LIVRE EN LARMES!

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À peine avais- je franchi la porte, qu’elle me porta
l’accolade en larmes,

Qu’as-tu ma grande? pourquoi pleures tu, racontes?

c’est fini Fateh! la librairie va fermer au plus tard dans deux mois!

MALIKA ! On le sait depuis déjà quelques années que le propriétaire,
une fois le bail de location terminé avait intenté une action en
justice pour la récupération des locaux!

oui mais maintenant ils vont mettre à exécution la décision de
justice et on se retrouvera dans la rue avec nos livres!

Un instant je me suis mis à imaginer des livres dans la rue, fleurir
dans les mains des gens

DA BOUSSAD et MALIKA au milieu de la foule,

Kateb avec son étoile faisant embuscade à la nuit!

BENHADDOUGA qu’un vent du sud a ramené par là!

TAHAR DJAOUT s’échinant à faire avancer la famille avec une
balle dans la tête qu’il dispute à VINCENT l’ex-gérant de la même
librairie des BEAUX ARTS, assassiné par la horde terroriste sur le
pas de la porte de cette même librairie!

Par cette machine mise en marche et réglée pour tuer l’intelligence et le peuple résistant!

J’ai vu Karl Marx plus d’actualité que jamais!

Lakhdar BENHASSINE lui faisant causette,

SADEK AISSAT saluant HOURIA et les siens,

avec NAILA pour couronne !

J’ai vu Yousef SEBTI la gorge tranchée en compagnie d’un homme le
gourdin à la main

Ayant frappé a sa porte demandant pitance !

J’ai vu DA MOULOUD MAMERI planté d’un arbre,

j’ai vu Lamrani torturé sur une bouteille!

SENAC abattu car trop humain,

BACHIR Hadj ALI torturé par la gouape qui maintenant s’érige en historien!

MAIKOWSKI saignant avec toute «ma force de poète je te la donne classe a l’attaque »

J’ai vu BENZINE impuissant devant son journal étranglé par les siens!

Khalil Gibran, TAHA HUSSEIN déclamant leurs prophéties!

ANOUAR BENMALEK nous couvrant de fleurs !

L’émir Abdelkader l’épée dans le poème,

BENBADIS parlant du levain du peuple,

BOUALEM MAKOUF et ses compagnons du bagne de LAMBESE,

Madaci avec ses tamiseurs de sable

et l’assassinat de LAID Lamrani,

j’ai vu ABBANE une traitrise plantée dans le dos !

……..j’ai vu défiler les classiques de la littérature mondiale!

les milles et une nuit!

j’ai vu zyneb déclamant «el hbila»

wassini soldat du beau,

j’ai vu……… !

Et je suis revenu a MALIKA ses larmes étaient feuilles éparses, elles
continuaient de couler

La rue Didouche se vide de ce beau monde et de ses librairies.

Sur une dizaine, il n’en reste que deux!
les locaux commerciaux du centre ville d’Alger ont étés vendus au dinar symbolique dans le cadre de la vente des biens vacants, leurs nouveaux propriétaires spéculation immobilière aidant, les ont revendus à coups de milliards et dans la foulée ont changé d’activité car le livre ne permet pas de s’enrichir vite aujourd’hui!

Un état qui se dépouille de ses biens, qui n’est plus maitre du cœur
de sa ville qui devient gargote à ciel ouvert!

Aura tout perdu!

En coupant la nourriture à la tête on s’offre à l’irrationnel, à la
mort!

Le livre est éveil face aux semeurs de chaos il est subversif
face a la régression!

Essuie tes larmes MALIKA lire deviendra à ce train dans notre pays
comme l’amour un acte clandestin, on aura droit a un livre unique!

On excelle chez nous dans ce qui est unique, on a eu droit pendant
longtemps au règne du parti!

serait-ce les grands préparatifs pour les noces du livre unique avec autant de femmes que sa foi puisse posséder, notre lecture rentrera- t -elle dans la clandestinité!

s’il le faut on le fera,

essuie tes larmes et ne me dis pas que j’ai mis des couleurs à ta pluie!

J’ai vu Malika pleurer c’était mardi treize, ce n’était pas
vendredi, j’ai vu les livres en larmes!

LA LIBRAIRIE DES BEAUX ARTS VA FERMER ENTENDEZ VOUS CE CRI!

J’ai vu le livre en larmes dans les yeux de MALKA

Fateh Agrane 15 03 2012

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SA JUPE TROP LONGUE EST « PROVOCANTE »

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Sa jupe trop longue est « provocante »

la lycéenne est renvoyée chez elle

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écrit par Stéphanie

Jeudi, 29 Mars 2012

Une lycéenne de 18 ans d’un établissement du Val-d’Oise (France) a été momentanément mise à l’écart de son établissement lundi pour une jupe trop longue, jugée « non conforme » au règlement vestimentaire et sujette à « provocation ».

Priée de rentrer chez elle pour une jupe trop longue.

Lundi, l’élève de 18 ans s’est présentée devant le lycée Edmond-Rostand de Saint-Ouen-l’Aumône, dans le Val d’Oise, habillée d’une jupe longue.

Une longueur considérée par la proviseure comme étant « à connotation religieuse » et sujette à « provocation », selon Le Parisien qui relate l’information. Elle a été priée de rentrer chez elle et sa mère a été convoquée par la direction de l’établissement.

« Elle est en classe, la demoiselle est en cours, il n’y a pas de mesures éducatives qui ont été prises à son encontre. Simplement il y a eu un rappel à l’ordre par rapport à la tenue vestimentaire que nous imposons dans notre établissement de section professionnelle », a précisé jeudi une responsable du lycée sous couvert de l’anonymat. Elle s’est refusé à évoquer le caractère religieux de la tenue en cause.

« C’est un non-événement, j’ai le sentiment qu’on monte en épingle un malentendu entre l’équipe de la direction et cette jeune fille, un malentendu qui n’est pas sérieux », a expliqué Jean-Louis Brison, l’inspecteur d’académie du Val-d’Oise. Si l’inspection assure qu’il n’y a pas d’exclusion, elle considère que la tenue de la jeune fille est inadaptée à l’école publique, même si « elle enlève son voile avant d’entrer dans l’établissement ».

Pour lui, « l’essentiel c’est que cette jeune fille suive ses études, arrive jusqu’à son examen et le réussisse pour s’insérer professionnellement ».

L’inspecteur s’est entretenu avec la proviseure pour « calmer cet emballement » et a jugé que l’élève pouvait « continuer à s’habiller comme elle veut ». (…) il n’y a aucune prohibition aussi longtemps que la tenue est décente ».

ha di ehkayet djeddi Slimane Benaissa

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« BABOR EGHREK »

Slimane BENAISSA

extraits

À tous ceux qui ont vécu ces moments

À tous ceux qui ont partagé nos rêves

et nos espoirs des année 70

À tous ceux qui ont avancé notre pays

pour le progrès social

et amené des idées de luttes de progrès

contre le fanatisme et l’obscurantisme

À tous ceux qui ont lutté pour que notre pays

reste toujours debout

pour que nos enfants

malgré tous les problèmes qui nous entourent

puissent encore s’exprimer

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pour accéder à la vidéo

cliquer sur le lien

http://www.youtube.com/watch?v=GQ_jgnSerp8

->http://www.youtube.com/watch?v=GQ_jgnSerp8]


HENRI ALLEG: «L’IDÉE INTERNATIONALISTE ÉTAIT PRIMORDIALE DANS NOTRE ENGAGEMENT»

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entretien réalisé par Rosa Moussaoui

et publié dans le journal L’Humanité [ [algerie-106_ptt.jpg L’Humanité publie

“Algérie, 50 ans d’indépendance”, un hors-série dédié au cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, couplé avec le documentaire « Le Peuple en marche » de René Vautier, en DVD.]]

Un demi-siècle après l’indépendance de l’Algérie, pour laquelle vous avez combattu, que représente, pour vous, ce pays?

Henri Alleg. Cela va sans dire: je suis très heureux que l’Algérie soit indépendante (rires). Je suis heureux et fier d’avoir pris part au combat pour l’indépendance. Bien sûr, j’aurais souhaité que les aspects sociaux pour lesquels nous avons combattu prennent plus d’importance. Je regrette que les batailles que nous avons menées pour l’avenir, pour le socialisme, n’aient pas pris plus de place. Mais je suis heureux que l’Algérie soit aujourd’hui ce qu’elle est, avec toutes les possibilités qui s’offrent à ce pays. Quand je pense au passé, je crois que notre combat a marqué la lutte du peuple algérien. C’est en ce sens que l’Algérie reste pour mois une référence du combat des communistes.

Lorsque vous avez écrit “La Question”, pensiez-vous que votre témoignage sur la torture puisse avoir un tel impact?
Henri Alleg. Ce n’était pas seulement un livre que j’écrivais. Il fallait faire connaître ce qu’était la guerre en Algérie. Il fallait témoigner des pratiques des colonialistes français, du sort atroce réservé au peuple algérien, de la réalité de cette guerre coloniale.

Je dois dire que j’ai été surpris de l’écho rencontré par ce texte, lorsqu’il est devenu un livre. Un demi-siècle plus tard, ce témoignage reste utile. Lorsque je suis invité pour des conférences aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, je peux mesurer sa résonnance. Les atrocités commises par l’armée française pendant la guerre d’Algérie ne diffèrent pas des atrocités commises par l’armée américaine en Irak, en Afghanistan et ailleurs. Le combat continue.

Rétrospectivement, je suis heureux d’avoir écrit ce livre, parce qu’il conserve un sens dans le monde d’aujourd’hui, même si le contexte a changé. La Question a par exemple circulé parmi les détenus dans des prisons turques où était pratiquée la torture.

Nous avions peur qu’ils nous passent à tabac

.

Qui a trouvé ce titre percutant, « La Question » ?

Henri Alleg. On doit ce titre magnifique, excellent, à Jérôme Lindon, qui dirigeait les Editions de Minuit. En français, «La Question» revêt une signification qu’il n’a pas, à ma connaissance, dans d’autres langues.

Depuis le moyen-âge, «mettre quelqu’un à la question», c’est le torturer. Dans les prisons mêmes, cette expression faisait sens.

La parution du livre, en 1958, a déclenché la fureur des autorités françaises. D’où la décision de le saisir.

À cette même période, des policiers et des CRS ont débarqué brusquement, au milieu de la nuit, à la prison de Barberousse. Ils ont commencé par une mise en demeure: «Tous à poil!». Il y avait dans la prison les salles, accueillant en général une centaine de détenus, et des cellules individuelles prévues pour une personne, mais où s’entassaient plusieurs détenus. Moi j’étais avec deux copains. Les policiers ont d’abord fait sortir les détenus incarcérés dans les salles. Les types sont sortis nus dans la cour, avec une couverture sur le dos. Quant aux autres détenus, ils les ont alignés sur l’allée qui bordait les cellules, les mains en l’air, appuyés contre les murs. Moi aussi, j’étais comme ça, les mains en l’air. Pendant ce temps, des équipes spéciales de CRS, en uniformes noirs, mitraillettes en bandoulière, vidaient les cellules. Ils étaient à la recherche de papiers. Chacun d’entre nous avait des lettres, adressées aux familles ou aux avocats. Ils ont tout embarqué. Nous avions peur qu’ils nous passent à tabac.

Derrière moi, j’ai entendu un Algérien, qui, à mi-voix, s’interrogeait sur cette descente. Je lui ai dit qu’ils saisissaient les papiers. Il m’a répondu, en riant discrètement: «Peut-être qu’ils cherchent une deuxième Question». Il ne savait pas qui j’étais. Cela m’a éclairé. Il avait du apprendre, par son avocat, que ce témoignage faisait un raffut du diable à l’extérieur.

Malgré la censure, les saisies, ce livre a circulé sous le manteau. Cette diffusion était-elle organisée par des militants, ou le livre est-il passé spontanément de mains en mains?

Henri Alleg. La seule chose que je sais, c’est qu’à Alger, personne ne l’avait eu, personne ne le connaissait au moment de la parution. C’est en France que “La Question” a eu une répercussion immédiate et formidable. Cet élan doit sans doute beaucoup à la stupidité du gouvernement français et à sa décision de saisir le livre. Très vite, Nils Andersson, un éditeur basé en Suisse, a pris contact avec Lindon pour lui demander l’autorisation de le publier. Lindon a accepté. Le livre était minuscule, des valises passaient clandestinement la frontière. Immédiatement après sa saisie, “La Question” a été traduite en anglais et publiée à Londres, puis aux Etats-Unis, ce qui lui a donné un écho international.

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La bataille pour la vérité continue

Un demi-siècle après son enlèvement par des militaires français, on ne sait toujours pas dans quelles conditions a été assassiné votre ami et camarade Maurice Audin…

Henri Alleg. Cette bataille pour la vérité continue. Maurice Audin a été arrêté dans les mêmes conditions que moi. Très peu de temps après son enlèvement par les paras, on a annoncé à sa femme qu’il avait «disparu». Il est invraisemblable que les autorités françaises, que les parachutistes aient pu prétendre ne rien savoir du sort de Maurice. C’est certain: il a été assassiné par ces équipes de tortionnaires couverts et tenus en main par les autorités policières et militaires.

Dans cette affaire, le refus d’ouvrir une enquête, l’attachement des autorités françaises au mensonge est à la fois odieux et absurde. À Alger, à Oran, dans les petites villes, lorsque les militaires annonçaient la «disparition» d’un prisonnier, personne n’ignorait qu’il était en fait question d’assassinat.

Dire et répéter, jusqu’à ce jour, que Maurice Audin a été «mal gardé», qu’il s’est évadé et qu’il a «disparu», c’est abject. La vérité, c’est qu’il a été assassiné, comme des centaines, des milliers d’autres. Personne ne peut dire autre chose.

Que changerait la reconnaissance de la torture comme crime de guerre?

Henri Alleg. La France, les autorités françaises prétendent incarner, aux yeux du monde entier, les droits de l’homme, les libertés, les grandes idées nées de la Révolution française. C’est une façon mensongère de présenter l’histoire. Pendant la guerre d’Algérie, les autorités françaises ont piétiné ces idées, ces principes. Comme ils sont encore piétinés aujourd’hui à Guantanamo et en Afghanistan. Le combat pour la vérité, qui est un combat d’aujourd’hui, doit se poursuivre sans relâche. On ne peut pas tout simplement parler de l’avenir sans respecter la vérité.

Vous avez souvent évoqué le racisme inhérent à la société coloniale. Cela vous a-t-il poussé à embrasser la cause de l’indépendance?

Henri Alleg. Il est difficile de reconstituer ce parcours qui conduit, depuis l’enfance, l’adolescence jusqu’à la prise de conscience politique. À l’école on nous apprenait que la France allait en Afrique ou en Asie, pour «le bien» des colonisés. Quand on arrivait en Algérie, on comprenait immédiatement avoir été trompé par ces fadaises. Dans les rues d’Alger, des gosses, des petits cireurs, se disputaient les chaussures de quelques passants pour gagner quelques misérables sous. Pourquoi ces gosses n’étaient-ils pas à l’école? «Les petits Arabes», comme ils disaient, n’avaient pas leur place à l’école. Seule une toute petite minorité y avait accès. Cette réalité, les réflexions qu’elle suscitait en moi m’ont construit comme anticolonialiste.

L’arrogance des autorités françaises

Avez-vous été surpris, à l’automne 1954, par l’éclatement de l’insurrection?

Henri Alleg. Ceux qui disent qu’ils n’ont pas été surpris se jettent des fleurs qu’ils ne méritent probablement pas. À ce moment là, Algériens et Européens partageait la certitude que les choses ne pouvaient continuer telles qu’elles étaient, qu’il y aurait forcément des changements. De là à penser qu’une insurrection était sur le point d’éclater… Ceci dit, il nous paraissait clair que l’arrogance des autorités françaises, sûres, alors de pouvoir conserver la haute main sur tout ce qui se passait en Algérie, était trompeuse.

Vous communistes, ressentiez de la méfiance à l’égard de ces jeunes nationalistes prônant l’insurrection armée…

Henri Alleg. Cela a soulevé chez nous une certaine interrogation. Ce qui ne signifie pas que l’option de la lutte armée était absente de l’imaginaire des communistes algériens. Je me souviens que deux ou trois ans auparavant, cette question avait été évoquée à huis clos, au bureau politique, comme une possibilité, sans que cela ne suscite de scandale. Ce n’était donc pas un sujet tabou pour nous. Je dois reconnaître, toutefois, que les communistes observaient une certaine réserve vis-à-vis de ceux qui voulaient prendre les armes. Il n’y avait pas d’un côté les courageux prêts à prendre les armes, et de l’autre, les timorés acceptant le statu quo. C’était un choix complexe, difficile, qui ne pouvait souffrir l’improvisation. Si lutte armée il devait y avoir, il fallait savoir comment s’y prendre et vers où aller. Toutes ces questions se posaient.

Sur le plan idéologique, qu’est ce qui distinguait le Parti communiste algérien du FLN?

Henri Alleg. Ce qui nous différenciait, c’était peut-être l’importance que les communistes attachaient à la bataille politique. Les nationalistes portaient peu d’attention à l’idée d’unification des forces progressistes par delà leurs différences, pour rassembler les masses populaires, pour faire avancer les choses. Certaines de nos batailles, pour la liberté de la presse, pour l’augmentation des salaires, etc. apparaissaient secondaires aux yeux des nationalistes qui, pour ainsi dire, les méprisaient. Nous accordions au contraire beaucoup d’importance à ce type de batailles, pas seulement pour les changements concrets qu’elles apportaient. Pour nous ces luttes participaient à la prise de conscience des travailleurs et préparaient un combat futur plus vaste.

Nos militants étaient des ouvriers, des gens exploités.

Le PCA était un creuset au sein duquel se retrouvaient des hommes et des femmes issus de toutes ces communautés qui vivaient séparément dans la société algérienne. On y retrouvait, ensemble, des Européens, des juifs, des musulmans… Cela influençait-il votre vision du monde, votre projet de société?

Henri Alleg. Oui. Il est certain que l’idée internationaliste était primordiale dans l’engagement des communistes. Avant d’être Arabe, Kabyle, Européen, juif, musulman, nos militants étaient des ouvriers, des travailleurs, des gens exploités. C’était cela l’essentiel à nos yeux. Peut-être cette vision des choses a-t-elle conduit certains camarades à minimiser l’expérience concrète du colonialisme propre aux Algériens dits «indigènes».

Une personne née dans une famille « indigène » avait bien plus de raisons de se lever contre le colonialisme qu’une personne d’origine européenne jamais brimée et insultée comme l’étaient les Algériens.

Quelles étaient vos relations avec le PCF? Comment les communistes algériens ont-ils accueilli, par exemple, le vote des pouvoirs spéciaux à Guy Mollet?

Henri Alleg. À la vérité, sur le coup, nous ne nous en sommes pas beaucoup préoccupés. Même dans les prisons, je n’ai pas le souvenir de controverses sur ce sujet. Pas plus chez des communistes que chez des nationalistes. Les plus politisés pouvaient conclure que c’était une erreur fondamentale. D’autres étaient en attente d’explications. Mais les réactions virulentes sont venues bien plus tard. À la vérité, sur le coup, nous ne nous en sommes pas beaucoup préoccupés.

Comment s’est constitué ce que l’on a appelé le « maquis rouge »?

Henri Alleg. Le parti, au démarrage de la lutte armée, s’est posé la question de son action. L’idée était d’apporter notre appui partout où l’action armée prenait un caractère de masse, partout où des paysans avaient rejoint l’insurrection. Ensuite, nous avons pris la décision de déclencher nous-mêmes la lutte armée là où nos forces le permettaient, où nous avions des chances d’entraîner les gens avec nous. C’est ainsi que des communistes ont pris le maquis. Mais au vu de la faiblesse de nos effectifs, cela ne pouvait être un mot d’ordre général. D’où la décision de négocier l’intégration de nos groupes armés, les Combattants de la liberté, dans l’ALN. À ce moment là, nous nous sommes heurtés aux positions étroites de certains dirigeants du FLN, qui estimaient que les communistes n’avaient pas à poser leurs conditions. L’intégration à l’ALN s’est donc faite à titre individuel.

Pourquoi le FLN était-il hostile à l’entrée du PCA dans le Front comme composante à part entière du mouvement de libération?

Henri Alleg. Ils ne voulaient pas en entendre parler ! Ils voulaient rester les « patrons », imposer leurs conditions à tous ceux qui souhaitaient rejoindre l’ALN, communistes ou non. Ceci dit, nous ne nous faisions pas d’illusion.

Ces nouveaux dirigeants se méfiaient particulièrement des communistes, vus comme des militants organisés, formés, capables d’exprimer leurs idées. Dès le départ, cette méfiance était bien enracinée chez certains dirigeants du FLN.

Cette méfiance vis-à-vis des communistes a-t-elle continué à prévaloir après l’indépendance?

Henri Alleg. Dans d’autres conditions, oui. Je le pense. Parce que les choses avaient changé pendant la guerre. Dans la pratique, l’anticommunisme avait reculé, ce qui nous rendait d’autant plus dangereux aux yeux de certains.

Est-ce pour cette raison que Ben Bella a interdit le PCA en novembre 1962?

Henri Alleg. Il ne s’agissait pas seulement de Ben Bella. Le régime naissant ne voulait pas de communistes organisés.

Pourtant, cette interdiction n’a pas compromis la reparution d’Alger républicain à l’indépendance…

Henri Alleg. Nous nous sommes battus pour réussir à faire reparaître le journal. Au moment de la signature des accords d’Evian, j’étais à Prague. Je voulais repartir le plus vite possible à Alger, former une équipe de camarades qui sortaient de prison pour travailler à la reparution du journal. Les accords d’Evian prévoyaient le rétablissement de la liberté de la presse.

Tous les journaux devaient donc pouvoir sortir librement. Mais «tous les journaux», dans l’esprit du gouvernement français, cela signifiait les journaux colonialistes.

À Prague, nous avons organisé une conférence de presse, à laquelle ont assisté une soixantaine de correspondants de la presse internationale, pour annoncer notre intention de faire reparaître Alger Républicain. Peu de temps après cette conférence de presse, j’ai reçu la visite d’un émissaire, chargé de me faire part de la désapprobation des frères de Tunis, hostiles à la reparution du journal. Je lui ai répondu qu’il s’agissait d’une décision collective et qu’il était impensable d’entraver la reparution d’un journal interdit par les colonialistes depuis 1955.

Les autorités françaises n’étaient pas en reste. Par voie de communiqué, le préfet d’Alger a rappelé de façon mensongère qu’“Alger républicain” demeurait interdit. À la vérité, la décision venait d’en haut, du gouvernement français et sans doute du général De Gaulle lui-même.

Cela n’a pas entamé notre détermination. Bien au contraire.

Je suis rentré à Alger vers le 10 ou le 12 juillet. Nous n’aurions pas pu faire revivre Alger républicain sans la solidarité et l’aide pratique de nos camarades, de nos amis de “La Marseillaise”, dont le directeur était un pied-noir de Mostaganem, parti en France assez jeune. C’est là que nous avons fait la composition. Les ouvriers du livre nous en ont fait cadeau, en travaillant gracieusement.

Un problème se posait pour l’envoi des flans à Alger, où devait être tiré le plomb. Nous avons tirés quatre ou cinq flans. Nous en avons remis un à Air France, qui n’est jamais arrivé à destination. La même mésaventure s’est reproduite avec Air Algérie. Finalement, un copain qui sortait de prison et devait rentrer à Alger a caché un flan empaqueté dans sa valise. On se faisait un sang d’encre. Arrivé à Alger, au contrôle, il est passé.

C’était le premier journal anticolonialiste à reparaître ?

Henri Alleg. Oui. Dès sa reparution, le journal a reçu un accueil extraordinaire. Il y avait aussi “El Moudjahid”, qui arrivait de Tunis, mais ce n’était pas encore un quotidien. “Echaab” (« le Peuple »), est sorti trois mois après nous.

Qui se trouvait dans l’équipe au moment de cette reparution?

Henri Alleg. Il y avait quelques camarades revenus de France. Comme Nicolas Zannettacci, surnommé Zanett, l’ex-maire communiste d’Oran. Il avait été arrêté, expulsé pendant la guerre. Dès qu’on a lancé un appel aux anciens, il est revenu. Abdelhamid Benzine sortait des camps. Il y avait encore Marylise Benaïm qui sortait de la clandestinité. Elle avait servi d’agent de liaison entre la direction du parti et le maquis de Maillot.

Le journal, c’est un grand mot. Nous avions deux pages, un simple recto verso. Pour les informations internationales, les seules sources étaient United Press et France-Presse. Ces agences ne partageaient pas nos idées, loin de là, mais d’un point de vue confraternel, ils étaient heureux de voir reparaître le journal. Ils admiraient notre engagement.

À l’époque, il n’y avait que les télex, nous nous rendions dans leurs bureaux pour prendre les doubles des dépêches. Ils faisaient semblant de ne pas s’en apercevoir. On les ramenait à l’Hôtel Albert Ier, où nous étions installés. Marylise était une militante courageuse, une jeune femme pleine de vie. En pleine nuit, dans Alger livrée à l’insécurité, elle allait chercher les dépêches. Un soir, des types, voyant cette jeune femme de type européen, se sont mis à hurler, l’accusant d’appartenir à l’OAS. Ils se sont précipités sur elle, l’ont à moitié étranglée. Elle a protesté: «je suis d’Alger Républicain!». Entendant cela, ses agresseurs se sont excusés, l’ont escortée jusqu’à l’hôtel et lui ont même proposé de l’accompagner chaque fois que nécessaire.

Pourquoi n’avez-vous pas réinvesti les locaux du journal, de l’autre côté de l’avenue Pasteur?

Henri Alleg. Nos locaux avaient été confisqués pendant la guerre par “Le Bled”, le journal des paras. Lorsque nous avions voulu nous y réinstaller, un type installé là, se disant envoyé par Tunis, nous a signifié avec un grand sourire que les lieux ne nous appartenaient plus, qu’ils étaient désormais réservés au FLN. C’était incroyable. La guerre venait de se terminer, ils n’étaient pas encore en Algérie et leur première idée, c’était d’occuper les locaux d’“Alger républicain” pour qu’on ne puisse pas s’y installer.

À la vérité, Je craignais beaucoup qu’on ne nous joue un mauvais tour. Lorsque j’avais annoncé le projet de reparution du journal, l’émissaire de Tunis m’avait dit: «Tu sais, Henri, on t’aime bien, alors il faut que tu saches que pendant la guerre, il y a eu beaucoup d’exécutions pour raison d’Etat et malheureusement, ça va continuer encore un peu après l’indépendance». La menace était claire, directe. Si nous nous entêtions, ils n’excluaient pas de nous liquider. J’en étais plus conscient, me semble-t-il, qu’Abdelhamid [[Abdelhamid Benzine.]].

Dans un premier temps, nous étions allés, tous les deux, dormir dans un appartement appartenant à des amis. Moi, je ne m’y sentais vraiment pas à l’aise. Je n’ai pas voulu y rester, donc nous sommes allés à l’hôtel, en plein centre-ville. Là, s’il se passait quoi que ce soit, il y avait des témoins. Nous avions pris la bonne décision: le lendemain de notre départ, des types en uniforme ont enfoncé la porte et mis l’appartement sans dessus dessous. Impossible de savoir s’il s’agissait de Français ou d’Algériens. En tous cas, ils étaient venus chercher quelqu’un.

Lorsque nous nous sommes installés à l’hôtel, des rafales de mitraillette ont visé nos fenêtres à plusieurs reprises.

Sur le plan administratif aussi, il y a eu des entraves. Le patron de la SNEP, l’imprimerie, Bouchara, un pied noir aux ordres de Paris, un beau salaud, exigeait un papier officiel, une autorisation de reparution, alors que l’administration était complètement désorganisée. Je suis allé à la préfecture. Je suis entré dans le bureau du préfet, auquel j’ai fait signer une autorisation que j’avais moi-même écrite.

Finalement, sans en chasser le type posté là, nous nous sommes réinstallés dans nos locaux pour pouvoir faire notre journal sans avoir à traverser l’avenue Pasteur, très dangereuse. Nous restions dans le couloir, pour ne pas être exposés aux balles. C’était drôle, cette rédaction! Nous n’avions pas de chaises, nous faisions nos réunions assis par terre en tailleur. A l’heure des repas, un des copains allait jusqu’à la rue de Tanger et revenait avec une casserole de loubia [[ragoût de haricots]].

Malgré cette précarité, malgré les difficultés et le danger, nous avons réussi à faire renaître le journal, qui a rencontré un écho incroyable. Nous tirions 80 à 90 000 exemplaires, ce qui rendait délicate la tâche de ceux qui espéraient nous faire taire. Mais nous avons connu bien des mésaventures, comme l’assassinat d’un chauffeur qui transportait le journal.

Quel était le climat à Alger ?

Henri Alleg. L’inquiétude dominait. Des rivalités de pouvoir opposaient des clans, des wilaya, avec un vrai risque de basculement dans la guerre civile. De notre côté, nous disions: « Assez de bagarres entre patriotes, d’abord la paix et la mise en marche du pays ». Nous refusions de voir les divergences internes dégénérer en violence armée.

Lorsque ceux de la wilaya 4, militairement plus forte que la zone autonome d’Alger, ont commencé à jouer du coup de feu dans la Casbah, il s’est passé quelque chose d’extraordinaire. Les femmes sont descendues dans la rue Randon. «Tirez sur nous si vous voulez, mais cessez de vous tirer dessus! Arrêtez le massacre! Sept ans, barakat, ça suffit!», criaient-elles. Ces femmes avaient un sentiment politique bien plus élevé que ceux qu’elles interpellaient.

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De nombreux Algériens estiment, cinquante ans après, que les promesses de l’indépendance se sont envolées. Partagez-vous cet avis?

Premier anniversaire

du cesser le feu

le 19 mars 1963

Première page

d’ Alger Républicain

avec un dessin

de Boris Teslitzki.

Henri Alleg. Je crois qu’il est dangereux de penser ainsi. C’est le refus total de voir ce que l’indépendance a apporté à l’Algérie. On ne peut pas dire que les choses n’ont pas changé. On ne peut pas dire que l’indépendance n’a rien apporté aux Algériens. Bien sûr, la jeunesse rencontre de graves difficultés, des choses doivent êtres changées, des luttes devront encore être menées. Mais l’indépendance reste pour l’Algérie une conquête historique inestimable.


DIJON – 21 MARS 2012: TÉMOIGNAGE DE RENÉ JUSTRABO – MAIRE DE SIDI-BEL-ABBES de 1947 à 1953)

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RENÉ JUSTRABO:

« JE SUIS FIER DE N’AVOIR JAMAIS TIRÉ UN COUP DE FEU PENDANT CETTE GUERRE CONTRE QUELQU’UN »

28 MARS 2012

SALIM A

bel-abbes.info/

«Je suis fier de n’avoir jamais tiré un coup de feu pendant cette guerre contre quelqu’un! j’avais refusé d’y aller car je ne voulais pas faire la guerre à un peuple qui se battait pour son indépendance.

J’ai fait deux mois de prison pour ça en caserne à Auxonne. En tant que communiste, j’étais marqué au fer rouge!»

Voilà ce que vient de déclarer juste avant-hier René Justrabo, le maire de Sidi-Bel-Abbès (1947-1953) qui était l’invité de marque à une exposition de plusieurs documents relatifs à la guerre d’Algérie, au siège de la fédération du Parti communiste à Dijon en vue de commémorer le 50 ème anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie.

Rappelons que René Justrabo ancien député à l’Assemblée algérienne (1948-1956), a été interné trois ans de fin 56 à 1960 «au nom des pouvoirs spéciaux»

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parmi les commentaires

2. hakim, le 28 mars 2012:

Monsieur Justrabo bonjour,

J’ai un immense respect pour vous, gamin j’entends encore votre nom raisonner comme un clairon dans la tête du petit gosse que j’étais de la part de mon oncle qui était si j’ose m’exprimer ainsi un (justrabotiste) jusqu’au boutiste dans ses gènes et il le criait à qui veut l’entendre,

merci pour votre loyauté envers le peuple,

la preuve je connais des anciens qui n’arrêtent pas d’évoquer votre service et votre dévouement envers ce qu’on appelait les indigènes à l’époque!

Longue vie à vous, dommage que vous ne faites pas une petite visite de courtoisie dans vortre ville à laquelle vous avez donné tant

le gosse qui se rappelle de vous avec votre grande silhouette.

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Bel Abbes Info a déjà eu plusieurs contact avec ce fervent défenseur de la cause Algérienne et maire de Sidi Bel-Abbes , la seule municipalité communiste à l’époque coloniale; voir les articles précédents en cliquant ici …


Le 14 Novembre 2011, Bel Abbes Info s’était associé à l’hommage rendu à sa femme:

14 NOVEMBRE 2011

DÉCÈS DE MME JUSTRABO

ÉPOUSE D’UN FERVENT DÉFENSEUR DE LA CAUSE ALGÉRIENNE:

BELDJILLALI D.

Nous venons d’apprendre que René Justrabo vient de perdre sa compagne Renée née CLERC à l’age de 97 ans , décédée à Dijon (France), mercredi 2 novembre 2011.

Les obsèques ont eu lieu le 7 novembre 2011.

En cette douloureuse circonstance, L’équipe de rédaction de BAI lui présente ainsi qu’à ses enfants leurs sincères condoléances.

Rapellons que sa femme lui a accordé un constant soutien dans son combat contre le colonialisme français et pour l’indépendance de l’Algérie quand il était maire de 1948 à 1953 de la Ville de Sidi Bel-Abbés, délégué à l’Assemblée algérienne (élu sur une liste du Parti communiste Algérien) et lors de son internement durant trois ans au camp de Lodi (Alger) pendant la guerre de libération nationale.

Notons enfin que bel-abbes.info lui a consacré toute une page lors d’une précédente édition que nous reprendrons de sitôt, et a été toujours en contact avec ce Maire qui a porté haut le cœur l’Algérie et en particulier la ville de Sidi Bel-Abbes.


Arrestation de l’ancien Maire communiste de Sidi bel Abbès*

René Justrabo, 95 ans, se souvient du jour où on est venu le chercher.

C’était le 26 novembre 1956.

Ils sont arrivés à l’aube, dans la lumière d’automne qui filtre à travers les volets. Au moment où la ville s’éveille doucement. «Police! Ouvrez!».

Le commissaire du 8ème arrondissement d’Alger a surgi, deux inspecteurs sur les talons, un papier dans la main droite. «Vous êtes bien René Justrabo, né le 15 juin 1917 à Mascara? Vous êtes en état d’arrestation. Voici votre avis d’assignation à résidence».

Il n’y a que quelques mots: «atteinte à la sécurité et à l’ordre public», signés du Préfet d’Alger.

Cela fait plusieurs jours, déjà, que la police et l’armée raflent, les uns après les autres, les anciens membres du Parti communiste algérien (PCA).

Suspect d’être trop proche des indépendantistes, il a été dissout en septembre 1955.

Alger est devenu une souricière.

René Justrabo, 39 ans, ancien maire communiste de Sidi Bel Abbès, sait que son tour va bientôt arriver. Il s’apprête à sauter dans le bus bondé qui le conduit, chaque jour, des hauteurs d’Alger, où il habite, au quartier de Belcourt, où il est instituteur. Mais c’est dans un camion militaire à deux bancs qu’il grimpe finalement. Poussé comme un vulgaire délinquant.

Destination: le camp de Lodi. Il y restera enfermé trois ans et demi.

*Patatouète

Sources: bel-abbes.info


3 AVRIL – IREMMO: ISRAËL- PALESTINE DEUX SOCIÉTÉS EN MOUVEMENT – Rencontre avec Benjamin Barthe, Dominique Vidal et Michel Warschawski – Débat animé par Edwy Plenel.

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RENCONTRE CROISÉE

Mardi 3 Avril 2012

18h-20h

AU-DELÀ DU CONFLIT ISRAÉLO-PALESTINIEN, DEUX SOCIÉTÉS EN MOUVEMENT

Rencontre et débats animés par Edwy Plenel

avec

Benjamin Barthe, journaliste au Monde, auteur de “Ramallah dream” (La Découverte 2011)

Dominique Vidal et Michel Warschawski, journalistes, co-auteurs de: “Un autre Israël est possible” (Editions de l’Atelier, 2012)

Entrée libre (dans la limite des places disponibles)


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“Ramallah Dream

Voyage au coeur du mirage palestinien”

La Découverte

2011

271 pages

19 €

Présentation de l’éditeur

Les posters à la gloire des martyrs de l’Intifadha ont disparu des rues de Ramallah. Ils ont été remplacés par d’immenses panneaux de publicité pour le crédit immobilier. La bourgade de Cisjordanie, théâtre du dernier baroud de Yasser Arafat, acculé en 2002 par les tanks israéliens dans son QG en ruines, s’est transformée en une mini-métropole cosmopolite, jalonnée de bars branchés et de résidences haut de gamme. Ramallah est ainsi devenue la vitrine du plan de Salam Fayyad, l’énergique Premier ministre palestinien, déterminé à créer un État de fait, à la barbe de l’occupant israélien. Son entreprise est appuyée par les pays donateurs qui déversent chaque année des piscines de billets verts sur les territoires occupés.

De quoi Ramallah est-elle le signe? De la montée en puissance de l’Autorité palestinienne et de l’indépendance inéluctable des territoires occupés? Ou bien de la banalisation de l’occupation et de l’affadissement du mouvement de libération palestinien?

Au croisement de l’enquête et du reportage, Ramallah Dream est le roman vrai d’un bantoustan doré.

Plutôt qu’au théâtre d’ombres du processus de paix, Benjamin Barthe s’intéresse aux bouleversements qui travaillent la société palestinienne, dépolitisée de l’intérieur par l’industrie de l’aide.

Les personnages qui se croisent dans ce récit – négociateurs, diplomates, hommes d’affaires ou activistes – dressent le portrait d’un État impossible, dont le territoire se dérobe en permanence sous les pas de ses dirigeants et dont l’économie est confisquée par une caste de privilégiés.

Un livre à lire comme un avis de tempête.

Benjamin Barthe est journaliste au Monde, spécialiste du Proche-Orient.

Correspondant à Ramallah de 2002 à 2011, il a reçu le prix Albert Londres en 2008.

Avant Ramallah dream, il avait publié “Palestine, une nation en morceaux” (Editions du Cygne, 2009).


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Un autre Israël est possible

Vingt porteurs d’alternatives

Editions de l’Atelier

2012

176 pages

19 €

Présentation de l’éditeur

Durant l’année 2011, en Israël, jusqu’à 500 000 hommes et femmes – l’équivalent de près de 4 millions en France – ont manifesté contre le saccage néolibéral de l’éducation, du logement, de la santé et de l’État social. Un mouvement sans précédent, soutenu par la grande majorité de l’opinion publique, dans une société pourtant traditionnellement conformiste…

Qui sont les «Indignés» de Jérusalem, Tel-Aviv et Haïfa? Comment leur révolte a-t-elle muri avant de surgir?

Mobilisés autour de revendications économiques et sociales, perçoivent-ils que, pour sortir de la crise sociale la plus grave de son histoire, Israël doit cesser de coloniser les Territoires palestiniens, s’en retirer et accepter de reconnaître l’État palestinien qui s’y construit?

Leur révolte bousculera-t-elle un paysage politique obsolète et sans horizon?

Pour répondre à ces questions, Dominique Vidal et Michel Warschawski sont allés à la rencontre de vingt porteurs de ce mouvement et demain, peut-être, d’alternatives plus globales.

Ils sont Juifs et Arabes, femmes et hommes, laïcs et religieux, militants de base et députés, universitaires et étudiants, anarchistes et communistes, nationalistes et pacifistes, travaillistes et anticolonialistes, etc.

Un autre Israël est-il possible ?

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Dominique Vidal est historien et journaliste.

Également journaliste, Michel Warschawski a fondé le “Centre d’information alternative (AIC) de Jérusalem”.

Tous deux ont écrit de nombreux livres sur le conflit israélo-palestinien.

Aux éditions de l’Atelier, ils ont publié ensemble et avec Leila Shahid “Les Banlieues, le Proche-Orient et nous.”

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Le débat sera animé par le journaliste Edwy Plenel, directeur du site d’information Médiapart.

Les Éditions de l’Atelier et MÉDIAPART sont partenaires de cette rencontre à l’iReMMO.


La rencontre sera suivie d’un pot convivial.


iReMMO 5, rue Basse des Carmes 75005 Paris (Maubert Mutualité) –

01 43 29 05 65 – www.iremmo.org


POUR AMINA, QUI S’EST SUICIDÉE APRÈS AVOIR ÉTÉ MARIEE AU MAROC À SON VIOLEUR


LA FLEUR VIOLÉE

– Rita El Khayat –

(extrait du recueil: «Les fleurs et les feuilles de la vie»)

J’ai appris ta mort,

Amina,

Ce matin, en buvant mon café froid…

Le juge t’a mariée

À celui qui t’a violée,

Ton sexe, déchiqueté comme une fleur écrasée,

A été saigné, encore,

Le jour des épousailles ordonnées par des jurisconsultes

Au cerveau rempli de fèces et de détritus…

A été saigné,

La flamme de la haine dans le cœur de ton violeur,

Devenu, par des lois folles, ton mari !

Tu as vu la mort

Celle qui pouvait te délivrer de l’horreur,

Ce sexe d’homme que tu ne voulais pas,

Amer comme la cigüe

Dur comme un pylône tombé qui tue un passant

Puant comme le cadavre d’un chien

Qui n’a jamais été heureux !

Le juge, Amina, ici, dans nos contrées

Est un lâche, un pleutre avide et pervers

La corruption engraissant son ventre,

Cet œuf de vieillesse, rempli de corruptions diverses…

J’ai regardée, ahurie,

Il y a cinq ans, à peine,

Une enfant de cinq ans qui, comme toi,

A été violée par un adulte de vingt-sept ans !

Le juge avait décrété qu’elle attendrait d’être grande pour épouser son
violeur!

Mon âme avait vibré, folle de révolte,

La mère et la grand-mère, des paysannes,

Cherchaient une justice qui n’existe pas !…

Dans ces contrées remplies d’hommes impuissants et insatisfaits…

À Larache, dans ce nord du Maroc,

D’où ton âme s’est envolée dans une nacelle blanche,

À Larache, dans ce nord du Maroc,

Pays de la garrigue, du thym et du romarin,

Les arbustes pleurent à l’unisson

Avec les jasmins, les roses de la saison

Et les pousses des flamboyants, atterrés: Amina est morte!

Elle a bu le poison, une fleur jaune, bile mortifère,

Elle est partie par ce matin de printemps

Tandis qu’autour de Larache,

Les fleurs d’orangers embaument le promeneur jusqu’à l’ivresse…

Que les eucalyptus agitent leurs têtes, incrédules!

Amina est morte

Dans les rets du Moyen-âge,
v Elle a agonisé dans la turpitude de la virilité

Qui nous a toutes violées !

Amina est morte

Pour que du printemps arabe

On fête le premier anniversaire,

Noces de sang et de viols!

Amina, tu es belle

Tu es la fleur de notre nation,

La rose du Maroc,

L’hibiscus rouge,

Et la sauvage jacinthe blanche des prés!

Ta virginité déchiquetée

Donne à ma plume le sang brillant,

Éclatant de révolte,

Pour que mon poème s’élève à la gloire

De toutes celles que les hommes ont martyrisées

Dans ces contrées d’hommes

Contrées vierges de justice,

Epanouies dans toutes les infamies et toutes les prébendes,

Torrides en l’été infernal,

Quand se rend une justice arriérée,

Dont les victimes sont les filles et les femmes,

Les orphelins et les pauvres,

Les démunis, les déclassés et les solitaires !

Le Printemps arabe est taché du sang des vierges,

Ce sang sur lequel fondent les rapacités du désir

D’hommes frustrés, agressifs et débordant de haine !

Amina, tu montres sur ton sourire figé jusqu’à la fin des temps

Que le sexe d’une fille et celui d’une femme

N’appartient qu’à elle,

Il est une Fleur splendide dans un vase de cristal,

C’est du vagin rose que sort la vie

De lui que se profile les générations dans le monde,

Il n’est le trésor que de la seule fille ou femme

Dont il est le centre, le cœur, le plaisir et la joie!

Amina,

Repose en paix dans mon cœur de poète,

Tu as bien fait de te tuer,

Personne n’a compris cette sauvagerie qui t’a été appliquée,

Tes parents, tes juges, ton quartier et ton pays:

Comme toi j’ai subi tous les viols,

Mais j’ai été meurtrie par ma vilenie,

Une autre fleur jaune et démente qui ravage ma poitrine,

Celle qui t’a porté la mort,

Nous sommes toutes mortes,

Dans un endroit secret de notre cœur !

Amina, tu m’as redonné gloire et fierté,

Tu n’es pas morte pour rien,

Je te chante aujourd’hui,

Je te chanterai à l’infini…

Et quand je serai morte,

Ce poème survivra à tous,

À tes parents, à tes juges, à ton violeur

Que l’on t’a offert comme punition suprême,
>
À la stupidité sans nom qui arrache les fleurs que nous ne sommes,

Même pas encore écloses, n’ayant répandu parfum ni beauté,

Vrac du lys blanc de Casablanca,

Roses de Kelaat M’gouna,

Fleurs d’orangers arrachées de la couronne des mariées!

Casablanca, 16 mars 2012

©Rita El Khayat


COUPS DE GUEULE

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« DU QATAR AU MALI, LE NÉOCOLONIALISME SE DÉPLOIE… »

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Vous ne pouvez pas laisser passer certaines conduites, même si vous devez différer une actualité autrement plus urgente par ses conséquences immédiates. Il en est ainsi de la demande française de tenir Qaradhawi éloigné de la scène française. Dans un exercice de basse manœuvre, Sarkozy a ainsi associé les actes imputés à Merah au prosélytisme religieux qui fait la marque de Qaradhawi.

Sans rien avancer sur la réalité des activités de Merah qu’une multitude de policiers suréquipés en moyens propres à le paralyser et à l’endormir a envoyé dans le monde du silence, on ne peut ignorer la question d’Yves Bonnet s’interrogeant sur les relations de ce garçon avec la DCRI. Pour vivre dans notre pays, l’Algérie, réputé pour ses traditions de clandestinité anticoloniales puis pour son goût des guerres de l’ombre, nous savons qu’un chef des services ne se pose une question en public que pour répondre à une autre que vous n’aurez pas su vous poser. Il y a de l’aplomb dans cette sortie de Sarkozy faisant la fine bouche à propos de son complice et compagnon de crimes. Il faut donc lui rappeler et rappeler à ses fans électeurs ou ministres que Qaradhawi a donné la caution morale pour le meurtre de Kadhafi. Et il l’a fait à travers une fatwa à la demande expresse de Sarkozy, de Juppé, de BHL empressés d’agir sous une couverture et avec une caution arabe.

C’est Qaradhawi qui a fait le travail de légitimation religieuse du meurtre et de l’agression dont la Ligue arabe, couverture politique de l’agression de l’OTAN, avait besoin pour mettre les opinions salafistes de son côté. Le côté barbare de l’assassinat de Kadhafi portait non seulement la marque de la tradition criminelle du colonialisme européen mais aussi celle la perversité de la cruauté wahhabite. Qaradhawi, c’est le Qatar wahhabite, émirat de droit divin, allié intime de Sarkozy dans les affaires comme dans la politique. Personne ne peut séparer le Qatar ami de Sarkozy de Qaradhawi. Et c’est bien ce dernier qui vous bénit le permis de tuer délivré par la Ligue arabe. Aujourd’hui même, la France officielle mène une politique agressive et destructrice contre la Syrie en sous-traitante d’une politique américaine et avec le compagnonnage de ce même Qatar qui n’est que la réalité politique de la pensée de Qaradhawi plus du pétrole. Quels messages Sarkozy a-t-il voulu adresser au subconscient des Français pour changer la donne électorale ? C’est l’affaire des Français qui ont soutenu l’agression de la Libye hier et l’agression de la Syrie aujourd’hui, hormis le cercle d’or des sites alternatifs et militants anticolonialistes dont le courage et la constance feront date. Si le grand chef religieux du Qatar est mauvais pour l’esprit des musulmans de France l’argent de la caisse qatarie devrait l’être tout autant pour l’ensemble des Français.

Alors, autant rappeler à tous que Sarkozy mène à l’extérieur, avec le Qatar, une politique qu’il fait mine de répudier à l’intérieur. Schizophrène ou pur produit d’une conception qui rabaisse la politique à l’art du bonimenteur?

Loin de la France mais si près de Sarkozy, Alassane Ouattara, n’a pas exclu d’avoir recours à la force contre les putschistes maliens. Il ne manque pas d’air. En rajouter à la crise que vit le Mali avec une guerre de «normalisation démocratique » équivaudrait à quoi à part réaliser le dessein de la France de mettre le Mali sous tutelle étrangère, par supplétifs africains interposés?

Nous n’en sommes pas là pour l’instant, mais le coup d’État peaufiné par la France en Côte d’Ivoire, au bout de dix années de travail de sape, montre aujourd’hui toute l’importance d’un pays auxiliaire qui ferait montre de «l’agressivité démocratique» nécessaire au maintien du rapport néo-colonial habillé en boubou africain.

Car il est évident aujourd’hui que cette démocratie représentative est la forme la plus adaptée pour soumettre encore plus nos pays à la logique de marchés. Au Mali, comme ailleurs. Nous votons une fois tous les quatre ans, et forts de nos votes nationaux nos dirigeants vont appliquer à la lettre, sous des prétextes techniques ésotériques pour le simple citoyen, les conseils et les idées des étrangers du FMI et de l’UE, sous le carcan des accords militaires secrets passés avec la France qui interdisent à nombre de pays africains certaines décisions de souveraineté, comme la monnaie par exemple. Jusqu’au prochain vote, qui permettra de changer un politicien usé par un autre qui, lui, fera le même boulot jusqu’à la manifestation, aux yeux de tous, que la cause de nos problèmes émanent des politiques et pas seulement des hommes et des équipes qui se sont accommodés des privilèges et de la permission de taper dans la caisse.

Même dans le contexte actuel d’interventions «démocratiques» tous azimuts, les cercles néocolonialistes français ne peuvent se permettre le coût politique et financier d’une intervention militaire dans la durée au Mali.

Ouattara n’a pas encore commencé à panser les blessures et souffrances infligées à la société ivoirienne dans sa marche vers le pouvoir soutenu par des militaires étrangers, que le voici en route pour le Mali. Il s’en ira au Mali avec ou sans les conseillers et sans la coordination de la Force Licorne, sans les avions et les hélicoptères français?

Alassane Ouattara, fonctionnaire du FMI, formé à l’abandon de l’idée de souveraineté nationale et ramené – comme Jibril en Libye – pour enfoncer son pays dans les règles de la mondialisation et de la globalisation financière, vient de frapper un grand coup: le Mali est un pays à souveraineté limitée par simple appartenance à la CEDEAO.

Vous imaginez-vous demain un pays du Maghreb venant rétablir l’ordre électoral en Algérie juste parce que nous sommes un pays de l’UMA?

Il est vrai qu’ATT, en octobre 2010, avait accepté une sorte de tutelle du G8 en échange de vagues promesses d’aide contre AQMI, via la CEDEAO.

Le coup d’Etat qui arrange à moitié les affaires de la France reste quand même une affaire interne à ce pays. Et les militaires maliens n’ayant menacé encore aucun pays, de quel droit Alassane Ouattara fait-il battre les tambours ?

Les toubabs ont plus d’un tour dans leur sac mais leurs procédés sont révoltants. Il y va de la santé morale de l’Afrique de se débarrasser au plus vite de ce néocolonialisme corrupteur au plan des finances comme au plan de la raison. Une guerre d’agression contre la Mali aura-t-elle pour seul but d’organiser des élections sous les bottes de soldats étrangers, fussent-ils des Africains? Il est plutôt probable qu’elle soit un accélérateur de la décomposition des Etats post-coloniaux et qu’elle provoque un désordre tel qu’il ne puisse en sortir que de nouvelles entités politiques.

Du coup, les putschistes maliens se retrouvent au centre d’enjeux qui les dépassent, mais pour lesquels rien ne semble tout à fait joué. En l’absence d’une déclaration ou d’une analyse des patriotes maliens, qui nous éclairerait davantage, nous en sommes réduits à examiner la question du seul côté des acteurs étrangers et de leurs buts.

C’est la prolongation des politiques de libéralisation qui a affaibli le Mali, stoppé son développement et aggravé son sous-développement au point de rendre inopérantes toutes les solutions d’une unité basée sur la satisfaction des besoins des populations du Nord.

Avec les intellectuels, hommes et femmes de culture du Mali, nous partageons l’idéal de l’indépendance nationale, la conviction d’un nécessaire État national souverain et d’un impératif développement économique autocentré capable de mobiliser les ressources et d’inventer le modèle économique, qui nous convient avec les synergies nécessaires entre secteur public et initiatives privées.

Il reste encore beaucoup de chances que les patriotes maliens dessinent les portes de sortie, comme ils nous ont laissé espérer à la lecture de leur appel si profond et si pertinent quant aux causes historiques des difficultés que traversent leur pays et qui sont les mêmes que celles de tous les Etats qui ont été obligés de faire appel au FMI et à la Banque mondiale.

En conjurant les menaces de Ouattara qui ne sont que celles de la France sarkozyste, les patriotes maliens feront œuvre de résistance au profit de tous les peuples africains dans la ceinture sahélienne.

Sommes-nous capables de trouver les moyens idoines pour être solidaires ?

Mohamed Bouhamidi

Alger, le 28 mars 2012


LA VÉRITÉ SUR L’ÉTAT DE SIÈGE DES USA CONTRE CUBA, UN RÉQUISITOIRE OBJECTIF ET ARGUMENTÉ DE SALIM LAMRANI

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Préface de Paul Estrade

au livre «État de siège»

de Salim Lamrani*

Ce livre présente une réalité méconnue, tergiversée, voire sciemment occultée, tue en tout cas par les médias chargés de sélectionner et de décrypter l’information. Ces médias dominants, multiples mais univoques, dissimulent au sujet de Cuba une réalité que s’emploie à restituer ici Salim Lamrani.

Les «spécialistes» institutionnels de Cuba et les envoyés «spéciaux» à La Havane mentionnent certes l’existence d’un «embargo» dans leurs commentaires sur les difficultés endurées par le peuple cubain. Toujours de la même façon: le plus brièvement et le plus vaguement possible, au détour d’une phrase, d’un seul mot. Ils ne peuvent pas nier l’existence d’un embargo, mais ils font, dans leurs analyses, comme s’il n’existait pas. Ainsi, point n’est besoin pour eux d’en rappeler les origines (ni, du coup, le nom de l’Etat qui en est responsable), ses motivations changeantes, son caractère illégal, ses modalités perverses, sa durée insupportable, ses effets déplorables.

Pour certains, l’embargo est un facteur accidentel sans importance, une circonstance dépourvue de sens et de conséquence. Quand ils daignent en dire un peu plus, ils en font presque tous un alibi et même une aubaine pour Cuba. «Et voilà justement comment on écrit l’Histoire!» dirait Voltaire. Mais, quel curieux hasard que cette convergence!

On ne saurait expliquer, en 2011 moins que jamais, que la seule cause de son actuelle et grave stagnation économique est due au blocus imposé par les gouvernements étasuniens depuis 1960. Les réformes drastiques en cours à Cuba prouvent le contraire. D’aucuns prétendent que le gouvernement cubain se sert, depuis des décennies et à des fins de propagande, des sanctions injustes qui frappent son peuple, pour minimiser ses propres erreurs et les carences de son système. Il conviendrait, dans ce cas, d’expliquer alors pourquoi le gouvernement des Etats-Unis n’y a pas mis fin, comme chaque année l’Assemblée Générale de l’ONU quasi unanime le lui demande, et comme, en octobre 2010, 187 Etats (contre 2: les Etats-Unis et Israël, et 3 abstentions: La Micronésie, les Iles Marshall et Palau) le lui ont encore demandé en votant la résolution «Nécessité de lever le blocus économique, commercial et financier imposé à Cuba par les Etats-Unis d’Amérique»?

Ou bien l’embargo est contourné, coûteux et inutile, et il faudrait que ses exécutants y renoncent vite. Ou bien, pire, l’embargo fournit un argument commode au gouvernement cubain, et il serait judicieux alors que ses instigateurs le suppriment de suite.

Or, voilà, ils le maintiennent – Démocrates comme Républicains, Obama comme Bush – contre le vœu des nations, contre l’opinion majoritaire des citoyens de leur pays, contre les intérêts vitaux de la population cubaine victime de l’état de siège. Comment? Pourquoi? Dans quel but ultime?

Salim Lamrani ne se contente pas de souligner les dégâts humains de cet embargo d’un autre siècle (pensons au boycott d’Haïti) qui sévit pourtant depuis un demi-siècle. Il examine, point par point, les étapes de sa mise en place et de son renforcement, le replaçant dans une perspective historique et le considérant du point de vue du droit international. Il n’a pas de mal à en montrer l’iniquité. Cependant, il le fait sans emphase et sans acrimonie, prenant appui, comme à son habitude, sur des sources très nombreuses en provenance, pour la plupart, de documents officiels publiés aux Etats-Unis.

Ce faisant, l’auteur accumule des faits précis, datés, établis, et reproduit tout un éventail d’opinions autorisées. Mesuré dans le ton, sobre dans le propos, il est prolixe dans la démonstration. Trop sérieux ? L’affaire traitée n’incite évidemment pas à la plaisanterie, mais on sourit de-ci de-là à la lecture des imbécilités qu’entraîne l’application stricte de l’embargo. On y apprend de la plume de juges étasuniens qu’importer des dauphins de Cuba ou vendre des pianos à Cuba sont des négoces attentatoires aux intérêts et à la sécurité intérieure des Etats-Unis. Le ridicule ne tue plus depuis longtemps. Mais le blocus tue, ne serait-ce que par l’interdiction d’introduire à Cuba des médicaments irremplaçables.

Qu’on les appelle comme on voudra – « bloqueo » ou embargo –, les sanctions économiques qui frappent Cuba sont sans fondement. Les prétextes sous lesquels elles ont été justifiées à Washington se sont évanouis un à un. En outre, qui peut prétendre que Cuba ait menacé et menace encore les Etats-Unis ? Chacun sait lequel de ces deux Etats a été l’agresseur au cours de l’Histoire, et lequel a été l’agressé, notamment depuis 1959. Chacun sait que la Baie des Cochons, où des mercenaires tentèrent de débarquer en 1961, se situe à Cuba et non en Californie.

Chacun sait aussi – ou devrait savoir – que lorsque les Tours Jumelles de New-York se furent effondrées, le gouvernement cubain proposa immédiatement son concours, et lorsque le cyclone Katrina eut dévasté la Nouvelle-Orléans, les autorités cubaines offrirent spontanément leur aide désintéressée. Malgré la recrudescence de l’embargo…

Les succès incontestés qu’a remportés Cuba dans les domaines de l’éducation et de la santé, de la culture et du sport, l’ont été eux-aussi malgré l’embargo… Le coût de celui-ci, en dehors du coût généré par les agressions et les menaces d’intervention armée, a été évalué en octobre 2010 par le ministre cubain des Affaires Etrangères, M. Bruno Rodriguez, à plus de 750 milliards de dollars (valeur actuelle de cette monnaie) pour les 50 années passées. De quoi renflouer bien des dettes publiques, à commencer par celle de Cuba.

En dépit de l’incongruité de cet «Etat de siège» permanent et de l’énormité des souffrances qu’il entraîne, l’auteur ne hausse pas le ton, n’ironise pas, n’invective pas, il se montre même gentil à l’égard du président Barack Obama dont il reconnaît les mesures favorables à l’assouplissement des conditions de voyage à Cuba. Mais combien Obama sortirait grandi de son passage à la Maison Blanche s’il ordonnait la levée totale de l’embargo! Le Prix Nobel qu’il a reçu avant l’heure apparaîtrait mérité.

La France, par l’intermédiaire de son représentant à l’ONU, vote régulièrement en faveur de la résolution qui préconise la levée de cet embargo. Mais l’engagement de la France s’arrête là, alors qu’ailleurs, en Afrique ou en Asie, elle préconise à l’envi une politique musclée de «protection des populations civiles», qu’elle met en œuvre, hélas, de manière tout à fait inadéquate.

Salim Lamrani ne nous dit pas ce que nous avons à faire. Mais son exposé rigoureux serait sans objet, si les amis de la Justice et du Droit, ne s’en emparaient pas. Il faut répandre ce livre étayé, implacable et fort. Il faut s’indigner de la poursuite de cet état de siège, le combattre et contribuer ainsi à son retrait inconditionnel.

Paul Estrade.


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* Etat de siège. Les sanctions économiques des Etats-Unis contre Cuba

Prologue de Wayne S. Smith

Préface de Paul Estrade

Paris, Editions Estrella,

2011 – 15€

Disponible en librairie et sur

http://www.amazon.fr/Siege-Sanctions-Economiques-Etats-Unis-Contre/dp/2953128425/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1317400645&sr=8-1

Pour toute commande dédicacée, veuillez contacter:

lamranisalim@yahoo.fr


sur socialgerie voir aussi:

« ÉTAT DE SIÈGE » – LES SANCTIONS ÉCONOMIQUES DES ÉTATS-UNIS CONTRE CUBAbrève mise en ligne le 14 décembre 2011;

ainsi que la présentation du livre « Etat de siège » de “Rouge Midi”, reprise par socialgerie dans son article « Lectures : août septembre octobre 2011 » – article 568


RENTE ET COMPROMIS SOCIAL EN ALGÉRIE: VERS LA RUPTURE?

La rente, une question éminemment politique en Algérie

L’initiative du “Forum des chefs d’entreprise” intitulé «De l’urgence d’une nouvelle économie moins dépendante des hydrocarbures» et particulièrement , selon le compte rendu qu’en fait El Watan du 15 mars 2012 [voir aussi sur [socialgerie des extraits du « Forum d’acteurs économiques du secteur privé », publié dans « Liberté » du 23 novembre 2011.. ]], les chefs d’entreprise et experts invités à s’exprimer étaient unanimes pour affirmer que «la rente pétrolière a tué l’économie».

Je rappelle que ce type de constat a déjà été émis il y a plus de 30 ans (mai 1980) dans un document officiel publié alors par le Ministère de la Planification et de l’Aménagement du Territoire (MPAT): «La concentration des ressources d’investissement, matérielles, financières et humaines, réputée transitoire s’effectua, au travers d’un processus cumulatif, au niveau du secteur industriel et des hydrocarbures. Elle devient permanente et s’enfla par un accès facile à un endettement extérieur abusif.»

Le recours intensif aux hydrocarbures a pris des proportions graves au vu des modestes réserves de l’Algérie: « La production des hydrocarbures est demeurée élevée pendant la période et a entraîné une chute non négligeable dans le niveau de nos réserves d’hydrocarbures sans que parallèlement une politique énergétique de long terme, pour prendre le relais après épuisement de nos réserves, n’ait été mise en œuvre ».

Je rappelle aussi que le plan quinquennal 1980-84 était essentiellement axé autour des notions de rééquilibrage entre secteurs économiques, de dynamisation du secteur agricole pour réduire la dépendance alimentaire.

Le discours officiel, largement répercuté par la presse d’alors, affirmait qu’il fallait développer « l’or vert » (en référence à l’agriculture) et réduire l’importance de « l’or noir » qui avait pris des proportions importantes dans l’économie algérienne et qui exposait le pays à une dépendance dangereuse. « L’après pétrole » était devenu un slogan permanent.

Dans la pratique, les mêmes tendances vont persister, les mêmes choix que précédemment se sont imposés, voire confortés. La dynamique économique d’ensemble, le système économique et social n’a pu impulser cette réforme nécessaire qui ferait en sorte que d’autres secteurs économiques prennent le relais ou à tout le moins se développent en parallèle ou en complémentarité avec les hydrocarbures.

Les choix opérés dans les années 1970 ont été maintenus, voire ont été renforcés au cours des décennies par les pouvoirs dirigeants qui se sont succédés jusqu’à ce jour.

Et c’est du côté des équipes dirigeantes, en clair du côté du pouvoir politique que se pose, de mon point de vue, ce que j’appelle la «rentisation» de l’économie et de la société.

Le texte qui suit et que je soumets à publication a déjà été publié dans la revue «Raison présente» N° 182 «Les “printemps arabe(s)” et le monde» de mars 2012. Je le verse au débat.

Ahmed Dahmani

économiste

MCF, université Paris Sud

Rente et compromis social en Algérie : vers la rupture?

Depuis un an, le Maghreb et le Machrek vivent des bouleversements historiques sans précédent. Des dictateurs ont déjà chuté dans des circonstances différenciées. Des révoltes ont encore cours face à des pouvoirs qui s’accrochent aux prix de violences extrêmes ou de manœuvres politiques diverses. Et l’Algérie dans ce tableau contrasté? La contestation y est permanente cette dernière décennie. Et le pouvoir algérien a toujours eu pour souci principal de contenir ces mouvements en alternant cycles de répression[[Les organisations des droits de l’Homme nationales comme internationales condamnent chaque année les autorités algériennes pour leurs atteintes réitérées et graves à l’encontre des droits de l’Homme.]] et d’utilisation de la manne financière générée par la rente pétrolière pour maintenir un statu-quo que contestent de plus en plus d’Algériens. C’est cette pratique que ce texte voudrait mettre en lumière.

La permanence de la contestation

L’Algérie vit dans la contestation depuis plus de dix ans. Chaque jour [[Pour 2010, il a été relevé officiellement plus de neuf mille manifestations à travers le territoire national]], des jeunes, et des moins jeunes, manifestent dans les rues de leurs agglomérations pour crier leur [[désespoir Ce désespoir se traduit de plus en plus par le phénomène des harragas (brûleurs de frontières) : des hommes, des femmes, et même des enfants, tentent la traversée de la Méditerranée à la recherche de l’eldorado.]] et revendiquer, qui un travail, qui un logement, qui de l’eau courante, etc. Ce qui atteste la dégradation de la situation économique et sociale et qui pousse des populations à sortir dans la rue pour crier leur colère, sous forme d’émeutes, de saccages, d’incendies d’édifices publics, de barrages de routes, de séquestration de responsables, etc.

Ce mouvement de révolte généralisé et permanent, souvent violent, se caractérise fondamentalement par sa localisation, sa fragmentation et son isolement.

Aucun parti, association, syndicat ou regroupement professionnel ou culturel n’a pu ou su donner une quelconque cohérence d’ensemble à ces mouvements épars et encore moins leur tracer des perspectives émancipatrices générales et dans la durée.

Et le pouvoir autoritaire s’y attelle méthodiquement en isolant, atomisant et manipulant tout embryon, toute tentative voire velléité d’organisation autonome quelle qu’elle soit. Il peut à cet effet mobiliser sa toute puissante police politique (Département du Renseignement et de la Sécurité, DRS) pour infiltrer et/ou clientéliser tout regroupement en créant les divisions en son sein, en y encourageant les ambitions personnelles et susciter les suspicions à son encontre.

Et lorsqu’en écho au dit «printemps arabe», des coalitions hétéroclites de partis, de syndicats et d’associations diverses ont voulu organiser la contestation dans la rue, le pouvoir a très rapidement réagi pour circonscrire ces initiatives de crainte que les expériences tunisienne et égyptienne ne s’étendent à l’Algérie.

Sa riposte à tous les mouvements de contestation et de revendication socio-économique et politique se déploya dans trois directions.

  • Il mobilisa d’abord son impressionnante armada de services de sécurité divers. Les Algériens se sont, dans leur immense majorité, abstenu de manifester. Ils n’ont pas adhéré à ces initiatives par crainte d’une réédition des horreurs de la guerre civile et des affrontements fratricides que ladite «décennie noire»[[Le refus de l’alternance explique l’interruption du processus électoral, qui devait assurer la victoire aux islamistes lors des législatives de décembre 1991. L’Algérie va alors connaître une décennie de violences meurtrières, causant des centaines de milliers de morts, de disparus, des blessures physiques et psychologiques profondes, à ce jour encore béantes. Cet épisode traumatique de l’Algérie indépendante demeure à ce jour non éclairci et encore moins soldé en l’absence d’un véritable travail de vérité et de justice.]] a révélés.
  • Le pouvoir a aussi tenté de donner quelques signes d’ «ouverture politique» et de «desserrement» de l’étau policier. Il annonça à grande voix des réformes politiques devant «consolider la démocratie» en donnant un premier gage, l’abrogation de l’état d’urgence en vigueur depuis vingt ans [[Deux dispositions importantes sont cependant maintenues : le recours à l’armée « pour les infractions qualifiées d’actes terroristes ou subversifs » ; l’internement administratif est remplacé par la résidence surveillée fixée à trois mois par un juge d’instruction et renouvelable deux fois, Le Monde du 13/03/2011.]]. Les pressions et provocations policières s’atténuent: allègement des contrôles routiers; suspension des retraits de permis en cas d’infraction au code de la route; les vendeurs à la sauvette, encombrant trottoirs et rues des villes, ne sont plus pourchassés.
  • Enfin, à l’instar des autres pays pétroliers du Moyen-Orient [[Le Conseil de Coopération du Golfe débloque près de 15 milliards d’euros pour aider Oman et Bahreïn à surmonter leurs difficultés économiques et l’Arabie saoudite dépense 28 milliards d’euros dans des augmentations de traitements de fonctionnaires et dans la construction de logements, in Le Monde 15/03/2011.]], la manne des hydrocarbures va servir prioritairement à «calmer la rue, acheter la paix sociale». Une pratique, un réflexe systémique dans l’Algérie indépendante.

La rente pour « calmer la rue »

La hantise du pouvoir algérien de voir se propager l’onde de choc tunisienne lui fait craindre le pire. Les émeutes de janvier 2011 dans plusieurs villes algériennes le poussent à baisser les prix de certains produits de base et le maintien des subventions étatiques (2,6 milliards d’euros).

Les importations de produits alimentaires atteignent des records [[Pour l’année 2010 la facture alimentaire s’est élevée à près de 4,7 milliards d’euros, soit plus de 25% du total des importations.]].

L’obligation de régler par chèque toute transaction excédant 5000 euros est abandonnée. L’économie parallèle et l’évasion fiscale peuvent continuer à prospérer.

Des agents contractuels sont titularisés dans la fonction publique et plusieurs catégories de fonctionnaires bénéficient d’augmentations substantielles sans contrepartie productive. Les plus «chanceux» vont voir leurs traitements doubler voire tripler avec un effet rétroactif sur trois ans. Une dépense supplémentaire de 8,4 milliards d’euros qui fait exploser le déficit budgétaire: 3,9 % en 2010 et 33,9 % en 2011.

L’inflation, jusque là contenue, devrait augmenter dans des proportions encore imprévisibles [[Le ministre des finances témoigne à cet effet d’un déni de réalité et d’un aveuglement rares en tablant sur «une stérilisation d’une partie des revenus distribués». En clair, il s’attend à ce que les ménages algériens ne dépenseraient pas tous leurs revenus et seraient plus à même d’épargner (pour l’acquisition d’un logement). En fait, les dernières augmentations de salaires, tout aussi problématiques pour les finances publiques, ne font que rattraper, en partie, un faible pouvoir d’achat et que l’inflation attendue va encore une fois rogner]].

En direction des jeunes, l’Agence Nationale de Soutien à l’Emploi des Jeunes (ANSEJ) est chargée de réactiver le système de crédit. Entre Janvier et mai 2011, 15 000 crédits ont été octroyés dans des conditions plus qu’étranges. Selon El Watan du 10 juin 2011, un responsable militaire confirme ainsi l’emprise de la police politique sur toute la vie sociale en déclarant: «lorsqu’elle était semi-autonome, l’ANSEJ était beaucoup plus performante et opérationnelle, actuellement elle est un instrument du DRS». Concernant la nature des investissements, un responsable de l’ANSEJ affirme que: «rares sont les projets qui vont aboutir. La seule motivation des jeunes, c’est de décrocher le crédit bancaire et partir à l’étranger». Ainsi, des cas avérés de financement de Harga par l’ANSEJ sont rapportés, et les nouvelles conditions de prêt sont on ne peut plus dérisoires [[L’apport personnel exigé est de 1 % (au lieu de 5 auparavant) pour un montant ne dépassant pas cinquante milles euros et de 2 % (au lieu de 10) pour un montant allant jusqu’à cent milles euros.]]. Même l’intérêt de 1 % exigé du bénéficiaire est pris en charge par le Trésor public. Encore et toujours, tant que la rente pétrolière le permet.

El’allaa el’djazaïria العلة الجزائرية

La «rentisation» de l’économie [[La spécialisation de l’Algérie dans la production et l’exportation des hydrocarbures date de la fin de l’ère coloniale. Ce fut même l’un des points de désaccord profond entre le FLN et l’Etat français qui projetait de partitionner l’Algérie pour en garder le sud saharien qui recèle d’importantes ressources en hydrocarbures. La durée et la violence de la guerre de libération nationale n’est pas étrangère à cet élément.]] ne peut être appréhendé par le concept de dutch disease [[Ce concept traduit en français par le « syndrome hollandais » a été forgé dans les années soixante dix et fait référence aux difficultés rencontrées par l’économie hollandaise suite à la mise en exploitation dans les années soixante de ses gisements de gaz naturel : une conjoncture économique interne plutôt récessionniste (stagnation de la production industrielle, chute de l’investissement, hausse du chômage, etc.) ; des comptes extérieurs largement excédentaires (la Hollande profitant dans ce cas de la hausse des prix des hydrocarbures du milieu des années soixante dix).]] même si nous en retrouvons quelques uns de ses traits dans l’économie algérienne.

L’accroissement des recettes d’exportation va effectivement gonfler la demande interne alors que les capacités locales de production demeurent insuffisantes. Le processus inflationniste qui en découle altère moins la compétitivité externe des produits non pétroliers, quasi inexistants dans le cas algérien, que le pouvoir d’achat des ménages.

Le poids des hydrocarbures est impressionnant. La part des hydrocarbures (pétrole et gaz) dans le PIB algérien a été multipliée par 1,65 en douze ans (29 % en 1995, 47,9 % en 2007). La polarisation des exportations sur les hydrocarbures est sans commune mesure en Algérie. Ainsi, la part des hydrocarbures dans les exportations était de 69 % en 1970. Elle est aujourd’hui de 98 %. Même le Venezuela et l’Arabie saoudite sont en deçà.

L’industrie des hydrocarbures elle même agit comme une enclave et son rôle moteur sur le reste de l’économie est limité: les biens d’équipement du secteur sont importés et l’emploi qui y est créé est faible au vu des investissements mobilisés.

Les effets d’entraînement sur les autres secteurs sont réduits et leurs liens passent par le budget de l’Etat qu’alimente la rente. La fiscalité pétrolière atteint 78 % en 2006, contre 62 % en 2002, et autour de 12 %, seulement, dans les années 1960.

Et le prix du pétrole demeure la variable déterminante de la politique économique de l’Etat. Chaque année, le budget, le programme des importations, le volume des différentes subventions, etc., sont calculés en fonction de ce prix. Ses fluctuations, notamment quand elles sont à la baisse, peuvent provoquer de graves problèmes économiques et sociaux [[La stabilité sociopolitique dépend en fait moins des conditions internes, du rapport direct de l’Etat aux citoyens que du lien avec le marché pétrolier international. De la capacité de l’Etat à négocier une part toujours plus importante de la rente pétrolière. Et on aboutit à cette situation « inattendue » d’un Etat qui a fait de l’indépendance nationale, du nationalisme intransigeant une idéologie de combat, un modèle pour nombre de pays du Tiers-Monde, qui devient fortement dépendant de l’extérieur. Une situation contradictoire où l’Etat en voulant s’autonomiser par rapport à sa société devient de plus en plus dépendant et dominé dans le cadre du marché mondial.]].

Le contrôle et la gestion par l’Etat de ces revenus exogènes lui fait favoriser une économie basée sur leur redistribution plutôt qu’une économie productive avec toutes ses exigences et contradictions.

On est donc en présence d’une économie rentière dans laquelle les comportements des agents (individus et groupes) sont déterminés avant tout par le souci de s’approprier une partie de la rente.

La fonction économique centrale de l’Etat devient une fonction de redistribution de cette rente qui prend diverses formes selon les secteurs et agents: investissements, marchés publics, emploi, salaires, subventions aux entreprises et aux ménages, … etc.

Mais au-delà de l’économie c’est toute la société qui est affectée par le phénomène de rente. Lequel s’est développé dans un contexte socio-économique et politique particulier, une histoire singulière et une structuration sociale caractéristiques de l’Algérie contemporaine.

Et toutes les stratégies de développement initiées par les gouvernements algériens successifs, de même que les programmes d’ajustement structurel, dictés par le FMI au milieu des années 1990, n’ont fait que renforcer cette tendance [[A. Dahmani, L’Algérie à l’épreuve. Economie politique des réformes (1980-1997), Paris, L’Harmattan, 1999]].

C’est plutôt de العلة الجزائرية de tare algérienne dont il faut parler dans notre cas. Celle d’une configuration particulière de l’économie, de la société et de l’ensemble des rapports sociaux autour de la rente. Cette configuration, faut-il le souligner, a été un choix permanent de l’Etat algérien, plus précisément de son groupe dominant (armée et services de sécurité). Celui-ci privilégie un type d’intégration sociale financé par la rente plutôt que fondé sur le travail et la production.

S’établit alors un type de rapport singulier où l’État n’exige pas du citoyen-travailleur des devoirs mais ne lui reconnaît pas de droits: une sorte de «contrat» tacite, où l’absence d’efforts dans le travail et la production a pour contrepartie l’abstention de toute revendication sociale et politique. Une singulière «servitude volontaire».

L’accès à la rente, l’inscription dans ses réseaux et ses circuits deviennent les préoccupations essentielles des différents agents économiques et sociaux. De nouvelles valeurs sociales imprègnent les fonctions d’investissement, de production et de consommation. La croyance en une croissance sans limites, l’illusion d’une prospérité renouvelée grâce au pétrole, sont tenaces. Le gaspillage et l’apparat deviennent les normes dominantes. L’esprit de création, les capacités d’innovation sont découragées. La culture de la rente s’impose à l’ensemble du corps social: perte du sens de l’effort, mépris du travail, développement de l’esprit de jouissance et de consommation. L’esprit civique s’estompe et la corruption se généralise. Elle atteint un niveau jamais connu auparavant comme lors de cette dernière décennie.

Vers la rupture avec l’esprit rentier ?

Durant les années 2000, l’Algérie dispose de ressources financières considérables suite au renchérissement des prix du pétrole. Plus de trois cents milliards d’euros sont engrangés durant cette période [[Elle profitera au nouveau pouvoir présidé par A. Bouteflika, un des piliers du régime des années soixante et soixante-dix. Coopté par les principaux cercles de décision de l’armée et des services de sécurité, il est seul candidat à la présidentielle d’avril 1999, et bien sûr élu. Aujourd’hui, il en est à son troisième mandat après avoir fait modifier la Constitution qui, à l’origine, limitait l’exercice à deux mandats.]]. Cette manne financière d’origine rentière sert à apurer la dette extérieure qui se réduit à 2,2 % du PIB en 2011 selon la Banque mondiale. L’Etat finance trois plans de développement depuis 1999, dont le dernier en date (2010-2014) s’évalue à 220 milliards d’euros. De grands chantiers d’infrastructures sont en cours de réalisation ou de finition. Enfin l’Algérie dispose de réserves de change estimées à cent trente milliards d’euros en 2010 et d’un fonds de régulation des recettes de plus de cinquante milliards d’euros à fin septembre 2011.

Ce tableau contraste dangereusement avec la situation économique et sociale. L’horizon économique demeure assombri. Les programmes qui mobilisent des sommes colossales n’obéissent à aucune stratégie lisible. Ils se limitent à une série de projets avec leurs dotations budgétaires. L’opacité est la règle aussi bien sur les choix effectués, que sur les partenaires extérieurs sollicités. L’Algérie cumule les dépendances externes de toutes natures. Les chantiers d’infrastructures et de logement sont confiés à des entreprises étrangères (asiatiques, turques, égyptiennes, etc.), qui recrutent une partie de leur main d’œuvre dans leur pays d’origine. Le sous-développement agricole rend impérative l’importation de plus des deux tiers des besoins alimentaires. Et comme l’imaginaire et les pratiques du pouvoir sont déterminés par le présent, par l’instant, celui-ci se soucie peu du futur et des générations à venir.

Rappelons que l’Algérie dispose de 1 % des réserves mondiales en pétrole d’une durée de vie d’environ 17 ans et de 2,4 % des réserves en gaz pour encore 52 ans. En clair, et à moins de nouvelles découvertes, d’une amélioration des techniques de récupération des réserves prouvées [[Pour les spécialistes en hydrocarbures, la notion de réserves renvoie à la quantité d’hydrocarbures récupérable aux conditions technologiques et économiques d’aujourd’hui.]] et au rythme actuel de sa production, de ses exportations et d’une stabilisation de sa demande interne, l’Algérie serait vidée de son pétrole à échéance 2030 et de son gaz vers 2060.

Au niveau social les inégalités sociales ne cessent de croitre affectant gravement les catégories populaires.

Près de 40 % des ménages ne disposent pas du seuil minimum (trois cent cinquante euros mensuels) pour vivre modestement.

Le chômage est estimé à 10 % alors que les rues algériennes sont bondées de jeunes vivants du «commerce informel», quand ils ne passent pas leurs journées dans l’oisiveté et l’ennui, sans espaces de loisirs ou de détente.

Le logement est inaccessible pour la plupart des Algériens qui voient se multiplier les programmes de construction sans que la crise s’atténue.

Des situations de plus en plus intenables pour une société qui a connu des mutations économiques et socioculturelles profondes ces trois dernières décennies.

Le pouvoir qui n’a plus de projet comme pouvait le prétendre celui des années soixante et soixante-dix semble ignorer que le contexte national comme international a profondément changé.

La population algérienne a doublé en trente ans: trente-six millions aujourd’hui, majoritairement jeunes, instruits et très urbanisés.

L’espace public n’est plus réservé aux seuls hommes; la proportion des jeunes filles dans les universités est au moins égale à celle des garçons, l’emploi féminin a beaucoup progressé.

Même s’ils sont moins imprégnés que les Tunisiens ou les Egyptiens par la révolution informationnelle en cours [[A. Dahmani, «Economie politique de l’Internet au Maghreb», in “La démocratie à l’épreuve de la société numérique”, Karthala, 2007.]], les Algériens sont à l’écoute du monde et leurs besoins se sont accrus et complexifiés sans qu’ils arrivent à les satisfaire.

Ils supportent de moins en moins de vivre dans une société de frustrations multiples et de toutes natures alors que la prédation et la corruption, naguère contenues ou limitées, prennent des proportions démesurées. Leur «regard de luxure et d’envie» [[L’analyse de F. Fanon à propos du «regard du colonisé [qui] jette sur la ville du colon (est) un regard de luxure, un regard d’envie » nous parait d’une triste actualité, in “Les damnés de la terre”, Maspero, 1961.]] pourrait s’atténuer car ils sont de plus en plus choqués par l’avidité et la rapacité des nouveaux riches dans l’étalage indécent de fortunes mal acquises à l’ombre d’un pouvoir autoritaire et illégitime.

Dans leur désunion et fragmentation, un axe semble rallier les divers mouvements de contestation en Algérie, leur rejet grandissant de la hogra, cette expression algérienne désignant un mélange d’injustice et de mépris caractéristiques du pouvoir. Ces révoltes semblent mettre à mal un compromis social échafaudé autour de la rente. Iront-elles jusqu’à remettre en cause le système rentier, corrompu et corrupteur ? Et l’Algérien rompre avec sa «servitude volontaire» en «euthanasiant» le rentier qui est en soi pour reprendre l’expression chère à Keynes?

Ce sont, aujourd’hui, des enjeux essentiels en Algérie.

Ahmed Dahmani