LE PARADOXE DE LA CONSOMMATION INÉGALITAIRE EN ALGÉRIE

(Texte publié dans El Watan du 17 septembre 2009, rubrique « Débats-Idées »)

Une étude sérieuse et documentée qui tombe à point, alors que la détérioration aigüe et continue des conditions sociales incite les milieux dirigeants à culpabiliser et pénaliser les « consommateurs ». La démarche scientifique est appuyée sur la longue durée par des données statistiques nationales et internationales irréfutables . La démonstration intéresse les acteurs sociaux et politiques: elle démonte les mécanismes de la dégradation sociale prolongée et structurelle et par là même, fait réfléchir aux pistes crédibles pour y mettre fin. Les données confirment bien que « l’Etat vache à lait » n’engraisse en fait que des couches minoritaires exploiteuses et parasitaires; et que l’intérêt national est inséparable d’une politique de justice et de développement social.


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1. La consommation des ménages en Algérie: un débat nécessaire

En Algérie, il n’y a jamais eu de véritable débat sur la consommation, c’est-à-dire sur le rôle et le poids de la consommation des ménages par rapport à l’investissement et à l’épargne.

Du temps de l’économie administrée, il avait été décidé d’accorder la priorité à l’investissement, et l’Algérie s’est retrouvée avec le taux d’investissement – c’est-à-dire, le rapport entre la formation brute de capital fixe (FBCF) et le Produits intérieur brut (PIB) – le plus élevé du monde, atteignant son maximum avec 48,60% en 1978 pour se stabiliser progressivement autour de 20% à partir du début de la décennie 2000 jusqu’à aujourd’hui.

Pourtant, ce taux le plus élevé d’investissement, par rapport aux pays voisins et aux pays en développement, n’a pas assuré à l’Algérie un taux de croissance plus élevé que celui enregistré dans ces pays. Au contraire, ce taux d’investissement élevé, sur le long terme, n’a produit qu’un taux de croissance très modeste et plus faible que celui des pays comparables [[Nous avons explicité ces calculs dans « Les trois grands reculs de l’économie algérienne » (Le quotidien d’Oran, 19 mai 2005).]].

A l’inverse de ce taux d’investissement élevé, le taux de consommation des ménages en Algérie a toujours été relativement plus faible que celui des pays comparables, il a atteint le sommet avec 61,80 % en 1989 pour redescendre progressivement et lentement vers 31,27% en 2007.

Bien évidemment, le faible niveau de ce taux s’explique par le «gonflement» du PIB algérien suite à la hausse du prix du pétrole. Mais, il indique tout de même que le taux de consommation n’a pas connu une envolée grâce à l’envolée des prix du pétrole.

2. La consommation par habitant reste en dessous du niveau de 1985

L’évolution de la consommation [[La consommation des ménages est entendue comme l’ensemble des dépenses effectuées par les ménages, relatives aux huit rubriques suivantes : – alimentation et boissons – habillement et chaussures – logement et charges – meubles et articles ménagers – santé et hygiène corporelle -transport et communication -Education, culture et loisirs -Produits divers et autres dépenses -.]]des ménages ne peut pas être analysée de manière complète à partir seulement du taux de consommation (par rapport au PIB).

On utilise souvent l’indicateur de la consommation des ménages par tête d’habitant en dollars constants. En monnaie constante, cet indicateur exclut, bien entendu, l’effet de l’évolution des prix. Les données de la Banque mondiale consacrent de nombreux calculs à la consommation des ménages par pays.

Pour l’Algérie, ces données indiquent que la consommation des ménages par tête était relativement très faible dans les années 1960 «à peine 315 $ par habitant en 1962», (dollars constants 2000) et a atteint son maximum en 1985 avec 1114 $ (dollars constants 2000). A partir de cette date, la consommation par tête n’a pas cessé de baisser jusqu’à atteindre le niveau le plus faible, soit 726 $ en 1997. Depuis 1998, elle a commencé à augmenter jusqu’à atteindre 968 $ en 2007.

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La consommation par tête d’habitant en 2007 est donc encore inférieure au niveau qu’elle a atteint en 1985. La courbe sur 45 ans est en forme d’un grand N.

En 1985, le niveau de consommation par tête en Algérie était supérieur à celui du Maroc, de la Tunisie, de l’Egypte, de l’Iran et d’un très grand nombre de pays en développement. Celle d’un pays développé comme la France était de l’ordre de 9727 $, soit 8,75 fois celle de l’Algérie. En 2007, en moyenne, le Français consomme presque 15 fois plus que l’Algérien. Mais les pays en développement ont aussi rattrapé et dépassé le niveau de l’Algérie comme le Maroc avec 998 $, la Tunisie 1632 $, l’Egypte 1329 $ et l’Iran 1118 $ pour ne citer que ces exemples.

A ce stade, deux conclusions s’imposent :

  1. Le niveau de consommation actuel par tête d’habitant en dollars constants est plus faible que celui de l’année 1985, malgré la croissance amorcée depuis 1998, correspondant à la fin de la mise en œuvre du programme d’ajustement structurel (PAS).
  2. Le niveau actuel de la consommation par tête d’habitant en Algérie est plus faible que celui des pays comparables, il est le plus faible des pays du pourtour de la Méditerranée!

La question est de savoir pourquoi ce recul de la consommation des ménages par tête d’habitant sur le long terme et pourquoi, malgré les ressources investies, l’Algérie ne rattrape même pas son niveau de l’année 1985 ?

3. Dépenses alimentaires dans la consommation des ménages algériens

Ces données de la Banque mondiale, sur lesquelles nous n’avons opéré aucun calcul, sont assez éloquentes et sont également étayées par les données de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture).

Etant donné l’importance des dépenses alimentaires [[Selon le rapport de la FAO : « La consommation alimentaire se rapporte à la quantité de denrées alimentaires disponibles à la consommation humaine, selon les estimations des bilans alimentaires de la FAO. Il se peut néanmoins que la consommation réelle soit inférieure à la quantité indiquée, dans la mesure où les disponibilités alimentaires dépendent de l’ampleur des déchets et des pertes de denrées alimentaires au sein des ménages, par ex. lors du stockage, de la préparation et de la cuisson, sous la forme de déchets de table ou d’aliments donnés aux animaux domestiques et de compagnie, jetés ou offerts ».]] dans la consommation des ménages algériens, estimées à plus de 52% des dépenses globales [[Selon l’étude sur la pauvreté, réalisée par le Centre national d’étude et d’analyse pour la population et le développement CENEAP, en 2005 dont El Watan du 19 août 2009 a rendu compte.]] , nous présentons quelques éléments sur ce type de dépenses avec des comparaisons internationales.

L’un des derniers rapports de cette institution confirme la tendance générale donnée par les chiffres en dollars constants. En effet, d’après les données de la FAO, malgré tout ce qui a été dit sur la consommation algérienne, notre pays reste très en retard par rapport aux pays comparables.

En effet, la consommation par tête de ce qui est considéré comme un indicateur de développement, à savoir le groupe «des viandes rouges, blanches et du poisson», est de l’ordre de 29,67 kg/an. En 15 ans, cette consommation fondamentale a très peu évolué, pour ne pas dire qu’elle a stagné (est-ce la conséquence de la libéralisation des prix [[Bouyacoub Ahmed (1995) : « Libéralisation des prix et consommation alimentaire des différents groupes sociaux », revue Les cahiers du Cread n°38, 3e trimestre 1995.]] ?) à un niveau largement inférieur à celui des pays comparables comme le Maroc (38,45 kg), la Tunisie (45,20kg) et l’Egypte (42,57kg). Pourtant, l’Algérie possède de loin le cheptel ovin le plus important avec 19,850 millions de têtes en 2007 alors que le Maroc n’affiche que 16,894 millions, la Tunisie 7,618 millions et l’Egypte 5,525 millions de têtes. L’Algérie serait-elle encore le pays où les gros éleveurs et les gros maquignons sont devenus rois ? En matière d’élevage bovin, l’Algérie est moins bien dotée que le Maroc et l’Egypte. Bien entendu, on est loin du niveau européen qui affiche une moyenne de consommation de 81,75 kg/an.

Tableau 1. Consommation des viandes rouges, du poulet et du poisson en kg/habitant/an en 2005
Pays Algérie Maroc Tunisie Égypte
1990 29,54 31,94 34,05 30,14
2005 29,67 38,45 45,20 42,57
Croissance + 0,4 % 20,40 % 32,75 % 41,20 %

Reconstitué à partir de Faostat. FAO, 2009.

Pour les légumes qui constituent normalement l’élément de base de la nourriture quotidienne, la consommation par tête, en 2005, s’est élevée à 113,07 kg/an. Ce niveau est également inférieur à celui du Maroc (146,38 kg), de la Tunisie (176,40 kg), et de l’Egypte (189,22 kg) et de l’Europe (137,93 kg).

Le niveau de la production agricole est-il seul responsable de ce niveau de consommation relativement plus faible que celui des autres pays comparables ?

La consommation de fruits constitue également un indicateur d’un bon régime alimentaire. En 2005, la consommation par tête en Algérie a été de 63,40 kg/an, plus faible que celle du Maroc (74,20 kg), de la Tunisie (82,40 kg), de l’Egypte (98,30 kg) et naturellement de l’Europe (126 kg).

Dans cette série de groupes de consommation alimentaire, il y a lieu de signaler que l’Algérie ne se distingue que par la consommation du lait et dérivés avec 112 l/an, niveau plus élevé que celui des autres pays comme le Maroc (47,20), la Tunisie (100), l’Egypte (56) mais deux fois plus faible que le niveau européen (223). Mais il faut souligner quand même que, pour l’Algérie, le lait est encore un produit subventionné dont l’importation représente 91% de la consommation, alors qu’elle ne représente que 29% au Maroc, 11% en Tunisie et 19% en Egypte.

4. La consommation par habitant des principaux produits alimentaires
est inférieure en Algérie à celle des pays voisins et comparables:

Enfin, un autre dernier rapport de la FAO (2009) [[FAO (2009) : « Annuaire statistique de la FAO », 2007-2008, FAO, 2009. ]] sur le régime alimentaire permet également de montrer le niveau de consommation en termes nutritionnels. Dans ce domaine, pour la période 2003-2005, l’Algérie se situe certes bien au-dessus de la moyenne mondiale, mais se classe à la 44e place sur 184 pays, avec 3095 calories/personne/jour. Elle a enregistré une croissance globale de 7,30 % entre 1994-1996 et 2003-2005. Mais son niveau reste inférieur à celui de tous les pays comparables qu’on a déjà cités comme le montre le tableau n° 2. Le niveau de consommation des protéines par personne et par jour, en grammes, est également le plus faible de ce groupe de pays. Ces données en termes de balance alimentaire confirment l’analyse en termes de quantités de biens consommés et en valeurs. Dans le domaine de la consommation alimentaire, l’Algérie est derrière les pays voisins et comparable. Elle est loin d’être ce «tube digestif» dont se gaussaient parfois, à la légère, certains billettistes !

Tableau 2 : Consommation de calories, protéines et lipides
calories / personne et / jour Protéines g/personne / jour Lipides g/personne / jour
Algérie 3095 86 67
Maroc 3194 88 59
Tunisie 3275 90 93
Égypte 3317 94 58
Iran 3102 87 63
Turquie 3340 96 95
Espagne 3316 110 150
Frabce 3585 116 163

Constitué à partir de l’Annuaire statistique de la FAO, 2007-2008, FAO 2009.

5. Inégalité des Algériens devant la consommation:

Ces analyses ne soulèvent pas la question de la répartition de la consommation globale des ménages, car on sait depuis les grandes enquêtes sur la consommation des ménages menées par l’ONS comme celles de 1988 et de 2000 [[ONS (2002) : «Les dépenses des ménages en 2000», données statistiques n°352, octobre 2002]] (diffusée partiellement) qu’il y a, entre autres, une forte inégalité d’abord territoriale entre les zones rurales et les zones urbaines, comme il y a une forte inégalité entre les différentes strates de revenus [[Bouyacoub Ahmed (1993) : «Répartition du revenu et catégories sociales», revue Les cahiers du Cread n034, 2e trimestre 1993.]].

Dans les zones urbaines, par rapport aux dépenses alimentaires, les 10% des ménages les plus riches du pays consomment 30% de la consommation urbaine globale. Les 10% des ménages les plus pauvres n’en consomment que 3%. Ces données montrent bien que le soutien des prix à la consommation, s’il n’encourage pas les producteurs nationaux, va principalement dans les poches des groupes sociaux qui n’en ont pas besoin. Il s’agit là d’une perversion du système des prix administrés [[Bouyacoub Ahmed (1989) Régulation et prix en Algérie.(1962-1987) Revue Les cahiers du Cread n°18, 2e trimestre 1989.]] (basés sur les subventions à la consommation) que l’enquête sur la consommation de 1988 a mis en évidence de manière très claire et qui a généré la réforme du système des prix de 1989, non encore achevée jusqu’à présent.

La consommation étant fortement déterminée par le revenu, il y a lieu de remarquer que du point de vue de la répartition du revenu, l’Algérie n’affiche pas le coefficient de Gini [[«Le coefficient de Gini» est une mesure du degré d’inégalité de la distribution des revenus dans une société donnée, développée par le statisticien Italien Corrado Gini. «Le coefficient de Gini» est un nombre variant de 0 à 1, ou de 0% à 100%, où 0 signifie l’égalité parfaite (tout le monde a le même revenu) et 1 signifie l’inégalité totale (une personne a tout le revenu, les autres n’ont rien). La valeur du coefficient peut également s’exprimer en %.]] le plus inégalitaire. Les pays arabes d’une manière générale se distinguent par un coefficient de Gini bien inférieur à celui des pays d’Amérique latine, par exemple, où l’inégalité de la répartition du revenu est plus importante. Ainsi, l’Algérie a un coefficient de 36,30% en 1995 et l’enquête ONS de 2000 affiche un coefficient légèrement supérieur avec 36,90%. Ce coefficient est nettement inférieur à celui des autres pays arabes et musulmans (Maroc, Tunisie, Iran, Turquie … )

Tableau 3. Coefficient de Gini pour le revenu
Pays Année Coefficient de Gini en % Pays Année Coefficient de Gini en %
Algeria 1995 35,30 Indonesia 2002 34,30
Argentina 2001 52,20 Iran 1998 43,00
Chile 2000 57,10 Morocco 1998 39,50
China 2001 44,70 Norway 2000 25,80
Egypt 1999 34,40 Tunisia 2000 39,80
France 1995 32,70 Turkey 2000 40,00

Tiré des données de la FAO, op. cité.

Dans le champ de la répartition des revenus et son impact sur la consommation, le point important qui mérite d’être également souligné et qui semble revenir au-devant de la scène concerne, bien entendu, l’inflation.

Quand elle est élevée, elle produit presque toujours une redistribution du revenu national au détriment des revenus du travail.

Au cours de la décennie 1990-2000, l’indice des prix à la consommation a été multiplié par plus de 4,5 fois. Entre 2000 et 2008, l’inflation est maitrisée avec une moyenne annuelle tournant autour de 3%. Mais les conséquences de la forte inflation enregistrée au cours de la décennie 1990 n’ont pas été suffisamment analysées, notamment l’impact sur la redistribution du revenu des ménages et, par conséquent, sur la consommation. Ce processus inflationniste explique-t-il la dégradation de la consommation par tête au cours de la décennie 1990 ?

6. Le crédit à la consommation de véhicules automobiles, dans un système économique de mécanisme « rentier », doit être débattu

Enfin, on ne peut aborder la question de la consommation actuellement sans dire quelques mots sur le crédit à la consommation des véhicules. Le débat porte, depuis la publication de la loi de finances complémentaires 2009, sur les véhicules et l’interdiction du crédit à la consommation.
Dans le domaine de l’automobile, plusieurs aberrations ont été commises à notre avis.

 Tout d’abord, du point de vue du principe de cohérence d’une politique économique chère au prix Nobel d’économie, J. Tinbergen, «il est aberrant d’encourager le crédit à la consommation de biens de consommation importés dans un pays qui en exporte très peu.» Par ailleurs, aucune théorie économique ne peut démontrer que la croissance de ce type de consommation favorise la croissance du PIB dans un pays comme l’Algérie.

L’exemple des véhicules de tourisme est le modèle-type de cette aberration économique. Il y a lieu de savoir que le crédit à la consommation a concerné 250 000 véhicules entre le début de 2005 et la fin de 2008, soit presque 50% des nouveaux véhicules acquis dans le cadre commercial au cours de cette période. De plus, 10% des bénéficiaires du crédit ont été, semble-t-il, défaillants. Il s’agit-là de ce que les économistes appellent l’effet Duesenberry [[James Stemble Duesenberry est un économiste américain. Il a réalisé une contribution importante à l’analyse keynésienne du revenu et l’emploi avec son ouvrage de 1949 portant sur sur « Le revenu, l’épargne et la théorie du consommateur ». Kenneth Arrow, prix Nobel d’économie, a estimé qu’il offrait l’une des contributions les plus significatives de la période d’après-guerre à notre compréhension du comportement économique.]] selon lequel des consommateµrs de groupe de revenus faibles tombent victimes de l’effet d’imitation de groupes de revenus élevés ! Au plan sociologique, l’effet d’ostentation commence à être un vecteur important de la consommation.

 Deuxièmement, il est également aberrant que l’Algérie ait «opté» pour le modèle «tout automobile» sans en débattre sérieusement et sans mettre en balance tous les investissements publics nécessaires à cette option comme les routes, autoroutes, les dépenses de fonctionnement et toutes les ressources gaspillées (environnement, accroissement de consommation de carburants, accroissement des accidents, du stress…) d’un côté, et les gains éventuels, de l’autre.

 Troisièmement, il faut savoir que 33,1% des véhicules de tourisme se trouvent dans le Grand Alger (les wilayas d’Alger, Boumèrdès, Tipasa,) ne regroupant que 10,63% de la population algérienne (recensement 2008). Autrement dit, 10% de la population algérienne consomme plus du tiers du parc de véhicules de tourisme . C’est l’exemple frappant de la concentration géographique et de l’inégalité territoriale.

Mais au plan de la consommation de véhicules, le seul indicateur disponible est l’enquête de l’ONS 2000, qui, dans la rubrique des dépenses des ménages concernant le transport et les communications, permet de relever que les 10% des ménages les plus riches d’Algérie ont consommé 53,90% de cette rubrique et les 50% des ménages (bas revenus et moyens) n’ont consommé que 12,1% seulement de cette rubrique. Dans la rubrique transport, il y a naturellement les carburants. Or, tout le monde sait que le prix de l’essence se vend partout ailleurs autour de 1 euro. La subvention indirecte qui se trouve dans les prix payés à la pompe ne concerne presque pas 50% des Algériens et 53% de cette subvention (qu’on peut estimer à quelque 2 milliards de $) va dans la poche de ceux qui n’en ont pas besoin, à savoir les 10% des ménages les plus riches.

 Quatrièmement, il faut savoir que, selon les données de la Banque mondiale, le taux d’équipement des ménages algériens en véhicules (rapport entre nombre de véhicules de tourisme sur la population de l’année) pour 1000 habitants est passé de 2,54% en 1996 à 6,67 en 2007. Il a connu une très forte croissance, en très peu de temps, dépassant les taux de pays comparables qui abritent des industries de fabrication ou de montage de véhicules de tourisme comme le Maroc (4,6%), l’Egypte (2,86), l’Iran (3,0). Qu’est-ce qui peut justifier cette croissance, sinon la défaillance des transports publics, notamment urbains ? Est-il raisonnable, économiquement, d’encourager la consommation de véhicules par le biais de l’importation ?

 Cinquièmement, en absolu, l’importation des véhicules de tourisme n’a certes pas entraîné une enveloppe colossale sur les 10 dernières années. De 1999 à 2008, cette importation a coûté au pays la somme de 7,7 milliards de dollars, soit presque la moitié du coût de l’autoroute Est-Ouest ! Au cours de cette période, le pays a importé pour 180 milliards de $ sur les 386 milliards de $ d’exportations globales. Les importations de véhicules de tourisme représentaient un peu plus de 2% des importations jusqu’à la fin de l’année 2002. Elles se sont emballées à partir de l’année 2003, pour représenter plus de 5,3% en 2008 [[Ces données résultent d’un calcul personnel sur la base des données de la Banque d’Algérie et celles du CNIS.]]. Ces données n’incluent ni les pièces détachées ni les véhicules utilitaires.

On voit bien l’effet du crédit à la consommation et l’emballement qu’il a entraîné sur les importations des véhicules.

Il n’a pas entraîné un emballement des investissements dans le secteur automobile en Algérie et des investisseurs s’installent tout autour de l’Algérie en espérant «l’inonder» de leur production.

Ils n’ont pas hésité à investir, au même moment, en Algérie, dans les secteurs, commercial et bancaire, naturellement plus rentables.

Ici, l’on ne peut que rappeler l’intérêt de l’obligation faite, dans le cadre de la loi sur la monnaie et le crédit en 1990, aux concessionnaires désireux de s’installer en Algérie, de réaliser un investissement industriel. Cette obligation a été vite abrogée au début de l’année 1992 comme pour garder à notre économie sa vocation rentière. Hélas, cette vocation ne se transforme pas par simple décret.

En conclusion, on peut souligner les traits dominants suivants :

1- Le consommateur algérien est loin d’être ce «goinfre» qu’on présente schématiquement à diverses occasions. La consommation par tête d’habitant de 2007, malgré les progrès réalisés au cours des dernières années, n’a pas encore atteint le niveau qu’elle avait atteint en 1985 ;

2- la consommation par habitant en Algérie reste en valeurs bien en dessous de celle enregistrée par les pays du pourtour méditerranéen ;

3- la consommation moyenne par habitant des principaux produits (légumes, viandes, poisson, fruits) reste en Algérie inférieure à celle des pays voisins et comparables ;

4- la consommation en termes nutritionnels confirme les données en valeurs, puisque la quantité de calories consommées par personne en Algérie est également inférieure à celle des pays voisins et comparables ;

5- il y a une forte inégalité des Algériens devant la consommation. Dans les zones urbaines, le dixième décile (les 10% les plus riches de la population) consomme l’équivalent de ce que consomment 55% de la population «d’en bas» (les cinq premiers déciles, pauvres et modestes revenus), dans le domaine de l’alimentation.

6- En matière de répartition des revenus, le coefficient de Gini algérien (1995) reste inférieur à ceux du Maroc, de la Tunisie, de l’Iran et de la Turquie qui affichent donc une plus forte inégalité de répartition de revenus.

7- La consommation des véhicules est profondément déterminée par les mécanismes rentiers de notre économie. Il n’est pas économiquement raisonnable que la consommation de biens de consommation importés soit encouragée par les pouvoirs publics par deux mécanismes pervers : le crédit à la consommation et des prix de carburants relativement très bas.

8- Enfin, ces questions soulèvent la problématique de la structure du revenu des ménages sur lequel il y a peu d’informations disponibles et du pourquoi, 47 ans après l’indépendance, le travail (même le plus qualifié) reste toujours le facteur le moins bien rémunéré du pays.

Sur cette base, une économie peut-elle réellement décoller ?

par Ahmed Bouyacoub

Larege, Cread, Université d’Oran

abouyacoub@univ-oran.dz

Post-scriptum:

article original, Université d’Oran, téléchargeable en pdf.

MIGRATIONS: l’appel aux dénonciations!

Étranges étrangers

Ci-dessous, deux documents:

1. deux articles récents du « Jornal Avante! », traduits du portugais par S N;

2. un article de 
Ould
 Sidi‐Rached
, publié à l’automne 2005 dans Alger Républicain, au moment de la flambée des banlieues françaises.

La nouvelle législation italienne sur l’immigration est entrée en vigueur le 8 août 2009. Elle se voudrait en pointe juridique de l’ Europe pour l’aggravation des atteintes au droit des personnes. Plus que jamais la « libre circulation » ne concerne que les sociétés multinationales et les finances.

Les articles cités montrent comment ce qui intéresse au plus haut point les gouvernants d’Europe depuis une centaine d’années n’est pas le respect des droits humains et de la dignité des migrants. C’est l’utilisation et l’exploitation éhontée de main d’oeuvre à bon marché, de « chair à canon » dans ses guerres, et d’appoint démographique pour relever son taux de natalité.

L’ITALIE POURCHASSE LES IMMIGRÉS

OBSESSION XÉNOPHOBE

La loi controversée de la Sécurité, qui configure le crime d’immigration irrégulière et réglemente les patrouilles de citoyens, est entrée en vigueur le 8 août, avec la publication des textes d’application au quotidien officiel.

Dorénavant tout immigré clandestin est passible d’amendes entre cinq mille et 10 mille euros et à un maximum de six mois de détention dans des centres d’identification et d’expulsion (ndlr: le délai était précédemment de deux mois).

Quant aux personnes qui hébergent des immigrés clandestins, gracieusement ou moyennant un loyer, ceux-ci encourent une accusation de crime passible de trois ans de prison.

Les immigrés doivent présenter leur titre de séjour chaque fois qu’ils nécessitent un service de l’Administration Publique, et les fonctionnaires, à l’exception des médecins et des directeurs d’établissements d’enseignement, sont obligés de dénoncer les sans-papiers.

Néanmoins, la version finale du projet xénophobe, un outrage à la dignité humaine, a souffert quelques modifications qui, tout en maintenant son essence, atténue certains de ses effets immédiats.

L’un d’eux, concernant les parturientes immigrées qui, contrairement à ce qui était initialement prévu, peuvent maintenant enregistrer leurs enfants sans avoir à présenter leur titre de séjour.

Rappelons que, selon le projet présenté par le gouvernement de Silvio Berlusconi, les femmes sans-papiers pouvaient êtres séparées de leurs enfants, ceux-ci étant livrés aux services de l’État.

A présent, la législation considère suffisante la présentation de l’autorisation provisoire de six mois octroyé après l’accouchement afin d’enregistrer les nouveaux-nés.

La deuxième modification concerne la garantie donnée par les autorités aux sans-papiers employés dans les services domiciliaires qu’ils ne seront pas objet de persécutions et qu’ils bénéficieront d’une procédure extraordinaire de régularisation.

Pour cela, les employeurs devront faire la preuve de la nécessité de leurs services.

Conformément aux déclarations du ministre des Activités Productives, Claudio Scajola, la régularisation extraordinaire devra également être élargie à d’autres catégories d’immigrés clandestins, de manière à assurer la main d’œuvre nécessaire aux différents secteurs de l’économie.

Pays militarisé

Dans ce paquet législatif est également inclus le règlement de la constitution controversée de patrouilles de citoyens, soutenue par le ministre de l’Intérieur, Roberto Maroni, d’extrême droite.

Essayant de diminuer les craintes sur la résurgence des troupes fascistes, le gouvernement a stipulé que les «volontaires» ne peuvent pas disposer d’uniformes, mais seulement de gilets fluorescents, qu’ils ne peuvent pas utiliser des armes ou des chiens et que chaque équipe est limitée à cinq personnes. En outre, les membres de cette équipe doivent avoir plus de 25 ans et un casier judiciaire vierge et ne peuvent exhiber des liaisons explicites à des partis politiques ou des claques de football.

Ces groupes, qui dépendent de l’initiative municipale, rejoindront les effectifs de la Police et de l’Armée qui patrouillent déjà dans les grandes villes. Récemment, le Gouvernement a élevé à 4250 soldats le contingent de militaires au service de la sécurité publique.

Jornal Avante! nº 1863, du 13/08/2009.

Traduction du Portugais de SN


L’ITALIE LÉGALISE LES IMMIGRÉS

Peu de jours après l’approbation de la loi qui criminalise l’immigration irrégulière, le Centre d’Études Sociales italien, Censis, a révélé qu’il existe près d’un million et demi d’immigrés dans le pays qui travaillent comme employés domestiques et prêtent assistance aux personnes âgées.

Dans cette énorme masse de travailleurs, 71.6 pour cent ne sont pas régularisés, ce qui a obligé le gouvernement à annoncer un processus spécial de légalisation, entre le 1er et 30 septembre, qui pourra inclure 750 mille «collaborateurs domestiques» qui prouvent être indispensables aux familles transalpines.

Jornal Avante! nº 1864, du 20/08/2009.

Traduction du Portugais de SN


VIOLENCE URBAINE EN FRANCE

COMME « LA RACAILLE » QU’IL DENONCE,
M. SARKOSI EST ISSU DE L’IMMIGRATION !

Étranges étrangers
Le poème ci-contre intitulé « étranges étrangers » de Jacques PREVERT -pour le lire: cliquez ici-, a été publié par les éditions Gallimard (Paris) dans le recueil de poésie « La pluie et le beau temps » et ce, exactement en 1955. Un demi-siècle déjà !

Or le texte garde toujours sa fraîcheur et surtout, son actualité. Certes, les quais de Javel dont le poète parle n’hébergent plus les usines Citroën ; celles-ci ont été transférées bien loin de Paris… cependant le contenu du poème nous a paru d’une grande utilité pour faire le lien avec la présente et brutale actualité, celle des banlieues parisiennes qui flambent… Ces jeunes desperados qui ont brutalement tant occupé les médias, n’ont-ils pas eu pour grands-pères et arrières grands-pères ces ‘Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel’ dont parle PREVERT ? Bien sûr que oui. Et dans ce cas, pouvaient-ils rester indifférents aux provocations de ce ministre de l’intérieur du gouvernement français, l’inquiétant Nicolas Sarkosi. Peut-être faudrait-il présenter d’abord ce personnage aux lecteurs d’Alger Républicain.

M. SARKOSI est issu d’une famille hongroise ayant émigré vers l’hexagone en 1945, comme ce fut d’ailleurs le cas d’Yves MONTAND, issu lui d’une famille italienne (là s’arrête la similitude, parce que si notre vedette de la chanson et du cinéma est d’origine ouvrière, celle de ce ministre de l’intérieur de la France républicaine peut être définie comme émanant d’un milieu assez privilégié …). Le frère de Sarkosi, est d’ailleurs membre dirigeant de l’organisation patronale française (ex-Medef), étant lui-même industriel dans le textile…

Ayant habité Neuilly-sur-Seine, référence sociale par excellence, les enfants Sarkosi ne risquaient pas de se frotter aux autres quartiers du Paris populeux et, encore moins, des banlieues environnantes aussi peu hospitalières les unes que les autres….

Pour aller au plus pressé, c’est-à-dire ce qui nous intéresse, il faut signaler que Sarkosi eut la chance, ou l’opportunité –qu’il ne laissa évidemment pas passer- de côtoyer MM. Edouard BALLADUR et Charles PASQUA ; le premier, né en Turquie, est issu d’une famille de financiers qui émigra en France (et débarqua à Marseille en 1935) ; le deuxième, pur-sang corse, lesquels citoyens de cette bienheureuse île, jaloux de leur identité, n’hésitent pas à activer dans les mouvements autonomistes, indépendantistes et autres ; leur affinité était telle qu’on rencontra Pasqua témoin au premier mariage de Sarkosy. Ces deux importantes personnalités politiques de la bourgeoisie française, c’est-à-dire de droite, comme on dit, ont principalement pour dénominateur commun, celui d’être résolument anti-chiraquien, et de ne pas hésiter à chasser sur les ‘platebandes’ de l’électorat LE PEN.

C’est ainsi que Balladur et Pasqua lui servirent de mentors en quelque sorte, puisqu’ils l’ont pris sous leur protection éclairée en vue de lui faire conquérir la présidence de la République (on se rappelle que, précédemment, en 1995, Balladur avait échoué face à Chirac dans la course à l’Elysée, malgré le soutien actif de ses amis Sarkosi et Pasqua …). Sarkos, Balladur et Pasqua forment une équipe de « copains et de coquins ». N’a-t-on pas vu, récemment, M. Pasqua lui laisser en héritage le conseil général des Hauts-de-Seine qu’il présidait depuis des lustres ? Quant à la mairie de Neuilly sur Seine, circonscription résidentielle, l’élection au poste de 1er magistrat confirmait invariablement, depuis 1983, M. Sarkosi, que c’en est devenu une formalité pour notre personnage…

L’inconvénient c’est que la France, en matière d’émigration, n’est pas habitée que par des citoyens du type cité (Sarkosi, Balladur, Pasqua), loin de là. L’immense, l’écrasante majorité est issue de ses anciennes colonies africaines et asiatiques.

En ce temps-là, l’Occident qui s’industrialisait au pas de charge, avait un besoin pressant d’une très nombreuse main-d’œuvre, docile et corvéable à souhait. A ce propos, une petite parenthèse pour citer l’historien René Galissot qui nous apprend qu’en 1922, les huileries de Marseille étant en grève, les autorités françaises firent venir en urgence de la main d’œuvre issue de Grande-Kabylie… C’est à partir de cette époque que l’émigration algérienne en France fût suscitée, voire provoquée…

L’Europe, et principalement la France, avait également besoin, pour faire face aux deux guerres mondiales, d’une très grande quantité de chair à canons issue de ses nombreuses colonies (tirailleurs, tabors, etc.)

Enfin, l’Occident à présent s’aperçoit que sa démographie périclite dangereusement. Sans le déclarer publiquement, les dirigeants de la rive Nord de la Méditerranée sont obligés d’ouvrir les portes à l’émigration issue de la rive Sud, comme on le dit prudemment, et ce, afin de bénéficier des fruits de la généreuse procréation de ces millions d’Arabes, d’Africains et d’Asiatiques ! Pensez donc, la France, comme la Suisse, comme l’Italie, comme l’Espagne, comme le Portugal, comme l’Allemagne, etc. sont irrémédiablement menacées, à court terme, de rentrer dans un cycle assez préoccupant de dépérissement, le renouvellement de la population n’étant plus assuré (la population vieillissant de plus en plus et les naissances se faisant de plus en plus rares).

Malheureusement, malgré sa nécessité, cette émigration ne fut ni gérée correctement ni, encore moins respectée. Pour abréger nous avons à présent le tragique spectacle diffusé généreusement par les chaînes de télévision. Pour M. Sarkosy c’est l’aubaine souhaitée pour ne pas dire provoquée ; que voulez-vous, les carrières politiques dans ce monde dit «libre» et «démocratique», ces carrières politiques pour aboutir, n’empruntent pas souvent un chemin céleste, celui de la transparence et du fair-play. Leur philosophie a toujours été que la fin justifiait les moyens. Point à la ligne. Ça peut vous donner froid dans le dos, mais c’est ainsi. Si vous osez avancer quelque objection que ce soit, vous êtes broyés ; inexorablement laminés. C’est le fameux ‘kärcher’ de Sarkos-la-racaille qui intervient. Ce faisant, les réflexes sécuritaires joueront à fond auprès des populations, même laborieuses , et lors des élections prochaines sera récolté le vote souhaité et attendu, c’est-à-dire massif…

Bien sûr on pourra nous rétorquer qu’il y a tout de même des efforts qui ont été faits, des mesures positives prises, en vue d’une intégration devenue problématique. On nous citera pour cela des exemples édifiants, prometteurs, annonciateurs d’ouvertures etc. Les médias nous gaveront de quelques réussites exemplaires : M. Hamlaoui Mekachera, comme ministre des anciens combattants, lui qui aurait fait carrière, semble-t-il, dans la gestion hospitalière de l’armée; M. Azouz Begag, sociologue et romancier, ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances, désigné parce qu’il est issu des banlieues, parce qu’il est fils d’ouvrier maçon à Villeurbanne, et parce qu’il a grandi dans cette municipalité communiste; M. Mohamed Arkoun, éminent professeur d’Université, spécialiste de l’ Islam et du dialogue avec le Vatican ; Madame Assia Djebar « élue » récemment à l’Académie Française, parce qu’en tant que femme d’Algérie, elle symboliserait l’impact de la culture française dans ce pays et au-delà ; M. Zinedine Zidane, celui qui a eu le mérite de ressusciter le football français, en l’élevant à un niveau international, etc.

Mais que représentent quelques arbustes dans une forêt de 4 à 5 millions d’immigrés, de vrais arbres cette fois-ci ?

Ould Sidi-Rached

Tunis, les 19 et 21 novembre 2005

publié le 06 décembre2005

HACÈNE BENRAHAL NOUS a QUITTÉS

Alger républicain (en ligne) a annoncé le décès d’un de ses anciens rédacteurs, Hacène Benrahal.
Il était venu au PCA avec la vague ardente des jeunes conscients des nouvelles tâches de libération sociale et culturelle dans une Algérie fraîchement indépendante. Il était la modestie et l’abnégation personnifiées, cachant sous un sourire timide et amical une résolution et une compétence maintes fois confirmées.
J’oserais dire qu’il a représenté comme tant de ses camarades, le type de militants qui ont fait la fierté du PAGS, honnêtes, désintéressés, bravant dans la discrétion les difficultés d’une vie austère. Actif dans l’organe de presse qui jouissait d’une considération méritée dans le pays, il n’y avait rien en lui qui rappelât l’image de « l’apparatchik » distant et fier. Il vivait son militantisme avec l’état d’esprit et la mentalité du citoyen ordinaire conscient de ses devoirs.
Son histoire est aussi celle d’un engagement familial, comme celui de son père, ancien syndicaliste CGT. Il est significatif de la culture politique de nombre de militants issus de Constantine, au confluent des traditions islamiques progressistes de Benbadis et des luttes du mouvement ouvrier, notamment cheminots de cette région. Ses deux sœurs ont vécu un engagement similaire dans l’univers culturel algérien où la langue arabe avait repris sa place. Bouba, prématurément décédée, était une militante résolue, liée aux masses dans les luttes pour les libertés et pour les droits des femmes notamment les plus déshéritées. Yamina, quant à elle a assumé en langue arabe (avec d’autres) la frappe et mise en page du premier au dernier des numéros de Saout Ach Chaab clandestin dans sa version arabe, malgré une santé fragile et dans des conditions matérielles exceptionnellement pénibles.

S.H

L’un des rédacteurs d’Alger rep (entre l’indépendance et le coup d’Etat de Juin 1965), A.Noureddine, a dressé avec émotion un portrait du disparu

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Hacène Benrahal est retourné à Constantine, sa ville, pour partir dans la discrétion et la dignité, comme il a toujours vécu.

Il a vécu à Alger (à Alger républicain), El Harrach (en prison), à Dellys (avant que l’usine de chaussures de l’entreprise publique Emac ne soit sabotée par les terroristes islamistes) puis à Batna dans la même entreprise, enfin à Blida dans la ville de son épouse, avant de rejoindre sa ville de Constantine, il y a quelque semaine pour s’éteindre le 20 septembre, terrassé par des difficultés respiratoires. Il était passé de la cigarette à sa fameuse pipe, sans arrêter de fumer, comme ont réussi à le faire bon nombre d’entre nous, ses camarade d’aventure !

En effet, il avait rejoint la grande aventure d’Alger républicain en 1963, avec l’autre constantinois Bouzid, accompagnés par William. Il devint journaliste comme nous tous, dans la grande école du journal avec des aînés chevronnés comme l’on n’en fait plus aujourd’hui Henri, Boualem, Hamid…Il s’intégra rapidement à la rubrique internationale avec un sérieux exemplaire. Pince sans rire et d’une grande camaraderie il se retrouva adopté rapidement dans notre groupe des nouveaux d’Alger rép, ceux qui avaient entre vingt et trente ans!

Il put ainsi passer rapidement de la rédaction des dépêches aux commentaires de l’actualité internationale avant d’aborder les reportages.

Il se rendit au Soudan dirigé par Numeiri et obtint une magnifique interview de Madjoub, secrétaire générale du Parti communiste soudanais. On sentait déjà à l’époque que les étroitesses antidémocratiques et anticommunistes du pouvoir en place fragilisaient le pays pour en faire une proie facile pour l’émergence d’intégristes comme Tourabi ou dictateur comme El Bachir … pour faciliter les ingérences impérialistes et amener le chaos et la famine dans un pays aux potentialités immenses, capable de nourrir toute l’Afrique!

La sortie de Hacène sur le terrain fut suivie par celle de Mouloud Djazouli dans les maquis d’Angola, les militants du MPLA poussaient le colonialisme portugais vers la mer. Mon propre départ vers les maquis vietnamien fut stoppé net par le coup d’état du 19 juin 1965.

Léquipe du journal refusa de se soumettre au dictat du nouveau pouvoir.

Comme de nombreux militants du Parti Communiste Algérien (PCA) Benrahal se retrouva, avec d’autres militants progressistes du FLN, arrêté et torturé en septembre 1965 avant de se retrouver à la prison d’El Harrach avec ses compagnons de résistance!

Une autre partie de l’équipe d’Alger rép fut contrainte honteusement à l’exil par les nouveaux maîtres de l’Algérie. Une autre partie de l’équipe fut contrainte à la clandestinité.

J’en faisais partie et c’est pourquoi je ne revis pas Hacène pendant plus de vingt ans, ou pour être plus précis je le revis une fois quand après un rendez-vous clandestin nos routes se croisèrent. Nous ne nous parlâmes pas, mais je garderais toujours le souvenir du regard fraternel et solidaire que me lança en passant Hacène.

Je me suis posé la question comment a-t-il pu rester à Dellys livrée à la terreur des hordes islamistes. Du courage il en fallait pour vivre et travailler dans une ville pour un militant de progrès. Quand Mahfoud Saidi, responsable commercial de l’usine EMAC de Dellys fut traîtreusement assassiné, il ne put être enterré sur place ou à Jjijel la ville de ses parents. Il a fallu que ses camarades d’Alger organisent ses funérailles à Garidi !

C’est que Hacène a été à l’école de son père; Patriote qui ne réclamera jamais la carte d’ancien moudjahed, homme de progrès, ancien syndicaliste cheminot de la CGT qui, en même temps qu’il léguait à ses enfants une couleur qui n’a rien à envier aux plus belles dattes de Biskra, a formé ses mêmes enfants dans le sens de la lutte et la dignité, comme Bouba disparue prématurément ou Yasmina qui a consacré dans la clandestinité et l’anonymat 20 ans de sa vie à la confection de Saout ech-chab, organe central du PAGS historique !

(24 septembre 2009)

A. Noureddine

INTERVIEW DE KHALED MESHAL, RESPONSABLE DU HAMAS


interview de Khaled Meshal, responsable de Hamas

pour le texte intégral cliquez ici, sur le site de Michel COLLON;

par Ken Livingstone, ancien maire de Londres, qui éc rit notamment:

Au Moyen-Orient, la paix ne peut être réalisée que par des discussions entre les représentants élus , tant des Israéliens que des Palestiniens, à savoir le Hamas – qui a remporté les dernières élections parlementaires palestiniennes avec une importante majorité – ainsi que le Fatah.

Cela ne veut pas dire que je sois d’accord avec les vues du Hamas, du Fatah ou du gouvernement israélien. Loin de là : je ne suis pas d’accord. Par exemple, je crois qu’un certain nombre de passages de la charte originale du Hamas sont inacceptables et devraient être rejetés.

Beaucoup d’observateurs pensent que ce point de vue est partagé par certains membres du Hamas. Pourtant, de l’avis de trop de gens, le Hamas reste opaque en tant qu’organisation . Ce qu’ils en savent provient de médias hostiles ; le Hamas n’a pas de visage. La plupart des gens pensent probablement que son dirigeant est un personnage dérangé du genre Osama Bin Laden.

De fait, les partisans d’Al Qaida à Gaza sont tellement hostiles au Hamas qu’ils lui ont déclaré la guerre. Pour ces raisons, j’ai pensé qu’il était important d’interviewer Khaled Meshal, dirigeant de facto du Hamas qui vit en exil en Syrie.

Pour lire l’article en entier, cliquer ici …

LA CONTRIBUTION TOUJOURS ACTUELLE DE « IDIR EL-WATANI » (1949) AU DÉBAT NATIONAL

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(Comme annoncé dans la lettre d’information de la mi-septembre 09, nous poursuivons en ce 60ème anniversaire de la crise de 1949, la publication des textes susceptibles d’éclairer cet épisode du mouvement national)

Chers amis,

Vous comprendrez les causes multiples de l’émotion que j’éprouve en contribuant à ce colloque. Le thème se rattache à un épisode du mouvement national qui, à mes vingt ans, a marqué profondément mon engagement politique ultérieur et ma philosophie de la vie.

Mais l’émotion n’empêche pas l’effort de sérénité et de rigueur auquel nous convie le problème qui nous réunit.

Permettez moi de dire seulement que si ceux qui ont vécu l’épreuve pénible de 1949 puis assisté à tant de gâchis et de temps perdu, se laissaient aller à des sentiments faciles, qui évidemment n’ont pas lieu d’être, ils suggèreraient des poursuites rétroactives pour atteinte à la Constitution de 1996 envers tous ceux qui depuis des décennies n’avaient cessé de nier que l’amazighité puisse devenir une des valeurs reconnues et dynamiques de l’entité nationale.

Il est évidemment préférable pour tous et pour notre avenir national, de dépasser les rancoeurs et poursuivre l’effort collectif de lucidité et d’union. Il vaut mieux, en ces temps de pessimisme justifié, constater avec réconfort que les sociétés poursuivent, malgré les haut et bas tragiques, leur lent et sinueux travail sur elles-mêmes, et que finissent souvent par reculer les tabous les plus enracinés. Te souviens-tu, Aït Amrane, il y a cinquante cinq ans, pour faire écho à la belle certitude du poète tunisien Aboul Qassem Ach-Chabbi « idha chaâbou yaouman arada l hayat… » nous chantions avec toi le chant d’espoir que tu avais composé : « ik yehwan tighwzifedh a yidh, azeka d yawi tafat” « nuit, tu auras beau être longue, demain apportera la lumière »?

Mais l’Histoire nous a appris aussi que quand les humains, obéissant à des intérêts étroits ou des préjugés, se mettent à violer et forcer artificiellement les données naturelles ou souhaitables des évolutions sociales, les sociétés et leurs institutions en sont gravement punies. Elles n’en guérissent pas tant qu’elles n’ont pas remédié aux racines de leurs déboires. Nous en sommes là. Quelles orientations favoriseront le mieux le travail de nos sociétés sur elles-mêmes, pour que le rythme et la qualité des transformations correspondent aux aspirations légitimes ?

Compte tenu d’e l’actualité dramatique qui s’est acharnée sur notre pays depuis trop d’années, le thème proposé pour ce colloque pourrait tout aussi bien se ramener à la question cruciale suivante : quelles sont les convergences à réaliser pour sauver l’Algérie, en tant que Nation, du mal qui a commencé à la ronger il y a quelques décennies ?

Poser la question ainsi n’a rien d’une négation de la vigueur avec laquelle cette jeune nation s’est affirmée il y a un demi-siècle à travers des épreuves inouïes. Mais malgré des atouts humains et matériels énormes, le processus de développement national a montré une vulnérabilité que les plus pessimistes d’entre nous n’auraient pas imaginé, même après les premières crises qui ont suivi l’indépendance. L’Algérie continue à chercher ses repères. Certains courants ont cru les trouver dans l’aiguisement de références identitaires exclusives les unes des autres. Cette pratique a conduit à des résultats pour le moins discutables, à des impasses tragiques ou des tendances centrifuges pour le destin national.

Comment rendre viable et vivable pour tous une Nation en laquelle l’ensemble des nationaux, dans leur diversité, se reconnaîtraient et trouveraient leur intérêt ? Le temps des vraies solutions presse. La mondialisation en cours, fondée sur la triple hégémonie de la finance, des armes et des grands media, sera de plus en plus impitoyable pour les peuples affaiblis et divisés.

Parmi les multiples éclairages possibles, j’ai choisi celui de la crise du PPA-MTLD de 1949. Je n’aborderai pas ici les enchaînements factuels de cette crise. Je ne sous-estime pas leur éclairage, ils font l’objet de plusieurs de mes publications précédentes et d’un ouvrage à paraître. La genèse et le déroulement des événements de 1949 m’ont paru être la matrice et le prototype des crises qui ont continué à frapper le mouvement national, y compris dans ses moments ascendants. Mais ce champ est trop vaste pour être survolé dans cette intervention.

J’ai préféré centrer l’attention sur un document capital de cette crise, que vous pouvez aujourd’hui consulter dans son intégralité, grâce à une chaîne de hasards et surtout d’initiatives et d’efforts tenaces et désintéressés qui l’ont sauvée de la disparition au cours du demi-siècle écoulé. Il s’agit de la brochure “ l’Algérie libre vivra ” , signée de Yidir el Watani, pseudonyme collectif des trois rédacteurs : Mabrouk Belhocine, Yahia Henine et moi-même. Le document se voulait au départ non une profession de foi mais une plate-forme pour la discussion avec la direction et tous les milieux nationaux en mesure de contribuer à une réflexion plus large Je viens d’apprendre sa réédition dans cette même capitale où l’édition originale semi-clandestine il y a cinquante ans fut la cible aussi bien des colonialistes que de certains cercles nationalistes, dans le but de la faire disparaître sans laisser de trace.

Je voudrais à ce propos rendre hommage à trois maillons de cette chaîne de solidarité patriotique et démocratique particulièrement réconfortante, dans cette question où les esprits malveillants s’efforcent d’introduire le venin de la méfiance ethno-linguistique. Ceux qui ont permis la préservation de ce document historique sont tous des arabophones, ils aiment la langue et la culture arabe, ils ne connaissent pas un mot de kabyle, à part peut être tamazight et a vava inouva. Ils ont agi en connaissance de cause, par esprit civique et conviction patriotique. Le premier maillon, en Juillet 49 si je me souviens bien, en tout cas par une chaleur étouffante, c’est trois membres de l’OS, mes compagnons de lutte de Larbâa, tous trois “ chaâbiyin ”, deux du niveau de l’école primaire française et le troisième, le plus responsable, seulement de l’école coranique. Nous avions ensemble depuis des années des discussions franches et confiantes dans lesquelles j’apprenais autant qu’ils apprenaient, ils étaient eux aussi insatisfaits des ambiguïtés, flottements et méthodes de la direction. De longue date, nous partagions la même conception de la nation, de la lutte révolutionnaire et des méthodes de débat ouvert au sein du parti. Ils m’ont laissé le souvenir inoubliable de cette fraternité de lutte qu’ont connue d’innombrables militants de ma génération.

Ils ont emmené les sacs de brochures en un lieu sûr dans la Mitidja après que nous en ayons pris livraison quelques heures plus tôt que prévu. Fort heureusement, car des commandos dépêchés contre nous se sont présentés à l’heure dite devant l’imprimerie, trop tard pour eux, et se sont rabattus ensuite à sa recherche au Foyer des Etudiants qu’ils ont dévasté, puis à l’atelier de tailleur du malheureux Si Djilani, ancien de l’Etoile Nord Africaine, dont ils ont éventré les matelas. Si l’heure de la livraison n’avait pas été changée, j’aurais subi le même sort que subira cinq ans plus tard devant la même imprimerie en Octobre 1954 le chauffeur de la fourgonnette du MTLD, qui eut un bras brisé et la camionnette détruite. Il était venu prendre livraison du numéro de La Nation Algérienne, organe des centralistes (dont plusieurs des dirigeants étaient alors ceux qui avaient lancé les commandos contre nous en 49). Ironie de l’Histoire : ce numéro de la Nation auquel un commando messaliste s’était attaqué, reproduisait pour son propre compte, et sans citer la source, des passages entiers de notre brochure, concernant le Nationalisme et la Démocratie, sans mentionner le troisième axe, l’orientation révolutionnaire.

Fort heureusement, l’Algérie n’a pas manqué de citoyens sages, généreux et non déformés par l’étroitesse partisane. Le deuxième maillon du sauvetage de ce document historique a été l’ancien député MTLD Djilani Embarek, arabophone nationaliste, qui retrouvant un exemplaire l’a remis à Mabrouk Belhocine dans les années 80. Et, après que ce dernier ait, semble-t-il, espéré sa reproduction dans une revue berbère de l’époque, c’est encore un autre arabophone, internationaliste cette fois, Mohammed Harbi, qui l’a sauvée de l’oubli en la publiant dans la revue Soual N° 6 en 1987.

En survivant et permettant aujourd’hui des échanges plus sereins, la brochure a eu plus de chance que ses deux initiateurs, Ouali Bennai et Ammar Ould Hammouda. Ces pionniers reconnus et respectés de la lutte nationale, ne pourront pas témoigner ni s’expliquer devant vous. Ils ont été odieusement assassinés sept ans après la crise, uniquement en raison de leurs convictions et à ce jour non encore officiellement réhabilités. Il est en tout cas regrettable que les pourfendeurs de “ séparatistes ”, à défaut de les avoir entendus quand il était temps, ne serait-ce que pour leur demander des comptes, n’aient pas songé à se référer à ce document capital, dès sa naissance ou après qu’il ait été opportunément exhumé par la revue Soual. N’auraient-ils pas dû, en bonne logique, faire figurer cette “pièce à conviction” en première place dans le dossier du procès en sorcellerie intenté aux “berbéro-matérialistes” ?

Brochure à l’appui, ma communication sera donc centrée sur le point suivant : Quelles orientations défendait en 1949 au sein du PPA-MTLD, le courant qui se définissait triplement, comme algérianiste, révolutionnaire et démocratique?

Pour gagner du temps, je vous éviterai un résumé commenté des préoccupations de principe qui nous ont guidés dans sa rédaction et de plusieurs citations clefs qui expriment avec une grande précision ces orientations. Elles font justice de façon circonstanciée, des calomnies qui ont été déversées sur nos positions, au point que ‘en avais été impressionné en relisant ce texte il y a vingt ans. Ces rappels importants figurent dans le texte imprimé de mon intervention qui vous a été ou vous sera distribué, sous les intertitres suivants: “ la nation algérienne dans l’Histoire moderne ”, “ pourquoi l’Algérie algérienne ? ” et “ qu’en est il de nos valeurs identitaires ? ” Je consacre donc la suite de mon intervention à d’autres commentaires, liés à la problématique de ce colloque sous l’éclairage de la crise de 49.

DISSIPER les MALENTENDUS, les CONFUSIONS et la DESINFORMATION

Je vous ai parlé de courant algérianiste, nationaliste algérien et non pas berbériste ou berbéro-nationaliste, comme cela est dit parfois avec de bonnes intentions. Ces dernières formulations sont des approximations faciles mais déphasées de l’histoire réelle, qui favorisent les interprétations inexactes et partiales. Aucun militant, je le souligne, même parmi les plus férus de culture berbère, n’a revendiqué à cette époque un projet ou un concept politique fondé ou centré sur la défense et la promotion de la SEULE amazighité. Qui a utilisé en 1949 le terme de berbérisme ? Uniquement des membres de l’appareil de direction du MTLD à des fins polémiques. Ils l’ont utilisé dans un sens qu’ils voulaient péjoratif, quand ils ont préféré, au lieu des explications et du débat général souhaités par de larges secteurs du parti à travers toute l’Algérie, procéder à une diversion envers les cadres contestataires, ceux qui les avaient le plus dérangés par leur franchise, dont la plupart militaient en Kabylie ou en étaient originaires.

Historiquement, pour 1949 et jusqu’à 1963, c’est un anachronisme de parler de berbérisme dans les multiples acceptions et formes qu’a pris de terme plus tard, quand des courants politiques et idéologiques se sont cristallisés, revendiqués et recentrés comme tels dans les nouvelles conditions politiques, idéologiques et culturelles de l’indépendance. Quant à qualifier de berbéristes des activités ou des aspirations culturelles berbérisantes normales et légitimes, en leur prêtant une signification politique qu’elles n’avaient pas et ne pouvaient pas avoir, c’est tout simplement ne pas connaître le contexte et les militants des années quarante, ou les croire capables de comportements fous ou suicidaires. Que s’est-il donc passé pour ceux des dirigeants du parti qui se sont affolés devant une contestation que, dans leur mentalité habituelle et le climat de luttes entre factions, ils ont attribuée à un complot visant à les déboulonner (n’oublions pas les luttes sourdes comme celle qui opposait Lamine Debbaghine à Messali et auxquelles nous étions étrangers). Ils ont saisi la perche tendue par les intoxications de la presse colonialiste pour se débarrasser d’adversaires politiques emprisonnés (comme par hasard) et dans l’impossibilité de se défendre.

A l’époque, nous avions été sidérés du fait que pour des raisons politiciennes, l’appareil du parti ait eu recours de façon aussi grossière à un argument qui ne collait en aucune façon avec le climat du pays et qui surtout était lourd de graves retombées psychologiques et politiques. Quel était ce climat, qui brusquement s’est trouvé pollué par des insinuations aussi perfides et la mise en branle de méfiances et conflits sans principe?

Comme me le rappelait à juste titre Mahfoud Kaddache, dans le mouvement scout, chacun chantait et s’exprimait dans la langue qu’il voulait et qu’il pouvait, tandis qu’à Larbâa ou El Harrach, Ekker a miss en Mazigh et Min dijibalina soulevaient ensemble le même enthousiasme dans tous les publics confondus. Les langues étaient différentes mais elles véhiculaient un langage national commun d’une grande force, l’espoir de l’indépendance.

A l’AEMAN d’Alger entre 1946 et 1948, chacun venait avec le bagage de son milieu, de sa formation et de son itinéraire antérieurs pour en enrichir la cause nationale à travers des débats animés mais fraternels pour lesquels, je m’en souviens, M’hammed Yazid [voir en document joint [pdf-3.jpg “M’HAMED YAZID, LE COURAGE ET L’HONNÊTETÉ” hommege rendu par Sadek HADJERES, à M’Hamed Yazid, au moment de son décès en 2003.]]
au boulevard Baudin (aujourd’hui Amirouche) et Ben Bella au Foyer de la Place de la Lyre qui y assistaient, avaient tenu à nous en féliciter. Pourquoi un autre responsable, Me Kiouane, qui dans un ouvrage a parlé positivement de ces débats, y compris en me citant comme en ayant été un organisateur, a-t-il plus tard fait l’éloge des méthodes de caporalisation, à partir du moment où la section étudiante du PPA, à la quasi unanimité, a refusé son parachutage et celui de ses méthodes ? Pourquoi en est-il venu par gloriole populiste à faire l’éloge des commandos punitifs, auxquels il s’honore d’avoir participé contre les malheureux clochards et alcooliques invétérés, ces mêmes commandos qui viendront dévaster le Foyer de La Lyre dont nous interdisions l’accès même à la police colonialiste.

Ce sont les mêmes commandos qui dresseront à Bab el Oued un guet apens au jeune avocat Mabrouk Belhocine qui, de ce fait, le visage défiguré, n’a pu pendant plusieurs jours aller défendre au Tribunal les nationalistes emprisonnés, pour lesquels il dénonçait vigoureusement les sévices et les intimidations que leur avaient infligés les autorités coloniales.

Les méthodes antidémocratiques ont commencé à creuser un fossé profond entre la section étudiante et la direction qui s’est mise à utiliser des méthodes obliques au lieu des orientations nationales fermes, véritablement unitaires et soustraites aux aléas des rivalités de clans et de chapelles bureaucratiques. Ils ont encouragé les dérives malheureuses de quelques étudiants de leur clientèle, qui, abandonnés à leurs impulsions et aux sollicitations démagogiques, ne mesuraient pas les conséquences lointaines de leurs actes. En 1948, un fait nous a surpris et littéralement glacés, lorsqu’à un gala de l’AEMAN, quelques irresponsables se croyant couverts “plus haut” ont voulu à la sauvette et à l’insu de la section PPA étudiante, enlever du programme le chant “Ekker a miss en Mazigh” qui faisait trois minutes, sur une soirée arabophone et francophone qui durait trois heures.

Les années suivantes en milieu étudiant m’ont convaincu de l’inconsistance des procédés qui visaient à opposer l’arabité et l’islam à une conception ouverte des problèmes culturels, dans le seul but de couvrir des méthodes autoritaires. Alors que les frictions identitaires s’aplanissent plus facilement dans un climat de réelle démocratie.En 1950, l’année qui a suivi la crise, j’ai été élu à la quasi unanimité comme président de l’AEMAN alors que les étudiants étaient informés de mes positions. J’ai gardé à ce jour des souvenirs et des relations cordiales avec les étudiants de l’institut d’Etudes islamiques dont nombreux avaient une conception ouverte de l’islam et de l’arabité. Ce qui a unis alors les étudiants, au grand mécontentement des quelques bureaucrates de la direction du parti, c’est , sur le terrain de l’élan patriotique qui s’amplifiait, un climat démocratique et de réalisations sociales dans le fonctionnement de l’association, en rupture avec les méthodes hégémonistes précédentes. Désormais, la direction de l’association était assumé de façon unitaire entre les représentants des différents courants nationaux, la présidence devenait tournante et les décisions importantes étaient soumises aux assemblées générales de la base, qui bénéficiaient aussi d’une pratique de comptes-rendus systématiques. L’association prospérait grâce à l’union dans la diversité et malgré les problèmes, tandis que le MTLD s’enfonçait dans des crises à répétition dont on connait la suite.

Par le procédé de l’amalgame, pour ne pas employer un terme plus fort, on avait donc voulu accabler le groupe informel des contestataires. Ils étaient effectivement en majorité berbérophones, mais deux choses sont vérifiables et significatives. On n’a pas assez prêté attention au fait que plusieurs des jeunes étudiants du groupe qu’on a appelé de Ben Aknoun étaient des arabisants de haut niveau pour l’époque (l’un d’eux sera plus tard un ministre du culte musulman). Et surtout leur vision nationale algérienne et leurs positions ouvertement exprimées ne se sont jamais réduites à un repli culturaliste. C’est même le contraire, leur vision nationale soulignait l’ouverture sur toutes les valeurs, toutes les cultures d’Algérie sans exception. Je ne vous étonnerai pas en rappelant que le renouveau culturel amazigh ne s’est pas nourri seulement aux sources des historiens latins qui nous ont fait connaître leurs propres ennemis, nos compatriotes Massinissa et Jughurta, (la propagande française se gardait bien de les mentionner). Il s’est alimenté aux sources de Ibn Khadoun et Tewfiq El Madani qui nous ont fait connaître en arabe le socle berbère de l’histoire et de la civilisation islamo-maghrébine et méditerranéenne. C’est cette ouverture culturelle de notre nationalisme qui dérangeait les partisans dune conception étroite et chauvine de la Nation, qui cherchait à fonctionner à l’exclusion de tout ce qui n’entrait pas dans leur modèle idéologique unilatéral. Le levier d’expression principal de cette conception était l’excommunication, une sorte de “takfir” à connotation à la fois politique, culturelle et religieuse. L’erreur fatale de la direction du MTLD à l’époque, a été de diaboliser un courant national unitaire qui cherchait à revaloriser une des dimensions historiques légitimes. Cette dimension culturelle amazigh était jusque là négligée. Cette lacune laissait justement le champ libre à toutes les tentatives de récupération, qu’elle soit coloniale ou locale réactionnaire et étroitement régionaliste. Il appartenait à la Nation de protéger et récupérer son bien, tous ses biens sans exclusive, en assumant une algérianité féconde et créatrice. C’était la meilleure façon de prévenir les dérives identitaires exacerbées, d’où qu’elles viennent.

Les berbérismes (au pluriel car il y en a toute une gamme), tout comme les autres expressions en “ismes”, arabismes, islamismes, etc, se veulent une façon de concevoir et promouvoir un héritage et des valeurs culturelles ou spirituelles. L’entreprise est positive ou négative selon le rapport tolérant ou non de ces conceptions envers les autres valeurs constitutives de la nation, et parmi elles la plus importante à mes yeux, la dynamique démocratique et sociale et l’ouverture aux valeurs universelles.

Dans tous les cas, à l’échelle du pays entier, “l’identitarisme” reste une approche partielle et vulnérable aux penchants hégémonistes. Cela ne veut pas dire que le nationalisme, qui se veut plus global, en est exempt. C’est le cas quand il croit, en se réclamant des meilleures intentions (unité, modernité ou respect des traditions etc.), pouvoir effacer l’un des socles culturels ou de civilisation de la nation, à la façon par exemple de la tentative kémaliste en Turquie.

Et chez nous en 1949, qui a cru pouvoir effacer quoi ? « L’algérianisme ” des contestataires de 1949 était-il national ou antinational ? Etait-il régionaliste, séparatiste, culturaliste ou pas ? Cela mérite un inventaire objectif. C’est le but des références commentées qui suivent et que je vous livre en plusieurs chapitres dans l’intégralité du texte imprimé qui vous est distribué.

LA NATION ALGERIENNE DANS L’HISTOIRE MODERNE

 Que disait à ce propos la brochure sur sa cinquantaine de pages ?

Le préambule de trois pages insistait sur l’inscription de notre lutte dans l’évolution universelle. Il soulignait qu’il était temps de passer d’une phase d’agitation et de mobilisation des sentiments à une phase de réalisation. La volonté d’agir était devenue exigeante. Elle cherchait ses voies dans un climat qui prêtait parfois au désarroi des militants face à des positions de la direction qui étaient ressenties comme ambiguës, notamment après les élections à la Naegelen, la grave défaite arabe en Palestine, les déclarations floues et contradictoires ou les silences de la direction sur les problèmes de l’union, les revendications sociales, la démocratie, la culture. Il devenait nécessaire d’appuyer la volonté de lutte massive sur une démarche élaborée et unifiée de libération totale, en priorité politique (liberté et démocratie), mais porteuse aussi d’un contenu social et culturel.

 Pourquoi avoir consacré la première moitié (23 pages) à exposer théoriquement les fondements objectifs de notre combat ?

Il nous semblait nécessaire de surmonter la multitude de représentations, de sentiments, de penchants idéologiques et d’inégalités dans les prises de conscience, qui parcouraient les rangs des patriotes. Cette diversité était normale. Mais pour qu’elle ne porte pas de risques de dispersion et de divisions, le mouvement national gagnait à en maîtriser et harmoniser les composantes autour d’un dénominateur commun.

L’opposition entre la nation algérienne et le fait colonial nous paraissait ce dénominateur commun objectif et sensible, présent dans la chair et dans l’âme de chaque Algérien. La brochure analysait les deux termes de cette contradiction.

Du coté nation, pour établir les critères de sa faisabilité et de sa cohésion à l’époque moderne, nous sommes partis de constats puisés dans l’expérience internationale, incluant le monde arabe et musulman. Le plus grand nombre de ces nations s’étaient formées et différenciées à partir d’ensembles ou d’empires, dont les habitants partageaient pourtant la même langue, la même religion et nombre de valeurs communes de civilisation et de culture.

On pouvait en conclure que l’appartenance ethnique, la communauté de langue et de religion, favorisaient souvent une protestation qui évolue vers les contours d’une revendication nationale. Mais ce facteur n’était pas exhaustif et seul en cause. La nation n’émergeait pas par simple reconduction ou juxtaposition des facteurs identitaires accumulés dans le passé. Il fallait à la fois souligner l’importance de ces facteurs et éviter dans le même temps de les hypertrophier sur un mode essentialiste. Ce dernier penchant commençait déjà à faire ses dégâts dans nos rangs nationalistes, allant jusqu’à substituer des visions purement identitaires à la globalité et à la nouveauté du phénomène national.

L’important était donc, comme l’ont souligné bien des théoriciens de la question nationale, une volonté politique de vivre et de réaliser ensemble, capable de faire de la diversité une richesse et une force, sur le socle des valeurs communes léguées par l’histoire.

Evaluant plus concrètement les données algériennes dans ce qu’elles avaient de favorable et de défavorable, le texte en déduisait que notre peuple constituait, malgré les entraves qu’il ne fallait pas se cacher, un candidat valable pour une existence nationale indépendante. La domination coloniale lui barrait la route.

Le fait colonial constituait en effet l’autre terme de la contradiction historique.

Il était analysé dans sa réalité d’entreprise d’oppression et d’exploitation. Les atteintes brutales ou sournoises à la langue, à la religion et à la culture des nationaux algériens, n’étaient pas seulement une expression de racisme idéologique. Elles étaient quant au fond, sous le paravent d’une prétendue mission de civilisation, les leviers d’une stratégie délibérée et dictée par les intérêts tout à fait matériels, visant à briser le facteur de résistance constitué par la personnalité culturelle et spirituelle des opprimés. L’entreprise coloniale souleva en effet des modes de résistance nouveaux. Dans certains secteurs, urbains notamment, ils ont commencé à transformer la personnalité de type communautaire en une conscience d’appartenance nationale plus adaptée aux temps modernes.

Pour Yidir el Watani et le courant dont il était le porte parole, la lutte du peuple algérien pour la liberté et la souveraineté nationale se justifiait non par les antagonismes de religion, de culture et de civilisation invoqués et exacerbés par les colonialistes, mais par le droit naturel et par le droit international, au vu de l’antagonisme objectif entre les intérêts légitimes de la nation algérienne opprimée et la nature oppressive et exploiteuse du colonialisme français.

C’est ce qui nous autorisait à conclure la première grande partie de la brochure par l’affirmation haute et claire: “Non, l’Algérie n’est pas française, elle ne peut et ne veut être française. L’Algérie n’est et ne veut être qu’Algérienne » .

POURQUOI: “ ALGERIE ALGERIENNE ” ?

La formulation exprimait avant tout notre volonté de promouvoir la Nation, face à une colonisation qui, tout en reconnaissant l’existence de Musulmans, d’Arabes et de Berbères, leur refusait le droit à une appartenance nationale.

Confrontons cette conception de l’algérianité à celle que quelques dirigeants nationalistes ont continué à nous prêter, en la dénaturant.

J’extrais néanmoins de cette partie les remarques suivantes, à propos d’une critique globale qui a été adressée à la conception d’Algérie algérienne.

Selon Benyoucef Benkhedda dans son ouvrage de la fin des années 80, la formulation d’Algérie algérienne “ne veut rien dire au fond”, et “ne peut se comprendre que comme une tentative d’escamoter la personnalité arabo-musulmane de la nation algérienne”
[[« LES ORIGINES DU 1er NOVEMBRE 1954 » ; Editions DAHLAB ; page 175.]]
Car, ajoute-t-il, vient-il à des Français l’idée d’invoquer “la France française” ou à des Allemands d’invoquer “l’Allemagne allemande”?

Je voudrais rappeler à Si Ben Youcef, mon compatriote et ancien compagnon de lutte, une chose qu’il connaît pour l’avoir lui même vécue. Je lui garde précisément pour cela ma fraternelle considération, en dépit de nos divergences idéologiques et politiques sérieuses. Des divergences normales, puisque nous sommes une Nation aux racines plurielles, qui cherche en tâtonnant sa voie vers la justice et la démocratie. Quelle était donc cette volonté commune qui nous guidait malgré nos contentieux passés ? Quelle était cette passion partagée qui nous animait quand nous affrontions côte à côte en 1957 les officiers colonialistes qui, revenus furieux de Dien Bien Phu et de Suez, rêvaient dans Alger assiégée de nous jeter dans le même trou, lui “l’Arabe” et moi “le Kabyle” ? Deux étiquettes que nous n’utilisions plus depuis longtemps, sauf avec de gros guillemets, tandis que l’Echo d’Alger et les colons français n’en mettaient pas, pour nous diviser comme en 49, jusqu’au jour où, ne s’y trompant pas, ils nous ont englobés sous le terme pour eux péjoratif, mais qui nous honorait, de fellagas.

Il existe des moments historiques où la nation niée et en danger a besoin d’être confirmée et revendiquée dans ce qu’elle a d’essentiel. Cette chose la plus précieuse, parce que nous en étions privés, c’était notre algérianité. C’était l’oxygène auquel nous aspirions pour construire ensemble une vie nouvelle, alors que nous n’avions probablement pas la même conception ou la même sensibilité sur la façon de vivre nos langues maternelles et notre islam.

De Gaulle ne faisait rien d’autre lorsqu’aux heures les plus noires de la deuxième guerre mondiale, depuis Radio Londres il éprouvait le besoin de rappeler aux Français que la France devait rester française, et que les micros de la BBC répétaient inlassablement au nom de la France libre “Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand”.

De plus, en quoi le fait de proclamer notre qualité d’Algériens, équivaudrait-il à renier telle ou telle des valeurs identitaires constitutives de notre algérianité ? Est-ce que l’appellation de PPA, parti du Peuple Algérien ou le titre de son organe La Nation Algérienne (au lieu de Nation Maghrébine ou Arabe ou Islamique), signifiait un renoncement à des valeurs arabes, islamiques ou berbères ?

Mieux encore, quand Benkhedda, président du GPRA, répétait à juste titre depuis Tunis en direction de l’opinion internationale, que notre combat d’Algériens était national et n’avait rien d’une croisade religieuse, cela voulait-il dire que nous n’étions plus musulmans ?

Sans s’en rendre compte, Benkhedda en arrive à créer une opposition entre algérianité et islam, ce qui est préjudiciable aux deux. Dire que l’Algérie est algérienne, et pas seulement arabe, berbère ou musulmane, cela veut dire d’une part qu’elle est tout cela à la fois et d’autre part qu’elle est quelque chose de plus. Ce nouveau, c’est la nationalité. Ce qu’elle apporte de plus, sous certaines conditions à réaliser, c’est l’espoir d’un avenir commun et créatif, qui n’est pas la simple reconduction du passé, mais le résultat d’interactions positives et fécondes. Un cadre national libéré donne à nos valeurs traditionnelles maltraitées et piétinées par les siècles de communautarisme et de colonisation, la possibilité d’émerger enfin avec un visage, une qualité et une vigueur nouvelles.

Pourquoi donc un Algérien attaché par toutes ses fibres au socle musulman indéniable de notre peuple, serait-il obligé d’amputer l’idée de Nation de toutes ses autres dimensions ? Par autres dimensions, j’ai en vue notamment la dimension culturelle berbère, l’ouverture sur la modernité et l’universel, ainsi que la dynamique majeure et vitale que j’évoquerai plus loin et qui donne son plein sens à la cohésion nationale. Cette dynamique bénéfique, c’est le contenu démocratique et social, le plus rassembleur de tous parce qu’il traverse et concerne toutes les catégories de notre peuple dans sa diversité identitaire ou idéologique.

Mais en déformant le contenu de l’algérianité telle que nous la comprenions, Benkhedda ne semble pas avoir été attentif aux caractéristiques que nous lui avons données et que j’expose point par point maintenant.

QU’EN EST-IL DE NOS VALEURS IDENTITAIRES ?

Pour en avoir le cœur net, revenons à la brochure pour savoir qui a amputé, qui a dénigré et qui a escamoté quoi ? Que valent les allégations de division anti-parti, de régionalisme anti-arabe et anti-islamique ?

Anti-parti ? On chercherait en vain, dans cette plate-forme doctrinale au ton serein, un seul mot, une virgule qui fasse allusion aux problèmes internes du parti. Dieu sait pourtant qu’il y aurait eu matière à cela, comme l’apprennent les travaux historiques sérieux à nos jeunes générations. Mais ce n’était pas notre démarche. Nous estimions que les clarifications sur le fond étaient la meilleure voie pour dépasser les affrontements de personnes et de clans et les méthodes détestables.

Qu’en est-il également des allégations d’ostracisme berbériste ou d’anti-religiosité?

Que disions-nous du “caractère national” ? Nous appelions ainsi le facteur d’ordre psycho-culturel, présenté comme l’un des quatre indices favorables à l’existence d’une nation, à côté du territoire, de l’économie, du culte d’un même passé joint au souci d’un avenir commun.

Le texte indiquait, après avoir évoqué les modes de vie, les mentalités et la culture:

“ La religion n’est pas un des moindres facteurs qui ont contribué à forger notre caractère national….C’est d’ailleurs grâce au sentiment religieux que les Algériens ont commencé par avoir conscience de leur unité bien avant de se hausser au véritable sentiment patriotique. … Le facteur linguistique a aussi contribué énormément à forger notre caractère national, qu’il s’agisse des langues parlées, qu’il s’agisse de la langue classique…. L’Algérien, arabophone ou berbérophone, parle aujourd’hui sa langue maternelle avec fierté et éprouve beaucoup moins le désir de s’exprimer autrement, en français par exemple. Il cherche au contraire à étudier la langue arabe classique pour connaître l’Islam et la culture islamique à laquelle les nôtres ont largement contribué.”

Plus loin encore, à propos de l’Histoire, le texte précise: “Que ce soit les pages glorieuses antérieures à l’islam, que ce soit l’époque de civilisation islamique que notre peuple a su marquer de sa personnalité, tout revient maintenant à la mémoire des Algériens qui sont fiers de savoir qu’ils ont joué leur rôle dans l’histoire”.

En fonction de ces données, nous proposions les objectifs suivants qui concrétisent le principe directeur révolutionnaire dans le domaine culturel: “Extension de la langue classique, développement des langues et des cultures populaires, production littéraire et artistique, lutte contre l’obscurantisme”. La suite du texte précisait que certaines de ces tâches culturelles pouvaient être engagées quotidiennement dans l’immédiat et imposées à la domination coloniale sans être repoussées jusqu’à l’indépendance. Cela résultait de notre conception du rapport entre lutte révolutionnaire et lutte pour des réformes, que nous nous gardions bien d’opposer entre elles, contrairement à ceux qui dans la confusion s’épuisaient à le faire par des anathèmes réciproques et des polémiques improductives. Car, ajoutait le texte: notre lutte pour la libération est un tout…toute victoire partielle est un pas en avant… Le relèvement social et culturel et le développement culturel ne peuvent que faciliter et aider la lutte politique.

Et, comme pour mettre les points sur les “i” à l’intention de ceux qui les accuseront ensuite de “régionalisme séparatiste”, la brochure se fait résolument l’écho de la forte aspiration à l’unité qui tenaillait alors les Algériens.: “… Dressés dans leur ensemble dans une lutte sans merci contre l’impérialisme français et décidés à mener à bien en commun leur libération nationale, sociale et culturelle dans le cadre de l’indépendance de leur pays, ils ont la ferme volonté d’édifier un Etat Algérien UN et INDIVISIBLE où chacun aura sa place au soleil. Aucun des éléments de notre Nation Algérienne ne tient à vivre séparé des autres …”. (Pour souligner l’importance de cette affirmation, la phrase entière avait été détachée en italique et les deux mots essentiels (UN et INDIVISIBLE) avaient été mis en majuscules dans le texte original).

Je complèterai enfin cette série de mises au point par un passage qui met en relief l’avancée conceptuelle qu’il fallait selon nous réaliser. Elle était nécessaire pour dégager le mouvement national d’une vision statique qui risquait de le ramener en arrière et d’engloutir tôt ou tard ses premiers acquis.

La phrase-clef était la suivante:

“… le nationalisme algérien, c’est le rejet de l’absurde thèse colonialiste, …( c’est le rejet) des multiples tentatives colonialistes de dénationalisation, (de) la désignation des Algériens uniquement par le terme péjoratif “ d’indigènes ” ou le terme confessionnel, donc sans nationalité, de “ musulman ”, …(c’est l’affirmation) de l’existence de la Nation algérienne et donc d’une Nationalité algérienne, du droit du peuple algérien d’être souverain et de vivre libre et heureux

CITOYENNETÉ ALGERIENNE

Toute la partie qui précède a évoqué l’idée centrale de nationalité algérienne. Il est significatif que nous ayons lié cette idée au droit de notre peuple de vivre libre et heureux, autrement dit en introduisant la dimension démocratique et sociale. C’est pourquoi nous avions associé explicitement à la nationalité l’idée de CITOYENNETE ALGERIENNE. Sa mise en avant me paraît le point le plus fort du contenu de la brochure, tel qu’il fut longuement exposé dans la deuxième moitié, celle des trois principes directeurs. Pour nous, le caractère libérateur de notre lutte n’était pleinement assumé que s’il s’assignait la finalité de déboucher sur des droits citoyens créant aux nationaux les conditions pour jouir des avantages apportés par la situation d’indépendance. La citoyenneté n’est pas contradictoire de la nationalité, elle vient la compléter et va plus loin qu’elle, afin que cette nationalité ne soit pas une coquille vide ou étouffante. Elle lui donne le contenu démocratique et social qui justifie les sacrifices consentis pour arracher la souveraineté nationale.

Il ne me reste malheureusement pas assez de temps pour exposer valablement les principes directeurs de la deuxième partie, bien que je crois en avoir déjà anticipé l’esprit. Ces principes pour l’action étaient le thème qui aurait le plus mérité d’être débattus en 1949 si l’engrenage des anathèmes et de l’autoritarisme bureaucratique n’avait dévié l’attention (et ce n’est pas un hasard) vers les procès d’intention identitaires.

L’importance des principes directeurs que nous avions avancés tient au fait que c’est leur mise en œuvre qui peut donner vie au cadre formel national et donner au nationalisme un contenu réellement libérateur.

La première partie de la brochure avait en quelque sorte planté le décor en soulignant de façon relativement statique les éléments constitutifs, identitaires notamment, d’un cadre national resitué dans son socle historique passé.

Or à partir de ces mêmes données de base, les dynamiques politiques mises en œuvre pouvaient imprimer à la nation des évolutions tout à fait différentes, voire opposées.

Les orientations démocratiques et sociales de progrès, si elles passent sur le terrain, sont les meilleurs facteurs de stabilité, de cohésion et de régulation des évolutions nationales, pouvant atténuer sinon résorber les tensions générées par des clivages identitaires incontrôlés.

En l’absence d’orientations suffisamment démocratiques et de justice sociale, même la lutte de libération nationale la plus héroïque risque, toutes conditions internationales égales par ailleurs, de mener à plus ou moins long terme à la stérilisation des efforts et des sacrifices engagés. Pire encore, elle peut tomber dans les dérives tragiques de ce que Amine Maalouf a appelé “les identités meurtrières” ou Jean François Bayart “l’illusion identitaire ”.

IDEE NATIONALE OU COMMANDOS “ IDENTITAIRES ” ?

A QUI LE DERNIER MOT ?

LES PIEGES SUBJECTIFS

A partir des déboires qu’a connus mon pays après tant d’espoirs, une question m’a souvent tourmenté.

Comment expliquer, en restant au plan des idées et des mécanismes intellectuels, en faisant donc abstraction des comportements explicables par des enjeux d’intérêt et de pouvoir, comment expliquer que tant de secteurs honnêtes de la direction soient tombés dans le piège des anathèmes, jetés sans échanges ni débat sur des frères de combat ?

Comment a-t-on pu passer d’une période faste de débats patriotiques ouverts de 1945-46, aux tentatives de caporalisations et de pratiques bêtes et méchantes de 1949?

Ce sont des commandos dopés au mépris de l’intellectuel (que leurs commanditaires en manque d’intellect appelaient intellectomanes) qui ont prétendu à partir de ce moment faire la loi et s’instaurer en instruments de régulation politique et idéologique.

Vaste problème que celui des pièges subjectifs qui guettent les protagonistes d’une même cause que leurs intérêts objectifs communs devraient unir. Je n’aborderai pas ces pièges dans leur genèse concrète, saut à dire qu’il ne s’agit pas quant au fond d’une question de personnes, même si des tempéraments individuels sont plus enclins que d’autres à remplacer les neurones de leurs cerveaux par des gourdins.

La cause profonde des dérives réside dans des facteurs sociologiques et géopolitiques que les acteurs parviennent d’autant moins à maîtriser qu’ils sont doublement piégés par deux logiques qui s’entremêlent au détriment d’une saine approche politique : la logique de l’autoritarisme et celle des a priori et des idéologisations abusives.

L’entretien de Ali Mahsas en 1992, rapporté par Ali Guenoun dans son ouvrage, met en lumière ces deux facteurs, même si Mahsas, à mon sens, n’est pas allé jusqu’au bout du réexamen critique des événements, en ne mesurant pas les contradictions de la démarche qu’il appelle globaliste, qu’il confond avec le souci et les exigences justifiées de l’unité dans l’action, qui admet au contraire la diversité des points de vue.

Nombre d’autres responsables qui nous avaient combattu ou qui ont accepté plus ou moins le dénouement regrettable de ce non-débat, par présupposés, désinformation ou d’autres raisons, ont révisé plus tard leur jugement, à la lumière de leur propre expérience. Ils l’ont fait notamment après que les mêmes pièges se soient refermés sur eux successivement, qu’ils aient été centralistes, messalistes ou activistes. Les prises de conscience tardives n’ont pu malheureusement avoir d’effets assez bénéfiques dans un mouvement entré en crise profonde, victime des mêmes mécanismes, une fois que les militants et les cadres se déterminaient surtout dans un climat passionnel et pour des enjeux faussés et dominés par les luttes d’appareils. Ainsi on verra en 1955 à l’occasion de la création de l’UGEMA à Paris, comment de justes orientations nationales et démocratiques ont été sabordées par certains de ceux qui avaient fini par les adopter du bout des lèvres.

L’évolution n’a pas été seulement fatale à nombre d’individus et de courants patriotiques qui ont cherché à se dégager de l’engrenage antidémocratique. Elle a pénalisé cruellement, à moyen et long terme l’ensemble du mouvement national, ainsi que chacun des courants idéologiques qui s’efforçait de penser de façon saine et progressiste l’arabité, l’islamité, l’amazighité, la modernité et la solidarité internationaliste.

Si l’environnement sociologique et les données de géopolitique interne et internationale rendent compte des tendances lourdes qui pèsent sur les comportements politiques, cela veut-il dire que les acteurs sont condamnés à une dégradation fatale des idéaux et des engagements généreux au service d’intérêts légitimes ? Non, ce n’est pas fatal s’ils prennent conscience des mécanismes qui les rendent vulnérables aux enchaînements maléfiques.

De ce point de vue, le bilan algérien est préoccupant, parce que ce sont justement les processus de régulation politique nationale, de prévention et de réparation des dégâts qui, de chute en chute, ont été atteints chaque fois plus profondément. Il s’agit, tant aux niveaux de la nation que de la société, des mécanismes qui auraient pour effet de favoriser dans la bonne voie le long et difficile travail de la société sur elle-même, ainsi que les interactions positives entre la société et la sphère politique, englobant les partis et les institutions. Du fait de toutes les dérives accumulées par la mise en opposition des identités au détriment de leurs potentialités de synergie nationale, nous n’avons pas encore de vrai Etat-Nation ni de vraie société civile.

Nous avons plutôt un Etat-Parti (avec devanture multipartie), une nation écartelée dont les pôles multiples se repoussent alors qu’ils auraient de quoi s’harmoniser, un champ socio-politique marqué par un fossé entre les partis à vocation démocratique et les couches sociales dont ils sont censés représenter les intérêts. Les alliances passent beaucoup plus par des affinités identitaires ou claniques verticales que par des solidarités transversales liées à des intérêts sociaux et démocratiques légitimes. Le tout évidemment sous la houlette et la supervision d’oligarchies économiques et de pouvoir en voie de remodelages permanents, mais dont la constante a toujours été de chercher à prévenir, dévoyer ou briser tout mouvement social responsable en cours d’émergence, préférant de tout temps affronter ou même provoquer des explosions spontanées ou des conspirations aventuristes.

Nous pouvons certes nous dire qu’il a fallu beaucoup de temps aux vieilles nations comme celles de l’Occident pour accumuler expérience et culture démocratiques favorables à leur cohésion et à la solution des problèmes posés en permanence par les évolutions contemporaines. Ce qui a permis à un Giscard d’Estaing, président d’un pays marqué par le jacobinisme centralisateur, de concéder en 1970 à une Bretagne travaillée par la revendication linguistique : “Acceptons qu’un même arbre ait des racines multiples. » Et il ajoutait : « la culture n’appartient à aucun parti ”.

Mais les rythmes d’émergence démocratique peuvent s’accélérer même dans des pays d’islam dont le développement a été retardé ou dévoyé. Dans l’Iran qui a vécu durant près de deux décennies une meurtrière tempête de despotisme obscurantiste, des millions de jeunes soutiennent aujourd’hui avec esprit de responsabilité et au milieu d’obstacles considérables une vigoureuse campagne de réformes démocratiques et d’ouverture idéologique, incluant une rénovation de la pensée islamique.

Dans tous les cas, et ce sera ma conclusion, ce genre d’évolution, dans la perspective non pas d’une guérison miraculeuse mais d’une longue convalescence, implique que les intellectuel(le)s, les hommes et femmes de culture, les journalistes et publicistes, l’ensemble des acteurs politiques et sociaux épris de démocratie, joignent leurs efforts pour l’émergence d’une culture politique et d’une culture du débat qui se dégage des pratiques autoritaires primitives sans avoir à mimer les mœurs politiciennes pseudo-démocratiques. Cela veut dire que nous n’acceptions en aucune façon d’abdiquer notre responsabilité d’êtres pensants face aux hégémonismes croisés qui cherchent à nous maintenir dans la situation bien décrite par Aït Manguellat : “les fusils de part et d’autre, et nous au beau milieu les mains nues”.

Merci de votre attention

S.H. le 18 décembre 2001

« MARX N’A JAMAIS ETE AUSSI UTILE »

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(publié dans MARIANNE)

Le site reprendra périodiquement des contributions soulignant l’actualité de la pensée de Marx, en particulier 
dans les problèmes aigus vécus par les peuples, les travailleurs et les intellectuels des pays de la « périphérie ».

Nul besoin évidemment de présenter Samir AMIN, auteur de l’article mis en ligne. Éminent professeur d’économie politique du développement. Il est le directeur du Forum du Tiers-Monde.

[[Samir Amin enseigne l’économie à l’Université de Poitiers, Paris et Dakar.
Il a beaucoup publié sur le droit, la société civile, le socialisme, le colonialisme et le développement, particulièrement en Afrique et dans le monde arabe et islamique. Parmi ses nombreuses publications figurent Eurocentrisme (1988), L’empire du chaos (1991) et Au-delà du capitalisme (1998).]]

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Le capitalisme, une parenthèse dans l’histoire

Le principe de l’accumulation sans fin qui définit le capitalisme est synonyme de croissance exponentielle, et celle-ci, comme le cancer, conduit à la mort. Stuart Mill, qui l’avait compris, imaginait qu’un « état stationnaire » mettrait un terme à ce processus irrationnel. Keynes partageait cet optimisme de la Raison. Mais ni l’un ni l’autre n’était équipé pour comprendre comment le dépassement nécessaire du capitalisme pourrait s’imposer. Marx, en donnant toute sa place à la nouvelle lutte des classes, pouvait par contre imaginer le renversement du pouvoir de la classe capitaliste, concentré aujourd’hui dans les mains de l’oligarchie.

L’accumulation, synonyme également de paupérisation, dessine le cadre objectif des luttes contre le capitalisme. Mais celle-ci s’exprime principalement par le contraste grandissant entre l’opulence des sociétés du centre, bénéficiaires de la rente impérialiste et la misère de celles des périphéries dominées. Ce conflit devient de ce fait l’axe central de l’alternative « socialisme ou barbarie ».

Le capitalisme historique «réellement existant» est associé à des formes successives d’accumulation par dépossession, non pas seulement à l’origine («l’accumulation primitive ») mais à toutes les étapes de son déploiement. Une fois constitué, ce capitalisme «atlantique» est parti à la conquête du monde et l’a refaçonné sur la base de la permanence de la dépossession des régions conquises, devenant de ce fait les périphéries dominées du système.



Cette mondialisation «victorieuse» a prouvé être incapable de s’imposer d’une manière durable. Un demi siècle à peine après son triomphe, qui pouvait déjà paraître inaugurer la «fin de l’histoire», elle était déjà remise en cause par la révolution de la semi périphérie russe et les luttes (victorieuses) de libération de l’Asie et de l’Afrique qui ont fait l’histoire du XXème siècle – la première vague de luttes pour l’émancipation des travailleurs et des peuples.



L’accumulation par dépossession se poursuit sous nos yeux dans le capitalisme tardif des oligopoles contemporains. Dans les centres la rente de monopole dont bénéficient les ploutocraties oligopolistiques est synonyme de dépossession de l’ensemble de la base productive de la société. Dans les périphéries cette dépossession paupérisante se manifeste par l’expropriation des paysanneries et par le pillage des ressources naturelles des régions concernées. L’une et l’autre de ces pratiques constituent les piliers essentiels des stratégies d’expansion du capitalisme tardif des oligopoles. 

Dans cet esprit, je place la «nouvelle question agraire» au cœur du défi pour le XXIème siècle. La dépossession des paysanneries (d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine) constitue la forme majeure contemporaine de la tendance à la paupérisation (au sens que Marx donne à cette «loi») associée à l’accumulation. Sa mise en œuvre est indissociable des stratégies de captation de la rente impérialiste par les oligopoles, avec ou sans agro-carburants. J’en déduis que le développement des luttes sur ce terrain, les réponses qui seront données à travers elles à l’avenir des sociétés paysannes du Sud (presque la moitié de l’humanité) commanderont largement la capacité ou non des travailleurs et des peuples à produire des avancées sur la route de la construction d’une civilisation authentique, libérée de la domination du capital, pour laquelle je ne vois pas d’autre nom que celui du socialisme.



Le pillage des ressources naturelles du Sud qu’exige la poursuite du modèle de consommation gaspilleuse au bénéfice exclusif des sociétés opulentes du Nord annihile toute perspective de développement digne de ce nom pour les peuples concernés et constitue de ce fait l’autre face de la paupérisation à l’échelle mondiale. Dans cet esprit la «crise de l’énergie» n’est pas le produit de la raréfaction de certaines des ressources nécessaires à sa production (le pétrole bien entendu), ni davantage le produit des effets destructeurs des formes énergétivores de production et de consommation en vigueur. Cette description – correcte – ne va pas au-delà des évidences banales et immédiates. Cette crise est le produit de la volonté des oligopoles de l’impérialisme collectif de s’assurer le monopole de l’accès aux ressources naturelles de la planète, que celles-ci soient rares ou pas, de manière à s’approprier la rente impérialiste, quand bien même l’utilisation de ces ressources demeurerait ce qu’elle est (gaspilleuse, énergétivore) ou serait soumise à des politiques « écologistes » correctives nouvelles. J’en déduis également que la poursuite de la stratégie d’expansion du capitalisme tardif des oligopoles se heurtera nécessairement à la résistance grandissante des nations du Sud.

D’une longue crise à l’autre

La crise actuelle n’est donc ni une crise financière, ni la somme de crises systémiques multiples, mais la crise du capitalisme impérialiste des oligopoles, dont le pouvoir exclusif et suprême risque d’être remis en question, cette fois encore, à la fois par les luttes de l’ensemble des classes populaires et par celles des peuples et nations des périphéries dominées, fussent elles en apparence «émergentes». Elle est simultanément une crise de l’hégémonie des Etats-Unis. Capitalisme des oligopoles, pouvoir politique des oligarchies, mondialisation barbare, financiarisation, hégémonie des Etats-Unis, militarisation de la gestion de la mondialisation au service des oligopoles, déclin de la démocratie, pillage des ressources de la planète, abandon de la perspective du développement du Sud sont indissociables.



Le vrai défi est donc le suivant : ces luttes parviendront-elles à converger pour ouvrir la voie – ou des voies – sur la longue route à la transition au socialisme mondial ? Ou demeureront-elles séparées les unes des autres, voire entreront-elles en conflit les unes contre les autres, et de ce fait, inefficaces, laissant l’initiative au capital des oligopoles ? 

Il est bon de revenir sur la première longue crise du capitalisme, qui a façonné le XXème siècle, tant le parallèle entre les étapes du développement de ces deux crises est saisissant. 

Le capitalisme industriel triomphant du XIXème siècle entre en crise à partir de 1873. Les taux de profits s’effondrent, pour les raisons mises en évidence par Marx. Le capital réagit par un double mouvement de concentration et d’expansion mondialisée. Les nouveaux monopoles confisquent à leur profit une rente prélevée sur la masse de la plus-value générée par l’exploitation du travail. Ils accélèrent la conquête coloniale de la planète. Ces transformations structurelles permettent un nouvel envol des profits. Elles ouvrent la «belle époque» – de 1890 à 1914 – qui est celle d’une domination mondialisée du capital des monopoles financiarisés. Les discours dominants de l’époque font l’éloge de la colonisation (la «mission civilisatrice »), qualifient la mondialisation de synonyme de paix, et la social-démocratie ouvrière européenne se rallie à ce discours.



Pourtant la «belle époque», annoncée comme la «fin de l’histoire» par les idéologues en vue de l’époque, se termine par la guerre mondiale, comme seul Lénine l’avait vu. Et la période qui suit pour se poursuivre jusqu’aux lendemains de la seconde guerre mondiale sera celle de «guerres et révolutions». En 1920, la révolution russe (le «maillon faible» du système) ayant été isolée, après la défaite des espoirs de révolution en Europe centrale, le capital des monopoles financiarisés restaure contre vents et marées le système de la «belle époque». Une restauration, dénoncée par Keynes à l’époque, qui est à l’origine de l’effondrement financier de 1929 et de la dépression qu’elle va entraîner jusqu’à la seconde guerre mondiale.



Le «long XXème siècle» – 1873/1990 – est donc à la fois celui du déploiement de la première crise systémique profonde du capitalisme vieillissant ( au point que Lénine pense que ce capitalisme des monopoles constitue la «phase suprême du capitalisme»), et celui d’une première vague triomphante de révolutions anti-capitalistes (Russie, Chine) et de mouvements anti-impérialistes des peuples d’Asie et d’Afrique.



La seconde crise systémique du capitalisme s’ouvre en 1971, avec l’abandon de la convertibilité or du dollar, presqu’exactement un siècle après le début de la première. Les taux de profit, d’investissement, et de croissance s’effondrent (ils ne retrouveront jamais depuis les niveaux qui avaient été les leurs de 1945 à 1975). Le capital répond au défi comme dans la crise précédente par un double mouvement de concentration et de mondialisation. Il met ainsi en place des structures qui définiront la seconde «belle époque» (1990/2008) de mondialisation financiarisée permettant aux groupes oligopolistiques de prélever leur rente de monopole. Mêmes discours d’accompagnement : le «marché» garantit la prospérité, la démocratie et la paix ; c’est la «fin de l’histoire». Mêmes ralliements des socialistes européens au nouveau libéralisme. Et pourtant cette nouvelle «belle époque» s’est accompagnée dès le début par la guerre, celle du Nord contre le Sud, amorcée dés 1990. Et tout comme la première mondialisation financiarisée avait donné 1929, la seconde a produit 2008. Nous sommes parvenus aujourd’hui à ce moment crucial qui annonce la probabilité d’une nouvelle vague de «guerres et révolutions». D’autant que les pouvoirs en place n’envisagent rien d’autre que la restauration du système tel qu’il était avant son effondrement financier.



L’analogie entre les développements de ces deux crises systémiques longues du capitalisme vieillissant est frappante. Il y a néanmoins des différences dont la portée politique est importante.

Sortir de la crise du capitalisme ou sortir du capitalisme en crise?

Derrière la crise financière, la crise systémique du capitalisme des oligopoles.



Le capitalisme contemporain est d’abord et avant tout un capitalisme d’oligopoles au sens plein du terme (ce qu’il n’était qu’en partie jusqu’ici). J’entends par là que les oligopoles commandent seuls la reproduction du système productif dans son ensemble. Ils sont «financiarisés» dans le sens qu’eux seuls ont accès au marché des capitaux. Cette financiarisation donne au marché monétaire et financier – leur marché, celui sur lequel ils se concurrencent entre eux – le statut de marché dominant, qui façonne et commande à son tour les marchés du travail et d’échange de produits.



Cette financiarisation mondialisée s’exprime par une transformation de la classe bourgeoise dirigeante, devenue ploutocratie rentière. Les oligarques ne sont pas russes seulement, comme on le dit trop souvent, mais bien davantage étatsuniens, européens et japonais. Le déclin de la démocratie est le produit inévitable de cette concentration du pouvoir au bénéfice exclusif des oligopoles.



La forme nouvelle de la mondialisation capitaliste, qui correspond à cette transformation, par opposition à celle qui caractérisait la première «belle époque», est elle également importante à préciser. Je l’ai exprimé dans une phrase : le passage de l’impérialisme conjugué au pluriel (celui des puissances impérialistes en conflit permanent entre elles) à l’impérialisme collectif de la triade (Etats-Unis, Europe, Japon).

Les monopoles qui émergent en réponse à la première crise du taux de profit se sont constitués sur des bases qui ont renforcé la violence de la concurrence entre les puissances impérialistes majeures de l’époque, et conduit au grand conflit armé amorcé en 1914 et poursuivi à travers la paix de Versailles puis la seconde guerre jusqu’en 1945. Ce que Arrighi, Frank, Wallerstein et moi même avons qualifié dés les années 1970 de «guerre de trente ans», terme repris depuis par d’autres.


Par contre la seconde vague de concentration oligopolistique, amorcée dans les années 1970, s’est constituée sur de toutes autres bases, dans le cadre d’un système que j’ai qualifié «d’impérialisme collectif» de la triade ( Etats-Unis, Europe et Japon). Dans cette nouvelle mondialisation impérialiste, la domination des centres ne s’exerce plus par le monopole de la production industrielle (comme c’était le cas jusqu’ici), mais par d’autres moyens (le contrôle des technologies, des marchés financiers, de l’accès aux ressources naturelles de la planète, de l’information et des communications, des armements de destruction massive). Ce système que j’ai qualifié «d’apartheid à l’échelle mondiale» implique la guerre permanente contre les Etats et les peuples des périphéries récalcitrantes, guerre amorcée dès 1990 par le déploiement du contrôle militaire de la planète par les Etats-Unis et leurs alliés subalternes de l’OTAN. 

La financiarisation de ce système est indissociable, dans mon analyse, de son caractère oligopolistique affirmé. Il s’agit là d’une relation organique fondamentale. Ce point de vue n’est pas celui qui domine, non seulement dans la littérature volumineuse des économistes conventionnels, mais encore dans la plupart des écrits critiques concernant la crise en cours.
 
C’est ce système dans son ensemble qui est désormais en difficulté.



Les faits sont déjà là : l’effondrement financier est déjà en passe de produire non pas une «récession» mais une véritable dépression profonde. Mais au-delà, d’autres dimensions de la crise du système ont émergé à la conscience publique avant même l’effondrement financier. On en connait les grands titres – crise énergétique, crise alimentaire, crise écologique, changements climatiques – et de nombreuses analyses de ces aspects des défis contemporains sont produites quotidiennement, dont quelques unes de la plus grande qualité.



Je reste néanmoins critique à l’endroit de ce mode de traitement de la crise systémique du capitalisme, qui isole trop les différentes dimensions du défi. Je redéfinis donc les «crises» diverses comme les facettes du même défi, celui du système de la mondialisation capitaliste contemporaine (libérale ou pas) fondé sur la ponction que la rente impérialiste opère à l’échelle mondiale, au profit de la ploutocratie des oligopoles de l’impérialisme collectif de la triade.



La vraie bataille se livre sur ce terrain décisif entre les oligopoles qui cherchent à produire et reproduire les conditions qui leur permettent de s’approprier la rente impérialiste et toutes leurs victimes – travailleurs de tous les pays du Nord et du Sud, peuples des périphéries dominées condamnées à renoncer à toute perspective de développement digne de ce nom.



Je proposais donc une conceptualisation des formes nouvelles de domination des centres impérialistes fondée sur l’affirmation de modes nouveaux de contrôle se substituant au monopole ancien de l’exclusive industrielle, ce que la montée des pays qualifiés depuis «d’émergents» a confirmé. Je qualifiais la nouvelle mondialisation en construction «d’apartheid à l’échelle mondiale», appelant la gestion militarisée de la planète, perpétuant dans des conditions nouvelles la polarisation indissociable de l’expansion du «capitalisme réellement existant».

La seconde vague d’émancipation des peuples: un «remake» du XXème siècle ou mieux?

Le monde contemporain est gouverné par des oligarchies. Oligarchies financières aux Etats-Unis, en Europe et au Japon, qui dominent non seulement la vie économique, mais tout autant la politique et la vie quotidienne. Oligarchies russes à leur image que l’Etat russe tente de contrôler. Statocratie en Chine. Autocraties (parfois cachées derrière quelques apparences d’une démocratie électorale «de basse intensité») inscrites dans ce système mondial ailleurs dans le reste de la planète.



La gestion de la mondialisation contemporaine par ces oligarchies est en crise.



Les oligarchies du Nord comptent bien rester au pouvoir, le temps de la crise passé. Elles ne se sentent pas menacées. Par contre la fragilité des pouvoirs des autocraties du Sud est, elle, bien visible. La mondialisation en place est, de ce fait, fragile. Sera-t-elle remise en question par la révolte du Sud, comme ce fut le cas au siècle passé ? Probable. Mais triste. Car l’humanité ne s’engagera sur la voie du socialisme, seule alternative humaine au chaos, que lorsque les pouvoirs des oligarchies, de leurs alliés et de leurs serviteurs seront mis en déroute à la fois dans les pays du Nord et dans ceux du Sud.



Le capitalisme est «libéral» par nature, si l’on entend par «libéralisme» non pas ce joli qualificatif que le terme inspire, mais l’exercice plein et entier de la domination du capital non pas seulement sur le travail et l’économie, mais sur tous les aspects de la vie sociale. Il n’y a pas «d’économie de marché» (expression vulgaire pour dire capitalisme) sans «société de marché». Le capital poursuit obstinément cet objectif unique. L’Argent. L’accumulation pour elle-même. Marx, mais après lui d’autres penseurs critiques comme Keynes, l’ont parfaitement compris. Pas nos économistes conventionnels, ceux de gauche inclus.



Ce modèle de domination exclusive et totale du capital avait été imposé avec obstination par les classes dirigeantes tout au long de la longue crise précédente jusqu’en 1945. Seule la triple victoire de la démocratie, du socialisme et de la libération nationale des peuples avait permis, de 1945 à 1980, la substitution à ce modèle permanent de l’idéal capitaliste, de la coexistence conflictuelle des trois modèles sociaux régulés qu’ont été le Welfare State de la social-démocratie à l’Ouest, les socialismes réellement existants à l’Est et les nationalismes populaires au Sud. L’essoufflement puis l’effondrement de ces trois modèles a par la suite rendu possible un retour à la domination exclusive du capital, qualifiée de néo-libérale.



Les désastres sociaux que le déploiement du libéralisme – «l’utopie permanente du capital» ai-je écrit – n’allait pas manquer de provoquer ont inspiré bien des nostalgies du passé récent ou lointain. Mais ces nostalgies ne permettent pas de répondre au défi. Car elles sont le produit d’un appauvrissement de la pensée critique théorique qui s’était progressivement interdit de comprendre les contradictions internes et les limites des systèmes de l’après seconde guerre mondiale, dont les érosions, les dérives et les effondrements sont apparus comme des cataclysmes imprévus.



Néanmoins, dans le vide créé par ces reculs de la pensée théorique critique, une prise de conscience de dimensions nouvelles de la crise systémique de civilisation a trouvé le moyen de se frayer la voie. Je fais référence ici aux écologistes. Mais les Verts, qui ont prétendu se distinguer radicalement et tout également des Bleus (les conservateurs et les libéraux) et des Rouges (les Socialistes) se sont enfermés dans l’impasse, faute d’intégrer la dimension écologique du défi dans une critique radicale du capitalisme.



Tout était en place donc pour assurer le triomphe – passager en fait, mais qui s’est vécu comme «définitif» – de l’alternative dite de la «démocratie libérale». Une pensée misérable – une véritable non pensée – qui ignore ce que pourtant Marx avait dit de décisif concernant cette démocratie bourgeoise qui ignore que ceux qui décident ne sont pas ceux qui sont concernés par ces décisions. Ceux qui décident, jouissent de la liberté renforcée par le contrôle de la propriété, sont aujourd’hui les ploutocrates du capitalisme des oligopoles et les Etats qui sont leurs débiteurs. Par la force des choses les travailleurs et les peuples concernés ne sont guère que leurs victimes. Mais de telles billevesées pouvaient paraître crédibles, un court moment, du fait des dérives des systèmes de l’après-guerre, dont la misère des dogmatiques ne parvenait plus à comprendre les origines. La démocratie libérale pouvait alors paraître le «meilleur des systèmes possibles».

Aujourd’hui les pouvoirs en place, qui eux n’avaient rien prévu, s’emploient à restaurer ce même système. Leur succès éventuel, comme celui des conservateurs des années 1920 – que Keynes dénonçait sans trouver d’écho à l’époque – ne pourra qu’aggraver l’ampleur des contradictions qui sont à l’origine de l’effondrement financier de 2008. 

La récente réunion du G20 (Londres, avril 2009) n’amorce en rien une «reconstruction du monde». Et ce n’est peut être pas un hasard si elle a été suivie dans la foulée par celle de l’OTAN, le bras armé de l’impérialisme contemporain, et par le renforcement de son engagement militaire en Afghanistan. La guerre permanente du «Nord» contre le «Sud» doit continuer.



On savait déjà que les gouvernements de la triade – Etats-Unis, Europe et Japon – poursuivent l’objectif exclusif d’une restauration du système tel qu’il était avant septembre 2008. Plus intéressant est le fait que les leaders des «pays émergents» invités ont gardé le silence. Une seule phrase intelligente a été prononcée au cours de cette journée de grand cirque, par le Président chinois Hu Jintao, qui a fait observer «en passant», sans insister et avec le sourire (narquois ?), qu’il faudra bien finir par envisager la mise en place d’un système financier mondial qui ne soit pas fondé sur le dollar. Quelques rares commentateurs ont immédiatement fait le rapprochement – correct – avec les propositions de Keynes en 1945.

Cette «remarque» nous rappelle à la réalité : que la crise du système du capitalisme des oligopoles est indissociable de celle de l’hégémonie des Etats-Unis, à bout de souffle. Mais qui prendra la relève ? Certainement pas «l’Europe» qui n’existe pas en dehors de l’atlantisme et ne nourrit aucune ambition d’indépendance, comme l’assemblée de l’OTAN l’a démontré une fois de plus. La Chine? Cette «menace», que les médias invoquent à satiété (un nouveau «péril jaune») sans doute pour légitimer l’alignement atlantiste, est sans fondement. Les dirigeants chinois savent que leur pays n’en a pas les moyens, et ils n’en ont pas la volonté. La stratégie de la Chine se contente d’œuvrer pour la promotion d’une nouvelle mondialisation, sans hégémonie. Ce que ni les Etats-Unis, ni l’Europe ne pensent acceptable.



Les chances donc d’un développement possible allant dans ce sens reposent encore intégralement sur les pays du Sud. Et ce n’est pas un hasard si la Cnuced est la seule institution de la famille des Nations Unies qui ait pris des initiatives fort différentes de celles de la commission Stiglitz. Ce n’est pas un hasard si son directeur, le Thaïlandais Supachai Panitchpakdi, considéré jusqu’à ce jour comme un parfait libéral, ose proposer dans le rapport de l’organisation intitulé «The Global Economic Crisis», daté de mars 2009, des avancées réalistes s’inscrivant dans la perspective d’un second moment de «l’éveil du Sud».

La Chine de son côté a amorcé la construction – progressive et maîtrisée – de systèmes financiers régionaux alternatifs débarrassés du dollar. Des initiatives qui complètent, au plan économique, la promotion des alliances politiques du «groupe de Shanghai», l’obstacle majeur au bellicisme de l’OTAN.



L’assemblée de l’OTAN, réunie dans la même foulée en avril 2009, a entériné la décision de Washington, non pas d’amorcer son désengagement militaire, mais au contraire d’en accentuer l’ampleur.

Un nouvel internationalisme des travailleurs et des peuples est nécessaire et possible

Le capitalisme historique est tout ce qu’on veut sauf durable. Il n’est qu’une parenthèse brève dans l’histoire. Sa remise en cause fondamentale – que nos penseurs contemporains, dans leur grande majorité, n’imaginent ni «possible» ni même «souhaitable» – est pourtant la condition incontournable de l’émancipation des travailleurs et des peuples dominés (ceux des périphéries, 80 % de l’humanité). Et les deux dimensions du défi sont indissociables. Il n’y aura pas de sortie du capitalisme par le moyen de la seule lutte des peuples du Nord, ou par la seule lutte des peuples dominés du Sud. Il n’y aura de sortie du capitalisme que lorsque, et dans la mesure où, ces deux dimensions du même défi s’articuleront l’une avec l’autre. Il n’est pas «certain» que cela arrive, auquel cas le capitalisme sera «dépassé» par la destruction de la civilisation (au-delà du malaise dans la civilisation pour employer les termes de Freud), et peut être de la vie sur la planète. Le scénario d’un «remake» possible du XXème siècle restera donc en deçà des exigences d’un engagement de l’humanité sur la longue route de la transition au socialisme mondial. Le désastre libéral impose un renouveau de la critique radicale du capitalisme. Le défi est celui auquel est confrontée la construction/reconstruction permanente de l’internationalisme des travailleurs et des peuples, face au cosmopolitisme du capital oligarchique.



La construction de cet internationalisme ne peut être envisagée que par le succès d’avancées révolutionnaires nouvelles (comme celles amorcées en Amérique latine et au Népal) ouvrant la perspective d’un dépassement du capitalisme.



Dans les pays du Sud le combat des Etats et des nations pour une mondialisation négociée sans hégémonies – forme contemporaine de la déconnexion – soutenu par l’organisation des revendications des classes populaires peut circonscrire et limiter les pouvoirs des oligopoles de la triade impérialiste. Les forces démocratiques dans les pays du Nord doivent soutenir ce combat. Le discours «démocratique» proposé, et accepté par la majorité des gauches telles qu’elles sont, les interventions «humanitaires» conduites en son nom comme les pratiques misérables de «l’aide» écartent de leurs considérations la confrontation réelle avec ce défi.



Dans les pays du Nord les oligopoles sont déjà visiblement des «biens communs» dont la gestion ne peut être confiée aux seuls intérêts particuliers (dont la crise a démontré les résultats catastrophiques). Une gauche authentique doit avoir l’audace d’en envisager la nationalisation, étape première incontournable dans la perspective de leur socialisation par l’approfondissement de la pratique démocratique. La crise en cours permet de concevoir la cristallisation possible d’un front des forces sociales et politiques rassemblant toutes les victimes du pouvoir exclusif des oligarchies en place.



La première vague de luttes pour le socialisme, celle du XXème siècle, a démontré les limites des social-démocraties européennes, des communismes de la troisième internationale et des nationalismes populaires de l’ère de Bandoung, l’essoufflement puis l’effondrement de leurs ambitions socialistes. La seconde vague, celle du XXIème siècle, doit en tirer les leçons. En particulier associer la socialisation de la gestion économique et l’approfondissement de la démocratisation de la société. Il n’y aura pas de socialisme sans démocratie, mais également aucune avancée démocratique hors de la perspective socialiste.



Ces objectifs stratégiques invitent à penser la construction de «convergences dans la diversité» (pour reprendre l’expression retenue par le Forum Mondial des Alternatives) des formes d’organisation et de luttes des classes dominées et exploitées. Et il n’est pas dans mon intention de condamner par avance celles de ces formes qui, à leur manière, renoueraient avec les traditions des social-démocraties, des communismes et des nationalismes populaires, ou s’en écarteraient.



Dans cette perspective il me paraît nécessaire de penser le renouveau d’un marxisme créateur. Marx n’a jamais été aussi utile, nécessaire, pour comprendre et transformer le monde, aujourd’hui autant et même plus encore qu’hier. Etre marxiste dans cet esprit c’est partir de Marx et non s’arrêter à lui, ou à Lenine, ou à Mao, comme l’ont conçu et pratiqué les marxismes historiques du siècle dernier. C’est rendre à Marx ce qui lui revient: l’intelligence d’avoir amorcé une pensée critique moderne, critique de la réalité capitaliste et critique de ses représentations politiques, idéologiques et culturelles. Le marxisme créateur doit poursuivre l’objectif d’enrichir sans hésitation cette pensée critique par excellence. Il ne doit pas craindre d’y intégrer tous les apports de la réflexion, dans tous les domaines, y compris ceux de ces apports qui ont été considérés, à tort, comme «étrangers» par les dogmatiques des marxismes historiques du passé.



Samir Amin,

samedi 25 juillet 2009

1996: ENSEIGNEMENTS D’UN ANNIVERSAIRE du PCA

En octobre 1996, c’était le soixantième anniversaire de la fondation à Alger du Parti Communiste Algérien. A cette occasion, l’association « Espaces Marx » de Bordeaux avait invité des vétérans de ce parti à une commémoration-débat. L’exposé de Sadek Hadjerès s’est porté sur un certain nombre d’enseignements des luttes menées par ce parti et leur actualité pour les nouvelles générations dans es conditions tragiques des années 90.

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D’abord, merci à l’association « Espaces Marx » de Bordeaux pour cette possibilité de réflexion et
d’échanges. L’actualité confirme que nous en avons grandement besoin. Les
questionnements angoissés de notre peuple ne sont pas seulement ceux d’un terrorisme
dit « résiduel ». Les espoirs démocratiques et de mieux-être nés après Octobre 88 restent
des plus fragiles.

Bien sûr les problèmes dont la société et le champ politique algériens ont hérité ne sont
pas simples. Face à cette complexité, le cadre du débat d’aujourd’hui, avec l’œuvre de Marx qui nous offre ses espaces pluriels, me parait tout à fait approprié. Si nous
considérons que l’œuvre de Marx doit être approchée de façon créatrice et non
dogmatique, alors effectivement chaque démocrate, au poste d’observation ou de lutte où
la vie l’a placé, peut tirer profit, pour ses propres choix politiques, de la façon dont la
pensée de Marx a été interprétée et traduite en actes en Algérie au cours de ces soixante années.

Vous m’excuserez si, vu le temps imparti, je serai dans cette introduction au débat,
plutôt schématique. Ce n’est pas pour imposer des affirmations ou des postulats. Je veux
seulement proposer des jalons qui pourront être illustrés et argumentés dans le débat.

Je commence par une approche synthétique des 60 années d’histoire, en espérant que
l’intervention de mon ami William Sportisse et ce qui sera dit dans le débat enrichiront le rappel chronologique des grandes étapes, qui est irremplaçable.

Ma première observation est le caractère extrêmement haché de l’existence du
mouvement communiste algérien
. Dans des contextes successifs, il a connu des
interruptions, et même des ruptures d’activité telles, qu’elles ont affecté
considérablement l’accumulation des effectifs et des appareils organiques et la
transmission de l’expérience entre générations militantes. Sur 60 ans, il y a eu
seulement 17 années de vie dans des conditions légales, moins du tiers. Le reste est
réparti entre 35 ans de clandestinité (dont j’ai vécu moi-même 31) et 7 années de semi –
légalité ou semi – clandestinité. Le déséquilibre est encore plus frappant si on compte à
partir de la fin des années 40 ou début des années 50, où le PCA a fini de réaliser pour
l’essentiel son algérianisation. Ces chiffres eux-mêmes ne rendent pas compte aussi des
torts occasionnés par les longues périodes où il fallait faire face à deux menaces et
pressions conjuguées: colonialistes et tendances nationalistes chauvines pendant
l’occupation coloniale, islamistes et hégémonisme du pouvoir plus tard). A quoi il convient d’ajouter des phases d’incompréhensions d’ingérences ou de ruptures avec des secteurs du mouvement ouvrier international dont la solidarité ou la compréhension auraient été alors les bienvenues (par exemple 16 ans de rupture avec la direction du PCF qui a opté à partir de 1972 pour l’appui sans réserve au parti unique FLN, contrastant avec une remarquable solidarité internationaliste pendant la guerre de libération).

Tout ce que je dis là n’est pas pour qu’on s’apitoie mais pour mieux éclairer certains des
problèmes abordés plus loin et aussi en souligner une autre conséquence négative: la
très mauvaise information sur l’histoire réelle du mouvement. L’historiographie, à
quelques exceptions près, est des plus pauvres. La documentation, déjà rare, est
sélective selon les opinions des auteurs. On a souvent affaire à une succession de
clichés, de jugements sommaires marqués par l’idéologisation. Les affirmations pures et
simples se substituent à l’analyse de réalités complexes. Apologétiques ou hostiles, les
approches sont alors empreintes de déformations, pas nécessairement volontaires, qui
aboutissent à occulter de réels apports et à hypertrophier ou absolutiser les erreurs.

Ma deuxième observation porte sur un problème crucial, la nécessité où se trouvait le mouvement en permanence, d’ articuler judicieusement entre elles la lutte des
classes
et les problèmes qu’on appellerait aujourd’hui identitaires (correspondant
à des rivalités, des phénomènes d’oppression, de discriminations et de divisions liées à l’appartenance à des champs religieux, ethno-linguistiques ou idéologiques différents).

Toutes les fois que les communistes ont bien opéré cette liaison, en donnant à chacun de ces facteurs la part qui lui revenait dans les conditions objectives de l’étape
correspondante, leur influence et leur implantation ont été plus rapides et plus solides.
A l’inverse, ils ont connu des déboires préjudiciables aux avancées du mouvement
national et progressiste tout entier quand cet équilibre n’a pas été maîtrisé.

D’une façon générale, la préoccupation de lutte pour la justice sociale a toujours été
présente. Elle a positivement influencé le mouvement national. Elle a impulsé et
enraciné le mouvement social dans des secteurs paysans, industriels, étudiants etc., dont
certains toujours vivaces au travers des épreuves et restent à ce jour hautement
symboliques.

Mais sous diverses influences, la prise en charge de l’autre volet a été plutôt déficiente.
En particulier dans la première moitié des années quarante, le nationalisme dans son
contenu légitime de protestation et de libération a été sous-estimé. Comme s’il s’agissait
d’un archaïsme qui entravait le projet moderniste d’avenir socialiste, et dans l’immédiat
faisait le jeu du fascisme ou des autres impérialismes. On peut se demander s’il n’y a
pas eu latence puis résurgence de ce genre d’approche unilatérale dans la période la
plus récente. N’est-ce pas au nom d’un modernisme plutôt élitiste, que des secteurs
démocratiques algériens, y compris dans le mouvement communiste, ont négligé ou
méprisé des faits culturels ou de société majeurs, ceux-là même dont l’exploitation a poussé une partie du peuple croyant, traumatisé par la modernité, dans les bras de l’islamisme politique. Le plus lourd de conséquences est que dans le même temps, d’ex communistes, qui ont expressément rompu avec leur appartenance mais encore souvent
considérés comme tels dans l’opinion ont délibérément rompu avec la défense concrète
des aspirations sociales. Ils l’ont fait au nom d’une prétendue modernité se ramenant
pour eux à un nouvel économisme ultra-libéral et à un républicanisme réducteur, qui
considère la lutte sociale comme une diversion à la lutte contre l’hégémonie islamiste,
cela au moment même où des militants islamistes mettaient l’accent sur les revendications des couches révoltées par les injustices sociales et se plaçaient au plus près de ces couches.

Ma troisième remarque porte sur la nécessité et la difficulté de sauvegarder une
marge d’autonomie suffisante
. L’efficacité et l’emprise sur le réel du mouvement
communiste algérien ont été les plus grandes toutes les fois que malgré les pressions
liées aux enjeux de pouvoir ou à la pesanteur des contextes géopolitiques, ce mouvement
est parvenu à sauvegarder une autonomie politique et organique suffisante pour élaborer
sa vision stratégique et ses approches tactiques, sans abandonner pour autant sa vocation
unitaire avec les autres forces de progrès. On trouvera avant ou après l’indépendance
d’abondants exemples ou contre-exemples de cette maîtrise difficile, qui consiste à
maintenir à la fois les capacités de mobilisation indépendante et la souplesse des larges
alliances avec d’autres forces qui sont sur des positions politiques et idéologiques
éloignées, voire opposées sur certains points.

Quatrièmement, le rapport entre les luttes immédiates et la perspective, entre réforme et révolution a été, comme pour tout le mouvement ouvrier et communiste international, un problème capital qui reste encore à l’ordre du jour. Comment réaliser l’adéquation entre l’idéal lointain d’une société sans exploitation et les tâches venues à
maturité dans le contexte du moment? Comment éviter qu’un révolutionnisme dévoyé
transforme n’importe quelle utopie (dans le bon sens du terme) en intégrisme intolérant,
impuissant et aventureux? On parle beaucoup aujourd’hui de ruptures nécessaires avec
le passé, chacun préconisant la sienne. Le plus difficile est d’en déterminer le contenu
et les rythmes. Les ruptures dialectiques, souhaitables et nécessaires, impliquent la
prise en compte des continuités. La suridéologisation tend à leur substituer les cassures
artificielles, les « tables-rases » qui non seulement sont irréalistes mais créent des
situations qui malgré leur coût élevé, ramènent le plus souvent en arrière

En cinquième lieu, chez nous comme à l’échelle mondiale, le rapport entre les fins
proclamées et les moyens utilisés a posé de plus en plus fortement le problème de la
démocratie comme objectif et instrument.
Les communistes algériens, de par les
situations qu’ils ont vécues, ont subi les effets de l’autoritarisme et des hégémonismes
nationaux, dans une gamme allant de la théorie du « cocon de chrysalide » (cf. Congrès de
la Soummam du FLN en 1956) à l’extermination physique. Aussi ont-ils largement pris
en charge la dimension démocratique y compris dans les situations de confusion
politique. Là où d’aucuns ne voyaient que vulgaire « entrisme’ dans le système du parti
unique, il s’agissait d’une lutte acharnée pour faire entrer dans la vie cette culture
démocratique dont tout le monde constate aujourd’hui le déficit. Cette lutte des
communistes n’a pas été celle de la facilité durant quatre décennies d’une contre –
culture de violence et de répression, pendant laquelle milieux dirigeants et opposants
ont rivalisé dans la même logique hégémoniste en sacrifiant au postulat que le pouvoir
ne s’arrache et ne se conserve que par les armes ou les complots.

Cela n’a pas mis pour autant les communistes à l’abri, à des degrés divers, de cette
maladie chronique de notre société et de son champ politique, l’esprit d’appareil, l’hégémonisme. La démocratie est instrumentalisable. C’est une lutte difficile et
compliquée que celle d’humaniser le mouvement social ainsi que le rôle et le
fonctionnement des partis par des valeurs et des normes démocratiques fortement
intériorisées.

Dans quelle mesure ces enseignements peuvent-ils s’appliquer aux
situations encore très difficiles que va longtemps continuer à traverser
notre peuple?

La difficulté de l’analyse vient de ce que la situation actuelle est ambivalente.

D’un côté, après quatre années de souffrances terribles, le pays a évité le pire, c’est à dire la dictature d’un islamisme à la taliban ou le chaos absolu et prolongé par affaissement de l’État.

D’un côté, après quatre années de souffrances terribles, le pays a évité le pire, c’est-à-dire la dictature d’un islamisme à la taliban ou le chaos absolu et prolongé par
affaissement de l’État.

En gros, on pourrait dire que si ce malheur a été épargné à l’Algérie, c’est grâce à la conjugaison de plusieurs facteurs:

1. l’Etat a joué en grande partie le rôle sécuritaire que lui assigne le monopole des
moyens armés, même si, politiquement, certaines des motivations du pouvoir ou de ses
méthodes lui sont contestées à juste titre.

2. la société, en dépit de ses griefs envers le pouvoir, a résiste de diverses façons et
souvent de façon spontanée (sans incitations organisées) au chantage violent de
l’islamisme politique en raison du caractère barbare de ses manifestations. L’expérience
acquise par la population, facteur irremplaçable, a permis un début de décantations
dans les consciences politiques après les espoirs ou certains ralliements opportunistes
dans le champ politique, que les appels à la révolte du FIS avaient soulevés.

3. des initiatives politiques des instances dirigeantes ont accompagné leur action
sécuritaire, même si ces initiatives ont été limitées, instrumentalisées par les intérêts
de groupe du pouvoir ou même dévoyées en opérations antidémocratiques de
déstabilisation contre plusieurs formations politiques

4. les milieux dirigeants occidentaux, qui avaient misé à des degrés variables sur le
mouvement islamiste, par volonté d’instaurer une emprise économique plus grande sur
l’Algérie en déstabilisant l’étatisme de ses milieux dirigeants, ont révisé leur position.
Pour des raisons de stratégie et de sécurité régionales, ils misent aujourd’hui davantage
sur les autorités en place tout en gardant plusieurs fers au feu.

Mais d’un autre côté, malgré l’éclaircie relative qu’a constitué l’instauration d’une
présidence légitimée électoralement, et alors que l’insécurité reste encore sensible, de
lourds nuages s’amoncellent. La situation économique et sociale va être critique dans les
mois et années à venir. L’alternative démocratique au régime du parti unique n’est pas
encore apparue clairement. Les tendances conservatrices et anti-démocratiques du
régime rebondissent, alors qu’elles avaient déjà constitué le soubassement de la crise
qui a éclaté en tragédie au début de cette décennie.

Dans ces conditions, la responsabilité de ceux qu’on peut considérer comme démocrates est énorme. Il ne sert à rien selon moi d’incriminer les méfaits de la haute
finance internationale, des réseaux de l’intégrisme islamiste mondial ou des maffias
internationale, des réseaux de l’intégrisme islamiste mondial ou des maffias locales qui accaparent les ressources du pays. Tous ces acteurs sont dans leur rôle normal, ils
expriment des tendances objectives de l’Histoire. Ce qui continue à faire problème, c’est la question suivante: les groupes démocratiques sauront-ils agir en tirant profit
de l’expérience malheureuse de l’arrivée au pouvoir des nazis par voie électorale, lorsque
communistes, sociaux-démocrates et chrétiens démocrates allemands s’affrontaient « classe contre classe » ? Les composantes de la large mouvance démocratique
en Algérie sauront-elles reconnaitre qu’il existe en dehors de leur propre chapelle, dans chaque
formation politique, d’autres courants et potentialités démocratiques qui ont chacune
leur propre sensibilité culturelle et idéologique, d’autres approches tactiques, toutes
correspondant à la diversité de la société et toutes susceptibles d’évoluer à partir de l’expérience vécue.

Aujourd’hui, de nombreux démocrates algériens sont mécontents à juste titre de
plusieurs résultats décevants de la Conférence nationale et du projet de nouvel!e
Constitution soumis à référendum. Personnellement, je ne suis pas étonné que les
tendances qui se considèrent les plus démocratiques fassent aujourd’hui les frais de l’isolement grandissant des extrémistes du GIA et de l’aile la plus réactionnaire du F!S.

J’exprimais cette crainte il y a deux ans dans un article de presse (El-Watan, Juillet 94). Il suffisait d’observer comment les « radicaux » démocrates faisaient à leur propre détriment le jeu de la bipolarisation prônée par le pouvoir. En croyant par ce radicalisme ostentatoire gagner l’appui du pouvoir et de l’armée, ces démocrates sont passés à côté d’un enjeu énorme, mobiliser non seulement les couches déjà acquises à la
démocratie, mais aussi être parmi les plus actifs et les plus convaincants dans la
bataille décisive pour arracher les couches hésitantes dans la société et le champ
politique à l’influence des radicaux islamistes. Ils ont laissé ce terrain au seul pouvoir
ou à ses soutiens, ils ont plutôt, par le contenu et la forme de leurs prises de position,
effrayé et rejeté ces couches politiquement et idéologiquement flottantes. Ainsi
marginalisés, ils ont été réduits au rôle de force de frappe contre les courants
démocratiques plus « modérés » existant dans le FFS et le FLN, que plusieurs clans du
pouvoir souhaitaient briser, faute de n’avoir pu les domestiquer. C’est dans le cadre de
cette logique que les stratèges du pouvoir ont récupéré en lui faisant de larges
concessions la tendance conservatrice bureaucratique du FLN et sa vaste clientèle
dressée contre l’aile réformatrice de ce parti. Ils ont également pris appui sur le MSI
(Hamas) que les démocrates « ultras » ont considéré contre toute évidence comme plus
dangereux que les extrémistes du FIS et du GIA, comme si ces démocrates ne se sentaient
pas en mesure et en devoir d’affronter cette tendance islamiste dans une compétition
politique pacifique, pour peu que soient imposées des garanties de règles du jeu démocratiques.

Quant aux démocrates dits modérés (parce que partisans d’un dialogue politique avec les courants islamistes condamnant la violence ou prêts à y renoncer), qu’ils soient mus
par des intérêts opportunistes comme le disent leurs adversaires ou qu’ils soient simplement plus réalistes ou plus indépendants, ils sont eux aussi tombés dans le piège
de la bipolarisation. Une fois engagés sans différenciation suffisante dans la coalition
de Rome. ils ont réagi à la fin de non-recevoir brutale du pouvoir par un rejet
symétrique de la vole des élections présidentielles, plutôt que de mettre au pied du mur
aussi bien les extrémistes du FIS que le pouvoir quant à leurs intentions proclamées de
solution pacifique.

La mouvance démocratique dans ses diverses sensibilités s’est ainsi divisée et entre-déchirée en s’alignant bon gré mai gré soit sur des appareils du pouvoir d’Etat soit sur
ceux de l’opposition extrémiste, ou en défendant unilatéralement un seul des deux
volets d’une démarche d’issue de crise. Par contre, le pouvoir de Zeroual avec les
tendances les moins démocratiques regroupées autour de lui, est apparu (pour combien
de temps?) comme un artisan de la paix, qui avait pris en charge les deux volets
complémentaires de l’issue de crise, le volet sécuritaire et celui du dialogue politique,
même si ce dernier était visiblement faussé.

Ainsi il est décisif pour les démocrates, à quelque coalition qu’ils aient appartenu, de
considérer la paix civile comme un problème fondamental qui gagne à être soustrait aux
effets négatifs des calculs de pouvoir et des rivalités partisanes. Un bilan serein leur
permettrait de déjouer les surenchères et manœuvres autour de ce thème. Il ne s’agit
même pas dans l’immédiat d’entretenir le mirage d’une coalition ou d’une structure
démocratique commune. N’est-il pas plus urgent plutôt de faire converger dans leurs actions les efforts pour les solutions politiques les plus porteuses de paix civile? Et
pouvoir ainsi, autour de cette préoccupation centrale, mieux affronter, pas à pas, avec la
population et dans une lutte de longue haleine, les dangers qui alimentent aujourd’hui
un pessimisme fondé?

1. Il s’agit de combattre le pillage accéléré des ressources et le gâchis des potentialités économiques du pays, au moment où il y a un besoin réel de réformer profondément
l’économie. Il s’agit entre autres de mettre fin à l’état déplorable du mouvement syndical
UGTA dont l’instrumentalisation politique par ses dirigeants continue de porter un
grand tort au mouvement social et démocratique.

2. Il s’agit en appui sur des actions quotidiennes, de faire reculer les vieilles pratiques
de quadrillage de la société et du mouvement associatif, de caporalisation et de division
des courants à vocation démocratique. Il s’agit de juger les acteurs et les formations
politiques sur leurs actes plutôt que sur leurs inspirations idéologiques ou leurs
projets de société déclarés, de mettre à l’épreuve leur volonté de s’inscrire dans un
processus de développement de la culture démocratique.

3. Il s’agit de mettre en échec la manipulation des problèmes dits identitaires. Ce n’est
pas la lettre d’une Constitution, on l’a déjà vu avec celle de 89, qui fournit les garde –
fous nécessaires, mais la qualité de la pratique politique, le travail de la société sur
elle-même pour que les valeurs et chaque potentialité culturelle du pays, au lieu de
servir d’épouvantail les unes contre les autres, enrichissent et consolident la nation
algérienne. Il s’agit d’opérer le dépassement créateur d’un « Novembrisme » figé,
passéiste, réduit à des incantations qui n’intègrent que formellement et du bout des
lèvres les conquêtes nationales et internationales du mouvement social et politique de
ces dernières décennies.

Il s’agit en définitive de miser avant tout sur la soif d’une démocratie réelle et globale,
sur la mise en mouvement des multitudes qui cherchent avec des fortunes diverses des
voies nouvelles pour s’exprimer et se réaliser. La société en mouvement est capable de
peser quotidiennement sur le rapport des forces ou de déboucher, parfois après de longs
cheminements, sur des moments forts capables de provoquer des tournants politiques
majeurs comme ce fut le cas chez nous en Décembre 1960, Octobre 88, ou avec l’Intifadha
palestinienne. Les démocrates et parmi eux les communistes seront-ils capables de
l’aider à frayer les voies les plus appropriées?

La crise algérienne reflète de façon tragique une volonté réelle mais dévoyée de tous les
acteurs d’opérer les réajustements et les synthèses nouvelles dont le besoin est ressenti
dans les conditions contraignantes de la mondialisation en cours. Il appartient à ceux qui
apprécient la pensée de Marx de savoir accompagner ces changement, au rythme de leur propre musique comme disait ce penseur profond.

L’analyse de l’actualité qui précède n’a pas visé l’exhaustivité. Elle se proposait délibérément de mettre en relief un enseignement important: le mouvement communiste algérien reprendra pied dans les nouvelles générations s’il prend toujours mieux en en
compte, quelles que soient les conjonctures, l’attachement aux aspirations sociales
légitimes, la complexité et le poids des problèmes d’ordre psycho – culturel, l’importance
de l’autonomie politique inséparable d’une souplesse tactique et d’une culture
démocratique en constant éveil, enfin les interactions dialectiques avec l’évolution mondiale.

En un mot, il y aura un nouveau cycle du développement communiste en Algérie si, face aux tentatives hostiles, tenaces et renouvelées de le brider dans un « cocon de chrysalide », il arrive à se guérir lui-même de ses maladies infantiles que Lénine a bien décrites et combattues (sans avoir réussi à les juguler car elles sont le fait de tout un
contexte socio-historique) et qui se résument dans les diverses sortes d’étroitesses
hégémonistes. Ce mouvement doit faire la preuve qu’il est capable d’embrasser les
différentes dimensions de la vie dans les trois domaines où l’Algérie a inscrit un grand
déficit, pour forger en profonde symbiose avec les Algériens:

– un mouvement social autonome capable de traduire les aspirations de progrès de
la société à partir de ses potentialités réelles;

– un champ politique imprégné de culture démocratique et de vigilance
envers les pulsions hégémonistes dans la vie politique nationale ou le fonctionnement
interne des partis;

– une réflexion théorique se différenciant de l’idéologisation des problèmes et qui,
sans utilitarisme, opère la jonction entre cette réflexion et les besoins du mouvement
social.

La vie a appris aux communistes de tous les pays que l’histoire ne se déroule pas de
façon linéaire, que rien n’est fatal, ni le meilleur ni le pire. Elle leur a appris aussi que
dans l’aspiration immémoriale des hommes à la sécurité et au mieux être et avec le
développement fantastique des capacités de l’esprit humain, des intervalles de plus en
plus courts ont séparé les grandes tentatives de l’Humanité vers sa libération, de
Spartacus et des révoltes paysannes à la Commune de Paris, de cette dernière à la
récente expérience du « système socialiste mondial ». On voudrait espérer, contrairement
à ceux qui ont annonce prématurément « la fin de l’Histoire », que l’élan libérateur
aujourd’hui en gestation à travers un apparent chaos, soit encore plus fructueux et
moins douloureux. En tout état de cause et selon toute vraisemblance, ce prochain
mouvement sera plus complexe, plus mondialisé, plus pacifique et pluraliste, plus
démocratique et empreint d’humanisme. La plus grande certitude est que cela ne se fera
pas tout seul et à échéance fixe.

CHEIKH KHALED BENTOUNÈS, CHEF DE LA TARÎQA ALAWIYA

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Voila un entretien à la jonction des approches savantes et du vécu populaire. Au delà des opinions et idées reçues, au delà aussi des interprétations politiques de la tenue de ce colloque dans le contexte des luutes de pouvoir en Algérie, il donne matière à réfléchir, en visitant une des multiples façons de vivre l’islam, comme religion, pratique sociale, culture et civilisation. Il surprendra sans doute plus d’un, tellement sont forts, y compris dans le monde islamique, les penchants aux représentations et clichés qui mettent l’islam et les musulmans dans un seul moule, qu’il soit théologique, culturel, politique ou philosophique.

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Ce sont deux heures de haute spiritualité que nous aurons passées en compagnie de cheikh Khaled Bentounès, que nous avons eu le plaisir de recevoir dimanche dernier à la rédaction d’El Watan.

Au-delà des aspects polémiques suscités par l’homme et ses positions sur telle ou telle question relative aux choses de la religion, lui qui s’est imposé comme ligne de conduite de concilier tradition et modernité, mystique et maïeutique envers et contre tout, il nous semble que la parole d’une personnalité comme le chef de la tarîqa alawiya est très utile au débat sur la place de la religion dans notre société.

Depuis la tenue du colloque de la alawiya du 25 au 31 juillet dernier, colloque qui était le «clou» de de la célébration du centenaire de la tarîqa alawiya, les réactions s’enchaînent sur les opinions hardies exprimées au cours de cet important rendez-vous spirituel et scientifique.

Il nous a paru pertinent de revenir avec plus de détails et, surtout, plus de sérénité, sur ce colloque et de développer avec cette illustre personnalité intellectuelle, quelques-unes des idées-force de la pensée soufie.

L’événement de cet été, pour votre confrérie, a été la célébration du centenaire de la tarîqa alawiya et le colloque qui l’accompagnait. Etes-vous satisfait, cheikh Bentounès, du déroulement des travaux de ce colloque ? Quel bilan pourriez-vous en esquisser ?

Satisfait, oui, je le suis. C’est un colloque qui a tout de même rassemblé 6500 personnes. C’est un chiffre sûr, on le sait, parce qu’il y avait des badges et des bracelets qui ont été confectionnés à l’intention des participants. On le sait également par le nombre de repas qu’on a servis. Donc, c’est quelque chose qui est avéré. On est arrivés exactement à 6562 participants venus de 38 pays. Ce qu’il y a lieu de retenir, c’est que ce colloque s’est déroulé dans le calme et la sérénité, dans un climat détendu. Les gens qui sont venus ont vu un Islam d’espérance, comme on le souhaitait. Le débat était ouvert, les échanges se sont faits à tous les niveaux, du plus subtil au plus banal. Il y a eu 35 ateliers autour de thèmes dont on ne pouvait même pas imaginer qu’une zaouïa pouvait les aborder. Des thèmes comme «La thérapie de l’âme», par exemple, qui a attiré énormément de monde, ou encore le thème «Management, éthique et tradition», c’est-à-dire comment une voie soufie peut mêler spiritualité et management.

Bien que de haute facture, ce colloque vous a valu quelques attaques malveillantes de la part aussi bien de certaines figures des milieux confrériques que de partis islamistes (El Islah en particulier), du Haut-Conseil islamique (HCI) et des ulémas. Ces critiques ont porté principalement sur deux points : vos déclarations sur le hidjab et les miniatures illustrant votre dernier ouvrage, Soufisme, l’héritage commun. Qu’aimeriez-vous répondre à vos détracteurs ?

J’aimerais leur dire d’abord que la moindre des choses aurait été de lire mon livre avant de l’accabler. Comme le dit l’adage, on ne peut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. C’est aussi l’arbre qui cache la forêt. Ce qu’on ne souhaite pas divulguer, surtout, c’est autre chose que les miniatures. Il y a des photos du patrimoine musulman qui font partie de cette mémoire de l’héritage islamique comme le tombeau de Sayida Khadidja, la mère des croyants, ou la maison du Prophète (Que Le Salut d’Allah soit sur Lui) dans laquelle il a vécu à La Mecque avec Sayida Khadidja, ou encore le lieu où fut conclu le premier serment des gens de Médine envers le Prophète, qui s’appelle Bayâte al Aqaba, ainsi que les tombes des martyrs des batailles de Badr et de Ouhoud qui ont été détruites. Au total, il y a dans cet ouvrage quelque 844 documents.

Par qui ce patrimoine a-t-il été détruit ?

Et pourquoi surtout… Nous assistons à une mainmise sur l’histoire de l’Islam effaçant la mémoire de tout ce qu’il y avait avant. Ces gens qui s’en sont pris à mon livre, ils l’ont condamné, c’est différent. Entre critiquer et condamner, il y a une différence. En s’appuyant sur quoi ? Sur des fetwas de quels oulémas ? Ce sont des oulémas qui préconisent la destruction du tombeau du Prophète lui-même et qui jusqu’à aujourd’hui disent : n’allez pas à Médine. Et on prend ces fetwas-là alors que nous avons nos propres oulémas, nos propres traditions. L’Islam maghrébin est un Islam d’ouverture et de dialogue.

Par exemple, sur cette Une d’El Khabar Hebdo, Mohamed Ben Brika de la tarîqa qadiriya vous prend à partie en disant «Khaled Bentounès a porté atteinte à la personne du Prophète»…

Mais il reconnaît aussi n’avoir pas lu le livre. Au demeurant, il ne représente que lui-même. Les gens sont beaucoup plus nuancés que cela. Et puis, il y a eu un amalgame qui a été fait par certains entre «miniatures» et «caricatures»… Le premier article paru présentait les choses comme cela. Mais les caricatures, c’est quelque chose qui a stigmatisé l’Islam… C’est humoristique, certes, mais c’est aussi une façon de se moquer d’autrui. Mais les miniatures, il suffit d’aller sur internet et de taper «miniatures musulmanes» pour voir surgir des milliers d’œuvres. Dans ce cas-là, il faudrait aussi faire un procès au musée de Topkapi d’Istanbul. A Kaboul, on a détruit des miniatures alors que l’école de Kaboul a été la première école de miniatures dans le monde musulman et que l’Islam a pénétré l’Asie grâce aux miniatures. Où va-t-on comme cela ? C’est l’Islam de ces gens-là qui est une caricature. Moi je ne leur réponds rien, je leur dis merci et je vais me préparer au bûcher parce que vous n’avez encore rien vu…

Vous auriez déclaré que le hidjab n’est pas une obligation religieuse. Pourriez-vous clarifier cette réflexion ?

Moi je suis contre le hidjab qui est dans la tête, pas sur la tête. Enlevez le hidjab, vous êtes en train de lier un habit à la foi, c’est dangereux. Parce que d’abord, le hidjab, chez nous, existait déjà. Il était de l’ordre de la culture locale. En Kabylie, il y avait une façon de le porter ; à Mostaganem, il y avait une autre façon de le mettre ; dans le Sud, c’est carrément l’homme qui le porte, c’est le taguemoust ou le litham. En Iran, c’est le tchador. A Oman, c’est le niqab. Et c’est la m’rama en Tunisie, la djellaba au Maroc, le boubou au Sénégal et en Afrique du Sahel, le sari chez la musulmane indienne. Ces gens-là croient que l’Islam est à leur niveau. Ce qu’ils voient autour d’eux, c’est ça l’Islam, un modèle unique. Qui, parmi les femmes du Prophète, a porté le hidjab que portent nos filles aujourd’hui ? Il faut savoir qu’il y a une historicité du hidjab, il y a un contexte de révélation. Avant tout, éduquez la femme parce que le meilleur des comportements et le meilleur des vêtements, c’est la pudeur, que ce soit pour l’homme ou pour la femme. Je ne vois pas pourquoi on autorise l’homme à porter ce qu’il veut et pas la femme. Il y a un conditionnement par la force. Au lieu de nous occuper des questions fondamentales dans un monde en proie à des crises financière, climatique, alimentaire, à une crise de sens, au lieu de se préparer aux défis de demain, au lieu d’être des sociétés de proposition, nous sommes constamment dans le déni, retranchés derrière des arguments étriqués en jetant la pierre à l’Occident. Jusqu’à quand ? Ce langage ne tient pas la route. Et moi, si je dérange, eh bien, je dérange ! Tant pis ! Mais je continuerai à tenir ce discours, quoique j’aie assez payé pour cela. Mon père est allé en prison à cause de cela.

Pensez-vous que le wahhabisme va continuer à faire des dégâts au sein de notre société? Comment les zaouïas pourraient-elles contribuer à contrer cette mouvance?

C’est le travail de toute la société, ce n’est pas l’affaire exclusive des zaouïas. Il faut que notre société prenne conscience de ces enjeux et qu’elle apprenne à être responsable. Les Algériens, moi, je ne les prends pas pour des débiles, des imbéciles ou des mineurs. L’âme algérienne est une âme rebelle. C’est une âme mystique. L’Algérien vous donne tout. Je connais mon peuple, oui, il est perfide, mais c’est parce qu’on a toujours joué avec lui, on n’a jamais été sincère avec lui. Mais quand on est sincère, le peuple vous donne tout ce qu’il possède.

Votre engagement résolu en faveur d’un Islam d’ouverture, conciliant tradition et modernité, vous vaut, nous le disions, de franches inimitiés de la part des milieux conservateurs. Concrètement, comment entendez-vous avoir raison de ces «résistances»?

Nous sommes obligés de faire un constat : si nous maintenons cette situation où chacun baisse les bras, où chacun se laisse faire, où l’élite intellectuelle, politique, économique de ce pays fait dans le «chacun pour soi», on ne s’en sortira pas. Si ce congrès international (de la tarîqa alawiya) a réussi, c’est parce qu’il était mené avec méthodologie et un travail de fond. C’est parce que nous avions une vision. Accueillir 6500 personnes n’était pas une mince affaire, mais on l’a fait à travers une organisation judicieuse, inspirée de nos traditions. Le Prophète lui-même s’était illustré par sa gestion du temps. Qui se préoccupe aujourd’hui de la gestion du temps dans le monde musulman ? L’islam, c’est la religion de la logique et du bon sens. C’est avant tout une affaire de akhlaq (morale). «J’ai été envoyé pour anoblir les caractères», disait le Prophète. Cela veut dire que, avant moi, il n’y avait pas le vide et qu’il s’agit simplement de parfaire les choses. Le Prophète n’a jamais prétendu faire table rase de la société qoraïchite ni de la société arabe qu’il avait trouvées. Il s’habillait comme les Arabes de son époque, il mangeait comme les Arabes de son époque, il avait même les coutumes et les mœurs de son époque. Mais de ces Arabes est sorti un message extraordinaire qui, en 70 ans, est arrivé jusqu’en Europe. Jusqu’à Poitiers, en France. Et de l’autre côté, jusqu’aux océans Indien et Pacifique. Il n’y avait pas les moyens actuels. Comment neuf personnes ont-elles répandu l’Islam en Indonésie ? C’était des saints soufis. Aujourd’hui, c’est le plus grand Etat musulman du monde avec 225 millions d’âmes. Jamais aucun Sahabi (compagnon du Prophète) n’est allé en Indonésie. Ils sont venus avec la tarîqa qadiriya et,surtout, avec l’amour du prochain. Ils ont simplement dialogué avec les gens jusqu’à les convaincre. De voir dans la grande mosquée de Djakarta qui est la plus grande mosquée du monde avec 10 hectares, qui accueille 125 000 priants et priantes, de voir donc l’imam au milieu, à droite les hommes, à gauche les femmes, sur la même ligne, permettez-moi de vous dire que ça impressionne. On voit que les Indonésiens et les Asiatiques ont compris et que les pays arabes n’ont toujours pas compris et qu’ils parlent encore de ceci et de cela… L’islam a donné des multitudes de Rabia Al Adawiya, des femmes avec une spiritualité extraordinaire. Un jour, on a vu Rabia Al Adawiya courant dans le désert avec un fagot sous le bras et un sceau sur le dos. On lui a dit : «Mais où est-ce que tu vas avec ça?» Elle a dit : «Je vais avec ce fagot de bois brûler le Paradis, et avec ce seau d’eau éteindre l’enfer, ceci afin que plus personne n’adore Dieu par crainte ni par désir du Paradis, mais uniquement par amour de Dieu.» Moi je conseille au ministre des Affaires religieuses de rajouter au passeport un petit calepin de pointage pour consigner qui va à la mosquée le vendredi, comme ça au moins, on aurait un petit bonus. Je demanderais pareillement à nos frères saoudiens de consigner combien de fois ils ont fait le hadj et la omra. C’est un investissement, le pèlerinage coûte cher. Au moins, quand on nous enterre, on nous met ça dans la tombe pour le âdab el qabr (le supplice du sépulcre). Quand les anges viendront, on leur montrera le passeport comme quoi j’ai 1200 djoumouâ dans mon pedigree, j’ai tant de hadj… Je sais que pour ce que je dis là, ils vont me dresser un bûcher comme au temps de l’Inquisition (rires)…

Qu’est-ce que c’est qu’être soufi aujourd’hui, en définitive, cheikh Bentounès, au XXIe siècle?

Moi je pense qu’être soufi au XXIe siècle, c’est être véritablement citoyen du monde. C’est ne se référer ni à la nationalité, ni à la race, ni même à la religion. C’est prêcher cette fraternité adamique. Quand vous prenez un chapelet, le chapelet est fait de grains. Nous ne faisons jamais attention au fait que ces graines sont reliées entre elles par un fil et ce fil, on ne le voit pas. Le soufi, aujourd’hui, doit être le fil de notre société qui unit les différentes gens. Et cela nécessite un travail sur soi. D’abord, mêle-toi de tes affaires au lieu de te mêler des affaires des autres. Et aussi introduire la sacralité dans notre vie. Et la miséricorde car le chemin mohamadien est un chemin de miséricorde.

Que diriez-vous du rapport entre soufisme et politique et de la place du soufi dans la cité, des questions relatives au pouvoir…Le soufi doit-il se mêler de politique?

La politique fait partie de la société humaine. Le soufi ne doit pas pratiquer la politique politicienne, qui est la politique du mensonge. Nous avons toujours dit qu’il n’y a pas de lien politique entre nous. Ce sont d’autres liens qui nous unissent, des liens de fraternité. Que vous soyez de ce parti ou de cet autre parti, cela ne regarde que vous.

Vous confirmez que la alawiya est apolitique…

Elle doit l’être. Les zaouïas doivent se conformer à ce principe. Cela n’empêche pas que les soufis sont des citoyens ; ils doivent jouer leur rôle en votant, en décidant, mais pas au nom d’une tarîqa. Même moi, je n’ai pas le droit d’engager la tarîqa. Pourquoi ? Parce que les partis changent. Même le parti communiste qui a occupé la moitié de la Terre a disparu. L’Union soviétique, où est-ce qu’elle est aujourd’hui ? Mais la voie de Dieu, elle, reste. Elle restera éternellement. Les zaouïas sont des espaces de dialogue, des espaces qui doivent être là pour la moussalaha (conciliation). Chacun a le droit d’aller dans une zaouïa, même un athée. C’est chez lui. La zaouïa, c’est la maison de Dieu pour toutes les créatures de Dieu. On ne peut pas dire à quelqu’un qui vient dans une zaouïa « tu n’es pas de mon parti » ou bien « tu n’es pas de ma tarîqa » ou « tu n’es pas de ma religion»… C’est inadmissible !

D’où le titre de votre livre, La Fraternité en héritage…

Eh bien, c’est tout ce que m’a laissé mon père ! Il est mort à 47 ans dans l’humiliation. On l’a mis sous terre dans un cachot de deux mètres carrés, on a confisqué tous les biens de la zaouïa, on a brûlé des centaines de livres, mais al hamdou lillah, cela nous a rendus encore plus forts par le fait même que cela nous a rendus plus proches de ceux qui souffrent. Moi je ne veux régler mes comptes avec personne. Tout ce que je dénonce, c’est la bêtise d’où qu’elle vienne, des juifs, des chrétiens, des Américains, des Chinois, qu’elle vienne de mes propres frères… La bêtise humaine, y’en a marre! Arrêtons de jouer à ce jeu malsain des intérêts en opposant les uns aux autres par le religieux, par l’affectif, et en surfant sur la sensibilité des gens avec l’émotionnel. Arrêtons cette religiosité théâtrale. Moi je suis pour une éducation d’éveil et de responsabilité. Que ce soit en Occident ou ailleurs, c’est la pensée soufie qui triomphe parce qu’elle est avant-gardiste, qu’on le veuille ou pas. Parce qu’elle prêche la tolérance, parce qu’elle ne porte pas de jugement sur les autres. Elle accepte les gens tels qu’ils sont. La première chose qu’elle nous apprend, c’est d’accepter l’autre tel qu’il est. Parce qu’elle est une créature de Dieu et que Dieu a anobli les fils d’Adam : «Wa lakad karamna bani Adam.» (Et nous avons anobli les enfants d’Adam). Ce n’est pas par la contrainte qu’on convertit les gens, «la ikraha fi dine». Point de contrainte en religion. Imposer une religion, c’est complètement débile. Ou alors il faut enlever tous ces versets coraniques. On nous parle de l’Etat islamique et on nous dit : «Le Coran c’est le doustour.» (Le Coran est la Constitution). Quel doustour ! La constitution change et évolue par rapport à la société. Comment faire du Coran une Constitution ? C’est quoi cette fable ? Pour anesthésier les gens avec Le Livre de Dieu ? Le Coran est une lumière. Il ne peut pas être le doustour de qui que ce soit. Il n’est l’apanage de personne, ni d’un prince, ni d’un roi, ni d’un président, ni d’un clan, ni d’une école. C’est Le Livre de Dieu.

Que pensez-vous du courant dit « coraniste » qui renie la charia et dont le frère de Hassan El Banna est l’une des figures de proue en Egypte?

Nous, Ahl al Sunna wal Jamaâ, nous avons un patrimoine inestimable. Moi, quand je lis la charia, je l’interprète comme une voie extraordinaire d’ouverture. Hélas, à partir d’une certaine époque, il y a eu un rétrécissement des esprits dans le monde musulman. Savez-vous qu’il y avait 52 écoles de pensée et de fiqh à Baghdad ? Il n’en reste plus que quatre et bientôt, même ces quatre, elles vont disparaître et il ne restera plus que la doctrine wahhabite. On aura ainsi atteint le sommet de l’abrutissement généralisé. Aujourd’hui, ces gens nient la philosophie alors que la philosophie grecque est passée en Occident grâce aux musulmans. Mais n’oubliez pas que c’est l’Inquisition qui a amené la Renaissance…


Dates

1949 : Naissance de Khaled Adlen Bentounès à Mostaganem.

1962, le 5 juillet : Le jeune Khaled Bentounès est désigné pour hisser le drapeau national le jour de l’indépendance dans sa ville natale. Le jeune garçon reçoit d’abord un enseignement traditionnel dans la zaouïa familiale avant de partir en Europe étudier l’histoire et le droit.

1971 : Son père, El Hadj El Mahdi Bentounès, est assigné à résidence à Jijel après avoir été emprisonné.

1975, le 24 avril : Décès de son père à l’âge de 47 ans. Khaled Bentounès vivait alors en Europe où il était dans le prêt-à-porter. Il délaisse son affaire et devient le 4e guide de la confrérie alawiya après le cheikh Ahmed Benalioua, fondateur de la tarîqa (1869-1934), le cheikh Adda Bentounès, son grand-père (1898-1952), et son père El Mahdi Bentounès (1928-1975).

1989 : Le cheikh Bentounès est reçu au Vatican par le pape Jean-Paul II.

1991 : Il crée l’association des Scouts musulmans de France.

1999 : Il crée l’association Terres d’Europe qui va organiser avec l’Unesco un colloque sur le thème «Pour un Islam de paix».

2001 : Khaled Bentounès lance un cycle intitulé «Thérapie de l’âme».

2003 : Il est membre fondateur du Conseil français du culte musulman. Il crée à Mostaganem la fondation Janatu El Arif – Centre méditerranéen pour le développement durable.

Parmi ses nombreux ouvrages : Soufisme cœur de l’Islam (La table Ronde, 1996), L’homme intérieur à la lumière du Coran (Albin Michel, 1998). Vient de paraître : La Fraternité en héritage (Albin Michel, 2009) et Soufisme, l’héritage commun (ed. Zaki Bouzid, 2009).


« Je ne suis pas un franc-maçon ! »

Certains écrits colportés par le Net présentent la confrérie alawiya comme une loge maçonnique. Ce qui fait sourire cheikh Bentounès, qui nous invite à venir à Mostaganem et enquêter par nous-mêmes sur cette prétendue connivence entre la confrérie chadhiliya-alawiya et la franc-maçonnerie. «Si j’étais maçon, je l’aurais dit», tranche Khaled Bentounès, avant de marteler : «Je ne suis pas maçon. Je suis invité… Je donne des conférences, mais je ne suis pas maçon. Je n’ai rien à cacher. Si je l’étais, je le dirais, un point c’est tout ! Je n’ai pas besoin d’être maçon. Ce que j’ai me suffit.»


Une académie soufie et une grande mosquée à Paris

Parmi ses projets, cheikh Khaled Bentounès a évoqué la création d’un institut islamique d’obédience soufie, en collaboration avec les grandes universités religieuses du monde musulman, notamment El Azhar (Le Caire), la Zitouna (Tunis) et El Qaraouiyine (Fès).

«Il s’agit de s’ouvrir à la pensée active en dispensant aux jeunes une formation à la fois littéraire, religieuse, scientifique et philosophique prodiguée par des universitaires et des professeurs de haut niveau», explique le guide de la tarîqa alawiya. Il a souligné que la célèbre université d’El Azhar sera un partenaire entier du projet en mettant à la disposition de cette académie des maîtres d’obédience soufie. «Il y a un puissant courant soufi à El Azhar», souligne cheikh Bentounès.

Concernant le financement de cette académie, cheikh Bentounès a affirmé qu’il en avait parlé au président Bouteflika qui s’est aussitôt engagé à soutenir le projet. «J’en ai parlé à Monsieur le président de la République en 2007. Je lui ai dit voilà, est-ce qu’on le fait ici ? Parce qu’il y a des frères qui m’ont dit nous sommes prêts à le faire avec vous. Et vous savez bien qu’on est capables de le faire dans d’autres pays que l’Algérie. J’ai dit est-ce qu’on le fait ? Il m’a répondu : « Yendar fi bladou. » Il sera implanté ici», confie Khaled Bentounès.

Le chef de la confrérie alawiya a évoqué par ailleurs un autre projet d’envergure dont il est l’un des principaux initiateurs. Ce projet consiste en la construction d’une grande mosquée à Paris, dans le quartier de la Goutte d’Or (18e arrondissement, près de Barbès). «Ce sera la future mosquée du XXIe siècle», promet le cheikh Bentounès.


Islam et laïcité : l’éternel malentendu

Question récurrente qui revient immanquablement dans le débat sur la place du religieux dans la cité : l’Islam est-il soluble dans la laïcité ? «Faux débat», rétorque Khaled Bentounès. Mauvaise problématique. Pour cause : «L’Islam n’a pas d’Eglise», insiste-t-il. «Il n’a pas de papauté, pas de clergé.» «Chaque musulman est responsable de ses actes devant Dieu.» Et de faire remarquer que «la laïcité à la française est spécifique à la France. C’est lié à la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Maintenant, qu’il y ait une division entre le religieux et le politique, moi je crois que l’Islam est pour».

Le chef de la alawiya estime que la sphère du religieux, «c’est l’éducation d’éveil afin que les êtres puissent vivre en harmonie avec le divin et avec leurs semblables», tandis que l’Etat «s’occupe de la gestion de la société». Mais, regrette-t-il, «les gens ne comprennent pas : chez nous, quand on dit « laïki », ça veut dire « kafer » carrément».

Questionné sur le lien organique entre les lois et codes promulgués et le «gisement biblique» dans lequel elles puisent leur matière, Khaled Bentounès souligne que toutes les législations du monde ont pour matrice première les textes sacrés. «Prenez le code civil en France. Le code Napoléon s’inspire de la Bible. Les codes américains s’inspirent également de la bible. Personne ne peut nier que les lois qui gouvernent les Etats les plus modernes du monde sont d’inspiration religieuse», dit-il, avant de noter : «Mais la Bible elle-même puise dans des textes anciens comme le code Hammourabi (roi babylonien).»

Et de faire observer : «Mais combien il y a de versets qui traitent de la charia dans le Coran ? Ils sont au maximum 400 sur 6614. Alors, et le reste, il parle de quoi ?» Cheikh Bentounès indique au passage que le premier traité de charia n’a vu le jour que deux siècles après la mort du Prophète. Il s’agit de Rissala fi Oussouli el Fiqh (épître sur les fondements du droit religieux) de l’imam Al Chafiî (767-820).


300 millions de soufis dans le monde

Selon cheikh Khaled Bentounès, dans le monde musulman, les soufis représentent 20% de l’ensemble des fidèles de culte musulman, estimés à 1,5 milliard. «Ainsi, une simple opération arithmétique révèle qu’il y a quelque 300 millions de personnes rattachées à des voies soufies dans le monde», déduit cheikh Bentounès. Et d’ajouter que l’Egypte à elle seule compte quelque 15 millions d’adeptes des confréries religieuses. En Algérie et dans le Maghreb, ce que d’aucuns appellent «l’Islam confrérique» jouit aujourd’hui encore d’une popularité appréciable. Et même s’il n’existe pas de statistiques fiables sur les zaouïas, on sait que celles-ci ont un ancrage social indéniable. Parmi les voies mystiques les plus populaires en Algérie, citons la qadiriya, la tidjaniya, la alawiya, la rahmania ainsi que la tarîqa aïssawiya.


244 manuscrits soufis détruits par l’armée américaine à Falloudja

Au cours de la longue interview qu’il nous a accordée, le cheikh Khaled Bentounès nous a livré ce témoignage poignant qui résume à lui seul la barbarie américaine en Irak : «J’ai rencontré des frères irakiens soufis venus de Baghdad, de Kirkouk et de Falloudja. C’est terrible ce qu’ils ont vécu, surtout ceux de Falloudja. Vous savez qu’on leur a incorporé une puce dans la pupille et une autre dans la peau, de sorte qu’un satellite puisse les suivre partout où ils vont. L’un d’eux avait été détenu à Abou Ghraïb, et pendant 11 jours, il était enfermé dans un cercueil, sans eau, sans nourriture, dans le noir absolu. Et la zaouïa al alawiya à Falloudja, un missile l’a détruite et ils (les Américains, ndlr) ont brûlé 244 manuscrits anciens parmi les plus vieux manuscrits que nous avions dans la zaouïa. »

Par Mustapha Benfodil, Tayeb Belghiche

El Watan, 12 août 2009

ÉTRANGES ÉTRANGERS

Cette brève reprend le poème de Jacque Prévert cité dans l’article de SOCIALGERIE: « MIGRATIONS – Escalade raciste des législations en Europe » (pour lire l’article: cliquez ici).

ÉTRANGES ÉTRANGERS

Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel

hommes de pays lointains

cobayes des colonies

doux petits musiciens

soleils adolescents de la porte d’Italie

Bougnats de la porte de Saint-Ouen

Apatrides d’Aubervilliers

brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris

ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied

au beau milieu des rues

Tunisiens de Grenelle

embauchés débauchés

manoeuvres désoeuvrés

Polaks du Marais du Temple des Rosiers

Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone

pêcheurs des Baléares ou du cap Finistère

rescapés de Franco

et déportés de France et de Navarre

pour avoir défendu en souvenir de la vôtre

la liberté des autres

Esclaves noirs de Fréjus

tiraillés et parqués

au bord d’une petite mer

où peu vous vous baignez

Esclaves noirs de Fréjus

qui évoquent chaque soir

dans les locaux disciplinaires

avec une vieille boite de cigares

et quelques bouts de fil de fer

tous les échos de vos villages

tous les oiseaux de vos forêts

et ne venez dans la capitale

que pour fêter au pas cadencé

la prise de la Bastille le quatorze juillet

Enfants du Sénégal

dépatriés expatriés et naturalisés

Enfants indochinois

jongleurs aux innocents couteaux

qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés

de jolis dragons d’or faits de papier plié

Enfants trop tôt grandis et si vite en allés

qui dormez aujourd’hui de retour au pays

le visage dans la terre

et des bombes incendiaires labourant vos rizières

On vous a renvoyé

la monnaie de vos papiers dorés

on vous a retourné

vos petits couteaux dans le dos

Étranges étrangers

Vous êtes de la ville

vous êtes de sa vie

même si mal en vivez

même si vous en mourez .

Jacques PREVERT

« La pluie et le beau temps »

1955 – Gallimard

MI – SEPTEMBRE 2009: RÉCENTS ARTICLES SUR LE SITE

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Périodiquement, pour faciliter la consultation des documents, SOCIALGERIE » signalera dans une vue d’ensemble les thèmes mis en ligne depuis la dernière mise à jour (cette fois-ci depuis le 23 juillet dernier), avec l’indication de la rubrique et du numéro de l’article correspondant. On sera reconnaissant d’indiquer les éventuelles difficultés rencontrées à la recherche des textes souhaités.

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Mi-août, mois anniversaire de la tenue du Congrès de la Soummam,

« Le Quotidien d’Algérie » a initié un forum auquel a pris part Sadek Hadjerès,

deux de ses interventions sont reprises dans l’article du site « UN DEMI-SIÈCLE APRÈS LE CONGRÈS DE LA SOUMMAM »


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autre contribution versée aussi au même forum, l’article
« L’HISTOIRE PAR LE BOUT D’UNE LORGNETTE IDÉOLOGIQUE ».
Dans cet article certains extraits du livre de Jean Galland resituent et illustrent des relations telles que vécues entre les militants du PCA et du FLN en devenir (deux documents joints – extraits du livre de J. Galland- témoignent de sa rencontre avec Amar Ouamrane (futur colonel de la wilaya IV) en juin 1954, et aussi de la réunion de nuit PCA la veille du 1er Novembre 1954 avec Bachir Hadj Ali à Ath-Yanni).
Voir l’article…


Cliche_2009-09-09_13-39-58.gifÀ l’occasion de l’évocation du soulèvement populaire du 20 août 1955,

« SOCIALGERIE » présente une étude de Zahia El Mokrani-Gonon.

« Cette analyse juridico-politique, d’une rigoureuse sévérité envers le système colonialiste. montre que la barbare répression des populations de l’Est algérien ne fut ni une réaction improvisée, ni des violations conjoncturelles des droits de l’homme,

mais la mise en application d’une législation raciste colonialiste élaborée et mise en œuvre depuis des décennies « 

lire l’article: « Le 20 AOÛT 1955 ET L’ARSENAL JURIDIQUE COLONIAL »


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Dans un article consacré à Francis Jeanson, décédé début août, « SOCIALGERIE » rappelle l’impact de la publication, avec Colette Jeanson, à l’automne 1955, du livre
« L’ALGÉRIE HORS LA LOI », et rend hommage à la qualité de son amitié exigeante envers l’Algérie.

Voir l’article de Sadek Hadjerès: « FRANCIS JEANSON, HUMANISTE FRANÇAIS, AMI DE L’ALGÉRIE REBELLE »;
qui accompagne un article de Arezki Matref « UN APRÈS-MIDI AVEC FRANCIS JEANSON »


Sadek Hadjeres et Mohand Ouyidir Ait Amrane,

En ce soixantième anniversaire

de la « Crise du PPA-MTLD de 1949 »

deux textes sont présentés dans le site:

LA CRISE DU PPA-MTLD DE 1949:

« Juillet – Aout 1949, été brûlant et point culminant d’une crise qui a laissé chez tous les acteurs un sentiment amer et douloureux pour la cause nationale.

Soixante ans après, peut-on esquisser un aperçu global et quelques enseignements pour les nouvelles générations ?

lire la suite…


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AOÛT 1949, AU-DELÀ DE FERHAT ALI: « Le 18 août 1949, à la sortie de Larbaa Nath Irarthen, revenant le jour de marché vers taddart-is (son village), Ferhat Ali, vétéran et cadre du mouvement nationaliste depuis l’Etoile Nord Africaine, est victime d’un attentat. Il restera miraculeusement en vie après presque un mois d’hospitalisation à Tizi Ouzou… »
Lire la suite…


Dans l’Actualité récente:

Cliche_2009-09-02_18-36-54.jpg« SOCIALGÉRIE » publie la lettre de Marwan al Barghouti au Congrès du Fatah »AINSI SE FERA LA RENAISSANCE DU FATAH »

« Dans la deuxième moitié de la lettre adressée depuis la prison israélienne au Congrés du Fatah qui l’a élu au Comité Central, Marwan Al Barghouti, espoir des Palestiniens en cette période de crise aiguë, aborde les problèmes intérieurs qu’a dû affronter cette organisation depuis vingt ans.

L’ intérêt de ce document réside aussi pour nous en ce qu’il évoque avec précision les maux et les obstacles externes et internes qu’affrontent dans le monde arabe les courants attachés aux libertés démocratiques, aux aspirations sociales.

Des problèmes vécus par bien des formations progressistes dans le monde et dont le PCA et le PAGS ont connu quelques manifestations en Algérie, … »


Dans la rubrique « Lectures »:

« SOCIALGÉRIE » se réjouit de la publication en ligne de Alger Républicain

Voir l’article « ALGER RÉPUBLICAIN SUR LE NET »;


et reprend en « écho » des publications, initiatives et activités intellectuelles, culturelles et sociales progressistes signalées au site. Voir l’article « août 2009 : SITES – REVUES – PUBLICATIONS »

parmi les videos on peut retrouver « JEDDI AMAZIGH », la tirade mémorable de Slimane Benaissa dans « Babor Ghraq » (Alger, années 80)


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on trouvera aussi

Le message de félicitations adressé par Sadek Hadjeres au Général GIAP pour son 99ème anniversaire.

Les plus belles pages de la solidarité et l’amitié algéro – vietnamienne y sont évoquées à travers une ancienne lettre de Sadek Hadjeres (novembre 1995) à l’historien Benjamin Stora en instance de départ pour le Viet Nam.

Voir l’articleMESSAGE AU GENERAL VO NGUYEN GIAP


967_W301JEU.jpgEnfin, à l’occasion du 15Oème anniversaire de la naissance de Jean Jaurès le site présente un texte de Michel Peyret du 7 septembre 2009 « POURQUOI ONT-ILS TUÉ JAURÈS , » accompagné de deux videos (J. Brel et groupe Zebda)

En fin d’article, une dépêche de l’AFP présente le dernier film de Michael Moore, une condamnation objective et féroce du capitalisme aux USA et ailleurs:
« CAPITALISM: A LOVE STORY »
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Bonne lecture