moyens de lutte armée que contre le régime colonial. Cette stratégie de protestation et d’opposition par la violence armée (1963-64) dans une Algérie devenue indépendante était malencontreusement inspirée de la logique d’une étape dépassée. Elle confirmera par son échec, par le traumatisme moral et par les dégâts politiques qu’elle a entraînés, une évidence qui éclatera davantage au cours des décennies suivantes. Cette stratégie sur fond de passions et de calculs de pouvoir faisait l’affaire du pouvoir en place, elle accentuera à chaque tentative (exemple: le putsch de Zbiri en 1967) l’emprise des tendances militaristes en son sein. De plus, cette stratégie a consacré pour quelque temps l’isolement de la revendication démocratique légitime des Algériens berbérophones par rapport aux autres revendications et secteurs potentiellement démocratiques du pays. Les séquelles en ont été durables. La revendication culturelle en faveur des langues parlées algériennes, amorcée en 48, c’est à dire quinze ans avant l’indépendance, a dû attendre à partir de l’indépendance une nouvelle quinzaine d’années de trop, pour être relancée dans des conditions plus favorables.

MÉFAITS DES DÉFICITS RÉPÉTÉS EN CULTURE DÉMOCRATIQUE

Cette relance tardive (entre 1975 et 1980) fut heureusement compensée et amplifiée par la dynamique, encore insuffisante mais réelle, du mouvement associatif et de contestation démocratique. Cette montée, notamment dans les domaines syndical et culturel, se faisait jour par des voies pacifiques dans le pays malgré les entraves de la répression. Le «printemps berbère» de 1980 en fut une des expressions les plus fortes. Bien que traînant encore les séquelles de la lourde erreur de parcours des affrontements armés de 63 en Kabylie, cette revendication fut heureusement soutenue largement dans la population la plus directement concernée et par un début de prise de conscience dans les milieux démocratiques arabophones. Malheureusement elle fut à nouveau obérée après 89 par l’enchaînement de cette revendication culturelle à des enjeux trop étroitement partisans. A l’heure du pluralisme officiel, elle apparut trop étroitement à la remorque des calculs tactiques des deux formations politiques les plus impliquées dans cette revendication. L’un des enseignements de 49 n’était-il pas précisément que la légitime revendication culturelle des berbérophones gagnait à ne pas être étroitement confondue avec les objectifs des seuls groupes ou courants politiques dominants dans une région du pays aussi importante soit-elle. C’est à cela que voulait déjà la réduire la direction hégémoniste du MTLD en 1949. C’est le cadeau qu’auraient fait à l’époque les contestataires démocrates à cette direction et au régime colonial s’ils avaient aiguisé davantage un conflit artificiellement polarisé par la direction du MTLD sur des aspects régionaux ou sur un particularisme linguistique.

En 1949, la cause nationale a beaucoup perdu du fait de l’entêtement sectaire de la direction nationaliste, tandis qu’un grand nombre de militants sincères dans le PPA-MTLD étaient victimes d’un manque de formation politique sérieuse. La direction se dérobait à cette tâche de formation et livrait ainsi les militants à un activisme dépolitisé, simpliste et appauvrissant. Néanmoins le pire, au moins au plan de la cohésion dans la lutte pour l’indépendance, avait été évité à ce moment. La cassure « entre Arabes et Kabyles » souhaitée par les stratèges coloniaux ne s’est pas produite, alors que plus tard, sans que le “berbérisme” soit en aucune façon impliqué, les intrigues, les luttes de pouvoir entre clans régionalistes ou autres, ont causé des ravages durant et après la guerre de libération. On avait en tout cas réussi à éviter que les dérives tragiques qui ont marqué la guerre de libération soient imputées à des clivages ethno-culturels prononcés du type arabe-kabyles, s’exprimant de façon massive, idéologiquement et politiquement manipulés.

Au total le groupe qui a tenté un effort d’édification démocratique du PPA avait pris date en 49 sur le problème de la conception de la nation et de la politique culturelle. Quant au domaine proprement politique, puisque le débat n’a pu avoir lieu, il n’était pas parvenu à faire prévaloir les conceptions démocratiques telles qu’il les avait exposées dans la brochure éditée, avec les mérites et les limites qui étaient celles de l’époque et celles aussi d’un groupe numériquement et sociologiquement restreint. Je pense que ce fut un manque à gagner regrettable pour l’ensemble du mouvement national. Du moins la quasi-totalité de ses membres, dans leur diversité idéologique, sont restés irréprochables et fidèles à leur engagement national. Ils ont poursuivi leur combat unitaire au sein des diverses formations combattantes et politiques du mouvement de libération, continuant à entretenir et mettre en oeuvre l’esprit démocratique et de progrès social qui les animait au cours de cette crise.

S. H. (à suivre )


LA CRISE DU PPA DE 1949

ET L’ACTUALITÉ ALGÉRIENNE

suite

III. L’URGENCE DE DÉPASSIONNER ET DÉMYSTIFIER

En repensant durant ma vie militante à cette crise de 49, épisode précurseur dans les luttes de libération et de l’édification nationale, je me suis souvent demandé, parfois avec une pointe de découragement, jusqu’à quel point des enseignements utiles pourraient en être tirés, pas seulement par les militants mais plus largement au sein de notre peuple. Comme dans d’autres domaines, nos jeunes générations payent le fait que les échanges d’information et d’opinion, les recherches universitaires et les débats publics clarificateurs ont été rendus quasiment impossibles durant des décennies.

Tout effort dans ce sens était voué à des pressions et répressions multiformes. Ce fut un des prolongements tenaces de ce qu’il y a eu de moins glorieux dans notre passé. Les méfaits ont été d’autant plus pernicieux que la contagion a pu gagner insidieusement même parmi ceux qui ont de bonnes raisons de récuser et de dénoncer ce mal. J’en apporte ici une illustration.

J’ai assisté durant l’été 91 à la manifestation de réhabilitation de Bennaï Ouali, qui a été ré-inhumé à cette occasion au carré des martyrs de la guerre de libération à Djemaâ-Saharidj, son village natal près de Mekla. La municipalité RCD qui en avait pris l’initiative m’y avait invité, comme plusieurs de ceux qui avaient approché son combat. Une assistance énorme, chaleureuse, avait tenu à s’associer à cet hommage malgré la pluie battante interminable qui s’abattait tout autour de la halle immense du marché où se déroulait le rassemblement. Mais les enseignements qu’on pouvait tirer des bafouillements de notre histoire ne coulaient pas de source et j’en eus malheureusement un exemple.

L’attachement affectif à la revendication linguistique faisait vibrer les présents, il se sentait au moment des lectures de textes, de poèmes, de chants. L’émotion gagnait les présents à l’évocation de la personne et de l’action de Si Ouali par quelques uns des invités dont moi-même. Malgré cela, plusieurs faux-pas témoignaient du chemin qui restait encore à parcourir par notre peuple, dans ses diverses composantes culturelles et politiques, pour mieux adapter ses imaginaires aux besoins d’une édification nationale plus cohérente et plus vivable pour tous. Rares étaient les orateurs qui, comme Aït-Amrane ou le frère de Si Ouali, témoignèrent de ce souci.

J’avais l’impression pénible que le message de celui dont on célébrait le sacrifice était appauvri, déformé. Il était transformé presque en son contraire par certains de ceux qui voyaient avant tout dans ce rassemblement l’occasion de délivrer un discours étroit et chauvin au possible, épousant au plus près les clivages partisans dans lesquels ils s’étaient enfermés. Qu’elles étaient loin les marches populaires colorées, joyeuses, ouvertes, respirant un optimisme contagieux et un air de confiance envers l’ensemble des Algériens, lorsque le Mouvement Culturel berbère paraissant unanime s’était déployé quelques mois auparavant dans la capitale. Au total, l’hégémonisme politique reproché au parti et à la pensée uniques des années sombres, n’était pas forcément évité par ceux qui s’en déclaraient les victimes. En avaient-ils d’ailleurs conscience? Nombre d’entre eux pensaient sans doute être dans leur juste droit et combattre les diktats des courants autoritaires du pouvoir en endossant rageusement des attitudes de défi ou une mentalité revancharde symétrique. Pour certains autres enfermés dans les polémiques partisanes du présent, on parlait de la première action démocratique et culturelle de 49 comme s’il s’agissait de se partager et s’arracher un héritage à des fins de consommation politicienne immédiate alors que le vrai problème était de le faire fructifier ensemble à partir de ses points forts et de ses points faibles.

J’étais venu à ce rassemblement en espérant y retrouver Hocine Aït Ahmed, proche compagnon de Si Ouali aux heures les plus précoces de la résistance patriotique, à qui il a consacré des pages émues dans ses mémoires. Ne l’y trouvant pas, je m’étais interrogé sans oser poser la question: avait-il été invité? Si oui, l’égide du RCD l’avait-elle dissuadé de participer? Y avait-il eu ou non des tentatives de préparation commune d’un tel événement? Toujours est-il que cette absence contrastait avec la présence bien affichée de Yaha, un dissident du FFS qui faisait beaucoup parler de lui à cette époque. Avait-il été invité pour provoquer l’absence du FFS, ou cette absence avait-elle provoqué, en représailles, l’invitation du dissident? Je ne réussis pas à déchiffrer cette énigme à partir des confidences des uns et des autres. En cet imbroglio regrettable s’entremêlaient l’ancestrale et féroce acrimonie des çoffs (clans) kabyles, les labyrinthiques intrigues d’un Orient auquel nous prétendions être étrangers et probablement, ravis d’exploiter le tout, le moderne bravo ou coup de pouce de services se frottant les mains pour cette aubaine, surgie sans coup férir des terreaux berbère et démocratique, comme pour réactualiser le fameux constat d’Ibn-Khaldoun sur l’incapacité des Maghrébins de son siècle à construire un projet commun et une cohésion durable. Il était temps d’en rabattre sur notre vanité, car après le sursaut populaire inoubliable de la guerre d’indépendance, nous étions en train de renouer, en capacités de désagrégation, avec les cycles déprimants de la bédouinité de son temps.

DES CHEVALIERS DE L’ANTI-ARABISME

Le contenu de la manifestation allait-il permettre de rattraper cet impair? L’allocution de présentation par les organisateurs, ainsi que de nombreuses autres interventions, s’inscrivirent dans la dignité et la largeur de vues que méritaient l’événement et la mémoire du militant qui était honoré. Il en fut autrement de la diatribe du « dissident » Yaha. Se détachant de l’hommage posthume au porteur d’une approche authentiquement nationale qui reconnaissait à la berbérité sa part légitime, le voilà qui enfourche progressivement le dada d’une Algérie berbère à 100 p. cent, pour déboucher en fanfare sur un anti-arabisme indécent et primaire. Il avait été en fait relayé et encouragé dans ce sens par diverses autres interventions du même type, quoique moins hargneuses (c’était de toute façon difficile d’atteindre les sommets de virulence du chevalier de l’anti-arabisme). De sorte que l’assistance, sans même peut-être s’en rendre compte, se trouva de plus en plus chauffée par cette connotation malsaine. Comme on le sait, les deux chauvinismes, anti-berbère et anti-arabe, se rejoignent à merveille pour alimenter une absurde et anti-nationale guerre des langues.

Je n’étais pas étonné de ce genre de dérives dans les deux sens. J’en fus directement témoin à plusieurs reprises, publiquement ou en aparté depuis ma sortie de clandestinité, y compris mais plus rarement parmi des communistes. Je l’attribuais en partie au bouillonnement des luttes d’idées longtemps comprimées, agitées par la passion et non encore décantées. J’étais néanmoins révolté que des affirmations si malveillantes, arrogantes ou maladroites se déploient en pareille occasion. Je ne pus m’empêcher de reprendre la parole pour dire en substance que certaines façons d’aborder la place de la berbérité dans le pays n’étaient pas un hommage mais une déformation et une insulte à la vie et à l’œuvre de Si Ouali. J’eus le réconfort de constater que la salle réagit favorablement à ce point de vue, que défendirent encore mieux, chacun à sa façon vivante, le frère de Ouali et Aït-Amrane. Le premier m’avait appris dans le détail les circonstances, les tenants et aboutissants de l’assassinat de son frère en 1957. Il se leva au beau milieu des anathèmes visant implicitement ou explicitement « l’arabité » : « Je ne comprends pas où veulent en venir certains,yak ennigh awen del qwbayel it yenghan!» (Je vous avais pourtant dit que ce sont des Kabyles qui l’ont tué!). Quant à Aït Amrane, toujours égal dans sa conviction sereine, il réussit à faire passer le souffle unitaire, mobilisateur et constructif tant souhaité en clôturant la soirée par un des chants qu’il avait composés près de cinquante ans auparavant et qui était tout à fait de circonstance. La salle entière reprit « Ghouri yiwen umedakul ( J’avais un camarade..) ».

Il nous restait à tous le plus difficile, faire passer dans la vie le souffle et la logique des orientations démocratiques, porteuses d’épanouissement culturel et de cohésion nationale, échapper aux sirènes du repli sectaire et de l’agressivité revancharde.

GANGRÈNE POLITIQUE AU LONG COURS

Ce devrait être l’affaire de tous. Là, nous rejoignons une dimension encore plus vaste de la tragédie qui ensanglante aujourd’hui notre pays. Surmonter les épreuves actuelles suppose que nous ayions mieux saisi les leçons des épisodes malheureux du passé, prémonitoires du calvaire que vit notre peuple depuis six ans. Je comptais initialement rappeler quelques uns de ces épisodes tels que l’assassinat de Si Ouali dans un autre chapitre, parmi les signes annonciateurs des malheurs actuels, qu’on pouvait déjà déceler durant la guerre de libération. Mais on peut aussi les aborder comme un des prolongements de la crise de 49 du PPA-MTLD, en raison de filiations réelles entre ces événements et surtout d’une identité de nature entre les motivations et les comportements observés.

A cinquante ans d’intervalle, on est frappé par plusieurs similitudes entre la façon dont on a voulu à deux reprises faire taire Maâtoub Lounès (quelque soit ce qu’on pense de ses opinions), la confusion et les risques incalculables de division que cela a entraîné, et la façon dont fut victime de faits similaires Ferhat Ali en 1949, comme si durant ce demi-siècle, toute l’expérience de notre peuple avait été inutile. En aout 1949, ce vétéran de l’Etoile Nord Africaine puis militant du PPA a échappé à une tentative d’assassinat perpétré contre lui en raison des opinions «algérianistes», qu’il défendait avec une véhémence peut-être excessive, peut-être aussi parce qu’il voyait d’un mauvais œil les nouveaux cadres désignés par la direction du MTLD pour la direction régionale de Kabylie, après les arrestations jugées suspectes des cadres précédents qui étaient en conflit avec cette même direction. Rétabli par miracle après avoir eu le poumon transpercé par une balle de gros calibre, Ferhat Ali dût lui même envoyer à la presse coloniale une mise au point qu’elle refusa de publier. Il y démentait l’existence d’un quelconque projet séparatiste et proclamait la volonté d’union des militants algériens pour l’indépendance. La direction du MTLD, qui aurait dû rapidement prendre l’initiative de réagir à la manœuvre d’intoxication de «L’Echo d’Alger», préféra garder le silence pour semer le doute, ce qui provoqua du désarroi dans l’opinion nationale, malgré la publication en fin de compte de la mise au point par «Alger républicain». Quelques années plus tard, les balles assassines de ses adversaires politiques ont rattrapé Ferhat Ali. Il fut parmi les premières victimes d’une «bleuïte» qui en deux ou trois ans en fera des centaines d’autres parmi d’authentiques patriotes et démocrates dévoués à leur peuple, au grand bonheur des forces françaises de répression. Cette sombre tâche sur une Histoire lumineuse de lutte pour la Liberté, les Algériens commencent à mieux la connaître.

Une fois mis de côté les préjugés idéologiques et partisans ou les procès d’intention qui avaient servi à l’époque à camoufler l’arbitraire, l’examen de ces cas met à nu, malgré la diversité des situations, le même phénomène hégémoniste dans ses expressions les plus condamnables et les plus destructrices des valeurs d’une nation et d’une société. Les manifestations meurtrières de l’hégémonisme politique ont eu et auront tendance à se répéter tant qu’elles ne suscitent pas une réprobation et une vigilance assez massives, suffisamment partagées même au sein de courants politiques éloignés les uns des autres. Le risque demeurera tant qu’on osera invoquer pour excuses des circonstances qui peuvent à la rigueur expliquer mais non justifier de tels crimes. On met en avant de façon assez honteuse le tempérament ou le comportement agressif ou provocateur des victimes comme on l’a dit pour Abbane, les situations exceptionnelles exigeant une discipline absolue. Comme s’il fallait admettre la suppression préventive de tous les individus coléreux et indisciplinés, comme si la suppression des individus faisait disparaître les problèmes et les causes multiples des divergences, alors que souvent elle ne fait que les exacerber ou en différer les retombées.

QUAND ON SÈME UNE GRAINE …

La monstruosité de ces actes pose à ceux qui disent lutter pour des causes de justice et de libération la question suivante: cette cause leur donne-t-elle le droit d’attenter à la vie de leurs semblables quand ces derniers n’ont aucune intention d’utiliser contre eux la violence? Car enfin, comme écrivait Nazim Hikmet condamné à mort et attendant d’un jour à l’autre son exécution, on n’arrache pas la vie d’un être humain comme on arrache un navet!

Si des dépassements sont malheureusement quasi-inévitables dans toute lutte pour la liberté ou la démocratie contre ceux qui veulent instaurer ou perpétuer la tyrannie par les armes, aucune justification ne peut être trouvée à des acteurs politiques qui prétendraient substituer leur propre jugement à la justice des hommes pour les uns, à la justice divine pour les autres.

Si on veut remonter la filière de ces tragiques dérapages, on trouvera en amont de tous ces désastres un simple fait, mais lourd de signification, dont les conséquences n’ont pas été mesurées à temps: le fait pour des dirigeants nationalistes en 1949 de préférer la menace au débat, puis d’ordonner de tabasser ceux qui souhaitaient une confrontation d’idées et la construction d’un programme (c’est le même rôle que joueront dans les années 80 les sermons excommunicateurs ou les vitriolages de filles étudiantes par des extrémistes islamistes). Cet acte initiateur d’une escalade perverse trouvera son premier développement dans la tentative d’assassinat de Ferhat Ali le mois d’août de la même année. L’évolution en chaîne d’une implacable logique de dépolitisation et d’anti-culture démocratique sera alors amorcée. C’est la même qui donnera les fruits vénéneux de Melouza, des luttes fratricides entre militants FLN et MNA, les drames affreux des différentes «bleuïtes» dont la wilaya III et les forêts de l’Akfadou n’ont pas été le seul théâtre.

Le cas de Abbane Ramdane a été le plus emblématique pour la période de la guerre de libération. Mais la logique meurtrière, aggravée par les idéologisations volontairement forcenées, a fauché, après avoir commencé par l’étudiant Amzal en 1982 à Ben Aknoun, un lot interminable de citoyens à partir des années 90, dizaines de milliers desquels émergent les figures plus connues, appartenant à des horizons différents tels que Boukhobza, Alloula, Asselah, Cheikh Bouslimani et tant d’autres. Je ne pas parle pas de celui qui, en Novembre 54 comme en Janvier 92, avait certainement rêvé d’autre chose pour l’Algérie, Mohammed Boudiaf, sur qui s’est refermé le piège de tous les faux pas du mouvement national au milieu de ce siècle. Il y a plus grave que les mines placées par les auteurs des massacres collectifs pour isoler les villages martyrs ou pour freiner l’avance des blindés comme la presse l’a rapporté pour Oulad Allal ou Baïnem. Les mines qui ont fait le plus de dégâts à notre peuple sont celles à retardement semées dans la mémoire, les esprits et les cœurs algériens tout au long des décennies précédentes. Le long déminage ne pourra se faire que dans une prise de conscience suffisante des Algériens, faite de courage moral et d’efforts politiques.

SH, à suivre


LA CRISE DU PPA DE 1949

ET L’ACTUALITÉ ALGÉRIENNE

(suite et fin)

IV. PIÈGES IDENTITAIRES, DYNAMIQUE NATIONALE ET DÉMOCRATIE

Pour justifier le silence sur les points noirs de notre passé historique ou de notre guerre de libération, on a souvent invoqué un souci d’apaisement. On ne peut que comprendre et partager cette préoccupation. Précisément à partir de cette préoccupation, il n’y a rien de plus illusoire et dangereux que de rechercher cet apaisement en perpétuant les pratiques d’étouffement qui nous ont mené au drame. La chape de silence instaurée à l’indépendance – qui équivalait en fait à légitimer des actes arbitraires et antinationaux – n’a pas évité les drames actuels. On pourrait même prouver qu’elle les a favorisés et précipités.

Beaucoup dépend en réalité de la façon dont on aborde notre passé. Que vise-t-on lorsqu’on remonte dans le temps historique?

S’agit-il d’appeler à la vengeance, aux règlements de compte, au revanchisme stérile? Dénoncer et diaboliser des personnages historiques jusque là glorifiés sans mesure? Ou tout simplement, au delà du jugement porté sur des comportements personnels, contribuer à la réflexion et à la vigilance? Par dessus tout, il s’agit d’engager les efforts multiformes de prévention sociale et politique pour empêcher que ces horreurs se reproduisent.

Mon évocation des heures noires qui ont côtoyé les hauts faits de nos luttes passées s’inscrit dans cette préoccupation. La vigilance de mon peuple est le seul monument capable de rendre l’hommage qu’ils méritent à ceux qui ont rêvé pour lui d’un avenir démocratique et de fraternelle solidarité.

L’hommage dépassera les creuses paroles démagogiques s’il s’accompagne d’efforts pour déjouer les surenchères idéologiques, en particulier les pièges du type «identitaire», par lesquels on jette périodiquement de l’huile sur le feu en exploitant des aspirations légitimes ou non, et des sentiments élevés ou de bas étage. Les compétitions économiques, politiques et culturelles sont normales et inévitables. Mais elles sont bénéfiques seulement lorsqu’elles contribuent à éclairer les problèmes, à faire prendre conscience à l’ensemble des acteurs de leurs véritables intérêts concrets. Elles sont bénéfiques à la paix civile lorsque ces conflits font mieux mesurer aux acteurs la part de contradictions réelles qu’ils gagneraient à dépasser par des compromis raisonnables, dans un cadre de solidarité nationale susceptible d’assurer à tous un minimum de sécurité, de rendre leur vie commune possible.

Les problèmes identitaires, comme tous ceux liés à un soubassement civilisationnel, aboutissent selon le contexte géopolitique et selon la façon dont ils sont gérés, à renforcer ou affaiblir la cohésion nationale. Ils sont de ceux dont la solution ne dépend pas seulement de la nature du pouvoir dominant, qu’il soit autoritaire ou démocratique. Leur solution solide et durable ne peut en effet ni être imposée par la force ni se dénouer par la seule loi du nombre ou la décision d’une majorité démocratique. Une solution satisfaisante suppose dans tous les cas un consensus minimum au niveau des pouvoirs comme au niveau de la société, un consensus fondé sur l’émergence d’une volonté de convergence entre les intérêts individuels et particuliers d’une part, et un intérêt général, l’idée d’un bien commun ou d’un idéal, d’une aspiration commune définie ou forgée ensemble. C’est un consensus minimum à instaurer pour la survie de la collectivité nationale en tant que telle.

Les caractéristiques, les normes et les critères d’un tel minimum, dans les domaines qui touchent à «l’identitaire», ne sont pas donnés d’avance. Ils ne découlent pas en droite ligne des a priori idéologiques ou des programmes des uns et des autres. Ils sont modelés par la vie, les besoins sociaux, les rapports de force. Ils gagnent à être mis au point dans un effort créateur mutuel des partenaires concernés.

C’est pourquoi dans les conditions présentes de l’Algérie, il est souhaitable que les problèmes culturels et identitaires ne soient pas sacrifiés en devenant l’otage des conflits de pouvoir. Ils gagnent à échapper à la bipolarisation du champ politique que les protagonistes du conflit armé voudraient imposer aux acteurs socio-politiques en cherchant à les aligner inconditionnellement sur des intérêts matériels et de pouvoir plus étroits, au détriment du déploiement et de la jonction des forces démocratiques.

Lever l’hypothèque des faux clivages, de la confusion et des divisions engendrées par les conflits à forte connotation identitaire (et idéologiques en général) permet de mieux situer les contradictions ou solidarités réelles d’intérêts démocratiques et sociaux. Cela permet de rapprocher les citoyens autour des luttes contre les phénomènes d’exploitation, de spéculation, de corruption et de dégénérescence maffieuse, trop souvent occultés par les approches identitaires, même quand elles sont motivées par des aspirations légitimes.

Cette convergence serait plus forte si elle devenait l’affaire urgente et prioritaire de tous ceux, chacun à partir de son horizon, qui considèrent leur sort lié à celui d’une nation algérienne préservée du désastre de l’éclatement et des humiliations de la dépendance.

Notre peuple attend depuis trop longtemps une ère prolongée de paix et de prospérité.

QUELLE RESPONSABILITÉ POUR LES POLITIQUES ?

C’est aujourd’hui une constatation géopolitique à l’échelle mondiale, que les populations influencent de plus en plus massivement la scène politique, directement ou indirectement. D’un côté elles exercent une pression sur les états-majors civils et militaires habitués à calculer et décider en sphères restreintes ou en secret. D’un autre côté, cela incite ces derniers à manipuler en grand la vague des sentiments et des pulsions populaires. Des développements imprévus découlent souvent de ces deux tendances, jusqu’à échapper parfois aux attentes et au contrôle des décideurs habituels ou des candidats à leur succession. D’où la responsabilité plus grande des acteurs du champ politique.

On en mesure la gravité aujourd’hui lorsque d’un côté des jeunes emportés par la douleur clament spontanément à Tizi-Ouzou «l’guirra, l’guirra!», tandis qu’à l’autre extrême, les courants qui n’ont pas avalé la reconnaissance de l’amazighité par la Constitution de 96, cherchent de bonne ou de mauvaise foi, à affoler ou soulever l’opinion arabophone par leurs communiqués et commentaires de presse qui ressassent à nouveau le cliché du séparatisme anti-arabe et profrançais. On imagine ce qu’ils peuvent dire de bouche à oreille.

Dans ces conditions, il serait normal, et le contraire serait impardonnable, que les hommes politiques de tous bords , indépendamment de leur projet de société, et avec l’autorité qu’ils ont acquise auprès de leurs propres partisans, condamnent fermement comme suicidaires de tels comportements. Ils donneraient ainsi la preuve qu’ils sont plus attachés aux intérêts de leur peuple qu’à des enjeux partisans immédiats. Arabophones ou berbérophones, ils s’honoreraient beaucoup plus en s’éloignant des anathèmes et diatribes manichéennes et simplificatrices et s’ils mettaient tout leur talent politique à proposer les initiatives symboliques constructives qui inciteraient les composantes de notre peuple à réfléchir, mieux mesurer la complexité de la situation.

De telles réactions, empreintes de dignité, se sont manifestées dans la société civile, parmi les milieux artistiques ou politiques.

Les exigences dans ce domaine me paraissent plus grandes lorsqu’il s’agit d’acteurs qui se réclament d’un idéal et d’une culture démocratiques. En ce sens que, arabophones ou berbérophones, ils ont à prouver les capacités rassembleuses et constructives de cette approche. En d’autres termes, montrer qu’ils sont capables, sans renoncer à leur propre sensibilité culturelle, d’établir des passerelles en direction des autres sensibilités. Plutôt que d’en rester à la dévalorisation des autres sensibilités ou à discréditer de bonne ou mauvaise foi les approches adverses, plutôt que d’aggraver ainsi les compartimentages de notre peuple, il est plus efficace et plus rassembleur de valoriser et rendre attrayants pour tous ce que chaque langue et chaque ressource culturelle apporte à la collectivité nationale. Ces apports différenciés, niés par certains politiciens démagogues, sont au contraire mis à profit et appréciés par les utilisateurs dans leurs travaux et les loisirs de la vie courante et culturelle, comme étant les plus appropriés à leurs domaines d’activité complémentaires, que ce soit la grande majorité des simples citoyens, les fonctionnaires, les commerçants, les techniciens et scientifiques, les hommes de culture et artistes, les linguistes et sociologues.

Aussi est-il plus fructueux à terme de convaincre des raisons qui militent «Pour» des propositions et revendications données que de crisper un secteur hostile de l’opinion en se laissant enfermer dans les seules raisons qui militent «Contre» les propositions opposées.

Les faits d’expérience l’ont montré: il est souvent plus bénéfique et offensif de mettre l’accent sur la création culturelle effective et les usages consacrés par la société, que sur les mesures administratives d’officialisation ou d’interdiction et de limitation.

Tout le monde sait que Rachid Qsentini, Hadj Mhamed al Anqa, Mammeri, Alloula et Kateb Yacine, Dahmane al-Harrachi, Idir et Manguellat, n’ont pas eu besoin de lois ou d’autorisations administratives pour innover et créer des œuvres d’un grand rayonnement populaire. Leur audience nationale et internationale a été irrésistible sans qu’elle ait donné lieu à des affrontements dangereux pour la Nation.

Il s’agit en un mot, de privilégier l’adhésion volontaire et les stimulants matériels et moraux plutôt que la contrainte et les diabolisations.

AU DELÀ DES SLOGANS

Plus globalement, puisque la guerre d’indépendance a enfin donné à l’Algérie le droit de se reconnaître algérienne, évitons ou cessons de donner à cette qualité un sens d’exclusion ou d’opposition des sensibilités qui la composent. Il arrive que certains proclament «Vive l’Algérie algérienne» en donnant à cette formule un sens restrictif et défensif. Ils voudraient dire par là que, étant algérienne, l’Algérie n’est pas arabe, ou berbère ou musulmane ou ouverte sur le monde entier.

Admettons plutôt une réalité et faisons la progresser: cette Algérie, chacun ne peut l’aimer et la reconnaitre qu’à partir de ce qu’elle représente pour lui et de ce qu’elle lui apporte.

Or cela est possible parce que étant algérienne, la nation n’est pas seulement arabe, pas seulement berbère, pas seulement musulmane, pas seulement ouverte sur le monde (que ce soit celui de la francophonie ou plus largement le domaine de l’universel, qui nous appartient autant qu’à n’importe quel autre peuple). La nation algérienne en gestation permanente est tout cela à la fois . Elle peut apporter à chacun une grande part de ce qu’il attend d’elle, y compris la sécurité et la confiance réciproques, même si cela est plus complexe à gérer.

Elle est surtout bien plus qu’une juxtaposition ou une addition de «constantes» nationales alignées côte à côte comme des monuments inertes qu’on salue au garde à vous, sans nul besoin d’efforts créateurs.

La nation n’est pas composée de parcelles de terrain linguistiques et culturelles dont les «propriétaires», comme les paysans, surveillent jalousement si le voisin n’a pas déplacé les bornes de quelques centimètres. Pour qu’ils n’en arrivent pas à s’entretuer, faudrait-il nous épuiser à d’incessants arbitrages et jugements de valeur à partir d’a priori idéologiques irréductibles?

Est-on capable, dans un domaine que chacun par définition interprète à sa façon, de codifier des «constantes» (thawabit), comme des marchandises pour empêcher de tricher sur les poids et mesures, alors que la seule constante capable d’unir et de pacifier les comportements, la plus grande condition de cohésion nationale est l’esprit de mutuelle ouverture?

Cet esprit ne se décrète pas en ce qui concerne les représentations culturelles.

Si entité nationale il y a, c’est d’une nation vivante qu’il s’agit, et non pas une nation sur le papier et dans les discours.

Elle est faite des interactions bouillonnantes et aujourd’hui encore désordonnées, appelées schématiquement à évoluer dans deux directions possibles.

Ou bien les qualités porteuses de vie de ces composantes se féconderont et s’épanouiront dans les efforts de création, comme l’ont prouvé déjà de nombreux faits de culture que notre peuple a vécus et plébiscités malgré les cris ou grognements politiciens.

Ou bien les étroitesses et les prétentions au monopole de ces composantes se neutraliseront et sombreront dans un chaos manipulable et maléfique.

Quiconque croit pouvoir s’agripper à une seule des consciences identitaires ou des valeurs de notre peuple en les opposant entre elles, fait preuve du même passéisme intolérant qu’il reproche aux autres.

Ceux qui croient pouvoir mettre entre parenthèses un seul des fondements historiques d’un peuple qui a voulu et arraché massivement son indépendance, s’aveuglent en réalité sur les recompositions de la nation qui sont perpétuellement à l’œuvre.

Avec ou sans eux, ces recompositions se font et se feront à partir des matériaux déjà présents et en cours d’intégration à la fois consensuelle et conflictuelle. Il nous appartient seulement et surtout de contribuer à ce que ces recompositions se fassent avec le plus d’apports bénéfiques et le moins de douleurs et d’injustices.

La force, l’honneur et le développement de la nation algérienne résideront dans les capacités de son peuple à faire la synthèse heureuse des atouts issus de son évolution historique.

La diversité «raciale» tant décriée en France par les intégristes nationalistes de Le Pen, vient de donner à cette nation l’une de ses grandes raisons de fierté et de cohésion à l’occasion du Mondial de football. Le nouveau cours de la politique extérieure iranienne, encore incertain mais soutenu par des forces jeunes et tournées vers la vie, a fait de l’amicale rivalité sportive internationale un des symboles du rapprochement souhaitable entre les peuples et les civilisations.

L’Algérie quant à elle, donne l’image de fédérations et activités sportives livrées à de sordides luttes d’influence claniques ou régionalistes. Victimes d’une conception frileuse, primaire et chauvine de l’unité nationale, nous demeurons en retrait des avancées internationales, des spectateurs impuissants malgré les «sursauts», les «défis», les «ruptures» et les «redressements» en paroles.

Vivant sur des lauriers anciens, réfugiés dans l’arrogance face aux réalités, nous sommes champions d’arbitraire et de procédés infantiles. Nous battons des records comme destructeurs des rêves d’enfants déshérités, empêchés d’élargir pour quelques semaines de vacances au contact du monde leurs horizons et préoccupations d’enfants. Ils sont pourtant notre avenir. Ce mépris et ce manque de confiance envers des témoins et ambassadeurs véridiques de nos souffrances et de nos espoirs, quel aveu!

Notre richesse humaine et nos capacités de solidarité nationale avaient fait leurs preuves dans l’enfer de la guerre de libération, alors que l’Algérie n’avait pas encore connu les brassages de population de l’après-indépendance, à la fois chance et source de difficiles problèmes.

Nos potentialités fructifieront mieux quand nous enterrerons ensemble non plus les victimes de conflits révoltants mais l’esprit de parti unique dont chacun a été intoxiqué durant des décennies, jusqu’à se penser ou se comporter à un moment ou à un autre comme s’il en était l’héritier.

Nous aurons beau chercher des combinaisons et des issues. Elles déboucheront sur des impasses tant qu’elles naîtront de sur-idéologisations porteuses d’exclusion.

La vie ne nous laisse en réalité d’autre choix que le suivant: consacrer nos intérêts, notre amour-propre et nos efforts à faire vivre une nation algérienne librement reconnue et soutenue par tous les siens, ou bien nous enfoncer un peu plus dans la honte de ce que sera devenu notre peuple.

S.H. (Fin )


AOÛT 1949 : AU-DELÀ DE FERHAT ALI

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LE 18 AOUT 1949, à LA SORTIE DE LARBAA NATH IRATHEN, REVENANT LE JOUR DE MARCHE vers taddart-is (son village), Ferhat Ali, vétéran et cadre du mouvement nationaliste depuis l’Etoile Nord Africaine, est victime d’un attentat. Il restera miraculeusement en vie après presque un mois d’hospitalisation à Tizi Ouzou.

Je l’ai revu après cette période à l’hôpital de Mustapha d’Alger où je lui ai donné les soins liés à sa convalescence. Sa poitrine avait été traversée de part en part par un projectile provenant d’un gros calibre. Ses agresseurs n’étaient ni des bandits ni des hommes de main à la solde des officines colonialistes, même si un tel acte faisait l’affaire des officiers du Deuxième Bureau français qui, à l’affût depuis longtemps, se sont frotté les mains de satisfaction.

Il ne s’agissait ni d’un fait divers ni d’un méfait politique regrettable et vite corrigé par ses auteurs. On venait d’assister au premier acte d’une dérive infernale. Pour la première fois dans l’itinéraire du mouvement nationaliste, l’arme d’un militant n’avait pas été tournée contre les forces de l’occupant colonial ou ses valets, mais délibérément contre un compagnon de lutte, un militant intègre, ardemment acquis à la cause patriotique.

Cet évènement, précédé les mois précédents par quelques autres faits tout aussi condamnables mais d’une moindre gravité, a constitué un tournant néfaste. D’une part pour l’immédiat dans la crise appelée faussement berbériste (en fait crise de déficit démocratique dans le parti nationaliste). D’autre part, pour le futur, avec des dégâts incommensurables dans la trajectoire ultérieure de l’ensemble du mouvement national, avant comme après l’indépendance.

Je ne reviendrai pas dans cet article sur les racines et les développements bien antérieurs à l’évènement, qui ont débouché sur cette situation dangereuse. Les faits qui se situent en amont et longtemps occultés, commencent à être mieux connus depuis la dernière décennie. Si besoin était, je pourrais, dans les limites de mon information, répondre à quelques demandes de précisions ou renvoyer à plusieurs de mes interventions passées. Par exemple les entretiens donnés à Ali Guenoun pour son ouvrage « Chronologie du mouvement berbère » ou une série de quatre articles parus dans El Watan en juillet 1998, peu après l’assassinat de Maâtoub Lounès.

Je ne m’attarderai pas trop non plus aux conséquences sur le long terme, bien que ce soit une problématique majeure. Car l’attentat contre Ferhat Ali fut l’acte inaugural et le prototype d’une série de comportements et d’enchaînements similaires qui iront en s’amplifiant. Ils vont miner même les étapes historiques les plus fastes des six décennies suivantes, tout en laissant planer de nos jours un point d’interrogation sur les temps à venir. Là aussi, la liste de ces dégâts est longue et massive, elle est largement connue, même si leurs mécanismes demandent à être encore plus explorés et analysés.

Par contre, dans les limites de cet article, je me limiterai aux répercussions immédiates de l’évènement, d’autant qu’elles sont elles-mêmes très éclairantes.

CURIEUSES CONVERGENCES

Dès le lendemain matin, 19 août, « L’Echo d’Alger », le journal porte parole des colons apparemment mobilisé presque instantanément par les services du Gouvernement Général français, titrait sur la constitution d’un nouveau parti, il lui donnait même un sigle, le « PPK », autrement dit un fantomatique Parti du Peuple Kabyle, dissident du P.P.Algérien.

Le quotidien raciste ne se faisait pas seulement plaisir en prenant son rêve pour des réalités. Il brandissait surtout une arme redoutable dont les autorités françaises escomptaient un double impact : diviser les rangs de sa bête noire le PPA- MTLD par cette rumeur alarmiste, et qui plus est, isoler sa fraction la plus dangereuse selon lui, c’est-à-dire le courant qui n’avait cessé non seulement de préconiser mais aussi de mettre en œuvre une orientation radicalement anticolonialiste.

Les cadres de Grande-Kabylie et en particulier BennaÏ Ouali, avec la nouvelle génération de ce qu’on a appelé le « groupe de Ben Aknoun », n’avaient-ils pas joué un rôle prépondérant pour l’adoption en 1947 de la décision créant l’Organisation Spéciale, l’OS ? Ne continuaient-ils pas à mettre en garde contre maintes défaillances et incohérences qui nourrissaient le désarroi des militants et creusaient un fossé d’incompréhensions entre « légalistes » et « révolutionnaires », au lieu de forger une cohérence et une complémentarité politique entre ces deux volets ? L’occasion était propice pour les stratèges du « GG » (Gouvernement Général) de favoriser les groupes d’influence dans la direction du MTLD qui amorçaient la ligne de « coopération », celle concrétisée plus tard avec le courant colonialiste « rénové » du groupe de Jacques Chevallier à la mairie d’Alger.

Déjà au mois de Septembre de l’année précédente, les services français avaient, comme par hasard, procédé aux arrestations successives de Bennaï Ouali et plusieurs responsables de la tendance radicale, dont Ammar Ould-Hammouda et Omar Oussedik, recherchés jusque là sans succès depuis Mai 1945. Je pense que Hocine Aït Ahmed ne doit d’avoir échappé à ce coup de filet qu’en raison des précautions exceptionnelles qu’exigeaient ses fonctions de premier responsable de l’OS, fonctions très cloisonnées par rapport à l’appareil organique et de direction du MTLD. Peut -être un jour les archives de la police coloniale, si elles ne sont pas escamotées, nous renseigneront sur le secret de ces arrestations, opérées étrangement à un pareil « bon moment ».

Dans tous les cas, objectivement, les services français n’ignoraient pas ce qui bouillonnait dans les milieux militants d’Alger, de Kabylie et d’autres régions du pays ainsi que dans la Fédération MTLD de Paris. Ces services avaient déjà mené leur opération de dévoiement d’« Al Maghreb Al Arabi » qui fut un moment l’organe de presse officieux du MTLD, dirigé par leur agent le Cheikh Zahiri. La mission de ce dernier était de propager nombre de confusions très nocives pour la vocation d’un nationalisme libérateur.

Nul doute que parallèlement, ces services étaient décidés à donner un coup d’arrêt à la volonté affichée du courant démocratique et radical du PPA de proposer la discussion et l’adoption d’un document doctrinal consensuel. Un document dont le manque se faisait cruellement sentir au parti et qui viendrait mettre fin au désarroi et aux flottements dangereux pour la cohésion dans les rangs militants.

Ce document « L’Algérie libre vivra », signé Idir El Watani, paraîtra d’ailleurs en juillet 49, plusieurs mois après l’arrestation de ses initiateurs qui nous avaient encouragé à sa rédaction. Cette parution se fit dans des conditions mouvementées (tentative ratée de s’emparer de la brochure à sa sortie de l’imprimerie, perquisitions brutales aux domiciles ou sièges d’associations, etc.).

DES REACTIONS DOUTEUSES ET CONTRE-PRODUCTIVES

Au lieu d’être saisie par les dirigeants en place du MTLD comme une opportunité pour ouvrir des débats qui auraient été bénéfiques pour tous, le document leur donna le prétexte d’une répression multiforme et d’une campagne de calomnies qui inquiéta fortement les milieux militants.

En même temps, ils mirent à profit les arrestations des cadres en Septembre de l’année précédente pour parachuter en Grande Kabylie une direction plus acquise à leurs visions et pratiques d’appareils. La décision fut prise, en dépit des délégations de cadres et militants de base venus exposer son inopportunité et ses dangers. Ils estimaient que dans des conditions aussi confuses, il fallait différer les remaniements et les subordonner à des explications émanant de tous les acteurs en cause. Devant l’intransigeance de la direction, la protestation s’est durcie ; elle a pris la forme d’un refus d’acheminer les cotisations tant que la direction ne fournirait pas des explications et tant qu’elle ne se tournerait pas vers des discussions et mesures constructives, impliquant notamment la participation des dirigeants arrêtés. C’est sur ce fond de tension, arguments d’autorité menaçante contre demande d’explications, qu’est survenue la vive altercation qui a précédé de quelques heures l’attentat contre Ferhat Ali, celui-ci étant, si je me souviens bien, responsable des fonds du district.

LA DEROBADE FATIDIQUE

On s’attendait, après le communiqué provocateur de l’Echo d’Alger, à ce que la direction du MTLD, dans un sursaut de sauvegarde nationale, publie immédiatement un démenti catégorique. Si c’était trop lui demander que de dénoncer un acte dans tous les cas condamnable, il lui suffisait seulement de dire que le fait relevait d’incidents ou de conflits locaux internes regrettables et n’avait rien à voir avec un quelconque « séparatisme » kabyle.

Pareille démarche aurait été d’autant plus facile que le démenti aurait été aussitôt appuyé et accompagné du soutien des militants et cadres mis en cause pour soi-disant « séparatisme ». Car qui aurait été assez fou pour imaginer dans le contexte de cette époque une position suicidaire de « sécession » kabyle, que même les valets locaux de l’administration française ne soutenaient pas. Au point qu’il y avait déjà belle lurette que la ségrégation arabes/kabyles dans les Assemblées des ex « Délégations financières » avait été supprimée par les autorités françaises. A plus forte raison apparaissaient ridicules et tendancieuses les insinuations selon lesquelles les cadres de Kabylie dont on connaissait le nationalisme algérien ombrageux étaient influencés par les idées du colonialisme. La seule chose réellement positive que ce dernier avait réalisée malgré lui, comme résultat d’un siècle d’occupation, est d’avoir fait lever une génération d’Algériens décidés à enterrer le colonialisme et ses pratiques de division. La preuve n’en avait elle pas été fournie lorsque ces mêmes cadres que la direction fustigeait aujourd’hui avaient organisé à Messali l’accueil le plus extraordinaire de ferveur patriotique qu’il ait jamais reçu à travers ses tournées dans toutes les autres régions du pays ? L’un des couplets originaux de « Ekker a mis Oumazigh » ne glorifiaient-ils pas l’alliance de Allal (al Fassi), Messali, Bourguiba ?

Aussi l’étonnement fut grand, suivi d’inquiétude dans de larges milieux nationaux, de constater que la direction du MTLD ne réagissait pas à la provocation de l’ Echo d’Alger. Face à l’attente générale, elle gardait un silence qui nous apparut très vite comme une dérobade empreinte de calculs et d’étroitesse politicienne, alors que se jouait un problème national d’une gravité exceptionnelle. La direction perdit à ce moment le reste de confiance que gardaient encore sur ce point les militants les mieux informés de la crise, qui espéraient malgré tout la voir intervenir avec une hauteur de vue conforme à l’intérêt général.

Heureusement que sans attendre, une délégation des militants contestataires est allée rendre visite à Ali Ferhat hospitalisé. Elle revint avec une déclaration hautement responsable qui soulignait notamment : «  » … Il n’a jamais existé et il n’existera jamais de »P.P.Kabyle », pour la bonne raison qu’il n’y a qu’un peuple algérien dont les éléments, quoique d’origine ou de langues différentes, vivent fraternellement unis dans une même volonté de libération nationale… Pour ma part, j’ai toujours pensé que l’Algérie ne peut être qu’algérienne et que dans notre patrie, toutes les cultures et tous les éléments de notre patrimoine commun méritent le respect et le libre développement… »

Adressé à toute la presse, le démenti ne fut évidemment pas publié par l’Echo d’Alger. Le plus étonnant est que l’organe du MTLD perdit une dernière chance de servir à un moment si crucial l’aspiration des patriotes algériens à l’unité nationale. Seul le quotidien « Alger républicain » publia le 21 août le communiqué intégralement. Fidèle à sa devise, il disait la vérité, rien que la vérité, mais il ne pouvait pas dire TOUTE la vérité. J’ai su à cette période que ses rédacteurs auraient souhaité interviewer les uns et les autres, publier des commentaires qui contribuent à maintenir un climat de confiance entre toutes les composantes du mouvement national et de la société algérienne. ll ne le fit pas, car devant le silence public de la principale formation concernée, son intervention aurait pu être interprété comme une ingérence et une volonté de jeter de l’huile sur le feu.

LA DEMAGOGIE AUTORITAIRE CONTRE LE MURISSEMENT POLITIQUE

Pourquoi ce silence public des dirigeants MTLD autour du grave incident et des données réelles du contentieux, alors qu’en sous-main et dans les appareils internes, les calomnies se déchaînaient, multipliant les invectives, les accusations virulentes de complot séparatiste anti-arabe, anti-islamique etc. ? Quelles étaient les motivations inavouées de certaines composantes de la direction et les raisons pour lesquelles d’autres composantes dans le parti et la société se sont montrées passives ou vulnérables à l’escamotage d’un problème national et démocratique de premier plan ?

Pour mieux le comprendre, il faudrait remonter à longtemps avant l’évènement malheureux du 18 août, aux raisons plus générales qui ont alimenté la dégradation politique interne et qui remontent à plusieurs années Je les évoquerai dans leurs manifestations des mois précédents. Elles déboucheront sur des implications plus concrètes dans les semaines qui ont précédé l’évènement.

Les raisons générales, c’est le pourrissement des pratiques politiques illustré au niveau de la direction par le choix des solutions autoritaires, en lieu et place d’un travail sérieux d’élaboration et de formation politique. Vaste question, qui aurait mérité une étude à part. Je précise que quand je parle de direction, j’entends par là ceux qui étaient en situation de prendre à ce moment là des décisions opérationnelles. Car au sein des acteurs qui se coalisaient ou s’opposaient au sein de la direction, il y avait une grande hétérogénéité et même une conflictualité aussi bien dans leurs inclinations politiques et idéologiques, que dans leurs motivations conjoncturelles.
[[voir à ce propos la description de Belaid Abdesselam, témoignage recueilli dans son entretien des années 1980 avec Ali El Kenz.]]

Autour du même mot d’ordre d’indépendance, les convictions (ou préjugés) sincères et les calculs de pouvoirs et de prérogatives s’entrecroisaient chez les uns et les autres dans la confusion, y compris parfois dans la tête du même militant ou responsable. Seul un débat tenant compte des aspirations et des inquiétudes saines dans la base militante et la population, aurait pu éclaircir cette complexité, Car quant au fond, la confusion et l’hétérogénéité étaient inhérentes à un mouvement national et à des militants encore en train de chercher leurs repères. Il était encore possible, et c’était le bon moment, de répondre de façon constructive aux attentes des uns et des autres, au lieu de favoriser un climat passionnel en nourrissant ces attentes de slogans démagogiques et de rejets réciproques qui aggravaient les confusions.

La brochure de Idir El Watani, ou une autre plate forme présentée par la direction, auraient pu quelles que soient leurs insuffisances, jouer ce rôle d’effort doctrinal consensuel. Il est significatif que certains dans la direction, à défaut de fournir les aliments attendus, aient préféré briser cette possibilité, pour reprendre quelques années plus tard à leur compte, une fois l’irrémédiable accompli, des pans entiers de «L’Algérie libre vivra ». Trop tard, ce mea culpa à retardement inaugurait une nouvelle pratique qui aura hélas de beaux jours devant elle : produire des documents mirobolants contredits par des pratiques toujours marquées par leur péché originel de 1949 : parlez toujours, je détiens les rênes de l’appareil.

Précisément, le refus du débat, reflet de la maturité générale insuffisante, a débouché sur une situation qui accentuait l’arbitraire des dirigeants nantis des leviers de décision et des moyens de l’appareil exécutif. Ils légitimaient ce privilège auto octroyé par la situation de clandestinité. Jouer sur l’alarmisme était pour eux une façon d’éviter de rendre des comptes sur nombre de problèmes d’orientation et de gestion. Ils ont tranché de manière brutale là où il fallait s’efforcer de dénouer et de déminer le terrain en écoutant tout le monde. D’autres, nombreux, plus hésitants et circonspects, ont subi plus ou moins passivement le climat et les préjugés ambiants et surtout le fait accompli. Plusieurs d’entre eux s’expliqueront plus tard, trop tard, jusqu’à de longues années après avoir constaté les dégâts ou subi eux-mêmes des pratiques similaires. Ils se contenteront, chose déjà positive, d’émettre des doutes et d’affirmer que les torts étaient partagés, que la crise de 1949 aurait pu être dénouée autrement. Seuls deux ou trois resteront irréductibles sur leur point de vue d’alors, déformant les faits et surtout demeurant aveugles aux leçons qu’ont données les décennies suivantes.

MENTALITES ET BATAILLES DE « KOURSIS »,

Le climat et le mode de fonctionnement de la direction favorisaient donc le recours aux ficelles politiciennes, au détriment de la recherche des solutions de fond. Procédé de plus en plus dominant, il fut l’une des raisons de la crise.

Avant de décrire comment ce « mode d’emploi » s’est traduit dans les semaines précédant le mois d’août, je rappellerai en passant que le rôle de « bouc émissaire » du « complot séparatiste » kabyle aura eu aussi pour effet de faire passer à l’arrière plan une autre contestation, celle du Dr Lamine Debbaghine. Sur certains aspects de fond, les points de vue de ce nationaliste de la première heure, intègre et attaché à une conception plus saine et moderne de l’arabité et de l’islamité de l’Algérie, rejoignaient les nôtres. A sa façon et indépendamment de nous, il dérangeait beaucoup les deux pôles qui bien avant les crises du MTLD des années cinquante, étaient en concurrence pour le leadership. D’un côté les bureaux de direction de la rue Marengo, et de l’autre côté Messali, ses fidèles et ses réseaux à partir de sa résidence de Bouzaréah. Beaucoup plus tard, au début des années cinquante, le Dr Lamine sera lui aussi éloigné, victime des pratiques de sérail et des méthodes de règlement en circuit fermé, qui avaient fonctionné si bien contre les amis politiques de Bennaï Ouali.

Abordons maintenant comment, dans ce contexte de dégradation, les particularités de la situation en Kabylie ont été utilisées au cours des semaines qui ont précédé le 18 août par les dirigeants en question, en suscitant et allumant des conflits organiques et d’appareils. De sorte que, sans qu’ils l’aient forcément voulu directement, cela aboutit à un incident tragique et lourd de conséquences. Leur responsabilité politique tient au fait qu’ils souhaitaient la cassure avec les courants démocratiques et partisans de la discussion dans les instances régulières. Passant à côté de l’essentiel, ils ont mis à profit les arrestations des responsables de Kabylie pour des changements organiques qui leur permettent d’asseoir leur autorité en faisant d’une pierre deux coups. Leur calcul était d’opposer les uns aux autres deux courants issus de la région de Kabylie et qui les inquiétaient l’un et l’autre. Les dirigeants d’Alger tournaient ainsi le dos à leur vocation et fonction de dirigeants nationaux qui auraient dû les inciter à tout faire pour rapprocher et unir ces deux courants dans le cadre d’une solution plus globale de sauvegarde nationale.

Leur première bête noire était ceux qu’on a traités de « séparatistes berbéristes » qui en réalité voulaient ouvertement, sans intrigues ni jeux de coulisses, faire avancer le parti vers une base doctrinale sérieuse et des règles de fonctionnement transparentes. Ils voulaient fonder cette base doctrinale et organique sur le triptyque « Nation cohérente, Révolution active et Démocratie dans le contenu et les méthodes ». Cela supposait entre autres, crime de lèse-majesté, qu’on mette fin à des situations de bricolage dans lequel s’affrontaient sournoisement différents groupes pour privatiser un temple dont ils se considéraient les seuls défenseurs. Les contours de ces groupes d’influence étaient flous et mobiles car les principes invoqués étaient faussés et pollués par les rivalités de pouvoir. D’un côté les surenchères radicales et populistes des uns, plus ou moins illustrées par le groupe Messali et de l’autre côté les signes d’un opportunisme rampant des autres, véhiculé par quelques uns des animateurs pro Chevallier dans le futur groupe des « centralistes ».

La deuxième bête noire de la direction, était constituée par le gros des « maquisards » recherchés, notamment les militants issus de Kabylie ou s’y réfugiant. Considérés avec méfiance par la direction qui les considérait acquis à Bennaï Ouali et ses compagnons, ils étaient en quête de repères politiques depuis que leurs responsables emblématiques et organiques avaient été arrêtés.

DES ACTIVISTES FAIBLEMENT POLITISÉS

D’une façon générale, l’activisme de ces partisans de la lutte « directe » (ils entendaient par là le volet exclusif de la lutte armée), que ce soit en Kabylie ou dans les autres zones géographiques, embarrassait depuis longtemps les courants de la direction qui craignaient des débordements préjudiciables à leurs propres orientations. Il est bien établi que des membres de la direction du MTLD, sans en arriver à remettre en cause ouvertement la décision de création de l’OS, considéraient ces activistes comme un boulet, gênant ou dangereux pour leur démarche penchant davantage vers le légalisme.

Il est vrai qu’à cette époque déjà, la montée au djebel n’était pas dans tous les cas le résultat d’un volontariat et d’une sélection sur la base de critères politiques et de trempe morale, Pour certains, leur montée résultait de motifs pressants de sécurité pour se soustraire à la répression colonialiste. Il est arrivé que Bennaï Ouali et ses compagnons prennent des mesures de vigilance pour brider chez certains de leurs subordonnés des initiatives individuelles mal inspirées ou suggérées par d’autres cercles de la direction de façon irresponsable ou manoeuvrières, qui risquaient de porter tort aux objectifs politiques locaux ou nationaux du mouvement.

C’est justement en mettant à profit ce genre de faiblesses politiques que la direction qui boudait jusque là les maquisards, s’est adressée à certains d’entre eux. Elle les invita à prendre bureaucratiquement la succession des responsables de Grande Kabylie, tout en les mettant en garde contre les cadres et militants étudiants et syndicalistes qui continuaient, notamment à travers la diffusion de la brochure « L’Algérie libre vivra » à revendiquer une rénovation démocratique des orientations du parti. Ces activités, selon les dirigeants en place, étaient la cause du climat perturbé dans les rangs des militants de Grande Kabylie et en France. Sans crainte de se contredire, ils en attribuaient la source à l’influence pernicieuse tantôt de courants colonialistes, tantôt de courants communistes, inventant même pour l’occasion la formule de « berbéro-marxistes » accolée à celle de séparatistes .

J’ai eu à cette même époque la confirmation de cette démarche des dirigeants et des arguments qu’ils avaient utilisés auprès de certains maquisards de Kabylie. C’était à l’occasion de la rencontre que j’eus avec l’un d’entre eux, Fernane Hanafi, venu aux nouvelles et s’informer sur nos intentions. Je ne me souviens plus si c’était Yahia Henine ou Said Oubouzar qui m’accompagnait à cette rencontre. Nous avons discuté toute une après-midi dans le minuscule atelier de tailleur du vieux Si Djilani, ancien cadre de l’Etoile Nord Africaine, au quartier la Marine, détruit quelques années plus tard sur l’emplacement actuel de l’avenue du 1er Novembre. Fernane voulait connaître nos points de vue et nos intentions. Nous l’avons rassuré en lui précisant que nous n’avions pas d’objectif organique, Nos activités visaient à informer les militants sur les problèmes qui avaient surgi. Notre souhait était qu’un large débat se déroule sur les questions essentielles, l’idéal étant la réunion d’un Congrès. Nous souhaitions que la direction s’engage sur la voie de solutions démocratiques et de sagesse.

Fernane Hanafi m’a paru attentif et de bonne foi. Sa mort dans les premiers mois de l’insurrection m’a attristé, lorsque mon ami le restaurateur Saïd Akli me l’a annoncée. Accueillant fréquemment les responsables de maquis après le 1er novembre, il s’était occupé de le faire soigner après les blessures mortelles qu’il avait reçues lors d’un échange de coups de feu avec une patrouille de police sur le chemin ex-Vauban qui porte aujourd’hui son nom à Hussein Dey.

LA DESCENTE VERS LE PIRE

Malgré le climat ouvert de cette rencontre, plusieurs raisons nous incitaient à penser que notre entrevue aurait beaucoup de difficulté à contrecarrer les pressions de la direction. Celle-ci préférerait la voie des manipulations organiques et de la division, laissant intactes les causes politiques du malaise. Nous en avions déjà eu une illustration quand ces dirigeants, croyant désamorcer la crise par une distribution de « koursis », proposa de faire accéder deux d’entre nous au Comité central du MTLD, dont moi-même. Nous avions pensé alors que ces dirigeants n’avaient rien compris à ce qui se passait, ou au contraire, ils le comprenaient très bien mais redoutaient d’affronter les vrais problèmes à l’origine du mécontentement. Ils persistaient à naviguer entre la carotte et le bâton. Or nous avions quelques raisons de penser que certains de nos frères maquisards seraient vulnérables à ce genre de sollicitations et de pressions.

La première de ces raisons était que les maquisards dépendaient entièrement de la direction pour leur soutien logistique. Ils comprenaient bien la portée du chantage de la direction mais n’avaient pas d’autre moyen de s’y soustraire. De plus, la vie qu’ils menaient et le type de préoccupations au jour le jour qu’elle impliquait n’aidait pas certains d’entre eux à mieux saisir la portée politique et de long terme des problèmes en litige. Par un sentiment humain normal mais non maîtrisé, l’esprit activiste se détachait du contenu politique parce qu’il se résumait en un seul point, engager dès que possible le combat armé pour en finir avec les atermoiements et l’attente fastidieuse qui les rongeait. Ils étaient plus enclins à considérer les préoccupations politiques comme des spéculations fumeuses et sans intérêt ou des diversions propres à semer la division. Avec le recul, je me suis souvenu à ce propos comment Ho Chi Minh avait convaincu ses premiers volontaires, prêts techniquement et impatients d’agir, de patienter pour tenir compte à la fois des évolutions politiques et des besoins d’une formation politique plus poussée des combattants.

La sous-estimation du politique n’existait pas chez Bennaï Ouali, pourtant l’un des pionniers de la lutte armée (voir témoignage de Yousfi dans un de ses ouvrages). Cet homme du peuple, lié au terroir et soucieux de protéger les siens des impulsions qui pouvaient se retourner contre eux, était servi par un solide bon sens et en même temps, ouvert à conjuguer l’expérience de terrain avec la réflexion. Il était attentif aux mouvements d’idées qu’il débattait avec ses compagnons d’armes issus des lycées et de l’université. Ensemble, ils avaient beaucoup fait pour transformer la région de Kabylie en un des bastions les plus dynamiques du mouvement national. L’interaction entre le terrain et la vie intellectuelle, entre les racines identitaires et l’ouverture sur l’universel devenaient une force.
C’est ce que ne comprenaient pas nombre de dirigeants d’Alger, qui croyaient faire preuve de patriotisme en cultivant chez les militants l’état d’esprit anti-intellectuel. En vérité, ils souhaitaient s’entourer de gens ayant des capacités intellectuelles, mais les appréciaient avant tout dans les fonctions de scribes ou de producteurs d’arguments pour légitimer leurs positions du moment. Sinon ils n’étaient que des « intellectomanes » voués à leur mépris. Quelle différence avec un Laïmèche Ali que j’entendais dire un jour à Ben Aknoun en 1945 à un de nos camarades : « Tu as un cerveau, c’est pour t’en servir, ce n’est pas pour le mettre en location ! »

LES DANGERS DE L’ARRIVISME

Une dernière raison était venue s’ajouter chez certains activistes à la méfiance entretenue envers les « intellectuels ». Accepter la « montée en grade » pour succéder aux dirigeants arrêtés n’était pas seulement pour eux une perspective plus sécurisante qu’un combat politique et idéologique incertain pour des solutions démocratiques et de consensus national. Cela flattait aussi en eux l’ambition normale de l’individu, surtout quand l’idée de l’émancipation nationale se fond totalement avec l’objectif de promotion individuelle ou se réduit à elle, alors que cette aspiration individuelle légitime en est seulement une des dimensions, elle ne devient viable et morale qu’en s’harmonisant avec les intérêts collectifs de tous les nationaux.

En l’occurrence, succéder à son supérieur hiérarchique est apparu à d’aucuns plus important et valorisant que le contenu à donner à cette succession et à ses suites. Quitte, pour mériter cette promotion aux yeux de ceux qui l’ont promu, à briser si nécessaire les réticences des compagnons d’armes et militants non consultés, considérés comme des subordonnés et des « sujets » n’ayant aucun droit, sinon celui d’obéir aveuglément. La tentation pour le nouveau « mas’oul » est de le faire par tous les moyens, y compris ceux qui ne lui ont pas été prescrits expressément par les dirigeants qui l’ont promu.

Ce n’est pas un hasard si le successeur sur lequel le choix s’est porté durant l’été 49 est le même qui, avant Novembre 54, ne se ralliera au plan insurrectionnel du FLN qu’à la condition qu’on lui reconnaisse la direction de la région qu’il assumait jusque là en tant que messaliste. Pas un hasard non plus si pour mieux asseoir cette promotion individuelle, il lui a été indifférent d’informer toute une région importante du changement d’allégeance organique, qu’il aurait dû et pu par de hautes raisons patriotiques et en oeuvrant à faire de cette mutation organique délicate une transition politique unitaire. Pas un hasard enfin si malheureusement la « transition » s’est soldée par des centaines de « cas Ferhat Ali » dont l’affaire de Melouza a été une illustration et la préfiguration de bien d’autres tragédies qui ont ensanglanté la région et le pays.

L’ENTERREMENT DE LA CULTURE POLITIQUE

Ainsi, en août 1949, un mal irrémédiable venait de commencer son chemin vers toute l’Algérie, depuis ce coin de l’embuscade contre Ferhat Ali à Larbâa Nath Irathen et les bureaux centraux du MTLD de la rue Marengo. On a trop tendance à oublier aujourd’hui ces responsabilités politiques quand on parle de façon trop absolue de la montée des dérives militaristes. On serait tenté de rappeler que « messieurs les civils, vous avez politiquement tiré les premiers ou encouragé à tirer sur les vôtres! » Sur le champ, la portée immédiate et surtout à long terme d’un tel acte n’a été perçue, et encore partiellement, que par des militants sans préjugés, pourvu qu’ils soient suffisamment informés de ce qui s’était passé. En réalité un tournant venait de se produire.

C’est ce que m’a dit à sa façon deux mois plus tard, à Larbâa (Beni Moussa, Mitidja) où je militais en même temps que dans le secteur étudiant d’Alger, un de mes compagnons de lutte du PPA, mon ami H’midat. Ancien de la branche « Routiers » du groupe local des SMA que je dirigeais, il était « maquisard » depuis mai 1945, circulant armé dans les monts entre Larbâa et Tablat pour échapper aux recherches de la gendarmerie française. Arabophone et attaché aux valeurs de l’arabisme qu’il assumait de façon critique et progressiste, mécontent comme de nombreux militants de base des directives incohérentes et parfois contradictoires que le MTLD donnait en cette période, il était intervenu de façon très vive à une réunion nocturne tenue dans la forêt communale. Des responsables du MTLD (Lahouel Hocine et je crois Said Lamrani) étaient venus, en présence de Si Mustapha Sahraoui, membre du CC et responsable local, donner leur version de la crise qui secouait le parti. Outré par les calomnies qu’il entendait dont celles me visant en mon absence, H’midat surgit de l’ombre où il s’était abrité et répliqua durement (épisode relaté dans un article d’El Watan de juillet 1998) ce qui eut pour effet de troubler et disperser la réunion. Quand je le rencontrai deux semaines plus tard, je lui reprochai de ne pas avoir plutôt laissé s’engager un débat et argumenté malgré son indignation, Il me dit : « mais tu ne les connais pas ? Maintenant « wellat drâa » (c’est devenu une question du « plus fort »).

Il ne croyait pas si bien dire. Mais sans mesurer la gravité de ce constat bien réel, il venait de basculer dans la logique contre laquelle il s’était indigné. Et comme beaucoup d’autres, envers ses compatriotes qui se trouvaient dans le même camp que lui pour l’indépendance, il aurait sans doute préféré discuter, mais il faisait désormais davantage confiance au pistolet qu’il dissimulait sous sa kachabia. pour emporter la conviction des autres.

CONSEQUENCES AU LONG COURS ET CONDITIONS POUR
L’ESPOIR

En fait, la balle de colt qui avait atteint Ferhat Ali venait de toucher l’Algérie en ce qu’elle avait de plus précieux, l’espoir démocratique, avant même que ne s’ouvre l’étape la plus décisive de la lutte qui débutera en Novembre 54. Le coup avait atteint en même temps l’accompagnement obligé de toute démarche démocratique qui ne veut pas basculer dans l’hégémonisme et la mentalité de parti unique : l’esprit et la pratique de l’unité d’action, seule capable de féconder la diversité politique et culturelle au bénéfice des objectifs nationaux et sociaux communs.

Le handicap sera lourd et chèrement payé pour les luttes et les réalisations futures. Cette journée fatale d’août 1949 avait glacé notre image idéalisée de l’élan national. Elle fut un sinistre présage, le premier signal d’une longue série d’enchaînements. Faute de régulation politique appropriée, le mal ira en s’amplifiant avant comme après l’indépendance, rebondissant chaque fois vers des situations impensables auparavant.

Même après l’aboutissement monstrueux des années 90 et ses 150 000 victimes, même après l’impact du sinistre printemps noir qui pèse lourdement sur la Kabylie, nous gagnerons à considérer les ressorts qui ont rendu possibles ces aberrations comme des enseignements, en refrénant les passions et l’esprit de vengeance. Ces sentiments, même s’ils sont compréhensibles, aveuglent le discernement et nous poussent vers des gouffres plus profonds.

Laissons donc à leurs seuls actes méritoires de guerriers anticoloniaux les acteurs qui ont failli gravement par des manques de discernement politique. Leurs défaillances individuelles sont celles de toute une époque et la logique de l’Histoire a voulu que la plupart d’entre eux aient connu les retournements de situation inévitables des calculs de court terme. Je n’en fais pas ici la liste, elle est impressionnante. Comme dirait Lounes Aït Manguellat, ils avaient fabriqué eux-mêmes le bâton qui les a frappés. Mais ils ne furent pas les seuls à en souffrir. Le peuple et la nation en ont été massivement les victimes.

C’est volontairement que je n’ai pas voulu mettre de nom sur chaque personnage alors que chacun peut les reconnaître. J’ai voulu fortement indiquer par là que l’important ce n’est pas tel ou tel, car si ce n’avait été lui, cela aurait été un autre placé dans le contexte qui fabrique ou favorise ce type de comportement.

Je voulais ainsi souligner que la maîtrise salutaire et collective ne consiste pas à s’enliser dans les procès rétrospectifs contre des acteurs disparus, en les réinstallant artificiellement sur une scène politique qui n’est plus la même.

Il n’est nullement question d’oublier comme si rien ne s’était passé. Mais, ce faisant, il est mille fois plus important de tirer de ces faits douloureux des enseignements utiles et d’examiner à leur lumière les faits similaires qui nous menacent aujourd’hui. Faisons-le avec l’esprit et le sang-froid attendus d’un médecin ou d’un proche qui tiennent à la survie de leur patient. Voyons-y essentiellement une maladie politique terrible dont personne n’est à l’abri, un monstre caché et toujours à l’affût en chacun de nous et dans la société, un empoisonnement que ne pourra guérir aucun remède de cheval ni exorcisme de charlatan, aucun changement du rapport des forces militaire ou policier. Seul moyen radical de guérison, l’antidote démocratique adapté à la nature même du poison. Il coûte cher et il faut apprendre à le manier. Mais là réside le seul et vrai espoir.

Aux sceptiques qui mettent en doute l’opportunité ou l’efficacité de la lutte pour la liberté, la vraie démocratie et la justice sociale, je dirai seulement que malgré les grandes insuffisances passées que nous gagnerons à corriger, les sacrifices et la résistance de tous ceux qui ont mené cette lutte à l’instar de Ferhat Ali n’ont pas été et ne resteront pas vains. Le problème est, à la lumière de l’expérience, de donner à cette lutte l’efficacité qu’elle mérite.

Le tribunal de l’Histoire a tranché. Si les atteintes à la Constitution et aux lois algériennes devaient être jugées à titre rétrospectif, ceux qui seraient condamnés seraient ceux qui durant des décennies, se sont opposés à la reconnaissance de l’amazighité comme valeur composante de la Nation, tout en portant un tort considérable aussi bien à l’arabité qu’à la démocratie sociale, à l’unité nationale et à la coopération fructueuse entre peuples et civilisations comme autres valeurs précieuses de notre peuple.

Soyons donc fiers, optimistes, vigilants et critiques en pensant aux luttes passées et à venir.

Sadek Hadjerès,

le 08 octobre 2006