COMMUNIQUÉ DE LA RENCONTRE DES PARTIS DE LA GAUCHE LIBANAISE

dimanche 30 janvier 2011,

par اللقاء اليساري

À l’appel du Parti Communiste libanais, la «Rencontre des partis de la gauche libanaise» a tenu une réunion afin d’étudier les derniers développements de la situation libanaise et les soulèvements populaires de libération vécus dans le monde arabe. A la suite de cette réunion ,les partis ont publié le communiqué suivant:

  • «La Rencontre des partis de la gauche libanaise» considère que le Liban traverse, aujourd’hui, une période très critique qui met en danger sa stabilité intérieure et son existence même. Ce danger est dû à l’interférence des crises intérieures graves avec l’ingérence étasunienne dans ses affaires, tant directement que par le travers du «Tribunal spécial pour le Liban» (TSL) utilisé dans le but de mener notre pays à une nouvelle guerre civile facilitant une nouvelle agression israélienne contre notre peuple.
  • Dans ce contexte, la «Rencontre des partis de la gauche libanaise» affirme que les problèmes et les dangers auxquels le Liban est soumis viennent de son régime politique, basé sur le confessionnalisme, mais aussi du comportement et des actions de la classe politique au pouvoir qui œuvre continuellement à diviser les Libanais à travers les conflits religieux et confessionnels qui aident ses différentes composantes à se partager le gâteau du pouvoir ou à mettre au point des compromis interconfessionnels loin des intérêts des masses et de la patrie.
  • Elle met en garde contre le glissement du Liban vers des tensions internes ou une guerre civile, dues à la mobilisation religieuse et confessionnelle qui sévit, ce qui constituerait un grand service rendu au projet étasunien-sioniste. C’est pourquoi fortifier notre pays face à un tel projet, protéger la paix civile et trouver des solutions aux crises constantes ne peuvent se faire par le renouvellement des compromis confessionnelles, quelle que soit la confession dominante, mais à travers un changement complet caractérisé par la suppression du régime confessionnel et son remplacement par un régime démocratique et laïc qui garantirait en même temps l’égalité entre les Libanais et la justice sociale.
  • «La rencontre des partis de la gauche libanaise» voit que l’Intifada héroïque du peuple tunisien contre un des symboles des dictatures oppressant les peuples arabes a constitué la flamme qui a illuminé le monde arabe et inspiré le soulèvement du peuple égyptien contre le régime d’allégeance à l’impérialisme, créé par l’Accord de Camp David.

    Elle voit aussi dans les soulèvements des autres peuples arabes une tentative de redessiner la nouvelle carte de la région, opposée à celle du projet du Nouveau Moyen Orient et de ses outils dans la région, à savoir les régimes de l’oppression qui ont donné une couverture au projet impérialiste sioniste et qui lui ont facilité la tâche à travers les politiques de répression, d’injustice, de séquestration et de corruption.
  • «La Rencontre des partis de la gauche libanaise», tout en affirmant son soutien aux Intifadas des peuples arabes de Tunisie, d’Egypte, de Jordanie et d’Algérie, ainsi qu’à tous les soulèvements futurs contre les régimes oppressifs, met en garde contre les dangers de complots visant à mettre fin à ces soulèvements que peuvent perpétrer les hommes de ces régimes mais aussi les forces extérieures, en premier lieu l’impérialisme étasunien et son bras militaire représenté par l’OTAN.

    C’est pourquoi il appelle les forces de la gauche et du progrès dans le monde arabe à appuyer et à sauvegarder cette Intifada afin de la mener vers la réalisation de la libération réelle de toutes les formes d’exploitation, de misère et d’oppression.

«La Rencontre» a décidé de mener une campagne internationale et des activités locales en solidarité avec l’Intifada. Elle a aussi décidé de garder ses réunions ouvertes afin de mettre au point un programme libanais de lutte sur les plans politique, économique et social.

Beyrouth, le 30/ 1/ 2011

La « Rencontre des parties de la gauche libanaise »


بيان صادر عن اللقاء اليساري اللبناني

بدعوة من الحزب الشيوعي اللبناني عقد اللقاء اليساري اجتماعاً لبحث التطورات الداخلية اللبنانية وما يشهده العالم العربي من انتفاضات شعبية تحررية، واصدر بشأنها المواقف الآتية :

يرى اللقاء اليساري ان لبنان يمر اليوم في مرحلة دقيقة وحساسة، يتعرض فيها وجوده وكيانه واستقراره للخطر، بسبب تقاطع أزماته الداخلية المتفاقمة مع التدخل الاميركي السافر في شؤونه الداخلية، سواء بشكلها المباشر، اوعبر استغلال المحكمة الدولية واستخدامها وسيلة لاحداث حرب اهلية فيه، تؤسس وتمهد لعدوان اسرائيلي عليه.

وفي هذا المجال يؤكد اللقاء ان مشكلة لبنان والمخاطر التي يتعرض لها ما هي الا ثمرة من ثمرات النظام السياسي الطائفي فيه، ونتيجة طبيعية لاداء الطبقة السياسة الحاكمة وممارساتها، التي تعمل بامعان مستمر على تقسيم اللبنانيين وعلى شرذمتهم في صراعاتها المذهبية والطائفية، وفي تنافسها على مغانم السلطة، وتوزيعها حصصاً فيما بينها، عبر التسويات الطائفية، بعيداً عن هموم الناس ومصالحها ومصالح لبنان العليا.

يحذر اللقاء اليساري من انزلاق البلد الى توترات أمنية او حرب أهلية بسبب مناخات التعبئة الطائفية والمذهبية، باعتباره خدمة للمشروع الاميركي ـ الصهيوني، ويؤكد ان تحصين لبنان في مواجهة ذلك المشروع، وحماية سلمه الاهلي، ومعالجة ازماته المتمادية، لا تكون بتجديد التسويات الطائفية مهما كانت الغلبة فيها، بل عبر احداث تغيير جذري يتمثل في الغاء بنية النظام الطائفي واستبداله بنظام ديمقراطي ـ علماني يؤمن في آن المساواة بين اللبنانيين والعدالة الاجتماعية.

يرى اللقاء اليساري ان انتفاضة الشعب التونسي البطلة ضد رمز من رموز الديكتاتورية الجاثمة فوق صدور الشعوب العربية شكلت الشرارة التي ألهمت انتفاضة الحرية والعدالة التي تعم اليوم العديد من الاقطار العربية من المغرب الى المشرق واكدت ان الشعوب العربية، رغم كل آلة القمع والتسلط،، قادرة على كسر القيود المفروضة عليها، وفرض تحررها من أنظمة الاستغلال والظلم والتبعية.

ان اللقاء اليساري اذ يؤكد وقوفه الى جانب الشعوب العربية في انتفاضتها ضد الانظمة البائدة، ينبه من مخاطر التآمر على هذه الانتفاضة لاجهاضها من اتباع تلك الانظمة في الداخل وحلفائها في الخارج، وفي مقدمة هؤلاء النظام الأميركي وأداته العسكرية المتمثلة بحلف الناتو، يدعو القوى اليسارية والتقدمية في العالم العربي للعب دورها في دعم هذه الانتفاضة وحمايتها والسير بها نحو انعتاق حقيقي من كل اشكال الاستغلال والحرمان والتسلط.

من جهته قرر اللقاء القيام بحملة دولية وسلسلة من النشاطات المحلية دعماً لهذه الانتفاضة، تعلن مواعيدها في وقت لاحق، كما قرر متابعة اجتماعاته لصياغة برنامج نضالي.

اللقاء اليساري

بيروت في

DE L’ATLANTIQUE AU « GOLFE »: LE SOL SE DÉROBE SOUS LES BOTTES DES TYRANS

Ce texte de Sadek HADJERES fait partie d’une série d’approches à venir, concernant quelques aspects essentiels des évolutions en cours.

Elles nous interpellent en effet quant aux enseignements que chacun peut en tirer pour aborder avec résolution et esprit de responsabilité. les situations grosses de mutations importantes.

Il s’agit de rendre les inéluctables transitions dans les différents pays du monde arabe aussi peu dramatiques et coûteuses que possible pour nos peuples et surtout leur assurer à terme les débouchés positifs les plus durables.

L’Algérie est plus que tout autre pays sensible à cette problématique, après la «transition» non seulement avortée depuis 1990 mais qui s’est avérée génératrice d’un des plus grands malheurs de notre histoire nationale.

DE L’ATLANTIQUE AU GOLFE:

LE SOL SE DÉROBE SOUS LES BOTTES DES TYRANS

Configuration et exigences d’une nouvelle étape

En Algérie comme dans toute la région, l’Histoire n’a pas fini de nous dérouler ses ruses et surtout la logique profonde de sa «longue durée». Une logique qui, après des longues années de stagnation apparente, s’exprime aujourd’hui dans les fondements et les prolongements géopolitiques et géostratégiques des soulèvements populaires qui ont touché par vagues rapprochées plusieurs pays: Algérie, Tunisie, Egypte, Yémen, Jordanie.

La liste n’est pas close, elle tend à se renouveler chaque jour. Avec du retard ou de l’avance, ainsi que dans des formes spécifiques à l’Histoire et aux particularités de chaque pays, toujours les comportements conscients ou inconscients des acteurs sociaux et politiques reflètent plus ou moins fidèlement les mêmes tendances lourdes au long cours.

Les évènements d’envergure qui secouent cette vaste région habitée par d’ardentes aspirations à la liberté, à la paix et au bien-être, sont suivis avec passion et émulation dans l’espace géographique et géopolitique qui s’étend, «min al Atlassi ila-l-Khalidj», de l’Atlantique au «Golfe» (arabo-persique) tel que l’appellent souvent les media arabes.

C’est le même espace que la stratégie de Bush, au beau milieu de la guerre d’Irak, d’Afghanistan et de l’enfer palestinien, vouait au projet américain du «GMO» (Grand Moyen Orient), tandis que Sarkozy l’intégrait dans le projet de l’UPM (Union Pour la Méditerranée) non moins resté dans ses limbes, cependant que des plans occultes imaginent des rallonges à cet espace en manigançant notamment la déstabilisation des pays riverains du Sahel Africain.

Face aux séismes en chaîne sur les rive sud et orientale de la Méditerranée, les milieux occidentaux, longtemps sourds et incompréhensifs aux signaux les plus clairs, s’inquiètent et se perdent en conjectures, s’étonnant qu’il soit sorti quelque chose de ce monde arabe figé dans la «passivité et le fatalisme».

Plus perspicaces ont été des analystes internationaux , tels ceux du site LEAP/2020 qui, interprétant avec sérieux les données objectives de la crise économique et financière mondiale, ont cru pouvoir estimer dans leur dernière livraison du trimestre dernier que la crise loin de s’atténuer, ne tarderait pas, dès le printemps 2011 à connaître des développements d’envergure pouvant aller jusqu’à des «dislocations géopolitiques».

UN VRAI TOURNANT,

que n’ont pas vu venir ceux qui tiraient à court terme des profits faramineux des statu quo anti-populaires et anti-nationaux.

Les peuples qui en faisaient les frais dans la détresse, les révoltes, l’angoisse et la colère, aspiraient quant à eux à ce tournant depuis des décennies, en tâtonnant et sans trop savoir comment y parvenir. Les courants réellement démocratiques dans les diverses mouvances idéologiques ou identitaires, les militants socialistes notamment, ne lésinant pas sur les sacrifices moraux et matériels, continuaient sous les commentaires compassés et condescendants des «réalistes», à appeler à des luttes unies, longues et persévérantes, «semant dans le désert», comme le rappelait avec humour et conviction l’opposant tunisien en exil Moncef Marzouki, se rappelant la séculaire expérience des paysans du sud saharien. (site «socialgerie», article n° 345)

Frappés par la simultanéité et l’extension des soulèvements de grande ampleur, des commentateurs ont parlé «d’effet dominos», de «contagion». Ils invoquent les déclics et les incidents déclenchants, le rôle effectif et «en temps réel» des grands moyens de communication (internet et télévision) etc. Cela comporte une part de vrai sans pour autant être l’essentiel.

En vérité, au-delà des facteurs conjoncturels et des spécificités nationales, cette lame de fond a pris l’envergure, la puissance et l’ubiquité territoriale qu’on lui connaît dans le monde arabe, avant tout parce que dans cet espace, elle était devenue la seule réponse admissible par les peuples aux causes globales qui ont généré et entretenu une impasse majeure depuis des décennies: la politique cohérente, massive, de rapine et d’agression pratiquée par les cercles ultralibéraux militaro-financiers d’Outre-Atlantique et d’Europe, une démarche aux effets sociaux et politiques de plus en plus insoutenables.

Elle s’est exacerbée avec la cataclysmique crise financière des deux dernières années et les situations sécuritaires «au bord du gouffre» créées par les menaces et les actes des cercles agressifs américano-sionistes.

COMMENT LES PEUPLES,

SPONTANÉMENT OU AVEC LEURS ORGANISATIONS POLITIQUES,

LEURS INSTANCES ÉTATIQUES,

ONT-ILS DÉJÀ ET VONT-ILS ENCORE RÉAGIR?

Pour qui connaît les évolutions depuis un demi-siècle environ, il semble bien qu’ils ont tiré de nombreux enseignements des expériences passées.

L’avenir sera forgé selon la façon dont les jeunes générations qui affrontent l’actualité avec leur dynamisme et leurs capacités propres, pourront intérioriser l’expérience acquise par leurs aînés, telle que accumulée et exprimée dans les débats intenses nationaux, régionaux et mondiaux largement diffusés par les moyens de communication planétaires. Dans le cas tunisien, cette rencontre a été particulièrement convaincante, dans le feu de l’action et de l’unité d’action, entre les anciennes et jeunes générations combattantes de la démocratie et de la justice sociale.

Il me semble que l’élément central, déjà intériorisé ou en voie de l’être à plusieurs niveaux des sociétés et des champs politiques, est la prévalence du SOCIAL comme finalité et moyen du développement, Les commentaires tendant à opposer ou isoler l’un de l’autre le social et le politique ne sont pas à la hauteur des réalités. La vie confirme au contraire chaque jour leur imbrication et leur mutuel renforcement.

En même temps est mieux apparu, mais reste à percevoir encore mieux, le rôle antisocial et antidémocratique joué par les multinationales et les organismes internationaux à leur service (FMI, Banque Mondiale, OMC) avec l’appui de leurs bras politique et armé dont l’OTAN et ses multiples relais, qui sont dans chaque pays du monde arabe le rempart des régimes et pratiques anti-démocratiques les plus régressives.

Comme l’ont souligné plusieurs commentateurs, Benali est parti, mais ses maîtres, les dictateurs en chef, vont-ils continuer à tenir enchaînée la Tunisie par de nouveaux relais?

La prise de conscience de cette jonction (et même souvent la complicité organique) de l’exploitation socio-économique avec l’oppression des libertés et des droits de l’Homme me paraît le pas indispensable et l’évolution la plus prometteuse pour le recul des mystifications idéologiques et identitaires grâce auxquelles les régimes oppresseurs ont pu survivre aux échelles régionale et mondiale.

Ils ont souvent réussi à le faire en divisant les opinions nationales et populaires selon leurs sensibilités confessionnelles et culturelles, pour les empêcher d’envisager leur avenir selon l’évaluation objective des intérêts respectifs qui devraient les unir contre les dangers et les risques communs.

C’est le moment de ne pas oublier à quel point le monde, jusqu’à ses derniers recoins, est à ce jour encore dirigé d’une façon implacable, non par les seules instances étatiques visibles et leurs représentants attitrés qui alternent au devant de la scène internationale, mais par une coalition formelle, occulte et restreinte qui, au plus haut niveau, élabore les stratégies et en contrôle l’application diversifiée.

« Cette organisation qu’on a appelée “Triade” puis “Trilatérale” puis “club de Bilderberg”, (est) infiniment plus puissante et plus efficace que le Forum de Davos, que le G6, puis G20, qui n’en sont que des applications et des mécanismes de “normalisation” de l’idée de gouvernance mondiale.

Le “club de Bilderberg” peut convoquer à ses réunions de puissants ministres de la défense ou de l’économie, et décider quelles sont les grandes orientations à imprimer à la politique pour soumettre le monde aux intérêts de cette élite. Rockefeller en est le principal inspirateur. » (cf M. Bouhamidi dans la Tribune du 6 janvier 2011).

Ce même David Rockfeller, après avoir exprimé sa reconnaissance aux grands media et publications américaines pour avoir rempli leurs promesses de coopération «discrète» au club de Bilderberg, soulignait en 1991 à Baden-Baden: «La souveraineté supranationale d’une élite intellectuelle et de banquiers mondiaux est assurément préférable à l’autodétermination nationale pratiquée dans les siècles passés.» (ibidem)

Comment s’étonner alors que, face à cette coalition de l’ombre pour la déstabilisation et le dépeçage des nations par les armes et les divisions identitaires, face à l’oppression des peuples, au pillage de leurs ressources, à l’exploitation à outrance de leur force de travail et de leurs détresses sociales, les peuples de notre région aient relancé leurs efforts pour joindre toutes leurs ressources, leurs moyens d’action et leur courage afin de mettre à la porte les valets et les pratiques des comploteurs impérialistes ?

C’est le premier pas, dans des situations et par des voies nouvelles, avec des moyens nouveaux, vers la réalisation démocratique, pacifique et dans l’unité d’action, des objectifs fondamentaux assignés il y a cinquante ans à la guerre de libération nationale. Face au désarroi dangereux des oppresseurs et affameurs mondiaux et de leurs relais locaux, il appartient aux peuples et à leurs organisations de donner à leurs légitimes « intifadhat » un élan ascendant de résistance nationale et de solidarité internationale et un contenu démocratique et social de plus en plus conscient.

Sadek HADJERES

29 janvier 2011

www.socialgerie.net

UNE ONDE DE CHOC EST PARTIE DE TUNISIE – ENTRETIEN AVEC NOURREDINE SAÂDI

Constitutionnaliste et politologue, Nourredine Saâdi tient les deux instruments qui permettent de comprendre les mécanismes de révolte déclenchés dans le monde arabe à partir de Tunisie. Ecrivain, il a en outre beaucoup voyagé dans ces pays dont il observe l’évolution depuis de longues années.

Le Soir d’Algérie: Y a-t-il eu des signes avant-coureurs de la révolution tunisienne qui démentent la thèse du coup de tonnerre dans un ciel serein et que peu d’observateurs auraient vu?

Nourredine Saâdi : Certes, le «coup de tonnerre» aura été cette divine surprise qu’a été la fuite de Ben Ali dans la soirée du 14 janvier. Le lendemain, beaucoup de Tunisiens n’y croyaient pas encore tant ce fut inattendu. Il n’y a qu’à suivre les lamentables contritions et meaculpa de Sarkozy et du gouvernement français pour mesurer combien ce fut un événement inédit.

Si l’on reprend la chronologie des faits, on observera cependant que depuis l’acte inaugural, sa violence, sa symbolique, qu’a été l’immolation par le feu du jeune Bouazizi à Sidi Bouzid, on a assisté à la transformation des émeutes en soulèvement, des manifestations généralisées à tout le pays à la mobilisation de forces syndicales, la base de l’UGTT et j’insiste sur le fait que ce furent les instances régionales de base, l’entrée de nombreuses associations de la société civile et particulièrement la Ligue des droits de l’homme, les associations de femmes, les avocats, les artistes, etc.

Ce que l’on appelle, faute de mieux, les couches moyennes et une partie de la bourgeoisie se sont joints au mouvement populaire qui culmina après le décès de Bouazizi le 4 janvier.

La haine accumulée contre le régime prédateur et dictatorial, la corruption de sa famille et de son clan étaient telles que la révolte s’est transformée en révolution, c’est-à-dire une rupture radicale avec le régime.

L’armée, qui est dans un statut assez spécifique en Tunisie par rapport à d’autres pays arabes, a joué un rôle important en refusant de tirer sur le peuple et, fort certainement, le limogeage par Ben Ali du chef d’état-major a contribué à la fin du système.

L’on dit que les Américains auraient joué dans ce sens. C’est fort probable, car dès le 7 janvier, l’ambassadeur tunisien à Washington a été convoqué pour lui signifier la condamnation de la répression, mais les interventions extérieures n’ont pas été essentielles je crois.

En effet, il faut revenir à de plus lointaines antécédences explicatives, car un tel bouleversement ne peut relever d’une génération spontanée.

Il faut d’abord rappeler que sous la chape de plomb, la machine de répression, la surveillance et l’encadrement par le parti officiel, le RCD, de plus de 2 millions de membres, dans un pays de 10 millions d’habitants, le clientélisme, la gangrène de la corruption, il y a eu de courageuses résistances constantes d’intellectuels, même peu nombreux, des jacqueries et révoltes ont souvent éclaté dans les régions intérieures et surtout en 2008 la grève et la révolte à Gafsa et l’impitoyable répression, ont sonné le tocsin.

Mais plus profondément, c’est l’humiliation et la haine vis-à- vis des Trabelsi et de la «famille», qui avaient mis le pays en coupe réglée, qui expliquent ce ras-le-bol.

Il est évident que les conditions économiques et sociales ont été essentielles. Ce qu’on a appelé le miracle économique tunisien a fini dans la crise: montée du chômage chez les jeunes diplômés, envolée des prix et détérioration des conditions de vie qui ont atteint même les classes moyennes qui avaient bénéficié du système.

Bien sûr, la crise du système capitaliste mondial, notamment la brusque hausse des produits alimentaires, joue un rôle non négligeable.

Mais on doit revenir également à une histoire plus longue de la Tunisie: je pense au fait que très tôt la nation s’est constituée par l’autonomie du bey de Tunis par rapport à l’empire ottoman; aux réformes importantes de Kheir Eddine; au mouvement national dans le Destour et bien sûr, bien qu’il n’ait pas été le démocrate dont on veut aujourd’hui réhabiliter l’image, à l’action de Bourguiba et particulièrement le statut émancipateur des femmes, la sécularisation de la société, la scolarisation massive et tous les éléments de modernisation de la Tunisie.

Lors d’un débat récent tenu à Paris, sur la situation en Tunisie, un universitaire a avancé l’idée que le régime de Ben Ali n’aura été qu’une parenthèse dans l’histoire contemporaine de la Tunisie. Je pense qu’il l’aura marquée en négatif mais que, sa fin par une révolution populaire, qui n’a été ni conçue ni préparée, par une élite ou des partis politiques, inaugure de nouvelles possibilités historiques car c’est la première révolution démocratique dans le monde arabe conduite pacifiquement et par la rue.

C’est pourquoi je suis irrité par ce qualificatif de «Révolution de jasmin» lancé par la presse occidentale. Les manifestants ne portent pas de jasmin! C’est encore le cliché et la folklorisation orientaliste et touristique… Sidi Boussaid, etc.

Il s’agirait plutôt symboliquement de jasmin brûlé… L’immolation par le feu… Près d’une centaine de morts…

Cela dit, ce ne sont que quelques réflexions hâtives et ce sera certainement avec le recul historique que l’on analyserait plus profondément les raisons de cette révolution, encore en cours et dont on ne connaît encore pas les aboutissements.

Il faut éviter le principe mono-réducteur, car une seule cause ne peut expliquer un événement d’une telle ampleur, aussi bien pour la Tunisie que pour le monde arabe.

Depuis qu’elle a chassé Ben Ali, la rue tunisienne est devenue un exemple pour le monde arabe. Dans quelle mesure le bouleversement politique, et peutêtre institutionnel entrainé par la révolte des Tunisiens, recèle-t-il une exemplarité pratique pour d’autres pays arabes?

Exemplarité, oui. Les manifestations en cours dans des pays arabes défilent avec des drapeaux tunisiens. C’est tout un symbole!

À Alger, samedi dernier, en Égypte depuis hier, en Jordanie, la semaine dernière et ce matin la presse, rapportant la grande manifestation hier à Sanna, au Yémen, reprend le slogan clamé dans la rue: «En Tunisie, il est parti au bout de 20 ans; chez nous, il est encore là après 30 ans!»

Mais je n’aime pas le mot de «contagion» utilisé par la presse occidentale. Il traduit la crainte inconsciente des pays occidentaux!

C’est assurément une onde de choc, mais qu’il faut rapporter aux conditions propres et à l’histoire de chacun des pays. D’ailleurs, l’écho va plus loin que dans les pays arabes. Un opposant à Bongo, André Mba Obame, au Gabon, et qui lutte contre les fraudes aux dernières élections, s’est référé à la Tunisie pour légitimer son combat!

Exemplaire d’autant que cela intervient dans un horizon d’attente dans des pays où l’on retrouve, par-delà les particularités de chacun, les mêmes ingrédients d’ autoritarisme, de clientélisme, de corruption et de malvie, de chômage, de détérioration des conditions de vie des plus pauvres face à l’enrichissement des couches et clans liés aux pouvoirs.

Une situation de crise profonde qui pourrait tout à fait s’illustrer par la définition de Lénine: «Il y a crise quand ceux d’en-bas ne veulent plus et ceux d’en-haut ne peuvent plus.»

L’exemple également, et malheureusement, que cette vague tragique d’immolations… Algérie, Maroc, Égypte, Mauritanie, Yémen… Signe de la désespérance…

Qu’y a-t-il dans la culture du monde arabe qui rende à ce point fatal le zaïmisme comme mode de gouvernance et d’incarnation symbolique de la nation et de l’Etat, et problématique l’alternance au pouvoir par les urnes et dans des canons réellement démocratiques?

On observe effectivement que les systèmes politiques dans le monde arabe, mais pas seulement, sont de plus en plus clos, clientélistes, prédateurs, patrimonialistes dominés par la figure du zaïm ou du monarque absolu.

C’est un mouvement qui découle à la fois du système institutionnel et plus profondément de traditions, de cultures de sociétés marquées encore par le patriarcat avec l’ombre portée de ce qu’a été le califat, le prince, le chef du clan…

Il est évident que la forme de présidentialisme absolu comme régime politique encourage ce phénomène.

Le modèle de constitution américaine, qui connaît les contre-pouvoirs du Congrès, a été perverti par cette forme de présidentialisme qui accorde tous les pouvoirs au zaïm qui contrôle les pouvoirs exécutifs, législatifs comme la Justice.

Ce sont alors les mandats successifs, au prix de révisions de la Constitution, qui devient un chiffon de papier et, pourquoi pas? Le mandat à vie, comme le prépare Ali Abdellah Saleh au Yémen.

De là à la succession dynastique il n’y a qu’un pas, car au fond, cela traduit le fait que le pouvoir devient un patrimoine, dont on tire bien évidemment les bienfaits symboliques et surtout matériels.

Comment voulez-vous alors que fonctionne l’alternance dans une telle conception de l’Etat?

Ce système politique despotique a été encouragé par l’Occident, le justifiant par le culturalisme, car il va dans l’intérêt de leurs affaires, surtout le pétrole, tout en leur donnant l’illusion qu’il assure leur sécurité par la lutte contre l’intégrisme islamique et le terrorisme.

Il est significatif que la plupart des régimes arabes se sont engouffrés dans «la guerre contre le terrorisme» menée par les Américains après les attentats du 11 septembre.

Ben Ali ou Moubarak ou les Saoudiens en sont devenus les caricatures. Ces «sécuritocraties», pour utiliser le néologisme de Kodami, sont devenues des instruments géostratégiques des puissances occidentales ou indirectement d’Israël.

Il suffit d’observer les inquiétudes de son gouvernement depuis quelques jours à propos de la Tunisie ou plus particulièrement des manifestations en Jordanie ou en Égypte.

On brandit alors l’épouvantail de l’islamisme et la mémoire traumatique de la révolution de Khomeiny ou du terrorisme en Algérie.

Nous sommes devant des enjeux géostratégiques dont nos despotes, bien que je schématise, sont des instruments qui en tirent profit.

J’ai été frappé que l’on ait expliqué les différences d’appréciation de la situation en Tunisie entre les États-Unis et la France par le fait que la Tunisie n’ est pas considérée par les intérêts américains comme zone stratégique, alors qu’ils sont plus alarmés par l’évolution en Égypte ou au Yémen.

Comment vous semble devoir évoluer la situation en Tunisie ?

C’est un mouvement en marche et chaque jour apporte ses évolutions.

La rue et les forces populaires ont imposé hier l’éviction des ministres régaliens, reconduits du régime de Ben Ali, des mesures et des poursuites contre le clan et réclament la dissolution du RCD.

Cette période de transition est source de grands espoirs mais également d’incertitudes et de risques. La phase cruciale, juste après la fuite de Ben Ali, et la politique de «terre brûlée» de ses séides, semble avoir été maîtrisée dans la mesure où il n’y a ni chaos ni même affrontements violents. Mais la situation reste encore peu maîtrisée et délicate. Je me garderai bien de «faire bouillir les marmites de l’avenir», comme on dit, mais je pense qu’il y aura à la fois des éléments de rupture politique et institutionnelle et d’autres de continuité dans la politique économique, le tourisme, etc.

La Tunisie, qui ne vit pas de la rente pétrolière, a besoin d’une stabilité qui encourage les investissements et d’une relance économique pour répondre à toutes ces revendications exprimées par la jeunesse.

Des élections sont envisagées dans 6 mois et ce sera difficile de reconstruire un champ politique et des forces politiques susceptibles d’obtenir la légitimité démocratique par les urnes.

On évoque dans la presse occidentale la peur des islamistes même s’ils ne sont pas encore des acteurs importants dans le mouvement.

Je crois que la question est plutôt de permettre à tous les courants de s’exprimer afin d’aboutir à une assemblée constituante représentative et à un pouvoir légitime fondé sur l’alternance.

Il n’y a pas, et fort heureusement, un «homme providentiel», charismatique dans cette révolution et le système à venir gagnerait, ce n’est qu’une opinion de constitutionnaliste, à s’orienter vers plus de parlementarisme. Les islamistes n’en seraient que plus relativisés.

Mais tout reste évidemment conditionnel! Les pressions constantes de la rue ont permis jusque-là, avec calme et maturité, de poursuivre le processus et cela donne de l’espoir car la réussite ou qu’à Dieu ne plaise! des échecs auront des répercussions dans tout le monde arabe.

À ce sujet, les prises de position de Kadhafi n’augurent rien de bon et le silence officiel assourdissant de l’Algérie ou du Maroc montre tout l’embarras des voisins.

L’appui et le soutien des sociétés civiles, des démocrates maghrébins et arabes est précieux aujourd’hui.

Quels sont les points communs avec l’Algérie et quelles sont les différences ?

C’est la grande interrogation, je sais et, à l’envi, je ne cesse d’entendre: nous sommes jaloux des Tunisiens! Tant est grand le ras-le-bol chez nous. Mais gardons-nous des comparaisons.

Un ami tunisien me disait l’autre jour: «Nous avions honte d’être tunisiens sous Ben Ali, tellement nous avions peur et aujourd’hui le peuple nous a redonné notre fierté.»

Bien que nous partagions la même culture et beaucoup d’éléments d’histoire communs, les sociétés sont bien différentes, les régimes, aussi autocratiques qu’ils ont de semblable, sont bien différents.

Les systèmes économiques également. La rente pétrolière a un rôle fondamental en Algérie. Les histoires longues ont eu chacune ses particularités.

Et n’oublions pas, ce que me faisait remarquer ma femme hier, qui rentrait d’Algérie où elle ne s’était pas rendue depuis plusieurs années, que les gens sont encore épuisés par cette décennie noire, le terrorisme, plus de 200 000 morts, les centaines de disparus et que l’on voyage encore dans le pays avec peur, la débrouille pour vivre.

Cela dit, oui il y a des ingrédients communs: la corruption, qui en Algérie se diffuse à toutes les pores de la société, le clientélisme, un système politique clos, même si une relative liberté d’expression existe, à la différence de la Tunisie de Ben Ali, dans la presse écrite… et jamais dans les médias lourds (radio, TV), la répression et le contrôle de la société, le chômage, le coût de la vie.

Plus qu’en Tunisie, les couches moyennes ont été laminées et l’accroissement des richesses de «nouveaux riches» s’accompagne de l’augmentation de couches sociales de plus en plus défavorisées.

Il y a tous les facteurs objectifs communs avec la Tunisie mais les situations ne sont pas semblables.

Cela dit, tout est possible, mais pas seulement par l’exemple, car une société qui a connu, dit-on dans la presse, près de 10 000 émeutes locales est prête aux changements auxquels elle aspire.

Ce ne serait pas par mimétisme ou «contagion» et les formes seront inédites. C’est d’ailleurs pareil pour l’Égypte.

Depuis quelques jours, l’Égypte est en proie, elle aussi, à des émeutes du ras-le-bol. Elles sont réprimées plus durement qu’en Tunisie. Une victoire de la rue en Egypte auraitelle plus d’impact qu’en Tunisie?

C’est évident que les enjeux aussi bien internes, arabes ou internationaux d’une révolution démocratique dans le monde arabe auraient un extraordinaire écho qui changerait fondamentalement la donne.

Immense pays, nombreuse population, emblème culturel, premier Etat arabe, bien que le peuple ne l’ait jamais accepté, à reconnaître Israël, l’Égypte vit de subventions américaines et joue un rôle fondamental au Proche- Orient et il ne m’étonnerait pas que dans la situation où la révolte populaire deviendrait culminante, comme des observateurs le prédisent, les Américains prépareraient une alternative «douce» dans leurs intérêts.

L’axe Le Caire-Arabie Saoudite est le maillon essentiel de la politique américaine au Proche- Orient Les répercussions dans le monde arabe seraient immenses.

Y’aurait-il une question de générations dans ces bouleversements ?

Ne sont-ce pas les jeunes générations éduquées et ouvertes sur le monde grâce à l’internet qui disent aux «despotes orientaux» de sortir des limités étriquées de leur nationalisme autoritaire? Certainement.

Les modifications de la structure de la population sont bien importantes quand les données globales sont de 70% de moins de trente ans.

Saisissons que des générations n’ont connu que Ben Ali, Moubarak, Bouteflika et consorts au pouvoir!

Plus éduquées, cela s’est ressenti en Tunisie avec la présence de femmes importantes dans les manifestations, ouvertes au monde par Internet, mais n’exagérons pas le phénomène, elles s’inscrivent plus mentalement dans la globalisation. Ce facteur joue, bien sûr. Mais évitons les clichés de la Cyber-Révolution que l’on projette sur la Tunisie ou l’Égypte. Facebook et Twitter ont servi à l’information, à la mobilisation, certes, mais la révolution se fait dans la rue!

Il y a aujourd’hui, et cela me paraît irréversible, un lieu du politique qui est «la rue arabe» comme lieu d’expression des opinions publiques… À Tunis, à Alger, à Sanaâ ou à Beyrouth…

Un autre pays au destin singulier, c’est le Liban qui paye en fait par son équilibre et sa paix les turbulences des pays voisins, Israël et la Syrie. Comment le Liban peut-il sortir de l’ornière?

Ce qui se passe au Liban m’intéresse beaucoup, car j’y séjourne régulièrement depuis quelques années dans un cadre professionnel et je pense que l’évolution de ce pays sera cruciale pour le monde arabe du fait de son histoire et de ses enjeux.

La chute du gouvernement de Hariri et la nomination de Nejib Mitaki marquent une défaite des Occidentaux, dont le but était de discréditer et d’abattre le Hezbollah qui demeure une force de résistance, non seulement vis-à-vis d’Israël mais de l’axe américano- saoudien.

Faut-il remarquer que le changement gouvernemental se fait de façon la plus démocratique par une modification d’alliances au Parlement.

Sans épouser, loin de là, l’idéologie du Hezballah, il faut tout de même se rendre compte que son action au sein du 8-Mars réussit une alliance avec Aoun, le PSLS et des forces qui dépassent les conflits intercommunautaires.

La propagande des médias occidentaux contre la Syrie ou l’Iran, qui sont certes loin d’être des régimes démocratiques, a des visées géostratégiques qui nécessitent que l’on soit vigilants quant aux enjeux pour le monde arabe.

Cela dit, cela n’empêche nullement, bien au contraire, d’exiger la démocratie dans ces pays.

A. M.

Sources: Le Soirt d’Algérie

ALGÉRIE – FÉVRIER 2011: OPINIONS ET DÉBATS SUR CE QUI SE PASSE EN ALGÉRIE

« ALGÉRIE, LES LEÇONS D’UNE RÉVOLTE » par Chawki Salhi, Alger, le 22 janvier 2011 ;

« LE RÔLE DES ÉTATS-UNIS DANS LES RÉVOLTES DE LA RUE ARABE: LE CAS DE L’ÉGYPTE » – écrit par Ahmed Bensaada, le Mercredi, 23 Février 2011;

« ÉROSION DE LA NOTION DE PATRIOTISME EN ALGÉRIE – LES PARTISANS DU LIBÉRALISME SAUVAGE MARQUENT DES POINTS » – article de Mohamed Bouhamidi, le 24 février 2011 ;

« DÉMOCRATIE ET PROGRÈS SOCIAL DANS LES RÉVOLUTIONS DÉMOCRATIQUES ET SOCIALES DU XXIe siècle » – article de Hocine Belalloufi, le 1er février 2011 ;

« ENSEIGNEMENTS POUR LES LUTTES FUTURES » – article de Kamel B., le 16 février 2011 ;

« LA QUESTION SOCIALE EST-ELLE AU CŒUR DES RÉVOLTES «ARABES»? » – Chronique de Arezki Metref – Le Soir d’Algérie, le 20 février 2011 ;

« LA SOCIÉTÉ ALGÉRIENNE EST EN COLÈRE MAIS ÉPUISÉE. SES ÉLITES ONT ÉTÉ DÉCAPITÉES » – Valérie Péan, Omar Bessaoud, le 4 février 2011, sur le site de Michel Collon info ;

« LISTING « A-POLITIQUE » » – éditorial du Quotidien d’Oran du 31 Janvier 2011, signé K. Selim. Accompagnant la critique rigoureuse des appréciations embarrassées de Daho Ould Kablia, ministre de l’Intérieur , sur les émeutes de la jeunesse algérienne de janvier, l’éditorial expose en filigrane la problématique des liens étroits entre le social et le politique, que d’aucuns cherchent à nier, à isoler les uns des autres ou à les opposer ;

« LEÇONS TUNISIENNES » – Écrit à Alger, le 21 janvier 2011 par Hocine Belalloufi. Quelques enseignements tirés des évènements considérables qui ont secoué et n’ont pas fini de secouer les sociétés et les pouvoirs du monde arabe.


Pour accéder directement à chaque article séparément, il est possible de cliquer, ci-dessus, sur le titre de chaque article, le lien mis en place conduit directement au texte recherché.


Pour accéder aux différents articles rassemblés dans l’article 389 de socialgérie,

dans la rubrique « 2011: MAGHREB-MACHREQ EN MOUVEMENT »

cliquer ici (…) “ALGÉRIE – FÉVRIER 2011 : OPINIONS ET DÉBATS SUR CE QU’IL SE PASSE EN ALGÉRIE”


LES RÉVOLTES POPULAIRE EN TUNISIE ET EN ÉGYPTE TROUBLENT L’OCCIDENT

Les manifestations populaires en Égypte, contrairement à celles qui ont mis fin à la dictature de Ben Ali, ne suscitent pas la même sympathie dans les grands médias occidentaux. L’exigence de liberté, de dignité et de justice d’un peuple qui vit depuis trente ans sous état d’urgence serait-elle moins recevable que celle exprimée par les Tunisiens ? Tous les peuples ont également le droit de vivre libres et de ne se soumettre qu’à la seule souveraineté du droit. La réticence occidentale, nettement plus marquée qu’à l’endroit de la révolution tunisienne, s’explique directement par l’importance géopolitique de l’Égypte et son voisinage avec Israël. Un gouvernement démocratique – les dirigeants occidentaux le savent – exprimerait le refus du peuple égyptien de l’alignement de Hosni Moubarak et de son régime sur la politique américaine.

Peu, bien entendu, mettent en avant le tropisme israélien. L’argument le plus fréquemment avancé est que le peuple égyptien serait plus disposé que le tunisien à choisir une voie islamiste, toujours présentée de manière univoque et globalisante sous ses aspects les plus repoussants. En invoquant le terme, les médias convoquent immédiatement le registre de l’émotion : l’« islamisme » est une notion lourde de menaces, une synthèse de fanatisme, de terrorisme et d’antiféminisme pathologique. Cet islamisme fantasmé est pratique – “convenient” diraient les Anglais –, car il permet de faire l’économie de la réflexion. Les «spécialistes» suggèrent donc – ils n’osent plus vraiment l’affirmer péremptoirement, la leçon tunisienne ayant servi – que la faiblesse numérique de la classe moyenne égyptienne et le taux élevé d’analphabétisme, à la différence de la Tunisie, rend ce pays moins apte à la démocratie. Le fanatisme religieux trouverait dans l’arriération de la société un terreau tout à fait propice à une prise de pouvoir aux conséquences apocalyptiques. S’agissant du Yémen, où se déroulent également des manifestations pour la démocratie, l’appréciation est encore plus négative. Les Yéménites seraient encore plus attardés que les Égyptiens et donc encore moins éligible à la démocratie et aux libertés.

UNE VIEILLE RENGAINE

L’air est connu. En Algérie même, il s’était trouvé des «politologues» pour prétendre, au lendemain du coup d’État militaire du 11 janvier 1992, que la démocratie n’était envisageable qu’à partir d’un certain niveau d’éducation moyen des populations. Venant d’universitaires algériens – avaient-ils lu l’appel du 1er Novembre 1954, texte fondateur de la Révolution algérienne? –, cette absurde théorie prenait la dimension d’un véritable reniement. Ainsi donc, dans la hiérarchisation des sociétés que cette thèse sous-tend, les Égyptiens se situeraient quelques crans en dessous des Tunisiens. Les revendications du peuple des rives du Nil seraient moins acceptables car, si elles étaient satisfaites, elles déboucheraient inévitablement sur une dictature religieuse obscurantiste et belliqueuse.

Pour «preuve» de cette fatalité évidemment catastrophique, les mêmes spécialistes agitent le spectre de la révolution iranienne de 1979, qui a débouché sur l’ordre des ayatollahs. Les grands médias avaient convoqué, ad nauseam, cet épouvantail pour justifier le putsch des généraux algériens. Et à l’occasion des turbulences égyptiennes, ce bien commode croquemitaine est ressorti des placards de l’information «orientée». Pourtant ces éléments de propagande – «de langage», selon les spin doctors – ne résistent pas à l’analyse. Il s’agit d’une construction fondée sur des présupposés erronés. Au-delà des «spécificités» chiites et du culturalisme, la théocratie iranienne est avant tout le produit de l’histoire tourmentée de ce pays. Comment comprendre la situation actuelle de l’Iran quand on omet de rappeler l’impact considérable et traumatisant de l’élimination du nationaliste Mossadegh par les services secrets anglo-américains en 1953, de l’épouvantable dictature du Chah et de la guerre déclenchée par Saddam Hussein en 1980 avec le soutien des Occidentaux?

La diabolisation permanente et systématique de l’Iran est à mettre en perspective avec le traitement médiatique réservé à l’Arabie saoudite – indéfectible allié (pétrolier) de l’Occident. Pourtant, les formes les plus sombres de fanatisme religieux et d’obscurantisme meurtrier trouvent leur origine dans ce pays. Le salafisme djihadiste n’est qu’une déclinaison du wahhabisme saoudien, interprétation sectaire et médiévale de l’Islam. Les organisations terroristes qui se réclament de l’Islam trouvent toutes leur matrice idéologique dans le dogme officiel de ce pays. Ce n’est pas un secret: l’Arabie saoudite a financé à coup de milliards de dollars la propagation dans le monde musulman de cette doctrine régressive. Il est vrai que le djihadisme a été bien utile dans la guerre contre le communisme et la défaite de l’Union soviétique en Afghanistan. On comprend, à l’aune des services rendus et du tropisme israélien qu’il faut taire, pourquoi le sort des Iraniennes intéresse beaucoup de monde en Occident, contrairement aux malheureuses Saoudiennes, qui ne sont même pas autorisées à conduire leur automobile….

DES MOUVEMENTS POPULAIRES ENRACINÉS DANS L’HISTOIRE

On n’est pas obligé de partager les simplifications mensongères et les raccourcis manipulateurs. Les mouvements populaires dans les pays arabo-musulmans s’inscrivent dans le cadre de leurs cultures propres et de leurs histoires spécifiques. Pour exemplaire et éminemment désirable qu’elle puisse paraitre aux yeux de beaucoup, la laïcité française n’est pas une référence pour ces peuples. On peut le déplorer, mais c’est un fait. Au nom de quelle supériorité – de quelle «mission civilisatrice»? – voudrait-on imposer à ces populations un marqueur politique français? Pourquoi leur dénierait-on la démocratie, principe universel s’il en est? Le regard à travers le prisme d’un particularisme local ne permet aucune compréhension des crises du monde arabe.

La myopie et l’absence de sens moral marquent le discours des élites médiatiques françaises à l’endroit des arabo-musulmans. La perte de crédit de la République française dans une aire si proche où elle tenait une place de premier plan en est un signe. Le mépris dans lequel les populations sont ostensiblement tenues et le soutien à des régimes dictatoriaux ont fini par brouiller l’image du pays des droits de l’homme et ont grandement réduit l’influence française. Il est affligeant de constater que pour beaucoup de jeunes Arabes – il serait bien trompeur de réduire cela à la question des visas –, la France officielle n’est perçue qu’en termes de capacité de nuisance. Et l’on s’étonne de découvrir lors des crises que le crédit de la France dans ces pays ne va pas au-delà des quartiers résidentiels sécurisés? L’aveuglement est entretenu et consolidé par le rapport privilégié avec la variante «moderniste» des oppositions artificielles créées par les régimes pour donner l’illusion du pluralisme. Le cas algérien est ici aussi exemplaire. Depuis le putsch militaire et la «sale guerre» des années 1990, on ne voit sur les chaînes de télévision que des représentants en service commandé chargés de confirmer les peurs et les chimères islamophobes du néoconservatisme «à la française».

La posture française est d’autant plus contre-productive que la représentation de populations bloquées dans leurs archaïsmes et rétives à la modernité est fausse. Tout comme celle d’un Islam univoque, patriarcal et replié sur lui-même. Les sociétés arabes font preuve d’une réelle vitalité et d’une considérable capacité de résistance à l’oppression. Contrairement aux thèses véhiculées par le discours dominant, ces sociétés sont en mouvement et sont bien plus ouvertes que ne le prétendent les propagandistes et les relais «experts» des dictatures. Il suffit d’observer la présence massive des femmes dans les rangs des manifestants aussi bien en Tunisie qu’en Égypte, ou même au Yémen. Les «chômeurs diplômés» et la généralisation d’Internet sont deux signes parmi d’autres de la transformation de ces sociétés. L’enfermement des populations, déjà battu en brèche par l’apparition des chaînes d’information satellitaires, est considérablement relativisé par le Web. Les populations sont informées hors des appareils des dictatures et, comme on a pu le constater, les opinions sont bien plus politisées qu’on ne le pense.

L’ÉMERGENCE DE LA SOCIÉTÉ

La gouvernance par la terreur et le bâillonnement, défendue au nom de la guerre à l’islamisme, est une impasse politique, sociale et économique. Les intérêts de grandes puissances en Égypte sont considérables et constituent un facteur important qui empêche de pronostiquer un basculement à court terme de l’Égypte dans la démocratie. Il n’en reste pas moins qu’un énorme verrou a sauté. La société s’impose comme un acteur dont il faudra désormais tenir compte. Le progrès est insuffisant – les Égyptiens le ressentent en maintenant la pression contre un régime soutenu par les occidentaux–, mais c’est indiscutablement un nouveau point de départ. Après les indépendances formelles acquises dans les années 1950 et 1960, les peuples arabes expriment leur volonté de bénéficier des droits et des libertés démocratiques. Les Occidentaux devront s’en accommoder, sauf à entretenir et à assumer pour des objectifs inavouables une logique de guerre de civilisation. Aussi désagréable que cela puisse paraître à certains, la démocratie dans le monde arabe fonctionnera nécessairement dans un contexte fortement déterminé par l’Islam. La sécularisation ne se décrète pas et nulle part dans le monde on n’exige des populations d’abandonner préalablement leurs croyances et leurs usages avant de prétendre aux libertés et à l’État de droit…

La classification des sociétés sur une échelle d’«aptitude à la démocratie» est une aberration. Il n’existe pas de hiérarchie des peuples, aucun peuple n’est mineur à vie et aucune société humaine n’est ontologiquement inéligible à la démocratie. Il n’y a pas de prérequis «éducatif» à l’exercice des droits citoyens. La seule pédagogie en la matière est celle du débat et l’unique cadre en est le droit. Le soutien d’une démocratie à des dictatures au nom du containment de l’«islamisme» est inacceptable. La lutte contre l’islamisme rétrograde par la répression et la violence est également une option irréaliste et contreproductive. Les militants de la démocratie réellement ancrés dans leurs sociétés ne cessent de répéter que ce sont la dictature et les inégalités qui nourrissent l’instabilité et pas l’inverse. Ils prêchent dans un désert occidental où la pensée dominante est façonnée par un prisme sécuritaire déformé et déformant.

INTERVIEW INÉDITE DE RACHED GHANOUCHI, LEADER HISTORIQUE DU MOUVEMENT TUNISIEN « RENAISSANCE »

par Chokri Hamrouni, Vincent Geisser

publié le dimanche 30 janvier 2011


Source: Oumma.com.

Dans cet entretien inédit réalisé à Londres en juin 2001, par les chercheurs Vincent Geisser et Chokri Hamrouni, le leader historique du parti tunisien « Ennahda » se livre sans tabou : Rached Ghanouchi évoque son enfance, ses premiers engagements de jeunesse, son admiration adolescente pour la figure de Nasser, sa vie d’immigré en France, sa militance dans la mouvance islamiste et bien sûr son combat contre les dictatures de Bourguiba et de Ben Ali.

Pourriez-vous nous parler de votre enfance en Tunisie ?

Je suis né en 1941 à Hamma de Gabès qui était une zone occupée militairement par les Allemands puis «libérée» par les Français. Nous étions une famille de 10 enfants : 6 garçons et 4 filles. Mon père était paysan, un petit agriculteur. Il avait appris le Coran par chœur. C’était un homme pieux. Ma famille était attachée à la religion. Toute ma famille était pratiquante. Dans notre village, la religion était comme la tradition. Mon père, lui, était bien formé sur le plan religieux: il était le seul sur le plan religieux à connaître le Coran. Il faisait la récitation du Coran.

Moi-même avant de rentrer à l’école primaire de Hamma, je connaissais déjà un quart du Coran. J’avais un frère juge, un autre avocat et les autres frères étaient paysans. Mon oncle était fellagha mais pas mon père qui était religieux. Mon oncle était un leader du mouvement fellagha. La première fois que j’ai vu une arme, c’était chez mon oncle. Il était combattant mais pas très pratiquant.

La première fois que j’ai vu ma mère pleurer, c’est lorsque mon oncle a été arrêté. Ma mère pleurait. J’avais 10 ans. Je considère aujourd’hui que par cet acte j’ai commencé la politique. À ce moment, j’ai découvert la France et la politique. J’avais beaucoup de respect envers mon oncle, le frère de ma mère. Il était président d’une cellule du parti (le Néo-Destour) et leader de Hamma. Mon oncle était bourguibien. Il était au côté de Bourguiba. Oui, mon oncle était bourguibiste ! Il était même en danger de mort car il était bourguibien. Mais il a changé progressivement à l’égard de Bourguiba quand il a découvert que Bourguiba était contre la religion, contre l’arabisme. Ma région (Gabès) a été très influencée par le nassérisme. Nous étions nassériens ! Moi-même, je me souviens de la figure de Nasser. J’entendais parler de Nasser par mon oncle et par mes frères étudiants à Tunis. J’ai été marqué par Nasser. Mes frères m’ont donné des images de Gamal Abdel Nasser. Lorsque j’ai quitté la Tunisie en 1954, je voulais aller en Égypte. L’Égypte était pour moi le centre du monde ! […]

Après votre bac, vous avez été admis à la prestigieuse université islamique de la Zitouna. Quels souvenirs conservez-vous de votre vie étudiante?

En 1954, je suis rentré à la Zitouna et j’y suis resté sept ans. J’étais passionné de littérature, de lecture. J’étais un élève moyen dans les sciences. J’étais dans un foyer très simple, très modeste. C’étaient mes frères qui payaient la pension, le foyer. J’ai vécu le conflit Bourguiba/Ben Youssef. J’étais en danger de mort à Hamma. L’armée française sécurisait la zone et a tiré: j’ai failli mourir. J’ai été aussi marqué par une voiture brûlée par les Français: c’était un louage que justement j’aurais du prendre.

À la Zitouna, j’appartenais à la génération marginalisée car le français dominait. J’avais conscience de cette marginalisation. L’indépendance a été un choc pour moi. Je voulais être ingénieur. Je ne voulais pas faire du droit. Je voulais être ingénieur pour apporter le progrès à ma famille. Après la Zitouna, j’avais le choix entre le droit en arabe et la théologie en arabe. C’étaient les deux possibilités. Mais je n’en voulais pas. J’ai vécu la marginalisation. Je voulais changer. J’avais vraiment conscience : c’était pénible ! J’ai cru que je n’étais pas dans mon pays. J’ai vécu l’exil dans mon propre pays. Je me sentais étranger dans mon propre pays.

C’est à cette époque que vous avez décidé de partir en Egypte car Nasser représentait pour vous le leader arabe idéal et Le Caire le cœur intellectuel et politique du monde arabe?

En 1964, j’ai décidé de partir au Caire. Je voulais m’unir avec moi-même. J’ai voulu changer. J’ai fait une année dans un centre culturel. Mais je n’avais pas assez d’argent pour aller au Caire. J’ai décidé de faire enseignant dans le primaire à Gafsa. J’ai été maître (mu’alim) pendant un an, en 1963.

En 1964, je suis allé au Caire en passant par la Libye. Je me suis inscrit à l’Université du Caire en filière agriculture. Nous nous sommes retrouvés 40 Tunisiens à chercher une inscription et nous avons même manifesté devant la maison de Nasser pour obtenir cette inscription à l’Université du Caire. Nasser est finalement intervenu en faveur de notre inscription à l’Université du Caire. J’ai commencé quatre ou cinq mois mais entre-temps, l’ambassade de Tunisie au Caire a demandé l’annulation de notre inscription et même notre expulsion d’Égypte. Le régime tunisien était contre toute relation avec l’Orient. Il voulait attacher par la force la Tunisie à l’Occident ! Pour le régime, c’était un crime d’aller en Orient faire ses études ! Tout était fait pour nous empêcher d’étudier en Orient. C’était une très grande déception pour moi car Nasser a cédé à Bourguiba. Nous avons été expulsés et chassés d’Égypte. Moi, j’ai continué ma rébellion. J’ai même voulu partir en Albanie. J’ai voulu partir en Albanie car je suivais la radio albanaise. Je croyais que c’était un endroit idéal ! (rires de Rached Ghanouchi)

Je voulais partir à l’extrême opposé de Bourguiba! Un ancien étudiant tunisien d’Albanie m’en a dissuadé. J’ai donc décidé d’aller en Syrie où l’on m’a confié à des amis.

J’ai quitté le Caire pour la Syrie en 1964-1965. Je me suis inscrit en philosophie. J’avais des professeurs célèbres à l’Université de Damas. J’ai fait quatre ans de philosophie à Damas. Il y avait plus de 150 étudiants tunisiens, essentiellement des Zitouniens. Il y avait des baasistes, mais moi j’étais nassérien. J’ai rejoins l’Union socialiste nassérienne pour reconstruire l’unité arabe avec la Syrie et l’Égypte. Toutes les tendances politiques étaient présentes à Damas.

Vous n’étiez pas encore « Frère musulman » et toujours nassérien?

C’était de l’affection, de la passion. Pour moi, Nasser était l’oasis où l’on se réfugiait contre la décadence de Bourguiba. Nasser était le refuge. Nous étions comme en exil par rapport au bourguibisme. À l’époque, je n’avais pas encore conscience de la divergence entre le nationalisme arabe et la religion. Je n’avais aucune considération pour Bourguiba. Je n’avais aucun amour pour Bourguiba !

À l’Université de Damas, qui était fortement politisée à l’époque, nos sentiments arabo-musulmans se «transféraient» en théorie, en une manière de militer. Toute la mouvance nationaliste arabe était anti-Bourguiba. On était anti-bourguibien. Le mouvement des étudiants maghrébins En fait, nous étions soit baasistes, soit nassériens. Lorsque Bourguiba a fait son voyage en Orient en 1965, il a voulu «réparer» les rapports entre la Tunisie et l’Orient et il a favorisé les bourses d’études. Celles-ci ont été multipliées par quatre. J’ai accepté “la bourse de Bourguiba” quelques mois. Mais en 1966, l’Ambassade de Tunisie a Damas a brûlé et les bourses ont été une nouvelle fois supprimées. C’était la rupture.

En 1966, j’étais toujours nassérien. Mais il y a eu un changement en moi. Durant l’été 1966, j’ai fait une tournée en Europe, en France, en Allemagne, pour gagner de l’argent. C’est la découverte de l’Europe pour la première fois pendant six mois. J’ai été aussi en Bulgarie, en Turquie, en Yougoslavie, en Autriche… Je suis resté trois mois en Allemagne. Je travaillais comme aide camionneur, comme aide-chauffeur. J’avais une relation passionnelle avec la France. J’ai visité des proches à Paris mais je n’ai pas trouvé de job. Je suis donc allé faire la cueillette du raisin, les vendanges, dans la campagne française. J’ai continué ensuite en Belgique mais c’était, pour moi, une mauvaise expérience. Puis, je suis allé à Amsterdam. Là, c’était la meilleure expérience, les meilleurs moments. J’ai eu une très belle impression sur les Hollandais. J’ai eu des amis hollandais. Non, je n’étais plus très pieux. Je ne faisais pas la prière, mais je faisais le Ramadan.

Le 20 janvier 1966, je suis rentré à Damas pour continuer mon cursus de philosophie. Il y avait de vives discussions entre les nationalistes et les islamistes. Le champ délicat était celui de la religion. La religion était au centre du débat. C’est la première fois que je prenais conscience qu’il existait des divergences entre nationalistes et islamistes: Que veut dire être musulman? Que veut dire être nationaliste arabe?

Nous demandions aux responsables du parti nassérien d’expliquer, de fixer une position officielle sur les questions religieuses: est-il nécessaire d’avoir une croyance ? Est-ce une nécessité? Le leader a répondu que ce n’était pas nécessaire, que, selon lui, c’était une question personnelle. Il a donc tranché en disant que c’était une affaire personnelle. J’ai été très choqué ! Je n’ai pas compris. Je n’avais jamais pensé que j’étais dans un parti (nassérien), où la religion n’avait pas une place importante.

C’est durant ces «années de doute» que vous quittez le courant nationaliste arabe pour vous rapprocher des Frères musulmans?

En 1967, j’ai quitté le parti nassérien. J’ai été très soulagé de prendre cette décision. J’avais le sentiment d’avoir trahi, car ce parti ne donnait aucune importance à la religion. J’ai commencé à étudier et à lire Saïd Qutb, Mohamed Iqbal et Mawdudi. A partir de là, j’ai commencé à considérer que l’islam était une vue globale de la société et que «mon islam» était un faux islam. Il fallait accepter globalement l’islam ou le refuser. Je me considérais comme un non-musulman. Le 15 janvier 1966 a été pour moi la nuit la plus importante. J’ai décidé de changer ma vie, mes relations, de pratiquer la prière (çalât). Pour moi, ça a été une nuit décisive ! Je considère que l’islam de mon enfance était primitif, simple, traditionnel. Toutes mes relations ont été affectées par ce changement. J’ai commencé à fréquenter les cercles d’étudiants et je me posais la question : quelle voie? J’ai décidé de rejoindre l’islam mais quelle voie? J’assistais à tous les cercles. Pendant ces deux années, de 1966 à 1968, j’ai étudié les voies de l’islam. Lorsque j’ai quitté Damas, j’ai lu presque toute la littérature concernant les voies de l’islam. J’étais encore indécis. Le fossé avec Bourguiba s’est encore élargi. Pour moi, Bourguiba faisait la guerre contre l’islam comme dogme et comme institution. Il était à l’opposé de mon idéal de vie.

C’est à cette période que vous connaissez la galère à Paris et que vous découvrez les vicissitudes de l’islam de France?

En 1968, j’ai quitté Damas pour Paris. Pendant deux mois, j’ai essayé de continuer mes leçons et je me suis inscrit à la Sorbonne, au département de sciences de l’éducation. Je crois que ce séjour à Paris a représenté les plus durs moments de ma vie : je n’avais pas d’argent, je n’avais pas de travail et je ne pouvais pas manger hallal. Je n’avais pas la possibilité de suivre la voie de l’islam. Je fréquentais la Mosquée de Paris et j’ai eu des problèmes avec Si Hamza Boubakeur. J’étais membre de l’Association des Étudiants Islamiques de France (AEIF). Si Hamza Boubakeur me menaçait et menait une politique de répression. Moi, j’étais secrétaire général de l’Association des Étudiants Islamiques de France, fondée par Mohammad Hamidullah. J’étais également membre du Jamaat el Tabligh: c’était une première expérience de pratique, une première expérience pour parler avec les gens, avec les simples travailleurs. Notre groupe du Tabligh se réunissait 15, rue Belleville à Paris. Je faisais les cafés, les bars, je prêchais dans les lieux publics en dialecte tunisien. J’étais un prédicateur pour les gens ordinaires. Je vivais de petits boulots, comme distribuer des prospectus, ou travailler pour des sociétés de nettoyage. C’était très dur!

Vous décidez donc de rentrer en Tunisie pour prêcher dans votre propre pays?

En Tunisie, je me rappelle que la situation était tendue. C’était la fin de la période Ben Salah (socialisme coopérateur). J’ai rencontré Abdelfatah Mourou pour la première fois. C’était une rencontrera avec un petit groupe du Tabligh, à peine 3 ou 4 personnes. J’ai rejoint ce groupe et j’ai découvert que A. Mourou était aussi membre du groupe. J’ai travaillé avec eux en Tunisie. En septembre 1969, j’ai donné une leçon dans une petite mosquée populaire de Tunis. J’ai trouvé une audience. J’ai vu qu’il y avait des possibilités de travail pour l’islam. J’ai donc annulé mon retour à Paris et j’ai décidé de rester à Tunis. J’ai commencé à prêcher (Da’wa). J’ai décidé de travailler au ministère de l’Education pour enseigner la philosophie. J’ai eu mon premier poste au lycée de Ben Charef à Tunis. J’ai initié des élèves. C’était un mélange de Tabligh et d’autres références. Nous avons constitué un groupe de discussion. Le groupe se réunissait à la Mosquée de Si Youssef. Les membres du groupe étaient des élèves du lycée. J’ai formé un petit groupe qui continuait à discuter à la mosquée.

Il y avait un désir de connaître. À la mosquée, nous discussions sur le marxisme, l’existentialisme. La mosquée avait un rôle de formation. Il y avait des élèves de toutes les obédiences politiques, y compris des communistes. Nous défendions un point de vue politique. J’étais en opposition radicale à Bourguiba. Pour moi, c’était l’ennemi de l’islam, l’anti-musulman. Sur le plan politique, je le considérais comme un dictateur. J’étais choqué par le contrôle du parti, la marginalisation de l’islam, la marginalisation de l’arabisme. J’étais aussi choqué par la sexualité, par les mœurs. La Tunisie était totalement occidentalisée. L’islam était marginalisé par force mais j’ai trouvé de l’espace pour travailler en faveur de l’islam: il n’y avait pas de phobie du danger islamique. Le pouvoir n’avait pas conscience du danger islamique. C’est le journal Le Monde du 4 avril 1970 qui a révélé l’existence de l’Association pour la Sauvegarde du Coran. Nous avons rejoint l’association qui organisait son premier congrès en 1970 et c’est aussi son dernier! (sourire de Rached Ghanouchi).

J’ai rejoint l’association en tant que secrétaire général de Tunis et A. Mourou était membre du bureau exécutif national. Le Monde parlait pour la première fois en Tunisie de l’existence d’un groupe islamique au sein de l’Association pour la Sauvegarde du Coran. En 1970, il régnait un certain libéralisme: notre objectif était de propager le Coran en Tunisie. Nous avions conscience que l’islam a un caractère global. Il fallait travailler! Nous savions qu’il y aurait une étape politique. La notion de jamaa était très développée. Notre but était de convaincre le peuple que l’islam ne représentait pas seulement la tradition mais aussi un mode de vie, un système global. Il fallait une opinion publique qui partage notre vision: la route de l’islam doit passer par le peuple, l’individu, la société. Nous voulions une base solide. Le pouvoir n’était pas notre objectif premier. Il fallait travailler à la base. La voie de l’islam doit passer par l’individu, par la famille, la société, par l’imitation du Prophète. Il fallait commencer par l’individu avant l’État. Il fallait réformer la société avant de conquérir le pouvoir.

En fait, le pouvoir n’était pas notre objectif. Notre poids a commencé à se faire sentir seulement après la chute du syndicat (UGTT) à la fin des années 1970. Il y a eu le réveil de 1978. Nous prenions conscience qu’il était nécessaire de se mêler aux revendications de la masse. Il fallait investir cette dimension sociale! Avant, nous tenions surtout compte de la dimension cultuelle et culturelle mais pas de la dimension sociale! Notre principal ennemi était l’État et les communistes. Il y avait une hostilité du syndicat qui était contrôlé par les communistes. Les grèves étaient manipulées par les communistes. Après 1978, nous avons donc réorganisé nos objectifs et revu nos priorités. Faire la guerre aux communistes ne voulait pas dire que nous étions contre les revendications des travailleurs pour la justice sociale. Nous avons acquis une «conscience sociale». Puis, le conflit avec les communistes est devenu secondaire: Dieu ne nous a pas créés pour combattre les communistes! Si les communistes combattent l’injustice, alors nous ne pouvons pas les combattre!

Et comment avez-vous réagi à la Révolution iranienne de 1979?

La révolution iranienne de 1979 nous a donné aussi des éléments de réflexion. Nous étions enthousiastes pour le révolution iranienne! Pour nous, elle symbolisait le conflit entre les oppresseurs et les oppressés. Bourguiba était l’ennemi de l’islam, donc l’ennemi de la société! Au sein du MTI, nous avons repris certaines conceptions de la tradition communiste: notre combat est devenu aussi un combat pour la justice! En 1979, nous avons organisé le premier congrès de la jamaa islamyya. C’était pendant l’été à la Manouba (banlieue de Tunis). Dans toutes les villes, dans toutes les régions, il y avait un responsable du mouvement. L’Université était considérée comme formant une région à elle seule. En 1979, j’ai été arrêté à deux reprises pour une période de 25 ou 29 jours à cause de mes leçons à la mosquée. J’ai fait de la prison au ministère de l’intérieur: ils ont voulu me faire signer un engagement à ne plus donner des prêches. Après, en janvier 1980, ils m’ont libéré, ils m’ont muté comme professeur dans une ville de l’intérieur de la Tunisie.

Les années 1980 ne coïncident-elles pas avec la montée du mouvement islamiste en Tunisie?

Le 5 décembre 1980, pour la première fois, la police a découvert notre organisation. Salah Karker [leader du mouvement islamiste tunisien] a été arrêté. Le mouvement s’est auto-dissoud à l’exception de l’Université. L’Université n’était pas touchée. J’ai donc donné la responsabilité de continuer le mouvement à l’Université et le responsable universitaire est devenu le responsable de tout le mouvement. Le mouvement islamiste connaissait alors une croissance sur les campus mais aussi dans les lycées. Il se formait un front étudiant et lycéen. On avait le sentiment d’être dépassé par les événements. Les étudiants, y compris les étudiants islamistes manifestaient, sans que nous le sachions. Nous réalisions que c’était un danger de laisser le leadership à l’Université.

Le leadership universitaire n’était pas une bonne chose. Après consultation, nous avons décidé d’organiser un congrès où j’ai repris le leadership (9-10 avril 1981). Les leaders universitaires ont été aussi associés au congrès du MTI. Je me rappelle que le congrès était en même temps que celui du PSD. Bourguiba se disait prêt au pluralisme politique. La question était donc: comment organiser le MTI? Il y avait un problème de secret et de sécurité dans le MTI après l’annonce de Bourguiba. Nous nous posions les questions suivantes: pourquoi ne pas demander la légalisation? Pourquoi pas se faire connaître par le peuple alors que le pouvoir et la police nous connaissent déjà? J’ai personnellement rédigé le texte de l’annonce de notre volonté de légalisation. Nous désirions la légalité!

Très vite, vous avez donc privilégié une voie légaliste et pacifique? Vous refusiez donc l’action armée et le terrorisme?

J’ai expliqué les raisons de la légalisation: les fondements du point de vue l’islam et les fondements du point de vue de la législation tunisienne. J’ai rédigé cette annonce en mars 1981 mais elle n’a été diffusée qu’en juin. Il y avait des discussions du projet avec les autres membres du mouvement. Trois mois de discussions au total! Nous avons organisé un référendum au sein du mouvement: «oui» ou «non»pour la légalisation. Le résultat a été 70 % pour la légalisation dans toute la République, à l’exception de l’Université où le pourcentage était plus faible: environ 53 %. Le 10 avril 1981, nous avons organisé le congrès du MTI. C’était un congrès exceptionnel! Nous avons procédé au vote du projet de légalisation et le Majlis el Shura a été chargé de mettre en œuvre cette décision.

Nous avons affirmé notre refus de la violence, notre souhait du multipartisme et notre position en faveur des droits de la femme à la vie publique. Nous développions également une analyse critique du bourguibisme mais Bourguiba n’était pas cité en tant que tel. Le 6 juin 1981, nous avons fait notre dépôt officiel mais nous n’avons pas reçu de récépissé. Nous avons donné une conférence de presse. Après quarante jours, des arrestations ont touché les cadres du mouvement. Personnellement, j’ai été arrêté à la mosquée de Belkalta (région du Sahel). Je me rappelle que je faisais un prêche sur la bataille de Badr (Rached Ghanouchi sourit à propos de cette anecdote).

Malgré votre désir de légalisme, le régime a choisi la voie de la répression.

En 1981, j’ai été condamné à 11 ans de prison ferme, peine qui a été finalement réduite à 10 ans. J’ai fait de la prison entre 1981 et 1984. Le 3 janvier 1984, il y a eu les émeutes du pain. Après les émeutes, je savais que le gouvernement allait nous relâcher.

Effectivement, j’ai été libéré en août 1984. Pendant les émeutes, j’avais gardé le contact avec la rue. Je leur envoyais des messages, des petits papiers. Moi, je m’en prenais à Bourguiba alors que les manifestants s’en prenaient à Mohammed Mzali (le Premier ministre de l’époque). Pour moi, le véritable responsable était Bourguiba.

La fin du bourguibisme est synonyme pour votre mouvement de répression brutale.

Pouvez-vous nous raconter cette période?

J’ai été arrêté le 9 mars 1987. Et les procès ont commencé en septembre. Oui, le mois de septembre 1987 a été un mois de procès. Ils ont construit pour moi une cellule spéciale au sein du ministère de l’Intérieur avec une porte blindée et il avait obstrué les fenêtres. Seul, le directeur de la sûreté avait les clefs de la cellule. Puis, au bout de six mois, ils m’ont transféré à la prison du 9 avril (proche de la Kasbah de Tunis). Là aussi, ils ont construit une cellule spéciale. C’est une pièce sans porte avec quatre gardes armés qui me surveillaient 24h/24 h. C’était la sécurité maximale! Personnellement, j’étais convaincu que j’allais être exécuté, que j’allais mourir. Lorsqu’on m’a conduit au tribunal, c’était à 2 heures du matin. J’étais attaché. Le procès a eu lieu à la caserne Bouchoucha (près de Tunis). Il y avait toute une troupe de militaires armés. J’ai refusé de faillir devant Bourguiba. J’ai tenu à parler une dernière fois. Je n’étais pas d’accord avec mes avocats et je leur ai demandé de dire qu’il ne fallait pas faire confiance à la justice: «je sais, toi juge, que l’on t’ a confié la mission de faire couler mon sang!». J’ai parlé pendant quatre heures devant les juges. Je n’avais aucune considération pour le juge. Je voulais léguer un modèle de résistance. Je voulais transmettre un modèle à la justice!

Pour finir, j’ai dit cinq phrases :

1 – J’ai eu l’honneur de constituer ce mouvement;

2 – Toutes les accusations de violences sont fausses;

3 – Ce jugement va être refait deux fois: vous allez être condamnés par l’Histoire et le deuxième tribunal sera le Tribunal de Dieu;

4 – Je demande aux jeunes de ne pas me venger; on doit se contenter de la mort d’un Tunisien mais pas d’autres Tunisiens!

5 – Si mon sang coule sur la Terre, la Terre va fleurir.

En fait, si je n’ai pas été condamné à mort, c’est parce que l’un des juges (un député qui siégeait au sein du tribunal) était de ma région (Hamma) et qu’il a été contacté personnellement par des personnes pour m’éviter la peine de mort.

Et comment jugez-vous le règne de Ben Ali par rapport à celui de Bourguiba?

Est-ce un fossoyeur de l’héritage ou un continuateur?

Ben Ali est l’une des mauvaises graines de Bourguiba. Chaque fois que Ben Ali fait quelque chose, cela relève de Bourguiba. Bourguiba était un ennemi de notre culture arabo-musulmane. Il se reposait à la fois sur la politique et la sécurité. Pour moi, notre mouvement, le MTI, a triomphé sur les autres plans: la culture, l’éducation, la femme, l’Université. Oui, dans le domaine culturel, le mouvement a triomphé. À la fin, il ne restait plus à Bourguiba que son bâton. Et Ben Ali précisément, c’est le bâton de Bourguiba!


Nous remercions Vincent Geisser et Chokri Hamrouni pour leur autorisation de publier cet entretien réalisé dans un cadre universitaire.

Toute citation extraite de l’entretien doit faire mention des auteurs.

FEVRIER 2011: PROJECTIONS DE FILMS DE DANIEL KUPFERSTEIN

daniel_kupferstein.jpg

daniel_kupferstein.jpg


6 février 2011

au café culturel le Lieu-Dit

6, Rue Sorbier 75020 Paris

15h: «17 OCTOBRE 1961 – DISSIMULATION D’UN MASSACRE»

16h 30: «MOURIR à CHARONNE – POURQUOI?»

17h 45: DÉBAT


Le 10 février 2011

dans le cadre de la

BIENNALE DU FILM D’ACTION SOCIALE DE MONTROUGE

Faculté dentaire (Amphi Viquesnel)

1 rue Maurice Arnoux – 92120 Montrouge


(pour accéder à l’invitation, cliquer ici …)

à partir de 14H, des extraits (rushes) du film en cours de montage

sur Stanislas Tomkiewicz

«ON L’APPELAIT TOM»

seront montrés en avant première.


Le 15 février 2011, à 18H30

Mairie de Paris du 11ème arrondissement

Place Léon Blum salle des fêtes

projection-débat du film

«MOURIR à CHARONNE – POURQUOI?»

Avec la participation d’enfants et petits-enfants des victimes au métro Charonne et de syndicalistes.


Le 16 février 2011, à 17h30

à l’Université Paris VII Paris-Diderot Amphi 46 (RDC)

accès par le site Les Olympiades, 75013 PARIS

Accès au 59, rue Nationale Gravir les marches.

Entrée du bâtiment indiquée par le panneau «Montréal»

Métro Ligne 14 (Olympiades)

Bus N° 62, 64 et 83

projection du film

«MOURIR à CHARONNE – POURQUOI?»

__________________________________________________

Le 8 février 2011, à 12 H 15

jour anniversaire de la répression au métro Charonne

Rassemblement devant le métro

le film «MOURIR à CHARONNE – POURQUOI?»

sera diffusé vers 23H30 sur la chaîne “TÉLÉBOCAL”.

Diffusion TNT numérique Ile de France N° 21.

Diffusion câble Numéricable chaîne N° 94.

Diffusion B.Box chaîne N° 166

Free box chaîne N° 215

SFR chaîne N° 334


SALUTATIONS AUX COMMUNISTES, AUX FORCES DÉMOCRATIQUES ET AU PEUPLE FRÈRE TUNISIEN

Au PCOT (Parti Communiste Ouvrier (‘Oummal) de Tunisie)

Au Mouvement ETTAJDID

CHERES ET CHERS CAMARADES.

Je crois être fidèle au sentiment massif de joie des patriotes, démocrates et militants sociaux algériens et parmi eux les communistes, en vous adressant, ainsi qu’à toutes les forces démocratiques de Tunisie et notamment à la jeunesse, les félicitations et la gratitude que nous éprouvons.

Notre émotion est grande et nos regards tournés vers vous, depuis que votre peuple a initié la lame de fond courageuse et exemplaire des changements dans votre pays, avec ses répercussions prometteuses dans tout le Maghreb et le monde arabe.

Nous sommes particulièrement fiers de la part que les communistes de votre pays ont prise dans ces changements, en prolongement des luttes empreintes de lourds sacrifices que vous avez menées durant plusieurs décennies au cœur des couches laborieuses et déshéritées des villes et des campagnes, des étudiants et intellectuels, des femmes, pour les libertés, la justice sociale et les droits humains, en un mot pour des perspectives dignes des luttes précédentes de la Tunisie pour l’indépendance nationale.

Nous avons énormément apprécié votre position et vos efforts de mobilisation visant à ne pas laisser confisquer la puissante révolte populaire libératrice par les forces réactionnaires et compradores qui avaient soutenu et permis les méfaits de la dictature renversée.

Le peuple et les forces de progrès algériennes sont particulièrement sensibles à vos efforts pour garantir une période de transition qui ne trahisse pas les espérances et les légitimes aspirations de votre peuple. Nous n’oublions pas comment en Algérie le cours des évènements après Octobre 88 et la fin formelle du monopartisme officiel a évolué tragiquement sous les coups conjugués des clans dirigeants civils et militaires parasitaires incrustés dans le pouvoir, soumis aux orientations, diktats et séductions du FMI, des multinationales et de leurs officines étatiques occidentales, inspirateurs et soutiens de la réaction régionale arabe.

Toutes ces forces hostiles à un tournant démocratique véritable n’ont pas trouvé en face d’elles la riposte unie et clairvoyante d’un champ politique algérien divisé par des a priori et des sectarismes idéologiques ou identitaires habilement manipulés par les forces qui se réjouissaient du reflux des forces anti-impérialistes mondiales, depuis notamment l’effondrement de l’URSS. Ces forces antidémocratiques sont ainsi parvenues temporairement à verrouiller la vie politique et les légitimes revendications sociales et culturelles par la violence, la corruption et les intrigues policières.

Les jours glorieux que vient de vivre la Tunisie montrent cependant qu’au milieu des graves dangers qui continuent à miner et menacer la marche pacifique du monde vers les libertés et le développement humain, une page est en train de se tourner en faveur des peuples.

Il suffit seulement, c’est l’essentiel, que leurs forces vives sachent tirer les enseignements du passé et qu’ils gardent une forte certitude: la clef irremplaçable des changements progressistes durables, celle qui doit être forgée avec persévérance, c’est la prise de conscience et l’action résolue des masses populaires éclairées par une culture politique démocratique.

Avec mes fraternelles salutations communistes à tous vos militants engagés et mes souhaits de nouvelles avancées

Sadek HADJERES

Ancien premier Secrétaire du PAGS d’Algérie, (1966 – 1990 )

le 26 janvier 2011

www.socialgerie.net

1989_10_Rencon_tre_maghreb_Oct_89_1.jpg

Rencontre des partis communistes et ouvriers du Maghreb

à Casablanca en octobre 1989

FEMINISME ET QUARANTE ANS DE MUTATIONS GÉOPOLITIQUES & RENOUVEAU DU FÉMINISME AU SUD

pdf_img2353right-doc2352-4.jpg

deux articles de Barbara Loyer et de Camille Sarret


FÉMINISME ET QUARANTE ANS DE MUTATIONS GÉOPOLITIQUESpar Barbara LOYER – dans L’Humanité, (Idées et Débats,13/12/2010)


VICTOIRES ÉPARSES SUR UNE OPPRESSION PERSISTANTE – RENOUVEAU DU FÉMINISME AU SUDpar Camille SarretMonde Diplomatique de Janvier 2011


FÉMINISME ET QUARANTE ANS DE MUTATIONS GÉOPOLITIQUES

par Barbara LOYER (*)

dans L’Humanité, (Idées et Débats,13/12/2010)

La question de l’égalité des femmes fait maintenant partie des débats au sujet
de la nature des gouvernements et des formes du pouvoir.

Pour brosser une image des quarante ans de mutations géopolitiques, j’ai choisi trois thèmes, des événements qui sont aussi trois lieux, et trois époques.

1) L’apparition d’un foyer d’influence géopolitique majeur :

le «golfe Arabo-Persique» islamiste.

L’augmentation brusque des prix du pétrole, en décembre 1973, a donné à la dynastie saoudienne le pouvoir de diffuser sa doctrine religieuse ultraorthodoxe dans le monde entier.

À cela s’est ajoutée la puissance idéologique de la révolution réactionnaire iranienne, victorieuse en 1979, qui a donné à l’islamisme la légitimité d’un mouvement populaire, ce
qui a contribué à son expansion au-delà des frontières de l’Iran.

Ces régimes religieux très riches sont divisés par des rivalités si fortes qu’on peut se
demander dans quelle mesure la fonction attribuée à la femme dans la représentation de l’islam n’a pas pour objectif de créer l’image illusoire d’une unité sacrée, à défaut d’être politique.

Elle fait apparaître l’Umma sur les écrans télévisuels de la communication de masse, là où il y a de meurtrières tensions géopolitiques.

La fonction centrale accordée au statut de la femme dans l’ordre musulman permet également de sacraliser des relations de pouvoirs internes à ces sociétés.

2) La dislocation de l’URSS, dans les années 1980,

que j’associe à la croissance des revendications démocratiques et à l’émergence de sociétés civiles, malgré des crises terriblement meurtrières concomitantes à cette évolution.

Le combat des femmes, au plan mondial, est étroitement lié au développement des canaux d’expression démocratiques durant ces vingt dernières années, même s’il reste beaucoup de pays où la liberté est encore à conquérir.

Le terme «démocratie» n’est pas un synonyme du mot «progrès».

Il signifie que, dès lors qu’il y a débats, rivalités et alliances géopolitiques, les analyses des situations dans lesquelles se trouvent les féministes de chaque pays doivent prendre en compte des pratiques du pouvoir plus complexes que lorsque la population vit dans l’isolement de la peur dictatoriale ou de l’illettrisme.

On voit notamment apparaître de plus en plus de femmes en situation de pouvoir, ce qui situe les débats féministes moins entre femmes et hommes qu’entre différentes conceptions de l’égalité des droits entre les femmes et les hommes.

3) L’émergence d’un monde multipolaire et un changement des rapports de forces
au sein des institutions internationales, notamment l’ONU.

Ces institutions sont le lieu de production de représentations géopolitiques planétaires, qui visent à détourner les débats des responsables politiques vers des ensembles abstraits dont on fait des acteurs : les civilisations qui devraient faire
alliance, les non-alignés qui se rebelleraient, l’Umma qui défendrait une part
de l’humanité, etc.

Les vrais acteurs sont les gouvernements des États qui agissent en fonction d’intérêts et de projets concrets.

Pour mener les combats féministes, il faut donc à la fois prendre en compte leur insertion dans des rapports de pouvoirs sur des territoires concrets et comprendre les stratégies mises en œuvre dans les forums internationaux.

On ne parlait pas de géopolitique dans les années 1970. Son usage traduit le sentiment d’une complexité grandissante et d’une menace face à des évolutions difficiles à prévoir.

Les combats des années 1970, dans le contexte économique des Trente Glorieuses, étaient pleins d’espoir.

Les perspectives du XXIe siècle sont plus sombres, du fait de la crise économique et des conflits meurtriers dans le monde.

Mais l’enjeu démocratique ouvre aussi des perspectives passionnantes pour les combats des femmes.

Barbara Loyer

le 11 décembre 2010.


(*) Barbara Loyer est directrice de l’Institut français 
de géopolitique de l’Université Paris-VIII.

haut


VICTOIRES ÉPARSES SUR UNE OPPRESSION PERSISTANTE

RENOUVEAU DU FÉMINISME AU SUD

par Camille Sarret

Monde Diplomatique de Janvier 2011

Le prisme paternaliste à travers lequel est souvent perçu le sort des femmes d’Afrique, d’Asie ou du Proche-Orient a tendance à occulter les combats qu’elles mènent.

Comme en Occident, leur condition, loin d’être un invariant culturel, fait l’objet de luttes visant à arracher de nouveaux droits et à mettre fin à des situations de violence ou de discrimination.

En témoignent les exemples du Rwanda, de l’Afghanistan, de l’Inde et du Maroc.

Le retour sur l’histoire du féminisme qui a marqué l’année 2010, avec, en France, les quarante ans du Mouvement de libération des femmes (MLF), ne doit pas faire oublier les femmes du Sud, leurs luttes et leurs contributions au renouvellement du féminisme. On a tendance à en faire trop facilement des victimes, alors qu’elles sont souvent en révolte contre l’ordre établi et les inégalités qu’engendrent certaines traditions.

Rwanda_femmes_1.jpg
Ainsi, sait-on que le seul pays au monde où les femmes sont majoritaires au Parlement est le Rwanda? Depuis les élections générales de 2008, elles représentent 56,3% des députés: un record à faire pâlir d’envie jusqu’aux pays scandinaves, champions de la parité politique en Europe. Les Rwandaises n’ont pourtant obtenu le droit de vote qu’en 1961, quand le pays est devenu indépendant. En 1965, la première élue entre au Parlement, mais, jusque dans les années 1990, les femmes sont quasiment absentes du monde politique. C’est le génocide des Tutsis, en 1994, qui bouleverse la donne. «Alors que beaucoup d’hommes étaient morts ou dans l’incapacité d’agir, les femmes ont pris des responsabilités et ont montré qu’elles pouvaient être à la hauteur, rappelle Mme Immaculée Ingabire, coordinatrice de la Coalition nationale contre les violences faites aux femmes. Bien que massivement violées, ce sont les Rwandaises qui ont sorti le pays du chaos. Ce qui a brisé le machisme traditionnel.»

Rwanda_femmes_2.jpg
Au cours de la période postgénocidaire, les femmes dirigent près du tiers des ménages, occupent des emplois autrefois réservés aux hommes, notamment dans les secteurs du bâtiment et de la mécanique, et adhèrent en nombre aux partis politiques. Elles participent à l’élaboration de la Constitution de 2001 et parviennent à y faire inscrire un système de quotas qui leur réserve 30 % des postes dans tous les organes de prise de décision, ainsi que le droit à l’héritage. Elles exigent également la création d’un ministère du genre et de la condition féminine, et réussissent à faire fonctionner des conseils nationaux féminins qui constituent un exemple de la représentation des femmes à chaque échelon du pouvoir (du quartier jusqu’au plus haut niveau de la nation). Au gouvernement, les ministères de l’industrie, de l’agriculture, des affaires étrangères et de l’énergie sont confiés à des femmes.

Mais des difficultés persistent. Dans l’administration centrale, selon un rapport ministériel, «74 % des secrétaires généraux dans les ministères sont des hommes, de même que 81 % des directeurs et 67 % des agents les plus diplômés. Les femmes sont plutôt prédominantes dans des postes d’assistant administratif et de secrétaire». De même, dans le secteur privé, elles restent «majoritaires dans les activités précaires et peu rémunérées du secteur informel (…). Seules 18 % des entreprises du secteur formel leur appartiennent [[« Genre et marché de l’emploi », rapport publié en janvier 2008 par le ministère rwandais de la fonction publique et du travail.]]». Et, en matière de violences, le tableau reste sombre: «Il existe une véritable volonté politique, mais il faut encore faire évoluer les mentalités, dit Mme Ingabire. Et montrer que la culture n’est pas immuable, que toute société est capable de faire évoluer ses traditions. Aujourd’hui, je vise les nouvelles générations.»

Une députée afghane de 27 ans

Tout autre est la situation en Afghanistan . Sous la présidence de M. Hamid Karzaï, violences domestiques, meurtres, viols, attaques à l’acide sont en constante augmentation. Malgré tout, les femmes ne restent pas emmurées dans le silence. Elles ont des porte-voix, comme Mme Malalaï Joya, élue au Parlement en 2005, à l’âge de 27 ans — ce qui fait d’elle la plus jeune députée de l’hémicycle.

Mme Joya a passé une partie de son enfance et de sa jeunesse dans un camp de réfugiés pakistanais, puis elle a pu bénéficier d’une scolarité et de l’apprentissage de l’anglais. Sous les talibans, de retour dans sa ville natale de Farah, elle s’est occupée d’un dispensaire et de l’organisation de cours d’alphabétisation clandestins pour les femmes. Mais, «dès ses débuts en politique, raconte la sociologue Carol Mann, elle s’est attiré les foudres de ses collègues parlementaires, à qui elle n’a cessé de reprocher leur passé de chefs de guerre, leurs activités de trafiquants de drogue et de militants islamistes inconditionnels. Elle incrimine inlassablement la politique de l’Etat, qui bafoue les droits humains, en particulier ceux des femmes[[Carol Mann, « Malalai Joya et le courage de la vérité », Sisyphe.org, 18 novembre 2007.]]».

Mme Joya a échappé à plusieurs tentatives d’assassinat, ses principaux ennemis étant les partis réactionnaires et les fondamentalistes religieux. A Kaboul, elle s’est fait agresser par des parlementaires. «Ils me tueront, mais ils ne tueront pas ma voix, car ce sera la voix de toutes les femmes afghanes[[Glyn Strong, «Malalai Joya: courage under fire», The Telegraph, Calcutta, 29 septembre 2007.]]», a-t-elle déclaré en 2007. Des femmes en burqa, brandissant des panneaux, sont venues lui manifester leur soutien à Farah, à Jalalabad et à Kaboul. Depuis, elle a été exclue du Parlement à la suite d’une interview télévisée où elle comparait l’assemblée afghane à un zoo.

Mme Shoukria Haïdar, présidente de Negar, l’une des plus importantes associations de femmes du pays, redoute un retour au pouvoir des talibans depuis que le président Karzaï, dans le cadre de la conférence de Londres, en janvier 2010, a présenté aux puissances occidentales sa politique de la main tendue. Dans la foulée, en juin, il a réuni mille six cents représentants des tribus et de la société civile dans une loya jirga («grande assemblée»). Mme Haïdar craignait que le principe de l’égalité entre hommes et femmes, pour lequel elle s’était battue pendant deux ans après la chute des talibans, soit supprimé de la Constitution. Au final, les textes fondamentaux n’ont pas été touchés, mais, comme l’a relevé Human Rights Watch, «le gouvernement afghan et ses supporters internationaux n’ont pas tenu compte de la nécessité de protéger les femmes dans les programmes de réintégration des combattants insurgés et ont omis de garantir l’inclusion de leurs droits dans les pourparlers potentiels avec les talibans[[Human Rights Watch, « The “ten-dollar talib” and women’s rights », 13 juillet 2010.]]».

Autre cas : l’Inde.

L’Etat y a adopté le principe d’égalité entre les sexes et a intégré le concept de genre. «Aujourd’hui, les Indiennes bénéficient d’excellentes politiques publiques, analyse Mme Urvashi Butalia, qui tient depuis plus de vingt ans une maison d’édition féministe à New Delhi. Dans les plans quinquennaux, elles ont une place spécifique. Récemment, pour aider les plus démunis, et en particulier les femmes, l’Etat indien a créé un salaire journalier minimum pour des travaux d’intérêt général comme l’entretien des routes ou le nettoyage des rues.» Une loi contre les violences domestiques, «l’une des meilleures au monde», estime-t-elle, a également été promulguée en 2005.

Ce texte permet de protéger les femmes non seulement de la violence de leurs maris ou de leurs fils, mais aussi de leurs belles-familles, avec lesquelles elles cohabitent. Pour autant, le phénomène dramatique des dowry deaths («morts pour dot insuffisante») n’est toujours pas endigué. Selon des estimations non officielles, quelque vingt-cinq mille femmes seraient tuées chaque année parce que leur famille n’a pu satisfaire les incessantes demandes de la belle-famille[[Stéphanie Tawa Lama-Rewal, «Les femmes en Inde», Rayonnement du CNRS, n° 47, Paris, mars 2008.]].

Bien qu’interdite depuis 1961, la pratique de la dot a repris de plus belle à la fin des années 1980. «Aujourd’hui, quelles que soient la classe sociale et la caste, tout le monde dote : les députés, les industriels, les journalistes…, explique le chercheur Max-Jean Zins. Mal vue dans les années 1970, la dot est devenue un signe ostentatoire de richesse et de pouvoir. Pour les plus modestes, elle est le moyen le plus rapide d’accéder à la consommation, placée au cœur du système économique et social de l’Inde moderne. La femme indienne est devenue un objet destiné à accéder à d’autres objets. C’est ce qui la fragilise le plus.»

En outre, il manque en Inde près de quarante millions de femmes. Ce chiffre est d’abord dû à la pratique très développée du fœticide (l’élimination des fœtus de sexe féminin identifiés par échographie), mais aussi à une forme de négligence à l’égard des petites filles, moins bien soignées que leurs frères. «Ce n’est qu’à l’âge de 34 ans que les femmes obtiennent une espérance de vie équivalente à celle des hommes», indique Zins.

Sur le plan politique, en revanche, les femmes indiennes sont relativement puissantes. La plus grande démocratie au monde a instauré, dès 1992, des quotas aux élections municipales. «Cela a entraîné de profonds changements à l’échelle locale. D’ailleurs, depuis ce succès, les hommes politiques refusent d’avoir un système similaire pour les élections législatives», confie Mme Butalia.

Dans les pays du Sud, qui ont été pour la plupart des colonies ou des protectorats, les pionnières du féminisme moderne sont issues, comme en Occident, des milieux marxistes. Mais c’est en s’opposant au colonialisme, à travers les luttes pour l’indépendance, qu’elles ont affirmé leur militantisme. Evoquant le cas des combattantes indiennes, Martine van Woerkens explique: «Elles avaient une conception visionnaire de la future nation, associant étroitement l’autonomie politique à l’émancipation des femmes[[Martine van Woerkens, Nous ne sommes pas des fleurs. Deux siècles de combats féministes en Inde, Albin Michel, Paris, 2010, p. 95.]].»

En Egypte,

dès les années 1920, Huda Sharawi fonde l’Union féministe égyptienne et s’engage dans la lutte nationaliste. En 1929, à la gare du Caire, elle fait scandale en descendant du train sans voile; un geste repris peu après par un grand nombre d’Egyptiennes lors d’une manifestation contre le mandat britannique.

Dans l’empire des Indes britanniques, c’est Kamaladevi Chattopadhyay qui incarne ce double engagement féministe et nationaliste. «Membre de l’aristocratie brahmanique, riche et cultivée, qui adhérait à la cause nationaliste et réformiste, elle fut aux côtés de Gandhi et de Nehru dans les luttes qui précédèrent et suivirent l’indépendance», relate van Woerkens[[Ibid., p. 95.]]. C’est elle qui convainc Gandhi d’autoriser les femmes à rejoindre les hommes dans la Marche du sel, mobilisation pacifique à travers tout le pays contre le pouvoir britannique.

En Asie, au Maghreb et dans le reste de l’Afrique,

ces premiers courants féministes nés des luttes nationalistes se caractérisent par des valeurs laïques et universalistes. Les femmes sont incitées à investir les universités, les entreprises, les institutions et les organisations politiques. Mais un domaine reste alors quasiment impensé: la famille. D’après Margot Badran, chercheuse au Centre pour la compréhension entre musulmans et chrétiens du prince saoudien Al-Walid Ben Talal à l’université américaine de Georgetown, dans les pays musulmans, «ce sont les féministes islamiques qui, à la fin du XXe siècle, assumèrent cette tâche[[Margot Badran, «Où en est le féminisme islamique?», dans Critique internationale, n° 46, «Le féminisme islamique aujourd’hui», Presses de Sciences Po, Paris, janvier-mars 2010, p. 29.]]».

Née dans les années 1980 et forgée à partir de l’expérience iranienne, cette forme religieuse du féminisme demeure encore très controversée. Les plus ardents défenseurs de la laïcité dénoncent une manipulation du combat des femmes au profit de l’islam politique fondamentaliste. Pourtant, explique Badran, «le féminisme islamique est au cœur d’une transformation qui cherche à se faire jour à l’intérieur de l’islam. Transformation et non réforme, car il ne s’agit pas d’amender les idées et coutumes patriarcales qui s’y sont infiltrées, mais d’aller chercher dans les profondeurs du Coran son message d’égalité des genres et de justice sociale (…), et d’y conformer, par un bouleversement radical, ce qu’on nous a si longtemps fait prendre pour l’islam[[Ibid., p. 25.]]».

Militantismes laïque et islamique

Ayant bénéficié des acquis des luttes féministes précédentes, ce mouvement a d’abord émergé au milieu des années 1980, quand les femmes des classes moyennes ont accédé aux études supérieures et quitté leur foyer pour travailler. Les premières réflexions sur le partage du rôle du chef de famille sont alors apparues. En même temps, le concept de genre, forgé aux Etats-Unis, est repris par les théologiennes musulmanes pour interroger les textes sacrés.

Autour de 2005, les «militantes lettrées», comme les appelle Badran, affirmant plus encore leur indépendance de pensée, cherchent à déconnecter les pratiques et le droit musulman du sacré, en montrant qu’il s’agit d’une construction humaine et historique sur laquelle il est possible d’agir. Elles s’attellent à la mise en pratique de ces idées à travers la constitution de réseaux transnationaux. Badran constate, au sein de la culture musulmane, une convergence entre féminismes laïque et islamique, qui «s’explique avant tout, précise-t-elle, par la communauté d’objectifs: débarrasser l’islam de la domination masculine et réaliser l’aspiration à un islam égalitaire, en particulier au sein de la famille[[Ibid., p. 43.]]».

Au Maroc,

la réforme du code de la famille (mudawana), engagée en 2004, n’aurait pu se faire sans une telle alliance: «Cette réforme découle d’une vingtaine d’années de débat entre le pouvoir politique, les féministes libérales et les islamistes, débats auxquels Mohammed VI a mis un terme en 2003 par un arbitrage qui prenait en compte les revendications des uns et des autres[[Souad Eddouada et Renata Pepicelli, «Maroc, vers un “féminisme islamique d’Etat”», dans Critique internationale, n° 46, op. cit., p. 87.]].» Cette avancée des droits des femmes dans la sphère familiale a été obtenue grâce à la convergence d’un militantisme féministe de longue date promu par des associations laïques, des apports intellectuels des féministes islamiques et, enfin, de la volonté du jeune roi de s’emparer de cette question pour moderniser la société marocaine et faire barrage à une radicalisation de l’islam, en particulier après les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca.

Le même processus pourrait se mettre en place au sujet de l’avortement. «C’est un thème dont on commence à discuter publiquement, précise la chercheuse Souad Eddouada. Au nom de la dignité de la femme défendue par l’islam, l’avortement pourrait être perçu dans certains cas comme l’unique solution, ce qui justifierait sa légalisation.»

Dans la péninsule arabique,

c’est aussi une alliance entre laïques et religieux qui a permis l’obtention du droit de vote pour les femmes à Bahreïn en 2002 et au Koweït en 2005.

Camille Sarret

Journaliste.

haut