LARRY PORTIS: QU’EST-CE QUE LE FASCISME?

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au site

par Michel Peyret

25 avril 2012

« Quant à moi, je propose une définition simple et «générique» comme point de départ: le fascisme est un mode de contrôle politique autoritaire et totalitaire qui émerge dans les sociétés industrielles capitalistes en réponse à une crise économique.»

Entretien avec Larry Portis :

« Qu’est-ce que le fascisme ? »

Larry Portis, ancien professeur à l’université de Montpellier, étasunien et auteur de plusieurs ouvrages d’histoire sur le syndicalisme et le fascisme, publie en décembre “Qu’est-ce que le fascisme?” aux éditions Alternative libertaire.

Il nous explique ses motivations et les idées clés de l’ouvrage.

Larry, après un premier livre intitulé Histoire du fascisme aux Etats-Unis, tu en proposes un deuxième sur la question, mais en situant plus largement le sujet. Pourquoi cette nouvelle exploration?

Larry Portis : Je m’intéresse à l’extrême droite depuis que j’ai commencé à me préoccuper sérieusement de politique, il y a 45 ans.

La raison principale: j’ai vécu une grande partie de mon enfance dans le Montana aux Etats-Unis où la pensée et les organisations d’extrême droite sont très présentes. De fait, mes premiers articles dans l’hebdomadaire de l’université concernaient le financement par de grands groupes de ces mouvances.

Anecdote amusante: ces articles m’ont valu la visite d’un lobbyiste envoyé par l’un des groupes mis en cause. Mais, pour l’avoir éconduit, j’ai retrouvé le pare brise de ma voiture mystérieusement pulvérisé!

Au delà des raisons personnelles, mon but est de montrer que le jeu des partis politiques est en grande partie un écran de fumée dissimulant les influences occultes et la violence permanente contre toute instauration d’une démocratie participative directe.

Enquêter sur le fascisme mène forcément dans les coulisses de la scène politique, d’habitude invisible au grand nombre.

J’ai fait ce deuxième livre sur le fascisme pour deux raisons.

  • Tout d’abord : je pense qu’on vit un moment où les idées et les mouvements fascisants ressurgissent dans le monde capitaliste et en conséquence, qu’il faut en parler et se préparer à les combattre, et les présenter d’une manière claire, débarrassée de certaines élucubrations universitaires ou autres.
  • Deuxièmement, et puisque mon premier livre n’abordait pas d’une manière soutenue la question de la définition de fascisme, j’ai pensé qu’il fallait le faire. Je vois beaucoup de confusion sur la question, autant chez les militants progressistes que dans la population générale.

Tu demandes: « Qu’est-ce que le fascisme ». Quelles difficultés pour y répondre?

Larry Portis : La première est qu’il s’agit d’un mot contesté dès ses origines. Comme d’autres mots en isme – «socialisme», «populisme» – celui de «fascisme» désigne un phénomène complexe touchant à toutes les dimensions de la vie sociétale contemporaine. Ils aident à identifier les processus qui structurent notre vie personnelle et notre devenir collectif.

Mais s’ils sont essentiels, les mots sont toujours défaillants. «Fascisme» fait appel à l’imagination analytique tout en démystifiant un processus existant dans la réalité, processus historiquement situé dont les significations s’ancrent dans des idéologies.

L’autre difficulté est que le mot « fascisme » est réifié, c’est-à-dire que le mot devient un objet représentant une réalité en soi, un peu comme «classe sociale». Alors, comment continuer de l’utiliser tout en maintenant un minimum de rigueur conceptuelle?

Enfin: la vulgarisation du terme. On appelle trop souvent «fasciste» une manifestation de violence ou d’autorité quelconque. Oui, le fascisme use de violence, mais toutes les manifestations de violence ne sont pas proprement «fascistes». L’intervention politique exige une plus grande clarté d’expression. Sinon on ne peut pas espérer changer les choses.

À te lire, il ressort qu’il y a un véritable enjeu à définir avec précision le fascisme. Pourquoi ça? Et laquelle retiens-tu au final?

Larry Portis : Oui. L’enjeu est de taille parce que les idéologues capitalistes s’attachent à nier l’existence du fascisme, ou à en rejeter la responsabilité sur les victimes. Il est souvent avancé qu’en France ou aux Etats-Unis par exemple, un véritable fascisme n’a jamais existé, que le phénomène est spécifique à l’Italie de l’entre-deux guerres, ou que le nazisme n’était pas un «vrai» fascisme! On fait aussi l’amalgame entre stalinisme et fascisme.

Or, il est faux de dire que les phénomènes sont identiques, ce qui serait fausser notre compréhension des dérives proprement socialistes. En disant qu’il n’y a pas de différence entre fascismes «brun» et «rouge», on n’est pas loin de dire que le fascisme a été enfanté par les révolutionnaires libertaires. Et c’est ce que dit un idéologue notoire dont les livres sont vendus dans les librairies libertaires!

Quant à moi, je propose une définition simple et «générique» comme point de départ: le fascisme est un mode de contrôle politique autoritaire et totalitaire qui émerge dans les sociétés industrielles capitalistes en réponse à une crise économique. Il existe comme idée et mouvement, et non seulement comme régime politique.

Phénomène social à la fois simple et complexe, il faut en accepter l’ambiguïté pour en comprendre la dialectique.

Peux-tu préciser pourquoi le rapport fascisme-capitalisme est si étroit?

Larry Portis : Le lien est direct entre, d’une part, le système de représentation politique développé avec l’émergence du capitalisme industriel et d’autre part, le fascisme.

Une certaine forme de liberté est au cœur du capitalisme: libre concurrence, mouvements libres des biens, des ressources, du capital et de la propriété, sont essentiels à son fonctionnement.

Parallèlement, le système politique qui sert à arbitrer entre les différents intérêts capitalistes est la démocratie représentative. Mais puisque ce système de production est aussi fondé sur l’exploitation, le système de représentation permet aux dominants, via les communications de masse et les institutions éducatives, de manipuler et contrôler l’apparence d’une égalité civique.

Il y a pourtant des moments où la production capitaliste entre en crise et ne peut plus subvenir aux besoins du plus grand nombre. C’est le moment où le système des institutions politiques devient dangereux, et si la masse des travailleurs devient trop exigeante et incontrôlable, des moyens exceptionnels de contrôle – autoritaires et totalitaires – sont appliqués.

Les idées, les appareils politiques et leurs personnels sont toujours prêts, en attente, et soutenus par des possédants soucieux de garder leurs privilèges et leur pouvoir. C’est ainsi que le fascisme existe à l’état latent, ou larvé, à l’intérieur même des institutions politiques libérales, dites démocratiques.

Pour toi, racisme d’état, dérive autoritaire et sécuritaire ne suffisent pas pour parler de fascisme « réel ». Quelle est la situation aujourd’hui?

Larry Portis : Le racisme est une idéologie qui a ces origines dans l’essor du capitalisme commercial moderne impulsé par les conquêtes européennes des XVe et XVIe siècles. La notion de races conçues comme espèces humaines biologiquement inégales, a émergé pour justifier la domination et l’exploitation des «inférieurs». Que cette idée persiste pendant l’ère industrielle et même « post-industrielle » n’est pas particulièrement étonnante.

Si dans la plupart des « démocraties » libérales, la discrimination implicite dans l’idée de «race» n’est pas acceptée formellement par les institutions, elle reste utile pour stigmatiser une partie de la population et mobiliser les autres. Diviser pour renier, créer des boucs émissaires en temps de «crise», autant des pratiques employées depuis toujours par patrons et politiques.

Les fascistes pousseront la logique jusqu’au bout. Il y a de nos jours en France une «xénophobie d’État» s’appuyant sur des sous-entendus racistes sans pour autant affirmer de thèses racistes.

Mais les conditions se réunissent pour favoriser l’acceptation des attitudes et des idées exploitables par le fascisme.

Si, comme je le pense, nous n’en sommes qu’au début d’une crise économique et politique capitaliste, il faut se préparer à lutter contre un renouveau du fascisme sous toutes ses formes.

Propos recueillis par Cuervo AL95

Larry Portis est notamment l’auteur de

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  • “Les Classes sociales en France. Un débat inachevé” (1988);
  • “IWW. Le syndicalisme révolutionnaire aux États-Unis” (2003);
  • “La Canaille ! Histoire sociale de la chanson française” (2004);
  • “Histoire du fascisme aux Etats-Unis” (2008).

Larry Portis,

“Qu’est-ce que le Fascisme?”

édition Alternative libertaire

9 euros

120 pages.


LE PREMIER MAI D’UN LÉGENDAIRE VÉTÉRAN SYNDICAL « AMMI MESSAOUD » BELMADANI

C’est un belle et tonifiante nouvelle que nous annoncent pour ce premier mai les invitations de la « Moubadara du 24 février » et le blog « Algerie.infos-saoudi », avec la projection du film de Liazid Khodja consacré au vétéran syndical Messaoud BELMADANI, « Ammi Messaoud » comme continuent à l’appeler avec affection et respect ses collègues de travail et ses camarades militants.

Ce n’est pas seulement rendre hommage ainsi à la longue vie d’abnégation d’une figure légendaire des cheminots algériens, consacrée à la libération nationale et sociale, à travers sacrifices, emprisonnements et mode de vie exemplaire par son honnêteté et son désintéressement.

C’est également faire connaître aux jeunes générations, assoiffées d’espoir et d’action efficace et organisée, un mode de militantisme qui conjugue deux valeurs essentielles, précieuses pour les luttes nationales et sociales actuelles et à venir des travailleurs et des courants populaires et patriotiques: un esprit de classe ferme et réfléchi, en même temps qu’un style de travail flexible et intelligent, enraciné dans le lien vivant avec ses concitoyens et leur écoute quotidienne. Tout le contraire de la caricature qu’on fait quelquefois du militant dogmatique et dirigiste.

Cher Ammi Messaoud, père tranquille de la militance syndicale, les jeunes en quête de luttes vigoureuses et pacifiques, méditeront et honoreront ton parcours exemplaire et ses enseignements!

Le 1er Mai de Ammi Messaoud

Blog de « algerie.infos-saoudi »

http://www.algerieinfos-saoudi.com/article-le-1er-mai-de-ammi-messaoud-104272856.html

Après l’indépendance et jusqu’à sa retraite, Messaoud Belmadani a formé année après année, dans les ateliers des Chemins de fer du Hamma, un grand nombre d’ajusteurs et de tourneurs qui venaient profiter de son savoir faire, acquis auprès des ouvriers français lorsqu’il avait émigré en Europe, venant de ses hauts plateaux sétifiens.

C’était un personnage dans les ateliers! Il n’avait pas peur qu’on lui vole le métier. Il a formé des dizaines d’ouvriers qualifiés, mais aussi de nombreux militants syndicaux, des membres du Pca puis du Pags.

Pendant la clandestinité, il avait conçu une méthode de recrutement et de suivi des adhérents qui lui était propre et que nous avions avalisée à la fédération d’Alger du Pags.

Ses exigences étaient draconiennes (et prémonitoires): pas de fiche d’adhésion ni aucun document écrit concernant ses recrues, qui ne doivent être suivies par personne d’autre que lui, le secrétariat de la fédération ne devant connaître que leur pseudonymes!

Moubadara 24 février ne pouvait pas faire un meilleur choix pour symboliser à l’occasion du 1er mai 2012, la continuité des luttes de la classe ouvrière algérienne.

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LA MOUDJAHIDA ANNIE FIORIO-STEINER. UNE VIE POUR L’ ALGÉRIE


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[LA MOUDJAHIDA ANNIE FIORIO-STEINER – UNE VIE POUR L’ ALGÉRIE
– Extraits du livre de de Hafida AMEYAR.->#1]


[HOMMAGE DE ANNIE STEINER – ANCIENNE ÉLÈVE DU LYCÉE DE BLIDA –
AU PROFESSEUR HADJ SADOK – POUR SON ENSEIGNEMENT
– Témoignage de Annie Steiner.->#2]


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LA MOUDJAHIDA ANNIE FIORIO-STEINER.

UNE VIE POUR L’ ALGÉRIE

de Hafida AMEYAR

Extraits

choisis par l’auteur Hafida Ameyar

du livre

“La Moudjahida Annie Fiorio-Steiner. Une vie pour l’Algérie”

Annie-Virginie-Blanche Fiorio est née le 7 février 1928 à Hadjout, wilaya de Tipasa. Elle est mère de deux filles : Edith, 58 ans, et Ida, 56 ans. En novembre 1954, elle travaillait aux Centres sociaux d’Alger ; elle ne militait dans aucun parti politique ni association. Pourtant, elle applaudit pour l’Algérie algérienne et voulut s’engager au FLN.

“Le 1er Novembre 1954 a été comme un coup de tonnerre dans le ciel de l’Algérie. Un coup de tonnerre dans un ciel apparemment serein. En tout cas, pour moi, c’était un coup de tonnerre. (émotion). Ce jour-là, j’étais à la maison. Il y avait mon mari, deux amis et moi. Spontanément, j’ai applaudi. Mon mari et Roland Simounet, un architecte originaire de Aïn Benian, ont souri. Mais l’autre invité a mal réagi et m’a dit : “Tu applaudis à des assassins ?” Je lui ai répondu : “Oui”. Je ne l’ai plus revu, mais nous sommes restés en bons termes avec Roland. (…) Donc, l’histoire se mettait en marche ; c’était le moment d’agir en Algérie. C’est pour tout cela que j’ai applaudi et j’ai tout de suite cherché le contact avec le FLN.” (pp.26 et 27)

“Le FLN était un Front très ouvert à toutes les tendances et avait compris qu’il fallait réaliser l’unité. Plus tard, l’UDMA de Ferhat Abbas, des communistes et des messalistes ont rallié le FLN, mais rares malheureusement sont les gens d’origine européenne qui ont intégré la Révolution. Il y a eu aussi les Oulémas de Ben Badis qui ont rejoint le FLN.” (p. 29)

“J’ai décidé de m’exprimer pour lutter contre l’oubli. Je parle aujourd’hui parce que les moudjahidine et les moudjahidate disparaissent les uns après les autres et parce que j’ai vu aussi comment on traite les vrais moudjahidine, comment on les méprise. J’ai donc décidé de parler, pour laisser quelques traces. (…) Je m’exprime aujourd’hui pour briser le silence et parler avant tout de celles qui sont mortes.” (pp. 31 et 32)

“J’étais agent de liaison. (…) J’avais une voiture et je pouvais me déplacer facilement. Je portais des plis sans jamais les ouvrir, bien sûr. (…) J’ai eu d’autres activités, par exemple transporter des couffins… (…). J’ai travaillé pour un laboratoire de fabrication de bombes et c’était Daniel Timsit qui s’occupait de ce laboratoire. Personnellement je ne suis jamais allée au laboratoire, mais Hassiba Ben Bouali et Boualem Oussedik y travaillaient.” (p. 38) “À Barberousse, la première exécution que j’ai « entendue », parce qu’on ne voyait pas, mais on entendait, c’est celle de Fernand Iveton, avec Mohamed Ouennouri et Mohamed Lakhnèche. Ils étaient trois. Les deux étaient des jeunes et Iveton avait 30 ans. (…)Chaque année, nous commémorons l’exécution de Fernand Iveton. Nous sommes très nombreux au cimetière. C’est bien, mais nous oublions les deux autres, Mohamed Ouennouri et Mohamed Lakhnèche. Et je dis : « Non, ils étaient trois, ne séparons pas ceux que la mort a unis. »” (p. 59)

“À Barberousse, nous faisions une grève de la faim, après l’exécution d’un militant. Dans les autres prisons, nous avions entrepris plusieurs actions et fait également des grèves de la faim, pour être respectées, pour améliorer les conditions au parloir et dans la prison en général. Nous avions également fait du cachot… Dans la prison, nous avions continué la lutte de l’extérieur, nous avions transposé notre combat dans la prison. (Emotion)” (p. 80) “La Révolution a été profonde, parce que c’est la base qui l’a faite. Mais, cette base vous dira qu’elle n’a fait que son devoir. La Révolution a été aussi profonde, parce qu’elle n’était pas seulement une guerre d’indépendance, comme certains le disent. Notre guerre de Libération nationale a modifié des rapports sociaux, à l’échelle nationale. Elle a agi en ce qui concerne la condition de la femme. Je parle, par exemple, des jeunes filles qui ont rejoint le maquis et quitté la maison familiale, en laissant derrière elles un mot pour leur famille. Les parents qui n’ont pas trouvé de mot ont dû recevoir une lettre ou avoir de leurs nouvelles plus tard. Cette façon de faire était toute nouvelle. De plus, les jeunes filles et les femmes sont parties, sans avoir demandé l’avis du père, du frère ou de quelqu’un d’autre. Tout cela était nouveau.” (pp. 93 et 94)

“Ce qu’a dit Yacef Saâdi est honteux, mais cela ne m’a pas étonné, parce que depuis l’indépendance, il ne parle qu’en tant que chef unique de la Zone autonome d’Alger. Certes, il a été chef, mais beaucoup de responsables de la Zone autonome d’Alger ont été arrêtés et condamnés à mort. Bouchafa et Fettal ont été arrêtés en 1956 et condamnés à mort. Il y a eu également Ben M’hidi, qui est mort en mars 1957 avec beaucoup de courage et de dignité… Je n’ai jamais entendu Yacef, dans les documentaires qu’on nous a passés, citer des chouhada, alors qu’ils ont été très nombreux pendant la « Bataille d’Alger ». Je lui reproche de n’avoir pas parlé de tous les torturés, de tous ces moudjahidine qui sont morts chouhada. Ensuite, il s’est attaqué à Louisette. C’est facile de s’attaquer à la famille Ighilahriz, que j’ai bien connue. Cette polémique, qui se déchaîne maintenant, m’a parue un peu bizarre et je me pose des questions…” (pp. 121 et 122)

“Je m’interroge beaucoup sur les problèmes de la jeunesse. Bien que la jeunesse soit devenue un problème à la mode, je trouve qu’on ne parle pas assez correctement des jeunes. Il y a de tout dans la jeunesse, comme chez les femmes et chez les hommes. (…) Il y a trop de jeunes qui n’ont pas à quoi s’accrocher : ils n’ont rien, ni repères ni valeurs qu’ils auraient dû recevoir de leurs parents et de l’école. Concernant les jeunes harragas, leur cas est très discuté, mais ils ne viennent jamais nous demander d’intervenir pour obtenir un visa. Ils vont mourir dans la mer, alors qu’ils aiment tellement la vie. (…) Les jeunes ont besoin qu’on les respecte et qu’on ne les traite pas à la légère. (Colère)”(p. 125)

“De quel nationalisme parlez-vous ? Il y a plusieurs types de nationalisme… Si c’est le nationalisme pendant la guerre de Libération nationale, oui j’étais nationaliste. Si c’est le nationalisme pour les petites gens, les déshérités, oui je suis encore nationaliste. Mais, si c’est le nationalisme pour les nantis, pour livrer l’Algérie aux prédateurs, non je ne suis plus nationaliste. Où est l’idée de nation dans cette précipitation affolée, dans ce bric-à-brac destructeur ? (Emotion).”(pp. 130 et 131)
“J’ai d’abord aimé les animaux, ensuite les hommes et les femmes, qui étaient sous mes yeux, c’est-à-dire les pieds-noirs. Puis, j’ai compris qu’il y avait la masse des Algériens, des spoliés, des déshérités. C’étaient eux qui méritaient que je les aime totalement.” (p. 141)

“Je n’ai pas fait cinq années de prison et perdu mes enfants, pour voir l’Algérie pillée comme au temps du colonialisme, pour que Monsieur Mohamed remplace Monsieur Pierre. Il me semble évident que bientôt, tous ces prédateurs avides et sans scrupules, pour qui les textes juridiques ne sont que du papier, auront en face d’eux des jeunes et des moins jeunes qui leur demanderont des comptes.” (p. 146)

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La Moudjahida Annie Fiorio-Steiner. Une vie pour l’Algérie”, de Hafida Ameyar, 190 pages, livre édité par l’association Les Amis de Abdelhamid Benzine, septembre 2011

Sources: Réseau des Démocrates, le 29 septembre 2011

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HOMMAGE DE ANNIE STEINER

ANCIENNE ÉLÈVE DU LYCÉE DE BLIDA

AU PROFESSEUR HADJ SADOK

SON ENSEIGNANT

J’ai connu le professeur Hadj Sadok au lycée ex-Duveyrier, à Blida, où je faisais mes études secondaires pendant la seconde guerre mondiale. Lycée de garçons à l’origine, il était devenu mixte après le débarquement des américains qui s’étaient installés à l’établissement de jeunes filles.

Excellent pédagogue qui savait nous communiquer son amour de la langue arabe, enseignant par vocation, Si L’Hadj m’a donné de solides bases dans cette langue que j’avais choisie pour le baccalauréat avec le latin.

Outre ses cours de grammaire d’une grande clarté, cours qu’il avait élaborés lui-même en partant, sans doute, de plusieurs ouvrages, il nous avait appris tous les modes de versification de la poésie arabe pour former notre oreille aux rythmes et ondulations de cette poésie.
Et j’ai encore en mémoire un poème de Tounadhir El Khansa appris par cœur il y a plus de 60 ans.

Bâtiment cossu où Si L’Hadj a formé des générations de lycéens, le lycée se situait entre le jardin Bizot et la place d’armes avec son kiosque à musique, la librairie-papeterie Mauguin très bien achalandée en fournitures scolaires (elle existe toujours), et, sur un côté dans une petite rue, des calèches à chevaux pour des promenades désuètes et agréables. Un peu plus bas se situait le Bois sacré, avec son marabout et ses oliviers, près duquel habitait la famille Hadj Sadok. J’ai pris des cours dans cette demeure pendant l’été qui a précédé mon entrée au lycée car, venant de Sidi Bel Abbès où je n’avais fait qu’un an d’arabe parlé, j’avais besoin d’une mise à niveau, ce dont Si L’Hadj a bien voulu se charger.

Et je me souviens que Madame Hadj Sadok m’apportait des pâtisseries faites par elle-même, ce qui soutenait mon attention d’une façon bien agréable. J’habitais alors un peu plus haut, l’ex-avenue de la Marne, chez ma tante et mon oncle qui m’avaient accueillie à la mort de mon père.

J’ai revu ce lycée l’année dernière ; il est mixte et bien entretenu. Une plaque en marbre, fixée dans l’entrée, donne la liste des martyrs anciens élèves du lycée ; parmi eux Abane Ramdane, Ali Boumendjel et tant d’autres, élèves de Si L’Hadj.

Dans ma classe nous n’étions que trois européens (Champier, Melle Ripoll qui étaient à côté de moi, et moi-même) et trois algériens (les deux fils du docteur Bachir, Hassen et Aladin, et leur cousin Abdellouhab) : les quatre garçons étaient à droite de l’allée, Melle Ripoll et moi-même étions à gauche de l’allée. Et pendant le cours, Si L’Hadj marchait dans la salle sans nous quitter des yeux afin que notre attention ne se relâche pas : personne ne pouvait tromper sa vigilance !

Ses cours, soigneusement préparés, étaient un modèle de rigueur et de clarté dans leur agencement et leur progression : énoncés, tableaux, règles de grammaire, tout était bien ordonné pour faciliter notre compréhension. Et pour la prononciation de ces sons nouveaux pour moi, de ces lettres dont il fallait restituer les nuances et l’emphase, sa patience était sans limite, sa rigueur était sans pitié. Il aimait et encourageait ceux qui travaillaient ; pour les autres il fallait qu’ils suivent. Je ne pensais pas, à l’époque, à quel point son enseignement me serait indispensable et bénéfique après 1962 où l’arabe est devenu langue officielle.

Merci, Si L’Hadj, de m’avoir donné les bases et l’amour de cette belle langue, et, puisqu’il m’arrive de la malmener régulièrement, je ne peux que vous dire: « pardonnez-moi, cher Maître; Vous avez toute la reconnaissance, sincère et fidèle, d’une de vos anciennes lycéennes, Melle FIORIO».

Annie Steiner

Alger

le 15 mai 2005

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1er MAI – ALGER: FILM HOMMAGE AU VÉTÉRAN SYNDICALISTE MESSAOUD BELMADANI

À L’OCCASION DU 1er mai

journée mondiale de lutte des travailleurs
contre l’exploitation

LA MOUBADARA 24 FÉVRIER

VOUS INVITE À

UNE PROJECTION- DÉBAT DU FILM

« ÉMANCIPATION SOCIALE ET LIBÉRATION NATIONALE »

DE LIAZID KHODJA

UN HOMMAGE AU MILITANT ET SYNDICALISTE MESSAOUD BELMADANI

LE MARDI 1er MAI à 14H

À ALGER

AU CENTRE DE RESSOURCES

RUE ADER

(PRÈS DE LA CINÉMATIQUE RUE LARBI BEN M’HIDI)

SOYEZ NOMBREUSES ET NOMBREUX


L’IRAN à l’Université Populaire (IREMMO), samedi 5 mai

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Université populaire Méditerranée & Moyen Orient

Samedi 5 mai 2012

Où en est l’Iran ?

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Séance 1 : 10h30-12h30

“Les sources idéologiques de la révolution iranienne”

avec Yann Richard

Professeur émérite d’études iraniennes – Sorbonne nouvelle


Séance 2 : 14h-16h

“L’Iran dans la géopolitique du Moyen-Orient”

avec Thierry Coville de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS).


Séance 3 : 16h15-18h15

“Où en est la société iranienne ?”

avec Azadeh Kian

Professeur de sociologie Université Paris 7 – Diderot

En savoir plus


Lieu :

iReMMO – 5, rue Basse des Carmes – 75005 Paris

Métro : Maubert-Mutualité


Renseignements, tarifs et inscriptions :

20 € (12 € pour les étudiants et demandeurs d’emploi)

universite-populaire@iremmo.org / 01-43-29-05-65 / www.iremmo.org


LA BATAILLE DE SYRIE ET LES « ARABES DE SERVICE », à la « BASMA KODMANI ET AHMED CHALABI »

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Ci dessous un extrait qui conclut un article fortement documenté sur l’entreprise néocolonialiste et sioniste de débauchage de certains « intellectuels » arabes coupés de leur société.

La controverse à propos de Basma Kodmani

René Naba

Mardi 17 Avril 2012

«La liberté d’information est un leurre, si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce n’est pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat» Hanna Arendt.

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En hommage à Sadeq Jalal Al Azm, pionnier de la contestation syrienne [[1- Sadeq Jalal Al Azm, un personnage considérable de la pensée politique arabe contemporaine, est l’auteur de trois ouvrages qui ont fait date: «Nakd al Fikr ad Dini (Critique de la pensée religieuse) Edition «Dar At-Tali’a» -Beyrouth, «Nakd al Fikr Ba’ada al Hazima (Critique de la pensée après la défaite» de 1967 et «Zihniyat At Tahrim «La mentalité du tabou». Professeur de philosophie à l’Université américaine de Beyrouth, il sera convoqué à Damas pour y être jugé à la suite de la publication de son premier ouvrage «Critique de la pensée religieuse». Il sera relâché faute de preuves substantielles. Il sera par la suite professeur à l’Université de Princeton (Etats-Unis), dans la décennie 1970, avant de revenir à Damas pour y enseigner la philosophie européenne moderne et ses rapports avec l’Islam. Il est titulaire du Prix Erasmus, du Prix Léopold Lucas de l’Université de Tübingen (section théologie) et Docteur Honoris Causa de l’université de Hambourg. Ryad Al-Turk, secrétaire général du parti communiste syrien, a fait plusieurs séjours en prison. C’est le doyen des opposants politiques syriens]]

…/…

…Une présentation unilatérale des faits peut prêter à équivoque. S’il est vrai qu’ «en Syrie la propagande est en vigueur à longueur de commentaires», ainsi que le souligne à juste titre Le Monde, en date du 24 février 2012, il est non moins vrai que l’échafaudage médiatique occidental sophistiqué s’apparente, par moments, à une entreprise de manipulation de l’opinion.

Le journal de référence de la presse française aurait ainsi été plus avisé de mentionner en complément de son information, les turpitudes du camp adverse, notamment les nombreuses interceptions de livraisons d’armes opérées au Liban dans les zones sous contrôle du clan Hariri, la mise en place d’une plateforme opérationnelle de la DGST au nord Liban, au mépris du principe de la souveraineté libanaise, ou encore la réunion parallèle des barbouzards de l’Otan, en marge de la réunion «des amis de la Syrie» à Tunis, le 28 février dernier, en vue de fomenter un coup d’état à Damas.
Réédition d’un scénario éculé, le dispositif en vigueur à l’encontre de la Syrie est identique à celui mis en place à propos de l’Irak, justifiant une fois de plus le constat de Pierre Bourdieu sur «la circulation circulaire de l’information», tant au Qatar, à travers Al Jazira, qu’en France, via le quotidien Libération.

Ainsi Ahmad Ibrahim Hilal, responsable de l’information sur la chaîne transfrontière qatariote, agit depuis les combats de Syrie, il y a un an, en couple et en boucle avec son propre frère Anas Al Abda, proche du courant islamiste syrien et membre du CNT, au diapason du tandem parisien formé par Basma Kodmani, porte-parole du CNT et sa sœur Hala Kodmani, animatrice du cellule oppositionnelle syrienne à Paris et chargée de la chronique Syrie au quotidien français Libération dans une fâcheuse confusion des genres [[3-Ancienne collaboratrice du délégué de la Ligue arabe à Paris, puis de l’Organisation de la Francophonie, responsable de la rédaction arabe de France 24, Hala Kodmani anime depuis Mai 2011 une structure oppositionnelle à Paris, l’association «Sourya Houryia» (Syrie Liberté), poste qu’elle cumule avec ses fonctions journalistiques à Libération.]] .

Cette proximité pose le problème de la conformité déontologique de l’attelage. Amplifié en France au niveau arabophone par Radio Orient, la radio du chef de l’opposition libanaise, Saad Hariri, partie prenante au conflit de Syrie, du jamais vu dans les annales de la communication internationale, ce dispositif frappe de caducité le discours médiatique occidental au même titre que le discours officiel syrien, en ce qu’il est obéré par «le syndrome Ahmad Chalabi».

Un Syndrome du nom de ce transfuge irakien qui avait alimenté la presse américaine des informations fallacieuses sur l’arsenal irakien, via sa nièce journaliste en poste dans l’une des principautés du golfe, implosant la crédibilité de l’employeur de la journaliste vedette du New York Times, Judith Miller, passée à la postérité comme étant «l’arme de destruction massive de la crédibilité du New York Times dans la guerre d’Irak».
Une dizaine de journalistes de premier plan ont démissionné d’ «Al Jazira» en signe de protestation de sa couverture «partiale» des évènements de Libye et surtout de Syrie, emportant avec eux la crédibilité de la chaîne. Promue désormais à la fonction de «lanceur d’alerte» de la stratégie occidentale à l‘encontre du Monde arabe, Al Jazira a ainsi sinistré, en l’espace d’un semestre, sa réputation patiemment construite en quinze ans, et sabordé du coup son monopole sur les ondes panarabes. Par «le fait du prince» et de son maître [[4-Pour le lecteur arabophone, ci-joint le lien sur les manipulations d’Al Jazira à propos de la couverture des évènements de Syrie. http://www.al-akhbar.com/node/44875]].

La bataille de Syrie est une bataille décisive dont l’issue va déterminer la hiérarchie des puissances dans l’ordre régional d’une large fraction du XXI me siècle. Elle se doit de s’afficher comme un combat frontal des démocrates contre les imposteurs et les falsificateurs pour la préservation des intérêts fondamentaux du Monde arabe. Non un combat contre une dictature pour lui substituer une autocratie «plus soft», plus sournoise, plus conforme aux intérêts occidentaux.

Non une gesticulation mortifère d’une coalition hétéroclite cimentant une alliance contre-nature de faux prophètes contre les aspirations profondes du Monde arabe. En un mot, une opération de diversion dont l’objectif final n’est rien moins que l’enterrement en catimini de la Palestine… sous couvert de liberté et de démocratie.

Le XX me siècle a été marqué par l’implantation d’un «foyer national juif» à l’intersection des deux versants du Monde arabe, sa rive asiatique et sa rive africaine, rompant le continuum stratégique de l’ensemble arabe. Le XXI me siècle voit poindre l’emprise israélienne sur la totalité du bassin historique de la Palestine et de son arrière-plan stratégique, avec la complicité active des pétromonarchies, sans doute le directoire le plus répressif et le plus régressif de la planète, l’ «idiot utile» par excellence de la stratégie hégémonique occidentale sur la zone arabo musulmane en ce qu’il se substitue aux pays occidentaux en crise systémique pour éradiquer, à ses frais avancés, sans contrepartie, toute volonté de résistance arabe. Le précédent libyen devrait inciter à la prudence au terme d’une séquence dans laquelle les Arabes auront été, dans l’allégresse, les mercenaires de leur propre perte.

L’auteur de ces lignes a vécu le septembre noir jordanien (1970) et la guerre civile libanaise (1975-1992) pour mésestimer les ravages des guerres fratricides. Que le combat soit donc mené dans la clarté. Que l’action collective prenne le pas sur les stratégies personnelles de conquête du pouvoir, et que surtout, les bourreaux du passé ne soient jamais les bienfaiteurs du futur encore moins leurs parrains.

Blanche colombe ou vipère lubrique ? Enfant du Bon Dieu ou canard sauvage ? Dindon de la farce ou paon gorgé de vanités? Avant-garde d’une escouade de combattants de la liberté visant à la transformation démocratique du Monde arabe ou intrigante nourrie d’une ambition démesurée? Tacticienne hors pair, «Arabe de service» ou «Idiot utile», pour reprendre la vieille terminologie marxiste toujours d’actualité? L’histoire, seule, dira ce que Basma Kodmani aura été en cette phase charnière de l’histoire arabe.

Les exactions des opposants syriens dénoncées par l’organisation humanitaire américaine «Human Right Watch», se superposant aux attentats de djihadistes erratiques d’Alep et de Damas, à la mi-mars 2012, et à ceux de Toulouse et de Montauban, à la même date, devraient refreiner les ardeurs belliqueuses des pays occidentaux et réduire du coup la voilure et la flamboyance de leurs poulains syriens. Solidement adossée au pouvoir sarkozyste en phase crépusculaire, particulièrement Alain Juppé, philosioniste néophyte, Basma Kodmani, de par ses projections et connections, apparaît toutefois, d’ores et déjà, comme un élément du problème et non de la solution[[5- Pour complément d’information sur la problématique de l’opposition syrienne de l’extérieur http://www.al-akhbar.com/node/45398]] .

Sources: En Point de Mire …://www.renenaba.com/la-controverse-a-propos-de-basma-kodmani/

EN GRECE AUSSI, LE 6 MAI LE PEUPLE DIT SON MOT

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Le peuple grec est soumis à un traitement qui le ramène déjà aux années 60 du siècle dernier. Pour essayer de comprendre, au-delà du regard biaisé des médias conventionnels, nous avons sollicité Mme Aliki Papadomichelaki qui a été responsable du département politique extérieure de Synaspismós, la Coalition de la Gauche, des Mouvements et de l’Écologie, parti politique le plus important de la gauche radicale-démocratique (SYRIZA). Aliki Papadomichelaki, qui est l’épouse du militant algérien Sadek Hadjeres, a vécu et travaillé en Algérie comme ingénieur d’études. Elle est membre de l’institut « Nicos Poulantzas » et du Conseil des amis d’Emian (Fondation pour l’Histoire de la Jeunesse de Gauche). Cette femme militante a une trajectoire qui épouse l’histoire du pays. Enfant, elle était avec sa mère dans le camp de concentration de Makronissos. Elle a été responsable des relations internationales de l’Union Nationale des Etudiants Grecs (1964-67). Membre de l’Union Antidictatoriale du Mouvement Etudiant Grec, elle avait été déchue de sa nationalité par la dictature en raison de ses activités politiques. L’éclairage qu’elle apporte sur la crise grecque, ses origines et son contexte européen est d’autant plus utile qu’il tranche avec les explications conventionnelles qui sont données par les médias occidentaux. Dont la plus scandaleuse consiste à présenter les Grecs comme des fainéants. Militante, et économiste, spécialisée en géopolitique rétablit les choses. Et confirme la gravité de la situation subie par la population grecque, transformée en « cobaye néolibéral de l’Europe ».

Au fond de la crise avec Aliki Papadomichelaki

« La Grèce est le cobaye néolibéral de l’Europe »

Entretien avec Ahmed Selmane

Mardi 3 Avril 2012

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Pour éclairer les lecteurs de La Nation, commençons par un état des lieux. Quelle est la situation générale dans votre pays, la Grèce ?

Aliki Papadomichelaki

La Grèce se trouve, depuis deux ans, dans une situation critique au plan politique, économique, et sociale. Il s’agit d’une profonde crise multidimensionnelle. La Grèce avait pourtant intégré le « Marché Commun Européen » dès l’année 1975, quand cette entité internationale comptait à peine 9 membres (la Grèce inclue). Elle y a donc précédé l’Espagne et le Portugal qui venaient de sortir aussi d’une dictature beaucoup plus prolongée que celle de la Grèce. Pourquoi le pays n’a-t-il pas pu développer son économie autant que les autres pays européens, fondateurs du «Marché Commun»? (Allemagne, France, Pays Bas, Italie Belgique, Luxemburg)?

Selon moi, cela tient en premier à un facteur objectif, lié au niveau et à la structure de l’économie grecque de l’époque (1975) qui ne disposait pas d’une base solide industrielle et de services.

Dans les deuxièmes causes, un facteur subjectif, à savoir les orientations du « Marché Commun » qui ne favorisaient pas l’intégration par le développement d’une complémentarité socio-économique pluri avantageuse entre ses pays membres. Le «Marché Commun» servait essentiellement aux capitaux européens, les plus puissants, comme tremplin à la hausse de leurs profits, souvent hélas au détriment du développement des capacités productives déjà existantes- ou en évolution- dans les maillons les plus faibles de cette Union.

Telle est, pour moi, la logique capitaliste devenue fortement néolibérale du MCE et de l’Union Européenne par la suite, «soudée» par la monnaie unique, l’euro. Ainsi la Grèce a graduellement démantelé son économie agraire, arrivant à une dépendance alimentaire plus sévère que par le passé. Le pays n’est plus, par exemple, autosuffisant en sucre, en pommes de terre, en blé, etc., alors que pourtant sa démographie stagne.

Dans le domaine industriel elle n’est plus propriétaire des importants chantiers navals publics d’antan, alors que la flotte marchande grecque est une de plus importantes du monde. Et puisque je viens d’évoquer le secteur maritime, j’ajoute – pour illustrer les choix politico économiques – que dans l’année 2010 l’ensemble des armateurs grecs, propriétaires de 4.000 navires, ont payé aux impôts la somme totale dérisoire de 15 millions d’euros, alors que les émigrés légaux travaillant dans notre pays (moins d’un 1/2 million de personnes) ont enrichi les avoirs de l’Etat – la même année -de 50 millions d’euros. (Service grec statistique 2011).

Voila, un exemple parmi d’autres, qui éclaire les priorités de la politique fiscale, avec ses choix de classe, qui ont été démasquées au parlement – en décembre passé – par des députes de gauche.

Comment est vécue la crise financière par le peuple grec, à qui en attribuez- vous la responsabilité?

Actuellement, d’après les prévisions du directeur de l’Institut du Travail lié à la Confédération Syndicale des Travailleurs), le chômage réel atteint cette année les 27%, et chez les jeunes les 43%. La jeunesse reste sans avenir, pas uniquement en matière de travail mais aussi en perspectives d’éducation. Tout indique la privatisation de l’enseignement supérieur, empêchant les enfants des couches pauvres d’accéder à l’Université. Pour la première fois les écoles n’ont pas eu de livres à la rentrée scolaire, obligeant les parents à recourir à des photocopies coûteuses. Les retraités du secteur public ont vu leurs avoirs diminuer de 40%. Le deuxième Mémorandum imposé par la troïka (UE, FMI et Banque Centrale Européennes) démantèle complètement les relations de travail et abolit les contrats collectifs qui existent depuis les années 1960 du siècle passé. Ces contrats furent, avec la semaine de 44 heures, une des plus grandes acquisitions du mouvement syndical. La propagande occidentale aime appeler les grecs fainéants. Certainement ils ne fréquentent point les simples travailleurs, mais ceux de la classe politique dominante et des couches supérieures disposant des bateaux de plaisances amarrés aux nombreuses marines grecques.

Alors que les revenus des couches populaires baissent considérablement, les prix (du niveau de Bruxelles) suivent leur progression amenuisant le pouvoir d’achats des familles. Pour donner un exemple, le litre d’essence en France est de 1,4 euros alors qu’à Athènes il est à 1,75€. Il est à noter que 140.000 familles sont sans électricité, étant dans l’incapacité de payer leurs quittances. La Grèce est entrain de retourner aux années 60 du siècle passé.

Comme je l’ai dit plus haut, la crise n’est pas uniquement financière et n’est pas non plus une exception grecque, comme le prétendaient l’année passée les medias occidentaux. La crise est à la fois mondiale et grecque. C’est-à-dire qu’il s’agit d’une crise du capitalisme qui remonte bien avant les années 2008.

J’ose affirmer que la chute de l’ex-camp socialiste en Europe, qui a donné un coup de pouce à la production Européenne et en particulier Allemande (unification et élargissement du marché), a par là-même retardé l’apparition de la nouvelle crise cyclique capitaliste (mondiale cette fois). En 2008 nous avons été témoins de ses premières conséquences flagrantes, à la fois financières et immobilières (USA, Italie, Espagne, Irlande et Grèce). Elle est aussi grecque dans la mesure où les forces politiques néolibérales, qui alternent au pouvoir (PASOK et Nouvelle Démocratie) ont fait des choix économiques qui ne répondaient pas aux besoins de la population, favorisant surtout des couches bourgeoises et spéculatrices (banquiers, armateurs, grands entrepreneurs).

Dans les années 1990 en Europe les intérêts des emprunts banquiers ne dépassaient pas le niveau de 4-5%, en Grèce ils atteignaient le 8-18%. Dans cette décennie le capital banquier grec a connu d’énormes profits. D’où les 600 milliards d’euros mis en dépôt par la grande bourgeoisie grecque en Suisse. Il aurait fallu une longue liste d’exemples, depuis les années de la dictature des colonels (1967-74) jusqu’ à nos jours, pour illustrer les responsabilités néolibérales et ultra néolibérales des classes dirigeantes qui ont conduit le pays à la situation insoutenable actuelle, avec une dette extérieure qui dépasse les 400 milliards d’euros et une récession de 7%. Il faut cependant dire à vos lecteurs que l’ensemble de la dette grecque est de 3% du PIB de l’UE, alors que le déficit espagnol est le double de la somme des dettes grecque, irlandaise et portugaise ensemble.

La société grecque dispose-t-elle de ressorts pour résister à la régression sociale qui lui est imposée?

Cela dépend de ce que l’on entend par ressort. S’il s’agit de ressorts objectifs, économiques et cognitifs, oui la société grecque dispose de certains atouts. Un important atout est le haut niveau de qualification d’une grande partie de la jeunesse grecque, qui dispose des diplômes d’études supérieures, de post graduation et connaît au moins une langue internationale. Si durant la décennie de 1950-60 nous avions eu une émigration non qualifiée, aux USA, en Australie et surtout en Allemagne, aujourd’hui malheureusement nous exportons de la main d’œuvre hautement qualifiée. La Haute Ecole Polytechnique d’Athènes est considérée comme une de meilleures 10 écoles supérieures au monde. (Données de l’ONU 2009).

Si ce capital du savoir sera versé à des activités productives, de recherche et de services, il pourra devenir un ressort de taille. Malheureusement (vu les choix politiques précédents) nous avons dépensé plus d’argent pour des armements (5% du PIB) et seulement 3% pour l’enseignement public. Le pays dispose des richesses minérales (métaux précieux, oligo-métaux, bauxite), et il y a des perspectives pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures. Nous pourrions développer nos produits agricoles avec un agroalimentaire de haute qualité, au lieu par exemple de vendre notre huile en vrac en Italie où elle est embouteillée et vendue chèrement au monde entier. Des exemples pareils ne manquent pas (vins, agrumes, fruits secs etc.).

Le tourisme de haut de gamme est un autre pilier de notre économie. Il suffit que ces capacités soient fructifiées avec un horizon large et non pas pour faire des courts profits immédiats.
Il faut aussi souligner que le tourisme grec fut pénalisé depuis l’entrée du pays à l’euromarché, devenant assez cher par rapport à d’autres destinations touristiques. Le secteur public a été gravement atteint par des privatisations complètes ou partielles. Il s’agissait d’activités lucratives, vendues très bon marche (ciment, électricité, télécommunications, etc.), sous prétexte de soulager le secteur public de ses charges. Mais qui diable va acheter une entreprise qui s’écroule ? Tout ce qui a été vendu constitue les filets des activités économiques publiques.

Mais pourquoi alors ce déficit public ?

Tout d’abord il faut se questionner sur la nature du déficit. La Grèce a par exemple organisé les jeux Olympiques de 2004, qui ont coûté plus de 50 milliards d’euros, sans apporter pour autant une plus-value analogue. Nos petits enfants continueront à payer les frais. Il faut aussi se questionner sur la structure de l’emprunt (privé, international) et sur sa durée (court, moyen et long terme). Il semble que les gestionnaires politiques se sont peu intéressés sur ces questions. Leur credo était : pourvu que l’argent rentre, que la victoire électorale soit assurée, que les fournisseurs étrangers et locaux soient satisfaits. Plus l’Etat empruntait plus le pays s’enfonçait et sombrait. Qui en profitait ? Les grands spéculateurs, la finance mondiale, en particulier allemande, et leurs « filiales» grecques.

Un autre ressort est le facteur subjectif, la volonté de se battre afin de défendre les acquis socioéconomiques et revendiquer les droits civils. Elles sont connues je crois dans le monde entier, les manifestations des indignés de la place Syntagma[[Place de la Constitution]] à Athènes, face au Parlement, et tant d’autres places des villes importantes du pays durant l’été passé. La dernière grande manifestation des syndicats et partis de gauche a réuni dans la capitale presque un demi-million de citoyens. Elle fut la plus grande manifestation depuis les années 70 et les premières commémorations des événements de l’Ecole Polytechnique (Novembre 1973) contre la dictature.

Quels sont les acteurs politiques et leur poids dans l’opinion ?

Le plus grand acteur politique est le peuple souverain (chômeurs, employés en précarité, travailleurs dont la paye ne dépasse pas les 600 euros). Ce sont eux qui en plusieurs occasions ont manifesté ou soutenu les manifestations. Les formations politiques jouent aussi leur rôle décisif, actuellement de soumission et désastreux des uns (PASOK et Nouvelle Démocratie), ou combatif et revendicatif des autres, principalement la gauche grecque (KKE et SYRIZA).

La Nouvelle Démocratie (ND, parti de la droite traditionnelle qui participe actuellement au gouvernement illégitime de L. Papadimos)[[Le gouvernement Papadimos est illégitime. Pour contourner les élections nécessaires, vu la non représentativité actuelle de ces deux partis, le PASOK a décidé sous la pression de la troika de former un gouvernement «de salut national» qui a comme tâche primordiale l’application du 1er Mémorandum, et le vote du 2ème (réalisé le mois de Février passé). Mr. Papadimos est un haut fonctionnaire de la Banque Centrale Européenne.]] sera certainement la première formation aux prochaines élections – attendues avec impatience par la population. Les sondages lui donnent de 18-24%. Elle a signé avec le PASOK (« socialiste ») le deuxième Mémorandum comprimant davantage les revenus des travailleurs et promettant de jeter encore 15.000 personnes à la rue.

Le PASOK (Mouvement Panhéllenique Socialiste) –au gouvernement depuis presque 23 ans, a commencé son ascension à partir des années 1982 en faisant sortir la moitié de la population grecque « de la face obscure de la lune » après la guerre civile et la dictature des colonels. Il s’est transformé aujourd’hui en un parti néolibéral, qui porte une énorme responsabilité dans la situation actuelle du pays, y compris pour la corruption au sein de l’appareil de l’Etat. Aujourd’hui il a perdu énormément de sa popularité et du prestige d’antan.

Les deux partis, qui alternent au gouvernement, sont accusés d’être corrompus par certaines multinationales, (exemple le fameux scandale de Siemens _ pots de vin aux deux partis dépassant les 3 millions d’euros, 2 pour PASOK et 1 pour la N.D _ dont l’affaire n’est pas encore juridiquement close).

Le LAOS (Parti de l’extrême droite populiste), a coopéré (janvier, février 2012) dans le gouvernement de Papadimos, mais il l’a quitté, lors de l’adoption du 2ème Mémorandum, après avoir vu ses pourcentages s’effondrer sous les 3% nécessaires pour entrer au parlement.

La gauche grecque est représentée au parlement par deux formations politiques, le PCG et le SYRIZA.

Le Parti Communiste de Grèce, avec une longue histoire de luttes de classes et de libération nationale à l’époque de la 2ème guerre mondiale, est la troisième force parlementaire. Aujourd’hui les sondages lui donnent entre 8 et 14%. Il combat avec force les orientations néolibérales, mais, malheureusement à mon avis, rejette et entrave l’unité d’action de toutes les forces de gauche situées à la gauche du PASOK, qui condamnent la politique néolibérale. Pour ceux qui le connaissent de près,) il est le parti le plus « orthodoxe » de l’Europe (au sens de rigidité dogmatique et sectaire dans ses légitimes positions de classe) avec des tendances marquées de stalinisme. Il a une implantation importante dans le mouvement syndical, surtout dans le privé.

Le SYRIZA (Coalition de la Gauche radicale) est un front de partis de gauche avec différentes racines idéologiques (dont certains issus de la mouvance communiste) unis par un programme commun anti-néolibéral, anticapitaliste, avec comme objectif le renversement du rapport de forces actuel et un gouvernement alternatif. Sa force actuelle va de 7 % à 13,5%. Il déploie des efforts pour s’élargir dans une coalition plus large ayant comme objectif le combat contre l’application des Mémorandums et contre le démantèlement des relations de travail.

Ces deux forces politiques de gauche pourraient dans le cas d’une coopération postélectorale avec les écologistes et d’autres personnalités politiques, syndicales et de la jeunesse, constituer le pôle alternatif à la politique actuelle, pour sauver la société grecque d’un écroulement complet. Cela dépendra du rapport de forces postélectoral, lors du scrutin prévu probablement autour du 6 Mai prochain.

Existe-t- il une alternative à la politique d’austérité ? Est-il réaliste d’envisager la sortie de la Grèce de l’euro ?

À mon estimation, l’alternative à la politique d’austérité consiste en la réalisation d’un autre rapport de forces, s’accompagnant de décisions et mesures institutionnelles et constitutionnelles aptes à sortir le pays du gouffre actuel.

  • Arrêter pour une période le remboursement de la dette.
  • Réorienter les ressources vers des activités productives et sociales
  • Diminuer les dépenses pour les armements
  • Réorienter certaines alliances internationales et renforcer la coopération avec certains pays et régions (BRICS, pays Méditerranéens, pays de l’Amériques Latine)
  • Coopérer plus étroitement avec les forces de gauche au plan européen – Parti Européen de Gauche- Parlement Européen, Syndicats, mouvements des Indignés, etc.

En cas de dégradation de la situation sociale, l’intervention de l’armée – évoquée par certains milieux européens – est elle une hypothèse à prendre en compte?

La Grèce a connu dans son histoire plusieurs dictatures, la plus récente est celle facilitée par les américains en 1967, durant précisément la préparation de la guerre « des six jours » contre l’Egypte de Nasser. Le peuple grec n’a pas perdu sa mémoire. C’est d’ailleurs pour cette raison que certains cercles nous agitent et nous menacent de tels épouvantails. Mais le dilemme n’est pas si nous voulons une dictature masquée, ou une autre sans masque.

Le dilemme est entre la dictature tout court et la démocratie avec visage et contenu social.

Avez-vous le sentiment que la Grèce sert de laboratoire pour tester les capacités du capitalisme à organiser une régression sociale généralisée.

C’est tout à fait ça. La Grèce est le cobaye néolibéral de l’Europe, comme le Chili fut celui de l’Amérique Latine, le siècle passé. Mais regardons le rapport de forces en Amérique du Sud aujourd’hui. Regardons les efforts et résultats de certains gouvernements et mouvements Sud Américains, démocratiquement élus, pour affronter la crise sans porter grand préjudice au tissu social. Et comparons-les avec la situation désastreuse au Mexique (partie du Marché Nord-Américain pourtant) et la guerre de la drogue.

La gauche – au-delà du ¨Pasok – a-t-elle des alternatives à proposer ? Est-elle présente sur le terrain?
Il existe déjà un programme élaboré. Je viens d’en citer précédemment quelques axes essentiels.

Le Pasok est il encore de gauche ? Quel poids pèse-t- il aujourd’hui?

Il perdra plus de la moitie de sa force. C’est à se questionner s’il atteindra un pourcentage à deux chiffres, malgré l’énorme appui des medias et de la Troïka. A peine aujourd’hui (29/3/2012) le représentant de l’UE au FMI Mr. Matias Mors, a recommandé à la population grecque de voter PASOK ou N. D. Nous voila entrés dans une ère où des représentants des Organismes Internationaux piétinent ouvertement la démocratie représentative et la souveraineté nationale, ils interviennent sans vergogne sur les choix souverains des peuples concernant leur avenir et celui de leurs enfants. Dans quelle nouvelle préhistoire Européenne on veut faire entrer nos peuples ? Espérons que les mutations en Europe et dans les pays Méditerranéens aillent dans le sens des aspirations de leurs peuples. Je voudrais rester optimiste et avec mes compatriotes, dire aux forces de la régression « NON PASARAN ». La grève générale d’aujourd’hui en Espagne, et le résultat électoral en Andalousie[[La Esquierda Unida a doublé ses forces et devient le catalyseur qui empêche la droite de Rahoy de créer un gouvernement majoritaire, malgré qu’elle soit restée la première force dans la région.]] rythment le pas vers une alternative plus sûre.

Quel écho peuvent avoir les révoltes arabes ou le mouvement des Indignés pour la société grecque. Est-ce que les organisations de gauche européenne ont le sentiment que ce qui se passe en Grèce les concerne directement?

Les soulèvements des indignés et révoltés dans les pays arabes ont eu un grand écho en Grèce, en particulier dans son propre mouvement. Nous sommes un pays Méditerranéen. Les évolutions dans les pays de la rive sud de notre bassin nous concernent aussi. La Gauche grecque a exprimé à maintes reprises sa solidarité envers les aspirations des peuples arabes pour la démocratie et une justice sociale. Le Parti Européen de Gauche, dont SYNASPISMOS est un des partis fondateurs, a visité l’Egypte, la Jordanie, la Palestine et la Tunisie en 2011. Dans ces délégations il y avait toujours des camarades grecs qui se sont intéressés à la coopération avec les forces démocratiques et sociales. Nous avons eu la visite des syndicalistes tunisiens, invités par des syndicalistes grecs de la gauche. Ces échanges sont très fructueux dans la mesure où ils permettent les transmissions bilatérales des expériences, des interrogations, et des revendications. Permettez moi aussi de citer ici la solidarité permanente du peuple et de la gauche grecque avec le peuple Palestinien et sa juste cause. Nous avions aussi été présents avec une nombreuse délégation, parlementaire, syndicale, et de journalistes proches de SYRIZA (dans laquelle j’ai participé personnellement) à Gaza durant la période des bombardements israéliens il y a deux ans (janvier 2010), par un voyage à travers Al Arish-Rafa, passant par le Caire, où nous avions rencontré l’ex SG de la Ligue Arabe Mr. Amr Moussa.

Pour ce qui est de la fin de votre question évidemment la gauche européenne est pleinement consciente que la crise vécue par le peuple grec concerne aussi tous les peuples de l’UE. Ils nous expriment sous diverses formes leur solidarité, par des visites, des pétitions, des manifestations de soutien au peuple grec chez eux. Mais pour nous aussi leurs luttes sont d’une grande importance. Malgré nos différences respectives, la lutte pour un avenir digne de l’être Humain et de la Nature qui l’enfante est plus que jamais une lutte commune. Merci pour m’avoir accueillie dans vos pages, et mes salutations cordiales à vos lecteurs. L’Algérie est pour moi ma deuxième patrie, j’ai vécu et travaillé sur son sol et j’ai partagé les aspirations de ses forces de progrès depuis de longues années jusqu’à nos jours.

ALIKI PAPADOMICHELAKI

SOLIDARITÉ DES PEUPLES FRANÇAIS ET ALGÉRIEN

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LES OUBLIÉS DE L’HISTOIRE

L’HONNEUR DE LA FRANCE

Salutations

Au nom de l’Association Santé Sidi El Houari, il m’est agréable d’intervenir pour exprimer tout d’abord nos remerciements à la Mairie de Stains, à ses différents représentants, au personnel qui s’est occupé de notre accueil, combien humain et chaleureux. Comme il est mentioné dans notre Charte, le resserrement des liens d’amitié et de coopération entre les peuples n’est pas une simple formulation creuse; il prend un contenu palpable et les marques de solidarité qui ont marqué notre séjour et celui des autres délégations, en sont la manifestation concrète.

Le sujet que j’ai eu la charge et l’honneur de vous exposer s’inscrit en droite ligne de l’esprit de notre Charte. Et lorsqu’on parle d’amitié et de solidarité, comment ne pas évoquer les événements tragiques qui ont marqué l’histoire de nos 2 peuples, il y a de cela 50 ans.

Ces algériens de souche européenne

En effet, le moment n’est il pas venu d’évoquer cette douloureuse période pour restituer une partie de l’histoire cachée, non dite de la Guerre d’Algérie. Et ce qui me préoccupe, dès le moment où j’ai pris conscience des réalités politiques, c’est la nécessité de rendre justice à ces hommes que l’historiographie officielle, des 2côtés de la Rive, a voulu ignorer.

Il ya d’abord ces Européens d’Algérie qui se sentent avant tout, Algériens et qui ont combattu pour la dignité de leur peuple. La plupart d’entre eux, militants communistes ou syndicalistes CGT, s’était engagée depuis les années 30, dans les luttes sociales, pour plus de justice, d’égalité des droits, d’égalités salariales, de démocratie et de progrès social. Profondément indignés par les injustices sociales, ils ont évolué, tout comme leurs camarades de souche algérienne, vers des positions plus radicales et vers l’engagement politique en faveur de l’indépendance nationale. Jusqu’au sacrifice suprême!

Fernand Iveton déclarait, peu avant d’être guillotiné:

« La vie d’un homme, la mienne, compte peu. Ce qui compte, c’est l’Algérie, son avenir. Et l’Algérie sera libre demain. Je suis persuadé que l’amitié entre Français et Algériens se ressoudera ».

La liste est longue de ceux qui ont bravé les interdits: il faudra témoigner et rendre hommage à Maurice Laban, à l’aspirant Henri Maillot, au mathématicien Maurice Audin, à Me Théveny tué par la Main Rouge au Maroc. Aux nombreux autres qui ont connu la torture et l’emprisonnement, à Henri Alleg, au Docteur Daniel Timsit décédé il y a quelques années, à Georges Acompora mort en février 2012, à Annie Steiner toujours combattante à 84 ans, …

Ces français qui ont forcé l’admiration du peuple algérien

La cause de la Révolution était juste; la misère subie par le peuple, les multiples injustices qu’il supportait, le refus d’introduire des réformes et l’attachement indéfectible au système colonial, tout cela a conduit de nombreux français à la soutenir, et même à lui venir en aide concrètement.

Dès juin 1955, Francis Jeanson dénonce la répression dans un pamphlet intitulé « L’Algérie hors la loi ». C’est le début de son engagement qui le conduira 2 années plus tard à la création de son réseau de soutien au FLN – plus connu sous le nom de Réseau Jeanson ou des Porteurs de valises; leurs tâches: hébergement des militants recherchés, recherche de planques, confection de fausses cartes d’identité, transport d’argent provenant des cotisations vers la Suisse…

Francis Jeanson s’adressant au président Bouteflika, en juin 2000 lors d’une réception, lui déclare:

« Je voudrais que tu retiennes que mes camarades et moi n’avons fait que notre devoir, car nous sommes l’autre face de la France. Nous sommes l’honneur de la France. »

Il y a ceux qui se sont engagés résolument dans la défense des révolutionnaires algériens, dont Jacques Vergès, Gisèle Halimi pour ne citer que les plus en vue. Il y a également, avec Jean Paul Sartre comme porte drapeau, “ le Manifeste des 121” intellectuels – en 1960 – qui a eu un grand écho international et qui a permis à la Révolution algérienne d’être portée par le mouvement progressiste en France et en Europe.

Mais, ce qui a été déterminant ce fut la prise en charge des objectifs de la Révolution par les masses populaires à partir de décembre 1960, en Algérie, et la prise de position du peuple de France pour le droit à l’autodétermination.

Quelles qu’aient été les tentatives de freiner la roue de l’histoire, par la rébellion du Quarteron de généraux en avril 1961, la répression du 17 octobre 1961 à Paris, les massacres perpétrés par l’OAS en Algérie ou les tueries de Charonne en février 1962, le sort en était joué.

La signature des accords d’Evian le 18 mars 1962, et l’entrée en vigueur du cessez le feu dès le lendemain, allaient ouvrir une nouvelle page dans l’histoire des 2 pays.

La solidarité comme moteur de l’amitié et du progrès

Ce résultat, impossible à imaginer le 1er novembre 1954, allait donner naissance à la jeune République algérienne. Il sonnait le glas du système colonial français et ouvrait les portes de l’indépendance aux autres états africains, encore sous domination.

Cet aboutissement ne fut possible que par l’engagement des citoyens des 2 bords de la Méditerranée en faveur du droit, de la justice et de la dignité humaine.

Et ces marques de courage politique, au départ éparpillées, ont fini par entrainer la reconnaissance du droit à l’autodétermination.

Puis ce fut l’indépendance; des espoirs pleins la tête, une vie à construire ou à reconstruire pour la grande majorité, une coopération qui a drainé des milliers de ces pieds rouges à l’engagement débordant: tout cela reste à évaluer.

5O ans après les accords d’Evian, nous commémorons ensemble cet événement historique, sous le signe de l’amitié et de la solidarité entre les peuples.

C’est dire qu’il est possible d’avancer ensemble, d’échanger nos expériences et d’en tirer le meilleur profit, de nous apprécier mutuellement dans la diversité et la complémentarité de nos valeurs culturelleset citoyennes.

Engageons nous à tisser solidement ces liens qui nous unissent, aujourd’hui, et à toujours les élargir afin que nos mots d’ordre de paix, de justice, de liberté et de progrès social deviennent réalité.

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(*) allocution prononcée par Abdelkader Benfodda au cours d’un colloque organisé par la commune de Stains pour la commémoration du 50ème anniversaire des Accords d’Evian,

auquel avait été invité à participer l’association “Santé Sidi El Houari” (SDH) de Oran.

site de l’association Santé Sidi El Houari de Oran

[ Échanges de la Municipalité de Stains avec l’association
SIDI EL HOUARI – ORAN, ALGÉRIE.
->http://www.ville-stains.fr/site/index.php?option=com_content&view=article&id=575:sidi-el-houar&catid=146:sidi-el-houari]


SAMIR AMIN : LES ALGÉRIENS EXPRIMENT «UN BESOIN DE DÉMOCRATIE PLUS PROFOND QU’ AILLEURS»

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L’ ALGÉRIE EST CAPABLE DE RÉSISTER AUX MANIPULATIONS

Mercredi 25 avril 2012

Le Soir d’Algérie

L’Algérie est capable de résister aux manipulations, selon le directeur du Forum du Tiers-monde et du Forum mondial des alternatives, le professeur Samir Amin

Hôte du Conseil national économique et social (CNES), en prévision de la tenue prochaine d’un symposium conjoint, cet économiste a estimé que l’Algérie est «capable» de maîtriser la transformation de l’Etat et de la société, en toute souveraineté.

Selon cet alter mondialiste, l’Algérie est capable de «ne pas être la victime» des manipulations, voire du «chaos» projeté par l’ «impérialisme de la triade : Etats-Unis, Europe et Japon» par ceux qui souhaitent la «destruction» de toute société résistante. Citant notamment Israël et le Qatar parmi ses partisans,

Samir Amin note que cette stratégie de destruction est déjà à l’œuvre en Irak et en Libye et ciblant la Syrie, mais aussi au Sahel. Et Samir Amin d’expliquer la résilience, l’«exception» de l’Algérie dans le contexte du Printemps arabe, par la nature «plébéienne» de la société algérienne.

Convaincu que les Algériens expriment «un besoin de démocratie plus profond qu’ailleurs», l’invité du CNES estime néanmoins que les processus électoraux qui ne reposent pas sur un substrat de progrès et de transformation sociale «n’ont pas de sens». Et c’est justement ce substrat qui doit tendre, selon lui l’action des peuples, des Etats et des nations, dans la région arabe et africaine, comme il en sera question lors de ce symposium. Soit leur capacité à gérer les défis liés à la «décomposition» en cours du système capitaliste, à s’inscrire dans une triple dynamique de «refaçonnement d’une autre mondialisation équitable, meilleure», de reconstruction et non de destruction de l’Etat et de la société» et de «démocratisation de la société». Et ce, en misant sur le «progrès social et non la régression sociale», hors toutes illusions «passéistes, parareligieuses ou d’ordre ethnique», en consolidant leur souveraineté et en étant des «participants plus actifs».

[Chérif Bennaceur

25 avril 2012

Le Soir d’Algérie
->http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/04/25/article.php?sid=133384&cid=2]


Table ronde autour de  » La Colline oubliée « , en HOMMAGE À MOULOUD MAMMERI

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C’est d’abord une raison sentimentale, conjuguée à l’aimable insistance de mon ami Arezki Metref, qui m’a amené à revenir prématurément à Paris pour assister à cet hommage. J’ai envers Mouloud Mammeri une dette affective que la vie ne m’a pas laissé depuis si longtemps l’occasion d’honorer.

Chaque fois que je relis un passage de “la Colline oubliée” , se ravive en moi le choc que nous avait causé la disparition brutale d’un Mouloud Mammeri en pleine vitalité créatrice. Ma vie clandestine (à l’ère du « parti unique ») m’avait alors empêché de m’associer à l’immense hommage populaire qui lui avait été rendu. Il fut, m’a-t-on dit, aussi massif que celui qui avait accompagné à l’époque coloniale en août 1946 les obsèques de mon ami et camarade de lutte Ali Laïmèche, fauché à la fleur de ses 19 ans par les rigueurs du maquis de Kabylie.

Puis a suivi la tristesse d’une perte irréparable pour la vie culturelle et politique du pays. L’ancrage de Mammeri dans le terroir amazigh et national, conjugué à sa sensibilité et à son humanisme universaliste, auraient certainement contribué à amoindrir le gâchis colossal et les agressivités aveugles qu’allait engendrer la fin de règne du parti et de la pensée uniques.

Cela rejoint une deuxième raison de ma venue à cette rencontre, j’y vois une façon de contribuer avec chacun de vous à explorer une dimension de fond liée à l’Histoire nationale. J’ai en vue le contenu singulier d’une époque qui se situe à la charnière des décennies quarante et cinquante du siècle dernier, plus exactement à la fin des années quarante et premières années cinquante. Ce fut une époque où des intellectuels et hommes de culture ont commencé à s’inviter en plus grand nombre et avec dynamisme dans le débat politique et philosophique national, Cette montée si bénéfique avait été ressentie par des esprits chagrins comme une intrusion non bienvenue. Car jusque là, le mouvement patriotique, à certains niveaux de la composante nationaliste la plus influente et la plus dynamique dans la base populaire, restait encore comme réticente envers les courants intellectuels,. Des responsables qui ne reflétaient pas forcément les attentes populaires laissaient le mouvement enlisé dans un activisme insuffisamment politisé ou avaient même tendance à l’encourager par démagogie. Je me souviens de la formule utilisée avec délectation par certains «mas’ouline» (responsables) qui parlaient des «intellectomanes», pour désigner ceux qui d’une façon ou d’une autre travaillaient à insuffler un esprit et une richesse culturelle et doctrinale aux brûlantes aspirations nationales et populaires spontanées. Méfiants envers les intellectuels, ils ne daignaient les reconnaître que dans la mesure où ils se contentaient d’être leurs scribes ou leurs flatteurs complaisants.

Mammeri a été un exemple de ceux qui, sans être des militants organiques ou ostentatoires, avaient à leur façon contribué à des prises de conscience enrichissantes du mouvement politique de libération. Ces efforts progressistes furent malheureusement insuffisants à générer des résultats encore plus importants, comme l’avait illustré entre autres l’échec du Front Algérien (FADRL) qui s’était amorcé en 1951 entre toutes les tendances du mouvement national[[1951 Création du Front Algérien pour la Défense et le Respect e la Liberté -FADRL- scan de « Liberté » du 2 août 1951 http://www.socialgerie.net/IMG/jpg/FADR.jpg ]]. Aussi l’élan patriotique et anticolonialiste s’est trouvé jusqu’à la veille de l’insurrection, affaibli par des luttes sans principe de clans, de factions et de personnes, au détriment de la politisation des forces radicalement indépendantistes, laissant ces dernières plombées pour ainsi dire par un activisme insuffisamment fécondé par la pensée, la culture et la conscience sociales, ce qui amoindrissait leurs capacités d’analyse et de maîtrise stratégique. La dynamique insurrectionnelle de novembre 54 a cependant relancé un élan culturel multiforme, grâce en particulier aux intellectuels et artistes qui avaient déjà émergé dans les années précédentes. Cela s’est prolongé après l’indépendance, quand Mammeri avec d’autres ont animé les activités culturelles telles que celles de l’Union des Ecrivains algériens, malheureusement interrompues et réprimées après le coup d’Etat du 19 juin 1965.

Revenons donc au début des années 50.

Quand le roman de Mammeri a paru (à l’automne 1952), professionnellement j’étais à l’âge de 24 ans plongé dans mes recherches et ma pratique médicales. Mais surtout, politiquement, j’avais quitté la mouvance nationaliste après avoir milité de longues années dans les rangs du PPA dont je fus responsable de la section universitaire d’Alger tout en militant aussi dans la Mitidja et gardant des liens avec mes anciens compagnons de lutte de Kabylie. Depuis près de trois ans, c’est-à-dire depuis 1949, j’avais décidé à regret de me séparer d’un parti auquel j’avais été très attaché mais dont les dirigeants restaient sourds aux attentes et opinions constructives et sincères. Ils avaient provoqué la déception de nombre de militants révolutionnaires par leur incurie doctrinale et leurs méthodes antidémocratiques, notamment lors de la crise appelée faussement berbériste qu’ils croyaient résoudre entre autres par l’autoritarisme brutal ou en offrant à quelques uns d’entre nous des «koursis» (sièges) de membres de leur comité central!

Je ne connaissais pas directement Mammeri. Nous nous étions rencontrés brièvement une fois après avoir pris rendez-vous au café L’Otomatic de la rue Michelet, mais faute de temps nous nous étions promis de nous revoir plus longuement. Je n’avais pas relancé le projet du fait de multiples charges qui pesaient sur moi. Le contexte de ce début des années 50 était en effet une période de transition, de bouillonnement d’idées qui faisait suite à un certain marasme ou stagnation des années précédentes. Il y avait dans la société des attentes intellectuelles et politiques non satisfaites, du moins est ce ainsi que nous étions un certain nombre à le ressentir. Dans ce renouveau, l’association des étudiants musulmans, l’AEMAN, dont je fus élu en1950 président sans appartenance partisane, a pris un tournant résolument unitaire en se dégageant beaucoup des étroitesses hégémonistes qui nuisaient à sa vocation nationale et rassembleuse.

Je n’ai donc pas revu Mammeri à ce moment, mais j’étais informé de ses activités et préoccupations par Mouhand-Ouyidir Aït Amrane, mon camarade et ami intime du groupe des «lycéens de Ben Aknoun» où il avait créé l’hymne “Ekker a mis Oumazigh”. Il avait avec Mammeri des relations suivies de travail linguistique et culturel. Leur premier contact datait de l’été1948. C’était au lendemain d’un petit séminaire politico-culturel d’une douzaine de militants et responsables PPA tenu à Arous, non loin de Larbâa Natht Irathen (ex- Fort National). A son issue nous avions recommandé à Ait Amrane d’engager avec Mammeri un travail de rénovation amazigh culturel et linguistique.

Du coup, la parution d’un roman dont la trame se situait en Kabylie ne m’a pas étonné ainsi que mes anciens ou nouveaux amis. Elle a suscité d’emblée chez nous une forte sympathie empreinte de curiosité qui se confirmèrent à la lecture de l’ouvrage. Quand “la Colline oubliée” a paru, cela faisait presque deux ans que je m’étais engagé dans la militance communiste. En plus de mes convictions démocratiques, sociales et philosophiques, les positions et activités du PCA en matière linguistique et culturelle s’harmonisaient bien avec mes aspirations d’ouverture nationale et universelle.

Il se trouve, et ce n’est pas un hasard en cette période de maturation culturelle perceptible à la charnière des années 40 et 50, que la sortie du roman de Mammeri, comme celle de Mohamed Dib, a coïncidé avec les mois où la revue «Progrès» préparait et lançait son premier numéro (de février 1952).

C’était la revue idéologique, culturelle, politique et scientifique du PCA.

À ce propos et comme peuvent le vérifier les chercheurs, la mouvance communiste se distinguait des autres formations nationales, par une activité systématique et diversifiée dans le domaine culturel. Je fus directeur de cette revue, dont l’existence parsemée de difficultés pratiques fut interrompue avec l’insurrection. J’assumais cette responsabilité sous la supervision de deux des cinq secrétaires du parti, plus particulièrement de Bachir Hadj Ali et André Moine. J’avais suivi de plus près les articles consacrés au roman de Mammeri et Dib, dans les deux premiers numéros qui entre autres publiaient aussi une importante étude de l’historien et géographe Yves Lacoste[ [Un itinéraire fondateur – IBN-KHALDOUN ET LA GEOPOLITIQUE AVEC YVES LACOSTE – DE L’ALGERIE AU PRIX VAUTRIN-LUD – par Sadek HADJERES – article 133 de socialgerie mis en ligne le 9 janvier 2010 http://www.socialgerie.net/spip.php?article133 ]]. Ce dernier, alors enseignant à Alger, découvrait sur ma suggestion notre grand Ibn Khaldoun, jusque là à peu près inconnu dans notre pays. En le faisant connaître par une analyse remarquable[ [Socialgerie : LES PROLEGOMENES DE IBN KHALDOUN (PDF – 191.8 ko) – PROGRES n° 2 avril – mai 1953 -PROGRES n° 3 juin – juillet 1953 – Alger – Yves LACOSTE http://www.socialgerie.net/IMG/pdf/1953_04_01_Progres._Prolegomenes_d_Ibn_Khaldoum_2006.12.10_411_.pdf ]], il amorçait sa vocation de relance et de rénovation du savoir géopolitique qui lui vaudra une renommée mondiale.

À propos de cette époque, je remercie en passant Hend Saadi qui tout à l’heure a rafraîchi ma mémoire sur cette phase de controverses et de recherches intellectuelles, en rappelant les prises de position réticentes envers les ouvrages de Dib et Mammeri de la part de Mostefa Lacheraf, Amar Ouzegane ou Mohamed Chérif Sahli (dont ce premier numéro de Progrès commentait son ouvrage sur «Abdelkader, le chevalier de la Foi»).

Auprès de nous par contre, les ouvrages de Mammeri et de Dib ont joui d’emblée d’une appréciation positive. Nous avions considéré infondées les suspicions entretenues par les organes de presse ou par certains intellectuels nationalistes en raison des prix attribués à ces ouvrages, qu’ils considéraient comme une manœuvre colonialiste.

Nous avions néanmoins estimé préférable de ne pas signer moi-même l’article de présentation de «La colline oubliée». Mon passé de contestataire « berbéro-marxiste » dans le MTLD risquait de biaiser le débat et donner un faux prétexte à les envenimer. De vives polémiques étaient en effet entretenues à ce sujet, avec des arguments pas toujours transparents, par les formations ou des cercles intellectuels très chatouilleux pour tout ce qui leur paraissait comme des atteintes au dogme identitaire d’un peuple qualifié d’arabo-islamiste à plus de 100%. Ils excluaient par là même toute autre approche identitaire plus ouverte et rassembleuse du destin national, mais aussi toute motivation sociale et résolument démocratique ou toute dimension internationaliste au combat de libération.

Pour présenter cet important évènement culturel, j’ai donc discuté longuement avec Pierre Laffont, de son vrai nom Isaac Nahori et plus familièrement Koko, l’éditorialiste pétillant d’intelligence d’Alger républicain. Il a mis dans cet article son talent habituel, à la fois nuancé mais sans équivoque envers les différents aspects de la question [ [voir Progrès n°1 – article donné en document joint ]].

Qu’en a- t-il dit pour l’essentiel ?

Il a d’abord souligné l’importance de l’évènement, en rapport avec la flambée des commentaires y compris malveillants.

« Laissons à leur haine imbécile et congénitale les racistes indécrottables et la critique « à tant la ligne », qui tentent, grossièrement, d’opposer l’un à l’autre les deux livres et les deux écrivains. Laissons-les à leur peau de chagrin et à leur rancœur et parlons de choses sérieuses…

…Le premier mérite de ces deux livres, c’est qu’ils existent, ils sont. Enfin des livres qui parlent de l’Algérie, écrits par des Algériens, pour des algériens. Des livres qui nous changent des âneries officielles intéressées et de la complainte de celui qui, portant son cœur en écharpe, voudrait attendrir et apitoyer … Des livres qui font aimer ce pays parce qu’ils en montrent le beau visage douloureux mais fier et noble…. plus particulièrement le livre de Mammeri, qui a su parler avec beaucoup d’amour concret, constant, communicatif, de cette terre kabyle qu’il aime…»

Laffont cite alors plusieurs passages pris au hasard, comme le récit de la traversée à gué de la rivière par toute la population du village en fête, les traditions et parfois les tragédies s’y rapportant. À propos de ces belles pages, le commentateur ajoute: «D’aucuns ont pu penser que c’était là faire acte de « régionalisme », de « berbérisme ». Nous ne le croyons pas, car il suffit d’être allé une fois en Kabylie, d’avoir vécu la vie des montagnards de cette région pour vibrer avec MAMMERI. .. Et pour aimer ce coin de notre pays, comme on aime ALGER, CONSTANTINE, LES AURES, TLEMCEN, LAGHOUAT…Pour ceux qui sont plus ou moins contemporains, c’est plus d’une fois qu’ils se retrouvent en eux.

… Pour servir tout cela –amour du pays et des hommes – une forme souvent brillante, atteignant à la poésie comme dans la scène où MOKRANE revenant chez lui est pris par la tempête.


L’article de « Progrès » passe ensuite à un registre plus critique: «… n’y a-t-il vraiment en Kabylie que de jeunes bourgeois sympathiques avec leurs réflexes, leurs préoccupations, leurs réactions de petits bourgeois ? Avec leurs amitiés particulières pour des bergers particuliers »…

Certes, MAMMERI, n’a jamais dit cela. souligne le commentateur, mais ce dernier trouve cela insuffisant et aborde la critique sous un angle socio-politique, quoique avec moins de sévérité et plus de compréhension qu’envers DIB, qui lui pourtant faisait figure d’écrivain engagé, ne serait-ce que par sa qualité de journaliste dans un quotidien ouvertement anticolonialiste.

P. Laffont insiste «…pourquoi s’être borné alors à parler de la misère et rien que de la misère sans dire pourquoi cette misère ? A évoquer, et seulement évoquer, la résistance à l’oppression ? Pourquoi si peu de pages consacrées à ce problème angoissant de l’exode de nos campagnes kabyles, de l’exode qui tue, sans dire pourquoi cet exode ? Pourquoi quelques allusions-clichés à la guerre pour la « civilisation » (il s’agit de la deuxième guerre mondiale) sans dire pourquoi la guerre?…»

« Mais, pourrait répondre MAMMERI, dans l’ensemble, les gens chez nous étaient passifs à cette époque-là. Peut-être ceux que MAMMERI connaissait et ceux qui voulaient rester passifs ; Nous savons bien des coins d’Algérie, et particulièrement de Kabylie, où ça n’était pas vrai. Quant aux maquisards, non, vraiment, il aurait mieux valu ne pas les mettre en scène. Car le maquis de Kabylie, autant si ce n’est plus que la misère, l’exode ou la guerre, ne supporte pas d’approximation superficielle…

« …Nous voici en vérité au cœur de la question. Tout se passe comme si MAMMERI avait voulu, de parti-pris, rester dans un cadre étroit qu’il sait lui-même étroit, se bornant à quelques timides allusions comme pour se faire pardonner cette claustration volontaire. ..

…DIB, au contraire, place au centre de son livre un problème de fond… le personnage central de «La Grande Maison» était la faim du petit Omar, la tante riche, les perquisitions policières, le militant Hamid Serradj … Avec une analyse minutieuse et un souci du détail qu’il faut souligner. Mais si les rapports sociaux sont chez Dib soumis à dessein à une analyse beaucoup plus serrée, beaucoup plus «politique» pour dire le mot, que chez MAMMERI, il y manque, par contre, cette chaleur humaine qui imprègne «La Colline Oubliée». ..

…Et maintenant que conclure? Laffont regrette que les deux personnages manquent de perspective alors que la société s’est mise en branle pour le changement

…Ainsi, DIB annonce, dans une interview reproduite avec complaisance par «L’Effort Algérien»: OMAR partira pour la France. Quant à MAMMERI, il dit par la bouche de MENACH, l’un de ses héros: «Adieu, jusqu’au jour prochain où mon âme retrouvera la tienne et celle d’AAZI, pour refaire ensemble TAASAST dans un monde, (l’autre monde) où la souffrance ni l’obstacle ne seront plus. Adieu MOKRANE.»

Laffont, qui considère qu’un livre ou un journal peut être une arme contre la misère la guerre et l’oppression, voit dans le manque de perspective des deux ouvrages une espèce de renoncement. Il suggère que c’est peut-être là qu’il faut chercher la réponse à la question soulevée par les compliments adressés avec maladresse par des gens généralement sectaires aussi bien à «La colline Oubliée» qu’à «La grande Maison».

Et il rappelle aux lettrés Mammeri et Dib l’exhortation que Virgile met dans la bouche du Grec Laocoon à ses concitoyens «Timeo Danaos et dona ferentes». (Je me méfie des Grecs même s’ils sont porteurs de présents). Et pour que tout soit clair, Laffont précise : Nous nous méfions, quant à nous, des Monsieur DE SERIGNY et de leurs semblables, surtout quand ils sont porteurs de prix littéraires.

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Que penser de cette critique progressiste de gauche qui précède et peut nous paraître aujourd’hui excessive, jusqu’à avancer les mêmes exigences envers un roman qu’envers un tract ou une analyse politique, bien que soient reconnues les qualités littéraires et humaines de l’ouvrage ?

C’était dans l’air du temps avec deux volets :

D’abord un dirigisme politique poussé en matière littéraire et culturelle. Il existait autant chez nous que dans les cercles nationalistes (je dirai même davantage dans ces derniers jusqu’à friser l’intolérance, l’esprit d’inquisition et de «takfir» (excomunication) ;

Ensuite, un facteur objectif qui explique sans le justifier entièrement ce dirigisme excessif à nos regards d’aujourd’hui: l’âpreté d’une bataille politique, idéologique et «civilisationnelle» sans pitié avec le colonialisme

Comme je le rappelais en effet dans le n° suivant de « Progrès (mai 1953) à propos du débat soulevé [ [Progrès – mai 1953 – page 43 ]]:

« … Que nous révèle en effet ce débat ?

« l’ensemble des critiques, de quelque bord qu’elles soient, qu’elles soient d’essence progressiste ou réactionnaire, française ou algérienne, pas une seule n’a porté exclusivement sur la forme, le style, la facture des romans.

Par contre l’essentiel de la critique a porté sur le fond, sur le contenu. Et l’on s’aperçoit alors qu’il s’est dessiné, sans équivoque aucune, soit pour louer, soit pour condamner ces ouvrages indifféremment, deux camps qui s’alignent incontestablement et malgré toutes sortes de détours, sur les deux positions politiques fondamentales qui s’affrontent en Algérie. »..

Du côté des colonialistes.

Les uns ont violemment attaqué les romanciers. Tel ce Jean BRUNE, de la « Dépêche Quotidienne ». qui fulmine dans le même style hargneux contre DIB, coupable, à son avis, d’avoir affirmé que nombre d’instituteurs algériens ne considéraient pas leurs élèves comme des descendants des Gaulois.

D’autres se sont évertués à trouver dans ces livres et c’est surtout vrai pour le roman de MAMMERI, des éléments de cet exotisme si cher aux âmes maladives en quête d’évasion, voire même d’un régionalisme qui chatouillerait leur secret mais vain désir, de voir un jour Arabes et Kabyles détournés de leur commun objectif national D’autres journaux réactionnaires tentent la même opération avec le livre de DIB : qu’il est sympathique ce petit Omar, aux prises avec la faim, quelle richesse psychologique, quelle contribution remarquable à la connaissance de l’enfance .

Quoiqu’il en soit, qu’ils déversent louanges ou blâmes, les colonialistes n’en demeurent pas moins dans leur critique, toujours et avant tout inspirés de ce souci primordial : sauvegarde des privilèges colonialistes et diversion sur les problèmes brûlants, évasion vers l’irréel.»

« Par contre, la critique progressiste, malgré sa rigueur et ses exigences critiques, davantage politiques que littéraires, crédite les deux auteurs d’un patriotisme qui pourrait et devrait les amener à poursuivre leur œuvre »

Ainsi dans « Progrès » n° 2 de mai 1953, page 55[ [« Progrès » n° 2 de mai 1953, page 55 ]]

« … / … nous aurons peut-être la satisfaction de lire la suite de « La Grande Maison » dans deux autres ouvrages, où il n’y aura plus trace d’irrésolution et de confusionnisme, où il y aura plus d’optimisme et de naturel.

Nous disons « peut-être ». Et cela tient aux’ écrivains – indépendamment de leur appartenance politique – pour peu qu’ils prennent résolument position pour la justice, contre l’injustice, … Dans ces conditions, quelle signification donner à l’interview accordée par DIB à l’ Effort Algérien», dans laquelle il répond, pour expliquer qu’il avait fait du journalisme: «Les circonstances ont voulu que j’entre à «Alger Républicain», où j’ai travaillé en qualité de reporter». Voyons, DIB, les circonstances ou les convictions?» …

« Nous pensons que nous devons faire confiance à DIB, ne serait-ce que pour la manière courageuse dont il a posé un problème que pas un romancier algérien avant lui n’avait posé.

Nos écrivains, ceux qui ont déjà publié et ceux qui (nous savons déjà qu’ils sont nombreux) s’apprêtent à le faire, savent sans doute que notre littérature doit s’inspirer aussi bien des grandes œuvres classiques que des valeurs forgées par notre peuple, à l’école de qui il faut se mettre.

N’est-ce pas alors le moment de rappeler que c’est Goethe qui a dit: «Il faut choisir, être le marteau ou l’enclume.»

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Avec le recul du temps (soixante ans séparent ces deux univers différents) comment comprendre les remous contradictoires et la vivacité des remous soulevés par ces publications et quelquefois de façon paradoxale dans les milieux colonialistes ou nationalistes?

Notons d’abord qu’à l’époque, ces remous n’affectaient qu’une frange seulement de l’opinion algérienne, une partie de la population citadine ou semi-citadine instruite qui de surcroît n’avait qu’un accès direct restreint aux ouvrages littéraires (Je viens d’apprendre par l’exposé de Hend Saadi qu’apparemment Cherif Sahli n’avait même pas lu “La Colline Oubliée” qu’il critiquait pourtant vertement). Néanmoins cette frange instruite était informée par la presse progressiste ou coloniale de ces nouveautés éditoriales et des polémiques suscitées.

On est très loin de l’impact qu’auront après l’indépendance les adaptations télévisées et cinématographiques des deux ouvrages, lorsqu’elles seront vues par des dizaines de milliers de spectateurs. Ces adaptations diront au grand jour ce que les romans ne disaient que de façon allusive : la guerre d’indépendance est évidemment passée par là, avec les visions radicales consacrées massivement et a posteriori, ce qui n’allait pas de soi auparavant.

Il reste que cette résonance dans les couches algériennes instruites du début des années cinquante était le reflet de l’ensemble de la société autochtone dans ses couches les plus éprouvées, d’où montait la poussée vigoureuse des revendications nationales et sociales. Cette montée s’affichait de plus en plus, certes avec de précautions de style, elle provoquait la panique colonialiste d’un côté, les espoirs et les aspirations à des horizons nouveaux de l’autre. Ce moment de confrontation de représentations idéologiques et identitaires préfigurait les confrontations plus violentes dont étaient grosses la société et la scène politique. Les protagonistes de part et d’autre cherchaient marquer des points pour leur cause, pour leurs intérêts et projets de société. La littérature ne pouvait échapper, aux deux camps fondamentaux, au sens où Goethe affirmait pour sa part « il faut choisir, être le marteau ou l’enclume ». Il était naturel que les acteurs présents sur la scène politique aient tendance à agir et trancher, y compris dans le domaine littéraire et artistique, en fonction pas seulement de l’esthétique et de la qualité littéraire mais le plus souvent et avant tout de leurs options politiques.

Mais dans le vécu quotidien, les positions des acteurs sociaux et politiques n’étaient pas toujours aussi tranchées, elles dépendaient aussi des rapports de force et des calculs de conjoncture, il apparaissait des gradations et des différenciations dans les prises de conscience et de position.

Ne parlons pas des représentants de la grosse colonisation enfermés dans leur racisme grossier et insultant. D’autres néanmoins soucieux d’habileté tactique, feignaient de continuer à jouer la carte assimilationniste d’une France généreuse envers la population algérienne, recouvrant la main de fer d’un gant de velours. pourvu que soit consacré l’effacement de l’identité indigène et sa vocation nationale, Raffinement supplémentaire, ils ne désespéraient pas de voir réussir leurs vieux espoirs d’enfoncer un coin entre Arabophones classés comme fanatiques islamistes et Berbérophones selon eux génétiquement ouverts à la christiano- latinité.

Plus nuancée a été une tendance de conciliation, présente, y compris dans le gouvernement général français, marqué par le courant social-démocrate du temps de Chataigneau-Naegelen-Leonard-Soustelle de la première période, prêt à lâcher quelques concessions (attribution de la maison de la Robertsau aux étudiants musulmans, encouragement à déverrouiller certaines filières professionnelles ou universitaires, etc.). Ou encore le courant dit « libéral » de Jacques Chevallier partisan d’un système néo-colonial plus compréhensif à la seule condition qu’il ne permette pas la jonction des deux radicalismes, l’un national et l’autre social ( cf. le grand cri d’épouvante qu’il a poussé dans la presse à l’occasion du FADRL [ [1951 Création du Front Algérien pour la Défense et le Respect e la Liberté -FADRL- scan de « Liberté » du 2 août 1951 http://www.socialgerie.net/IMG/jpg/FADR.jpg]] en août 1951).Ce sont les mêmes préjugés épouvanté envers l’union nationalistes-communistes que distillaient certains rédacteurs chrétiens-progressistes dans « L’Effort algérien » lorsqu’ils s’en prenaient avec vivacité aux prises de position nationales, unitaires et radicales communes entre étudiants musulmans de l’AEMAN, Scouts Musulmans Algériens, Jeunes de l’UJDA (procommunistes), Jeunesses syndicales, Jeunes de l’UDMA,etc; ils voyaient paradoxalement dans ce fort courant unitaire un « danger », danger pour qui donc?

Enfin un courant dans les milieux européens beaucoup plus nettement progressiste (je ne parle pas des communistes européens qui eux se considéraient partie intégrante du mouvement national). Ce courant progressiste faisait preuve de compréhension et d’empathie pour le mouvement national et sympathisait fortement avec lui, comme les “Mandouzistes”[ [DOCUMENTATION : FONDS ANDRÉ MANDOUZE – http://www.socialgerie.net/spip.php?breve333 ]], certains milieux littéraires autour de Jean Sénac[ [ 7 JANVIER 2011 – ATELIERS VARAN – HOMMAGE à JEAN SENAC – ]] qui était venu me manifester son soutien à la revue Progrès dont il avait même parlé dans sa chronique culturelle de Radio Alger.

Du côté algérien «de souche», le courant progressiste ne se limitait pas aux communistes organiques ou de conviction. Il existait une mouvance de progrès présente en dehors ou au sein des formations nationalistes, qui sans se démarquer explicitement de leurs bureaucraties hégémonistes, ne s’identifiaient pas forcément à elles sur toutes les questions.

Ainsi le futur historien Mahfoud Kaddache, bien que dans ses productions universitaires il s’en tenait prudemment (je dirais même de façon timorée) à la thèse officielle MTLD du «complot berbériste», a fait remarquer à propos des deux romans dans «La Voix des jeunes» que [ [Progrès n°2 – page 43 ]] «l’approbation de la presse réactionnaire ne constitue pas un critère suffisant pour juger défavorablement de ces ouvrages». Il se démarquait ainsi de la prévention nationaliste conservatrice qui a eu d’autres occasions de se manifester la même année, après la sortie triomphale de la pièce de Théâtre “Al KAHINA” en novembre, par Abdallah Nekli (montée et jouée) par Mustapha Kateb. Des attaques d’autant plus inconsidérées que cette pièce n’était pas seulement un plaidoyer historique vivant, ardent et subtil en faveur des luttes pour la liberté, la dignité et l’indépendance mais aussi une approche féconde et emblématique des trajectoires historiques croisées et des interactions vertueuses entre l’amazighité et l’arabité de l’Afrique du Nord.

Au tintamarre diviseur, chauvin et passionnel de franges nationalistes aux conceptions étriquées, s’était jointe l’aile conservatrice des Oulama dans leur organe officiel El Baçaïr pour des raisons différentes de leurs concurrents nationalistes en matière de surenchère arabo- islamique. Une surenchère rivalisant dans la stérilisation de toute relance culturelle algérienne, de toute véritable «nahdha» culturelle, dans la mesure où ils concevaient la promotion de l’arabité et de l’islamité non pas à travers l’encouragement aux potentialités créatrices intrinsèques de ces hautes valeurs de notre histoire, mais à travers un dénigrement, un acharnement destructif et répressif de toutes autres valeurs tout aussi historiques qu’ils considéraient et présentaient a priori comme hostiles.

Il faut néanmoins souligner qu’à la même époque, d’autres courants dans la mouvance Oulama avaient une autre vision, quoique minoritaire, du patrimoine culturel et de civilisation, plus conforme à l’esprit d’ouverture reconnu au patriotisme de Ben Badis[[ [Les communistes et Cheikh ABDELHAMID BEN BADIS – L’INITIATIVE À L’ORIGINE DE « YOUM AL ’ILM »
http://www.socialgerie.net/spip.php?article193

 >193]

« REVOLUTION SOCIALISTE » repris par le site oasis – http://www.socialgerie.net/IMG/pdf/1970_04_16_ben_badis_2.pdf ]]. J‘ai en vue des hommes comme Reda Houhou, Tewfiq El Madani, Moufdi Zakaria, et encore le regretté Larbi Tebessi dont la déclaration mémorable au meeting de fondation du FADRL en août 1951, à la salle bondée du Donyazad avait été empreinte dune remarquable hauteur humaine et politique et avait soulevé un enthousiasme de l’assistance composée de toutes les composantes partisanes du mouvement national

Il y aurait tant d’autreschoses instructives à dire sur cette période, mais le temps est limité et j’en ai abusé …

Ma conclusion : Merci à l’Association Culturelle Berbère de continuer à promouvoir l’œuvre et la mémoire de Dda l Muloudh.

Samedi 21 avril 2012, à l’ACB)

Sadek Hadjerès