HOMMAGE à NEDJADI ALI BOUJENAH

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de la part de sa fille,

Yasmine BOUDJENAH


Nedjadi (Ali) BOUDJENAH nous a quittés le 24 février dernier.

Afin de lui rendre un dernier hommage

avant qu’il ne rejoigne la terre algérienne

pour laquelle il a combattu toute sa vie,

sa famille, ses amis et camarades vous invitent

le mardi 1er mars 2011 à 19h30

au Théâtre des Cinq Diamants

10, rue des Cinq Diamants à Paris

Métro Corvisart ou Place d’Italie


Message de Sadek Hadjerès

à Yasmine BOUDJENAH

Chère camarade

Je t’adresse ainsi qu’à toute ta famille mes con,doléances attristées à l’occasion du décès de ton père. Me trouvant en ce moment à l’étranger, je regrette de ne pouvoir être ce mardi 1er Mars sur place avec vous comme je l’aurais souhaité. Je m’associe néanmoins à l’hommage qui lui sera rendu ce mardi 1er Mars par ses camarades et tous ceux qui l’ont connu.

Les circonstances d’une longue clandestinité font que j’ai très peu connu directement et physiquement notre cher camarade. Je sais néanmoins, dans l’itinéraire compliqué qu’ont vécu les forces progressistes algériennes, qu’il s’efforça toujours, au pays comme en France, d’être là où son organisation le lui demandait, là où il estimait qu’il pouvait le mieux servir la cause démocratique et sociale de son peuple. i

Il a voué sa vie à cette cause, à travers son adhésion à l’idéal communiste; un engagement qui quelles que soient les formes et les itinéraires organiques qu’il emprunte, implique toujours pour soi-même et pour sa famille, courage, fermeté et continuité dans le quotidien militant.

Pour vous comme pour chacun, la perte d’un être cher est une épreuve lourde à surmonter..

Que votre peine soit au moins allégée à l’écoute de la vague puissante qui a commencé à soulever les peuples du Maghreb et du Machreq.

Ali malgré les souffrances de la maladie était sûrement heureux de ces prémices prometteuses, lui qui y a travaillé sans cesse quand les horizons paraissaient encore fermés.

Je te prie chère camarade de croire, ainsi que ta famille, à ma chaleureuse et affectueuse sympathie.

Lundi 28 février

Sadek HADJERES

ancien membre du BP et du Secrétariat du PCA

ancien premier secrétaire du PAGS (1966-1990)


QUAND LA « RUE ARABE » SERT DE MODÈLE AU NORD

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À partir de la Tunisie, la divine surprise qui a touché la rive sud de la Méditerranée n’est pas aussi simple qu’elle peut apparaître de prime abord.

Elle n’est évidemment pas issue de l’Irak. Envahi par l’armée américaine en 2003, sous prétexte de supprimer un tyran et d’y établir une démocratie, l’Irak a, au contraire, connu une involution outrageante dans le communautarisme et l’ethnisme, assortie d’une paupérisation encore plus grave que celle amenée par treize années d’embargo économique onusien, implacable sur ce malheureux peuple.

La surprise n’est pas plus venue du Liban, où, en 2005, la « révolution du Cèdre », appuyée par l’Occident, n’a servi qu’à aggraver le communautarisme et les dissensions internes.

Une commission d’enquête internationale sur l’assassinat de Rafic Hariri, puis la constitution du Tribunal international spécial pour le Liban n’ont fait que jeter encore plus le trouble entre les deux grandes communautés musulmanes du pays (sunnite et chiite) et aggraver les dissensions internes.

L’attaque israélienne d’envergure de 2006 sur le sud du pays pour éradiquer le Hezbollah n’aura pas non plus été les « douleurs d’enfantement » du nouveau Moyen-Orient de George Bush, suivant les termes scandaleux employés à l’époque par Condoleezza Rice, sa ministre des affaires étrangères.

En bref, tous les essais d’imposer la démocratie de l’extérieur n’auront eu pour effet que d’aggraver les tensions et instabilités de la région.

En revanche, c’est un pauvre Tunisien désespéré socialement et économiquement qui, en s’immolant par le feu dans une zone rurale, déclenche la vague de protestations populaires qui secouent le sud de la Méditerranée. Les immolations par le feu se multiplient.

Dans cette vague, il faut bien identifier l’alchimie qui en a fait jusqu’ici le succès: de fortes revendications d’équité sociale et économique, couplées à l’aspiration à la liberté politique et à l’alternance dans l’exercice du pouvoir.

Soutenir uniquement la revendication politique que portent les classes moyennes et oublier celle de justice et d’équité socio-économique que portent les classes les plus défavorisées conduira à de graves désillusions.

Or, le système qui a mené au désespoir social est bien celui de « kleptocraties » liant les pouvoirs locaux aux oligarchies d’affaires qu’ils engendrent et à des grandes firmes européennes ou à de puissants groupes financiers arabes, originaires des pays exportateurs de pétrole.

C’est ce système qui a aussi nourri la montée des courants islamistes protestataires.

La vague de néolibéralisme imposée aux États du sud de la Méditerranée depuis trente ans a facilité la constitution des oligarchies locales.

La façon dont ont été menées les privatisations a joué un rôle important dans cette évolution, ainsi que les redoutables spéculations foncières et le développement des systèmes bancaires, financiers et boursiers ne profitant qu’à cette nouvelle oligarchie d’affaires.

Or, de nombreux observateurs ont naïvement misé sur le fait que ces nouveaux entrepreneurs seraient le moteur d’un dynamisme économique innovant et créateur d’emplois qui entraînerait l’émergence d’une démocratie libérale.

La réalité a été tout autre. Le retrait de l’État de l’économie et la forte réduction de ses dépenses d’investissement pour assurer l’équilibre budgétaire n’ont pas été compensés par une hausse de l’investissement privé.

Ce dernier était supposé créer de nouveaux emplois productifs pour faire face aux pertes d’emplois provoquées par les plans d’ajustement structurels néolibéraux et à l’augmentation du nombre de jeunes entrant sur le marché du travail.

Le monde rural a été totalement délaissé et la libéralisation commerciale a rendu plus difficile le développement de l’agroalimentaire et d’une industrie innovante créatrice d’emplois qualifiés.

Face aux fortunes considérables qui se sont constituées ces dernières décennies, le slogan « L’islam est la solution » a visé, entre autres, à rappeler les valeurs d’éthique économique et sociale que comporte cette religion.
_Ces valeurs ressemblent étrangement à celles de la doctrine sociale de l’Église catholique.

C’est pourquoi, si la question de l’équité et de la justice économique n’est pas traitée avec courage, on peut penser que les avancées démocratiques resteront plus que fragiles, à supposer qu’elles ne soient pas habilement ou violemment récupérées.

Au demeurant, les organismes internationaux de financement, tout comme l’Union européenne, portent eux aussi une certaine responsabilité.

Les programmes d’aides ont essentiellement visé à opérer une mise à niveau institutionnelle libre-échangiste, mais non à changer la structure et le mode de fonctionnement de l’économie réelle. Celle-ci, prisonnière de son caractère rentier et « ploutocratique », est restée affligée par son manque de dynamisme et d’innovation.

Partout, le modèle économique est devenu celui de la prédominance d’une oligarchie d’argent, liée au pouvoir politique en place et aux pouvoirs européens et américains et à certaines grandes firmes multinationales.

Le Liban en est devenu un modèle caricatural où des intérêts financiers et économiques servent à perpétuer des formes aliénantes de pouvoir en s’abritant derrière des slogans communautaires scandaleux tels que celui de « bons » sunnites opposés aux « dangereux » chiites.

Pour que les choses changent durablement en Méditerranée pour qu’un ensemble euro-méditerranéen dynamique, compétitif et pratiquant l’équité sociale puisse émerger, ne faut-il pas que la société civile européenne suive, à son tour, l’exemple de ce qui a été jusqu’ici dédaigneusement appelé dans les médias la « rue arabe »?

Qu’elle élève à son tour le niveau de contestation de la redoutable oligarchie néolibérale qui appauvrit les économies européennes, n’y crée pas suffisamment d’opportunités d’emplois et précarise chaque année un plus grand nombre d’Européens de toutes les nationalités.

Cette évolution négative s’est, elle aussi, faite au bénéfice de la petite couche de « manageurs » dont les rémunérations annuelles accaparent toujours plus la richesse nationale.

Au nord comme au sud de la Méditerranée, ces « manageurs » soutiennent les pouvoirs en place et dominent la scène médiatique et culturelle. Il nous faut donc repenser en même temps le devenir non plus d’une seule rive de la Méditerranée, mais bien de ses deux rives et de leurs liens multiformes.

L’exemple de la rive sud devrait stimuler aujourd’hui sur la rive nord la capacité de penser sur un mode différent un autre avenir commun.

Georges Corm,

ancien ministre des finances de la République libanaise

Le Monde du 12 février 2011


 Al-Oufok, le 27 février 2011


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Ouvrage:

« Le Nouveau Gouvernement du monde »

entretien avec Pascal Boniface

(algerie-focus)

(La Découverte, 2010).

TRAVAILLEURS DE SOCOTHYD – CINQ ANS D’ARBITRAIRE

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Témoignage

par Khaled G.

… Aujourd’hui je suis allé avec Zoheir (le directeur d’Alger républicain), en compagnie de Rachid et Mohamed voir des ouvriers de SOCOTHYD (entreprise nationale de produits pharmaceutiques) qui brasse des milliards. Ils tenaient un sit-in devant leur usine, pour informer par l’intermédiaire du journal Alger républicain l’opinion publique et tous les travailleurs du secteur public de leur lutte exemplaire depuis 5 ans contre l’injustice, l’arbitraire et le mépris envers leurs droits.

Ils sont victimes d’un patron qui a importé des produits que ses travailleurs fabriquaient sur place. Il a fait passer ça pour une production nationale, en changeant les emballages, et du même coup faire une plus-value indécente et flanquer 300 travailleurs à la rue…

Ils ont obtenu gain de cause auprès des tribunaux algériens et leur réintégration après une lutte judiciaire de plusieurs années, (soutenus seulement par les syndicalistes honnêtes et des communistes algériens dont j’ai vu les actions en faveur des démunis, (dont on exploite l’ignorance de manière éhontée).

Malgré çela, le patron qui dit avoir des appuis au niveau du gouvernement, refuse de leur donner satisfaction. Contre l’avis des tribunaux, il les laisse à la rue en espérant le pourrissement et des débordements qui ne viennent pas…

Malgré le soutien que leur apportaient les habitants des Issers (la ville), quatre d’entre eux avaient entrepris de s’immoler devant l’usine… Ils ont vu le commissaire de la police locale se mettre au milieu d’eux et leur dire: « Vous avez raison, il y en a marre de cette Algérie-la, si vous vous immolez, je le fais avec vous! » provoquant l’émoi des grévistes, qui malgré leur grand désespoir, et sous les efforts des syndicalistes pour les dissuader, ont reculé.

Ces travailleurs peu lettrés, sont sujets à toutes les manœuvres de la part des employeurs qui les traitent comme des bêtes…

Il y a eu aussi ce témoignage d’une femme âgée, qui a travaillé 27 ans dans cette usine, et a perdu une partie de son audition et la vue d’un œil dans ces ateliers de tissage du coton.

Pour avoir soutenu les grévistes en vendant des cacahuètes pour eux, elle a été virée, molestée (bras et poignet cassé, 75 jours de plâtre).

Malgré un jugement favorable, elle n’a pas été réintégrée.

Elle se tenait aujourd’hui aux cotés des grévistes dans cette tente qui leur sert d’abri face à l’usine depuis des semaines, exposée au froid du moment…

Nous avons recueilli leurs paroles et tout ce qu’ils avaient à dire, et pris des photos pour informer les citoyens de ce qui se passe là-bas et qui n’est pas un fait isolé…

Nous avons été reçus fraternellement par ces gens simples qui recherchent des soutiens et une large diffusion. Même les policiers qui sont vite venus n ‘étaient pas agressifs, ce qui est très étonnant en Algérie…

Quelle journée extraordinaire

J’en suis ému et bouleversé…

Une grande marche dite contre le mépris des droits des travailleurs sera organisée mardi aux Issers.

Il risque d’y avoir des brutalités contre les travailleurs, mais les algériens veulent faire cesser le mépris de leurs droits et les répressions… à mon avis c’est le bon moment car le pouvoir, craignant un soulèvement, est enclin à tout faire ces temps-ci pour faire baisser le mécontentement des masses…

Les copains que j’ai rencontrés aujourd’hui, soucieux d’aider, de conseiller et d’informer les travailleurs sur les lois et leurs droits, donnent tout leurs temps pour les autres…

Leur valeur est incontestable, Ils sont accueillants, simples et d’une grande humanité..

J’ai été heureux et honoré d’avoir passé un jour à leur côté et de collaborer à mon humble mesure avec eux…

Ils m’ont grandement « rempli l’œil », comme on dit…

Khaled G.


« LA MONTAGNE DE BAYA » – FILM DE AZZEDINE MEDDOUR.

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Lettre d’information du 21 février 2011

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Jeudi 3 mars aux 3 Luxembourg

67, rue Monsieur le Prince 75006 Paris

à 21h00

et

vendredi 4 mars à l’Univers

16, rue Georges Danton, 59000 Lille

à 20h00

Projection de «La Montagne de Baya» (1997)

un film de Azzedine Meddour


Un débat sera organisé à l’issue des projections.

Il sera animé par Mouloud Mimoun .

À Paris interviendront en outre

Mounia Meddour, fille du réalisateur,

et Ben Mohamed, poète d’expression Berbère

Alors que les Français ont dispersé les derniers groupes de résistance berbère et que certains s’enfuient dans une montagne aride, Baya, fille du guide spirituel de la communauté, assiste au meurtre de son époux par son rival de toujours, Saïd.

Celui-ci remet à la jeune veuve une bourse de louis d’or, la “ddiya”, le prix du sang versé.

Baya refuse de remettre aux paysans cette somme qui pourtant leur permettrait de payer l’impôt de guerre et de récupérer leurs terres.

L’un des plus beaux films tourné en Kabylie en langue amazigh avec une écriture cinématographique d’une grande modernité.

« L’irrédentisme » kabyle à travers l’histoire d’un village, au début du siècle, qui doit fuir l’oppression française.

La Kabylie s’est toujours élevée contre les différents oppresseurs.

En témoignent les différentes révoltes qu’elle a connues au XIXème siècle.

Cette séance est organisée dans le cadre d’un partenariat avec l’Association de Culture Berbère (ACB).

Pour en savoir plus, rendez-vous sur la page consacrée au film.


Pour la projection à Paris, il est prudent de réserver

soit par mail : maghrebdesfilms@free.fr

ou en téléphonant au 06 85 56 23 97

LA LOI ALGERIENNE DES FINANCES ET LES « DÉMOCRATES »

L’article de Ahmed HALFAOUIest une démonstration du cynisme conjugué des « démocrates » libéraux locaux et de leurs maîtres et compères des économies occidentales; Ils sont larrons qui s’entendent sur le dos des populations du Sud paupérisées, déstructurées, politiquement et idéologiquement fragilisées par la fable du marché sauveur. Les soulèvements en cours ne déboucheront sur le vrai « printemps arabe » que si les acteurs engagent dans les faits les démystifications qui remettront enfin au centre des stratégies nationales de développement deux conditions de base: les capacités productives et la satisfaction des besoins sociaux. Ainsi seulement une démocratie réelle pourra-t-elle supplanter les régimes que Georges Corm qualifie à juste titre de « kleptocratiques ».

On aurait bien voulu savoir si démocratiquement le peuple algérien aurait accepté le fameux plan d’ajustement structurel de l’économie nationale (P.A.S).

Dommage, on ne l’a pas consulté sur le sujet et les « démocrates » d’aujourd’hui, qui soutenaient cette option et en faisaient le pivot de leur programme, n’ont pas eu l’heur de mesurer le degré d’enthousiasme des masses vis-à-vis de leur trouvaille.

La situation imposait d’autres urgences, il fallait sauver sa vie plutôt que de discuter de la savante formule du Fonds monétaire international (FMI) et consorts.

Cela n’a pas empêché que soit signé et paraphé, ce traitement de choc censé sortir le pays du sous développement dans lequel il se trouvait.

Vingt ans ont passé, le pays a démantelé l’essentiel de son tissu industriel et surtout cet arsenal de lois et de règlements qui protégeait la production nationale, aussi bien publique que privée.

Mais, en dehors des recettes des hydrocarbures, rien n’est venu impulser ce développement tant promis par une nuée d’ «experts», de «spécialistes» et de «conseillers», qui répétaient à l’envi les bienfaits du retrait de l’État de la sphère économique.

Ceci, même si le pays n’y a gagné que d’être transformé en un immense déversoir de marchandises de toutes origines, qu’il a pu, heureusement ou malheureusement, absorber grâce à une exceptionnelle flambée des prix du pétrole.

Effet du P.A.S, le moins visible, médiatiquement parlant, des centaines de milliers de travailleurs licenciés et autant de chômeurs sans grands espoirs d’embauche. Pourtant, l’argent coule à flot dans ce qui est désormais consacré «économie de marché».

Autre effet, pendant que la multitude vivait de débrouilles individuelles, la corruption et la gabegie sont instaurées comme facteur de réussite et presque comme des passages obligés.
Le temps faisant son œuvre le fatalisme a gagné toutes les couches de la société qui n’ont pas accès aux laboratoires qui fabriquent les politiques ou aux réseaux d’influence qui produisent les milliardaires.

Le FMI, mis à part quelques remontrances, adresse satisfecit sur satisfecit à l’élève zélé qu’est devenu l’Etat algérien. Hommes d’affaires, gros négociants ou cadres véreux, affichent sans coup férir une richesse dont l’insolence n’a d’égale que la certitude du bon droit dans lequel ils croient baigner.

Au sein de l‘économie réelle, rien ne bouge ou quelques investissements sporadiques, dont la rareté tranche avec les immenses fortunes qui prospèrent et qui refusent de se risquer dans l’industrie ou de l’agriculture, préférant servir d’intermédiaires aux économies étrangères en tant qu’importateurs ou, au mieux, comme simples transformateurs.

Un mot les désigne : les compradores. Le pire est qu’ils ont acquis et mis en place des relais dans la société, des intellectuels, des faiseurs d’opinion, des hommes politiques, et qu’ils bénéficient du soutien d’États intéressés. Apparemment, leur puissance financière leur donne, désormais, le poids politique dont ils ont besoin pour se défendre contre tout ce qui peut remettre en cause les conditions qui les servent.

L’idéologie de la prédation a, ensuite, le culot de se poser en discours libérateur et menace même d’en appeler au peuple. Leur « démocratie » n’aime pas la régulation et encore moins le protectionnisme, pourtant de plus en plus en plus vigueur partout dans les nations qui sont leurs références. Et dont les chancelleries voient leurs porte-voix politiques empressés venir chercher soit une bénédiction, soit un soutien.

A contrario, on ne peut que remarquer la faiblesse l’absence de l’encouragement aux producteurs nationaux de la part des institutions qui veillent au respect des règles de la libre-entreprise et la formidable levée de bouclier contre la timide loi de finances de 2009.

Cette initiative prise, en désespoir de cause, en vue de contenir la dégradation des termes de l’échange avec les partenaires étrangers et de booster le tissu industriel national, grâce aux investissements publics et au soutien à l’investissement du privé national, (en profitant opportunément de l’aisance financière providentielle dans laquelle se trouve le pays).

On apprend, à nos dépens, que ce qui est bon pour les puissances dominantes ne l’est pas pour les plus faibles. Sous la menace d’une « démocratisation » musclée, ils veulent imposer leurs directives, et les relais locaux se chargent de les applaudir, d’amplifier le message et de vendre, en grosses manchettes de une, le produit à l’opinion publique.

Une crise aurait éclaté, sans crier gare. Ne nous laissons pas tromper. Il ne s‘agit pas, bien sûr, de celle qui s’exprime depuis des années par des émeutes récurrentes en réponse justement à la politique d’attentisme économique où s’est confiné l’État, par égard aux accords conclus qui interdisaient qu’il intervienne.

Ce qui lui a d’ailleurs coûté de subir les sarcasmes des « spécialistes » de l’Algérie.

Un pays riche dont le peuple est pauvre, un jugement dont le cynisme nauséabond occulte le fait qu’eux-mêmes, en supplétifs militants de l’ultralibéralisme, sont parmi les premiers mentors de cette stratégie anti interventionniste.

Ce cynisme cache aussi le fait que ce qui est visé est ni plus, ni moins que d’obtenir un recul de l’État, voire son retour à la situation antérieure.

Les oripeaux « démocratiques » complètent, enfin, le maquillage et s’essaye à drainer tous les « mécontentements », y compris ceux qui seront aggravés, quitte à les tromper sur des objectifs difficiles à afficher.

Alors qu’il est patent qu’avec un surcroît de libéralisme, les libertés seront de plus en plus incompatibles avec le développement de l‘exclusion sociale et de l’accroissement du nombre de laissés pour compte, qui assurément voudront encore moins d’un pays riche dont le peuple est pauvre.

Ce qui devrait, « démocratiquement » parlant, imposer que ce peuple soit appelé à choisir s’il est pour ou contre ce qu’on lui prépare.

Les « démocrates » pourront à loisir faire campagne en expliquant comment ils comptent, dans le même temps, travailler pour les marchands, en enrichissant les pauvres.

Ahmed Halfaoui

ALGÉRIE – FÉVRIER 2011: OPINIONS ET DÉBATS SUR CE QUI SE PASSE EN ALGÉRIE

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« ALGÉRIE, LES LEÇONS D’UNE RÉVOLTE » par Chawki Salhi, Alger, le 22 janvier 2011;


« LE RÔLE DES ÉTATS-UNIS DANS LES RÉVOLTES DE LA RUE ARABE: LE CAS DE L’ÉGYPTE » – écrit par Ahmed Bensaada, le Mercredi, 23 Février 2011;


« ÉROSION DE LA NOTION DE PATRIOTISME EN ALGÉRIE – LES PARTISANS DU LIBÉRALISME SAUVAGE MARQUENT DES POINTS » – article de Mohamed Bouhamidi, le 24 février 2011;


« DÉMOCRATIE ET PROGRÈS SOCIAL DANS LES RÉVOLUTIONS DÉMOCRATIQUES ET SOCIALES DU XXIe siècle » – article de Hocine Belalloufi, le 1er février 2011;


« ENSEIGNEMENTS POUR LES LUTTES FUTURES » – article de Kamel B., le 16 février 2011;


« LA QUESTION SOCIALE EST-ELLE AU CŒUR DES RÉVOLTES «ARABES»? » – Chronique de Arezki Metref – Le Soir d’Algérie, le 20 février 2011;


« LA SOCIÉTÉ ALGÉRIENNE EST EN COLÈRE MAIS ÉPUISÉE. SES ÉLITES ONT ÉTÉ DÉCAPITÉES » – Valérie Péan, Omar Bessaoud, le 4 février 2011, sur le site de Michel Collon info;


« LISTING « A-POLITIQUE » » – éditorial du Quotidien d’Oran du 31 Janvier 2011, signé K. Selim. Accompagnant la critique rigoureuse des appréciations embarrassées de Daho Ould Kablia, ministre de l’Intérieur , sur les émeutes de la jeunesse algérienne de janvier, l’éditorial expose en filigrane la problématique des liens étroits entre le social et le politique, que d’aucuns cherchent à nier, à isoler les uns des autres ou à les opposer;


« LEÇONS TUNISIENNES » – Écrit à Alger, le 21 janvier 2011 par Hocine Belalloufi. Quelques enseignements tirés des évènements considérables qui ont secoué et n’ont pas fini de secouer les sociétés et les pouvoirs du monde arabe.


ALGÉRIE, LES LEÇONS D’UNE RÉVOLTE

Chawki Salhi, Alger, le 22 janvier 2011.

Le prétexte de la hausse subite des prix des produits alimentaires de base, aux premiers jours de janvier, a provoqué une semaine d’émeutes à travers toute l’Algérie. C’est un événement important qui desserre l’étreinte du régime autoritaire de Bouteflika et augure de changements politiques. L’identification avec la Tunisie a aussi été un facteur déclenchant de la révolte algérienne. D’ailleurs cela continue. Outre plusieurs immolations par le feu, la rue algérienne continue de braquer son regard sur la révolution tunisienne.

La tradition émeutière en Algérie a trente ans. Elle exprime la continuation d’un ordre autoritaire qui démantèle systématiquement toute tentative de construction des représentations syndicales et politiques de la société.

Les acquis de l’ouverture politique imposée par le mouvement généralisé d’octobre 1988, sont en cours de démantèlement, le régime profitant du désarroi et de la lassitude populaire après dix ans de guerre civile.

Le pluralisme politique et syndical est réduit à la portion congrue : numerus clausus des partis et empêchement des activités qui permettent de se construire dans la société. La presse est intimidée. Les expressions sociales, grèves et protestations de quartier sont réprimées. Les associations les plus modestes sont privées d’agrément et empêchées d’être actives.

Pas besoin d’objectif révolutionnaire ou de programme radical, en l’absence de voies pacifiques pour l’expression, la moindre revendication utilise la violence pour se faire entendre. Et la nécessité d’un renversement violent de l’ordre des choses est omniprésente malgré la dépolitisation.

Renouveau des luttes

Les émeutes du 5 janvier 2011 apparaissent comme le sommet d’un regain de ces révoltes locales qui se développent depuis 2007 principalement autour des questions du relogement et du démantèlement des marchés informels.

La propagande officielle se targue de centaines de milliers de logements sociaux distribués aux mal-logés. Il en faudrait plusieurs millions pour mettre fin à l’entassement actuel.

La chasse aux petits vendeurs informels est indécente quand les grosses fortunes nationales et les multinationales bénéficient d’avantages exorbitants. Cette traque des vendeurs informels est vaine car le chômage massif des jeunes, et notamment des diplômés, ne laisse d’autre issue que le petit business.

Mais ces révoltes de la jeunesse précarisée coïncident, aussi, avec un renouveau des luttes dans les bastions ouvriers, Sidérurgie Annaba, Usine de camions d’Alger, électronique de Bel Abbes, cheminots, port qui ont mené des batailles spectaculaires ces deux dernières années.

C’est le retour au développement des capacités productives nationales, dans le cadre du tournant protectionniste du pouvoir, qui crée les conditions objectives pour ce regain de combativité de secteurs laminés par les plans du FMI et la privatisation.

Depuis plus d’un an, précisément depuis les émeutes des habitants des barres de Diar Eschems, à quelques centaines de mètres du siège de la présidence à Alger, le pouvoir avait décidé de baisser de plusieurs crans la répression. La brutalité policière suffit à contenir la fureur populaire et des concessions suivent chaque mouvement. Il faut dire qu’au même moment, une grève générale des cheminots menaçait de paralyser le pays.

Dans un contexte de grogne généralisée, le pouvoir redoutait une grande explosion nationale. Les masses populaires espéraient ce grand soir. Mais les événements de janvier 2011 qui finissent dans les décombres des incendies déçoivent cette attente. Le gouvernement, par la voix de son ministre de l’Intérieur, trahit le dessein de surfer sur cette déception et sur les réflexes d’auto-
défense contre les pillards pour en finir avec les émeutes et faire cesser une protestation sociale inépuisable.

Et voilà que la révolution tunisienne chasse Ben Ali, et réhabilite la révolte des humbles.

Aussitôt, des grèves sont programmées, les protestations locales se réactivent.

Réveil de la conscience sociale

Si les émeutes algériennes laissent un goût d’inachevé et des sentiments mêlés, le retour de la question sociale au premier plan des préoccupations apparaît comme un acquis.

Le discours populaire n’est plus fait de ces récriminations contre des groupes occultes du pouvoir, des militaires omnipotents, des clans régionaux qui pillent l’argent public.

On a parlé de salariés et des industriels de l’agroalimentaire, on a parlé de chômeurs et de grossistes distributeurs aux pratiques mafieuses.

Ce réveil de la conscience sociale est rudimentaire, il n’a pas de drapeau ou de représentation. Il entame une rupture avec cette résignation générale sur fond de défaitisme national.

Ce ne sont certainement pas les intégristes qui représentent cette jeunesse qui échappe à la religiosité massive de la décennie 2000. Les islamistes qui tiennent le commerce de gros sont plutôt discrets. Mais il n’y a pas non plus d’ancrage à gauche. Le Parti des travailleurs (PT) de Louisa Hannoun dénonce avec l’UGTA les luttes et réaffirme sa loyauté servile au président Bouteflika.

La vitrine tunisienne du libéralisme triomphant vole en éclats sous les coups de boutoir des masses populaires. Il y avait donc des pauvres dans ce paradis pour touristes, si bien organisé, si bien… policé. Et comme ils nous ressemblent ! Ce Bouazizi qui vend des légumes avec son diplôme universitaire, il fait penser aux émeutiers de Daksi Constantine, de Gdyel Oran ou de Bachdjarah en décembre 2010. Son geste désespéré rappelle nos harragas (1) qui risquent leur vie pour fuir vers un monde réputé meilleur. Plus personne ne se souvient avoir chanté les louanges du succès tunisien.

C’est l’hégémonie écrasante de l’idéologie libérale qui en prend un coup. Mais comme c’est fragile.

Direction politique

L’autre enjeu de cette situation nouvelle est celle de la direction politique de la protestation populaire.

En arrière-plan de la révolte des jeunes précarisés, il y a cette guerre qui dure depuis plusieurs années entre les ultra
libéraux et les bureaucrates protectionnistes.

Le tournant patriotique annoncé depuis 2006 est d’abord basé sur les effets sociaux désastreux d’une ouverture débridée qui démantèle le tissu productif, étatique ou privé, transformant le pays en économie d’importation.

Il se concrétise au second semestre 2008, avec l’effondrement des cours du baril, lorsqu’il apparaît que les importations dépassent les revenus pétroliers.

Ces mesures anti-importations, contradictoires et hésitantes sont censées décourager les importations de marchandises et les transferts massifs des bénéfices des investisseurs étrangers.

Cette inflexion patriotique dans le cours libéral de Bouteflika lui vaut alors des vexations diplomatiques de la communauté internationale des brigands capitalistes malgré les contrats géants qu’il continue de distribuer (plan quinquennal de 150 milliards de dollars). Mais ces mesures bureaucratiques censées favoriser les producteurs nationaux provoquent une levée de boucliers de tous les secteurs de la bourgeoisie algérienne, y compris la bourgeoisie industrielle qui trahit là son implication dans les importations massives.

Dans cette situation, il s’agit bien d’assurer l’indépendance du mouvement ouvrier et populaire.

Nos luttes pour des emplois et des salaires décents, pour des logements et des transports pour tous, pour une santé et un enseignement de qualité ne doivent pas être instrumentalisées par les petits partis libéraux démocratiques qui convergent avec l’impérialisme pour exiger le retour à la norme capitaliste libérale, pour développer la médecine et l’école payantes sous prétexte d’efficacité, pour contester les logements sociaux, « véritable prime à l’émeute » en préférant la régulation du marché.

Nous continuerons de converger sur des questions démocratiques mais nous ne pouvons décemment travailler à la victoire de ceux qui font de la surenchère libérale.

Les souffrances de la jeunesse tunisienne et algérienne méritent qu’on ne s’en tienne pas aux libertés formelles, ignorant leurs aspirations sociales.

Chawki Salhi, Alger, le 22 janvier 2011.

[mis en ligne sur le site du NPA le 23 février 2011

Publié dans: Revue Tout est à nous! le 18 (février 2011)
->http://www.npa2009.org/content/alg%C3%A9rie-les-le%C3%A7ons-d%E2%80%99une-r%C3%A9volte]

(1). Migrants clandestins qui prennent la mer sur des embarcations de fortune pour rejoindre l’Espagne, la Sicile…

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LE RÔLE DES ÉTATS-UNIS DANS LES RÉVOLTES DE LA RUE ARABE:

LE CAS DE L’ÉGYPTE

écrit par Ahmed Bensaada

Mercredi, 23 Février 2011

Il n’y a rien de plus émouvant que de voir un peuple recouvrer sa liberté après avoir subi le joug du despotisme et retrouver sa fierté après des années d’humiliation. Les marées humaines défilant dans les rues, occupant des places, déployant des slogans cinglants et irrévérencieux, maniant une parole si longtemps confisquée, arborant une dignité outrageusement bafouée: la quintessence du bonheur divin.

Mais les lendemains de ces révoltes nous laissent quelque peu perplexes. Qu’ont-elles accompli à part l’étêtement des régimes en place?

Voyons voir. En Tunisie : un Ghannouchi qui reste en place malgré la vindicte populaire et des années passées à servir un système mafieux, un bloggeur qui décide de siéger comme ministre dans un gouvernement qui l’a personnellement maltraité et des milliers de jeunes harragas qui préfèrent fuir vers l’Occident au lieu de perpétuer la «révolution» au pays du jasmin.

Du côté du Nil, même scénario: un Tantaoui, pur produit du système, qui a dépassé l’âge de la retraite depuis belle lurette, et qui, sans en référer au peuple souverain, décide de maintenir ses relations avec Israël avant même de s’inquiéter du sort de ses propres concitoyens; un gouvernement légèrement modifié et dont les postes clés restent toujours aux mains des apparatchiks du système; des retouches cosmétiques de la constitution et une demande de gel des avoirs de la famille Moubarak [1] après d’incompréhensibles hésitations, bien longtemps après celle des anciens dignitaires du régime [2].

Est-ce cela une «révolution»? Est-il pensable que l’éléphant n’aurait accouché que d’une petite souris?

Les résultats mitigés de ces révoltes ne peuvent être compris qu’en examinant leur genèse.

La plupart des spécialistes «cathodiques» ou officiant dans les médias majeurs se sont entendus sur la nature spontanée de ces mouvements. Grosso modo, le peuple peut être considéré comme un genre de cocotte-minute susceptible d’exploser sous l’effet d’une pression sociale et politique trop grande. Cette explosion produit une réaction en chaîne dans les pays avoisinants, de culture ou d’histoire similaires.

Il suffit donc d’attendre sagement, de préparer les caméras et les micros afin de couvrir, en temps et lieux, les évènements que remueront les rues arabes.

Il s’agit là d’une analyse naïve et primaire qu’il est difficile d’accepter de la part de personnes savantes, titulaires de chaires, responsables de revues, qui ont passé leurs vies à scruter les moindres soubresauts de cette région du monde.

Un peu comme les illustres économistes de notre temps qui n’ont pas pu prévoir l’immense crise économique que le monde a récemment connue.

Qu’aurait-on dit si un météorologue n’aurait pas prévu un gigantesque ouragan?

En fait, ce qui attire l’attention depuis le début des émeutes tunisiennes, c’est la trop grande préoccupation étasunienne concernant les nouvelles technologies. Les multiples interventions du président Obama et de sa secrétaire d’état pour défendre la liberté d’accès à Internet et leur insistance pour que les régimes en prise avec les manifestations populaires n’interrompent pas la navigation sur la toile avaient quelque chose de suspect.

Mme Clinton a même affirmé, le 15 février dernier, «qu’Internet est devenu l’espace public du XXI siècle» et que «les manifestations en Égypte et en Iran, alimentées par Facebook, Twitter et YouTube reflétaient la puissance des technologies de connexion en tant qu’accélérateurs du changement politique, social et économique» [3].

Elle a même annoncé le déblocage de 25 millions de dollars «pour soutenir des projets ou la création d’outils qui agissent en faveur de la liberté d’expression en ligne» , et l’ouverture de comptes Twitter en chinois, russe et hindi après ceux en persan et en arabe. D’autre part, les relations « complexes » entre le département d’État américain et Google ont été longuement discutées dans la presse. D’ailleurs, le fameux moteur de recherche à été qualifié «d’arme de la diplomatie américaine» [4].

Mais quelle est la relation entre le gouvernement américain et ces nouvelles technologies? Pourquoi des responsables de si haut niveau prennent-ils des décisions dans la gestion d’entreprises qui sont supposées être privées?

Cette situation n’est pas sans nous rappeler l’intervention américaine similaire lors des évènements qui ont suivi les élections en Iran [5]. Le ministère américain des Affaires étrangères avait alors demandé à Twitter de reporter une opération de maintenance qui aurait entraîné une interruption de service, ce qui aurait privé les opposants iraniens de moyen de communication [6].

Ces curieuses accointances entre le gouvernement américain et les réseaux sociaux dans des régions du monde aussi sensibles et pendant des évènements sociaux aussi délicats est très suspect, c’est le moins qu’on puisse dire.

Autre élément qui attire l’attention: la surmédiatisation de bloggeurs, leur association avec une révolution qualifiée de «facebookienne» et l’insistance sur leur non-appartenance à un mouvement politique quelconque. Ce sont donc des personnes jeunes et apolitiques qui utilisent les nouvelles technologies pour déstabiliser des régimes autocratiques ancrés dans le paysage politiques depuis des décennies.

Mais d’où viennent ces jeunes et comment peuvent-ils mobiliser autant de personnes sans avoir bénéficié d’une formation adéquate ni être relié à une organisation précise?

Chose est certaine: le modus opérandi de ces révoltes a toutes les caractéristiques des révolutions colorées qui ont secoué les pays de l’Est au début des années 2000.

Les révolutions colorées

Les révoltes qui ont bouleversé le paysage politique des pays de l’Est ou des ex-républiques soviétiques ont été qualifiées de «révolutions colorées».

La Serbie (2000), la Géorgie (2003), l’Ukraine (2004) et le Kirghizistan (2005) en sont quelques exemples.

Toutes ces révolutions, qui se sont soldées par des succès retentissants, sont basées sur la mobilisation de jeunes activistes locaux pro-occidentaux, étudiants fougueux, blogueurs engagés et insatisfaits du système.

De nombreux articles [7] et un remarquable documentaire de la reporter française Manon Loizeau [8] ont disséqué le mode opératoire de ces révoltes et montré que c’était les États-Unis qui en tiraient les ficelles.

Cliquez sur ce lien pour visionner le documentaire de Manon Loizeau

En fait, l’implication de l’USAID, du National Endowment for Democracy (NED), de l’International Republican Institute, du National Democratic Institute for International Affairs, de Freedom House, de l’Albert Einstein Institution et de l’Open Society Institute (OSI), a été clairement établie [9].

Ces organisations sont toutes américaines, financées par soit le budget américain, soit par des capitaux privés américains.

À titre d’exemple, la NED est financée par un budget voté par le Congrès et les fonds sont gérés par un Conseil d’administration où sont représentés le Parti républicain, le Parti démocrate, la Chambre de commerce des États-Unis et le syndicat AFL-CIO, alors que l’OSI fait partie de la Fondation Soros, du nom de son fondateur George Soros le milliardaire américain, illustre spéculateur financier.

Plusieurs mouvements ont été mis en place pour conduire les révoltes colorées. Parmi eux, OTPOR (Résistance en serbe) est celui qui a causé la chute du régime serbe de Slobodan Milosevic. Le logo d’OTPOR, un poing fermé, a été repris par tous les mouvements subséquents, ce qui suggère la forte collaboration entre eux.

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Logo original d’OTPOR

Dirigé par Drdja Popovic, OTPOR prône l’application de l’idéologie de résistance individuelle non violente théorisée par le philosophe et politologue américain Gene Sharp. Surnommé le «Machiavel de la non-violence», Gene Sharp n’est autre que le fondateur de l’Albert Einstein Institution.

Son ouvrage «From Dictatorship to Democracy» (De la dictature à la démocratie) a été à la base de toutes les révolutions colorées. Disponible en 25 langues différentes (dont bien sûr l’arabe), ce livre est consultable gratuitement sur Internet et sa dernière édition date de 2010. Sa première édition, destinée aux dissidents birmans de Thaïlande, a été publiée en 1993.

Le cas de l’Égypte

C’est le mouvement du 6 avril [10] qui a été le fer de lance de la protestation populaire égyptienne et le principal artisan de la chute de Hosni Moubarak. Constitué de jeunes de la classe moyenne, activistes, férus de technologies nouvelles, ce mouvement a, dès 2008, appuyé les revendications ouvrières.

La première collusion entre ce mouvement et le gouvernement américain a été divulguée par WikiLeaks. Il s’agit de 2 câbles (08CAIRO2371 et 10CAIRO99) datant respectivement de novembre 2008 et de janvier 2010 qui montrent clairement des relations étroites entre l’ambassade américaine du Caire et les activistes égyptiens [11, 12].

La bloggeuse Israa Abdel Fattah [13], cofondatrice du mouvement du 6 avril, est nominativement mentionnée dans le second document comme faisant partie d’un groupe d’activistes ayant participé à un programme de formation organisé à Washington par Freedom House. Le programme, nommé «New Generation», a été financé par le département d’état et USAID et avait pour but de former des «réformateurs politiques et sociaux».

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La bloggeuse égyptienne Israa Abdel Fattah

Ces stages de formation d’activistes égyptiens aux États-Unis susceptibles «de représenter une troisième voie, modérée et pacifique» ne sont pas rares.

Condoleeza Rice (mai 2008) et Hillary Clinton (mai 2009) en ont rencontré, sous les auspices de Freedom House. Ces dissidents ont même eu des entretiens avec de hauts responsables de l’administration américaine [14].

Les activistes d’OTPOR, fort de leur expérience dans la déstabilisation des régimes autoritaires, ont fondé un centre pour la formation de révolutionnaires en herbe.

Cette institution, le CANVAS (Center for Applied Non Violent Action and Strategies), se trouve dans la capitale serbe et son directeur exécutif n’est autre que Srdja Popovic [15].

Un des documents qui circulent dans la toile et qui illustre la formation dispensée par ce centre est «La lutte non-violente en 50 points» qui s’inspire largement des thèses de Gene Sharp. L’ouvrage y fait abondamment référence et le site de l’Albert Einstein Institution est cité comme un des meilleurs sur la question.

CANVAS est financé, entre autres, par Freedom House, Georges Soros en personne [16] et l’International Republican Institute qui compte dans son bureau nul autre que John McCain, le candidat à la présidentielle américaine de 2008 [17].

D’ailleurs, ce dernier est longuement interviewé dans le documentaire de Manon Loizeau et son implication dans les révolutions colorées y est clairement établie. En outre, les auteurs de l’ouvrage (dont Drdja Popovic) remercient longuement «leur ami» Robert Helvey pour les avoir «initié au potentiel étonnant de la lutte stratégique non-violente».

Robert Helvey est un ancien colonel de l’armée US, associé à l’Albert Einstein Institution via la CIA, spécialiste de l’action clandestine et doyen de l’École de formation des attachés militaires des ambassades américaines [18].

Le porte-parole du mouvement du 6 avril, Adel Mohamed, a affirmé, dans une entrevue accordée à la chaîne Al Jazira (diffusée le 9 février 2011), qu’il avait effectué un stage chez CANVAS durant l’été 2009, bien avant les émeutes de la place Tahrir [19].

Il se familiarisa avec les techniques d’organisation des foules et de comportement face à la violence policière. Par la suite, il forma à son tour des formateurs.

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Documentaire de la chaîne Al Jazira

Ahmed Maher, le cofondateur du mouvement du 6 avril, a déclaré à un journaliste du Los Angeles Times «qu’il admirait la révolution Orange d’Ukraine et les Serbes qui ont renversé Slobodan Milosevic» [20].

Une autre similarité entre la révolution serbe et la révolte égyptienne est l’adoption du logo d’OTPOR par le mouvement du 6 avril, comme l’ont fait les autres révolutions colorées [21].

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Jeunes égyptiens manifestant avec le logo « arabisé » d’OTPOR

D’autre part, le site web de ce mouvement contient une longue liste des comportements à adopter par les membres s’ils sont arrêtés par la police. Cette liste indicative extrêmement exhaustive n’est pas sans rappeler le guide de « La lutte non-violente en 50 points » de CANVAS [22].
Parmi les activistes égyptiens, certains ont été sous les projecteurs durant les derniers jours du régime Moubarak. Parmi eux, Wael Ghonim est une figure marquante qui a été emprisonné pendant 12 jours et, après avoir été libéré, a accordé un entretien à la chaîne égyptienne Dream 2 où il raconte sa captivité et s’effondre en larmes avant de quitter le plateau. Cette performance audiovisuelle a fait de ce cyberdissident un héros malgré lui.

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Interview de Wael Ghonim à la chaine Dream 2

Formé à l’université américaine du Caire (une coincidence?) Wael Ghonim est égyptien vivant à Dubaï, travaillant comme chef du marketing chez Google (une autre coïncidence?) pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord et mariée à une américaine (une dernière coïncidence?).

Wael est un activiste récent dans le mouvement du 6 avril, mais il a travaillé étroitement avec Ahmed Maher [23]. Ce qui attire l’attention dans son intervention télévisée, c’est sa déclaration lorsqu’on lui a montré les images des jeunes tués pendant les manifestations: «Je veux dire à toute mère, tout père qui ont perdu un fils, je m’excuse, ce n’est pas de notre faute, je le jure, ce n’est pas de notre faute, c’est de la faute de toute personne qui était au pouvoir et s’y est accrochée». Cette déclaration montre que le mouvement était très organisé et qu’aucun des membres n’avait prévu des pertes aussi grandes dans les rangs des manifestants, pour la plupart des jeunes qui ont été contactés via les réseaux sociaux.

Autre information surprenante: le PDG de Google s’est dit «très fier de ce que Wael Ghonim avait accompli», comme si faire la révolution faisait partie de la description des tâches d’un responsable du marketing d’une quelconque entreprise [24].

La révolte égyptienne, tout comme les révolutions colorées, a fait apparaitre des personnages «internationalement respectables» prêts à être la figure de proue d’un changement démocratique dans la vie politique du pays.

Le candidat de prédilection du mouvement du 6 avril est sans conteste Mohamed El Baradei, prix Nobel de la paix et ancien directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Le battage médiatique occidental autour de son «incontournable» candidature n’était finalement qu’un pétard mouillé.

Le peuple de la rue ne l’a pas plébiscité et il a vite disparu du paysage. Il est intéressant de noter qu’El Baradei était le candidat privilégié des États-Unis. En effet, l’ancien directeur de l’AIEA est membre de l’International Crisis Group et siège avec de nombreux membres dont Georges Soros (encore lui!) [25]. Le monde est vraiment petit, c’est le moins qu’on puisse dire.

Finalement, notons que la NED, surnommée «la nébuleuse de l’ingérence « démocratique»» par Thierry Meyssan a été créée par Ronald Reagan pour poursuivre les actions secrètes de la CIA [26].

Le rapport 2009 de cet organisme montre qu’il a attribué environ 1,5 millions de dollars à plus de 30 ONG égyptiennes «pour la croissance et le renforcement des institutions démocratiques à travers le monde» comme prétendu sur leur site [27].

L’utilisation des nouvelles technologies, si encensée par l’administration américaine, s’avère être un outil de choix pour la lutte non violente. Elle permet de contacter un nombre impressionnant de personnes en un temps record et d’échanger des données numériques et des informations de grande importance à l’intérieur et à l’extérieur du pays.

Les investissements massifs consentis par les institutions et le département d’état américains dans ce domaine se font dans le but d’améliorer les techniques de contournement de la censure étatique, de la géolocalisation des activistes lors de leur arrestation et l’envoi d’images et de vidéos pouvant montrer le visage «inhumain» des régimes autocratiques.

La récente annonce du réseau suédois Bambuser permettant de diffuser gratuitement, à partir d’un téléphone portable, des séquences vidéos en direct et leur stockage instantané en ligne en est un bon exemple [28].

Cependant, une fois dans la rue, les techniques de mobilisation de foules, de socialisation avec les représentants de l’ordre, de gestion logistique et de comportement en cas de violence ou d’utilisation d’armes de dispersion de foules nécessitent une formation adéquate et de longue haleine. Dans le cas de l’Égypte, cela a été rendu possible grâce à l’assimilation du savoir-faire de CANVAS et aux formations dispensées et financées par les différentes institutions américaines.

Il est clair que la révolte de la rue égyptienne n’est pas aussi spontanée que le prétendent les médias majeurs et leurs commentateurs. Cela n’enlève rien au remarquable engagement du peuple égyptien qui a suivi les leaders du mouvement du 6 avril et de sa noble abnégation pour se débarrasser d’un système corrompu afin d’accéder à une vie meilleure.

Mais espérons que l’historique révolte de la rue égyptienne et le lourd tribut qu’elle a payé pendant ces dernières semaines ne soient pas confisqués par des intérêts étrangers.

Le récent véto américain contre un projet de résolution condamnant la politique de colonisation israélienne est de mauvais augure. Le mouvement du 6 avril n’était-il pas sensible à la souffrance du peuple palestinien [29]?

À suivre…

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Références:

1. «L’Égypte demande le gel des avoirs de Moubarak et de sa famille à l’étranger», Le Monde, 21 février 2011,

http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/02/21/l-egypte-demande-le-gel-des-avoirs-de-moubarak-et-de-sa-famille-a-l-etranger_1483326_3218.html#ens_id=1470465&xtor=RSS-3208

2. «L’Égypte demande le gel d’avoirs d’anciens responsables du régime Moubarak», Le Monde, 15 février 2011,

http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/02/15/l-egypte-demande-le-gel-d-avoirs-d-anciens-responsables-du-regime-moubarak_1480192_3218.html

3. «Hillary Clinton milite pour la liberté sur Internet», Le Monde, 16 février 2011,

http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/02/16/hillary-clinton-milite-pour-la-liberte-sur-internet_1480855_651865.html

4. «Google, les États-Unis et l’Égypte», Le Monde, 3 février 2011,

http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/02/03/google-les-etats-unis-et-l-egypte_1474508_651865.html

5. Ahmed Bensaada, «Téhéran-Gaza : la différence médiatique», Géostratégie, 3 juillet 2009,

http://www.geostrategie.com/1724/teheran-gaza-la-difference-mediatique

6. «Iran: Washington intervient auprès de Twitter», Technaute, 18 juin 2009,

http://technaute.cyberpresse.ca/nouvelles/internet/200906/16/01-876173-iran-washington-intervient-aupres-de-twitter.php

7. Lire, par exemple, John Laughland, «La technique du coup d’État coloré», Réseau Voltaire, 4 janvier 2010,

http://www.voltairenet.org/article163449.html

8. Manon Loizeau, «Les États-Unis à la conquête de l’Est», 2005. Ce documentaire peut être visionné à l’adresse suivante :

http://mecanoblog.wordpress.com/2009/10/16/etats-unis-a-la-conquete-de-lest-video/

9. Lire, par exemple, Ian Traynor, «US campaign behind the turmoil in Kiev», The Guardian, 26 novembre 2004,

http://www.guardian.co.uk/world/2004/nov/26/ukraine.usa

10. Shabab 6 April Youth Movement,

http://shabab6april.wordpress.com/shabab-6-april-youth-movement-about-us-in-english/

11.WikiLeaks, câble 10CAIRO99,

http://213.251.145.96/cable/2010/01/10CAIRO99.html

12. WikiLeaks, câble 08CAIRO2371,

http://www.wikileaks.ch/cable/2008/11/08CAIRO2371.html

13. Fanoos Encyclopedia, « Israa Abdel Fattah »,

http://www.fanoos.com/society/israa_abdel_fattah.html

14. Michel Chossudovsky, Le mouvement de protestation en Égypte: Les « dictateurs » ne dictent pas, ils obéissent aux ordres», Mondialisation, 9 février 2011,

http://dissidentvoice.org/2011/02/the-junk-bond-%E2%80%9Cteflon-guy%E2%80%9D-behind-egypt%E2%80%99s-nonviolent-revolution/

15<; Canvasopedia,
http://www.canvasopedia.org/

16.Maidhc O. Cathail, «The Junk Bond « Teflon Guy » Behind Egypt’s Nonviolent Revolution», Dissident Voice, 16 février 2011,

http://dissidentvoice.org/2011/02/the-junk-bond-%E2%80%9Cteflon-guy%E2%80%9D-behind-egypt%E2%80%99s-nonviolent-revolution/

17. Tony Cartalucci, «CIA Coup-College: Recycled revolutionary “props”», Info War, 20 février 2011,

http://www.infowars.com/cia-coup-college-recycled-revolutionary-props/

18. Thierry Meyssan, «L’Albert Einstein Institution: la non violence version CIA»», Réseau Voltaire, 4 juin 2007,

http://www.voltairenet.org/article15870.html

19. Tina Rosenberg, «Revolution U », Foreign Policy, 18 février 2011,

http://www.foreignpolicy.com/articles/2011/02/16/revolution_u?page=0,7

20. Jeffrey Fleishman, «Young Egyptians mount unusual challenge to Mubarak», Los Angeles Times, 27 janvier 2011,

http://articles.latimes.com/2011/jan/27/world/la-fg-egypt-youth-20110128

21. Florian Bieber, «The Otpor Connection in Egypt », Balkan Insight, 31 janvier 2011,

http://www.balkaninsight.com/en/blog/the-otpor-connection-in-egypt

22. Shabab 6 avril Youth Movement, «Que faire si vous êtes arrêté»,

http://shabab6april.wordpress.com/shabab-6-april-youth-movement-about-us-in-english/v

23. David D. Kirkpatrick et David E. Sanger, «Egyptians and Tunisians Collaborated to Shake Arab History», The New York Times, 13 février 2011,

http://www.nytimes.com/2011/02/14/world/middleeast/14egypt-tunisia-protests.html

24. AFP, « Égypte: le PDG de Google « très fier » de ce qu’a accompli Wael Ghonim», 15 février 2011,

http://www.france24.com/fr/20110215-egypte-le-pdg-google-tres-fier-qua-accompli-wael-ghonim

25. International Crisis Group, «Crisis Group Announces New Board Members», 1er juillet 2010,

http://www.crisisgroup.org/en/publication-type/media-releases/2010/crisis-group-announces-new-board-members.aspx

26. Thierry Meyssan, «La nébuleuse de l’ingérence « démocratique »», Réseau Voltaire, 22 janvier 2004,

http://www.voltairenet.org/article12196.html

27. NED, « 2009 Annual report : Egypt »,

http://www.ned.org/publications/annual-reports/2009-annual-report/middle-east-and-north-africa/description-of-2009-gra-2

28. Yves Eudes, «Des vidéos vues en direct et stockées à l’abri», Le Monde, 21 février 2011,

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/02/21/des-videos-vues-en-direct-et-stockees-a-l-abri_1483057_3212.html

29. The International Solidarity Movement, «Mohamed Adel a enfin été libéré»»,

http://www.ism-france.org/temoignages/Mohamed-Adel-a-ENFIN-ete-libere-article-10484

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Cet article a été publié le 24 février 2011 dans les colonnes du journal « Le Quotidien d’Oran »

Pour voir l’original en ligne, cliquer ici (…)

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Les partisans du libéralisme sauvage marquent des points

ÉROSION DE LA NOTION DE PATRIOTISME EN ALGÉRIE

Par Mohamed Bouhamidi

le 24-02-2011

Dans notre représentation ordinaire du monde qui fonde notre culture politique et notre culture tout court, l’image et l’idée du patriotisme – ne serait-il qu’économique – viennent de prendre un coup sévère. Ses adversaires – partisans du libéralisme sauvage et débridé ou jeunesse exaspérée de son usage pervers et mortel pour ses rêves et ses libertés – trouveront dans le retrait des mesures correctives de 2009 dites de «patriotisme économique» une preuve supplémentaire de l’obsolescence et de l’archaïsme de cette notion.

Voilà la preuve par les émeutes du sucre et de l’huile qu’encadrer les importations, les sorties de devises et le commerce informel mène droit au désordre; en tout cas à un désordre dont on n’a pas démêlé tous les fils ni remonté à ses sources réelles.

Les mesures de ce mardi 22 février enfoncent le dernier clou dans le cercueil des mesures correctives de la loi de finances 2009.

Pourtant, ces mesures ne semblent pas satisfaire tout à fait les journaux qui ont mené campagne dès 2009 pour alerter sur les «dangers du socialisme et de l’étatisme», pour remettre à la disposition des concessionnaires automobiles les crédits à la consommation, pour annuler la procédure du crédit documentaire, et toutes les autres petites mesures conservatoires.

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Déjà en cet automne 2009, l’ingérence grossière des gouvernements étrangers, voire de simples maires, passait pour normale et les mêmes titres de presse les reprenaient triomphalement.

Un indice aveuglant que des forces internes s’appuyaient ouvertement sur des puissances étrangères et sollicitaient leur intervention dans un marché donnant-donnant à découvert.

Il était tout aussi étonnant de voir se dérouler ouvertement ces alliances à l’international de ces courants libéraux que de l’absence de réactions non seulement du pouvoir, mais aussi de toute la société dite civile.

Des années durant, le pouvoir avait brandi les satisfecit et les flatteries de l’étranger comme des certificats de bonne gouvernance, de compétence reconnue et du bon choix du libéralisme comme source et référent de toutes les décisions économiques. Le recours à ce genre de légitimation devait laisser des dégâts profonds sur la conscience nationale et sur la notion de patrie et le sentiment de patriotisme.

Cette démarche de la légitimité par le regard de l’étranger n’a pas que des sources politiques et économiques. Le vieux réflexe du colonisé n’est pas vraiment loin et nous avons appris aux dépens de l’Algérie et de ses couches populaires que le complexe du colonisé peut agir à longue distance chez beaucoup de cadres et plus chez les cadres que dans les milieux populaires et que le réflexe se nourrit inlassablement des situations de domination, voire d’hégémonie morale et mentale, qui reproduit à une échelle toujours plus élargie le néocolonialisme.

Cette reproduction du réflexe du colonisé est pour beaucoup dans les concessions irrationnelles de l’Etat algérien au cours de négociations avec le FMI, la Banque mondiale ou d’autres institutions.

Beaucoup de cadres peuvent raconter comment certains de leurs collègues étaient pris d’ivresse de se retrouver assis face aux célèbres – et si craints par ailleurs – cadres des institutions internationales tout comme certains d’entre nous qui y ont assisté peuvent raconter combien l’invitation d’une ambassade peut également transporter d’ivresse certains compatriotes!

La mentalité et la psychologie des négociateurs pèsent d’un poids aussi lourd que les facteurs objectifs en enjeu.

Dans cette configuration pathologique de la relation au dominant, accéder à la demande du dominant, c’est accéder à son statut, c’est vivre au plan fantasmatique une promotion idéologique rare: on passe de l’autre côté.

C’est une véritable extraction de la condition d’indigène. Penser comme l’autre, défendre ses idées, c’est devenir l’autre dans une sorte d’extase dont la libido n’est pas du tout absente.

Et comme toutes les transformations fantasmatiques, celle-ci est éphémère, aléatoire, il faut la répéter, revenir sur les circonstances de la jouissance mentale, négocier encore avec les institutions et, à défaut, substituer à ces négociations le rôle du maître d’école.

Nous ne pouvons plus que constater l’érosion du sentiment patriotique et de la fierté nationale qui nous dressaient instinctivement devant l’ingérence étrangère et nous retenaient tout aussi instinctivement de nous confier à l’étranger sur nos soucis et nos différends entre nationaux.

Au cours de cette longue période d’érosion, le point de vue étranger devenait un point de vue d’arbitre pour des protagonistes qui ne voyaient d’autres choix que ceux de ce même étranger pour toutes les questions brûlantes de notre vie nationale, de la création des industries abandonnée au bon vouloir des investissements étrangers jusqu’au système LMD adopté pour entrer dans une division internationale des profilages de formation au profit de l’étranger, en passant par l’association, destructrice, avec l’Union européenne et la volonté d’une inutile et dévastatrice entrée dans l’Organisation mondiale du commerce dans laquelle nous ne figurerons que comme acheteurs priés de détruire les barrières douanières, ce que nous venons de réaliser sans aucune contrepartie que celle de faire taire une contestation n’ayant de réalité que dans les médias locaux qui ont lancé la campagne contre la LFC et que, dans les médias étrangers, singulièrement France 24 dont tout le monde sait pour qui elle roule.

Pour beaucoup d’amis de l’Algérie, le zèle mis par notre pays débarrassé de tout endettement à appliquer les recettes du FMI et de la Banque mondiale sans même une contrainte relevait de l’incompréhensible.

Il est toujours difficile d’expliquer comment une mentalité peut devenir une idéologie et donc une croyance et que toutes les croyances sont actives et vous motivent pour passer à l’acte.

Passer à l’acte à partir d’une idéologie procure la profonde satisfaction – quasiment freudienne – d’une conformité de l’acte à la pensée, la satisfaction d’un plaisir rendu licite.

Tout le monde a la satisfaction du devoir accompli. Dans ce plaisir se mêlent des significations sociales et des significations individuelles.

Cette double vie – personnelle et sociale – des idéologies et des croyances s’est largement reposée sur la base solide de la «transition» à l’économie de marché et l’émergence d’une bourgeoisie compradore solidement appuyée aux réformes économiques achetées à vil prix (120 millions de dollars) par la Banque mondiale en 1994.

Les interventions du ministre de l’Intérieur, à propos des mesures de la LFC, en ont surpris plus d’un et ont clairement montré que les pertes du fisc ne préoccupaient pas tous les responsables de l’État.

La ligne de clivage entre plus d’État ou moins d’État ne sépare pas le pouvoir et l’opposition mais sépare de l’intérieur et le pouvoir et l’opposition en brouillant les vrais clivages mal assumés.

Nous pouvons retrouver une partie de ce secret dans l’analyse d’un politologue, qui souligne: «Sur sa lancée, les ouvertures démocratiques, introduites à la faveur du mouvement populaire d’Octobre 88, ont été graduellement mises sous le boisseau. Seule une façade artificielle a été maintenue à travers la parution de titres privés de la presse écrite et la présence de partis autorisés, pour la plupart liés plus qu’indépendants au pouvoir…». ( http://www.liberte-algerie.com )

Cette façade artificielle qui nous servait le vieux discours nationaliste cachait de profondes mutations économiques et sociales dont nous découvrons aujourd’hui le désastre: l’État qui a réussi la première nationalisation du pétrole dans l’histoire de cette ressource a été mis à genoux par un marchand d’huile et obligé de revenir – et au-delà – sur des mesures conservatoires qu’il avait prises en été 2009.

Le politologue ne fait pas que dans le juste constat.

Il se trompe en affirmant: «Cette démarche, inspirée pour l’essentiel par des considérations sécuritaires, ne pouvait conduire qu’à l’atrophie de la vie politique et sociale dans le pays. Une atrophie qui s’est accompagnée d’une lente mais inexorable asphyxie de l’économie nationale. Malgré la persistance de pratiques datant de l’époque de l’État-providence, avec d’importants transferts sociaux, la cohésion de la société algérienne n’a pas résisté puisqu’elle s’est divisée en deux blocs distincts. D’une part, la société réelle, l’immense majorité de la population – en particulier, les laissés-pour-compte de la prospérité – avec 60% de jeunes âgés de moins de 20 ans. D’autre part, la société virtuelle, c’est-à-dire la panoplie d’institutions nationales et d’appareils bureaucratiques avec les personnels dirigeants qui les peuplent, une minorité sociale, en tout état de cause.»

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L’atrophie économique a été produite par l’application des conseils du FMI et de la Banque mondiale, elle est la fille des réformes et du démantèlement industriel.

L’application de ces réformes a exigé une opacité accrue pour faire passer les anciens monopoles de l’État vers des entreprises privées nées des subsides de l’État, avec l’aide de l’État et dans une interpénétration inavouable entre pôles bureaucratiques et oligarchies familiales.

Mais le politologue a bien raison de souligner, par contre, la perversion de la structure de répartition de la richesse et de souligner la jeunesse et le degré d’instruction de la majorité de notre population.

Le pouvoir croit-il convaincre cette jeunesse avec un personnel politique qui a été réduit aux laudateurs par vocation, semi-incultes et qui ont largement dévalorisé et délégitimé cette notion de patriotisme?

Le pouvoir pouvait-il engager ces mesures de sauvegarde en faisant l’économie de la politique, c’est-à-dire de l’explication de leur sens auprès du plus grand nombre en vue d’entraîner leur adhésion?

La réponse est évidemment non.

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Pouvait-il le faire sans concéder au plus grand nombre le droit de discuter les orientations passées de l’Etat?

Évidemment non.

Aux jeunes, fatigués d’une valeur rabaissée au rang de slogan trompeur, de réinventer le patriotisme de notre époque.

Ils réussiront car il correspond exactement à leurs rêves de dignité et de liberté dans la justice sociale.

Aucune répression ne les retiendra.

Quand ils en auront besoin, d’un simple clic, ils créeront un parti, un groupe ou un front sur Facebook.

Est-ce si difficile à comprendre ?

M. B.

La Tribune on line, le 24 fevrier 2011

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Sur les pancartes: “FMI Dégage” “Mittal Steel Dégage”…

Pour accéder à l’article en ligne, cliquer sur le lien:

http://www.latribune-online.com/suplements/culturel/47911.html

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« DÉMOCRATIE ET PROGRÈS SOCIAL

DANS LES RÉVOLUTIONS DÉMOCRATIQUES ET SOCIALES

DU XXIe siècle »

Après « Leçons tunisiennes », Hocine Belalloufi a adressé une autre réflexion sur la question des révolutions démocratiques et sociales. Un troisième article est en préparation.

1. Deux voies, deux lignes, deux blocs dans la révolution démocratique et sociale

Il s’avère absolument nécessaire, lorsque l’on aborde la question de la révolution démocratique, de préciser d’où l’on parle :

. Il n’existe pas une seule vision, mais plusieurs de la démocratie et du progrès social.

Que l’on en ait conscience ou pas, qu’on le reconnaisse ou non, ces visions différentes voire opposées sont déterminées par notre statut social (situation de classe), mais aussi par nos choix politiques et idéologiques (position de classe) qui peut parfois s’avérer en rupture avec notre situation sociale et la transcender.

. Ces visions différentes voire opposées s’observent aujourd’hui à l’œil nu dans les révolutions démocratiques (Népal, Tunisie, Egypte…) ainsi qu’à l’occasion de crises politiques diverses: Côte d’Ivoire, Algérie, Grèce et autres pays d’Europe…

. Partout, ce qu’on pourrait appeler les partisans de la démocratie et du progrès social défendent des visions différentes et même, à un certain stade de développement de la crise ou des révolutions, des visions opposées.

On peu schématiquement discerner :

  • Un courant « modéré », « réaliste », « responsable »… qui prône en général une autolimitation du mouvement populaire, de ses revendications et de ses objectifs politiques. Ce courant dissocie souvent revendications démocratiques et revendications sociales et milite pour une sorte de compromis avec l’ordre ancien: tentative de maintien de la monarchie népalaise après le renversement du roi, établissement d’un «gouvernement d’union nationale» dont les principaux leviers restent aux mains des membres nommés par le dictateur déchu en Tunisie, préservation de la politique économique et des liens avec le marché mondial et les grandes puissances impérialistes,
  • Un courant « radical », qui se veut conséquent et qui prône en général l’extension et l’approfondissement du processus révolutionnaire afin d’en finir avec les stigmates de l’ordre ancien. Ce courant lie en un seul tout revendications sociales, revendications démocratiques et revendications nationales, c’est-à-dire, dans les pays dominés, anti-impérialistes.

. Pour donner une visibilité plus grande à chacun de ces deux courants et mieux cerner ce qui les distingue, on pourrait affirmer que le courant «modéré» est partisan d’une «révolution démocratique» qui s’incarne dans une ouverture politique contrôlée par des élites économiques et sociales qui partagent fondamentalement la même vision néolibérale de la politique économique, alors que le courant «radical» est partisan d’une «révolution démocratique et sociale» qui s’incarne dans un bouleversement politique radical au profit des classes exploitées et des couches dominées qui entendent rompre totalement avec la politique néolibérale et la soumission à l’impérialisme.

. Il apparaît ainsi clairement que les deux courants qui participent aux révolutions démocratiques sont l’expression des intérêts de classes différents voire opposés:

  • Bourgeoisie intérieure, partie de la bureaucratie d’Etat, catégories supérieures de la petite et moyenne bourgeoisie…
  • Prolétariat, couches inférieures de la petite-bourgeoise citadine et rurale menacée de paupérisation, voire de prolétarisation…

. Si ces deux courants effectuent une partie du chemin ensemble , ce qui s’avère positif et nécessaire avant l’éclatement de la révolution puis au cours de ses toutes premières phases pour renverser le dictateur, ils ne cessent à aucun moment de défendre des intérêts différents voire opposés aux niveaux économique et social, de développer une vision différente de la révolution et donc, inévitablement, de promouvoir des tactiques différentes en termes d’objectifs, de mots d’ordre, de revendications, d’alliances, de formes de lutte…

. Le courant «modéré» est généralement partisan de «transitions constitutionnelles», dans le cadre des textes et institutions léguées par la dictature et avec ses hommes politiques. Se contentant souvent du départ du dictateur, il est soutenu à fond par l’impérialisme, les classes dominantes et les régimes régionaux alliés.

Le courant « radical » , lui, ne se contente pas du départ du dictateur, mais veut le départ de toute la dictature. Il prône donc, lorsque les masses sont encore mobilisées et déterminées, l’instauration d’un gouvernement révolutionnaire provisoire formé des forces qui ont renversé la dictature et qui prépare l’élection d’une Assemblée constituante.

2. Quelle démarche pour le courant «radical» dans la révolution démocratique et sociale?

Les défis auxquels est confronté le courant «radical»:

. Comment poser correctement la question du rapport entre lutte pour la démocratie et lutte pour le socialisme, entre révolution démocratique et sociale et révolution socialiste?

Il existe deux écueils opposés, mais tout aussi funestes l’un que l’autre :

  • Le premier consiste à s’incliner religieusement devant la perspective socialiste pour mieux la transformer en icône inaccessible et lointaine, en utopie irréalisable, en tendance permanente et toujours présente, mais que l’on ne peut jamais atteindre ou alors, sur le très très long terme.

    Cette vision ne prend en considération que la nature démocratique de la révolution sans voir sa perspective socialiste.

    Elle tend ainsi à freiner le mouvement dans ses revendications et ses formes de lutte, n’assume pas toujours le combat pour la direction dans la révolution démocratique et présente une tendance au compromis avec le «courant modéré» petit-bourgeois.
  • Le second consiste à déduire les tâches politiques immédiates de la perspective socialiste de la révolution, à ignorer les diverses phases du processus révolutionnaire et à réduire le présent au futur.

    Cette attitude amène à vouloir accélérer de manière artificielle le processus révolutionnaire en considérant que puisque le socialisme constitue la seule façon de résoudre radicalement nos problèmes, il convient de se fixer pour tâche politique immédiate, partout et en toute circonstance, la révolution et l’instauration d’un pouvoir socialiste.

Ces deux écueils nous guettent en permanence et aucun de nous n’est à l’abri. On peut à tout moment se fracasser contre ces deux écueils.

Il n’existe aucune garantie formelle, aucun préalable, aucune recette préétablie, aucun vaccin.

C’est au cours de la lutte que l’on doit trouver la solution adéquate.

Comme dit l’autre : «On s’engage et on voit».

. Il convient toutefois de s’armer en essayant de tirer des leçons des révolutions passées et présentes:

  • Les révolutions socialistes commencent toujours sur le terrain démocratique, social ou national. Les révolutions socialistes n’éclatent jamais sous une forme achevée et pure, sous la forme idéale d’une contradiction directe et immédiate, comprise et assimilée par tous, entre capitalisme et socialisme, entre bourgeoisie et masses populaires.
  • À l’inverse, les prolétaires et les couches déshéritées ne se limitent pas, dans la révolution, à des revendications économiques, sociales et politiques assimilables par le système capitaliste et son État. Les masses outrepassent souvent, pour ne pas dire toujours, les limites du système capitaliste (propriété…) et de l’État bourgeois (rapports de domination…).
  • Il y a donc une continuité et une rupture, une unité et une lutte entre révolution démocratique et révolution socialiste.

    Il faut absolument être conscient de cette relation dialectique pour tenter de la percer, dans le flot impétueux des événements pas toujours faciles à déchiffrer, et de définir une tactique, c’est-à-dire une attitude, des cibles, des objectifs, des mots d’ordre et des alliances tenant compte du moment réel et de ses multiples possibles.
  • Il ne faut jamais oublier que ce sont les masses qui font les révolutions et non pas des minorités conscientes et agissantes. Celles-ci participent aux révolutions et y jouent un rôle souvent essentiel.

    Mais la révolution étant un basculement du rapport de forces, elle est déterminée par l’entrée en action de centaines de milliers, voire de millions ou de dizaines de millions d’hommes.

    C’est cette action des masses qui fait, en définitive, la différence. Quelle soit énergique, puissante, déterminée, et la victoire peut être remportée. Qu’elle soit molle, faible et hésitante et la défaite est assurée.
  • Si les masses font la révolution, elles la font par nécessité, parce que, à un moment donné, leur situation devient intenable et qu’il n’y a pas d’autre voie qu’un changement radical.

    La révolution est donc un moment de rupture opéré par des masses qui ne sont pas en train d’appliquer de façon consciente une stratégie et qui ne la font pas au nom d’une théorie, d’une doctrine.
  • C’est là que l’intervention consciente des partisans de la perspective socialiste s’avère décisive. Car une révolution populaire peut très bien déboucher, si elle ne progresse pas au cours de son évolution, sur un pouvoir réactionnaire (révolution iranienne par exemple).

    Une révolution populaire ne débouche pas automatiquement sur une société socialiste, ni même sur un régime démocratique.

    La question du pouvoir ne peut donc être éludée et doit au contraire être défendue par les partisans de la perspective socialiste.
  • C’est tenant compte de tous ces éléments que les «propositions alternatives radicales», doivent être avancées.

    La question des mots d’ordre à mettre en avant est déterminante.

    Ces mots d’ordre ne doivent pas être désincarnés (vision doctrinaire), mais être à même de mobiliser, c’est-à-dire d’être repris et appliqués, défendus sur le terrain par des centaines de milliers voire des millions de personnes.

    La justesse des propositions n’est donc pas au premier chef déterminée par leur radicalité abstraite mais par leur capacité concrète d’entraînement massif et immédiat en vue de balayer les obstacles concrets (un pouvoir, un parti, une milice…) sur la voie de la perspective socialiste.
  • Plus précisément, ce qui assure le succès d’une révolution, c’est tout autant la conscience, la détermination, la mobilisation et l’unité des couches les plus radicales du peuple que l’engagement, à leur côté et sous leur direction, des catégories moins radicales, intermédiaires.

    Le but des mots d’ordre n’est pas de faire dans l’incantation, mais de provoquer réellement, concrètement, dans l’action, un ralliement de ces couches intermédiaires, moyennes en particulier (paysans, petits artisans, cadres, ingénieurs…) aux côtés de la grande masse de ceux qui ne vivent que de leur salaire: les prolétaires.

C’est cette nécessité absolue de réaliser et de préserver cette alliance des forces populaires qui doit nous guider dans le choix, à chaque moment, dans chaque tournant, des mots d’ordre, des «propositions alternatives radicales».

Il n‘existe donc pas de «propositions alternatives radicales» sacrées, indépendantes du rôle qu’elles peuvent effectivement et non abstraitement jouer dans une conjoncture politique déterminée.

Il faut donc :

. Faire l’analyse concrète d’une situation concrète: camps en présence, leurs contours politiques et sociaux, leurs points forts et faibles, rapport de forces…

. Avancer des objectifs, des propositions qui permettent de construire et de consolider le rapport de forces au profit des masses et au détriment de leurs ennemis les plus dangereux dans chaque conjoncture.

Alger, le 1er février 2011

Hocine Belalloufi

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ENSEIGNEMENTS POUR LES LUTTES FUTURES

À propos des soulèvements populaires victorieux en Tunisie et en Egypte:

des acquis et des enseignements pour les luttes futures

dans ces pays, en Algérie et ailleurs!

À l’instar des signataires de mobadarate 24 février, nombreux sont ceux et celles qui réfléchissent et agissent pour construire une alternative réelle et durable au capitalisme dépendant régnant en Algérie.

Encore que pas assez nombreux au regard des exigences.

Faute de pouvoir dire ce qu’il faut faire, commençons par éviter ce qu’il ne faut pas faire!

En ce sens, on trouve bien plus qu’un noyau de vérité dans les propos prêtés (sur plusieurs sites Internet) au chanteur Amazigh Kateb après la manifestation d’Alger du 19 février dernier (et ce indépendamment de ce que sera son engagement ultérieur). Interpellant les responsables de la CNCD, notamment sur leur absence quand les jeunes se sont révoltés et sur l’absence de leurs revendications sociales, les jeunes auraient dit :

«ma traâddjôounach ellor»,

«essolta tekhdem aâlina, l’opposition tekhdem bina, ma elkkinach elli yekhdem mâana»

(Ne nous ramener pas en arrière, les autorités travaillent sur notre dos, l’opposition nous utilise et, nous, nous n’avons trouvé personne pour travailler avec nous).

Travaillons donc à faire émerger des travailleurs, des jeunes des quartiers populaires dans la direction des mouvements à construire ou en construction!

Apprenons donc de nos luttes (succès et échecs), des luttes et expériences de nos aînés!

Apprenons aussi des luttes victorieuses des peuples et aiguisons notre vigilance (idéologique) vis-à-vis des dangers à venir!

Pour paraphraser Gramsci : allions la lucidité et le pessimisme de l’analyse à l’optimisme et la volonté d’action!

1/ Les victoires remportées par les masses populaires en Tunisie et en Egypte sont historiques: elles ont ouvert des perspectives de travail révolutionnaire au sein des forces sociales de la révolution de ces deux pays, mais aussi au-delà, bien au-delà des seuls pays arabes (comme tentent de l’éluder les médias des pays capitalistes dominants).

Bien des aspects, aussi bien politiques que pratiques, à la base de ces succès, méritent d’être relevés et analysés. Ils nous montrent surtout qu’on est bien loin des schémas servis en deux temps par les medias dominants (notamment dans les pays capitalistes):

_* au début des évènements, pour démobiliser: mouvements spontanés contre les hausses de prix (que même le DG du FMI pourrait soutenir!) portant en eux le chaos;

  • puis, sans se déjuger, mouvements politiques (à l’exclusion des questions économiques et sociales, visant exclusivement des changements d’équipes gouvernementales; tout cela ayant été réalisé grâce à Internet-Twitter-Portbale (on a même eu droit à des interviews de responsables états-unien de Twitter!) qui auraient apporté une «conscience de classe électronique», pour suggérer que c’est terminé, pour farder les symboles que représentaient leurs commis, qu’il n’y pas à aller plus loin que les réformes, que tout cela ne nécessite pas plus d’organisation du peuple!
    _ Ils montrent aussi que de tels mouvements populaires, avec de tels résultats, ne peuvent relever d’une simple convocation des masses à des marches!

Observons de plus près :

  • Des représentants et acteurs éminents des politiques néocoloniales ont été littéralement chassés du pouvoir!

    C’est la délégitimation de la mondialisation capitaliste qui est ainsi actée, pour autant que, grâce au travail permanent des forces révolutionnaires, continue de progresser dans les consciences des larges couches populaires le lien entre la situation d’appauvrissement généralisé, de contrôle policier des masses et ces politiques de rapine, de bradage systématique des richesses humaines et naturelles, de soumission aux exigences politiques, économiques et militaires des officines de l’impérialisme et du sionisme (FMI, Banque Mondiale, OMC, UE, OTAN).

    C’est aussi un sérieux coup porté à l’argutie des dirigeants impérialistes présentant leur soutien aux dictatures comme la seule alternative contre l’intégrisme et le terrorisme islamiste (qui seraient incrustés dans les gênes de ces peuples): devant le monde comme témoin, des masses ont agit avec efficacité pour défendre à la fois le pain et la liberté!

    L’idée que des changements sont possibles, que d’autres alternatives peuvent être envisagées, qu’il n’y a pas de fatalité de l’échec, le recul du doute systématique sur les actions unies à la base entre forces progressistes, la confiance et la créativité dans l’action des masses, sont un acquis considérable, qui, consolidés, serviront aux luttes futures.

    L’idée même de l’alternative au capitalisme renaît, même si le chemin, parce que non entièrement tracé, reste à inventer et très long!
  • Des mots d’ordre rassembleurs et unificateurs, en phase avec les aspirations des larges couches populaires des villes et des campagnes, ont permis une mobilisation massive et durable.

    En voici quelques uns des mots d’ordre très évocateurs et qui ont eu un très large écho:

« Echchoughl istihhkkakk, lla li firkkate essourrakk » (le travail est un droit, non à la bande de voleurs),

« Ben Ali dégage »,

« RCD dégage »

« Moubarak erhhal »,

« Nous, notre adresse est Maydan ettahrir, et toi, Moubarak?» (sous entendu elle n’est plus en Egypte),

« Parlez-lui en hébreu, peut-être qu’il comprendra» (sous-entendu la complicité active de Moubarak avec les sionistes).

Les grèves générales dans le monde de la production et des services ont été un moment clé.

Le caractère massif et clairement orienté (du moins pour ce qui est des revendications politiques immédiates) a réduit l’impact des actions terroristes de déstabilisation et de diversion des pouvoirs en place, comme il a contribué à dissuader les tenants d’une répression armée ou d’une intervention impérialiste militaire étrangère.

Même si le prix payé reste élevé (en nombre de martyrs), ce n’est pas rien si l’on se remémore les fins tragiques des précédents soulèvements et interventions impérialistes dans ces pays ou ailleurs.

  • Les jeunes, les ouvriers, les paysans pauvres, ceux qui étaient jusque là sans voix, ont vaincu la peur, ont imposé leurs voix dans la rue, ont déjoué les premières manœuvres d’arrière-garde et tentatives de fausses solutions!

    Ils ont rappelé que les libertés réelles se conquièrent par les luttes, par les grèves, par l’occupation organisée de la rue, y compris en bravant le légal de l’ordre établi!

    Ces soulèvements populaires ont libérées de formidables énergies militantes lesquelles ont déployé avec inventivité de nouvelles formes d’action et de mobilisation (qui ne se limitaient pas seulement à l’utilisation d’Internet, de Twitter et du portable).

    L’occupation des lieux était très organisée tant au plan matériel (nourriture, secours de santé, et même prières, sans aide des services de l’Etat) qu’au plan politique (défense des lieux, protection des personnes dirigeant l’occupation des rues et places).

Nombre de militants politiques et de syndicalistes ont ainsi apporté leur expérience et contribué au succès des occupations.

2/ Deux éléments à prendre en considération pour évaluer les débouchés politiques de ces premiers acquis des soulèvements populaires: la composition des forces sociales et politiques en présence et les réponses qu’elles proposent à la question

«quoi après le départ des dictateurs?»

ou «comment articuler revendications sociales et revendications démocratiques?»:

Même si la stratification n’est pas aussi coagulée dans la réalité, autrement plus diverse et plus contradictoire, une approche matérialiste, dépassant l’évènementiel, permet de distinguer trois grandes bases sociales proposant trois réponses relativement distinctes:

  • La classe de la bourgeoisie compradore est dominante dans la société, non par le nombre, mais par sa force de frappe économique et financière. Présente dans le commerce extérieur et intérieur, la Bourse, elle est aux commandes de l’État: armée, police, justice, organes de gestion nationale et locale.

    Elle dispose de tous puissants instruments politiques: partis politiques (de droite, sociaux- démocrates, islamistes, ONG et autres associations) et … medias!

    Sa réponse à la question «quoi après le départ des dictateurs?» est la réponse du capital local et du capital international (son tuteur).

    Reconnaissant la nécessité de réformes, elle s’emploie à empêcher l’émergence de toute alternative au système capitaliste. Comme le recommandent leurs mentors, elle est prête à une nouvelle répartition du pouvoir entre représentants de sa propre classe pour une nouvelle phase du capitalisme (qui ne pourra être que dépendant et donc en incapacité de répondre aux besoins de la majorité de la population).

    Consciente de devoir perdre une partie du souk, et pour ne pas tout perdre, elle est prête à faire des concessions sur la constitution, la lutte contre la corruption, l’ouverture politique du parlement et des media, tout en avertissant de la nécessité du respect des accords internationaux et du recours aux officines impérialistes, sous réserve de continuité du système, c’est-à-dire de la politique libérale de privatisation des moyens de production et des richesses, de retour au calme, y compris en se préparant au recours de la force.
  • Les couches dites moyennes ont été très présentes dans ces soulèvements: fonctionnaires, enseignants, petits commerçants, employés des services, cadres d’entreprises (publiques et privées), chômeurs diplômés, ….

    C’est dans ces milieux que Facebook, Twitter et Internet ont été le plus utilisés pour la diffusion de l’information.

    Touchés par la crise capitaliste, leurs revendications rejoignent pour partie celles des couches populaires, et, pour partie, restent centrées sur les libertés individuelles et les aménagements dans le cadre du système.

    Elles sont présentes dans les syndicats et associations, souvent réformistes, avec souvent un décalage entre aspirations de la base et orientation du sommet.
  • Les couches populaires, dont la classe ouvrière, les paysans pauvres et les jeunes des quartiers populaires ont formé la masse des cortèges des manifestants et ont donné un contenu social aux soulèvements.

    Leurs mobilisations ne datent pas d’aujourd’hui, même si la crise capitaliste les a amplifiées. C’est la nature des exploités et des opprimés de lutter contre les politiques d’exploitation : politiques libérales de privatisations du secteur public entraînant chômage de masse et de longue durée, réduction des subventions des prix des produits de première nécessité, casse et contrôle des organisations ouvrières pour livrer les salariés et les richesses au capital étranger, sans protection sociale, privatisation des terres agricoles, ….
    La crise capitaliste à l’échelle mondiale a aggravé les tensions : hausse des prix des matières premières, chute des recettes touristiques, chute des recettes du commerce extérieur (en particulier le trafic du canal de Suez pour l’Egypte) et des rentrées de devises (voire retour de travailleurs immigrés des pays du Golfe pour l’Egypte), ….

Pour ces couches d’exploités, les questions démocratiques sont indissolublement liées aux questions sociales. Leurs réponses à la question «quoi après la chute des dictateurs?» sont des revendications de droits économiques, sociaux et politiques.

Outre le choix des hommes et des femmes qui dirigent, ce qui importe sont un pouvoir et un État qui déploient des mesures concrètes et durables en faveur des larges masses de la population.

Politiquement, ce sont ces couches qui forment la base sociale du courant démocratique révolutionnaire, intéressé par une transformation des révoltes en processus révolutionnaire, c’est-à-dire ouvrant la voie à la construction d’une alternative au capitalisme: épuration de l’Etat, assemblée constituante, liberté d’organisation pour les partis et syndicats de travailleurs, accès aux medias, résolution des problèmes de chômage, d’approvisionnement en biens de première nécessité, de relèvement des salaires, de nationalisation des entreprises et des terres privatisées, élections libres, ..…

Mais il y a une faiblesse fondamentale: ces couches ne disposent pas d’organisation politique expérimentée, de parti enraciné dans la classe ouvrière, ni de syndicats de classe et de masse les représentant fidèlement, pour porter dans la durée les tâches nationales démocratiques.

Un parti révolutionnaire, des syndicats de classe et de masse, sont des instruments indispensables pour transformer les révoltes en processus révolutionnaires.

Tout donc est en chantier, en construction en partant des expériences passées, mais aussi des débuts d’auto-organisation à la base qui ont émergé lors de ces soulèvements (comités de quartiers, de villes, …).

Dans ce sens, les révoltes et soulèvements auront été autant d’accumulation d’énergies militantes.

3/ Se préparer à la riposte des impérialistes

  • En sacrifiant des commis aussi importants que Moubarak et Ben Ali (et peut-être d’autres à venir), les dirigeants impérialistes sauvent l’essentiel : le système capitaliste et le système de domination d’une vaste région dont un levier essentiel doit passer à la maintenance!

    Toute combinaison de pouvoir, y compris avec les intégristes musulmans, est acceptable pourvu que se déploie leur modèle de capitalisme dépendant.

    La duplicité de leurs discours comm de leurs actions est la règle. Comme on dit chez nous: «Drabni ou abka, sbakni ou echka » ou encore «yakoul maâ eddhib ou yebki maâ essareh».
  • Les contre-attaques sont et seront intenses, notamment sur le plan idéologique.

    Comme il est dans la nature des exploités de lutter contre l’exploitation et de revendiquer un contenu concret à la démocratie, il est aussi dans la nature des capitalistes de défendre la démocratie du capital.

    Sous le capital, les libertés sont souvent réduites au droit de voter … pour les candidats du capital ! Une alternance des hommes et des femmes, mais toujours la même loi du profit !

    Regardons qui siège au Parlement: des défenseurs du capital ou du travail?

    Demandons aux citoyens français ce qu’il est advenu de leur vote NON, contre le Traité Constitutionnel Européen, de leur protestation nationale et massive contre le démantèlement des retraites.

    Demandons aux jeunes des quartiers populaires, aux travailleurs immigrés, aux sans papiers ce qu’est la liberté d’expression?

    Demandons donc aux habitants des ex pays socialistes ce qu’il en est de ces nouvelles libertés?

Des libertés politiques existent bien sous le capital: elles sont comme une sorte de sacrifice pour perpétuer l’exploitation capitaliste, c’est-à-dire contre l’interdiction des libertés économiques et sociales pour les producteurs de richesses.

Liberté d’entreprise, la liberté d’amplifier la concurrence entre travailleurs appelée liberté du travail, liberté du racisme, liberté de faire travailler les enfants, de travailler le dimanche, de prolonger la durée du travail, liberté d’acheter des journaux, de fabriquer une opinion publique au profit des dominants.

« La liberté de la presse, dans la société bourgeoise, consiste en la faculté réservée aux riches de pervertir, de berner et de duper systématiquement, incessamment, quotidiennement, en tirant leurs journaux à des millions d’exemplaires, la classe pauvre, les masses opprimées et exploitées.

«La liberté de la presse veut dire: les opinions de tous les citoyens, sans exception, peuvent être librement exprimées. Et qu’en est-il ? Les riches seuls et les grands partis détiennent en ce moment le monopole de la vérité (…). En quoi le «droit» de publier de fausses nouvelles vaut-il mieux que le droit de posséder des serfs?

Lénine, « Sur la liberté de la presse »,

dans Rabotchi Pout,

15-28 septembre 1917.

écrit par Kamel B

16 février 2011

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CHRONIQUE – MARCHE EN ALGÉRIE


Chronique du jour :

ICI MIEUX QUE LÀ-BAS

LA QUESTION SOCIALE

EST-ELLE AU CŒUR DES RÉVOLTES «ARABES»?

Par Arezki Metref

arezkimetref@free.fr

Dimanche 13 février : … Réveil de M.-Le-Peuple !… Retour… à la normale?

Chacun interprète comme il veut la marche d’hier. Que beaucoup pensent qu’il s’agit là d’un échec, grand bien leur fasse! Que ce ne soit pas une raison pour s’en laver les mains. Déjà, on entend «des…», qui se prennent pour le peuple himself, nous expliquer comment on réussit une marche populaire.

Il ne leur viendrait évidemment pas à l’idée de se dire que, puisque «moi-le-peuple» je sais, nous allons passer en tête! Non, ils sont là, aigris, moisis sur eux-mêmes, se gargarisant d’être la pureté, attendant bien planqués que cela se passe pour sortir le commentaire idoine.

À ces attentistes vermoulus, nous répondrons, non pas: Taisez-vous! Mais: Cause toujours! Il y a lieu de savoir que chacun a son histoire, ses luttes, ses combats, qui sont au moins aussi respectables que ceux des autres. Cela ne marchera pas entre nous tant que des corniauds embusqués dans l’héroïsme de leur anonymat se la ramèneront en Zorro du peuple, le seul à avoir tout compris. Si c’est le cas, le résultat est plutôt…

Parce qu’elle a rassemblé des gens différents, parce qu’elle a eu lieu en dépit de tous les obstacles, la marche d’hier est une victoire de l’humilité sur la haine qui anime certains secteurs de l’élite politique tellement gangrenée qu’elle voit passer les révolutions sans y toucher tout en croyant qu’elle en est la locomotive.

Lundi 14 février :… Et celui de Mme-La-Gauche…

Entendu Louisa Hanoune expliquer que la marche était un échec parce que le peuple ne suit pas le RCD, parti de «droite».

Le meilleur moyen d’éprouver si le peuple de Louisa Hanoune aurait suivi une marche initiée par un parti de «gauche» aurait été qu’elle y appelle. Dommage pour le sondage raté!

Mardi 15 février : Doctrine de la dictature sur la médiocrité

Vu à la télé une assemblée générale des journalistes égyptiens. Dans une salle du Caire pleine comme un œuf, à la tribune, un dirlo de journal public, qui n’a commencé à couvrir les événements de la place Tahrir que plusieurs jours après la chute de Moubarak, est en train de discourir euphoriquement sur la révolution lorsqu’il est interrompu par de vrais manifestants – des jeunes dont le visage porte la trace de la veille et du combat – qui le renvoient à sa servitude. Mais visiblement, le gus n’a pas dit son dernier mot. Dans quelque temps, on le rencontrera dans les pelotons d’avant-garde de la révolution.

L’épisode tragicomique précédent est doublement intéressant pour nous.

Un: on l’a vécu en 1988. Les plus serviles des journaleux et les plus flics, ceux qui dénonçaient les faits et gestes de leurs confrères, se sont improvisés des CV de démocrates minute avec lesquels certains continuent toujours de naviguer. Comme quoi, une révolution prise en route peut faire faire du chemin!

Deux: c’est ce qui va arriver de nouveau un de ces jours, visiblement pas trop trop éloigné. On verra celles et ceux qui nous ont fait bouffer du Bouteflika à toutes les sauces, les thuriféraires aplatis, retourner vite la veste et jouer la nouvelle partition qui risque d’être la même mélodie avec un autre chef d’orchestre.

Mais tâchons cette fois-ci de nous souvenir de qui nous a plongés dans l’épaisse médiocrité de l’information et de la culture officielles. On ne devrait pas avoir de mal si on considérait cette perspicacité de l’écrivain albanais Ismaël Kadaré, qui a bien connu le règne d’Enver Hodja, quand il dit: «Ceux qui étaient médiocres sous la dictature le demeurent après.»

Mercredi 16 février : Le retour des «anciens»…

Sid-Ahmed Ghozali empoigne sa lance. Dans El-Khabar: «Les responsables algériens s’enorgueillissent de cumuler des réserves de change avoisinant les 140 milliards de dollars, une fortune que l’on ne doit pas à la politique économique du pouvoir en place, mais à un don du ciel, le pétrole dont on ne peut même pas se targuer du mérite d’en avoir découvert les gisements. Même les projets mis en avant au palmarès des réalisations de ce pouvoir, telle l’autoroute Est-Ouest, ont atteint, en termes de coûts, des budgets jamais égalés de par le monde pour des édifices de la même taille. Hélas, un pouvoir atteint de cécité ne peut que s’enorgueillir de ses propres tares», Bingo! Fallait le répéter, oui!

Abdelhamid Mehri, pour sa part, toujours aussi fin, enfonce le clou dans une lettre à Bouteflika publiée par la presse: «Vous êtes aujourd’hui au sommet d’un régime politique dont la mise en place n’est pas de votre seule responsabilité. C’est un régime à l’édification duquel a participé quiconque a assumé une part de responsabilité publique depuis l’indépendance, que ce soit par son opinion, son travail ou son silence. Mais aujourd’hui, de par votre position, vous assumez, et avec vous tous ceux qui participent à la prise de décision, une grande responsabilité dans la prolongation de la vie de ce régime qui, depuis des années, est bien plus marqué par ses aspects négatifs que positifs. Il en est devenu, en outre, inapte à résoudre les épineux problèmes de notre pays qui sont multiples et complexes, et encore moins à le préparer efficacement aux défis de l’avenir qui sont encore plus ardus et plus graves. Le système de gouvernement installé à l’indépendance s’est fondé, à mon avis, sur une analyse erronée des exigences de la phase de la construction de l’Etat national.» Un peu tard mais bien vu!

La question est : qu’est-ce qu’on fait maintenant? Il tourne sur le web des tas de textes, de pétitions, de philippiques, de messages, d’analyses dont les auteurs disent qui leur amour (parfois, exclusif, le mien étant évidemment supérieur et meilleur que les autres) de l’Algérie, qui l’envie pressante de voir s’en aller le pouvoir et à sa tête qui tu sais, qui carrément la demande à tous les anciens, pouvoir et opposition, de s’en aller…

Cette dernière catégorie est intéressante dans la mesure où elle catalyse la suffisance des néophytes et leur volonté de se planter seuls plutôt que d’être accompagnés par les porteurs d’expériences. Tout mouvement provient d’une chaîne dialectique du même mouvement qui s’est déroulée dans des conditions spécifiques.

Et puis, soyons sérieux, qui a «toute» la légitimité pour empêcher d’autres de se lancer dans la protestation ? Il y a de l’encre et de la salive qui se perdent… Je préfère, et de loin, la lecture des anciens aux vociférations qui pensent que les décibels des injures augmentent la légitimité de la parole…

Ce n’est pas la première fois qu’on voit les choses en train de changer en Algérie. On connaît ce que sont les «marsiens» de toutes les époques.

Jeudi 17 : Le guide

Kadhafi sort de sa tanière. Il fallait s’attendre à ce que la Libye bouge elle aussi. Pas de raison. Et comme il fallait s’y attendre aussi, le vieux tyran de Tripoli utilise le seul langage qu’il connaisse: la répression.

Des morts, il y en a tous les jours. Les pandores tirent à balles réelles comme s’ils étaient au tir aux pigeons.

Ils ont un tel mépris de la vie de leurs concitoyens qu’ils les tueraient tous pour que le Guide ne soit pas contesté.

D’ailleurs, pour montrer que la population l’aimait, il a offert aux télés la caricature familière aux régimes arabes: le bain de foule parmi ses partisans! On connaît ça dans tous les pays arabes. Des charlots qui viennent se trémousser au milieu de figurants payés rubis sur l’ongle.

Si les despotes arabes qui ont sucé la moelle de leurs pays méritent de dégager fissa, le pire d’entre eux est le sultan de Libye! Indescriptible ce que racontent les gens de l’intérieur! Le peu d’air qu’il y a dans l’atmosphère, il faut se plier pour l’emmener dans ses poumons! Vivement qu’ils partent!

Vendredi 18 février : Le gentil petit Etat

Même le gentil petit Etat de Bahreïn connaît des remous. Même syndrome que dans les autres pays arabes. Bref, c’est la mouise baignant dans le despotisme.

Mais aussi, cette révolte du peuple de Bahreïn pose clairement la question sociale.

Comme dans les autres pays. Comme en Algérie. On insiste sur les libertés, le changement du système pour le rendre plus représentatif de toutes les couleurs politiques mais on passe à la trappe la question sociale qui demeurera, elle, cette sorte de volcan qui peut exploser à tout moment.

La démocratie, oui, mais pas sans la justice sociale et la lutte contre les inégalités!

A. M.


Sources: Le Soir d’Algérie du 20 février 2011

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«LA SOCIÉTÉ CIVILE ALGÉRIENNE EST EN COLÈRE MAIS ÉPUISÉE.

SES ÉLITES ONT ÉTÉ DÉCAPITÉES .»

Valérie Péan, Omar Bessaoud

4 février 2011

À l’heure où les médias français titrent sur la « contagion tunisienne » en Algérie, la Mission Agrobiosciences a choisi de recueillir le point de vue de Omar Bessaoud, enseignant-chercheur à l’Institut Agronomique Méditerranéen de Montpellier dans le domaine des «Sociétés rurales et ingénierie du développement».

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Né à Tlemcen, travaillant régulièrement en Algérie où il est d’ailleurs membre du Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culture, il en connaît parfaitement les rouages économiques, culturels et politiques.

À travers ses propos très libres, si l’on comprend qu’il y a certes un terreau commun à la Tunisie et à l’Algérie sur lequel lève la colère – corruption, autoritarisme, inégalités…-, on appréhende aussi le poids des différences. Où l’islamisme, la stratégie des Etats-Unis et les hydrocarbures dessinent un contexte singulier qui rend difficilement transposable telle quelle une révolution à la tunisienne.

Intervenu cet été à l’invitation de la Mission Agrobiosciences pour évoquer les fractures qui parcourent les pays du pourtour méditerranéen, Omar Bessaoud revient, ici, sur l’actualité tunisienne et algérienne. Un entretien dans le fil de celui que nous avons mené, le 17 janvier dernier, avec Mohamed Elloumi, pour éclairer les racines rurales de la révolution tunisienne (Pourquoi tout a commencé à Sidi Bouzid).

La Mission Agrobiosciences : À propos de la révolution tunisienne, on parle d’une « contagion » possible dans les autres pays du monde arabe, ce qui laisse entendre que les situations sont similaires et qu’Alger pourrait basculer à son tour. Quel est votre point de vue à ce propos?

Omar Bessaoud : Il y a effectivement des points qui rassemblent la Tunisie, l’Algérie et même l’Egypte. J’ai le sentiment qu’ils connaissent une sorte de maturation de tous les problèmes résultant des politiques d’ajustement structurel imposées à ces pays par le FMI et la Banque Mondiale dans les années 80 et 90. Ils ont alors subis des réformes de leur système au regard de leur endettement et ont adopté les mêmes politiques libérales pour passer à l’économie de marché. Les conséquences sociales ont été très lourdes, avec un désengagement de l’État, un accroissement de la pauvreté et des inégalités. La répartition des richesses a été alors beaucoup plus favorable aux détenteurs de capitaux qui ont bénéficié du transfert d’actifs du secteur public démantelé.

Même si les effets de la crise ont été plus limités en Algérie , il y a eu énormément de perte d’emplois, notamment dans l’industrie hors hydrocarbure. Celle-ci n’ occupe plus que 7% du PIB et 5% des emplois! Quant aux entreprises agroalimentaires, qui se sont redéployées après la dissolution des entreprises publiques, c’est le secteur le plus actif mais il reste très fragile, car basé sur la transformation de produits importés.

De fait, c’est le secteur agricole et rural qui a été le premier touché par cette restructuration d’inspiration libérale…

O.B : Oui, et ce en Algérie comme en Tunisie. Les inégalités territoriales se sont creusées, les réformes agraires ont été abandonnées au profit d’un modèle capitalistique tourné vers les exportations.

On a redonné le pouvoir aux grands propriétaires et les premières victimes ont été les petits paysans qui ont alimenté l’exode vers les villes: ce sont ceux-là qui sont demandeurs de logements, d’emplois et qui, faute de réponse, manifestent violemment.

Cela s’est encore aggravé à la fin des années 2000, avec la flambée du cours mondial des matières premières agricoles, suivie de la crise économique et financière.

Les approvisionnements alimentaires ont été très perturbés et le pouvoir d’achat d’une bonne partie de la population s’est érodé.

Dans un contexte de dérégulation, l’emprise des clans et des familles sur l’économie s’est renforcée et, tandis que la scolarisation et la démographie poursuivent leur dynamique, les débouchés disparaissent. La seule solution pour les jeunes consiste à partir ou à accepter des petits boulots.

« La société civile algérienne n’a que l’émeute pour s’exprimer »

D’ailleurs, les revendications de la société civile algérienne, notamment les jeunes, sont les mêmes qu’en Tunisie .

O.B : Ces pays connaissent un point de frustration énorme en raison de la corruption et d’un mode de gouvernance très centralisé et très autoritaire, en dépit des avancées qui ont eu lieu, en Algérie, après 1988 (1).

Dans ce pays, la colère est très forte et depuis longtemps. N’oublions pas que l’état d’urgence est déclaré depuis 1992, ce qui n’a pas empêché les révoltes sporadiques de se multiplier.

Car l’absence de médiation par un syndicat et un parti constitué fait que la société civile n’a que l’émeute pour s’exprimer.

Hormis celle de la volonté de changement, aucune revendication construite ne suit.

Nous n’avons pas l’équivalent de l’UGTT: La centrale syndicale algérienne est complètement inféodée au pouvoir.

Et le parti d’opposition, le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) ne pèse pas lourd. C’est plus un mouvement culturel qui a joué un rôle – aux côtés d’autres forces nationales – dans la prise en charge de la reconnaissance de l’identité berbère.

Les mouvements politiques constitués après 1988 ont apporté un soutien au virage libéral de l’Algérie et ont, de ce fait, été disqualifiés par les travailleurs et la jeunesse exclue de la vie économique: ces forces vives se sont retrouvées seules à réclamer un système économique autorisant un meilleur partage des richesses.

Il y a aujourd’hui divergence entre les dynamiques des luttes sociales et économiques et les dynamiques de lutte à caractère politique.

La société civile algérienne est en colère, mais épuisée, aussi, dites-vous.

O.B : Oui. Epuisée moralement, physiquement et économiquement. Il y a là une grande différence avec la Tunisie. En Algérie, la « décennie noire » (2) a fait des milliers de morts. Les élites anciennes, intellectuelles et entrepreneuriales ont été décapitées par cette guerre qui leur a été menée pendant dix ans par les islamistes. Contraintes également par le pouvoir, elles ont dû s’exiler.

D’autre part, la puissance de l’islamisme y est telle que l’armée et le pouvoir ont dû composer avec lui. Une alliance qui s’est traduite par ce qu’on a appelé la réconciliation nationale (3) menée par Bouteflika. Cela a à peu près fonctionné parce que progressivement, l’Algérie a toléré et même fait participer des fractions islamistes au pouvoir. Avec cette conséquence : par l’école, par les mosquées, par diverses associations, l’islamisme est devenu l’idéologie dominante, y compris parce qu’elle cristallise le rejet du pouvoir actuel, et la société est devenue conservatrice. Il règne un certain fatalisme, également : le paradis est ailleurs.

Alors, finalement, la stratégie de Bouteflika qui consiste à baisser le prix des denrées et à acheter des milliers de tonnes de blé, peut-elle suffire à « calmer les choses « ?

O.B : Oui et non. Dans un premier temps, cela a éteint le feu qui s’est allumé partout, début janvier, en raison des hausses du prix du sucre et de l’huile.

Sur ce problème du pouvoir d’achat et de l’accès à l’alimentation, le pouvoir a effectivement une marge de manœuvre.

Mais là où il n’en a pas, c’est sur l’atteinte à la dignité des personnes. Ce qu’on appelle chez nous la « Hogra ».

Il n’en pas, non plus, sur la montée des inégalités, l’émergence d’une bourgeoisie parasitaire et ostentatoire, la corruption massive…

Ce qui est le plus révoltant, c’est que le pays engrange 60 à 80 milliards de dollars par an de recettes liées aux hydrocarbures, et qu’il n’y a pas de croissance, pas de développement, pas d’emplois, pas de perspectives.

« C’est l’Egypte qui donnera le « la »

Dans cette région, du Maghreb au Proche-Orient, quels sont les pays qui risquent le plus de basculer?

O.B : L’Algérie est le pays où il y a le plus de luttes et où le champ politique est encore à peu près ouvert, avec une presse assez vivante. Elle peut aller plus loin qu’elle ne l’a fait en 1988. Elle a cette capacité à modifier l’ordre des choses, mais cela ne prendra pas les mêmes formes qu’en Tunisie. Ce sont des coups de boutoir, des luttes au sommet, des facteurs internationaux qui peuvent se combiner à un moment donné pour modifier l’état des choses.

Ainsi, les États-Unis ont une place importante: ces 20 dernières années, ils ont gagné une place économique en Algérie, et notamment dans le contrôle des hydrocarbures… Toute leur stratégie mondiale étant guidée par le contrôle des ressources énergétiques, ils ne verront pas du tout du même oeil une possible révolution algérienne! Même chose en Égypte, où il s’agit de l’équilibre géopolitique de la région moyen-orientale.

Qu’en est-il de la situation égyptienne, justement. Peut-elle évoluer vers un soulèvement?

O.B : Pour donner un avis personnel, j’ai toujours été attentif à l’évolution de la situation de ce pays, car quand l’Égypte bouge, le monde arabe change. Tant qu’elle ne bouge pas, je ne vois pas de bouleversement majeur dans la région.

C’est elle qui donnera le « la ».

C’est vrai historiquement, ça l’est du point de vue des idées aussi. C’est la première à avoir basculé avec Sadate. Et c’est elle qui a tracé la matrice des politiques libérales. La société civile a envie de changement mais l’armée, le contexte international, le contrôle des hydrocarbures et le rôle des islamistes n’ont rien à gagner d’un changement révolutionnaire à la tunisienne…

Ce qui est certain, en revanche, c’est que nous sommes entrés dans une nouvelle ère par rapport à la mondialisation, dont on ne peut plus être le chantre comme auparavant. Cela prendra peut-être du temps, mais j’ai la certitude que cela changera dans le court ou le moyen terme.

entretien mené le 24 janvier par Valérie Péan, Mission Agrobiosciences


(1) le 5 octobre 1988, dans un contexte de pénurie de produits de première nécessité, une série de manifestations se propage dans la plupart des grandes villes algériennes, visant notamment les locaux du FLN, les magasins d’Etat et les édifices publics. Il y aurait eu entre 169 à 500 morts parmi les manifestants, victimes des tirs de l’armée.Ces événements ont toutefois conduit le régime à instaurer le multipartisme.

(2) la décennie noire désigne la guerre qui a sévi en Algérie de 1992 à 2001 : attentats terroristes et massacres de la population civile par des groupes islamistes armés. Principale mouvance, le front Islamique du salut a été dissous en 2002.

(3)Le 29 septembre 2005, Abdelaziz Bouteflika proposait aux Algériens une « Charte pour la paix et la réconciliation nationale », censée parachever son projet politique entamé, en 1999, par « la loi sur la concorde civile ».


Source : http://mondilisation.ca

repris sur le site www.michelcollon.info

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LISTING «APOLITIQUE»

par K.Selim

Emploi, logement, cherté de la vie, mauvaise gestion des assemblées élues, absence de canaux de communications, bureaucratie, faiblesse des dispositifs de l’emploi, corruption, spéculation, absence de la classe politique sur la scène publique, affaiblissements des institutions de socialisation, hogra …

La liste, pas exhaustive, n’est pas le fait d’un opposant «négationniste» – une nouveauté qui vient d’être introduite dans le lexique local – mais celle du ministre algérien de l’intérieur, Daho Ould Kablia.

Les politologues algériens d’aujourd’hui se gratteront le crane en découvrant que selon le ministre ces problèmes ont un caractère «plus social et matériel que politique».

Même les plus modérés des analystes verraient dans le listing de M. Ould kablia, homme à-priori très informé, la preuve d’une crise systémique hautement politique.

Le fait que ces problèmes se posent dans un pays qui ne manque pas de ressources financières – et qui ne sait pas comment retenir ses meilleures ressources humaines – le démontre encore davantage.

Cette volonté de «dépolitiser» les problèmes est particulièrement étonnante après les évènements de Tunisie et ceux qui se déroulent actuellement en Égypte.

Le régime de Ben Ali qui passait pour un modèle du genre a craqué sous l’effet de problèmes qui pouvaient paraître comme plus «sociaux et matériels» que politiques.

Il faut d’ailleurs rappeler que la politique n’est pas une activité ludique mais une confrontation dynamique et pacifique entre intérêts divergents.

Elle est le moyen par lequel des sociétés organisées parviennent à une meilleure affectation des ressources de manière à servir l’intérêt général.

Elle implique donc un débat contradictoire, une opposition, des contre-pouvoirs et l’existence de mécanismes qui permettent de changer une situation injuste ou dépassée.

Aucune société n’est parfaite.

Mais les systèmes politiques ouverts où les citoyens ont le droit de s’organiser, de s’exprimer et ont la possibilité de sanctionner les gouvernants sont les plus performants et les plus stables.

Quand des problèmes aussi nombreux que ceux énumérés par M.Ould Kablia s’accumulent, cela signifie que les politiques publiques sont inefficaces.

Dans un pays ouvert, le gouvernement est responsable de la situation et il ne peut pas nier que les problèmes relèvent de la politique. Leur solution relève également de la politique.

En science politique, le système politique reçoit des demandes de son environnement (in put) et leur apporte des réponses (out put). On l’apprend en première année de science po. Basique.

David Easton qui a développé cette analyse systémique n’était pas un dangereux révolutionnaire marxiste. Il aurait néanmoins conclu devant une telle accumulation de problèmes «à caractère social et matériel» qu’il existe une crise politique systémique.

Il aurait logiquement estimé que cette longue liste de problèmes est le signe que les demandes (in put) n’arrivent pas au système politique faute de médiations sérieuses.

Ou alors qu’elles parviennent de manière biaisée et que le système politique leur apporte de mauvaises réponses.

K.Selim

Le Quotidien d’Oran, le 31 Janvier 2011

n° 4915, Éditorial, page 24

Pour accéder à l’article en ligne, cliquer ici: (…)

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LEÇONS TUNISIENNES

L’acte 1 de la révolution démocratique et sociale, en Tunisie, s’est achevé avec la chute du dictateur Ben Ali.

Cette révolution n’est pas terminée, mais elle est déjà pleine d’enseignements pour les peuples du monde arabe et d’Afrique.

En voici quelques uns à titre non exhaustif :

1. Aucune dictature, aucun régime autoritaire ne sont invincibles, ne sont éternels.

2. Le peuple seul est en mesure, par sa mobilisation et sa détermination, de renverser les régimes dictatoriaux et autoritaires.

3. Les révolutions (nationale, démocratique et sociale, socialiste) ne se décrètent pas au niveau des états-majors. Elles sont le produit de contradictions économiques, sociales, politiques et idéologiques qui cheminent à leurs propres rythmes et, souvent, de façon souterraine. Il suffit d’une étincelle pour les faire jaillir, pour « mettre le feu à la plaine ». Mais cela n’arrive que lorsque les contradictions sont arrivées à maturité. Il faut donc éviter deux attitudes contraires mais tout aussi fausses l’une que l’autre : la résignation qui affirme que «ça ne changera jamais» et l’impatience qui considère que «tout peut changer tout de suite».

4. La question sociale (revendications socioéconomiques des masses déshéritées) joue un rôle essentiel dans la survenue des révolutions. Elle en constitue le ressort principal. C’est ce que ne peuvent ni ne veulent saisir les démocrates libéraux qui ont une tendance inexorable à minimiser l’impact de la question sociale, voire à la rendre invisible. Ils tentent ainsi de marginaliser les revendications sociales afin d’orienter le mouvement vers un objectif « purement politique » qui est, en réalité, leur accession/association au pouvoir. Ils prônent alors la même politique économique antinationale et antisociale menée par les régimes dictatoriaux et autoritaires précédents.

Les démocrates libéraux ne chevauchent les révolutions démocratiques et sociales que pour exercer le pouvoir car les classes sociales dont ils sont les représentants politiques (bourgeoisie et couches supérieures de la petite-bourgeoisie) ont réglé leurs problèmes sociaux élémentaires. En revanche, les masses déshéritées (sous-prolétariat, prolétariat, couches inférieures et moyennes de la petite-bourgeoisie) font la révolution pour la liberté, mais aussi et en un seul et même mouvement, pour le pain.

5. Affirmer le caractère fondamental de la question sociale ne doit pas mener, à l’inverse, à occulter la dimension politique démocratique – et national dans les pays dominés par l’impérialisme – de la révolution. La révolution démocratique et sociale possède un substrat économique et social fondamental. En se soulevant et en avançant leurs revendications économiques et sociales, les masses contestent, non quelques mesures éparpillées ou une « mauvaise gouvernance », mais des politiques profitant à des minorités bourgeoises et à l’impérialisme, politiques menées contre la majorité. De ce fait leur révolte possède déjà un caractère politique démocratique. Cette dimension démocratique est renforcée par la dialectique contestation/répression qui amène le mouvement à se heurter au pouvoir, et non plus seulement à un ou plusieurs patrons. Souvent issue de révoltes sociales, les révolutions démocratiques contestent alors le régime politique en place, parce qu’il est responsable de la misère et qu’il les réprime.

6. Revendications sociales, nationales et démocratiques ne sont donc pas opposables dans la révolution démocratique. Elles sont au contraire indissolublement liées dans les pays dominés à régime dictatoriaux et autoritaires. C’est pourquoi il convient de qualifier ces révolutions de « révolutions démocratiques et sociales ».

Ne prendre en considération que les revendications sociales amène les classes populaires à ne pas contester le régime politique qui est responsable de leur situation de misère. Cela revient, soit à l’aider à se maintenir, soit à laisser la direction de la révolution aux forces démocrates bourgeoises et petites-bourgeoises libérales qui répondent, elles, à l’aspiration des classes populaires, y compris prolétariennes, à la liberté politique.

À l’inverse, ne pas prendre en considération les revendications nationales et sociales amène à l’échec de la révolution démocratique car cela démobilise les masses déshéritées qui en constituent le fer de lance. Une telle attitude ne peut que profiter au régime dictatorial ou autoritaire en place. Il n’y a qu’à observer, dans les pays à régime dictatorial, la marginalisation des oppositions démocrates libérales qui se désintéressent des problèmes sociaux. Si, par miracle ou par le fruit de circonstances exceptionnelles, la révolution démocratique arrive à renverser la dictature ou le régime autoritaire tout en ignorant les problèmes sociaux et nationaux, on arrive à la situation sud-africaine où la misère sociale s’étend et où la politique libérale ne peut être menée que de façon autoritaire, ce qui tend à annuler les libertés conquises.

7. Chaque classe possède donc sa propre vision et sa propre démarche dans la révolution démocratique. La bourgeoisie et la petite-bourgeoisie sont portées, à des degrés et selon des formes diverses, au compromis avec la dictature, de peur d’être débordées par les masses populaires, prolétariennes en particulier. Les représentants politiques de ces classes sont donc inconséquents et prêts à trahir la révolution démocratique pour quelques strapontins.

Le prolétariat constitue la classe la plus conséquente dans le combat pour la liberté politique qu’il mène jusqu’au renversement total du régime dictatorial et non seulement du chef de la dictature. C’est pourquoi il prône le remplacement du régime par un gouvernement révolutionnaire provisoire issu de la révolte populaire. Un gouvernement dont la tâche est de préparer des élections libres à une Assemblée constituante souveraine, seule chargée de déterminer l’architecture – c’est-à-dire la nature, le contenu et la forme – des futures institutions. Ce gouvernement révolutionnaire provisoire prend en même temps des mesures immédiates, sur les plans économique et social, en faveur des masses et en rupture avec le système de domination économique et politique impérialiste.

8. Ce caractère conséquent, qui consiste à faire converger puis fusionner les différents aspects (social, démocratique, anti-impérialiste) du combat et à mener ce dernier jusqu’au bout, n’est pas spontané. Ils nécessitent l’existence d’une force politique organisée disposant d’une stratégie : le parti du prolétariat. Les éléments les plus avancés sur le plan politique doivent donc, à côté de leur participation à la révolution et à la construction d’organisations de masse (syndicats, associations, comités…) participer à la construction de l’indispensable direction politique. Dans le cas contraire, si le prolétariat ne dispose pas de son propre parti de classe, il n’est pas prêt politiquement au jour « J ». La politique ayant horreur du vide, ce sont alors des forces politiques représentant d’autres classes sociales qui prennent la direction de la révolution démocratique et sociale en atrophiant totalement sa dimension sociale et anti-impérialiste. Cette absence politique du prolétariat peut même amener le pouvoir en place à faire échouer cette révolution en l’écrasant.

9. La révolution tunisienne, quelles que soient ses limites objectives et ses erreurs subjectives, inaugure une nouvelle ère dans le monde arabe et en Afrique: l’ère des révolutions démocratiques et sociales. Ces révolutions se font contre les dictatures et régimes autoritaires et contre les démocrates impérialistes qui soutiennent depuis toujours et continuent de soutenir partout ces dictatures. La révolution démocratique tunisienne met donc à l’ordre du jour le renversement de tous les régimes dictatoriaux et autoritaires.

Mais ce renversement adviendra au rythme propre des luttes politiques et sociales de chaque pays. Croire que les peuples de ces régions vont se soulever à quelques semaines ou quelques mois d’intervalle voire le même jour constitue une impardonnable erreur. Ce qu’il faut, c’est travailler à aiguiser les contradictions, à les faire mûrir et à construire les instruments subjectifs de la révolution afin d’accélérer le processus de libération des peuples de la région.

10. La révolution démocratique et sociale tunisienne confirme que dans leur lutte pour la démocratie, les peuples des pays dominés se heurtent, indirectement ou directement, à l’impérialisme (France, Etats-Unis…) qui soutient les dictatures en place. Ces dictatures sont les représentants politiques de bourgeoisies compradores soumises qui jouent le rôle de relais des groupes financiers et des multinationales des grandes puissances capitalistes mondiales. Ainsi, les révolutions démocratiques et sociales dans les pays dominés possèdent un caractère anti-impérialiste, surtout lorsqu’elles sont dirigées de façon conséquentes par des forces politiques qui lient en un seul tout revendications politiques, sociales et nationales (souveraineté économique).

Les révolutions démocratiques et sociales dans la région du Grand Moyen-Orient et en Afrique) participent donc, au même titre que les résistances nationales (Sahara Occidental, Palestine, Liban…), à la contestation de l’ordre impérialiste.

Aussi ces deux types de luttes doivent-ils être intégrés à une stratégie révolutionnaire internationale visant à remettre en cause le capitalisme mondial qui constitue la cause fondamentale de l’existence et de l’extension de la misère sociale et du maintien de l’oppression politique par des régimes dictatoriaux ou autoritaires soumis à l’impérialisme. Cette contestation de l’ordre capitaliste s’incarne dans le socialisme, c’est-à-dire dans la prise du pouvoir par le prolétariat et ses alliés paysans pauvres, masses déshéritées, et couches opprimées, suivie de l’ouverture d’un processus de socialisation des moyens de production et de distribution et de démantèlement des appareils de domination politique.

Alger, le 21 janvier 2011

Hocine Belalloufi *

* Hocine Belalloufi doit intervenir la semaine prochaine, dans le cadre du Forum social mondial de Dakar, à l’occasion de la table ronde consacrée à la « Démocratie et au progrès social »

Dans plusieurs interventions récentes Hocine Bellaloufi a particulièrement insisté sur le prévalence du social, et sur le lien indissoluble entre revendications sociales et revendications démocratiques…)

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27 Février 2011 matin – « LA CONFÉRENCE D’ORAN »: LA PALESTINE

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La Faculté des Sciences Sociales de l’Université d’Oran organise mensuellement et en partenariat avec le Centre d’Etudes Maghrébines (CEMA) et le Centre Culturel Français d’Oran(CCF)

un cycle de conférences intitulé « La Conférence d’Oran ».

Cette conférence reçoit des chercheurs en sciences sociales et humaines du Maghreb, du bassin méditerranéen et d’ailleurs afin qu’ils exposent les résultats de leurs recherches finalisées ou en cours.

Dans ce cadre « La Conférence d’Oran » a déjà reçu :

Mohamed Kerrou, Anthropologue, Université de Tunis (octobre 2009);

Ghita el-Khayet, Anthropologue, Universita di Chieti (janvier 2010);

Hassan Rachik, Anthropologue, Université de Casablanca (mars 2010);

Abdelmadjid Merdaci, Sociologue, Université de Constantine (avril 2010);

Fatma Oussedik, Sociologue, Université d’Alger (mai 2010);

Nadir Marouf, Anthropologue, Université de Picardie (septembre 2010);

Khaoula Taleb Ibrahimi, Socio-Linguiste, Université d’Alger (novembre 2010);

Omar Carlier, Historien, Université de Paris VII (janvier 2011).

La prochaine « Conférence d’Oran »

sera animée par Si Ahmed Souiah,

Géographe, Université de Cercy-Pontoise,

le 27 février 2011 à 9h30

à la Bibliothèque de la Faculté des Sciences sociales d’Oran

(sise à l’IGMO) et qui aura pour titre:

 » LA PALESTINE, UN TERRITOIRE FRAGMENTÉ ET OCCUPÉ

POUR UN PEUPLE EN QUETE D’UN ÉTAT »

Invitation et Affiche ci-dessous, ainsi que le programme de l’année 2011.


INVITATION

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La faculté des sciences sociales de l’université d’Oran

Le centre d’études maghrébines en Algérie

Et le centre culturel français d’Oran

Présentent dans le cadre de:

«LA CONFÉRENCE D’ORAN»

«LA PALESTINE, UN TERRITOIRE FRAGMENTÉ ET OCCUPÉ

POUR UN PEUPLE EN QUÊTE D’UN ÉTAT »

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SOUIAH SID AHMED

Professeur au département de géographie

à l’Université Cergy-Pontoise (PARIS )

à 9h30, le dimanche 27 Février 2011

Salle de Conférences de la bibliothèque

Faculté des sciences sociales – université d’Oran – IGMO


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PROGRAMME

LA CONFÉRENCE D’ORAN

ANNÉE 2011


Abdelkader Lakjaa

Doyen de la Faculté des Sciences sociales

Université d’Oran (Algérie)


Mars 2011

« Sources notariales et histoire sociale de la régence de Tunis »

Samir Bargaoui, Historien, Université de Tunis


Avril 2011

« Le football comme enjeu social. Un autre regard sur la grève des footballeurs français en Afrique du Sud ».

Stéphane Beaud, Sociologue, Ecole normale supérieure, CNRS, EHESS


Mai 2011

« Famille et individualisation ».

François de Singly, Sociologue, Faculté des Sciences sociales de la Sorbonne, Université de Paris


Juin 2011

« La quête des origines. Autour de la postérité saharienne des Almoravides ».

Abdelwedoud Ould Cheikh, Anthropologue, Université Paul Verlaine, Metz


5 -6 MARS 2011: COLLOQUE INTERNATIONAL – « ALGÉRIE 1954-1962 – LES ROBES NOIRES AU FRONT : ENTRE ENGAGEMENT ET «ART JUDICIAIRE» »

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L’Association

« Les Amis de Abdelhamid Benzine »

organise

avec le concours scientifique de

Malika El Korso

Université Alger 2, Lahisco

COLLOQUE INTERNATIONAL

Algérie 1954-1962

LES ROBES NOIRES AU FRONT :

ENTRE ENGAGEMENT ET «ART JUDICIAIRE»

5 & 6 mars 2011

Riadh el-Feth, Salle Ibn Zeydoun, Alger

Avec l’aimable soutien :

  • Ministère de la Culture,
  • Quotidiens
    • EL WATAN
    • EL KHABAR
    • LIBERTÉ
  • Imprimerie S.H.P. Bouchafa

Schéma de l’intervention de Me Albert SMADJA

1°) Antérieurement au 1er novembre 1954 :

La répression par le biais des Tribunaux des activités nationales algériennes est bien antérieure au déclenchement de la lutte armée à compter du 1er novembre 1954.

Sans remonter à mai 1945 et aux procédures judiciaires ayant donné lieu à de multiples condamnations à mort suivies d’exécutions, il faut savoir que les activités légales des partis politiques, dont le programme était la disparition du système colonial sous des formes diverses, notamment le M.T.L.D., l’U.D.M.A. et le Parti Communiste Algérien, ont donné lieu à des poursuites judiciaires devant les Tribunaux Correctionnels, fondées généralement sur l’article 80 du Code Pénal alors en vigueur, qualifié d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat, punissant toutes actions tendant à soustraire à l’autorité de la FRANCE tout ou partie du Territoire National.

Ce texte a été utilisé pour réprimer notamment les écrits, sous quelque forme que ce soit, y compris par voie de presse, remettant en cause le système colonial.

À cette époque déjà, les Militants Algériens étaient défendus devant les Tribunaux par des Avocats Français et les rares Avocats des Barreaux d’ALGÉRIE anti-colonialistes.

2°) Après le 1er novembre 1954 :

Un nombre important des auteurs des actes commis dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954 ont été rapidement arrêtés et emprisonnés.

Un développement d’actions, violentes ou non, ayant suivi ces premiers événements, les prisons notamment celle de Barberousse à ALGER se sont remplies des militants arrêtés.

À cette époque, l’ALGÉRIE ne comptait qu’une seule Cour d’Appel, à ALGER, dont la compétence s’étendait à l’ensemble des décisions rendues par la totalité des Tribunaux de première instance (une quinzaine).

Les quelques avocats du Barreau d’ALGER ont été rapidement submergés par les demandes d’assistance émanant des militants emprisonnés.

L’aide de quelques avocats du Barreau de PARIS qui se relayaient pour prendre part à la défense, pour importante qu’elle fût, n’était pas suffisante.

3°) La création du Collectif des Avocats :

L’objet initial de la création de ce Collectif répondait à un besoin pratique : mieux répartir la charge que représentaient, pour la douzaine d’avocats d’ALGER, les poursuites judiciaires quotidiennes, tant en ce qui concerne la défense proprement dite devant les Juridictions pénales que les visites régulières des militants emprisonnés, visites essentielles pour que ces derniers ne se sentent pas abandonnés.

Chaque avocat pouvait donc prendre en charge le même jour, et dans une même Juridiction, les personnes poursuivies.

Ce système a fonctionné tant bien que mal jusqu’au vote par le Parlement Français des pouvoirs spéciaux, en février et mars 1956.

Après le vote par l’Assemblée Nationale, le 12 mars 1956, des pleins pouvoirs confiés au Gouvernement de Guy MOLLET, les Juridictions de droit commun ont été dessaisies au profit des Tribunaux Militaires.

Ces derniers étaient déjà compétents pour certains faits qualifiés de «crimes», et statuaient dans la composition prévue par le Code de Justice Militaire pour juger des civils.

Après le vote des pleins pouvoirs, les Tribunaux Militaires étaient exclusivement composés de militaires, présidés par des Magistrats Civils volontaires qui recevaient le grade de «Colonel» ou de «Lieutenant-Colonel».

En outre jusque-là, la Cour de Cassation, siégeant à PARIS, cassait souvent les décisions de condamnation à mort.

Le Gouvernement français, affranchi des règles antérieures, créait alors un Tribunal Militaire de Cassation, siégeant à ALGER, qui rejetait systématiquement les pourvois, dans un délai souvent de quelques jours.

En outre, était instaurée la notion de «crime flagrant» permettant le renvoi immédiat, dans les jours suivant l’arrestation des auteurs de faits qualifiés de crimes, qui étaient alors jugés par les Tribunaux Militaires sans aucune instruction préalable, à la vue des seuls procès-verbaux de police et d’aveux obtenus, le plus souvent sous la torture.

C’est en application de ces textes contraires aux Droits de l’Homme que se situe la condamnation de Fernand IVETON.

4°)La contribution de « Français » à la lutte des Algériens pour l’Indépendance:

Fernand IVETON n’est pas le seul «Algérien français» ayant rejoint le F.L.N. De nombreux militants, notamment membres du Parti Communiste Algérien, avaient été intégrés aux Organisations F.L.N.

Nombreux ont été ceux qui ont été arrêtés et condamnés, quelques-uns à la peine de mort, bien que Fernand IVETON soit le seul condamné à mort non musulman qui ait été exécuté.

Il avait proposé au Groupe dont il faisait partie de placer une bombe avec un système d’explosion à retardement dans l’enceinte de l’Entreprise d’Electricité et Gaz d’ALGÉRIE, où il travaillait en qualité de Tourneur.

L’engin, réglé pour exploser à 19h30, à une heure largement postérieure au départ des salariés, qui devait de surcroît être déposé dans un local désaffecté, a été découvert alors que Fernand IVETON l’avait provisoirement rangé dans son casier pour le transporter dans l’après-midi dans ce local.

Alertés par un Contremaître qui avait vu IVETON pénétrer dans les ateliers en portant un sac de sports, les Services de police découvraient la bombe. C’était le 14 novembre 1956.

Torturé par les policiers, il retardait au maximum les aveux permettant aux membres de son Groupe d’éviter, provisoirement du moins, leur arrestation.

Emprisonné à la Prison de Barberousse le 19 novembre 1956, il était déféré en crime flagrant devant le Tribunal Militaire, convoqué pour le juger le samedi 24 novembre.

Je recevais du Bâtonnier de l’Ordre des Avocats d’ALGER le jeudi 22 novembre, en fin de matinée, une commission d’office pour assurer sa défense.

Conscient du sort que lui réserverait sans doute le Tribunal Militaire, en raison du climat de haine qui sévissait alors dans les milieux européens d’ALGÉRIE, j’intervenais auprès du Bâtonnier qui, dans la matinée du vendredi 23, commettait également un Avocat beaucoup plus ancien, expérimenté, Me Charles LAINE, avec qui, dans la journée de vendredi, veille de l’audience, je prenais connaissance du dossier et préparais la défense.

Au terme d’une journée de procès, Fernand IVETON était condamné à mort, sous les applaudissements du public qui avait pu pénétrer dans la salle d’audience.

Un pourvoi en cassation était formé.

Dès le lundi, Me NORDMAN, Avocat parisien très connu, arrivait à ALGER pour s’associer à la défense de Fernand IVETON.

Le pourvoi en cassation étant rejeté, les avocats étaient convoqués par le Président de la République de l’époque, Monsieur René COTY, qui nous recevait le 5 février 1957.

L’attitude de Monsieur COTY ne nous avait guère laissé d’espoir.

Le dimanche 10 février, en fin de journée, le Bâtonnier PERRIN me téléphonait en m’indiquant que l’exécution interviendrait le lendemain 11 février.

Il ajoutait que deux autres condamnés à mort devant également être exécutés ce jour-là, il me commettait d’office pour les assister, en l’absence de leurs avocats qui n’avaient pu être joints.

Le 11 février 1957, les trois hommes étaient guillotinés à la Maison d’Arrêt de Barberousse.

J’étais moi-même arrêté 48 heures plus tard, le 13 février 1957, en même temps que deux autres avocats, et interné à LODI.

Une dizaine d’autres avocats étaient arrêtés et internés une quinzaine de jours plus tard.


EN L’HONNEUR DU GRAND 24 FEVRIER 1971, EVOCATIONS SYNDICALES

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La décision de nationalisation des hydrocarbures algériens date aujourd’hui de quarante ans.

Evènement considérable, accueilli avec enthousiasme à l’échelle de la Nation, parce qu’il donnait au peuple algérien son poumon économique, grâce auquel il a survécu aux épreuves, malgré les dérives importantes contre lesquelles le PAGS ainsi que d’autres secteurs patriotiques ont multiplié les critiques et les mises en garde.

Les trente dernières années ont vu des assauts furieux pour démanteler ce qui a été construit tant bien que mal en dix ans.

La plus grande conquête nationale depuis l’indépendance est encore debout mais les forces réactionnaires internationales et locales continuent par mille moyens de la menacer.

Seule l’option patriotique, démocratique et sociale, permettra de la consolider et de la développer en la débarrassant du fléau des entraves bureaucratiques et de la corruption.

Dans cette lutte vitale, les courants du syndicalisme autonome ont fait face avec courage et lucidité.

C’est à ces luttes que nous rendons hommage à travers des évocations consacrées aux engagements exemplaires de leaders syndicaux tels que Lakhdar KAIDI, dirigeant de l’UGSA (ex CGT), décédé en 2004 (deux articles écrits à cette époque par Sadek HADJERES et Mohand Salah REZINE).

Un autre article (n° 392) a été consacré à Boualem BOUROUIBA, ex-dirigeant syndical intègre et unitaire de l’UGTA, qui vient de nous quitter il y a quelques jours.


LAKHDAR KAIDI et L’AUTONOMIE SYNDICALE – Un besoin vital pour les travailleurs et l’intérêt national par Sadek HADJERES, juin 2004;


DE LA PRISE DE CONSCIENCE NATIONALE À CELLE DE CLASSE – à propos des Mémoires de Lakhdar Kaïdi témoignage par Mohamed-Salah REZINE, publié par Alger républicain, le 20 décembre 2005



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LAKHDAR KAIDI

et L’AUTONOMIE SYNDICALE

Un besoin vital pour les travailleurs et l’intérêt national

(par Sadek HADJERES, juin 2004)

Lakhdar Kaidi s’est éteint récemment à Alger, quartier Belouizdad, au milieu des siens. Il était jusqu’à 1957 secrétaire général de l’Union Générale des Syndicats Algériens (UGSA ex CGT d’Algérie). Il fut aussi jusqu’à 1965 membre du Bureau politique du Parti Communiste Algérien. Des articles et commentaires pertinents ont rappelé dans la presse ses luttes, ses sacrifices, la clarté de ses engagements. Je ne reviendrai pas en détail sur son itinéraire, cherchant surtout à en dégager la signification.

Le régime colonial avait durement réprimé Kaïdi pour avoir dirigé des batailles mémorables des travailleurs contre l’arbitraire et l’exploitation racistes. Il contribua avec succès à la jonction de l’action autonome du mouvement syndical avec le mouvement national ascendant. Ce n’est pas pour rien que Guy Mollet, chef de gouvernement élu par les Français pour faire la paix, puis retourné sous la pluie des tomates ultra-colonialistes, s’était écrié en sa direction, recevant une délégation de l’UGSA :  » mais j’ai en face de moi un fellagha ! « . Lakhdar payera cher sa fermeté patriotique et sa fidélité à la cause des travailleurs bien avant l’interdiction des syndicats l’année suivante: arrestation, tortures, emprisonnement et camps d‘internement.

Après l’indépendance, à son tour le système autoproclamé l’a persécuté et marginalisé. Le parti unique, vitrine et instrument du système, redoutait jusqu’à l’obsession les porteurs d’expérience enracinés dans le monde du travail. Après la Charte  » socialiste  » d’Alger de 1964 comme après la Charte nationale et non moins  » socialiste  » de 1976, les patrons du système, en contradiction avec leurs appels à  » l’unité  » (sous leur lourde tutelle) et avec les textes rédigés et adoptés sur leur commande, ont tout fait pour le décourager et l’éloigner du terrain syndical : manœuvres dilatoires, harcèlements, calomnies, article 120 etc. Lakhdar parvint néanmoins au cours de la décennie écoulée à mettre ses compétences et son dévouement au service de la Fédération nationale des retraités et de différents services sociaux. Il y a fait œuvre de pédagogie syndicale et démocratique, il insufflait aux travailleurs et retraités la confiance en leur propre action contre la remise en cause de leurs acquis, y compris ceux consacrés par la loi.

TRADITIONS DE LUTTE

La disparition de ce dirigeant syndical est survenue à un moment où les combats sociaux qu’il avait menés il y a quelques décennies gardent leur entière raison d’être. La question sociale, sans cesse niée et refoulée sous tous les prétextes, a survécu à toutes les tentatives de l’enterrer car c’est une question centrale incontournable,. Les traditions de lutte sociale continueront à fructifier dans des conditions nouvelles..

Lakhdar en était plus que jamais persuadé trois mois avant son décès, lorsque je l’ai joint au téléphone pour l’associer à l’hommage rendu à notre ami commun, le regretté El Hachemi Bounedjar, qui fut lui aussi d’un grand apport à l’animation et à l’éducation syndicale.

Sachant ses jours comptés, mais la pensée claire et cohérente, je sentais Lakhdar heureux de la combativité des dizaines de milliers d’enseignants du primaire et du secondaire, engagés dans une grève prolongée et difficile. Il était heureux de leur ténacité, de leur maturité grandissante face au refus officiel de reconnaître leur syndicat en dépit de la loi et de sa représentativité flagrante. Il me dit aussi combien l’avait ému la projection du film  » Un rêve algérien « . Ce film, disait-il, restitue aux nouvelles générations l’espoir et les valeurs saines des mineurs, dockers, ouvriers agricoles, cheminots, traminots, postiers et autres corporations, qui face aux oppresseurs coloniaux, donnaient un contenu social émancipateur au combat national. Ils invitaient par avance les générations futures à amplifier leur combat après l’indépendance pour les libertés, la justice, la citoyenneté.
Qu’y avait-il de plus significatif dans l’orientation que Kaidi s’était efforcé d’imprimer au mouvement syndical algérien ? Je voudrais en évoquer deux aspects, ceux justement qui ont été le mérite de la CGT algérienne puis de l’UGSA et qui pourtant ont alimenté les campagnes de désinformation envers l’action historique de ces organisations. Le premier c’est l’autonomie et la démocratie syndicales, le second c’est la primauté des intérêts communs et de la solidarité sociale entre exploités sur les appartenances culturelles et idéologiques des uns et des autres.

Ces deux piliers de tout vrai syndicat ne sont pas donnés au départ, ils ont été une construction et une conquête permanentes des intéressés tout au long de l’histoire du mouvement syndical algérien depuis ses origines lointaines. Le problème a resurgi avec force à partir de 1962, sous des formes correspondant aux conditions nouvelles.

LA VOCATION PREMIÈRE DU SYNDICAT

Dès les premiers mois de l’indépendance, qu’ont fait en effet les autorités du nouvel Etat algérien, du message et des sacrifices des pionniers de la CGT algérienne, de l’UGSA et de l’UGTA ? Le premier acte de ces autorités, exécuté par leurs  » caporaux » et autres agents serviles ou inconscients, fut un coup de force, un holdup en bonne et due forme. Lakhdar Kaïdi, comme la majorité de ses concitoyens, en est resté pour toujours ulcéré et révolté.
Les représentants des travailleurs tenant le premier congrès de l’UGTA au début de 1963, virent la salle brutalement envahie par les hommes de main embauchés par des leaders qui étaient eux-mêmes en concurrence fébrile pour la main mise sur les appareils de l’Etat et du FLN, dont les militaires leur laissaient provisoirement la gérance. Benbella et Khider, secondés par des comparses qui les années suivantes trahiront tour à tour leurs « zaims », consacraient l’essentiel de leurs énergies à se déchirer pour le pouvoir avec un dédain sinon un mépris certain des couches laborieuses et de la population. Savaient-ils au moins ce qu’est un syndicat, ce qu’il représente d’espoir pour ses adhérents, l’instrument qui contribuerait à résoudre leurs problèmes sans être obligés de passer par la soumission aux contraintes du clientélisme et du népotisme ? Le syndicat n’était aux yeux des nouveaux chefs qu’un des marchepieds de leur ascension sur le dos du peuple.

Finie alors chez les travailleurs et leurs cadres désintéressés, dès janvier 63, l’illusion que l’indépendance permettrait à la Centrale syndicale de retrouver facilement sa raison d’être, de jouer le rôle normal que ses fondateurs les plus honnêtes, en février 1956, avaient cru bon de mettre en veilleuse pour les besoins de la guerre libératrice.
En tant que travailleurs chez qui se rejoignaient naturellement le sentiment national et une conscience de classe en formation, ils avaient, pendant les sept ans de sacrifices, cru à de vraies perspectives démocratiques et sociales. La Charte de la Soummam (1956) puis celle de Tripoli (1962) avaient fait miroiter ces horizons, en échange de leur renoncement provisoire et patriotique à la gestion autonome de leurs intérêts sociaux et de leurs propres affaires syndicales.

Les travailleurs attendaient donc le moment où l’indépendance leur rendrait la parole et leur bien, l’outil de classe et de citoyenneté au service de leurs intérêts propres et de l’édification du pays. A ces travailleurs, aux citoyens avides de goûter aux fruits de la liberté reconquise, les dirigeants du pays vont donner une réponse sans équivoque :  » L’organisation syndicale que vous aviez cru seulement prêter à la cause nationale pendant la guerre (ce pour quoi on vous avait couverts de félicitations) ne vous appartient pas. C’est Nous qui avons décidé sa création (entendez par là le FLN, mais celui ci était en fait dirigé en 1956 par des hommes qui ne sont plus ceux de 1962). C’est Nous les dirigeants FLN qui en 1956 avons cautionné la nouvelle Centrale devant le peuple, en accord avec ses premiers responsables désignés par nous et qui ont agi en votre nom par procuration. L’UGTA est et restera à tous les niveaux notre propriété, une affaire de  » famille révolutionnaire « , qui vous dictera ce qui est bon et ce qui est mauvais pour vous « .

L’adage populaire s’est ainsi inversé. Ceux qui connaissent le mieux leurs propres intérêts et leurs problèmes ne sont pas ceux qui sentent la braise sous leurs pieds, les salariés, les chômeurs et leurs familles, mais les parvenus confortablement assis sur le pouvoir et sur l’argent. Quant aux travailleurs, s’ils n’acceptent pas l’usurpation et cherchent à se réapproprier leur bien et leurs droits, c’est qu’ils sont de mauvais patriotes, des égoïstes, de vulgaires perturbateurs, des mouchaouichine manipulés. La devise officielle  » Par le peuple et pour le peuple  » a paru aux  » décideurs  » trop abstraite et dangereusement  » populiste « , il faut pour le  » ghachi  » la traduire en langage plus clair : « par la volonté du plus fort, pour la prospérité des nantis »

LA JUSTICE SOCIALE, PILIER DE LA COHÉSION NATIONALE

Depuis un demi-siècle, la résistance des couches laborieuses aux tentatives de domestication a connu des flux et des reflux. Au niveau syndical, elle s’est exprimée que ce soit dans le cadre de l’UGTA, ou au sein des organisations syndicales nouvelles auxquelles la Constitution et la loi reconnaissent depuis 1989 le droit à l’existence, ou encore de façon spontanée et informelle à la base, dans les entreprises et sur les lieux de travail. J’en ai évoqué quelques épisodes (cf six articles dans El Watan entre Février et avril 1997 : Grandeur et misère du syndicalisme algérien). Quand cette volonté des travailleurs a été contrecarrée et réprimée sans limites, cela ne pouvait inévitablement déboucher que sur des révoltes et des émeutes manipulables à souhait. Le scénario d’Octobre 88 en a donné un exemple significatif, autant par son déroulement que par ses suites à court, moyen et long terme. Ce ne sont pas les travailleurs et chômeurs, ce ne sont pas les syndicats dignes de ce nom qui sont responsables des graves fractures de la cohésion nationale et de la paix civile que connaît aujourd’hui le pays. Ce sont ceux qui, faute d’aller dans un esprit de justice sociale au devant des besoins de la nation en emplois, en logements, en équipements de santé et autres exigences élémentaires, ferment avec arrogance les espaces associatifs et de dialogue, ne laissant à la population que la rue, le djebel, la mosquée, l’assaut contre les lieux publics ressentis comme des citadelles du mépris et de la corruption.

Il n’est pas étonnant que faiblesse et dévoiement du syndicalisme soient le reflet et l’accompagnement des appétits féroces et sourds aux voix de la protestation. A l’ombre d’un faux socialisme, d’une fausse démocratisation et d’une vraie main basse sur les ressources et la vie politique et culturelle du pays, ont prospéré les pratiques que les cercles capitalistes les plus exploiteurs des nations économiquement développées n’assument plus aujourd’hui ouvertement. Nous avons droit aux formes de pillage, d’extorsion du profit et d’accumulation primitives et ultra-parasitaires typiques d’un capitalisme spéculatif et sous-développé, lui même greffé et articulé sur une globalisation financière mondiale qui exploite, nourrit et exacerbe les failles socio-économiques indigènes!

La répression du mouvement syndical par les courants bureaucratiques ou prédateurs des pouvoirs successifs après 1962, n’a pas porté bonheur à la cohésion nationale et aux efforts de l’Algérie pour sortir du sous- développement matériel, politique et culturel. Les entreprises d’étouffement continuent de s’appuyer sur l’exacerbation et le dévoiement des références  » identitaires  » religieuses ou linguistiques, des communautarismes claniques, tribaux ou clientélistes, des variantes chauvines du nationalisme et des idéologies anti-sociales diverses, parfois même opposées les unes aux autres et qui se disputent l’emprise sur les couches laborieuses et salariées.

Les promoteurs des intox massives savent bien que seuls les rassemblements selon des clivages d’intérêts socio-économiques commun clairement définis et reconnus, qui transcendent les différences culturelles, idéologiques ou régionales, ont la possibilité de déboucher sur des solutions constructives qui mettent fin aux privilèges et aux injustices.

BÂTIR EN TIRANT LES LEÇONS

Comment surmonter les fractures qui mènent à des impasses et à des explosions destructrices de la nation et de la société ? En tirant avec sérieux les leçons des enchaînements maléfiques!

Face aux attaques et mystifications ouvertes ou sournoises contre le syndicats, la faille s’est élargie entre deux types de comportements schématiquement observés dans le personnel syndical. D’un côté les syndicalistes de la mangeoire, rapides à répondre à tout signal du clan le plus fort au pouvoir ou dans la société. De l’autre côté ceux qui, organisés ou non, s’emploient jour après jour à rendre leur vocation première aux syndicats, aux organisations associatives en général, en un mot à promouvoir une citoyenneté active comme objectif et fruit de l’indépendance.

C’est à cette dernière catégorie d’Algérien(ne)s qu’il appartient d’évaluer ensemble les éléments d’information historique dont la chape de la pensée unique les a privés. En priorité sur deux points qui ont alimenté les campagnes hostiles à un syndicalisme démocratique et performant : 1) Où se situe la tare originelle qui a précipité le syndicalisme algérien dans le marasme ? 2) Où, quand et comment peut-on parler de l’émergence d’une  » aristocratie ouvrière  » qui a dévoyé le syndicalisme algérien ?

Je n’aurais pas évoqué ces problèmes s’ils n’avaient qu’un intérêt de rétrospective. Leurs prolongements dans l’actualité, par filiation directe ou par développement du nouveau contexte national et international, font que nous y sommes encore immergés jusqu’au cou.

Nous devons les aborder en toute clarté et conscience. Il y va de l’apport du mouvement ouvrier et syndical aux solutions politiques de paix et de progrès qu’attend l’Algérie. C’est dans cet esprit que j’apporterai mon témoignage et mon opinion.

S.H. 8 juin 2004

(à suivre)

à paraître dans Alger Républicain

format pdf téléchargeable, cliquer ici (…)

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TÉMOIGNAGE, par Mohamed-Salah REZINE

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DE LA PRISE DE CONSCIENCE NATIONALE

À CELLE DE CLASSE

à propos des Mémoires de Lakhdar Kaïdi

La récente parution de l’ouvrage «KAÏDI Lakhdar. Une histoire du syndicalisme algérien», publié aux éditions Chihab (Alger) est un événement marquant pour la constitution du patrimoine historique de notre pays. Il nous faut de prime abord, exprimer notre totale gratitude au Docteur NASSER DJABI, sociologue, chercheur au CREAD pour son initiative consistant à recueillir ces entretiens avec Lakhdar Kaïdi, et ce, durant de longs mois, pendant les années 2002 – 2003; le livre, malheureusement ne fut publié et distribué qu’en fin de l’année 2005, c’est-à-dire après la disparition de l’intéressé…

Compte tenu que le regretté Lakhdar Kaïdi constitue un précieux témoin et un acteur incontournable dans l’avènement du mouvement syndical et ouvrier de l’Algérie colonisée, nulle doute que le contenu de l’ouvrage représentera pour les analystes, les historiens et les chercheurs une riche source de références.

À signaler que l’auteur, a complété l’ouvrage d’une assez longue et consistante préface qu’il termine par un hommage appuyé et respectueux à l’objet de son étude, en écrivant ce qui suit: «[…] Le mouvement syndical algérien a dit adieu à Lakhdar Kaïdi au printemps 2004 saluant en lui le représentant d’une génération syndicale et politique et un homme qui a donné au mouvement ouvrier et syndical une image plus qu’honorable, malgré la marginalisation qu’il a subi après l’Indépendance de la part du syndicat unique et officiel. […]».

Il nous faut également savoir gré à la journaliste Ameyar Hafida d’avoir pris l’heureuse initiative de signaler dans la presse la parution des mémoires de Lakhdar Kaïdi lors d’une très instructive interview de l’auteur du recueil des entretiens en questions.

Ceci dit, étant donné qu’ Alger Républicain a précédemment signalé la parution de l’ouvrage en question – trop brièvement à mon avis- je me contenterai, pour cette fois-ci, d’évoquer quelques souvenirs, personnels bien sûr, se rapportant à cet exceptionnel patriote à l’itinéraire hors norme.

Oui, il se trouve que, parmi bien d’autres jeunes syndicalistes et militants ouvriers, j’ai eu la chance et le privilège de le côtoyer périodiquement –et assez régulièrement durant des années- et ce, en vue, entre autres, de participer à des réunions élargies que le parti communiste algérien le chargeait d’organiser et d’animer.

Cela pouvait durer une journée (conférences locales ou régionales) ou une semaine entière (école nationale de formation, en internat), et ce, évidemment avec d’autres conférenciers – intervenants qualifiés et, également, très engagés politiquement.

Malgré l’interdiction du PCA dès 1963, c’est-à-dire très peu de temps après l’indépendance, Lakhdar Kaïdi assuma la formation de nouveaux syndicalistes, structurés au sein de l’UGTA, ou non encore organisés, c’est-à-dire non élus à la base, en vue d’assurer le renouvellement et la continuité du mouvement syndical algérien qui, forcément, s’est retrouvé très affaibli suite à la répression féroce subie tout au long de la guerre de libération nationale…

Que dire de ce frêle personnage dont le manteau de couleur noire paraissait d’un poids plus lourd que celui qui le portait! L’apparence de l’homme, son aspect extérieur étaient presque insignifiants. Mais dès qu’il se mettait au travail, c’est-à-dire dès qu’il prenait la parole pour entamer l’exposé d’une conférence sur un thème se rapportant à l’un des problèmes brûlants que vivait le pays, la transfiguration se réalisait instantanément.

L’assistance avait en face d’elle quelqu’un qui exprimait, qui expliquait des situations complexes, contradictoires, inattendues, mais sous des formes d’une simplicité déroutante. Il utilisait le langage de tous les jours, celui justement qu’un travailleur, un employé, une travailleuse, un paysan issu d’un village agricole environnant, pouvait assimiler, comprendre, saisir.

Synthétiser l’essentiel d’un message à transmettre, le mettre à la portée d’un auditoire donné, ne doit pas être à la portée de n’importe qui. Il avait le sens de la formule ramassée et le choix judicieux du proverbe populaire pour imager et faire saisir à son auditoire la finalité de son exposé théorique. En quelque sorte il l’appuyait par des exemples pratiques, connus ou vécus, et qui nous facilitaient la compréhension et l’assimilation du problème étudié.

Car en ces moments «épiques», je ne pouvais imaginer la somme d’expériences militantes (syndicales et politiques) qui, finalement, lui permettait de communiquer si aisément avec nous.

Ainsi, durant la seconde partie de ses conférences ou exposés, celle se rapportant obligatoirement aux questions-réponses, c’est-à-dire aux débats – et qui prenaient plus de temps- Lakhdar Kaïdi s’impliquait tant et si bien qu’il se confondait avec l’auditoire, oubliant la casquette de dirigeant syndical et politique, ou tout au moins d’animateur!

Chaque problème ou difficulté rencontré et exposé par un camarade était systématiquement décortiqué pour ne pas dire «démonté à plat sur la table», pour le remonter ensuite au vu et au sus de tous et ce, afin, de nous faire saisir les tenants et les aboutissants des enjeux qui se déroulaient sous nos yeux sans que forcément on puisse les discerner!

Il me souvient que très souvent, à la fin de ces «journées bloquées», trop peu nombreuses à mon goût, je repartais plus léger, comme débarrassé d’un lourd fardeau de nuages noirs et de pesantes scories…

Les pauses casse-croûte se déroulaient brièvement et avaient une consistance plutôt frugale: pain, olives ou sardines en conserves, parfois des oranges ou des dattes. Il goûtait à peine à la nourriture et, aussitôt se mettait désespérément en quête d’une gorgée de café pour accompagner une cigarette…

Et ce n’est qu’à présent, suite à sa disparition et, surtout, à la lecture de ses mémoires publiées grâce à la scrupuleuse honnêteté d’un universitaire – comme il devrait y en avoir tant dans cet immense pays riche d’épopées historiques inexploitées ou tues – que j’ai pu prendre nettement conscience combien j’étais redevable à l’illustre disparu.

Oui, je venais de saisir à quel point je me devais d’être reconnaissant à ces quelques hommes-à-part, véritables défricheurs de l’avenir – et en particulier à Lakhdar Kaïdi- qui, patiemment, inlassablement, ont fait sortir des rangs des individus anonymes pour les faire accéder à la connaissance des choses, c’est à dire à la lumière de la vie, en vue, justement, de rayonner autour de soi, et d’être partie prenante dans la reconstruction du pays…

Certes, en contrepartie, le prix à payer a été parfois éprouvant (isolement, détention, clandestinité, etc.) mais cela me parait insignifiant comparativement aux épreuves endurées par Lakhdar Kaïdi durant tout ce demi-siècle précédent, ou encore à la Question d’Henri Alleg, et au casque allemand d’un autre regretté, Bachir Hadj Ali…

Et dire qu’il se trouve encore quelques voix discordantes pour chercher, comme on dit, des poux dans la tête de Lakhdar Kaïdi, certaines avant sa disparition et d’autres immédiatement après… S’agissant de pathologie résiduelle, n’ayant pas sa place dans la présente contribution circonstancielle, j’essaierai, dès que possible, de proposer quelques éléments d’explication, pouvant mieux cerner certaines approches parfaitement injustifiées, ou tout au moins erronées…

M-S R.

Tunis, le 11 décembre 2005

publié par Alger républicain, le 20 décembre 2005

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LE 1er MAI 1951 à SIDI AMRANE

Dans cet article, les jeunes générations apprendront comment les luttes syndicales étaient menées sous le féroce régime colonial, comment elles gagnaient en combativité et prises de conscience.

Pas seulement dans la capitale et les grandes villes, pas seulement dans les entreprises industrielles, les ports, les chemins de fer ou le bâtiment, mais aussi dans les zones les plus reculées du pays, où se sont déroulées des luttes et grèves très dures de quelques semaines à plusieurs mois, depuis les mines de l’Ouenza à l’Est jusqu’à celles de Kenadsa à l’Ouest, en passant par celles de Ichmoul (d’où l’aurassien Sadek Chebchoub prit le maquis dès les années 40) , Timezrit, Francis-Garnier (Tenès), Miliana, Boukaïd etc.

Pas seulement avec les ouvriers agricoles et paysans pauvres sur les propriétés des grands colons de Annaba, la Mitidja, El Asnam, l’Oranie, mais aussi dans les Territoires du Sud sous administration militaire française soutenus par les grands féodaux algériens.

Même sous des régimes aussi rigoureux, les travailleurs parvenaient à se faire entendre.

On en mesure les grands obstacles quand dans l’Algérie indépendante il est si difficile de se réunir, ou célébrer un premier Mai qui ne soit pas une pure et simple formalité officielle de beni-oui-oui…

TÉMOIGNAGE

IL Y A QUARANTE ANS (en 1951)

UN 1er MAI DANS LE SUD ALGÉRIEN

par Lakhdar KAIDI

S’il était devenu une coutume de célébrer le 1er Mai dans les villes du nord du pays où une vieille tradition syndicale jalonnée de luttes parfois sanglantes avait fini par imposer au pouvoir colonial certaines libertés, et notamment le droit de réunion et de manifestation, il n’en était pas de même dans les campagnes soumises à la loi des gros colons dont les privilèges commandaient une vigilance de tous les instants.

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De véritables féodalités s’étaient constituées dans les régions bien délimitées où régnaient de véritables roitelets imposant leur volonté au pouvoir de Paris, et faisant régner dans les régions qui leur étaient « confiées » une exploitation voisine de l’esclavage, au moyen d’une terreur permanente.

Les ancienne générations se rappellent des méfaits des “Gratien Faure et Dochard” dans le Constantinois; des “Borgeaud”, “Sorrensen” dans l’Algérois; des “Abbo” en Kabylie; des “De Calan” dans le Chlef (ex. Orléanville); des “Raoux” en Oranie.

À côté de ces sinistres hobereaux, existaient des sociétés coloniales agricoles qui ont accaparé de vastes étendues de terre provenant des propriétés des petits fellahs spoliés et des terres « arch » confisquées.

Parmi ces sociétés constituant souvent des comités moyenâgeux où les ouvriers agricoles travaillaient des étoiles aux étoiles pour une rémunération dont ne se satisfaisaient sans doute pas les serfs.

Il y avait par exemple la “Compagnie algérienne” avec ses 100 000 hectares dans la région de Ain Regada de Khroub – Oued Zenati – Aïn Abiod, la “Société genevoise” avec ses 26.000 hectares dans la région de Sétif, la “Société des orphelins de la Seine” avec ses milliers d’hectares dans la région de Ferdjioua ; la “Sociéré des Hamendas et de la petite Kabylie”, société forestière qui exploitait les lièges et la forêt de tout le massif de Collo et de l’Edough, la “S.A.I.S.A.” – “société agricole et industrielle du sud algérien” qui possédait et exploitait plusieurs centaines de milliers de palmiers – dattiers dans la région de Biskra-Touggourt et le sud.

Le mouvement syndical algérien à l’époque uni et organisé dans le Nord du pays avait réussi à arracher certains avantages sociaux et imposer des meilleures conditions de travail.

Il n’en était pas de même dans les campagnes et particulièrement dans le Sud, soumis de surcroît, au régime de l’administration militaire et où la moindre velléité d’organisation et de réclamation était considérée comme une insoumission voire une véritable rébellion.

Dans ce contexte fait d’exploitation forcenée, de discriminations raciales, le mouvement syndical algérien ne pouvait se satisfaire de certains avantages acquis grâce à des luttes héroïques des dockers, des cheminots et des mineurs.

Les syndicats ne pouvaient être quittes du devoir qu’ils avaient à l’égard de la classe ouvrière que s’ils organisaient en leur sein les centaines de milliers de travailleurs agricoles et orienter et guider leurs luttes et leur combat pour leur émancipation, la conquête de conditions de vie et de travail dignes du 20ème siècle.

Aussi, le mouvement syndical algérien considérait-il, à juste titre, qu’il ne pouvait y avoir de véritable syndicalisme sans syndicats d’ouvriers agricoles puissants.

Dans le Nord du pays des syndicats se sont constitués un peu partout, en Oranie, dans la
Mitidja, dans la plaine de Annaba.

Ils agissaient souvent dans la clandestinité pour échapper aux rigueurs de la répression souvent féroce, comme celle qui suivit la grande grève de 1937, dans la région de Azzaba, (ex-Jemmapes), et dont le dirigeant Boualleg Rabah mourut en prison où il purgeait une peine de cinq ans de travaux forcés.

Ce fui aussi le cas de la région de Aïn-Témouchent qui a vu la répression s’étendre même à des instituteurs, comme Lucien Sportisse, coupables d’avoir manifesté leur solidarité agissante.

Dans le sud du pays, les ouvriers agricoles étaient encore plus durement touchés par l’exploitation et la répression.

DE PUISSANTS

SEIGNEURS ET FÉODAUX

Le Mouvement syndical décida de déployer tous les efforts nécessaires pour implanter des sections syndicales dans les palmeraies et les oasis en s’appuyant sur les syndicats
de petits fellahs existant déjà en certains endroits.

Les formes et les méthodes utilisées devaient tenir compte des conditions particulièrement difficiles.

Grâce à l’ action et à l’activité de militants courageux et dévoués, ayant une expérience dans les autres secteurs, des résultats positifs sont vite obtenus.

Les gros féodaux et leurs maîtres s’en émeuvent ; ils constataient une certaine résistance et même une certaine insolence, inhabituelle, qui se manifestaient dans le comportement des ouvriers agricoles et des fellahs, mais ils ne savaient pas à quoi l’ attribuer.

Dans la région de Biskra, Touggourt et Ouargla régnaient, sous la protection du régime militaire, de tout puissants seigneurs et féodaux: la SAISA et ses centaines de milliers de palmiers; le cheikh El Arab Abdel Aziz Bengana, le bachagha roitelet Senoussi, ses caïds et ses douaers, le bachagha Benchenouf, etc.

Les sections syndicales constituées agissaient dans la clandestinité et se limitaient à faire un travail d’organisation et de sensibilisation, les interventions étaient effectuées à Constantine et à Alger où étaient présentées devant I ‘administration coloniale les revendications établies par les ouvriers dans les palmeraies et les oasis.

En tant que secrétaire général de l ‘Union des Syndicats CGT du Constantinois, j’avais effectué plusieurs séjours et tournées à travers la région, j’avais constaté le sérieux, le sens de l’organisation et la combativité des travailleurs agricoles qui ne demandaient qu’à se battre pour acquérir plus de dignité et des conditions de vie et de travail meilleures.

Ils le prouvèrent simplement dans les temps qui allaient suivre et notamment pendant la guerre de Libération.

PREMIER MAI 1951

En 1951, l’Union des syndicats du Constantinois décida d’organiser à l’occasion du 1er Mai une grande manifestation dans la région.

Le mot d’ordre fut transmis aux responsables avec la consigne d’agir très discrètement.

Je fus chargé de partir vers le 15 avril à l’ effet de visiter la région, et d’aider à la préparation du 1 er Mai.

Je partis donc à Biskra où j’ai tenu une réunion avec les responsables de l’Union locale et notamment des cheminots qui, sous le couvert de leur profession, effectuèrent des missions souvent délicates.

Je me suis ensuite rendu à Guemar, où existait officiellement un syndicat de petits planteurs de tabac, sous l’égide duquel les responsables des sections syndicales ont été réunis pour dresser un véritable plan d’organisation de la manifestation, qui devait être exécutée dans le plus grand secret.

À cette réunion, assistaient en plus des délégués des Oasis et palmeraies, le frère Hamma Lakhdar qui devait devenir un responsable de l’ALN dans la région, où il s’illustra durant plusieurs batailles et devait tomber les armes à la main au cours de l’une d’elles restée mémorable.

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Réunion clandestine

détail d’une peinture de Boris TASLITZKI

Coll particulière

« La Guerre d’Algérie » Alleg et coll, p. 231.

Ensuite chacun retourna dans son coin; pour ma part, j’avais établi ma « résidence provisoire » à Oughlana à 4 km de DJamaâ. De là, je rayonnais sur El-Meghaïer – Djamaâ – Touggourt – Sidi Amrane Sidi Khaled – Zaouia – Tamassine, Mahdia.

Pout plus de sécurité et de discrétion et aussi pour des raisons de température, nos tournées se faisaient le soir.

Accompagné des frères Hachemi Guenouni de Djemaâ – où il vit encore, et Beriada Belkacem, un géant de 2m de haut, toujours armé d’un fusil de chasse, nous partions à pied, au clair de lune, parcourir des kilomètres, par des pistes sablonneuses avant de tenir nos réunions dans la clandestinité la plus complète, à l’insu de l’administration et de ses sbires.

Nous décidâmes de tenir le rassemblement du 1er Mai à Sidi Amrane, des défilés devaient partir des Oasis et palmeraies le matin de bonne heure pour profiter de la fraîcheur et arriver à 9 h pour assister au grand meeting.

Le matin du 1 er Mai des défilés en rangs serrés partirent- de Oughlana – Djemaâ – Sidi
Khaled –Zaouia – par plusieurs centaines, les travailleurs affluèrent de ces centres, porteurs de banderoles quelquefois de fortune; hâtivement confectionnées, pour rejoindre le lieu du rassemblement central.

Des délégations plus restreintes sont venues de Touggourt, Ouargla, Oued El Meghair – Temassine – Guemar. Elles étaient arrivées déjà la veille et se trouvaient en place tôt le matin, du 1er Mai.

Il n’était pas encore 9 h quand la place de Sidi Amrane s’emplit de monde. Il y avait là des milliers de travailleurs. Les prévisions les plus optimistes de chacun étaient dépassées.

Le meeting dura une heure environ au cours duquel je pris la parole, après les frères Smaïlia, Amar et Beriala Belkacem responsables du syndicat et Teriiâa Saddek qui apporta la solidarité des petits fellahs planteurs de tabacs d’Oued Souf.

IL N’ETAIT PAS AISÉ DE

VENIR À BOUT D’UNE

ORGANISATION

SYNDICALE

La dispersion du rassemblement s’était faite si rapidement et parfaitement que les autorités avisées tardivement ne purent réunir leurs forces pour intervenir.

Le colonel commandant le territoire militaire de Touggourt ragea contre ses subordonnés et partit entièrement contre le sinistre Bachagha Senoussi, le quel promit à son maître de se venger rapidement pour se laver de l’affront terrible qu’il subit.

C’est que l’évènement avait fait un grand bruit, dans toute cette région du Sud Constantinois.

Il se rendit compte qu’il n’était pas aussi aisé de venir à bout d’une organisation syndicale, fortement implantée de surcroît, constituée à leur insu, au cours d’une période où ils n’ont vu que du « bleu ».

C’est un an plus tard, au cours du meeting du ler Mai 1952, organisé et tenu sous la responsabilité du frère Demène Debih Abdallah qui devait devenir 30 ans plus tard, le secrétaire général de I’UGTA, qu’une répression sauvage s’était abattue sur l’organisation et la région permettant au Bachagha Senoussi de prendre sa revanche.

Demène Debih Abdallah fut arrêté, torturé et condamné à 6 mois de prison, malgré une formidable campagne de protestation.

Boulif Bachir pour sa part s’échappa et resta longtemps dans la clandestinité.

La revanche des Senoussi et leurs maîtres ne fut qu’éphèmère.

La lutte de libération nationale à laquelle la région a participé grandement a consacré en fin de compte la grande revanche du peuple algérien sur ses ennemis de tous bords.

Lakhdar Kaidi