INTERPELLATION DU MINISTRE DE LA DÉFENSE AU SUJET DE MAURICE AUDIN

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à

Monsieur Jean-Yves LE DRIAN

Ministre de La Défense

14, rue Saint Dominique

75007 Paris

Paris, le 31 mai 2012

Monsieur le Ministre,

Je vous félicite pour votre nomination au gouvernement et je souhaiterais attirer votre attention sur l’affaire Maurice AUDIN, au sujet de laquelle la vérité n’a pas été établie.

Comme vous le savez Maurice AUDIN était un opposant, membre du Parti communiste algérien, qui fut interdit en septembre 1955. Père de trois enfants, ce jeune mathématicien, arrêté à son domicile à Alger par les parachutistes durant la guerre d’Algérie en juin 1957, et transféré par eux au centre d’interrogatoire d’El Biar, n’a jamais été revu vivant.

Les pouvoirs publics ont jusqu’ici laissé entendre que Maurice AUDIN se serait évadé. Pourtant, de nombreux éléments, dont l’enquête de l’historien Pierre Vidal-Naquet, établissent que Maurice AUDIN est mort sous la torture.

J’ai interpellé en mai 2011 votre prédécesseur à ce sujet. Je lui ai demandé de faire tout ce qui était en son pouvoir pour contribuer au rétablissement de la vérité y compris, si nécessaire, la levée du secret-défense. Je n’ai malheureusement pas obtenu de réponse satisfaisante de sa part.

Il est à noter qu’en mars dernier un manuscrit du colonel Godard, alors ancien commandant de la zone Alger-Sahel, contient, dans un passage qui a été rendu public récemment par la presse, de nouvelles informations sur la mort de Maurice AUDIN.

Contredisant la thèse officielle selon laquelle Maurice AUDIN se serait évadé, ce manuscrit affirme qu’il a été tué par les militaires qui le détenaient et mentionne même le nom de celui qui aurait mis fin à ses jours, le sous-lieutenant de l’infanterie coloniale, Gérard GARCET, aide de camp du général MASSU.

Au vu de ces nouveaux éléments je vous serais reconnaissante, Monsieur le Ministre, de répondre à l’exigence de vérité sur ce qui est arrivé à Maurice AUDIN.

Cette exigence s’exprime sans cesse depuis sa disparition et s’inscrit plus généralement dans la nécessité de révéler la vérité sur les atrocités commises pendant cette guerre coloniale qui a fait des centaines de milliers de morts.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de mes salutations les plus distinguées.

Nicole BORVO COHEN-SEAT

Présidente
du
GROUPE
CRC

SÉNATRICE DE PARIS


31 mai 2012 – ALGER – BOUZAREAH: DÉBAT AVEC ABDELATIF REBAH

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Débat avec Abdelatif Rebah au CREAD

Autour du “développement national contrarié”

La Division Firmes et Économie industrielle (DFEI)

du Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread)

organisera

jeudi à 9h30

au siège du centre

situé à l’intérieur de la faculté des sciences humaines et sociales de Bouzaréah (Alger)

une conférence- débat

autour de l’ouvrage d’Abdelatif Rebah

L’économie algérienne. Le développement national contrarié

publié récemment aux éditions Inas.

Participeront au débat, aux côtés de l’auteur

notamment Mohamed Arezki, Youcef Benabdallah et Nordine Grim

ex-ministre, professeur en économie et journaliste-écrivain.


se référer aussi sur socialgerie à article 793


« POURQUOI LE 1er NOVEMBRE 1954 ? »

Autour du thème proposé: Pourquoi le 1er Novembre 54?

par Sadek Hadjerès

Texte présenté à Table ronde de L’IREMMO

(avec Gilbert Meynier et Sylvie Thénault)

le 22 Mai 2012[ [IREMMO – PARIS – 22 au 25 MAI 2012 : SEMAINE SPÉCIALE ALGÉRIE – socialgerie – brève 517]]

dans la semaine consacrée au cinquantenaire de l’indépendance

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(RÉFLEXION SUR LA PORTEE ET LA SIGNIFICATION

DU DÉCLENCHEMENT DE L’INSURRECTION ARMÉE ALGÉRIENNE)

La question « pourquoi le 1er novembre 54 » peut être abordée sous de multiples facettes, dont plusieurs ont été exposées sur mon site « socialgerie ». Pour aujourd’hui et ces 20 minutes d’exposé, mon angle d’approche sera plutôt celui de la subjectivité des acteurs. Pourquoi les Algériens ont-ils rapidement fait masse autour d’une voie, qui au départ avait les apparences de la fragilité ?

Pour paraphraser la métaphore de Jean Jaurès, les éclairs de la Toussaint 1954 avaient tonné dans un ciel lourdement chargé des nuées d’un colonialisme séculaire impitoyable. L’orage de l’insurrection était inévitable.

Dans sa généralité, cette explication est juste. Dans les faits, des questionnements surgissent : quels sont les mécanismes, les spécificités historiques et psycho-culturelles, qui avaient rendu concevable le soulèvement de 1954 et l’ont marqué de ses particularités?

Pourquoi en effet le premier novembre 54 n’avait pas été comme les orages méditerranéens, violents mais suivis rapidement d’un soleil éclatant ?

Pourquoi , à la différence des insurrections du siècle précédent, les premiers coups de feu de 1954 , certes suivis d’une accalmie et d’un passage à vide de quelques semaines, avaient débouché sur une tempête politico-militaire de sept longues années, qui a fini par abattre l’édifice colonial présenté en 1930 comme éternel, lors de la célébration du centenaire ?

Une autre spécificité de cette entrée dans une guerre asymétrique : pourquoi le peuple algérien avait – il dû consentir tant de sacrifices prolongés, là où d’autres peuples dans l’espace maghrébin et sur le continent africain étaient parvenus presque sans coup férir, à la reconnaissance formelle de leur droit à l’autodétermination, en grande partie il est vrai, grâce au contexte du soulèvement algérien?

Le premier novembre était certes un pari, celui d’une avant-garde nationaliste restreinte, avec une part d’improvisation pour sortir d’une crise politique interne. Pourquoi a-t-il fini par déboucher sur une rupture et un point d’inflexion entre deux époques historiques, pour l’Algérie et pour une grande partie du monde colonisé?

Plus tard, après l’indépendance, l’évènement emblématique était devenu une référence pour les générations suivantes, il avait même suscité des répliques et des imitations. Elles s’étaient avérées fondées pour les mouvements de libération de certains pays. Elles avaient été moins judicieuses et avortées dans d’autres , lorsque l’esprit s’en était réduit à la théorie de la greffe de « focos » implantés de l’extérieur pour créer un nouveau ou plusieurs Viêtnams, comme on le disait avant l’équipée de Bolivie, glorieuse mais inaboutie de Che Guevara.

En Algérie même, de temps à autre quand se faisait sentir le besoin d’un changement radical, se sont élevés des appels : « Vivement un nouveau 1er novembre ! ». Pour l’anecdote, vous le savez peut être, les supporters du président Bouteflika ont osé avancer que les élections législatives allaient être aussi importantes que le 1er Novembre.

Tout cela repose la question de fond: si l’option de la résistance armée était devenue presque inévitable en 1954, pourquoi les conditions qui l’avaient rendue possible et productive dans l’Algérie du milieu de 20ème siècle, ne sont pas reproductibles n’importe où et n’importe quand ?

Je rappelle que si dans mon intervention, je mets les facteurs subjectifs au centre de l’explication, ce n’est pas à l’encontre du socle déterminant des facteurs géopolitiques.

Les conditions objectives ont été relayées par les motivations d’ordre psychologique et culturel. Cette greffe compatible, cette adéquation entre l’objectif et le subjectif était la condition irremplaçable du succès.

Quelles avaient été en effet ces motivations ?

L’insurrection du 1er novembre avait été certes un pari audacieux sur la suite des évènements mais en aucune façon un miracle. Je sais que dans les opinions du monde arabe sensibles aux interprétations mythiques, on avait souvent parlé, d’abord avec admiration et plus tard avec un brin d’ironie, de « Al Djazaïr Bilad al mou’djizat », le pays des miracles. Mais le succès final n’avait pas relevé du seul volontarisme ; à lui seul, il n’aurait accouché que d’une tentative glorieuse mais tragiquement avortée.

La vérité est que, d’abord dans le cadre d’un rapport de force objectif national et international de plus en plus favorable, le potentiel subjectif interne s’y prêtait. Le 1er novembre avait été le fruit d’une longue maturation dans les opinions algériennes. La conjonction s’est réalisée entre deux facteurs complémentaires qui s’étaient forgés l’un et l’autre dans le cours du processus historique.

Il y a eu d’une part, les imaginaires, le profil psychoculturel avec les représentations dominantes dans la société opprimée et exploitée.

D’autre part, il y a eu les prises de conscience politiques , elles ont été le résultat d’efforts difficiles et pas toujours à la hauteur, mais elles avaient été suffisantes pour féconder et soutenir la continuité d’une initiative audacieuse et risquée à la fois.

Quel bilan ?

La jonction de la subjectivité populaire et du combat politico-associatif avait pesé d’un grand poids, malgré les insuffisances d’un champ politique nationaliste entré en crise. Ceux qui avaient initié l’insurrection ou les courants politiques qui l’avaient ralliée comprenaient ou ressentaient cette double maturation. Ils s’étaient reconnus dans la tonalité de l’appel du 1er novembre qui reflétait cette maturation.

Toute autre était la vision d’un certain nombre d’esprits français naïfs ou embrumés par les a priori de la domination coloniale.

Très peu avant l’insurrection, le quotidien français Le Monde pontifiait sous un gros titre en affirmant que l’Algérie restait une oasis de paix dans un Maghreb en flammes. Il faisait allusion au Maroc et surtout à la Tunisie avec les actions croissantes des fellagas.

À cette allégation, notre camarade Bachir Hadj Ali répliquait en substance, sur deux pages de l’hebdomadaire communiste algérien “Liberté”: Non, l’Algérie, corps central du grand oiseau qu’est le Maghreb, ne peut échapper à l’incendie qui a enflammé ses deux ailes.

Sur quoi reposait la certitude de notre camarade? Le rédacteur du Monde aurait été mieux inspiré de méditer un avertissement lancé en 1913 par le député français radical Abel Ferry. Comme son oncle Jules, le fondateur de l’école laïque, et comme lui succombant aux effets du virus colonialiste, il rappelait au nom des intérêts et de la grandeur supposée de la France , que deux éléments constituaient un mélange hautement explosif quand ils se conjuguaient: la misère et l’humiliation sociale d’un côté , les sensibilités identitaires et religieuses de l’autre.

Ces données géopolitiques de base échappaient aux spécialistes de la communication et aux hautes sphères dirigeantes coloniales, car pour diverses raisons elles se complaisaient à prendre leurs désirs pour des réalités. Elles ignoraient que l’apparente passivité des «indigènes» n’était qu’une posture les aidant à survivre.

Or , n’importe quel Algérien peut attester que le rêve de la délivrance massive par les armes, pour peu que l’occasion s’en présente, était une obsession qui habitait la majorité de mes compatriotes de leur enfance jusqu’à à l’âge le plus avancé.

Encore gamin, je voyais couler les larmes sur le visage ridé de ma grand-mère maternelle, dès qu’elle évoquait comment après l’insurrection de 1871, toutes les terres de sa famille avaient été volées et occupées par les Alsaciens Lorrains fuyant l’Allemagne de Bismarck (peut être y verrez-vous une anticipation des mécanismes racistes internationaux qui au 20ème siècle, ont débouché sur la nakba palestinienne?).

À l’évocation de ce désastre, ma mère renchérissait. Comme pour apaiser sa colère, elle nous racontait dans une espèce de revanche verbale, les exploits djihadistes de Sidna Ali (un des compagnons du Prophète) pourfendant les kouffars, les infidèles. Un épisode que nous rappelaient aussi les contes en prose rimée des meddahs, ces sortes de troubadours en qachabya et guennour, qui chaque mercredi sur la place du village exaltaient les exploits représentés sur les estampes naïves posées à même le sol. Ma mère ajoutait avec amertume: mais nous les musulmans, nous ne savons pas «an-nafeq», comploter. Là était le hic , car le seul obstacle au passage à l’acte, à la révolte était le manque de confiance dans la concertation collective.

Encore enfants, nous exprimions entre nous cette préoccupation de façon simpliste et arithmétique : nous musulmans, sommes dix fois plus nombreux qu’eux. Si chacun de nous ne s’occupait que d’un seul français , nous disions ‘’ kafer’’ ou “gaouri”, le problème serait facilement réglé.

Je signale en passant que la même recette géniale habitait les fantasmes de nombreux pieds-noirs et adeptes de l’OAS, «y ’a qu’à les tuer tous», recette qui connut plusieurs débuts d’application.

Mais nous devions nous contenter de ruminer nos incapacités à engager des actions concertées, nous apprenions à garder le secret de nos états d’âme contre les mouchards.

Qu’est -ce donc qui avait fait progresser ensuite les mentalités dans toute la société, leur avait donné plus d’assurance et d’espoir, leur avait appris à jauger avec plus de réalisme le contenu et les orientations de l’action violente et non violente, la combinaison des divers moyens d’action possibles, l’adhésion à des formes d’organisation nouvelles greffées sur les traditionnelles structurations patriarcales?

Cette évolution s’est réalisée à travers l’émergence progressive de noyaux associatifs et politiques d’abord minoritaires. Puis à un rythme plus rapide et plus massif à partir de la fin des années trente, sous l’influence des évènements internationaux de grande importance. Ces derniers avaient pénétré la scène algérienne par de multiples canaux jusqu’aux bourgades et douars reculés d’où étaient originaires les habitants des villes ou les travailleurs émigrés en France porteurs d’une culture syndicale et politique minimum.

La courte période du Front populaire en France, malgré le refus du gouvernement socialiste de faire droit aux revendications démocratiques algériennes les plus élémentaires, montrera aux organisations encore minoritaires qu’il était possible d’accéder aux activités associatives, syndicales et politiques en dépit des barrages répressifs. La combativité sociale et politique est ainsi montée d’un nouveau cran.

Mais c’est surtout le séisme de la 2ème guerre mondiale et des résistances à l’occupation nazie qui nous éveillera à la dynamique des luttes pacifiques et non pacifiques. Après sa défaite de 1940, l’armée française n’était plus considérée comme invincible. Après le débarquement anglo-américain de 1942, pour nous elle faisait piètre figure par rapport au spectacle des troupes motorisées américaines. Les Algériens sont devenus partie prenante plus consciente de l’usage des armes dans les campagnes de libération d’Italie et de France.

Face au repli temporaire de la grosse colonisation qui avait collaboré avec Vichy, la revendication nationale et de liberté s’était déployée à travers le large regroupement des Amis du Manifeste et de la Liberté. Un très large réseau associatif culturel , religieux et de jeunesse scout ou sportive, s’exprimait et activait de façon imbriquée et parallèle sur deux registres pas forcément contradictoires quant à l’objectif commun, l’un pacifique et légaliste, l’autre para-légal, tourné vers des horizons d’actions plus radicales impliquant le recours aux armes.

Ainsi nos chants patriotiques en arabe classique et populaire ou en berbère évoquaient sans ambages l’idée du sacrifice de la vie pour la patrie et appelaient à ne pas craindre les balles. Les causeries et les prêches des cercles culturels et religieux exaltaient les victoires de l’islam à sa naissance en dépit de l’inégalité des forces, comme lors de la fameuse bataille de ‘’Badr’’. Dans le mouvement scout musulman, dans l’esprit d’ailleurs de son fondateur anglais Baden Powell, l’engagement envers l’idéal scout était de mettre un savoir-faire technique et paramilitaire au service de la patrie et de ses concitoyens. Quand un avion miliaire allié s’était écrasé sur la montagne voisine, ou dans nos contacts avec les troupes US cantonnées près du village , la recherche d’armes était l’une de nos préoccupations.

L’attrait pour la perspective de lutte armée allait de pair avec la politisation croissante du mouvement nationaliste même si celle-ci ne s’accompagnait pas d’une réflexion articulant mieux dans les esprits , les luttes militaires et les luttes pacifiques syndicales , électorales , associatives etc. Cette insuffisance s’était ressentie plus tard dans les sphères dirigeantes nationalistes par l’improvisation (ordres et contre-ordres d’insurrection) après les massacres du 8 mai 45 , ou la façon dont les couches de la paysannerie pauvre du Constantinois avaient réagi spontanément à cette répression, faute d’orientations assez claires .

La carence dans l’évaluation des stratégies et rapports de force politico-militaires s’était révélée après la défaite arabe dans la première guerre contre l’Etat sioniste. Elle eut l’effet d’une douche glacée sur les rodomontades nationalistes polarisées sur la puissance supposée d’un Ligue arabe idéalisée à outrance.

Le 8 mai 1945 avait eu deux sortes d’effets : la division et le pessimisme avaient été assez rapidement surmontés dans la majeure partie de l’opinion grâce en particulier à la campagne pour l’amnistie initiée par les communistes, qui bénéficia d’un rapport de force favorable sur la scène politique française. En même temps, le 8 mai consolida l’opinion que le colonialisme ne nous laissait d’autre issue que la violence armée pour se libérer.

Certains courants nationalistes moins convaincus ou sensibles aux séductions de colonialistes dits « libéraux » concevaient les voies politiques comme opposées et non pas complémentaires avec l’option armée. Mais celle – ci marquera des succès chez les plus résolus avec la décision du congrès du PPA-MTLD de 1947 de créer l’Organisation Spéciale (OS).

Le démantèlement de l’OS en 1950 n’a pas interrompu l’élan et le débat entre les avantages et les inconvénients de chaque option.

Deux évènements précipiteront les projets de recours aux armes.

D’abord l’échec du FADRL (Front algérien pour la Défense et le Respect des Libertés Démocratiques)[[ [1951 Création du Front Algérien pour la Défense et le Respect e la Liberté -FADRL-

scan de « Liberté » du 2 août 1951
->http://www.socialgerie.net/IMG/jpg/FADR.jpg] ]] constitué en été de 1951 par l’ensemble des partis politiques qui ont eu ensuite chacun leur part de responsabilité lorsqu’il s’est effiloché les mois suivants.

L’échec de cet élan politique et populaire renforça le courant des partisans de l’activisme armé. Mais ce fut de façon assez perverse et dépolitisée, selon l’idée fausse chez nombre de gens déçus, que c’était la lutte politique en elle-même et non pas l’absence d’une saine politisation qui était stérile et contre-productive.

L’autre facteur fut, sur la scène régionale et internationale, une série encourageante de changements tels que l’arrivée au pouvoir de Nasser en Egypte, qui mit fin à l’aura trompeuse d’une Ligue arabe impuissante et complaisante envers les puissances coloniales. Cette évolution ascendante trouvera plus tard son apogée avec le grand rassemblement intercontinental de Bandoeng, cependant que l’option militaire va s’inviter davantage avec l’entrée en lice des fellagas Tunisiens et surtout la grande victoire de Diên Biên Phû. Le 8 mai 1954 fut ressentie chez nous comme une revanche éclatante sur la tragédie du 8 mai 45 : les Algériens se répandaient en congratulations traditionnelles et souhaits d’un nouvel Aïd, une grande fête de libération à venir.

Dès lors, l’évolution vers la préparation de l’insurrection ne pouvait surprendre même les observateurs les moins avertis.

Comment croire dans ces conditions aux affabulations selon lesquelles les communistes ont été surpris, ou même auraient réagi de façon hostile à la survenue de l’insurrection?

C’est bien mal connaître cette période que se fier aux allégations propagandistes et partisanes qui s’expliquent par les enjeux politiciens du temps de guerre, avec l’esprit hégémoniste et sectaire de certains dirigeants FLN et ALN. Ce genre d’allégations, bien que peu crédibles à des esprits curieux ou avertis, ont été malheureusement reprises plus tard en boucle et sans vérification par des media ou même des historiens dont le mouvement communiste n’était pas le thème principal de recherche.

Fort heureusement, depuis la dernière décennie, nombre d’historiens anciens ou nouveaux, soucieux d’investigations ouvertes et responsables, se dégagent de plus en plus des raccourcis sommaires et idéologisants que favorisait par surcroît la désinformation ambiante.

Pour exemple lié au premier novembre, je signale un article fortement documenté de l’historien hongrois Laszlo Nagy[EXTRAITS D’UN OUVRAGE PARU RÉCEMMENT À BUDAPEST – [LA GUERRE ALGÉRIENNE DE LIBERATION ET LES PAYS COMMUNISTESPAR L’HISTORIEN ET UNIVERSITAIRE HONGROIS J NAGY LAZLO – article 286 socialgerie – mise en ligne octobre 2010.

LE 1er NOVEMBRE 1954, VU PAR UN HISTORIEN HONGROIS – LES „ÉVÈNEMENTS” ET LES PREMIÈRES RÉACTIONS – article 862 socialgerie – mise en ligne mai 2012.
]], qui détaille un épisode significatif et pourtant occulté. L’appel du 1er novembre fut presque aussitôt répercuté par une station radio émettant en arabe dialectal depuis Budapest en direction du mouvement indépendantiste d’Afrique du Nord. Cette station était animée et dirigée par notre camarade William Sportisse, lui même envoyé pour cette mission depuis le milieu de l’année 54 par le PCA et les autres partis communistes maghrébins. Il avait diffusé le communiqué du 1er novembre avant qu’il ne lui soit envoyé par la délégation du FLN au Caire, qui en son temps et en la personne de Aït Ahmed, le remercia et le félicita de cette initiative.

Pour préciser les choses, la direction du PCA n’a pas été surprise par la survenue de l’insurrection, politiquement dans l’air et prévisible pour les mois ou l’année à venir. Ce qui nous a surpris dans la semaine qui précéda l’insurrection et au cours de laquelle nous avons compris son imminence, ce fut l’accélération de son timing, en plein aiguisement de la crise du PPA-MTLD. Car nous prêtions davantage de perspicacité politique aux initiateurs de l’insurrection, à qui Abbane Ramdane libéré de prison après le début de l’insurrection et comme les historiens le sauront plus tard, reprochera en termes très durs à ses compagnons d’armes, la précipitation avec laquelle l’insurrection fut déclenchée dans des conditions aussi précaires.

Là où par contre, sans développer ici davantage, j’estime que la direction du PCA aurait dû et pu faire mieux, c’est après Dien Bien PHû, anticiper organiquement sur les probabilités d’évolutions en cours et préparer des structures parallèles du type des Combattants de libération avant que l’insurrection ne survienne, ce qui nous aurait facilité les dispositions organiques après l’insurrection et un certain nombre de développements politiques ultérieurs dans l’intérêt aussi bien des courants nationalistes et communistes que de la population.

Le temps qui m’est imparti ne me permet pas d’aller plus loin.

Je conclus donc en soulignant que la question du 1er novembre 54 dépasse de loin son timing et son accomplissement pratique et militaire. L’essentiel réside dans la finalité et le contenu politiques des soulèvements.

Deux remarques me paraissent d’actualité quant à l’utilisation qui est faite de la symbolique du 1er novembre:

  • 1°. Un prétendu « novembrisme », passéiste et s’en tenant à l’apologie désincarnée de la lutte armée, a servi de couverture idéologique à des dérives antidémocratiques de la part de cercles nationalistes, officiels ou non. Ils se sont mis à invoquer pour eux seuls la légitimité révolutionnaire et le label clientéliste de la « famille révolutionnaire ».

    La traduction néfaste en a été la crise de l’été 1962 qui vit instaurer par la violence le socle militaro-policier du nouveau système de pouvoir.
    Les vertus faussement attribuées à la violence armée sans évaluation critique de son contenu politique sont aussi à l’origine des fautes désastreuses qu’ont été les affrontements armés en Kabylie de 1964, puis dans tout le pays durant la sombre décennie 90.

    Ce constat prend de nouveau une résonance particulière en cette saison non pas de printemps mais de tempêtes arabes et africaines, où quelques cercles s’étonnent en le déplorant, de ce qu’ils appellent «l’exception algérienne». Ils caressent, par mimétisme envers le 1er novembre 54, le calcul dangereux d’allumer un feu purificateur par internet, rumeurs-intox ou tout autre scénario planifié. C’est ignorer que ce qui a donné du souffle à l’insurrection algérienne en 1954, ce fut avant tout une orientation politique bien en phase avec les aspirations, le ressenti et la sagesse populaires. C’est cela qui fut fondamental et porteur de succès et non pas les instruments pratiques qui ont véhiculé efficacement ce contenu, depuis le bouche à oreille ou «téléphone arabe» ,«radio trottoir ou café de quartier» jusqu’aux postes radios transistor récemment arrivés et transmettant les émissions de l’étranger.
  • 2°. Un deuxième enseignement, lié au précédent, a été rendu plus éclairant par les malheurs qui se sont abattus sur les peuples libyen, syrien et malien, venant après la tragédie du peuple irakien. C’est la militarisation artificielle des conflits internes.

    Elle recouvre souvent des tentatives suspectes d’embrigadement émotionnel de l’opinion, d’anesthésie de la conscience politique, de l’analyse et du sens critique dans des buts non avoués dont profitent les cercles réactionnaires locaux et internationaux qui encouragent et suscitent ces dérives.

    Dans des conflits internes encore plus que dans les luttes de libération nationale, la lutte armée ne devient légitime et porteuse d’avenir que si elle engagée en dernier recours, quand les moyens et voies pacifiques ont réellement épuisé leurs effets. Alors seulement le recours aux armes, avec un large appui populaire, peut ouvrir la voie à des solutions pacifiques et démocratiques, dénouer et non pas aggraver l’écheveau compliqué des situations où s’entremêlent les représentations identitaires, les enjeux économiques et stratégiques.

    En ce sens, novembre 54 avait ouvert la voie aux accords d’Evian.

    En sens inverse, l’épreuve de force de l’été 1962 a préparé les impasses et tragédies survenues un quart de siècle plus tard : massacre d’octobre 1988, les années noires de la décennie 90, la répression algéroise sanglante des jeunes marcheurs du 14 juin 2001 et le marasme, la fragilité nationale actuelle.

À cinquante ans de distance, il est à souhaiter que ces enseignements croisés préparent un vrai printemps démocratique et social, tel que souhaité par l’appel du 1er novembre 54.

C’est l’enjeu, encore en balance, des luttes en cours.


LIENS consultables pour la table ronde IREMMO :

Rencontre Ouamrane avec Jean Jacques Galland à Djemaa Saharidj cinq mois avant l’insurrection:
(http://www.socialgerie.net/IMG/pdf/1954_06_2005_01_17_Ouamrane_et_Galland-extts_fin_juin_1954_-_912_-_921.pdf)

Les communistes et leur attitude au 1er nov (réponse au journal Le Monde du 5 nov2005)
L’HISTOIRE PAR LE BOUT D’UNE LORGNETTE IDÉOLOGIQUE
(http://www.socialgerie.net/spip.php?article75)

Opération Maillot-CDL
4 Avril 1956 : OPERATION C.D.L-HENRI MAILLOT, PRÉLUDE AUX ACCORDS PCA – FLN
(http://www.socialgerie.net/spip.php?article1)

Rencontre PCA- FLN : 1956, FLN ET PCA : RENCONTRES ET PREMIERS
ACCORDS
(http://www.socialgerie.net/spip.php?article31)

Lettres du PCA au GPRA (1958-59)
LETTRES ADRESSÉES AU G.P.R.A. AU COURS DE LA GUERRE POUR L’INDÉPENDANCE AU NOM DU COMITÉ CENTRAL DU PARTI COMMUNISTE ALGÉRIEN
(http://www.socialgerie.net/spip.php?rubrique17&debut_articles=30#pagination_articles)

Le militaire et le politique, par Sadek Hadjerès : (dans numéro hors série de L’Huma mars 2012 pour le cinquantenaire de l’indépendance) : pages 33-34


Citations d’historiens:

Ce qu’avait écrit il y a dix ans un historien français, Gilbert Meynier, par ailleurs consciencieux et acquis à la cause algérienne de libération tant qu’il s’agissait du mouvement nationaliste. Je pense que, depuis, son opinion a évolué à partir d’une meilleure information :

« …Le 1er novembre fut apprécié par le P.C.A. comme une entreprise aventuriste irresponsable. A plusieurs reprises il stigmatisa l’ « individualisme » des actions armées de l’A.L.N. Sur le fond , le P.C.A. n’était pas un parti indépendantiste et il ne militait pas pour l’indépendance… » C’est ce qu’avait écrit Gilbert Meynier il y’a dix ans .
(Reference: Gilbert Meynier , Histoire intérieur du F.L.N. 1954-1962 , Editions Fayard ,Paris 2002;pages180 ( Chapitre sous-titré :  »LES COMMUNISTES: ALLIÉS DOUTEUX OU RALLIÉS INCERTAINS? ) » .

Avis de Boumediene LECHLECH, historien algérien
A propos de l’effet de « surprise » qu’aurait eu le 1er novembre 54 pour les communistes algériens, cela concerne uniquement le choix de la dernière date par les initiateurs de l’action armée programmée simultanément sur l’ensemble du territoire national et gardée secrète. Mais tout le monde savait, qu’en général, on se préparait pour l’insurrection qui avait déjà embrasé ‘’ les deux ailes ‘’ de l’Afrique du Nord Française.(4)

Par contre parler d’hostilité à l’insurrection armée des communistes algériens, du PCA est de la pure calomnie dans les luttes politico-idéologiques d’aujourd’hui par divers courants, y compris lorsqu’elles prennent la forme d’écrits d’histoire falsifiée.

(allusion est faite ici à un chapitre d’un ouvrage tout récent de Stora et Rochebrune, modèle d’un genre périmé, qui reprend tous les poncifs des hégémonistes du FLN d’une autre époque


50ème ANNIVERSAIRE
DE LA FIN DE LA GUERRE DE LIBÉRATION EN ALGÉRIE

[

LIENS UTILES sur
www.socialgerie.net

se référer à la brève 435

->br435]


ندوة حول راهنية مهدي عامل في ظل الوضع العربي المستجد

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dimanche 27 mai 2012 , par La Rédaction Al-Oufok

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25 ans après son assassinat,

Mehdi Amel

reste notre contemporain

لمناسبة الذكرى الـخامسة والعشرين لاستشهاد المفكر الشيوعي مهدي عامل (حسن حمدان)، نظمت قيادة الحزب الشيوعي اللبناني أمس لقاء فكرياً، في مركز توفيق طبارة – بيروت، حاضر فيه كل من الباحث الاجتماعي د. أحمد بعلبكي، والمؤرخ د. مسعود ضاهر، ونديم علاء الدين عضو المكتب السياسي للحزب الشيوعي اللبناني. حضر اللقاء الأمين العام للحزب الشيوعي اللبناني د.خالد حدادة ونائب الأمين للحزب د. ماري ناصيف – الدبس، وأعضاء من المكتب السياسي واللجنة المركزية للحزب، وعائلة الشهيد مهدي عامل، وعدد من المثقفين وحشد من الشيوعيين.

افتتح اللقاء بالنشيد الوطني اللبناني ونشيد الحزب الشيوعي اللبناني والوقوف دقيقة صمت تحية لشهداء حرية الكلمة والمقاومة ضد الإحتلال الإسرائيلي.

قدم اللقاء الأستاذ ربيع ديركي وممّا جاء في كلمته : « مهدي عامل مفكر شيوعي حَفَرَ في النظرية الماركسية – اللينينية باللغة العربية، وفي حفره أدرَكَ خطورة ما يقوم به بقوله « إنها لمخاطرة كبرى أن يُفكرَ الواحد منّا واقعه باللغة العربية »، في حفره أنتج مهدي جديداً(…) أسسّ له بتمييز كونية قوانين النظرية الماركسية – اللينينية في موقع الماركسي بالذات لمعرفة واقعنا. وشتان الفرق ما بين ماركسيتنا والتوطين وما بين التمييز ». وأضاف : « معرفة واقعنا نوليها نحن الشيوعيين اللبنانيين الموقع الرئيسي في نضالنا من أجل التغيير الديمقراطي الثوري، الذي هو سيرورة مقاومة الاحتلال والتغيير، إنها العلاقة الديالكتيكية في الممارسة السياسية للحزب الشيوعي اللبناني التي فيها تتحقق النظرية في الممارسة السياسية. لذا، وفي الذكرى الخامسة والعشرين لاغتيال مهدي عامل نعود الى رفاق رووا بدمائهم زمن الضرورة الضاحكة أبداً اليافعة دوماً… زمن الحزب الشيوعي اللبناني الذي أطلق من بيروت الوطنية في السادس عشر من أيلول 1982 رصاصة جبهة المقاومة الوطنية اللبنانية التي حررت بيروت من الإحتلال الإسرائيلي في السابع والعشرين من أيلول 1982، وبقيت تلاحق العدو الى أن حررت معظم الأراضي اللبنانية دون قيد أو شرط، دون قرارات دولية ودون أن تلغي التلازم بين المقاومة والتغيير الديمقراطي الثوري كونهما وجهان للصراع الطبقي ».

د. أحمد بعلبكي : الارتدادات الإيديولوجية للأزمات الدولية في المجتمعات العربية

بعد ذلك تحدث د. أحمد بعلبكي الذي قال : « مهدي كان ويبقى راهناً ليس بما أتوافق معه في كتاباته وفي تحليلاته، إنما راهنيته تبقى أنه دائماً بما كنّا ليس في لبنان فقط إنما أيضاً في بلدان عربية مثل الجزائر وتونس ومصر، نتساجل مع مهدي، لخلاف أو لتوافق، ومهدي كان هو العنوان الذي يساجل معه في الأطروحات العالية للجامعيين وحتى الباحثين، إذن راهنية مهدي هي في أنه ساهم في تطوير الكثير من الأفكار سواء الموافقة أو المعارضة معه وهكذا سيبقى مهدي في كتاباته ».

وركز بعلبكي في محاضرته على قيادات الإسلام السياسي في الوضع الراهن وارتدادات أزمات النيوليبرالية في الأطراف العربية، حيث أشار الى انه قد  » تراجعت في أنظمة الاستبداد العربية غير النفطية حضور الأطر السياسية القومية واليسارية والنقابية لصالح توسع للحركات الإسلامية التي وجدت أن المطالبة بالتعددية البرلمانية كالوصول الى السلطة في مواجهة المركزيات المستبدة والفاسدة تشكل خلاصاً مرغوباً لغالبية الفئات الاجتماعية ومقبولاً لدى مراكز القرار في الدول الامبريالية التي كانت قد يئست من صمود أنظمة العجز المحسوبة عليها. إلا أن سرعان ما تبين خلال العام الأول من انتقال الشرعية الى الأكثريات الإسلامية أن هذه الحركات تنتقل وتنقل مجتمعاتها معها الى مخاض جديد تبدو فيه عاجزة عن بناء نظام بديل لمواجهة الأزمات التي نمت في ظلها. ووصلت الى السلطة لتجد نفسها أمام أصعب مستويات تأزمها ومستويات التعارض داخل هيئاتها القيادية وأمام الحلف الامبريالي – الخليجي الذي وفر للحركات الإسلامية والسلفية منها الكثير من تسهيلات الوصول الى اقناع الناس بصدقية توجهاتها. ووجدت نفسها في مواجهة أعلى مستويات التحدي التي شكلت محور خطابها التعبوي وهي :

1- ،تحدي تفاقم الفقر والإفقار الذي يغلب على توجهاتها في معالجتهما التزهد والإغاثة المدعومين من الأنظمة الخليجية،

2- وتحدي توسع المنافسة مع السلفية الوهابية – الخليجية التي دعمت حراكها

3- والتحدي المتمثل بتزايد التعنصر الصهيوني وتهويد القدس قبلتهم التي قضوا أكثر من نصف قرن في التعبئة من أجل تحريرها وتحرير المسجد الأقصى فيها.

إن هذا المستوى من التحدي سيؤدي الى انفراز طبقي وسياسي داخل التحالفات الإسلامية داخل هيئاتها. وأن تعامل الليبراليين واليساريين والديمقراطيين سيؤثر في تسريع تعطيل هذا الإنفراز ».

وأشار بعلبكي الى أن » قيادات الإسلام السياسي تجد نفسها اليوم، في الانتقال من إدارة التعبئة في الجوامع الى أدارة السلطة والأسواق »، وأضاف « إن الإسلام السياسي ممثلاً بخليط المقاربات الاجتهادية والقياسية والتفسيرية والإفتائية في التنظيمات العريقة كالإخوان المسلمين مدعو اليوم الى الانتقال من الاختلاف بين المقاربات داخل تنظيماته الى زمن الإختلاف والفرز بين الخيارات السياسة – الاجتماعية والاقتصادية المحرجة بين مكونات قياداته بالذات وهي خيارات لا تحسم في خطب التعبئة الدينية في الجوامع وفي وسائل الإعلام لأنها ترتبط بحقوق ومعاش الشرائح الأوسع داخلياً من جهة، وترتبط، من جهة ثانية، بالمصالح والعلاقات الإقليمية والدولية لبرجوازيات الدولة والأسواق المتعدية للحدود ».

وختم بعلبكي  » إن التعهدات المتكررة باعتماد نهج حكم مدني التي أطلقها حزب الجماعة عشية الانتخابات (المصرية) تبقى كلاماً فوقياً لقيادات الإخوان عن رحابة أخلاق الإسلام الإنسانية، ويبقى كلاماً لا يتحكم، في تقديرنا، بضيق التزمت الذي خلقه الخطاب التعبوي على امتداد عقود طويلة في نفوس جماهير المحبطين الذين حملوا المصاحف وأفتيّ لهم في زمن التعبئة بتكفير الأنظمة المتخاذلة في مواجهة الصهيونية والتعدي على الأقصى، وأفتيّ لهم بتكفير المحبطين الآخرين الذي لا يقولون قولهم. أوليس للدهماء تدينها وقيادات أزقتها التي تدفعها فيستعصي ردعها ».

د. مسعود ضاهر : راهنية فكر مهدي عامل، النقد أولاً

ومما قاله د. مسعود ضاهر : |نحن جيل يفتخر بأنه عرف مهدي عامل، عايشه عن قرب ناقشه في كثير ممّا كتب، أحبه وتعلم عليه الكثير، خاصة أن مهدي كان من رواد النقد. لقد أنتج مهدي ثقافة شمولية موسوعية في مختلف جوانب حياتنا الثقافية بفكر متنور ».

وأضاف ضاهر :  » عندما نقرأ كتاب في الدولة الطائفية لمهدي عامل نجد أنه انطلق فيه من خلفية نظرية ومنها كان مهدي يؤسس لمفهوم المواطنة في لبنان وذلك في مرحلة كانت فيها الجماعات اللبنانية، وما زالت، رعايا في دولة هشة يقودها نظام سياسي متخلف مبني على توازنات طائفية مدمرة، لهذا السبب يبقى هذا الكتاب راهناً الى أن تتحول هذه الجماعات الى مواطنين، والثقافة اللبنانية تفتقر الى هذا النوع من الكتب التي يجب أن لا تدرس في أوساط الشيوعيين فحسب، بل أيضاً في أوساط جميع المثقفين اللبنانيين والعرب، فمهدي في كلامه على الدولة الطائفية طرح الغالبية الساحقة من الموضوعات من وجهة نظر فيلسوف، والطائفية كظاهرة اجتماعية يمكن أن تدرس من جوانب متعددة ».

وتساءل د. ضاهر » كيف تحولت الظاهرة الطائفية الى أن تصبح متداخلة في كل شيء في لبنان ليس فقط في البناء الفوقي والبناء التحتي بل أيضاً في السياسة والاقتصاد والمجتمع وبناء الدولة والمؤسسات، وما وصلنا اليه خير دليل على أن الظاهرة الطائفية أقوى من جميع من كتبوا عنها وما زالت مزدهرة الى الحد الأقصى من الازدهار، هنا نسأل كيف أمكن لهذه الظاهرة أن تحكم المجتمع اللبناني بهذه الطريقة وتقوده باتجاهات عمياء من خلال تحول النظام السياسي الى نظام زبائنية ونظام رعايا وتتراجع هيبة الدولة وتعود مؤسسات المجتمع الأهلي السابقة على قيام الدولة لتصبح أقوى ممّا كانت عليه. بالفعل إنه لمن المعيب أن نتكلم، ونحن في القرن الـ 21، عن قمع دولة أو دولة طائفية أو دولة وراثة سياسية ». وبعد أن أشار الى ضرورة فتح ورش نقاش حول أسئلة نواجهها اليوم مثل لماذا يبقى الناس رعايا ولماذا لم يتحولوا الى مواطنين، وما هي علاقة الطائفية بالدين هل هي علاقة تدين أم علاقة سياسية، لفت د, ضاهر الى أن « سيطرة البرجوازية هي سيطرة طبقية وليست سيطرة طائفية وهي تبقي على الشكل الطائفي لسيطرتها لأنها تؤمن لها مصالحها ولم تستغنِ عن هذا الشكل لحد الآن لأنها ما زالت تجد فيها طريقاً لاستغلال الناس عبر الزبائنية والتهييج الطائفي والمحاصصة الطائفية ». لذا، رأى أن « الكلام الذي كتب في اتفاق الطائف حول إلغاء الطائفية السياسية هو خداع كلامي، كما الكلام على تطوير الجامعة اللبنانية وكتابة كتاب تاريخ مدرسي موحدأيضاً مجرد خداع كلامي، وما دام المجتمع اللبناني طائفياً بهذه الدرجة من الحدة فلن يكون هناك كتاب تاريخ مدرسي موحد لما في ذلك من مصلحة لزعماء الطوائف ».

وأكد ضاهر أن « مشاريع الحلول الطائفية برأي مهدي هي مشاريع حلول وهمية وأن التناقض في الدولة اللبنانية هو تناقض مأزقي وطالما هناك طائفية فلن يكون هناك حلاً، الحل بإزالة هذا النظام الطائفي بكامل مؤسساته وأجهزته وأيديولوجيته. إن وظيفة الطائفية في المستقبل المنظور، وقد وصلنا اليه، هي تعطيل دور الدولة ومن يعطل دور الدولة هي الطائفية ولا يمكن عزل زعماء الطوائف عن ذلك، فالزعماء الطائفيون مستعدون لتدمير الدولة والوطن حفاظاً على مصالحهم ».

وختم « طالما بقي اللبنانيون رعايا وليسوا مواطنين أحرار في دولة مستقلة ذات سيادة فإن كتاب مهدي عامل في الدولة الطائفية سيبقى راهناً، والمطلوب من حزب خرج من صفوفه مهدي عامل ألاّ يكون مهزوماً لا في الفكر ولا في الممارسة وعليه أن يحول فكر مهدي عامل وفكر حسين مروه وغيرهما الى قوة نظرية فاعلة ليس فقط على مستوى المثقفين التقدميين اللبنانيين بل على مستوى المثقفين العرب. نحن أمام مرحلة مهمة جداً من تاريخ لبنان والعرب، والانتفاضات التي شهدها ويشهدها العالم العربي فتحت الباب أمام التغيير وعلى قوى التغيير أن تدخل بكل طاقاتها في هذا الباب وأن تمنع انسداده مجدداً، لأن باب التغيير قد أغلق خلال الـ 40 سنة الماضية وبفضل الشباب على اختلاف انتماءاتهم فتح باب التغيير وعلى كل مثقف يدعي التغيير وعلى كل حزب يدعي التغيير الانخراط في هذه المعركة لقيادة الجماهير في الاتجاه السليم عندئذ نجد أن فكر مهدي عامل راهناً في جميع هذه الانتفاضات ».

نديم علاء الدين : ثورة عربية بغياب الأحزاب الشيوعية

أما نديم علاء الدين فأشار الى أن « لا مبالغة في القول إن كل مشروع مهدي عامل في ما كتبه، وفي الأسباب الموجبة لما كتبه، في ما يخص حركة التحرر الوطني العربية، صار اليوم، في ضوء التطورات العاصفة والجارية منذ عقدين من الزمن، صار له أبعاد ومضامين عالمية. فالمشروع برمته راهن، بدءاً من انهيار المنظومة الاشتراكية والاتحاد السوفياتي السابقين، وما فرضه هذا الانهيار من ضرورة اعادة بحث شاملة في المفاهيم الماركسية وتطبيقاتها، كان مهدي عامل قد دعا نفسه ودعانا للقيام بها قبل ذلك الانهيار، فكان سابقاً لعصره، في الحاجة الى توطين الفكر الماركسي في تربتنا العربية، أو على إعادة إنتاج المفاهيم الماركسية فيها.

ورأى علاء الدين « إن الثورات العربية الراهنة، وربما العنوان اشتق منها، تجعل من كل انتاج مهدي عامل النظري مادة للبحث في راهنيته، ذلك أن مهدي هو منظر هذه الثورات، وكل محاولته ومجمل أعماله تدور حول بناء نظرية للثورة العربية ».

وطرح علاء السؤال التالي : « كيف تخفى الثورة على الثوار، كيف هذا الشباب الثائر كان ولا يزال بعيداً عن الماركسية، ذلك الفكر الذي ارتبط بالثورات، أو كيف أن هذا الفكر بعيد عن وعي الشباب الذين أسقطوا الطغاة. سؤال ينبع من الماركسية بعمق، لأنها بجوهرها نظرية الثورة، وهي النظرية التي تقول بأن الصراع الطبقي محرك التاريخ، وما الثورة الاجتماعية في جوهرها سوى اللحظة التي يتجلى فيها الصراع الطبقي ».

وفي هذا السياق توقف علاء الدين عند مسألتين : » الأولى تتعلق بتوصيف ما جرى : هل هو ثورة أم لا، والثانية تتعلق برؤية المسار اللاحق، استناداً الى نظرية مهدي عامل في الثورة وفي الحزب الثوري ».

وأشار علاء الدين الى أنه « من المعروف أن مهدي عامل قدم أطروحته حول الثورة وعملية التغيير الثوري في طابعها العام، في طابع نظري، بمعنى وضع الضرورة النظرية، وكان يريد استكمال ذلك ببرنامج عملي تاريخي يوصل الى الأفق الاشتراكي المنشود(…). صحيح أن مهدي في بحثه حول أزمة حركة التحرر الوطني العربية استنتج أن هذه الأزمة لا يمكن الخروج منها إلا يتولي الطبقة العاملة قيادة هذه العملية لأنها وحدها القادرة على الجمع بين مهام التحرر الوطني والتغيير الاجتماعي لكنه هنا كان يرسم الأفق الستراتيجي لعملية التغيير، بما هي سيرورة، وهي أطروحه لا تزال قائمة وصحيحة، أو راهنة، يكفينا دلالة على ذلك هو استمرار الأزمة نفسها، واستمرار المراوحة، لا بل استفحالها، سواء في عجز القيادة أو في عجز البديل، حتى يستمر الطرح النظري إياه ». وتابع علاء الدين »الأزمة لا تكمن في عجز البرجوازيات العربية، فهذا تحصيل حاصل، إنما الأزمة تكمن في عجز البديل عن توليه مهام القيادة، واستمرار الأزمة هذا الوقت كله بعد هذه الرؤية الصحيحة يكمن فقط في عجز البديل. من هنا نقول اذا كانت البرجوازية عاجزة، والبديل الثوري عاجز، فهل على الطبقة العاملة الانتظار حتى يخرج قائدها على عجزه، بكل بساطه ما فعلته الجماهير في انتفاضتها الثورية هو انها لم تنتظر، وتركت للأحزاب الشيوعية أن تلحق بها » وأشار علاء الدين الى أن الثورة  » لم تأتِ من فراغ، إذ لا يمكن تغييب دور النضالات التي سبقتها في بناء وعي متراكم ومخزون نضالي، شكل أساساً لتلك الثورة، كما أن ما حدث كان يجري في سياق ارتكزت تفاعلاته على المطالب الاجتماعية … حيث كانت مظاهر الاحتجاج تتراكم دون مستوى الانتفاضة… »

وختم علاء الدين « الحزب الشيوعي لا يملك خاتماً لتوقيع الثورة، إنما خاتمه هو الفعل الثوري الذي يمارسه… فكي تكتمل الثورة وتصل الى نهاياتها لا بد من أن نجعل من الممارسة الراهنة جزءاً عضوياً من ذاك الأمل المرتقب

LE 1er NOVEMBRE 1954, VU PAR UN HISTORIEN HONGROIS

Les ”événements” du premier novembre et les premières réactions

Dans la nuit du 1er novembre 1954, des attentats secouaient le territoire algérien, en premier lieu l’Est du pays: attaques de poste de police ou de gendermerie, lignes téléphoniques coupées, incendies. L’épicentre des attentats était la montagne des Aurès. Il n’y avait pas de dommages considérables, les bombes de fabrication artisanale n’ont même pas souvent explosé. Par contre, il y avait 8 tués et 12 blessés. Le fait le plus stupéfiant pour les autorités et surtout pour les Européens fut l’assassinat de l’instituteur Guy Monnerot.

Le jeune homme de 23 ans d’esprit julesferryste s’engagea pour aller enseigner en Algérie …

NAGY László

Professeur d’histoire contemporaine

Université de Szeged (Hongrie)

LES “ÉVÈNEMENTS” DU PREMIER NOVEMBRE

ET LES PREMIÈRES RÉACTIONS

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Dans la nuit du 1er novembre 1954, des attentats secouaient le territoire algérien, en premier lieu l’Est du pays: attaques de poste de police ou de gendermerie, lignes téléphoniques coupées, incendies. L’épicentre des attentats était la montagne des Aurès. Il n’y avait pas de dommages considérables, les bombes de fabriquation artisanale n’ont même pas souvent explosées. Par contre, il y avait 8 tués et 12 blessés. Le fait le plus stupéfiant pour les autorités et surtout pour les Européens fut l’assassinat de l’instituteur Guy Monnerot.

Le jeune homme de 23 ans d’esprit julesferryste s’engagea pour aller enseigner en Algérie. Il était en train de se rendre avec sa femme à Arris, son premier lieu de travail, quand les insurgés armés arrêtèrent leur autocar lequel se déplaçait toujours à heures fixes. Hadj Sadok, l’un des passagers fut forcé de descendre et comme c’était un fidèle serviteur du pouvoir colonial, il fut tué sur le champ. Ensuite, l’un des insurgés mis le feu au couple européen. Les rafales de balles tuèrent Guy Monnerot tandis que sa femme était grièvement blessée. L’assassinat de ce jeune instituteur avait des conséquences très lourdes au détriment de la cause du mouvement de libération national algérien. Toute la durée du conflit les autorités et les partisans de l’Algérie française et une large partie de l’opinion publique pouvaient stigmatiser d’une manière très efficace les patriotes algériens comme des bandits, des barbares, des terroristes, des aventuriers d’hors-la-loi. Cela fut un argument devant l’opinion française et internationale [[Henri Alleg: La guerre d’Algérie. Temps Actuels Paris 1981. 1. k. 430.]] .

D’un point de vue militaire, les actions violentes n’étaient pas d’une importance particulière. Par contre, leurs effets psychologiques étaient spéctaculaires. Ce qui surprit le plus les autorités coloniales était la coordination des attentats et le fait que personne n’était au courant jusqu’à la dernière minute. Les autorités ont eu connaissance de l’éclatement du soulèvement la veille [[Rapport de police. Renseignements généraux. 1954. november 2. Archives de la Wilaya d’Alger]].

Les services de renseignement civile et militaire avaient des informations indiquant que le CRUA (Comité révolutionnaire d’unité et d’action), les anciens membres de OS (Organisation spéciale – groupe paramilitaire du MTLD) et des jeunes nationalistes se préparaient à des actions volentes contre l’ordre établi. Jean Vaujour, le préfet signalait en vain à Paris que les actions militaires pourraient se produire à tout moment dans le pays. Les milieux gouvernementaux n’ont pas pris au sérieux ses avertissements [[Fabienne Mercier-Bernadot: La „Toussaint rouge”: que savaient les pouvoirs publics? La guerre d’Algérie Magazine. 6. sz. 35. ]] .

Selon Paris, les actions armées ne furent que les conséquences de la crise du MTLD et elles devaient vite cesser à cause des troubles au sein du parti [[Le Monde, le 7 novembre 1954.]] .

Le gouvernement et tous les partis politiques – sauf le PCF et le PCA- considéraient l’insurrection comme des actions terroristes mettant en danger l’intégrité territoriale de la France. Ainsi ils le traitèrent comme un problème policier et non politique: «Algérie c’est la France et des Flandres au Congo, il y a la loi, une seule, nationale”– a déclaré le ministre des Affaires Etrangères à l’Assemblé Nationale [[Journal Officiel de la République Française, le 13 novembre 1954. p. 1967.]]. La déclaration de Pierre Mendès-France, radical de gauche, chef du gouvernement, exprima non seulement la position de son gouvernement mais la philosophie de la politique algérienne des forces politiques dominantes, enracinée dans la culture politique de la IIIème République: «Les départements d’Algérie font partie de la République, ils sont français depuis longtemps et d’une manière irrévocable… Jamais la France, aucun gouvernement, aucun parlement français, quelles qu’en soient d’ailleurs les tendances particulières, ne cédera sur ce principe fondamental.”[[Ibidem pp. 4960-4961.]]

Selon l’opinion générale, exprimée au cours des discussions au sein de l’Assemblée nationale, l’insurrection était l’oeuvre commune du communisme international et des nationalistes arabes dirigée de l’étranger [[Ibidem pp. 4945-4947.]] .

À cause de la propagande radiophonique soutenant l’insurrection, deux pays ont été surtout attaqués: l’Egypte et la Hongrie. Au cours du mois, le ministre de l’Intérieur et le Premier minisitre citaient plusieurs fois les stations radio de Budapest et du Caire, dont “la propagande systématique incite jours après jours les populations d’Afrique du Nord à la violence” [[Le Monde, les 21-22. novembre 1954.]] .

La Voix des Arabes du Caire, fonctionnant depuis 1953, faisait le commentaire suivant au jour de l’insurrection: “L’Algérie a engagé aujourd’hui une lutte grandiose pour la liberté, l’arabisme et l’islam… a commencé à vivre une vie digne et honorable… ce n’est pas là une révolte passagère, mais le déclenchement d’un mouvement de libération qui ira en s’intensifiant.”[[ Centre d’Archives d’outre-mer (CAOM) Radio-Télévision, Affaires générales Radios étrangères Voix des Arabes 1.11.1954. 18 h. 93/4514. ]]

À Budapest, la station appelée La voix de l’indépendance et de la Paix, rédigée par les communistes de l’Afrique du Nord fonctionnait depuis mai 1954. Son rédacteur en chef William Sportisse fut membre du comité central du PCA. Sa durée d’émission était d’une heure et 30 minutes par jour (le matin de 7h à 7h30, le soir de 18h à 18h30 et la nuit de 23h30 à 24h) L’équipe de quelques membres reçurent les informations à diffuser de la direction du PC français par l’intermédiaire de la Légation de Hongrie à Paris. La nuit ils les traduirent en arabe dialectal pour pouvoir diffuser le matin. L’émission était très écoutée au Maghreb, mais au Proche-Orient aussi.

La radio transmit l’appel du FLN du 1er novembre, et Ait Ahmed résidant au Caire l’en remercia.[[Entretien avec William Sportisse, Paris, le 15 decembre 1999.]] L’émission de cette station en langue arabe provoqua une complication diplomatique entre la Hongrie et la France.

Paris contacta les autorités hongroises après le 1er novembre. Le ministre français de Budapest intervint plusieurs fois auprès du Ministère Hongrois des Affaires Etrangères En plus, une délégation parlementaire française lors de sa visite à Moscou en septembre de 1955, en parla à Khrouchtev. Dans sa réponse, le secrétaire général du PCUS ne refusa pas l’intervention de Moscou. Cependant, l’émetteur n’a pas cessé de fonctionner pour autant.

Le 28 septembre 1955, le ministre français demanda une audition au Ministre hongrois des Affaires Étrangères, János Boldoczki. Le ministre français demanda la suppression de l’émetteur en se référant à l’atmosphère internationale moins tendue et à la demande d’admission de la Hongrie à l’ONU: «Ces émissions sont d’ailleurs contraire à cet esprit international que les dirigeants hongrois dans leurs discours et dans leurs écrits manifestent le désir de promouvoir. Cette contradiction apparaît d’autant plus frappants en ce moment où la Hongrie sollicite son admission à l’ONU.» [[Magyar Országos Levéltár (MOL les Archives nationales hongroises), XIX-J-1-j Franciaország 1945-1964. 4. doboz 4/of-18/a. Delalaude francia követ látogatás Boldoczki elvtársnál (La visite du Ministre français chez le camarade Boldoczki) 28 septembre 1955.]] Le Ministre hongrois des Affaires Etrangères niait l’existence de l’émetteur, ce qui était complètement inutile. Tout le monde était au courant de son existence depuis le 7 juillet 1954, quand le quotidien Alger républicain se référant au journal marocain Vigie Marocaine, communiqua non seulement l’existence de l’émetteur mais aussi ses coordonnées. Cependant, les arguments du ministre français se révélèrent plus convaincants cette fois-ci. Une semaine plus tard, lors de sa séance du 6 octobre, le Bureau poltique du Parti des Travailleurs Hongrois (PC) décida de supprimer l’émetteur. Cela s’explique par le fait que l’admission du pays à l’ONU aurait pu être bloquée par la France, membre du Conseil de Sécurité [[Voir aussi notre article L’affaire de l’émission en langue arabe de la Radio Budapest. Revue d’histoire maghrébine, nº. 116. (2004) pp. 169-173.]].

La presse hongroise rendit compte des actions armées le lendemain des événements: le 3 novembre Magyar Nemzet (Nation Hongroise) et le 5 Szabad Nép (Peuple Libre). Le même jour la Pravda commenta aussi les événements sans mentionner le FLN. Par la suite et jusqu’à la fin de l’année 1956, le journal du parti soviétique ne s’en occupait pas vraiment. En septembre 1955, Khrouchtev déclara devant une délégation parlementaire française: «La question de l’Afrique du Nord est française. Les Français auront, je le pense, la sagesse de la résoudre».[[Albert Gazier: Autour d’une vie militante. L’Harmattan Paris, 2006. p. 209.]]

La radio nationale publique de Budapest parlait également de l’insurrection. En ce temps-là, l’attention des dirigeants politiques était focalisée sur les traités de Paris, signés les 19-23 octobre, créant l’Union d’Europe Occidentale et préparant ainsi l’adhésion de la République Fédérale d’Allemagne à l’OTAN. Mentionnant ce fait, le rapport de la Légation hongroise à Paris sur l’insurrection ne peut pas être qualifiée d’insignifiant, à plus forte raison car la presse et les émetteurs des pays arabes ne la mentionnèrent pas non plus en premier lieu.

Seuls les yougoslaves étaient au courant de la préparation de l’insurrection.

Les insurgés avaient beaucoup de respect pour la guerre de libération antinazie des Yougoslaves au cours de la deuxième guerre mondiale. L’ambassadeur yougoslave au Caire fut “la seule personnalité européenne à être dans le secret des événements du premier novembre 1954” [[Les notes 2138/232 (október 1.) és 2630/232 (november 30.). CAOM 81 F 1005 Fonds ministeriels. Les pays socialistes et l’Afrique du Nord, Présidence du Conseil.]]. Ces propos recoupent les informations des services secrets français qui constatent de visites fréquentes des nationalistes algériens (parmi eux Mohamet Kider) à l’ambassade yougoslave au Caire au cours des mois d’octobre et de novembre 1954 [[Les notes 2138/232 (október 1.) és 2630/232 (november 30.). CAOM 81 F 1005 Fonds ministeriels. Les pays socialistes et l’Afrique du Nord, Présidence du Conseil.]].

Les services français interceptant les émissions arabes (mêmes celles des pays socialistes) et analysant la presse, écrirent dans un rapport du 22 novembre: «Contrairement à ce qu’on attendait, les événements d’Algérie n’ont pas encore donné lieu, dans la presse du Moyen-Orient, à une campagne anti-française de grande envergure” [[Afrique du Nord (Articles et documents), Sécretariat général du gouvernement. Présidence du Conseil. 42. sz. CAOM, 36H1.]] .

La Ligue Arabe et les pays arabes indépendants commencèrent à s’intéresser davantage à la question algérienne à partir du mois de décembre. Ils votèrent une aide financière au début de l’année 1955 [[Cahiers de l’Orient contemporain, 1955. p. 154. ]] .

Dans les rapports de la Légation de Hongrie à Paris, en mai 1955 on retrouve le nom du pays de l’Afrique du Nord, dans un document ayant comme titre : «Les événementss qui explosèrent à Alger à la fin de 1954” [[MOL XIX-J-1-j Franciaország 1945-1964. 5. doboz 003027/1 (1955. május 28) sz. irat]].

Il mentionna la situation coloniale comme cause des actes violents, mais il mit l’accent sur les agissements des agents de la Ligue Arabe, dominée par les Anglais. Une partie des armes mais également des agents arrivaient directement d’Angleterre! Le rapport ne faisait aucune mention du FLN. Concernant les insurgés, on peut y lire les phrases suivantes: «Il s’agit des éléments paysans et nomades, poussés plus par le fanatisme religieux que par les idées politiques. Pour eux, les agissements organisés par les agents britanniques offrent un terrain favorable à la révolte. C’est parmi ces éléments qu’on retrouve les premiers maquisards algériens.” [[Ibidem.]]. Cette analyse très schématique relevant de la doctrine Jdanov est tout à fait éloignée de la réalité.

Le rapport envoyé en automne de la même année donnait une image plus réaliste de l’insurrection. Il souligna que le problème algérien pourrait provoquer une crise sérieuse: «En analysant le problème dans une perspective à long terme, on peut dire que la crise de l’empire colonial français est en mesure de provoquer tôt ou tard une crise très grave de la politique intérieure.” [[Ibidem. 12. doboz 11/4 – 009549.]].

Le manque d’intèrêt par rapport aux événements du début de novembre, s’explique d’une part, par le fait que pendant plusieurs semaines il n’y avait plus d’autres actions d’une telle intensité. Et d’autre part, parce qu’en Tunisie et au Maroc ces événements se produisaient régulièrement, presque quotidiennement depuis un an.

Les Américains se forgèrent une opinion suivant la logique de la guerre froide. Selon Clark, le consul américain à Alger il ne faisait aucun doute que: ”les terroristes, membres du MTLD, agirent sous la pression de la Ligue arabe” [[Samya el Machat: La question algérienne en 1954 à travers les archives du Département d’État. Revue d’histoire maghrébine, nº 61-62.p. 42.]] . Cependant, lors de la rencontre entre Dulles et Mendès-France, fin de novembre, le Sécrétaire d’Etat américain exprima ses craintes à propos des événements d’Algérie. Il considérait la situation comme dangereuse, car elle aurait pu forcer le retrait des forces armées de l’Europe, territoire stratégiquement le plus important de la guerre froide. Dulles refusa la participation des Etats-Unis et de l’OTAN à la résolution du problème algérien en expliquant que Washington ne pourrait suivre la situation que comme observateur extérieur [[Samya el Machat: Les Etats-Unis et l’Algérie. De la méconnaissance à la reconnaissance 1945-1962.L’Harmattan Paris 1996. p. 36.]].

Les partis du mouvement national algérien nommèrent le régime colonial comme cause de l’insurrection. Toutefois en analysant leur discours, il était évident qu’ils ne partageaient pas les mêmes méthodes que les insurgés.

Selon Ferhat Abbas, l’utilisation de méthodes violentes ne prévaut pas à la résolution du problème, il essaie encore de convaincre les autorités coloniales de changer de politique, parce que : «l’ère coloniale est définitivement close» [[République algérienne, le 12 novembre 1954.]]. Il exprima directement ses idées lors de sa visite au préfet de la ville de Sétif le lendemain de l’insurrection: «Il m’a expliqué que lui n’était pas dans ce mouvement. UDMA ne participait pas à ce mouvement insurrectionel. Il considérait même que c’était une faute énorme. Je suis pour l’indépendance de l’Algérie mais pas comme ça, Votre régime français est si déliquescent que nous allons inexorablement à l’indépendance…Comme le régime colonial ne peut pas se tenir par la force il a proposé deux solutions pour sortir de la crise [[L’une serait la constitution de la République Algérienne où les diverses ethnies vivraient en paix et le moteur de la société serait la communauté française. L’autre pourrait être le système de college unique qui assurerait l’égalité de tous les hommes.]]. …. Choisissez une des deux solutions. Choisissez vite. Et moi Ferhat Abbas je me batterai pour cette solution qui restera dans le cadre français avec un drapeau français. Mais si vous ne choisissez pas nous allons nous obliger à nous battre contre vous. Et moi qui ne suis pas dans l’insurrection j’y entrerai. L’insurrection gagnera et je vais être du côté des vainqueurs. Mais dites vous bien (et dites autour de vous) que le jour où je me batterai contre vous je le ferai (et c’est sa phrase textuelle) le dos au mur et les larmes pleines des yeux” [[Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) Archives contemporaines, Témoignages sur la guerre d’Algérie. Jacques Lenoir;]]. Les mots du nationaliste algérien le plus français sont très touchants et traumatisants. Cependant, ils n’avaient aucun effet.

Le MTLD, dans une déclaration datée du 5 novembre, dénonça le gouvernement comme responsable des actions violentes: sa politique de force et le refus total de la volonté d’autonomie du peuple algérien ont conduit à la violence. Le MTLD considérait que le problème algérien avait atteint sa phase finale et que sa résolution ne pouvait être que politique , et en aucun cas militaire [[Algérie libre, le 5 novembre 1954.]] . Le lendemain de la parution de l’article, le ministre de l’Intérieur dissoud le parti.

Les Oulémas publièrent le même jour une déclaration dans laquelle ils ne prirent pas position sous prétexte que peu d’informations étaient accessibles. Ils ne commentèrent ainsi pas les événements.

Cependant en se référant à la tolérance de l’Islam, ils condamnèrent toutes les actions violentes. Ils pensaient qu’en négociant avec “les représentants véritables du peuple algérien” il serait possible d’arriver à l’instauration de l’autonomie interne. Ainsi, ils ne protégèrent ni les moyens d’action (la lutte armée) ni les objectifs (l’indépendance) du FLN [[Ahmed Nadir: Le mouvement réformiste algérien et la guerre de libération nationale. Revue d’histoire maghrébine, nº 4. (1975) pp. 175-176. ]].

C’était la prise de position des communistes algériens et français qui avait suscité – et continue toujours de susciter – le débat le plus grand et le plus pasionant. En France, ce fut le Parti Communiste Français qui analysait d’une manière complexe le problèmne algérien, les racines de l’insurrection quoi qu’il ne fût pas vraiment convaincu qu’il s’agissait d’une insurrection nationale. La première réaction du parti fut d’estimer qu’il s’agissait d’une provocation car les actions armées s’étaient déroulés pendant la période durant laquelle le MTLD en pleine crise était au bord de l’éclatement.

Le PCF craignait que le pouvoir colonial ne réitèrerait la répression terrible de mai 1945 et écraserait les nationalistes. C’est pour cela qu’on peut retrouver dans leur prise de position officielle la phrase la plus fréquemment citée : ”en de telles circonstances, fidèle à l’enseignement de Lénine, le Parti Communiste Français, qui ne saurait approuver le recours à des actes individuels susceptibles de faire le jeu des pires colonialistes, si même ils n’étaient pas fomentés par eux” [[L’Humanité, le 09 novembre 1954.]]. La critique des actes de violence individuels exprimait évidemment une certaine méfiance. Néanmoins, le jour de l’insurrection la direction du PCF reçevait des informations sur l’existence du FLN de Pierre Lentin, l’envoyé spécial du journal Libération à Alger, mais toutefois, il ne les considéra pas authentiques [[Annie-Rey Goldzeiguer: La gauche française et le 1er novembre 1954. In Retentissement de la Rèvolution algérienne. (Dir.: Mohamed Touili) Alger-Bruxelles 1985. p. 254.]]. Les données connues se réfèraient à une insurrection de type blanquiste, d’une base restreinte ce qui surpris les Algériens et ne provoqua point leur activité souhaitée.

La déclaration du Parti Communiste Algérien, adoptée au jour de l’insurrection «estime qu’à l’origine de ces événements, il y a la politique colonialiste d’oppression nationale, d’étouffement des libertés et d’exploitation, avec son cortège de racisme, de misère et de chômage” [[Alger républicain, le 2 novembre 1954.]].

Dans cette déclaration, il ne s’agissait point des «actes individuels” ni de méfiance vis-à- vis de ces actes. Cependant, dans sa prise de position du 14 novembre et du 9 janvier 1955 le PCA exprima clairement ses doutes par rapport aux: ”slogans et aux actions individuelles irréfléchis.” [[ Liberté , le 18 novembre 1954., le 13 janvier 1955.]]. Par la suite, le PCA fit son autocritique: il expliquait sa position erronée par le fait qu’il jugea la situation sociale et politique d’une manière trop schématique intérpretant trop rigidementet les conditions décrites par Lénine dans son article „Le marxisme et le soulèvement”. [[Basir Hadzs Ali: Az algériai felszabadító harc néhány tanulsága.(Quelques enseignements de la lutte de libération nationale algérienne ) Béke és szocializmus (Paix et socialisme, mensuel du mouvement communiste international) nº. 1. 1965. p. 111.]]. Le PCA, comme tous les partis communistes de l’époque, soutenait les mouvements anticolonialistes.

Cependant, il avait une certaine méfiance vis-à-vis de ceux qui n’étaient pas dirigés par des communistes. L’opinion des membres d’origine européenne contribua à la formation de cette position eronnée:«Ils trouvèrent la politique des dirigeants trop compréhensive envers les nationalistes et pour cette raison ils quittaient en nombre grandissant le parti.” [[Rapport de police. Renseignements généraux le 14 décembre 1954. Archives de la Wilaya d’Alger]]

Cependant, plusieurs membres du parti, par leur propre volonté, épousaient les idées des insurgés, aux premiers jours du soulèvement. La direction ne les retenaient pas. Bien au contraire, elle prit également contact avec le FLN. (Ce fut le seul parti qui le fît si tôt.)

Les 7 et 8 novembre puis le 12, Mohamed Guerouf, le membre du comité central, puis son secrétaire Paul Caballero menaient des négociations avec Mostafa Ben Boulaid, le chef de la première wilaya ainsi qu’avec son adjudant. Ils se mirent d’accord que les communistes apporteraient une aide financière aux insurgés [[Henri Alleg, vol. 1.p. 478. Les insurgés ont partagé le pays en six arrondissements, en six zones : 1) Aures-Nemencha 2) Constantine 3) kabilia 4) Alger et ses environs 5)le département d’ Oran 6) Les territoires du Sud(Sahara) La nomination wilya est utilisée à partir de 1956.]]. Il y avait aussi un rapprochement de la part du FLN. Pendant les jours suivant l’insurrection, l’adjudant de Mostafa Ben Bulaid contacta Abdelhamid Benzine, le rédacteur en chef d’Alger républicain, quotidien à tendance communiste. C’était un choix volontaire, car Benzine était membre du PPA dans les années 1940 et, même après son départ, il garda de bons contacts avec les nationalistes. Au cours de ce rendez-vous clandestin, ils se mirent d’accord sur le fait que Benzine serait le contact entre le PCA et le FLN-ALN [[Henri Alleg: Mémoire algérienne. Stock Paris 2006. p. 183.]].

Ce qui est frappant dans toute la littérature critique de la position des communistes est qu’elle ignore complètement la position du mouvement communiste international (“la ligne de Moscou”) envers les mouvements de libération nationale des colonies. Jusqu’au milieu des années 1950 la politique de Moscou était déterminée par le Kominform («petit Komintern») qui réprouvait toute forme du nationalisme (gandhisme, panarabisme) dans les colonies. Moscou – les pays socialistes et les partis communistes – attaquaient surtout violemment les partisans de la troisième voie (p. ex. Nehru) qui voulaient rester neutres dans la lutte entre le “camp de la paix” et “celui de la guerre”. La véritable indépendance ne pouvait être réalisée que par la lutte des ouvriers et des paysans dirigée par les PC et aboutissant à la révolution democratique et populaire (socialisme). La bourgeoisie nationale n’y était pas capable, elle était considérée comme le laquais de l’impérialisme [[Joukov: Les problèmes des luttes nationale et coloniale après la deuxième guerre mondiale. (en russe) Voprossi économiki, 1949. no 9.]].

Cette position commence à subir un changement après la disparition de Staline. Moscou s’engage de plus en plus dans les affaires extareuropéennes et dévoloppe une doctrine à vocation globaliste. attribuant une importance grandissante – même exagérée – aux nouveaux Etats appelés “ses alliés naturels”. Ce sont les résolutions du 20ième congrès du P.C.U.S. (février 1956) qui consacre officiellement cette ouverture vers les pays et mouvements non communistes. La bourgeoisie nationale y est réhabilitée et considérée comme force politique autonome et antiimpérialiste.

Mais la consécration triophale de cette nouvelle stratégie tiresmondiste eut lieu à la conférence internationale des 81 partis communistes à Moscou en novembre 1960.. «L’écroulement du système de l’esclavage colonial sous la poussée du mouvement de libération nationale est un phénomène qui, pour son importannce historique, vient immédiatement après la formation du système mondial du socialisme”. [[Pour la paix, pour l’indépendance nationale, pour la démocratie, pour le socialisme (Les actes de la conférence, en hongrois) Budapest Kossuth Könyvkiadó 1961. p. 23.]]

Dans cette nouvelle stratégie communiste les mouvements de libération nationale reprennent la 2ème place des forces révolutionnaires internationales devant les communistes des pays développés. En moins de dix ans la bourgeoisie nationale parcourut une carrière foudroyante: du traître, du laquais de l’impérialisme elle devint l’alliée privilégiée.

Pour apprécier l’attitude des communistes vis à vis du déclenchement de la guerre de libération et du FLN il faut replacer le problème dans ce contexte-là. Ce qui veut dire que le PCA n’était pas dans «la ligne de Moscour” en novembre 1954 (au contraire du PCF). Par ses activités réelles il la devança! Ce qui était son erreur c’était son hésitation: est ce qu’il devrait s’engager ouvertement et sans équivoque pour la lutte armée? Il attendait encore quelques mois pour franchir le Rubicon: en été de 1955 il constituait les Combattants de la Libération, son unité armée.

En résumant notre analyse: les partis du mouvement national avaient compris et expliqué les raisons provoquant les événements, ils sympathisaient quelques fois avec les insurgés, mais en fin de compte, mis à part quelques cas particuliers, ils ne privilégièrent pas encore la lutte armée. Ils pensaient encore que la possibilité de résoudre le problème par voie légale n’était pas disparue totalement.

À cause de cela, et de l’offensive armée du pouvoir colonial, le FLN se retrouva dans une situation très difficile. Par conséquent, son existence et sa survie n’étaient pas du tout garanties fin 1945.


L’ULTRALIBÉRALISME SAPE LES BASES DE LA COHÉSION NATIONALE ET DU CONSENSUS SOCIAL

Cet entretien de Hocine Bellaloufi, paru dans « Les Débats » et prolongé dans « Liberté », constitue, par sa densité, un texte tout à fait approprié à alimenter les efforts de réflexion, de débats, d’études et d’éducation recherchés par tous ceux qui dans les milieux associatifs, syndicaux, politiques ou institutionnels sont en quête de réponses et solutions aux problèmes complexes liés au besoin d’action unitaire pour des changements radicaux, pacifiques et unitaires dans le pays, le régime et la société.
Ce texte est opportunément complété par l’entretien accordé par Hocine Bellaloufi au quotidien Liberté. Ce dernier s’appuie sur des constats, des états des lieux concrets et évoque des scénarios évolutifs. Il ouvre ainsi des pistes de réflexion aux différents acteurs nationaux en leur faisant prendre conscience de nombre d’intérêts communs de nature à les inciter à construire dans l’action une ligne politique convergente de sauvegarde sociale et démocratique d’une Algérie souveraine

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Les Débats, quotidien

le 21 mai 2012

Dans l’entretien qui suit, notre confrère Hocine Belalloufi, auteur de l’essai La démocratie en Algérie. Réforme ou révolution ?, (coédité par les Maisons d’édition APIC et Lazhari Labter, mai 2012), s’exprime sur le challenge démocratique. Une question d’actualité qui ne peut faire l’impasse sur la crise algérienne, encore moins sur les luttes des clans au sein du régime et sur les raisons du «réalisme politique» des Algériens.

Interview réalisée par Z’hor Chérief

Les Débats : Dans votre ouvrage, vous plaidez pour une bonne interprétation de la société algérienne et en même temps pour sa transformation. À quoi visent ces deux exigences?

Hocine Belalloufi : Il n’y a pas, selon moi, de séparation absolue entre connaissance et action. La vision dominante consiste à les séparer, voire à les opposer.

La connaissance serait le produit d’intellectuels retranchés dans leur tour d’ivoire, totalement à l’abri des intempéries de l’histoire, entièrement détachés des servitudes humaines et adeptes d’une prétendue objectivité rabaissée au rang d’une vulgaire neutralité. Armés de la connaissance avec un grand «C», ils appréhenderaient le monde et nous l’expliqueraient.

De l’autre, il y aurait les «acteurs politiques» qui agissent et participent directement à la transformation. Mus par la passion, ils seraient de ce fait incapables ou éprouveraient au moins beaucoup de difficultés à prendre le recul nécessaire pour saisir correctement le monde.

Je ne me reconnais pas dans cette vision dichotomique que je caricature à peine. Je considère que toute démarche de transformation qui se veut rationnelle et rigoureuse doit intégrer en son sein le moment de l’action.

L’action, en politique comme dans les sciences de la nature, constitue le moment de validation ou d’invalidation des connaissances acquises. Aussi doit-il exister un mouvement perpétuel de va-et-vient entre action et réflexion? Il ne s’agit pas là de contraindre chaque chercheur à passer sa matinée au laboratoire et l’après-midi sur le terrain de l’action. Pas plus qu’il ne s’agit d’obliger chaque politique à consacrer une partie de sa journée à l’étude. Mais, il faut intégrer la réflexion et l’action comme deux moments unis et opposés à la fois du processus de la connaissance. Et il faut comprendre que l’objectivité n’est pas la neutralité, mais l’aptitude à appréhender la réalité telle qu’elle est, indépendamment de notre conscience.

C’est pourquoi, en politique, les partis politiques peuvent être et doivent absolument tendre à être des «intellectuels collectifs», qui, quand ils fonctionnent correctement, sont beaucoup plus performants que tous les départements des sciences politiques de la planète. Ils sont beaucoup plus performants, parce qu’ils repassent à la pratique en permanence et vérifient la validité de leurs thèses. Ces thèses transforment-elles la réalité ou échouent-elles à le faire? Un parti est une équipe de chercheurs, dont le laboratoire est la société, et l’action, le moyen d’expérimentation.

Mais, pour éviter toute interprétation étroite de ce que je viens de dire, il convient d’ajouter que le travail effectué par les universitaires et autres chercheurs, même solitaire – bien que jamais isolé – participe, de son côté, à alimenter ces «intellectuels collectifs».

Vous abordez la crise algérienne et vous la qualifiez de «crise entre les classes et fractions de classes dominantes». Pourriez-vous être plus explicite?

Hocine Belalloufi : Il y a deux dimensions dans la crise algérienne. La première renvoie aux contradictions entre, d’une part, les classes et fractions de classes dominantes – par exemple, la bourgeoisie d’Etat, la bourgeoisie privée, les grands propriétaires terriens durant les premières décennies de l’indépendance – qui forment ce qu’on appelle le «bloc social dominant» et, d’autre part, les classes dominées, classe ouvrière et, plus généralement le prolétariat, petite bourgeoisie. Ce sont ces contradictions qui motivent et expliquent en dernière instance les choix économiques, les luttes sociales et politiques ainsi que les controverses idéologiques. Il s’agit donc d’une lutte entre ceux d’en haut et ceux d’en bas.

Mais la crise est également une crise entre les classes et fractions de classes du bloc social dominant. Celles-ci sont alliées, ce qui implique une situation d’unité et de lutte pour savoir qui dirigera l’alliance. La capacité d’hégémonie, c’est l’aptitude à diriger et à être accepté comme tel par ceux que l’on dirige. Elle intègre en un seul toutes les dimensions de force et de consentement. Il existe donc une rivalité permanente entre les différentes classes et fractions de classes. Dans certaines circonstances, cette rivalité s’exacerbe et prend la dimension d’une crise : une classe ou une fraction de classe ou un ensemble se révolte et vient contester la domination de la force dominante. Cela provoque une crise où ceux d’en haut luttent les uns contre les autres, s’opposent, parfois même violemment, entre eux, n’arrivent plus à cohabiter sous la forme sous laquelle ils l’ont faite jusque-là. C’est la crise d’hégémonie.

Pourquoi cette crise d’hégémonie provoque-t-elle, selon vous, une crise du régime et l’empêche-t-elle de se démocratiser?

Hocine Belalloufi : On a souvent tendance, chez nous, à mettre le refus de la démocratisation du régime sur le compte du personnel et des appareils politiques qui dirigent l’Etat. On explique que les dirigeants du pays ne veulent rien lâcher, qu’ils considèrent l’Algérie comme un bien dont ils sont les seuls dépositaires… Cela est sans doute vrai. Mais il s’agit là de la dimension subjective du problème, liée à l’histoire de la formation politique et idéologique nationale née au cours de la colonisation et développée dans les conditions particulièrement difficiles de la guerre de Libération nationale. Il existe cependant une dimension objective, indépendante de la volonté des individus, pour expliquer aussi l’impossible démocratisation du régime. La politique d’infitah menée depuis 30 ans a brisé le consensus social forgé au cours des deux premières décennies de l’Indépendance. Elle a polarisé la société entre une minorité qui a spolié et qui continue de spolier les biens qui appartenaient, par le biais du caractère public de la propriété, à la société, et une majorité qui s’enfonce dans la misère. Pis encore, elle a brisé le consensus national en bradant des pans entiers de notre économie à des puissances financières et économiques étrangères qui n’ont aucun souci de l’intérêt de notre peuple.

Une telle politique sape les bases de la cohésion sociale et nationale. Elle ne peut être durablement acceptée par la population qui se révolte. La révolte, ne serait-ce que sociale mais qui est aussi politique, ne s’est pas arrêtée depuis 30 années : grèves et émeutes sous Chadli, durant la décennie de guerre civile et depuis 2001. Cette révolte perlée, permanente, a été ponctuée par des explosions violentes en 1988, 2001 et 2011. Elle contraint donc les promoteurs de la politique libérale à la faire passer de force, de manière autoritaire. La libéralisation économique ne peut s’accompagner de démocratie, car son coût est inacceptable pour ses victimes. Il faut donc un régime autoritaire, voire une dictature, pour l’appliquer.

Le consensus social et national, c’est-à-dire la capacité hégémonique, constitue la base matérielle de toute démocratie. Qu’il vienne à manquer et la démocratie est en danger. L’absence de démocratie ne provient donc pas, contrairement à ce qu’affirme la vision raciste du néocolonialisme, de l’absence de «culture démocratique» dans nos sociétés.

En évoquant le changement dans la région arabe, vous parlez de la «prudence» du peuple algérien. À quelle logique obéit cette démarche?

Hocine Belalloufi : La prudence du peuple algérien n’est pas univoque. Elle obéit certainement à plusieurs facteurs. Je ne crois pas qu’elle obéisse à la volonté de défendre le statu quo. Il n’y a qu’à observer l’ampleur des luttes sociales qui contraignent le gouvernement à céder sur nombre de revendications pour s’apercevoir que le peuple aspire au changement. Lorsque l’on voit que la majorité de la nouvelle APN a été élue par près de 2 millions d’électeurs (en acceptant les chiffres officiels), on se dit que le soutien au régime actuel n’est pas massif. Mais, le peuple sent en même temps que le changement auquel il aspire nécessite une alternative sérieuse, forte et crédible. Il a vu ce qu’a donné l’alternative du FIS. Il voit ce qu’a donné l’alternative à Kadhafi en Libye. Il perçoit ce que pourrait être l’alternative en Syrie, si les grandes puissances impérialistes, leurs alliés régionaux (Qatar, Arabie Saoudite, Turquie…) et leurs relais locaux prenaient le pouvoir. Il observe la situation au Mali.

Changer, oui, mais pour gagner, pas pour perdre. Je pense que le peuple algérien fait preuve de beaucoup de réalisme politique sans pour autant cesser de lutter pour le changement. Il revient aux forces politiques d’adapter leurs tactiques à cette réalité.

Les résultats des législatives du 10 mai renforcent-elles votre constat, à savoir qu’il ne faut pas confondre «vitesse et précipitation»?

Hocine Belalloufi : Vérités stratégiques et vérités tactiques peuvent coïncider comme elles peuvent s’opposer, du moins en apparence. On peut donc considérer qu’il faut un changement de régime, que l’actuel est incapable de se démocratiser – il vient d’en faire la magnifique démonstration – mais que les conditions, en particulier subjectives, ne sont pas encore réunies. C’est pourquoi, il convient, aujourd’hui, de privilégier les batailles concrètes sur le terrain des libertés démocratiques : droits d’organisation politique et syndical, de grève, de réunion, d’expression, loi électorale, contrôle des élections… Lutter contre la répression… C’est ce travail à la fois patient et en profondeur que réalisa le mouvement national dans l’entre-deux-guerres mondiales. L’accélération de l’histoire au sortir du second conflit mondial découla du terrible massacre colonial du 8 mai 1945 et de la montée impétueuse, à l’échelle internationale, du mouvement de libération nationale (Inde, Chine, Vietnam…).

Pour résumer, c’est l’arrivée à maturation des contradictions qui ouvre un champ de possibilités dans lequel les forces sociales et politiques doivent savoir s’engager. C’est là tout l’art de la politique.

Z. C.


Hocine Belalloufi – auteur de :

“La démocratie en Algérie : Réforme ou révolution?”

“La rupture avec le régime est incontournable”

par : Hafida Ameyar

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Après “Grand Moyen-Orient : guerres ou paix ?”, le journaliste et analyste Hocine Belalloufi vient de publier un nouvel ouvrage, “La démocratie en Algérie. Réforme ou révolution?”, coédité par les maisons d’édition Apic et Lazhari-Labter.

Dans cette interview, notre confrère s’explique sur le choix d’un tel thème et certains points développés dans son essai. Notamment la nécessité de poursuivre la bataille pour la démocratie, pour permettre “le recouvrement de la souveraineté populaire (…) avec le moins de casse et de bavure possible”.

Liberté : À la veille du cinquantenaire de l’indépendance politique de l’Algérie, tu publies un essai, dans lequel tu nous soumets une analyse de près de 50 ans d’indépendance. Pourquoi cet intérêt à interroger l’histoire et même l’actualité ?

Hocine Belalloufi : Mon intérêt pour l’histoire des cinquante dernières années s’explique par le fait que l’on ne peut comprendre la situation actuelle de notre pays sans retracer, au moins à grands traits, son parcours récent – cinquante ans, pour un pays, ce n’est rien. C’est ce parcours qui a façonné l’Algérie aujourd’hui. Il fallait donc tenter de restituer la dynamique économique, sociale, politique et idéologique contradictoire de cette période.

Quant à l’actualité, elle est caractérisée par des événements importants, tels que la célébration du cinquantenaire de l’indépendance nationale, la situation politique internationale et régionale marquée par un vent de révolte des peuples contre la domination politique de dictatures dans le monde arabe et des peuples européens contre la domination politico-économique des marchés financiers, ainsi que la situation en Algérie, marquée par une révolte sociale profonde et l’annonce de réformes politiques par le pouvoir. L’actualité, forgée par le passé, est en même temps ouverte et peut déboucher sur des scénarios différents, voire opposés. Il faut donc rester attentif à l’évolution des choses.

Pourquoi exclus-tu, dans la phase actuelle, l’idée du départ du régime?

Hocine Belalloufi : Cette question renvoie à la conjoncture immédiate, c’est-à-dire au moment actuel de lutte. À l’heure qu’il est, il n’existe pas, à mon avis, d’alternative politique crédible, construite et solide. Et les catégories sociales qui se battent quotidiennement pour améliorer leur situation sociale, dégradée par la politique néolibérale, ne sont pas prêtes à investir la scène politique, pour exiger le départ de ce régime et son remplacement par un autre basé sur l’expression libre et renouvelée de la souveraineté populaire.

Comment, dans ces conditions, changer de régime ? En appelant les grandes puissances impérialistes à venir “nous libérer”, c’est-à-dire à nous asservir de nouveau directement? Ceux qui n’avaient aucun recul politique ont pu voir concrètement ce qu’il est advenu de la “Libye libérée”.

Faut-il alors créer des groupes de choc dans les villes et des maquis dans les montagnes pour mener une guerre contre le régime? Il s’agit là d’une voie sans issue et totalement erronée dont on a pu mesurer les conséquences au cours de la décennie 1990.

Il n’existe pas de raccourci pour ceux qui considèrent que le peuple est l’acteur du changement.

Pour changer de régime, il convient que le peuple le veuille et qu’il s’en donne les moyens. Il faut donc entamer un long et patient travail de sensibilisation, afin de l’aider à s’organiser d’abord autour de ses propres revendications, tout en convergeant vers un programme de changement politique.

Il n’existe pas de miracles en politique. Là comme ailleurs, seul le travail sérieux paie. Ce n’est peut-être pas très exaltant pour ceux qui subissent la situation depuis fort longtemps ou pour les jeunes qui rêvent de tout changer. Mais on ne peut faire l’économie de la construction d’une véritable alternative nationale, sociale et démocratique. Ensuite, contrairement à ce qu’affirment ceux qui pensent qu’il faudra un siècle pour que cela change, n’oublions pas que l’histoire connaît parfois des accélérations foudroyantes. Des facteurs non prévus, qui cheminaient de manière sous-jacente, peuvent réapparaître et modifier la situation en un instant. Des facteurs internationaux, nationaux, politiques, sociaux, internes ou externes au régime… Il faut prendre en considération ces événements lorsqu’ils surviennent, mais ne pas baser sa stratégie sur eux.

La revendication démocratique est une revendication qui intéresse tout le monde en Algérie. Pourquoi dis-tu que le “caractère interclassiste” de cette revendication est une chance pour notre pays?

Hocine Belalloufi : Affirmer que la démocratie est une revendication interclassiste ne signifie pas forcément qu’elle intéresse tout le monde. Les dominants n’en veulent visiblement pas, si l’on se réfère au caractère inéquitable ni propre ni honnête du dernier scrutin législatif.

Mais il est vrai qu’elle intéresse toutes les classes, de manière différente cependant.

De même que le caractère autoritaire de notre régime ne veut pas dire que tous ceux qui sont en son sein s’opposent à la démocratie, alors que tous ceux qui sont à l’extérieur du régime seraient pour la démocratie. Le patronat privé a besoin de démocratie pour accélérer le processus de passage à l’économie de marché : privatisations, ouverture du marché national, aide massive de l’État… La petite bourgeoisie voudrait la démocratie pour élargir son horizon social bouché et peser davantage sur la décision politique. Les travailleurs et les couches populaires ont besoin de démocratie pour pouvoir se défendre (faire grève ou manifester sans risques), s’organiser, s’exprimer et porter leur propre projet politique. Cela peut constituer une chance dans la mesure où cela peut isoler les adversaires du changement démocratique. Plus ces adversaires seront minoritaires, plus ils seront isolés et plus le recouvrement de la souveraineté populaire s’opérera dans les meilleures conditions, avec le moins de casse et de bavure possible.

Le deuxième avantage de ce caractère interclassiste est qu’il permet, potentiellement, la formation d’un véritable consensus pour éviter les risques d’ingérence étrangère des grandes puissances ou de déstabilisation.

Si l’on prend le cas de la Tunisie, on s’aperçoit que la chute de Ben Ali a été rendue possible par la conjonction de trois facteurs : la révolte spontanée des classes populaires exclues du système économique, à la suite du sacrifice de Mohamed Bouazizi ; la révolte des travailleurs intégrés dans l’économie tunisienne (syndicalistes de l’UGTT en tête), des couches moyennes qui luttaient courageusement depuis des décennies (opposants, avocats…) et qui relayèrent la révolte des exclus; enfin, le refus de l’armée d’intervenir, aux côtés de la police, contre la population en révolte. Ce dernier refus est l’expression de la rupture opérée entre le clan Ben Ali-Trabelsi qui s’était accaparé le pays et l’avait mis en coupe réglée et des secteurs de plus en plus larges de la bourgeoisie tunisienne exclus de la décision et d’espaces économiques de plus en plus vastes.

Tu laisses entendre que l’enracinement de la démocratie en Algérie est inséparable de la mise en place de stratégies et de tactiques des luttes. Que veux-tu dire au juste ?

Hocine Belalloufi : Le caractère très large de la revendication démocratique constitue, comme nous venons de le voir, une chance. Mais il existe en même temps de grandes différences dans la vision et l’application de cette démocratie. Les classes dominantes n’ont pas un besoin absolu de la démocratie pour faire des affaires.

La démocratie s’arrête souvent à la porte des entreprises. Observons comment la démocratie bourgeoise avancée d’Europe ou d’Amérique restreint de plus en plus la démocratie parlementaire, comment les marchés financiers dictent leur loi et imposent directement leurs représentants non élus à la tête des États… La démocratie peut même constituer un frein à l’appétit vorace de certaines fractions du capital.

Enfin, ces couches sociales découplent l’aspect politique de la démocratie (la question du pouvoir) de son aspect social (amélioration de la situation des couches défavorisées) et demandent aux classes populaires de laisser de côté, sous peine de se voir accusées de n’être que des tubes digestifs, leurs revendications “étroitement sociales” pour ne s’intéresser qu’aux “grandes questions” de politique. De même que la démocratie est découplée de son aspect national (la préservation de la souveraineté économique nationale, le refus des ingérences…). Ces classes sont donc instables dans le combat démocratique qu’elles peuvent déserter à n’importe quel moment.

Les couches moyennes peuvent en partie être achetées dans le cadre d’une politique de paix sociale qui nécessite cependant de gros moyens. Mais la plus grande partie des couches moyennes est touchée de plein fouet par un processus de prolétarisation. Elle tend donc à lutter de façon de plus en plus ferme pour la démocratie.

Quant aux travailleurs actifs et au chômage, ils ont un absolu besoin de démocratie pour se défendre, s’organiser, lutter, définir et porter leur projet politique. Il s’agit donc de l’aile marchante, de l’aile la plus conséquente dans le combat démocratique. C’est pourquoi ces couches populaires doivent se battre pour diriger l’alliance, afin de lui donner un contenu politique (la démocratie), organiquement lié aux contenus social (justice sociale) et national (défense de l’économie nationale et de la souveraineté politique face aux grandes puissances…). Unité et lutte traversent ainsi les partisans de la démocratie.

Finalement, la démocratie en Algérie passera-t-elle par les réformes ou par la révolution ?

Hocine Belalloufi : Par révolution, il faut entendre rupture dont l’axe de gravité politique est extérieur au régime. Il s’agit d’une rupture procédant de l’intervention politique des masses populaires.

Cette révolution, cette rupture, est incontournable parce que le régime fait lui-même constamment la preuve, depuis vingt ans, de son incapacité à instaurer la démocratie, c’est-à-dire de se réformer. Il vient encore de rater une occasion d’entamer une véritable transition. Il est vrai que l’objet d’une telle transition, la démocratie, signifierait en même temps sa fin en tant que régime, mais pas la fin de carrière de tous les membres ou institutions du régime. Le deuxième aspect qui rend incontournable une révolution est que la politique économique suivie et la remise en cause des acquis nationaux de la Guerre de Libération nationale et du projet de développement national brisent le consensus social.

Le régime, qui mène une telle politique, représente des couches sociales qui ne peuvent changer de politique. Elles sont donc objectivement contraintes d’imposer leur politique de façon autoritaire.

La révolution n’est donc pas tant le produit de la volonté de révolutionnaires que celui de la politique menée par les dominants eux-mêmes. Leur aveuglement objectif pousse à la révolution. Maintenant, quand celle-ci interviendra-t-elle ? Réussira-t-elle ou échouera-t-elle ? Ce sont là d’autres questions…

H. A.


CHRISTIAN BUONO NOUS A QUITTÉ

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_________________________________

MON PÈRE CHRISTIAN BUONO

Mes chers amis,

Au nom de toute la famille Buono,

j’ai la douleur de vous annoncer que mon père Christian,

le poète pédagogique qui a tant donné à l’Algérie,

s’est éteint avant-hier dimanche 20 mai

à l’âge de 88 ans.

La cérémonie d’adieu aura lieu le vendredi 25 mai 2012, à 14 heures au Crematorium et Parc mémorial du Val d’Oise, à Saint-Ouen l’Aumône.

Affectueusement.

GEN BUONO.


MON FRÈRE ET CAMARADE CHRISTIAN BUONO

message de Sadek Hadjerès

Chère Geneviève, chères Charlie, Josette et tous vos proches

Je viens seulement d’apprendre le décés de notre cher Christian, indirectement par le biais de ce message reçu de Mr Fagnoni. Etonné d’ailleurs de ne pas avoir été informé par des camarades qui peut être l’ont su ouont cru que j’étais informé.

C’est pour moi une grande déchirure, tout un pan d’une vie qui fut riche de douleurs, d’affection et aussi de joies communes qui paraît disparaître et qui en fait reste gravé dans nos coeurs et nos esprits
Moi et tous ceux qui l’ont connu et vous ont connus restons de coeur avec vous dans notre grande famille d’épreuves et d’espoirs.

La vie a fait que je n’ai pas encore eu la possiblité, pour lui comme pour d’autres camarade qui ont été associés dans le combat national et de classe commun, de rendre l’hommage concret à toutes les qualtiés et sacrifices qu’il a versés à ce combat commun, à son exemplarité qui vous honore tous.

Je vous embrasse bien fort, avec le grand regret de ne pouvoir pour l’instant le faire directement


message de René FAGNONI

Chère Geneviève BUONO,

C’est avec émotion que j’apprends la disparition de mon camarade Christian BUONO. Les réalités géographiques ainsi que celles de la vie tout court ont fait que nous n’avons pas eu la possibilité de nous rencontrer autant que nous l’aurions souhaité. Mais les quelques moments où cette occasion nous a été donnée ont toujours été empreints d’une grande sympathie et d’une grande ferveur.
Les militants pour l’Algérie libre et indépendante ont perdu l’une des grandes figures du mouvement pour l’émancipation du peuple algérien. L’Algérie et les Algériens lui doivent beaucoup et ils le savent, puissent ils s’en souvenir longtemps.

Mon plus grand regret c’est qu’à un jour près, il n’ait pas pu prendre conscience et voir l’hommage rendu par le population algéroise à Maurice Audin grâce à l’aboutissement du long combat entamé pour sortir de l’oubli ces héros, les Algériens d’origine européenne, qui ont rejoint au prix d’énormes sacrifices le combat du peuple Algérien pour son indépendance.

Cet hommage a eu lieu le 19 mai dernier, à l’occasion de l’anniversaire de l’entrée en lutte des étudiants algériens. Il aurait été fier et heureux de voir l’avènement de cet hommage rendu à travers Maurice Audin à tous ceux qui ont rejoint le grand mouvement de lutte et d’émancipation pour l’Indépendance.

Christian BUONO, le poète pédagogique a aussi été un grand militant au courage exceptionnel. Puisse son exemple nous éclairer longtemps.

Il demeure dans nos coeurs.

Bien à vous tous.


Christian Buono, le « logeur » du Parti

Christian Buono par Claude Chevallier

Jeudi 24 mai 2012

Sources: algerie infos

Christian BUONO est de ces hommes dont l’histoire se confond avec la grande, l’Histoire. Né en 1923, il grandit à Skikda (Philippeville, à l’époque), ville natale de ses parents. Puis il devient, avec son inséparable jumeau Claude, élève de l’École Normale d’Instituteurs de la Bouzaréah. Il y rencontre Charlie Audin, qu’il épouse en 1947. Mariage d’amour, d’où naîtront six enfants. D’un caractère chaleureux et sociable, Christian BUONO est de ces rares algériens d’origine européenne qui ne supportent pas l’oppression coloniale et son cortège d’injustices. Rappelons que 75 % des Algériens ne sont pas scolarisés et que la majorité de la population est au chômage. L’Algérien est sujet et non citoyen français. En cette époque tourmentée, la griffe de l’homme, c’est son courage. Celui d’aller au-delà des simples mots pour entrer dans l’action, même à l’encontre des intérêts personnels immédiats. Ainsi Christian et son épouse n’hésitent pas à signer le « Manifeste des Cents deux »qui dénonce avec force le statut d’infériorité imposé aux Algériens. Admirateur sans réserves de son beau frère Maurice AUDIN, Christian le rejoint bientôt au sein du Parti Communiste Algérien.

Celui-ci, qui prône la thèse de l’indépendance, est interdit en 1955. C’est l’année où le couple exerce à MAKOUDA, en Kabylie. Malgré les risques que cela représente dans une Algérie désormais en guerre, Charlie et Christian poursuivent leurs activités militantes (distribution de tracts, dénonciation des conditions de vote pour les Algériens, etc. …) S’ils font preuve d’un dévouement sans limites dans leur tâche d’instituteurs modèles, c’est parce qu’à leurs yeux, enseigner aux petits Algériens l’histoire de leur pays, à l’époque où « nos ancêtresles Gaulois » résonnent haut et fort dans toutes les écoles de France et d’Outre-mer, constitue une marque de respect et un moteur de libération fondamentaux.

1956 : l’Assemblée Nationale vote « les pouvoirs spéciaux », qui donnent toute latitude à l’armée française pour régler « l’affaire algérienne». C’est l’époque de « la Bataille d’Alger », et notamment l’utilisation quasi systématique de la torture par les parachutistes. Le couple héberge clandestinement Larbi BOUALI, premier secrétaire du PCA. 1957 : Charlie et Christian ont quatre enfants. Suite à l’arrestation de Maurice (qui ne reviendra jamais) et à celle d’Henri ALLEG, Christian est arrêté à son tour. De Barberousse-Serkadji (où il partage la cellule d’Henri), à la Centrale de Maison Carrée, trois années vont s’écouler. Au procès, qui a lieu en 1960, il est condamné à cinq ans de prison. Mais, soutenu par son avocat, il réussit à s’échapper. Clandestin dans un immeuble des hauteurs d’Alger, quartier « ultra » où l’OAS règne en maître, il y poursuit ses activités militantes jusqu’en 1962, année où l’Algérie accède enfin à son indépendance…Dans son ouvrage l’Olivier de MAKOUDA, Christian évoque ses combats, avec l’humour et la modestie qui le caractérisent.

Claude CHEVALLIER, Metteur en scène

lien : téléphonearabe


Christian Buono dans le dictionnaire du mouvement ouvrier

Beau-frère de Maurice Audin, Christian Buono était le « logeur » du parti ; il fit passer Paul Caballéro, comme bien d’autres, de son propre F3 familial en haut d’Alger à Alger-Plage ou La Pérouse en louant des cabanons ou des villas. (Dictionnaire du mouvement ouvrier Le Mainton)

L’arrestation de Lucien Hanoun en novembre 1956 entraîna la disparition du journal. Alfred Gerson parvint à rester dans la clandestinité jusqu’en mars 1957. C’est alors que commença l’instruction du procès de La voix du soldat. Arrêté, il fut conduit à la villa Sésini, le centre de tortures, puis emprisonné à Barberousse et Maison-Carrée avant de rejoindre le camp de Lodi. En détention, Alfred Gerson n’était connu que sous son nom de naissance, imprononçable à l’appel du courrier, selon son camarade de prison Christian Buono*, « logeur » des communistes clandestins à Alger. Méconnaissant le rôle exact d’Alfred Gerson, le tribunal militaire condamna donc Sepselevicius à 18 mois de prison, en novembre 1958, tandis que Lucien Hanoun et André Moine étaient respectivement condamnés à quatre ans et cinq ans de prison. Ayant déjà passé 19 mois en détention, Alfred Gerson fut envoyé pour deux semaines au centre de tri de Beni Messous, puis finalement expulsé vers Paris. Selon Élie Mignot, Raymond Guyot* rendit hommage au rôle d’Alfred Gerson à l’occasion d’un meeting.

(Paul boulland)


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L’olivier

de

Makouda

de

Christian Buono:

Une mémoire revisitée

Par Ali Remzi

Buono, qui fut instituteur en Kabylie, retrace son parcours singulier en Algérie. Il raconte les bons souvenirs, mais aussi les moments les plus rudes. Entre la période de la guerre de libération nationale et les premières années de l’indépendance, l’auteur, nous raconte son histoire avec cette terre si vaste et si généreuse qu’est l’Algérie.
Beau-frère de Maurice Audin (mort sous la torture), Christian Buono, militant de base, anonyme parmi les anonymes, petit maillon de cette grande chaîne de la lutte pour la liberté, militant du PCA, dès le déclenchement du conflit pour l’indépendance, lui, l’européen, choisit avec sa famille le camp algérien et deviendra citoyen algérien. Son itinéraire est exceptionnel. Il dévoile pour la première fois le parcours d’un homme assumant son choix.

Il nous donne une leçon de courage et d’humilité et nous laisse la quintessence de l’espoir quand nous nous lassons pour une cause. Son récit est à juxtaposer à la connaissance de cette période apportée par une approche, pourtant totalement opposée, des appelés de cette sale guerre. Christian Buono nous parle, comme jamais cela n’a été fait, de cette période trouble et tragique.

Né en 1923, Christian Buono a passé toute sa vie en Algérie jusqu’à son arrivée en France en 1966. Enseignant, il fut en ville et dans les campagnes, un témoin privilégié de la vie du peuple algérien et des Français de condition modeste. Marié en 1947 à la soeur de Maurice Audin, il suivit la voie tracée par ce jeune universitaire, disparu dans les chambres de torture, en 1957. Arrêté pour avoir hébergé de hauts responsables du PCA., il passa deux ans en prison (1957-1959) et deux ans dans la clandestinité (1960-1962).

Il participa au travail d’édification de l’Algérie nouvelle (1962-1966). Grâce à son premier livre «Témoignage d’une babouche noire», paru en 1988 et qui fut vendu en librairie à Alger, Christian Buono reçut avec une émotion non dissimulée, des lettres de ses anciens élèves, et même leurs visites, heureux de constater que – après plus de trente ans – eux non plus n’avaient rien oublié. «Pauvre Algérie, que de tourments tu vas subir encore pour ta liberté !…Et nous ? Ce serra dur, mais notre place est du côté des opprimés», écrit l’auteur. L’olivier de Makouda contient aussi des photos et des documents qui nous invitent à un voyage dans le temps. En somme, cet ouvrage est à lire et à relire.

Ali Remzi, 10 juillet 2010.

La dépêche de kabylie

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Décès de Christian Buono

algerieinfos

Mercredi 23 mai 2012

Christian Buono, ancien instituteur en Algérie, terre ou il était né et dont il fût un fervent militant de l’indépendance, s’est éteint dimanche dernier à l’âge de 88 ans.

Cet enseignant, militant du parti communiste algérien, avait son camp dès le déclenchement de la guerre pour l’indépendance. Arrêté pour avoir hébergé de militants nationalistes, il passa deux ans en prison (1957-1959) et deux ans dans la clandestinité (1960-1962). Il participa au travail d’édification de l’Algérie nouvelle (1962-1966), avant de rejoindre la France en 1966.

Christian Buono était le beau-frère de Maurice Audin, mort sous la torture.

Dans un message de condoléances à sa fille Geneviève Buono, un ancien compagnon du défunt, René Fagnoni, dit regretter « une des grandes figures du mouvement pour l’émancipation du peuple algérien ».
« Mon plus grand regret c’est qu’à un jour près, il n’ait pas pu prendre conscience et voir l’hommage rendu par le population algéroise à Maurice Audin, grâce à l’aboutissement du long combat entamé pour sortir de l’oubli ces héros, les Algériens d’origine européenne, qui ont rejoint au prix d’énormes sacrifices le combat du peuple Algérien pour son indépendance », a-t-il dit, dans un message remis à l’APS.
La cérémonie d’adieu du défunt aura lieu le 25 mai au Crematorium et Parc mémorial du Val d’Oise, à Saint-Ouen l’Aumône, dans le Val d’Oise (région parisienne).

Source APS, 23 mai 2012

23 MAI 2012 – JOURNÉE D’ETUDE à LA BDIC: Sadek Hadjerès, un itinéraire militant dans le mouvement d’indépendance algérienne, 1939-1963

JOURNEE D’ETUDES

MERCREDI 23 MAI 2012

Organisateur : BDIC

[

Lieu :

Université de Paris Ouest Nanterre La Défense

salle des conférences, bâtiment B

->http://www.bdic.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=61&Itemid=67]

RER station « Nanterre-Université »

(entrée libre, dans la limite des places disponibles.

Inscriptions : audiovisuel@bdic.fr)

Sadek Hadjerès, un itinéraire militant

dans le mouvement d’indépendance algérienne

1939-1963

Né le 13 septembre 1928 en Algérie (Kabylie) à Larbaâ Nath Irathen (Fort-National), Sadek Hadjerès a fait des études secondaires à Médéa, Blida et Alger-Ben Aknoun, puis des études de médecine à Alger.

Encore lycéen et responsable local du mouvement SMA (Scouts Musulmans Algériens), il a adhéré en 1944 au parti indépendantiste PPA (qui deviendra le MTLD en novembre 1946). Puis il l’a quitté fin 1949 avec les militants accusés faussement par ses dirigeants de «berbérisme», alors qu’ils demandaient en réalité la prise en compte par le mouvement d’une conception pluraliste de la nation et la définition d’un contenu démocratique et révolutionnaire du nationalisme.

De 1947 à 1951, il fut l’un des principaux animateurs de l’Association des étudiants musulmans d’Afrique du Nord (AEMAN) et son président en 1949-1950.

En janvier 1951, il adhéra au parti communiste algérien (PCA), où il fut élu au comité central en février 1952, puis au bureau politique au printemps 1955.

Dans ses acivités légales, il sera notamment directeur de la revue «Progrès» et élu conseiller général d’El Harrach (ex maison Carrée).

L’interdiction du parti communiste au début de la guerre en 1955 l’a contraint à cesser ses activités de médecin et chercheur en médecine pour entrer en clandestinité.

En mai-juin 1956, il organise l’intégration de communistes du PCA, les Combattants de la Libération (CDL), au sein du FLN-ALN, avec Bachir Hadj-Ali, avec qui il assure, à partir de 1957, la direction clandestine du PCA à Alger jusqu’à l’indépendance.

Devenu après juillet 1962 l’un des trois secrétaires du PCA, il a repris une activité médicale et de recherche, puis, après l’interdiction de ce parti par Ben Bella en novembre 1962, a été l’un des responsables de son appareil redevenu clandestin.

Après le coup d’Etat de Boumediene du 19 juin 1965 qui a provoqué une forte répression à son encontre, le PCA est devenu en 1966 le Parti de l’avant garde socialiste (PAGS), dont Hadjerès est en 1967 confirmé premier secrétaire, responsabilité qu’il exercera durant une nouvelle clandestinité de vingt-quatre ans, jusqu’au lendemain du mouvement populaire d’octobre 1988 qui met fin au Parti unique en Algérie.

Revenu à la vie légale au printemps 1989, il cesse toute affiliation partisane au début de 1992 et dénonce, notamment dans une déclaration publiée fin novembre 1992 dans les journaux El Watan et Alger Républicain, les responsabilités du système politique algérien dans la tragédie qui frappe alors le pays ainsi que son rôle dans le sabordage du PAGS.

Depuis cette date, il vit en exil et se consacre à des travaux historiques et des articles dans la presse algérienne et internationale (il anime un site internet sur le mouvement social algérien (www.socialgerie.net).


Programme

En présence de Sadek Hadjeres.

9h30 : Introduction.

Brève présentation de la production d’archives audiovisuelles à la BDIC et de l’enregistrement du témoignage du militant de l’indépendance algérienne à l’origine de cette journée.

  • Rosa Olmos

Quatre montages d’environ quinze minutes réalisés à partir des entretiens seront projetés (deux par demi-journée), précédés chaque fois d’une courte présentation par les historiens Ali Guenoun et Gilles Manceron qui les ont conduits et suivis de l’intervention de discutants puis d’un débat avec les participants.

9h45 : De 1939 à 1942.

11h : De 1943 à 1951.

  • Discutants : Daho Djerbal, Omar Carlier et Malika Rahal (sous réserves).

12h30 : Déjeuner

14h : De 1952 à 1956.

15h30 : De 1956 à 1963.

  • Discutants : René Gallissot, Alain Ruscio et Sylvie Thénault.

17h : Conclusion

  • Marie-Claire Lavabre

Sadek Hadjerès fait partie des militants du mouvement d’indépendance algérienne qui évoquent, quand il parle de son enfance passée en Kabylie et dans certains villages de la Mitidja, non seulement les injustices et humiliations dont étaient victimes les Algériens du fait de la colonisation, mais aussi les inégalités de la société traditionnelle telles, par exemple, que le statut supérieur des familles maraboutiques, les inégalités femmes/hommes et autres problèmes. Avec précision, il rappelle les effets sur la société algérienne de la seconde guerre mondiale qui a encouragé l’émergence d’un large sentiment patriotique et conduit toute une génération à s’engager pour l’indépendance.

Il témoigne en même temps de ce que, dès les années 1940, le mouvement national était traversé de courants contradictoires bien antérieurs à la fondation du FLN. A des conceptions étroites du nationalisme influencées par l’autoritarisme d’un certain nationalisme arabe, s’opposaient déjà des volontés de ne pas nier les diversités linguistiques et politiques, d’unir avec leurs particularités les forces constitutives de la nation et de forger une conscience démocratique, unitaire et révolutionnaire du mouvement indépendantiste.

Stigmatisé injustement comme « berbériste -séparatiste» par la direction du PPA-MTLD, Hadjerès a rejoint le PCA lorsque ce dernier depuis le début des années cinquante a adopté explicitement le mot d’ordre d’indépendance que ce parti évitait jusque là. Il a participé aux nombreuses luttes politiques, sociales et idéologiques des années qui ont précédé le 1er novembre 1954. Après le déclenchement de la lutte armée et d’âpres discussions avec les dirigeants du Front, il a contribué aux efforts pour intégrer les membres du PCA organisés dans les CDL (Combattants de la Libération) au combat du FLN-ALN. Son témoignage éclaire la nature et les problèmes d’ordre stratégique et tactique qui ont marqué les relations entre le PCA et le PCF et les conséquences de leurs différences d’approches lors de certains épisodes.

Clandestin en plein Alger durant les années 1956 à 1962, il a échappé au terrorisme de l’OAS après le cessez le feu. À l’été 1962, il témoigne des déchirements entre appareils et clans nationalistes Algériens dans la lutte pour la prise du pouvoir. Avec le PCA réorganisé, il a placé ses espoirs d’issue de crise à la fois dans la mobilisation unitaire des bases populaires et militantes et dans l’arrivée au pouvoir de l’alliance Ben Bella-Boumediène, qui l’a pourtant contraint, peu après, à une nouvelle période de clandestinité qui a duré vingt-quatre ans. Son riche témoignage permet de revenir sur quelques uns des obstacles qui ont empêché que l’indépendance tant attendue représente pour le peuple algérien une réelle émancipation.

Intervenants :

Omar Carlier

Historien, Professeur à l’université de Paris 7 Denis Diderot, auteur de nombreux travaux sur le nationalisme algérien, il a publié notamment Entre nation et djihad (Presses de Sciences Po, Paris, 1994).

Daho Djerbal

Historien, maître de conférences à l’Université d’Alger-Bouzaréah, il a été aussi professeur invité de l’Institut d’Études Politiques de Paris et de l’Université de Princeton aux États-Unis. Depuis 1993, il est le directeur de la “revue NAQD” d’études et de critique sociale, créée en 1991.

René Gallissot

Historien, spécialiste du Maghreb colonial, professeur émérite à l’université de Paris VIII. Il a dirigé l’ouvrage “Mouvement ouvrier, communisme et nationalismes dans le monde arabe” (Éditions de l’Atelier, 1978), “Le Maghreb de traverse” (Bouchène, 2000) “La République française et les indigènes. Algérie colonisée, Algérie algérienne, 1870-1962” (L’Atelier, 2007),“ Algérie : Engagements sociaux et question nationale” (L’Atelier, 2007) et est aujourd’hui le directeur de la série Maghreb du “Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier” (Le « Maitron »).

Ali Guenoun

Historien, doctorant à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, termine actuellement une thèse sur la construction historique de l’identité berbère entre 1945 et 1980. Il a publié “Chronologie du mouvement berbère” (Éditions Casbah, Alger, 1999).

Marie-Claire Lavabre

docteure d’Etat en science politique (IEP de Paris, 1992), est directrice de recherche au CNRS. Depuis “Le fil rouge, sociologie de la mémoire communiste”, paru en 1994 aux Presses de Sciences Po, ses recherches portent sur la sociologie ou l’histoire du communisme, le phénomène mémoriel, les usages politiques de l’histoire et les approches de la mémoire en sciences sociales.

Gilles Manceron

Historien, délégué Histoire, mémoires, archives de la Ligue des droits de l’homme, il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont “D’une rive à l’autre”. “La guerre d’Algérie de la mémoire à l’histoire” (avec Hassan Remaoun, Syros, 1993) et “Marianne et les colonies.Une introduction à l’histoire coloniale de la France” (La Découverte, 2003).

Malika Rahal

Historienne, chercheuse à l’IHTP, a soutenu une thèse de doctorat à l’Inalco en 2007 sur l’“histoire de l’UDMA de Ferhat Abbas” et a notamment publié en 2010 “Ali Boumendjel. Une affaire française, une histoire algérienne”, biographie (Les Belles Lettres, 2010).

Alain Ruscio

Historien, docteur ès Lettres, chercheur indépendant, a consacré l’essentiel de son travail de recherche, dans un premier temps, à l’Indochine coloniale et à la phase finale de cette histoire, la guerre française d’Indochine (1945-1954). Il a soutenu sa thèse en Sorbonne (Université Paris I), en 1984. Il a particulièrement travaillé sur le PCF et la question coloniale.

Sylvie Thénault

Historienne, chargée de recherche au CNRS, au Centre d’histoire sociale du XXe siècle. Elle est notamment l’auteur d’“Une drôle de Justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie” (La Découverte, 2004) et de “Histoire de la guerre d’indépendance algérienne” (Flammarion, 2005).


http://www.bdic.fr/index.php?option=com_eventlist&view=details&id=226:sadek-hadjeres-un-itineraire-militant-dans-le-mouvement-dindependance-algerienne&Itemid=68


« L’HUMAIN D’ABORD », FRONT DE GAUCHE et AMÉRIQUE LATINE

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En France, le Front de Gauche «s’est fortement inspiré du renouveau politique latino-américain et du concept de «révolution par les urnes», écrit Salim Lamrani.

« LA RÉVOLUTION PAR LES URNES»

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Vendredi 18 mai 2012

LES ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES EN FRANCE

ET L’ ÉMERGENCE DU “FRONT DE GAUCHE”

La nouvelle Amérique latine

comme principale source d’inspiration

Par Salim Lamrani

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Le Front de Gauche a été la révélation politique du premier tour de l’élection présidentielle en France. Son candidat Jean-Luc Mélenchon revendique ouvertement avoir puisé son inspiration dans la nouvelle Amérique latine pour établir son programme.

Cette année 2012, le 1er mai – rassemblement international des travailleurs pour l’émancipation humaine et le progrès social depuis 1890 – revêt un intérêt particulier à travers toute l’Europe, frappée par la crise économique systémique et des mesures d’austérité et de régression sociale sans précédent. Cela est particulièrement vrai en France, où la célébration a lieu entre les deux tours de l’élection présidentielle qui opposera le candidat conservateur de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP), et actuel président, favorable au maintien des politiques d’austérité en Europe, au leader du Parti socialiste (PS) François Hollande, partisan d’une politique plus sociale, sans pour autant rejeter le modèle néolibéral.

Le premier tour de l’élection présidentielle a constitué un double camouflet pour le président sortant Nicolas Sarkozy. En effet, pour la première fois de l’histoire de la Ve République (depuis 1958), le président candidat (27,18%) est devancé par son adversaire socialiste (28,63%). De plus, l’adoption d’un discours stigmatisant l’immigration et invoquant la défense de l’identité nationale – thèmes habituellement réservés à l’extrême droite, dans l’espoir d’attirer une nouvelle fois les voix de ce secteur comme en 2007 – n’a pas eu les effets escomptés. Pourtant, Nicolas Sarkozy n’a pas lésiné sur les moyens en nommant comme conseiller spécial de campagne Patrick Buisson, transfuge de l’extrême droite, rompant ainsi avec la tradition gaullienne et chiraquienne de la droite classique. En effet, 17,9% des électeurs ont préféré voter pour Marine Le Pen, candidate du parti extrémiste Front National (FN), qui est arrivée en 3ème position [“Le Monde”, « Résultats de l’élection présidentielle: France entière», 23 avril 2012]], avec un score cependant inférieur à 2002, où l’extrême droite avait atteint 19,2% [[Hendrik Davi, «Depuis 2002, l’extrême droite a reculé dans les villes», Front de Gauche, 25 avril 2012.]]. L’UMP, parti présidentiel, a ainsi perdu 1,7 millions de voix par rapport à 2007, dont 70% est allé au FN [[Jean-Luc Mélenchon, «Après le premier tour, un moment de pause clavier», 25 avril 2012. [www.jean-luc-mélenchon.fr (site consulté le 26 avril 2012).]].

L’émergence du Front de Gauche

Néanmoins, la révélation politique du premier tour de l’élection présidentielle reste le Front de Gauche (FDG), une coalition de diverses forces politiques progressistes incluant, entre autres, le Parti communiste et le Parti de Gauche, dont le candidat Jean-Luc Mélenchon a atteint le score historique de 11,1% [[Le Monde, «Résultats de l’élection présidentielle: France entière», op. cit.]], avec près de 4 millions de voix. En effet, aucune force politique à la gauche du Parti socialiste n’avait atteint un tel score depuis 1981 quand le Parti communiste de George Marchais avait dépassé la barre des 15% [[Radio France Internationale, « 1981 – Mitterrand, l’alternance », 24 août 2006.]].

Durant la campagne électorale, le FDG a étonné tous les observateurs grâce à son impressionnante capacité de mobilisation. Le 18 mars 2012, près de 120 000 personnes s’étaient réunies à la Place de la Bastille à Paris pour écouter Mélenchon, faisant de ce meeting le plus important rassemblement politique depuis l’après-guerre [[Le Monde, «Jean-Luc Mélenchon à Bastille: «Nous sommes le cri du peuple», 18 mars 2012.]]. De la même manière, le 14 avril 2012, 120 000 personnes se sont retrouvées sur les plages du Prado à Marseille pour suivre le discours du candidat du FDG [[Lilian Alemagna, «Au Prado, Mélenchon retourne la plage», Libération, 15 avril 2012.]]. Aucun autre parti politique français ne dispose d’une telle capacité de mobilisation.

Dans les grandes villes, où le Front de Gauche est très présent et où il a pu réaliser son travail d’éducation populaire sur son programme et sur les dangers que représentait le FN, le vote en faveur de l’extrême droite a sensiblement reculé. Sur les 15 premières villes de France, le FN a ainsi obtenu des résultats inférieurs à ceux de 2002 dans 14 d’entre elles. Mieux encore, Jean-Luc Mélenchon a obtenu des scores supérieurs à ceux de Marine le Pen, dans dix villes sur quinze [[Hendrik Davi, «Depuis 2002, l’extrême droite a reculé dans les villes», op. cit.]]. Ainsi, 75% de la progression du total de la gauche – +17% par rapport à 2007, alors que le total de la droite a diminué de 16% [[Jean-Luc Mélenchon, « Après le premier tour, un moment de pause clavier », 25 avril 2012. www.jean-luc-mélenchon.fr (site consulté le 26 avril 2012)]] – est dû au FDG [[Patrick Cohen, «Jean-Luc Mélenchon», France Inter, 27 avril 2012, 8h20. http://www.dailymotion.com/video/xqf4hb_jean-luc-melenchon_news?search_algo=1 (site consulté le 27 avril 2012).]]. Par rapport à 2007, la gauche de la gauche a progressé de 39%, grâce au FDG [[Jean-Luc Mélenchon, « Après le premier tour, un moment de pause clavier», op. cit.]].

Le score de 11,1% du FDG aurait sans doute été plus élevé sans la menace du Front national et la campagne médiatique, en faveur du vote utile, qui a surfé sur le traumatisme électoral de 2002, où le candidat d’extrême droite Jean-Marie Le Pen avait éliminé le candidat socialiste Lionel Jospin et s’était qualifié pour le second tour. Ainsi, selon un sondage de l’IFOP, 30% des électeurs de François Hollande auraient voté pour le FDG sans la menace Le Pen, ce qui aurait porté le score Mélenchon à 20,1%, c’est-à-dire au même niveau que celui du Parti socialiste. Néanmoins, avec 4 millions de voix, le FDG a gagné en l’espace de trois ans trois millions d’électeurs depuis sa première campagne pour les élections européennes en 2009 [[Ibid.]].

La nouvelle Amérique latine,

principale source d’inspiration du Front de Gauche

Depuis 1998 et l’élection d’Hugo Chávez à la présidence de la République Bolivarienne du Venezuela, l’Amérique latine a porté au pouvoir de nombreux dirigeants progressistes qui ont placé l’humain au centre de leur projet de société, que ce soit Lula da Silva puis Dilma Rousseff au Brésil, Néstor Kirchner puis Cristina Fernández en Argentine, Evo Morales en Bolivie, Rafael Correa en Equateur, Daniel Ortega au Nicaragua, José Mujica en Uruguay et dans une moindre mesure Ollanta Umala au Pérou.

Cette Amérique latine nouvelle a axé sa politique sur la récupération de sa souveraineté en nationalisant les hydrocarbures et autres secteurs stratégiques de l’économie (Venezuela, Brésil, Equateur, Bolivie, Argentine, etc.), la lutte contre la pauvreté par le biais de programmes sociaux spectaculaires, la répartition des richesses et l’intégration régionale avec la création de plusieurs organismes tels que l’Alliance Bolivariennes pour les Peuples de notre Amérique (ALBA), l’Union des Nations Sud-américaines (UNASUR) et la récente Communauté des Etats Latino-américains et Caribéens (CELAC), illustrant ainsi la volonté du continent de s’affranchir de l’ombre tutélaire de Washington et de créer un monde multipolaire, basé sur le dialogue, la diplomatie et la réciprocité.

Le FDG s’est fortement inspiré du renouveau politique latino-américain et du concept de «révolution par les urnes ». « Les processus révolutionnaires en Amérique du Sud sont une source d’enseignement », a revendiqué Mélenchon [[Liberation, «Otan, Tibet, Cuba, Amérique du Sud: Mélenchon répond à la presse étrangère», 17 avril 2012.]], très lié au président équatorien Rafael Correa, lequel lui a publiquement apporté son soutien [[Le Figaro, «Rafael Correa soutient Mélenchon», 11 avril 2012; L’Humanité, «Correa soutien son ‘compañero’ Mélenchon», 12 avril 2012.]].

Le programme de cette nouvelle force politique, intitulé «l’Humain d’abord», est axé sur une philosophie du partage et sur la répartition des richesses, marquant ainsi une rupture radicale avec la logique accumulative néolibérale, qui a ravagé l’Amérique latine dans les années 1980 et qui détruit actuellement l’Europe. Face aux politiques d’ajustement structurel et aux mesures d’austérité appliquées partout sur le Vieux Continent, de la Grèce à l’Espagne, et de l’Irlande au Portugal en passant par l’Italie, avec des conséquences sociales et humaines dramatiques, le FDG préconise une approche socioéconomique alternative basée, entre autres, sur une plus grande intervention de l’Etat et la réforme des institutions.

Ainsi, l’idée d’une Constituante et d’une VIe République «parlementaire, sociale et participative», destinée à mettre un terme au régime ultra-présidentialiste et à donner davantage de pouvoir au Parlement, s’inspire directement du Venezuela, où une nouvelle Constitution a été adoptée en 1999. La nouvelle constitution doit garantir également « l’indépendance des médias à l’égard du pouvoir politique et des puissances d’argent [[ Front deGauche, L’Humain d’abord, septembre 2011, p. 32.]] », reprenant ainsi un point-clé du programme du Conseil national de la Résistance de 1944 [[Conseil National de la Résistance, «Programme du Conseil National de la Résistance (C.N.R.)», 24 mars 1944.]].

De la même manière, le concept de « Révolution citoyenne » trouve sa source dans la transformation radicale de la société équatorienne suite à l’élection de Rafael Correa, où la population est passée du statut de spectateur de la vie politique à celui d’acteur direct et impliqué [[Céline Meneses, «Equateur : la révolution citoyenne victorieuse», Le Parti de Gauche, 10 octobre 2010.]].

Comme dans la nouvelle Amérique latine, le programme du FDG donne la priorité au social avec le rétablissement de la semaine de 35 heures et le droit à la retraite à 60 ans à taux plein. Le SMIC est fixé à 1 700€ (contre 1 097€ actuellement) et le salaire maximum ne pourra dépasser les 360 000 euros par an– soit 30 000 euros par mois, seuil au dessus duquel l’imposition est de 100% – dans les entreprises publiques et privées. De la même manière, la hiérarchie des salaires dans les entreprises est fixée de 1 à 20 au maximum (le plus gros salaire ne pouvant être plus de 20 fois supérieur au plus petit salaire), afin d’amener les patrons qui souhaiteraient augmenter leurs revenus à en faire autant avec ceux des salariés [[Front deGauche, L’Humain d’abord, op. cit.]].

Pour éviter l’exil fiscal, le FDG compte établir le même système tributaire existant aux Etats-Unis où tous les expatriés qui sont imposés à un niveau inférieur dans leur nouveau territoire de résidence que celui existant sur le territoire américain, sont dans l’obligation de payer le différentiel d’impôt au Trésor étasunien [[Sénat, «Étude de législation comparée n° 192 – janvier 2009 – L’imposition des revenus des expatriés dans le pays d’origine», janvier 2009. http://www.senat.fr/lc/lc192/lc1927.html (site consulté le 29 avril 2012).]].

L’instauration du CDI comme norme du contrat de travail permettra, selon le FDG, de lutter contre l’insécurité sociale et d’abolir la précarité. A cela s’ajoutera le remboursement intégral des dépenses de santé, ainsi que la titularisation des 800 000 employés précaires de la fonction publique, sans oublier la construction de 200 000 logements sociaux par an, un blocage des loyers et l’interdiction des expulsions locatives pour des raisons économiques et sociales [[Front deGauche, L’Humain d’abord, op. cit.]].

L’augmentation du salaire minimum constitue la base du programme du FDG et revêt un double objectif. D’abord, elle permettra améliorer le niveau de vie d’une partie substantielle des citoyens français, dont une immense majorité de femmes (80%) [[Mireille Schurch, « Pour le SMIC à 1700€ », Sénat, 2 avril 2012. http://www.senat03.fr/spip.php?article459 (site consulté le 29 avril 2012).]], qui survit difficilement avec de tels revenus. De plus, 8 millions de Français vivent en dessous du seuil de pauvreté (fixé à 970€ par mois) [[Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), «Nombres de pauvres», 2009. http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=natsos04403 (site consulté le 29 avril 2012).]] dans la cinquième puissance mondiale, alors que le pays est deux fois plus riche qu’en 1990 (2560 milliards de richesse produite par an) [[World Bank, « World Development Indicators & Global Development Finance », 2010. http://databank.worldbank.org/Data/Views/Reports/TableView.aspx?IsShared=true&IsPopular=series (site consulté le 29 avril 2012).]].

Ensuite, elle permettra de relancer l’économie. En effet, la hausse du SMIC stimulera automatiquement la consommation de cette catégorie de la population dont les besoins sont importants, et par ricochet remplira les carnets de commande des entreprises. Ces dernières, à leur tour, recruteront la main d’œuvre nécessaire pour satisfaire cette nouvelle demande, ce qui aura un impact positif sur le taux de chômage qui en sera logiquement réduit. Ainsi, l’Etat verra ses ressources augmenter grâce à la contribution tributaire des nouveaux employés, et ses dépenses destinées à l’allocation-chômage diminuer, créant ainsi un cercle vertueux.

Les actuelles politiques d’austérité promues par la BCE, le FMI et l’UE et appliquées à travers l’Europe ont un effet inverse puisque la réduction des dépenses, la diminution des salaires et des pensions de retraite – en plus des conséquences sociales et humaines catastrophiques qu’elles occasionnent – conduisent inévitablement à une contraction de la consommation. De ce fait, les entreprises se trouvent dans l’obligation de réduire leur production ainsi que les salaires, allant jusqu’à se séparer de leurs employés. Conséquence logique, les ressources tributaires de l’Etat s’en trouvent diminuées alors que ses dépenses – pour atténuer les effets du chômage – explosent, créant ainsi un interminable cercle vicieux, dont le symbole est la crise grecque. Plusieurs pays européens se trouvent ainsi actuellement en récession.

Le cas de la crise de la dette grecque – que le FDG n’a eu de cesse de dénoncer durant la campagne électorale – est un cas d’école et illustre l’échec total des politiques néolibérales. En effet, malgré l’intervention de l’Union européenne, du Fonds monétaire international et de la Banque centrale européenne, malgré l’application de treize plans d’une austérité extrême – hausse massive d’impôts dont la TVA, hausse des prix, réduction des salaires (jusqu’à 32% sur le salaire minimum !) et des pensions de retraite, recul de l’âge légal de départ de la retraite, destruction des services publics de première nécessité tels que l’éducation et la santé, suppression des aides sociales et privatisations des secteurs stratégiques de l’économie nationale (ports, aéroports, chemins de fer, gaz, eaux, pétrole) – qui ont mis à genoux la population [[Le Figaro, « Grèce : les 10 nouvelles mesures de rigueur», 13 février 2012.]], la dette est aujourd’hui supérieure à ce qu’elle était avant l’intervention des institutions financières internationales en 2010 [[Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers monde (CADTM), «Le CADTM dénonce la campagne de désinformation sur la dette grecque et le plan de sauvetage des créanciers privés», 10 mars 2012. http://www.cadtm.org/Le-CADTM-denonce-la-campagne-de (site consulté le 29 avril 2012).]].

Pourtant, la crise grecque aurait pu être évitée. En effet, il aurait simplement fallu que la Banque centrale européenne prête directement à Athènes les sommes nécessaires, au même taux d’intérêt qu’elle prête aux banques privées, c’est-à-dire entre 0% et 1%, ce qui aurait empêché toute spéculation sur la dette de la part de la finance. Or, le Traité de Lisbonne – rejeté par référendum par le peuple français en 2005 mais imposé par voie parlementaire par le président Sarkozy en 2008 contre la volonté des citoyens – interdit cette possibilité pour des raisons difficilement compréhensibles si l’on part du postulat selon lequel la BCE agit dans l’intérêt des citoyens [[Le Monde Diplomatique, « Les Irlandais rejettent le Traité de Lisbonne », 13 juin 2009. http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2008-06-13-Les-Irlandais-rejettent-le-traite (site consulté le 29 avril 2012).]].

En effet, l’article 123 du Traité de Lisbonne stipule qu’il « est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées « banques centrales nationales », d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres ; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales des instruments de leur dette est également interdite [[Traité de Lisbonne, article 123.]]».

En réalité, la BCE sert directement les intérêts de la finance. Ainsi, les banques privées ont emprunté à la BCE au taux bas de 0% à 1% et ont ensuite spéculé sur la dette en prêtant ce même argent à la Grèce à des taux allant de 6% à 18%, aggravant ainsi la crise de la dette, devenue mathématiquement impayable, puisque Athènes se trouve désormais dans l’obligation d’emprunter uniquement pour rembourser les seuls intérêts de la dette [[Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers monde (CADTM), «Le CADTM dénonce la campagne de désinformation sur la dette grecque et le plan de sauvetage des créanciers privés », op. cit.]].

Pour ces raisons, le FDG s’est engagé à réformer en profondeur le Traité européen afin d’autoriser la BCE à prêter directement aux Etats et à éviter ainsi les attaques spéculatives de la Finance sur les dettes souveraines. Ce fut le cas en Grèce, en Irlande, en Espagne, au Portugal et en Italie, pour ne citer que ces nations [[Front deGauche, L’Humain d’abord, op. cit.]].

En attendant, une mesure permet toutefois de contourner l’interdiction faite par le Traité européen et d’emprunter à un taux bas. En effet, la législation française autorise l’Etat à imposer aux banques privées nationales de prêter au pays des sommes avec le même taux d’intérêt que ces dernières empruntent à la BCE, c’est-à-dire moins de 1%. Cela permettrait réduire sensiblement le poids de la dette. Mais, à ce jour, aucun gouvernement n’a osé la mettre en application.

La création de la Banque du Sud en 2007 [[La Jornada, «El Banco del Sur», 13 décembre 2007.]] et la Banque de l’ALBA en 2010 [[Banco del ALBA. http://www.bancodelalba.org/ (site consulté le 29 avril 2012).]] ont permis à l’Amérique latine de s’affranchir des institutions financières internationales tels que le FMI et la Banque mondiale, responsables de la crise financière qui avait ravagé le continent dans les années 1990. Le FDG prévoit également la création d’un pôle public financier destiné à transformer la politique et les critères de crédit. L’’élaboration d’une réglementation anti-spéculation et le blocage des flux financiers avec les paradis fiscaux sont également prévus [[Front deGauche, L’Humain d’abord, op. cit.]]. En effet, les banques françaises détiennent au total une somme de 532 milliards de dollars dans ces paradis fiscaux et échappent ainsi à l’impôt, privant l’Etat – c’est-à-dire le citoyen français – de revenus non négligeables qui résoudraient bien des problèmes socio-économiques [[Emmanuel Levy, «Les paradis fiscaux abritent 532 milliards de dépôts français», Marianne 2, 28 mars 2009.]].

Au niveau tributaire, les privilèges fiscaux de toute sorte – qui ont coûté près de 100 milliards d’euros à l’Etat depuis 2002 et qui ont provoqué le doublement de la dette française–, et ceux des grandes entreprises en particulier, seront supprimés. Par exemple, la multinationale Total, qui a réalisé un bénéfice net de 10 milliards de dollars en 2011, n’a pas payé un sou au titre de l’impôt sur les sociétés durant des décennies, grâce à la niche fiscale appelée «bénéfice mondial consolidé» [[Cette dernière à finalement a été abrogée en septembre 2011 face à la pression populaire car elle représentait un manque à gagner pour l’Etat de 500 millions chaque année. Voir Chloé Dussapt, , «Qu’est-ce que le bénéfice mondial consolidé?», Challenges 7 septembre 2011.]]. De la même manière, les petites et moyennes entreprises sont taxées à hauteur de 30% alors que celles du CAC40 (40 plus grosses entreprises françaises) ne le sont qu’à hauteur de 8% [[Guillaume Errard, « Les sociétés du CAC40 échappent à l’impôt », Le Figaro, 14 décembre 2009.]].

Le FDG s’est beaucoup inspiré du rapport qu’ont les populations indigènes d’Amérique latine à la terre, et de la nécessité de préserver l’environnement. Il propose ainsi une planification écologique « comme moyen de redéfinir [les] modes de production, de consommation et d’échange en fonction de l’intérêt général de l’humanité et de l’impact de l’activité économique sur l’écosystème ». Il prévoit le développement de sources alternatives d’énergie non polluantes, le développement des transports publics, du ferroutage, entre autres [[Front deGauche, L’Humain d’abord, op. cit.]].

Le FDG a également tiré les enseignements de l’émergence de coopératives en Argentine et souhaite développer l’économie sociale et solidaire, en permettant aux salariés de reprendre leurs entreprises. Quant à la récupération de la souveraineté nationale, elle passe, comme en Amérique latine – en Argentine tout particulièrement avec le cas de la multinationale Repsol –, par la nationalisation des ressources stratégiques du pays [[ Le Figaro, «Repsol: Kirchner défend l’expropriation », 28 avril 2012.]].

Le Brésil et la politique de Dilma Roussef contre les délocalisations a été également prise en compte par le FDG. Ainsi, en taxant les produits de l’entreprise Apple, Brasilia a obligé la multinationale étasunienne à ouvrir une usine sur son territoire et à y investir 12 milliards de dollars. Cela a entrainé un mouvement de relocalisation des activités industrielles, lesquelles fournissent du travail aux citoyens brésiliens [[La Tribune, «Foxconn va fabriquer des iPad au Brésil où il investira 12 milliards de dollars», 14 octobre 2011; Huffington Post, «La démondialisation ça marche, la preuve au Brésil avec Apple», , 15 septembre 2011.]].

Au niveau international, le FDG est favorable à un retrait de la France de l’OTAN et à une approche diplomatique et pacifique des relations internationales avec des rapports basés sur l’égalité souveraine entre les Etats, la non-ingérence, la coopération et la réciprocité. Tout comme l’Amérique latine, le FDG milite en faveur d’un monde multipolaire basé sur la suprématie du droit international. Il est également partisan d’une rupture avec le monde atlantiste et le militarisme et favorable à une alliance plus étroite avec les BRIC [[Front deGauche, L’Humain d’abord, op. cit.]].

Conclusion

Le FDG semble prédestiné à jouer un rôle majeur dans la vie politique française dans les années à venir, surtout s’il poursuit son travail d’éducation politique efficace auprès des couches populaires et s’il conserve sa capacité de mobilisation. S’il évite l’écueil des divisions et reste uni autour de la figure charismatique de Mélenchon – dont mêmes les adversaires politiques soulignent les grands talents de tribun –, les résultats encourageants du premier tour de l’élection présidentielle devraient trouver confirmation lors des prochaines échéances électorales et ouvrir la voie au changement nécessaire en France et en Europe.

Salim Lamrani, 13 mai 2012. Mémoire des luttes

repris sur le blog algerieinfos le 18 mai 2012

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est enseignant chargé de cours à l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.

Son dernier ouvrage s’intitule “État de siège. Les sanctions économiques des Etats-Unis contre Cuba,” Paris, Éditions Estrella, 2011 (prologue de Wayne S. Smith et préface de Paul Estrade).

Contact : Salim.Lamrani@univ-mlv.fr; lamranisalim@yahoo.fr

ALBERT EINSTEIN: POURQUOI LE SOCIALISME?

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adressé par Michel Peyret

le 17 mai 2012

« La compétition illimitée conduit à un gaspillage considérable de travail et à la mutilation de la conscience sociale des individus dont j’ai fait mention plus haut.

Je considère cette mutilation des individus comme le pire mal du capitalisme. Tout notre système d’éducation souffre de ce mal. »

Ainsi disait Albert Einstein en 1949 !

Le propos n’a rien perdu de sa valeur.

M. P.


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1949

Un article pour le tout premier numéro du “Monthly Review.”

Albert Einstein

Pourquoi le socialisme ?

1949

Est-il convenable qu’un homme qui n’est pas versé dans les questions économiques et sociales exprime des opinions au sujet du socialisme ? Pour de multiples raisons je crois que oui.

Considérons d’abord la question au point de vue de la connaissance scientifique. Il pourrait paraître qu’il n’y ait pas de différences méthodologiques essentielles entre l’astronomie, par exemple, et l’économie : les savants dans les deux domaines essaient de découvrir les lois généralement acceptables d’un groupe déterminé de phénomènes, afin de rendre intelligibles, d’une manière aussi claire que possible, les relations réciproques existant entre eux. Mais en réalité de telles différences existent. La découverte de lois générales en économie est rendue difficile par la circonstance que les phénomènes économiques observés sont souvent influencés par beaucoup de facteurs qu’il est très difficile d’évaluer séparément. En outre, l’expérience accumulée depuis le commencement de la période de l’histoire humaine soi-disant civilisée a été — comme on le sait bien — largement influencée et délimitée par des causes qui n’ont nullement un caractère exclusivement économique. Par exemple, la plupart des grands États dans l’histoire doivent leur existence aux conquêtes. Les peuples conquérants se sont établis, légalement et économiquement, comme classe privilégiée du pays conquis. Ils se sont attribués le monopole de la terre et ont créé un corps de prêtres choisis dans leur propre rang. Les prêtres, qui contrôlèrent l’éducation, érigèrent la division de la société en classes en une institution permanente et créèrent un système de valeurs par lequel le peuple fut dès lors, en grande partie inconsciemment, guidé dans son comportement social.

Mais la tradition historique date pour ainsi dire d’hier ; nulle part nous n’avons dépassé ce que Thorstein Veblen appelait « la phase de rapine » du développement humain. Les faits économiques qu’on peut observer appartiennent à cette phase et les lois que nous pouvons en déduire ne sont pas applicables à d’autres phases. Puisque le but réel du socialisme est de dépasser la phase de rapine du développement humain et d’aller en avant, la science économique dans son état actuel peut projeter peu de lumière sur la société socialiste de l’avenir.

En second lieu, le socialisme est orienté vers un but éthico-social. Mais la science ne peut pas créer des buts, encore moins peut-elle les faire pénétrer dans les êtres humains ; la science peut tout au plus fournir les moyens par lesquels certains buts peuvent être atteints. Mais les buts mêmes sont conçus par des personnalités animées d’un idéal moral élevé et — si ces buts ne sont pas mort-nés, mais vivants et vigoureux — sont adoptés et portés en avant par ces innombrables êtres humains qui, à demi inconscients, déterminent la lente évolution de la société.

Pour ces raisons nous devrions prendre garde de ne pas surestimer la science et les méthodes scientifiques quand il s’agit de problèmes humains; et nous ne devrions pas admettre que les spécialistes soient les seuls qui aient le droit de s’exprimer sur des questions qui touchent à l’organisation de la société.

D’innombrables voix ont affirmé, il n’y a pas longtemps, que la société humaine traverse une crise, que sa stabilité a été gravement troublée. Il est caractéristique d’une telle situation que des individus manifestent de l’indifférence ou, même, prennent une attitude hostile à l’égard du groupe, petit ou grand, auquel ils appartiennent. Pour illustrer mon opinion je veux évoquer ici une expérience personnelle. J’ai récemment discuté avec un homme intelligent et d’un bon naturel sur la menace d’une autre guerre, qui, à mon avis, mettrait sérieusement en danger l’existence de l’humanité, et je faisais remarquer que seule une organisation supranationale offrirait une protection contre ce danger. Là-dessus mon visiteur me dit tranquillement et froidement: «Pourquoi êtes-vous si sérieusement opposé à la disparition de la race humaine?»

Je suis sûr que, il y a un siècle, personne n’aurait si légèrement fait une affirmation de ce genre. C’est l’affirmation d’un homme qui a vainement fait des efforts pour établir un équilibre dans son intérieur et qui a plus ou moins perdu l’espoir de réussir. C’est l’expression d’une solitude et d’un isolement pénibles dont tant de gens souffrent de nos jours. Quelle en est la cause ? Y a-t-il un moyen d’en sortir?

Il est facile de soulever des questions pareilles, mais il est difficile d’y répondre avec tant soit peu de certitude. Je vais néanmoins essayer de le faire dans la mesure de mes forces, bien que je me rende parfaitement compte que nos sentiments et nos tendances sont souvent contradictoires et obscurs et qu’ils ne peuvent pas être exprimés dans des formules aisées et simples.

L’homme est en même temps un être solitaire et un être social. Comme être solitaire il s’efforce de protéger sa propre existence et celle des êtres qui lui sont le plus proches, de satisfaire ses désirs personnels et de développer ses facultés innées. Comme être social il cherche à gagner l’approbation et l’affection de ses semblables, de partager leurs plaisirs, de les consoler dans leurs tristesses et d’améliorer leurs conditions de vie. C’est seulement l’existence de ces tendances variées, souvent contradictoires, qui explique le caractère particulier d’un homme, et leur combinaison spécifique détermine dans quelle mesure un individu peut établir son équilibre intérieur et contribuer au bien-être de la société. Il est fort possible que la force relative de ces deux tendances soit, dans son fond, fixée par l’hérédité. Mais la personnalité qui finalement apparaît est largement formée par le milieu où elle se trouve par hasard pendant son développement, par la structure de la société dans laquelle elle grandit, par la tradition de cette société et son appréciation de certains genres de comportement. Le concept abstrait de « société » signifie pour l’individu humain la somme totale de ses relations, directes et indirectes, avec ses contemporains et les générations passées. Il est capable de penser, de sentir, de lutter et de travailler par lui-même, mais il dépend tellement de la société — dans son existence physique, intellectuelle et émotionnelle — qu’il est impossible de penser à lui ou de le comprendre en dehors du cadre de la société. C’est la « société » qui fournit à l’homme la nourriture, les vêtements, l’habitation, les instruments de travail, le langage, les formes de la pensée et la plus grande partie du contenu de la pensée ; sa vie est rendue possible par le labeur et les talents de millions d’individus du passé et du présent, qui se cachent sous ce petit mot de «société».

Il est, par conséquent, évident que la dépendance de l’individu à la société est un fait naturel qui ne peut pas être supprimé — exactement comme dans le cas des fourmis et des abeilles. Cependant, tandis que tout le processus de la vie des fourmis et des abeilles est fixé, jusque dans ses infimes détails, par des instincts héréditaires rigides, le modèle social et les relations réciproques entre les êtres humains sont très variables et susceptibles de changement. La mémoire, la capacité de faire de nouvelles combinaisons, le don de communication orale ont rendu possibles des développements parmi les êtres humains qui ne sont pas dictés par des nécessités biologiques. De tels développements se manifestent dans les traditions, dans les institutions, dans les organisations, dans la littérature, dans la science, dans les réalisations de l’ingénieur et dans les œuvres d’art. Ceci explique comment il arrive que l’homme peut, dans un certain sens, influencer sa vie par sa propre conduite et comment, dans ce processus, la pensée et le désir conscients peuvent jouer un rôle.

L’homme possède à sa naissance, par hérédité, une constitution biologique que nous devons considérer comme fixe et immuable, y compris les impulsions naturelles qui caractérisent l’espèce humaine. De plus, pendant sa vie il acquiert une constitution culturelle qu’il reçoit de la société par la communication et par beaucoup d’autres moyens d’influence. C’est cette constitution culturelle qui, dans le cours du temps, est sujette au changement et qui détermine, à un très haut degré, les rapports entre l’individu et la société. L’anthropologie moderne nous a appris, par l’investigation des soi-disant cultures primitives, que le comportement social des êtres humains peut présenter de grandes différences, étant donné qu’il dépend des modèles de culture dominants et des types d’organisation qui prédominent dans la société. C’est là-dessus que doivent fonder leurs espérances tous ceux qui s’efforcent d’améliorer le sort de l’homme : les êtres humains ne sont pas, par suite de leur constitution biologique, condamnés à se détruire mutuellement ou à être à la merci d’un sort cruel qu’ils s’infligent eux-mêmes.

Si nous nous demandons comment la structure de la société et l’attitude culturelle de l’homme devraient être changées pour rendre la vie humaine aussi satisfaisante que possible, nous devons constamment tenir compte du fait qu’il y a certaines conditions que nous ne sommes pas capables de modifier. Comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, la nature biologique de l’homme n’est point, pour tous les buts pratiques, sujette au changement. De plus, les développements technologiques et démographiques de ces derniers siècles ont créé des conditions qui doivent continuer. Chez des populations relativement denses, qui possèdent les biens indispensables à leur existence, une extrême division du travail et une organisation de production très centralisée sont absolument nécessaires. Le temps, qui, vu de loin, paraît si idyllique, a pour toujours disparu où des individus ou des groupes relativement petits pouvaient se suffire complètement à eux-mêmes. On n’exagère pas beaucoup en disant que l’humanité constitue à présent une communauté planétaire de production et de consommation.

Je suis maintenant arrivé au point où je peux indiquer brièvement ce qui constitue pour moi l’essence de la crise de notre temps. Il s’agit du rapport entre l’individu et la société. L’individu est devenu plus conscient que jamais de sa dépendance à la société. Mais il n’éprouve pas cette dépendance comme un bien positif, comme une attache organique, comme une force protectrice, mais plutôt comme une menace pour ses droits naturels, ou même pour son existence économique. En outre, sa position sociale est telle que les tendances égoïstes de son être sont constamment mises en avant, tandis que ses tendances sociales qui, par nature, sont plus faibles, se dégradent progressivement. Tous les êtres humains, quelle que soit leur position sociale, souffrent de ce processus de dégradation. Prisonniers sans le savoir de leur propre égoïsme, ils se sentent en état d’insécurité, isolés et privés de la naïve, simple et pure joie de vivre. L’homme ne peut trouver de sens à la vie, qui est brève et périlleuse, qu’en se dévouant à la société.

L’anarchie économique de la société capitaliste, telle qu’elle existe aujourd’hui, est, à mon avis, la source réelle du mal. Nous voyons devant nous une immense société de producteurs dont les membres cherchent sans cesse à se priver mutuellement du fruit de leur travail collectif — non pas par la force, mais, en somme, conformément aux règles légalement établies. Sous ce rapport, il est important de se rendre compte que les moyens de la production — c’est-à-dire toute la capacité productive nécessaire pour produire les biens de consommation ainsi que, par surcroît, les biens en capital — pourraient légalement être, et sont même pour la plus grande part, la propriété privée de certains individus.

Pour des raisons de simplicité je veux, dans la discussion qui va suivre, appeler «ouvriers» tous ceux qui n’ont point part à la possession des moyens de production, bien que cela ne corresponde pas tout à fait à l’emploi ordinaire du terme. Le possesseur des moyens de production est en état d’acheter la capacité de travail de l’ouvrier. En se servant des moyens de production, l’ouvrier produit de nouveaux biens qui deviennent la propriété du capitaliste. Le point essentiel dans ce processus est le rapport entre ce que l’ouvrier produit et ce qu’il reçoit comme salaire, les deux choses étant évaluées en termes de valeur réelle. Dans la mesure où le contrat de travail est « libre », ce que l’ouvrier reçoit est déterminé, non pas par la valeur réelle des biens qu’il produit, mais par le minimum de ses besoins et par le rapport entre le nombre d’ouvriers dont le capitaliste a besoin et le nombre d’ouvriers qui sont à la recherche d’un emploi. Il faut comprendre que même en théorie le salaire de l’ouvrier n’est pas déterminé par la valeur de son produit.

Le capital privé tend à se concentrer en peu de mains, en partie à cause de la compétition entre les capitalistes, en partie parce que le développement technologique et la division croissante du travail encouragent la formation de plus grandes unités de production aux dépens des plus petites. Le résultat de ces développements est une oligarchie de capitalistes dont la formidable puissance ne peut effectivement être refrénée, pas même par une société qui a une organisation politique démocratique. Ceci est vrai, puisque les membres du corps législatif sont choisis par des partis politiques largement financés ou autrement influencés par les capitalistes privés qui, pour tous les buts pratiques, séparent le corps électoral de la législature. La conséquence en est que, dans le fait, les représentants du peuple ne protègent pas suffisamment les intérêts des moins privilégiés. De plus, dans les conditions actuelles, les capitalistes contrôlent inévitablement, d’une manière directe ou indirecte, les principales sources d’information (presse, radio, éducation). Il est ainsi extrêmement difficile pour le citoyen, et dans la plupart des cas tout à fait impossible, d’arriver à des conclusions objectives et de faire un usage intelligent de ses droits politiques.

La situation dominante dans une économie basée sur la propriété privée du capital est ainsi caractérisée par deux principes importants:

  • premièrement, les moyens de production (le capital) sont en possession privée et les possesseurs en disposent comme ils le jugent convenable;
  • secondement, le contrat de travail est libre.

Bien entendu, une société capitaliste pure dans ce sens n’existe pas. Il convient de noter en particulier que les ouvriers, après de longues et âpres luttes politiques, ont réussi à obtenir pour certaines catégories d’entre eux une meilleure forme de «contrat de travail libre». Mais, prise dans son ensemble, l’économie d’aujourd’hui ne diffère pas beaucoup du capitalisme «pur».

La production est faite en vue du profit et non pour l’utilité. Il n’y a pas moyen de prévoir que tous ceux qui sont capables et désireux de travailler pourront toujours trouver un emploi; une «armée» de chômeurs existe déjà. L’ouvrier est constamment dans la crainte de perdre son emploi. Et puisque les chômeurs et les ouvriers mal payés sont de faibles consommateurs, la production des biens de consommation est restreinte et a pour conséquence de grands inconvénients.

Le progrès technologique a souvent pour résultat un accroissement du nombre des chômeurs plutôt qu’un allègement du travail pénible pour tous.

L’aiguillon du profit en conjonction avec la compétition entre les capitalistes est responsable de l’instabilité dans l’accumulation et l’utilisation du capital, qui amène des dépressions économiques de plus en plus graves. La compétition illimitée conduit à un gaspillage considérable de travail et à la mutilation de la conscience sociale des individus dont j’ai fait mention plus haut.

Je considère cette mutilation des individus comme le pire mal du capitalisme. Tout notre système d’éducation souffre de ce mal. Une attitude de compétition exagérée est inculquée à l’étudiant, qui est dressé à idolâtrer le succès de l’acquisition comme une préparation à sa carrière future.

Je suis convaincu qu’il n’y a qu’un seul moyen d’éliminer ces maux graves, à savoir, l’établissement d’une économie socialiste, accompagnée d’un système d’éducation orienté vers des buts sociaux.

Dans une telle économie, les moyens de production appartiendraient à la société elle-même et seraient utilisés d’une façon planifiée. Une économie planifiée, qui adapte la production aux besoins de la société, distribuerait le travail à faire entre tous ceux qui sont capables de travailler et garantirait les moyens d’existence à chaque homme, à chaque femme, à chaque enfant.

L’éducation de l’individu devrait favoriser le développement de ses facultés innées et lui inculquer le sens de la responsabilité envers ses semblables, au lieu de la glorification du pouvoir et du succès, comme cela se fait dans la société actuelle.

Il est cependant nécessaire de rappeler qu’une économie planifiée n’est pas encore le socialisme. Une telle économie pourrait être accompagnée d’un complet asservissement de l’individu.

La réalisation du socialisme exige la solution de quelques problèmes socio-politiques extrêmement difficiles:

comment serait-il possible, en face d’une centralisation extrême du pouvoir politique et économique, d’empêcher la bureaucratie de devenir toute-puissante et présomptueuse? Comment pourrait-on protéger les droits de l’individu et assurer un contrepoids démocratique au pouvoir de la bureaucratie ?

La clarté au sujet des buts et des problèmes du socialisme est de la plus grande importance à notre époque de transition.

Puisque, dans les circonstances actuelles, la discussion libre et sans entrave de ces problèmes a été soumise à un puissant tabou, je considère que la fondation de cette revue est un important service rendu au public.