[Infos-espaces-marx] transform! newsletter 10/2012

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newsletter 10 – 2012

7 juillet 2012

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Sommaire

Editorial

Sommet de l’EU

Le cercle vicieux entre les Etats souverains et la banques !

Walter Baier, transform!europe

Le nouveau gouvernement grec

Un Mémorandum DR. Jekyll-Mr Hyde

Stavros Panagiotidis, Institut Nicos Poulantzas

Bref compte rendu du sommet des peuples de Rio

« Rio+20-20, mouvements des peuples »

Josef Baum, transform!at

10e anniversaire du premier Forum social Européen

« Florence 10+10 : Europe and démocratie »

9-11 novembre 2012

Franco Russo et Roberto Musacchio

Nouvelle revue

Workers of the World – International Journal of Strikes and Social Conflict

Travailleurs du Monde – Revue internationale des grèves et des conflits sociaux

48e Conférence de Linz de la Conférence Internationale d’histoire ouvrière et sociale (ITH)

Interventions : L’impact des mouvements du travail sur le développement social et culturel

Linz, 13-16 septembre 2012


Infos-espaces-marx mailing list Infos-espaces-marx@espaces-marx.org http://popu.pcf.fr/cgi-bin/mailman/listinfo/infos-espaces-marx-espaces-marx.org

GRÉCE: LE CHŒUR ASSOURDISSANT DES BOURREAUX.

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Abdelatif Rebah

La Nation

le 23 juillet 2012

Depuis 2010, la Grèce, fait la une des médias aux ordres du Nord comme du Sud, de l’Est comme de l’Ouest. Le chœur des bourreaux est assourdissant, relayé, amplifié, démultiplié aux quatre coins de la planète. Que martèle-t-il sur la « crise grecque » ?

« La Grèce a vécu trop longtemps au dessus de ses moyens: « laxisme budgétaire, économie souterraine, fraude fiscale, corruption, triche sur les comptes publics les ont conduit là où ils sont avec une responsabilité collective. Les Grecs doivent s’en prendre à eux-mêmes ». La manipulation de l’opinion publique mondiale est telle que, quand vous avez vu une chaîne de télé, vous en avez vu cinquante, cent, mille. Le même couplet revient en boucle sur tous les écrans, sur toutes les colonnes des journaux, sur toutes les ondes des radios. Partout, his master’s voice repète ad-nauseam :

« La dette de l’Etat trop élevée » ? C’est dû à « la paresse grecque, à son incompétence, à son irresponsabilité ! ». Et la dette privée élevée ? Egalement ! Le secteur public « surdimensionné » a été imputé à « la corruption et aux pratiques clientélistes des politiciens grecs ». Et voici l’estocade fatale : les Grecs ont « une morale de travail « orientale » ! Elle ne réveille rien en vous cette langue du mépris si prisée des colons et dont nous étions si familiers au bon vieux temps des colonies ? On le savait bien, en terrain conquis, le verbe des puissants se lâche, il ne s’embarrasse pas de précautions de langage. Ici, il éructe, brutes, ses effluves aryens .Et pour vous faire une idée du courroux exaspéré qui l’inspire, il y a ces images qui vous montrent une Angela Merkel la main sur le front, accablée de soucis, au bord de la crise de nerfs.

Aux âmes sensibles, qui seraient tentées de prêter l’oreille aux plaintes de la victime, la patronne du FMI, Christine Lagarde déclare haut et fort réserver sa compassion aux enfants Africains plutôt qu’aux Grecs, auxquels elle n’hésite pas à enjoindre publiquement de payer leurs impôts. Elle-même est dispensée d’imposition sur les 500 000 dollars de revenu annuel que lui paye l’institution de Washington. La désinformation est à son paroxysme quand on sait qu’entre 1990 et 2007, le PIB grec a été augmenté de plus de 5 fois et que les profits des entrepreneurs ont grossi de plus de 28 fois pendant que les salaires ouvriers devaient se contenter, en 17 ans, d’un misérable doublement et encore pas tout à fait atteint. Non contents d’avoir siphonné la richesse du pays, les grands patrons capitalistes et leurs mandants socialistes et de droite l’ont plongé dans la misère et le chaos. Mais c’est le peuple qui doit payer. Et chèrement !

Un plan de sauvetage des banques et de coulage du peuple

Depuis 2010, la Grèce a subi neuf plans d’austérité. Depuis plus de deux ans, la troïka (UE, FMI, BCE) procède à une véritable saignée sociale en Grèce. Des coupes de 40% dans les salaires. Selon les données officielles de mars 2012 du ministère du Travail et des inspecteurs du travail (SEPE), 400.000 employés dans le secteur privé travaillent mais restent sans salaire en moyenne de un à cinq mois. Hausse des impôts, hausse des prix, 32% de réduction du SMIG et des pensions de retraite, destruction des services publics de 1ère nécessité tels que l’éducation et la santé, suppression des aides sociales et privatisation des secteurs stratégiques (ports, aéroports, chemins de fer, gaz, pétrole) Un million de chômeurs. 50% de chômage chez les jeunes.30% de la population a basculé en dessous du seuil de pauvreté. Les enfants qui tombent d’inanition à l’école. La situation sanitaire est absolument catastrophique. Etre malade est devenu un véritable calvaire. Dans les pharmacies, les patients doivent aujourd’hui payer la totalité du prix des médicaments. Les multinationales du médicament rechignent à fournir les pharmacies de peur de ne pas être payées ; 160 médicaments manquent.

Des centaines de pères de famille s’immolent devant les banques car celles-ci n’acceptent pas une prolongation des délais de remboursement, d’autres se retrouvent avec leur famille dans la rue car ils n’ont plus de quoi payer leur loyer. En Grèce, le taux de suicide augmente de manière dramatique. Selon les données des services de secours, on a enregistré en juin rien que dans la banlieue d’Athènes, 350 tentatives de suicide, dont 5O ont été fatales.

Des commandos de racistes et de fascistes s’adonnent, sous l’œil complice de la police, au lynchage des immigrés

Voila ce que la Troïka (UE, FMI, BCE) appelle « le plan de sauvetage de la Grèce ».

Un pays sous tutelle

Cobaye du capitalisme occidental, la Grèce est placée sous tutelle par l’UE, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international qui ont un véritable droit de véto budgétaire sur toutes les mesures et réformes adoptées par le gouvernement grec.

Des membres de la Troïka (UE, FMI, BCE) se sont installés à demeure à Athènes pour prendre en mains des domaines clés tels que la gestion des différentes administrations, des finances, de l’administration fiscale et la commission chargée des privatisations. Le ministre allemand de l’économie est allé plus loin encore, il voudrait voir un des 27 commissaires européens se charger spécialement de la remise sur pied de l’économie grecque et la diriger. Il va même jusqu’à dire « ne pas comprendre que les Grecs s’opposent à cette proposition ». La dette est aujourd’hui supérieure à ce qu’elle était avant l’intervention des institutions financières internationales en 2010. On prête à la Grèce à des taux allant de 6% à 18%. On spécule sur la Grèce. Le PIB de la Grèce a perdu 15% depuis 2 ans ; en décembre il a chuté de plus de 7% ; la destruction des entreprises grecques laisse le pays exsangue sans possibilité de rebondir. Il faut que s’ancre, coûte que coûte l’image d’un pays mort où on ne peut rien cultiver ni produire, justiciable, donc, d’une thérapie de choc.

Déjà le FMI a laissé entendre qu’un troisième « plan de sauvetage » (sic !) serait sans doute nécessaire dès 2015.

La supercherie européenne

Le peuple grec paye le coût des choix des partis socialiste et de la droite : coûts cumulés de l’intégration à l’Union Européenne, de l’adhésion à l’Euroland, la zone Euro, des engagements militaires au sein de l’OTAN. La Grèce va profiter des avantages d’une économie européenne puissante, proclamaient-ils, alors, à l’unisson. L’Europe ouvre aux firmes grecques un marché énorme. Quelle chance disaient-ils, la plupart des pays de l’Europe ne produisent pas la gamme avec laquelle la Grèce peut approvisionner l’Europe. La Grèce pays à prépondérance agricole s’était, alors, engagée à baisser de cinq fois sa production agricole pour s’ajuster à la fameuse PAC (politique agricole commune).Les petites entreprises grecques se sont d’un coup retrouvé exposées à la concurrence d’entreprises multinationales, sur leur propre marché national désormais non protégé. Du fait de leur taille, elles n’avaient aucune chance de se maintenir. Des branches importantes de l’industrie ont été mises sur la voie du déclin après avoir fait les frais d’une forte pression concurrentielle et subi des restructurations (ex : textile, habillement, métallurgie, construction navale et fabrication d’autres moyens de transport). Conséquence : augmentation rapide des importations depuis l’UE et accroissement du déficit de la balance commerciale. La Politique agricole commune (PAC) a mené la balance des paiements agricole de la Grèce d’un surplus de 9 milliards de drachmes en 1980 à un déficit de 3 milliards d’euros en 2010, faisant de ce pays un importateur de denrées alimentaires. Son tissu productif national ayant été affaibli et fragilisé, la Grèce importe plus qu’elle n’exporte : le déficit commercial de la Grèce a contribué au gonflement de sa dette extérieure publique et privée. En intégrant la zone Euro, l’Etat grec s’est dessaisi au profit des autorités de Bruxelles des instruments de politique économique : les instruments les plus puissants de la politique économique au soutien de l’activité, en particulier la politique monétaire, la politique budgétaire, la politique des revenus, le contrôle des prix et le contrôle des changes. Il n’est pas en mesure d’opérer les ajustements que la conjoncture intérieure requiert. Ainsi, pour résorber ses déséquilibres, la Grèce ne peut plus dévaluer sa monnaie, elle est prisonnière de l’euro.

Au boulet européen, il faut ajouter celui de l’alliance atlantique. Les dépenses militaires de la Grèce en 2009 s’élevaient à 4% du PIB, comparées au 2,4% de la France et au 1,4% de l’Allemagne. C’est la résultante des dépenses massives dans les programmes d’armement et les missions (ex : Bosnie, Afghanistan) dans le cadre des plans de l’Otan. Gros consommateur d’armements, la Grèce achète 15% des ventes d’armes allemandes

Le peuple grec se bat

Le peuple grec doit faire face à une machinerie de guerre sociale sans précédent déployée sur tous les fronts par la ploutocratie grecque, les multinationales, leurs gouvernements, leurs institutions, leurs médias,…Précarisation, fragilisation, désinformation, manipulation, chantage, l’arsenal complet de l’intimidation mobilisé pour que le peuple grec se rende. Les donneurs de leçons es démocratie européens ne font pas dans la dentelle. La Commission Européenne s’est ingérée directement dans la campagne électorale de manière provocante, à travers des personnalités de premier plan de l’Allemagne, de France, d’Italie, du FMI, des USA, des médias. Leur propagande orchestrée dans le pays et à l’étranger martelait qu’une dénonciation du Mémorandum et des mesures d’austérité qui l’accompagnent, conduira au bannissement de la Grèce hors de l’Europe. Comment s’étonner du résultat des élections dans ce climat de terreur »démocratique » capitaliste.

Malgré la vie infernale qui lui est imposée, le peuple Grec résiste et se bat, il a déjà répondu par 14 grèves générales, des manifestations et des rassemblements de masse. Les ouvriers métallos des « aciéries grecques » sont en grève depuis plus de 250 jours. Il n’y a pas d’autre voie, proclame le parti communiste grec, à l’avant-garde de ces combats : « le peuple doit réussir à imposer un modèle de développement différent, alternatif à celui en place, pour changer complètement de cap, avec un projet dans lequel ce sont les intérêts du peuple et non ceux de la bourgeoisie qui prévaudraient ».

Alger le 16 juillet 2012

Abdelatif Rebah

Débat SYRIE – ALGÉRIE dans « La Nation-infos »

Les débats autour des évolutions tragiques en Syrie ont nécessairement des résonances et des connotations algériennes, directes ou indirectes. Et comme partout ailleurs dans le monde, ces évènements ont suscité des questionnements légitimes au sein des gauches démocratiques et radicales.


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Débat SYRIE – ALGERIE

dans « La Nation-infos »

La contribution de Hocine Bellaloufi dans la « Nation en ligne » de cette semaine [ [« Qui l’emportera en Syrie? » – article de Hocine Belalloufi (*) – La nation infos le 24 Juillet 2012 – http://www.lanation.info ]] me paraît un effort d’évaluation concrète. Son mérite est de ne pas rester prisonnière des seuls a-priori subjectifs ou idéologiques y compris les plus valables.

Une approche qui, prenant en compte les rapports de force en évolution et les réalités de terrain, doit selon l’auteur servir à terme et en profondeur les intérêts du changement démocratique, dans une scène nationale et internationale marquée par la complexité des enjeux économiques et stratégiques.

Une complexité que les hégémonismes rivaux aggravent au détriment des aspirations nationales et populaires à la paix, à la liberté, à la justice sociale.

Il ne faut pas s’étonner si dans les luttes pour la conquête et la préservation des indépendances nationales, les défenseurs conséquents du contenu et des voies démocratiques, payent le prix le plus élevé et le plus ingrat pour leurs efforts autonomes d’union et de rassemblements dans l’action, en proie aux tirs croisés hégémonistes. Ce fur le cas à toutes les étapes de l’Histoire de l’Algérie ainsi que du monde arabe et islamique depuis les années 20 du siècle dernier.

Les préoccupations exprimées dans la contribution de Hocine Bellaloufi ou dans l’éditorial de Salima Ghezali [ [ « Crise globale: Le cru syrien et le cuit algérien » éditorial de Salima Ghezali – la Nation info le 24 Juillet 2012 – http://www.lanation.info ]] me paraissent complémentaires et non opposables. Cette complémentarité mérite d’être étayée sur les expériences vécues par nos peuples, même si de nombreux faits et zones d’ombre restent encore à éclairer dans l’opinion qui a néanmoins fait reculer nombre de réactions subjectives initiales suscitées par les propagandes hégémonistes.

L’un des enseignements majeurs à tirer d’une comparaison entre les processus qui se sont déroulés en Syrie et en Algérie durant les décennies écoulées, malgré des différences importantes dans les contenus et les contextes, c’est à mon avis le point commun suivant : dans les deux cas c’est les pressions et les chantages à l’alignement inconditionnel qu’exercent sur les forces démocratiques et de progrès social les groupes d’intérêt hégémonistes qui cherchent à préserver ou conquérir leur suprématie en s’affrontant les armes à la main.

Dans les deux cas, le piège aggravé par la complexité des situations consiste, y compris à l’échelle internationale, à croire que la contradiction se réduit à l’affrontement entre pouvoirs en place et les autres forces d’opposition.

Le problème est plus profond et lié, à l’interne comme à l’externe, aux intérêts économiques et géostratégiques des uns et des autres.

Le clivage fondamental et déterminant pour l’avenir des peuples concernés est celui qui oppose les partisans d’issues et solutions politiques, pacifiques et négociées, aux va-t-en guerre locaux, régionaux et internationaux qui prétendent réaliser leurs projets par la violence armée, le rejet proclamé de tout compromis négocié et la mise en œuvre par voie médiatique de tous les moyens de division claniques, ethniques et idéologiques.

C’est ce clivage fondamental qui distingue à l’échelle internationale les fermes positons de principe de la Russie, Chine, BRIXS et nombre d’autres Etats du Tiers Monde, de la vaste conspirations des « Amis de la Syrie » occidentaux, coalisés sous le parapluie de l’OTAN pour une issue guerrière sans merci semblable à celles qu’ils ont cru avoir réussi au Kosovo, en Irak, Afghanistan, Côte d’Ivoire, Libye, en attendant de nouvelles aventures d’apprentis-sorciers au Sahel africain.

La voie la plus valable pour le présent et l’avenir des forces démocratiques et de progrès confrontées à des dramatiques imbroglios, passe par une autonomie de pensée et d’action dans des formes appropriées à réinventer et réadapter en permanence. L’un des exemples emblématiques de ces efforts d’autonomie liés à l’intérêt national, coûteux en tensions et sacrifices, est celui réalisé par le PCA durant la guerre de libération, dans un contexte particulier caractérisé par les pressions insoutenables exercées sur l’ensemble des acteurs et la population par les différents protagonistes armés.

Le fil conducteur des efforts à venir – ce ne sera pas une mince affaire de s’y tenir – reste à mon avis le même que par le passé: les axes de la libération de l’oppression et de l’exploitation quelles qu’en soient les formes et les étapes, sont inséparables. Le succès dépend du degré et de la façon avec lesquels les acteurs progressistes parviennent à articuler positivement les composantes du trépied imposé par les réalités: les intérêts de la lutte anti-impérialiste, les aspirations démocratiques et des besoins concrets de justice sociale.

Qu’une des composantes vienne à manquer ou à faiblir, c’est l’avenir dans son ensemble qui est compromis, souvent gravement et pour longtemps. Que ces composantes interagissent dans un climat plus ouvert aux solutions et à la culture du débat, et les chances de meilleures issues pour les peuples, les sociétés et les Etats s’en trouvent renforcées

Les patriotes conséquents, le mouvement ouvrier syndical et politique, les culturalistes mus par de sincères aspirations démocratiques et le respect des droits humains, savent à quel point cette triple exigence est plus facile à exprimer qu’à mettre en œuvre.

Raison de plus…

SH. 28 juillet 2012


(*) Hocine Belalloufi : La démocratie en Algérie : Réforme ou révolution? Sur la crise algérienne et les moyens d’en sortir . Editions APIC et Lazhari Labter, Alger 2012. – se référer à l’article 744 de socialgerie.

«L’HISTOIRE DU PAYS SOUFFRE DES PORTEURS DE MÉMOIRE»

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DAHO DJERBAL, HISTORIEN, À L’EXPRESSION

Entretien réalisé par Amar Chekar

L’EXPRESSION

Mardi 24 Juillet 2012

«Un débat entre histoire et mémoire»

Le Congrès de la Soummam a constitué le premier pouvoir algérien souverain autochtone du XIXe siècle.

L’Expression: Daho Djerbal, vous avez été convié les 12 et 13 juillet derniers à une conférence sur le Congrès de la Soummam du 20 Août 1956 à Ifri. Qu’en est-il de l’importance de cette rencontre?

Daho Djerbal: Evidemment, dans la rencontre scientifique, il y a eu des chercheurs, des historiens et des témoins oculaires qui ont travaillé dans les préparatifs, l’organisation et la sécurité des éléments du Congrès de la Soummam. Ces témoins ont rencontré des responsables qui sont venus de toutes les régions du pays au Congrès de la Soummam. C’était réellement une occasion assez rare et assez originale.

D’habitude, on se retrouve dans des colloques universitaires ou dans des cérémonies organisées par des partis, ou par d’autres institutions officielles de l’Etat. Donc, pas de dialogue. Mais à cette occasion, il y a eu un dialogue, «un débat entre histoire et mémoire». Cela est le premier aspect qui est très important. Il y avait à la fois des gens âgés qui ont connu et vécu la période. Il y a aussi les jeunes de l’association Horizon qui a pris l’initiative d’organiser cette rencontre et des jeunes d’Ouzellaguène et de la localité de la vallée de la Soummam.

Parlez-nous de l’aspect du Congrès de la Soummam…

Le deuxième aspect de la question sur le Congrès de la Soummam lui-même, c’est que le Congrès de la Soummam a connu beaucoup d’interventions qui ont insisté dans le discours politique, ou des discours idéologiques. Ces discours-là, vont essayer de mettre en évidence le caractère particulier et les particularismes de la région. Au fond du discours, tout s’est passé comme si la Kabylie et les Kabyles qui ont pris cette initiative et assuré la réussite du Congrès de la Soummam, le 20 Août 1956 à Ifri, à Béjaïa, ont finalement payé le prix de l’organisation de ce Congrès, puisque les décisions prises par les congressistes au Congrès de la Soummam ont étés contestées.

Mais en même temps et malgré les divergences, il y a une fierté du fait que le Congrès de la Soummam a été une occasion de créer une unité de commandement, des institutions centralisées et une organisation unique dans l’histoire de l’Algérie. Donc, un embryon de l’Etat algérien indépendant.

Il y a des questions de divergences, de malentendus, de règlements de comptes entre les éléments qui se sont réunis au Congrès de la Soummam, ou les éléments qui n’ont pas pu arriver au Congrès de la Soummam pour une raison ou une autre. Tout cela a permis un vrai débat entre historiens, chercheurs et une population de tout âge. En fait, rien n’est tranché une fois pour toutes. On continue à travailler sur toutes ces questions et ces approches, qu’elles fussent celles du point de vue des partisans de Abane Ramdane, des partisans de Ben Bella, du point de vue des partisans des deux Wilayas I et II, des partisans de Omar Benboulaïd, des partisans de Adjal Adjoule, de Zighoud Youcef, Ali Kafi et d’autres partisans d’autres régions comme le colonel Ouamrane et toutes ces questions ont été abordées d’une manière sérieuse, sans préjugés et sans instrumentalisation politique. Ce travail-là est nouveau en termes d’écriture et connaissance de notre histoire, et c’est très important. Ce qui appartient à l’Histoire est resté à l’Histoire, et ce qui relève de la politique est resté au politique.

Qu’en est-il justement de la question des archives du Congrès de la Soummam?

Les archives du Congrès de la Soummam contiennent, à la fois des procès-verbaux qui ont été plus ou moins récupérés ou conservés. Mais il y a aussi les rapports qui ont été faits par les représentants des différentes zones qui sont devenues actuellement des wilayas. Donc, aujourd’hui, il y a lieu de faire un bilan de ce qui existe en Algérie et en France. Parce que l’armée française a pu récupérer des documents. Il y a des sacs de documents du Congrès qui ont été récupérés par l’armée française. Une partie se trouve dans les archives de l’armée française à Vincennes, une autre partie ailleurs, et il faut arriver à faire les inventaires pour faire les copies, les consulter ou les exploiter. Mais aussi, de la volonté des chercheurs d’aller les trouver où ils sont. Tout cela dépend des accords entre les deux Etats.

56 ans après le Congrès de la Soummam, 50 ans après l’Indépendance nationale, que représente réellement ce Congrès aux yeux de l’opinion publique et de l’Etat?

Ce qui me semble important à retenir, indépendamment des accords et des divergences qui se sont exprimées, c’est que c’est la première fois depuis l’Emir Abdelkader, depuis le XIXe siècle qu’il y a eu la constitution d’un pouvoir souverain autochtone et ce, depuis quatre siècles. Depuis l’arrivée des Turcs. Il faut savoir que le pouvoir central était représenté par des étrangers. Quand les Turcs sont partis, ce sont les Français qui constituaient le pouvoir central. Hors, l’événement révolutionnaire de 1954, ensuite couronné par le premier congrès du FLN (1954- 1962), du 20 Août 1956 à Ifri (Béjaïa) (à ne pas confondre avec la politique FLN 1962-2012). C’est solennellement du point de vue de la mémoire collective algérienne et internationale, la naissance d’un pouvoir algérien autochtone. Cela est un fait historique énorme et considérable.

Enfin, les Algériens ont leur pouvoir politique, leur souveraineté présentée par un groupe révolutionnaire qui a conduit le pays à l’Indépendance nationale.

A priori, jusqu’à aujourd’hui, l’histoire de l’Algérie est souvent écrite par des étrangers. Du coup, l’historien algérien a-t-il accès aux archives du pays ou celles se trouvant en France ou ailleurs?

Je dis oui et non. Que l’histoire est écrite par des étrangers. L’histoire d’Algérie est écrite par des Français en particulier par des Allemands, des Anglais, des Américains qui ont écrit sur la Guerre d’Algérie. Mais, il y a aussi des Algériens qui ont écrit sur l’histoire de la Guerre d’Algérie et plus à partir des archives locales ou archives déposées en France. Je rappelle que le problème qui se pose, c’est que beaucoup de ces archives de fonds ne sont pas accessibles.

Les archives militaires sont des archives qui sont prises sur l’Armée de libération nationale (ALN). Donc, on ne peut y accéder que si nous possédons des autorisations spéciales, délivrées par les autorités gouvernementales françaises. Le problème, c’est aussi pareil chez nous. Il y a des archives de l’ALN et du Gpra qui ne sont pas accessibles aux chercheurs algériens. On ne peut pas jeter la pierre que d’un seul côté. Mais, il faut voir des deux côtés. Comment faire en sorte, aujourd’hui que ces archives sont réglementées par la loi en plus des règlements intérieurs, inaccessibles, non seulement aux chercheurs, mais à tous les citoyens? Les archives c’est un domaine public, ce n’est pas une propriété de l’Etat.

Qu’en est-il de l’intérêt de la repentance de la France et ce, en réponse aux appels successifs sur le sujet?

Pour moi, c’est une fausse piste et une fausse issue. La question de la relation entre l’Algérie et la France a été réglée depuis l’Indépendance. Cela est un premier aspect. Maintenant, la question de la repentance est soulevée par des institutions officielles et gouvernementales. Le problème du pardon et des relations est un domaine qui relève de l’Histoire. Cela ne règle pas le problème. On s’est battus contre les colons français et ils sont partis.

Le dédommagement, c’est l’Indépendance nationale.

De quoi souffre réellement l’histoire de l’Algérie?

L’histoire de notre pays souffre des porteurs de mémoire. Ces porteurs de mémoire se considèrent comme les seuls habilités à parler de l’histoire de l’Algérie. L’histoire de l’Algérie appartient à tous les citoyens algériens.
Chaque citoyen a le droit d’écrire et de recueillir la mémoire de ce qui s’est passé. Donc, il n’y a pas quelqu’un qui soit plus habilité que l’autre pour défendre les valeurs, les symboles et les figures algériennes. Chaque Algérien est concerné. Le fait de consacrer la chose et de faire en sorte que l’institution soit le gardien du temple, ça fausse la réalité.

Quel est au juste votre point de vue, en tant qu’historien, sur la qualité de l’enseignement de l’histoire dans le secteur de l’éducation nationale?

Ecoutez, le problème qui se pose, c’est que le secteur et les départements qui se chargent du manuel scolaire, ne s’appuient pas sur la recherche historique. Ils font appel à des personnes ou à des institutions officielles du parti unique au départ, puis les partis dominants des institutions gouvernementales qui, aujourd’hui, ne représentent pas la volonté nationale. Il y a des travaux de recherche qui sont extrêmement importants. Il y a des textes originaux qui ont été publiés. Il y a des articles écrits par des historiens, des dirigeants de la Révolution algérienne qui pourraient faire partie du manuel scolaire nationale. Or, tout cela n’existe pas pour l’instant. Je pourrais vous envoyer même des sujets posés lors d’un examen du baccalauréat. C’est un scandale sans nom.

Les erreurs commises à l’encontre de la réalité. Les contresens historiques, etc. C’est tellement gros qu’on ne peut imaginer de poser de telles questions à des élèves de la classe terminale. Alors, où sont-elles les commissions scientifiques qui sont chargées de vérifier au moins la véracité et la validité des chronologies et biographies des personnes? Où sont-elles ces commissions chargées de la description d’événements essentiels historiques et de l’histoire contemporaine de l’Algérie? il n’y en a pas.

On se retrouve dans des comités et en face de gens qui se considèrent comme des spécialistes de l’histoire, alors qu’ils n’ont même pas les validations académiques pour pouvoir faire ce travail de très grande responsabilité historique.

Donc, il y a une sorte de divorce entre l’Education nationale et la recherche historique. Il y a une exclusion des historiens dans la participation à l’élaboration du manuel scolaire national.


LES MÉTALLOS BELGES « ÉCŒURÉS » QUE LAKSHMI MITTAL PORTE LA FLAMME OLYMPIQUE à LONDRES

Belga – mercredi 25 juil. 2012

Plusieurs syndicats réunis en front commun, ont fait part mardi, dans un courrier au président du Comité International Olympique (CIO), le Belge Jacques Rogge, de leur « écoeurement » quant au choix de l’homme d’affaires indien Lakhsmi Mittal, patron d’ArcelorMittal, pour porter la flamme olympique jeudi à Londres.

La FGTB-Métal Liège-Luxembourg, le SETCa-Liège, la CSC Metal Liège et la CNE Liège estiment qu’il « s’agit d’une véritable insulte pour les travailleurs de la sidérurgie liégeoise » qu’ils représentent, alors que le groupe ArcelorMittal a décidé la fermeture de ses hauts-fourneaux à Liège ».

Le front commun syndical évoque le chiffre de 3.000 familles touchées par cette décision, auxquelles il faut ajouter les entreprises travaillant en aval des hauts-fourneaux liégeois.

« Depuis que M. Mittal est devenu le numéro un de l’acier, il a congédié directement près de 70.000 travailleurs » dans le monde, accusent les syndicats. Faisant référence aux notions de « responsabilité sociale » et de « respect des principes éthiques fondamentaux universels » inscrites dans la charte olympique, les syndicats « n’arrivent pas à comprendre que l’Olympisme puisse récompenser ceux qui broient des vies ».

« Croyez, M. le président, en notre plus profond écoeurement », concluent-ils dans leur lettre à M. Rogge.

Selon le site officiel des JO-2012, M. Mittal et son fils Aditya, 36 ans, porteront la flamme jeudi dans les quartiers londoniens de Kensington et Chelsea.

Lakshmi Mittal est également le sponsor d’une tour en métal du Parc Olympique, baptisée « The Orbit ». (JUG)

LE COME-BACK DE « L’ANTI- IMPÉRIALISME EST DÉPASSÉ »

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Par Abdelaziz SAOUDI, 28 juillet 2012

À ce jour, tous les sportifs syriens sont arrivés aux JO de Londres
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(voir photo AFP, sur le site:

http://www.algerieinfos-saoudi.com/article-le-come-back-de-l-anti-imperialisme-est-depasse-108578179.html )

L’issue de l’offensive militaire contre le régime syrien est encore incertaine, mais déjà certains prennent date pour faire valoir l’agilité de leur pensée. Nous assistons à des variations sophistiquées autour de la trouvaille d’un historien, ancien révolutionnaire trotskiste, qui, lors de l’opération en Libye, avait décrété, à l’adresse des Algériens: «l’anti-impérialisme est dépassé».


Le come-back de « L’anti-impérialisme est dépassé »

… Notre blog a souligné, en août 2011, «la dangereuse initiative stratégique américano-saoudienne consistant à mettre le paquet pour militariser la révolte populaire» dans le monde arabe. L’objectif est d’empêcher les peuples de s’exprimer dans un puissant mouvement unitaire et pacifique, capable de mettre en question les fondements de la domination exercée sur les Etats par les castes prédatrices, inféodées à l’Empire. Ces castes, qui, de manière informelle, contrôlent de plus en plus les régimes « nationalistes », depuis deux décennies, sont capables de se reconvertir démocratiquement et de changer la devanture, si les circonstances historiques l’exigent. Ce serait parfaitement inoffensif si on prend la précaution de « dévitaliser le mouvement populaire, de lui ôter sa charge de transformation démocratique et révolutionnaire, danger latent pour les intérêts occidentaux».

Des équipes de rechange avaient été mises en place en Libye avant la prise de Tripoli par les Forces spéciales de l’Otan. Elles sont en bonne voie de préparation en Syrie. Elles sont en cours de cristallisation en Algérie et en Iran, pays dont les Etats sont encore régis par des doctrines souverainistes. A propos de la participation des terroristes islamistes, j’écrivais en août 2011 : « Après la chute du Satan Soviétique, les Apostats souverainistes sont l’ennemi commun. La mort de Ben Laden peut favoriser cette reconversion conceptuelle ». Pour les promoteurs du Grand Orient, Il s’agit en effet de garantir l’application plus systématique de la doctrine de souveraineté limitée des Etats nationaux que veut dorénavant imposer le système capitalisme mondial.

En décembre 2011, le blog notait : « L’objectif dans le monde arabe est d’empêcher que ne se répande l’hégémonie des peuples dans l’espace public. C’était et cela reste le danger principal pour la domination mondiale de l’Empire et de ses castes locales, car il pourrait radicalement régénérer les pratiques politiques de souveraineté dans les Nations ». Les stratèges de l’Empire savent que là se trouve le talon d’Achille de leur domination. C’est cette hégémonie populaire civique qui conditionne la sauvegarde des capacités nationales de décision. Ce n’est pas un hasard si l’on s’acharne tellement sur l’agora du peuple grec précurseur.

En Algérie, c’est sur la compréhension de la nécessité de ce passage populaire obligé, que butent encore les « élites patriotiques », nombreuses en Algérie. Depuis plus d’un an, notre blog participe à la réflexion sur ces tendances nouvelles d’évolution, créant « une situation inédite qui met à l’épreuve les capacités de réflexion convergente et d’action unie des progressistes arabes ».

Saoudi Abdelaziz

28 juillet 2012


ERIC TOUSSAINT: «LA GRECE POURRAIT OUVRIR LA VOIE EN EUROPE à LA SORTIE DE LA LONGUE NUIT NÉOLIBÉRALE»

13 juillet 2012

par Despina Papageorgiou

« Toutes les dettes accumulées par l’intermédiaire du Mémorandum sont illégitimes. »

« Nous allons soutenir tous vos efforts. »

par Despina Papageorgiou

du mensuel grec « Crash »

juin 2012

En 2007, à Quito, un groupe d’experts rentrant dans leurs chambres d’hôtel sont restés sans voix : des boîtes entières de documents du ministère de l’Economie, se rapportant à la période antérieure à la présidence de M. Rafael Correa, avaient tout simplement disparu. Ces experts étaient membres du Comité d’audit de la dette de l’Equateur, qui avait été mis en place après l’élection de Correa. Le Comité était composé de douze experts de l’Équateur et six provenant de l’étranger. Le politologue belge et historien Eric Toussaint était l’un d’entre eux. La parole lui est donnée aujourd’hui dans le magazine « Crash » où il décrit comment le mythe de David contre Goliath s’est une fois de plus matérialisé en Equateur, malgré les difficultés attendues. Après 14 mois de travail acharné, le Comité d’audit de la dette a produit les premiers résultats, déclarant une grande partie de la dette illégitime. Sur cette base, le gouvernement a ensuite suspendu le paiement des titres de la dette venant à échéance en 2012 et en 2030. Il a amené les créanciers à revendre ces titres à 35% de leur valeur d’origine. Washington eut une attaque…

Une décennie auparavant, l’Équateur était décrit comme une « république bananière ». De nos jours, selon le journal britannique « The Guardian », il pourrait être « l’endroit le plus radical et enthousiaste où vivre ». Il y a plus d’avantages sociaux, les pauvres reçoivent des allocations et les soins de santé sont entièrement gratuits. Les dépenses publiques ont également augmenté. Le pourcentage de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté est passé de 37,6% en 2006 à 28,6% 2011.

Eric Toussaint est professeur à l’Université de Liège (Belgique), fondateur et président du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM) et l’auteur de nombreux ouvrages. Il a travaillé bénévolement pour la Commission de l’Audit de la Dette de l’Equateur. Avec ses connaissances et son expérience, il peut certifier qu’il existe une alternative, à condition qu’il y ait une volonté politique.

Eric Toussaint est catégorique quand il affirme à « Crash » que la dette causée par le Mémorandum est non seulement illégitime et/ou odieuse. Il s’est également exprimé publiquement, à travers notre magazine, sur son soutien personnel et celui de son organisation vis-à-vis de tout effort en Grèce qui tendrait vers une Commission d’audit de la dette. « Il est plus facile pour vous d’analyser votre dette que ce n’était le cas pour l’Equateur », dit-il. « Alors faites-le! »

Est-ce que le nouveau gouvernement grec – après les élections du 17 Juin – entendra l’appel du professeur ? Un avertissement antérieur à un autre gouvernement grec était tombé dans l’oreille d’un sourd. « Nous avions mis en garde Georges Papandréou dans les temps ! Avant que la Grèce ne passe sous la coupe du FMI, l’ex-Premier ministre grec avait demandé conseil à Rafael Correa – sur base de sa propre expérience – sur la façon de traiter le problème de la dette « , a raconté le ministre équatorien des Affaires étrangères, Ricardo Patinio dans un discours à Quito en février 2012 (cité par L. Vatikiotis). « Le Premier ministre grec parlait beaucoup », a poursuivi Patinio. « Regardez », dit Correa. « Il y a quelque chose que vous ne devez pas faire et quelque chose que vous devez absolument faire, afin de ne pas payer. Vous ne devez pas aller au FMI. Et vous devez créer un comité d’audit de la dette. » Puis, Papandreou fit exactement le contraire »…

Ma conversation avec Eric Toussaint a commencé par la question des élections grecques. J’ai remarqué que la proposition de la constitution d’une Commission d’audit de la dette grecque est tombée à nouveau dans la période électorale. J’ai dit : « le fait que la proposition ait été rejetée par les deux partis qui ont présidé la Grèce depuis des décennies est symptomatique. Pourquoi pensez-vous qu’ils ne veulent pas analyser la dette, et pourquoi sapent-ils tous les efforts pour son annulation?

« Il est clair que le PASOK et Nouvelle Démocratie ne sont pas intéressés à appuyer un audit, car leur responsabilité dans la dette du pays en ressortirait. Ils ont une énorme part de responsabilité dans la dette des années qui 1990 et 2000, ainsi que dans la nouvelle dette issue du protocole. Pour moi, c’est une dette illégitime».

« Il convient de mentionner ici que la dette odieuse est une dette

  • a) qui a été acceptée sans le consentement de la nation,
  • b) pour laquelle l’argent dépensé fut contraire aux intérêts de la nation
  • et c) que le prêteur était au courant des faits énoncés précédemment.

Le concept de dette odieuse est attribué au professeur de droit, Alexander Sack ».

« Comment expliquez-vous que la dette soit illégitime ? » demandais-je à Eric Toussaint.

« Peut-être que nous devrions commencer par la nouvelle dette, de mai 2010 jusqu’à aujourd’hui. Les règles fixées par la Troïka sont une violation des droits économiques et sociaux des citoyens grecs, illustrée par une réduction des salaires, des pensions réduites, la violation des droits élémentaires du peuple grec. Par exemple, le premier protocole n’a pas été intégralement examiné par le Parlement grec, celui-ci n’a pas véritablement délibéré ; la procédure n’était pas démocratique. La troïka a dit « vous devez accepter. Si vous n’acceptez pas les règles, vous ne recevrez pas d’aide. » Tout cela au mépris total du principe démocratique d’un pays souverain. Donc pour moi cette nouvelle dette qui en 2013 représentera la majeure partie de la dette publique extérieure grecque est illégitime et doit être annulée. »

« Nous devons aussi d’analyser la dette des années allant de 1990 à 2000, dette liée à la préparation des Jeux Olympiques, et aussi de la dette engendrée à travers les conditions d’accès de la Grèce à la zone Euro. Une grande partie de l’argent provenait de banques allemandes, françaises et d’autres banques privées des principaux pays de l’UE. Il est clair que beaucoup d’argent est entré en Grèce sous forme de dette privée ou publique. Les banques privées d’Allemagne, de France, de Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg ont octroyé ces prêts, car ceux-ci leur étaient profitables. De plus, ils savaient que si un problème se présentait, ils seraient renfloués par la Banque Centrale Européenne. Ainsi, nous pouvons aussi discuter et nous interroger sur la légitimité de ce type de prêt ».

En effet, les banques ont été renflouées par la BCE à 1% d’intérêt…

« La BCE a accordé des prêts (en Décembre 2011 et Février 2012) pour un montant de 1.000 milliards d’euros (1 000 000 000 000 €) avec un intérêt de 1% sur trois ans pour aider les banques européennes. Les grandes banques d’Allemagne, de France, de Belgique, du Luxembourg, des Pays-Bas, d’Autriche, et aussi les banques grecques et italiennes ont pris l’argent. »

Et maintenant les pays empruntent auprès des banques à des taux d’intérêt élevés …

« Ils reçoivent de l’argent à un taux d’intérêt de 1% et après cela ils prêtent cet argent aux pays périphériques à des taux de 4, 5, 6 ou 7% d’intérêt. En droit commercial, lorsque vous financez ces prêts par l’intermédiaire de crédits accordés à 1%, il contrevient aux droits commerciaux. Ces prêteurs s’enrichissent d’une manière abusive. »

Donc, la dette est juste un outil utilisé par l’élite financière et politique pour traiter avec condescendance, contrôler la population et imposer certaines politiques?

« Il est clair que la troïka utilise la dette grecque comme un instrument, comme un outil, pour imposer une politique qui viole les droits élémentaires du peuple grec. La Grèce est alors instrumentalisée pour faire du chantage à l’égard d’autres pays – comme le Portugal, l’Irlande, l’Italie, l’Espagne – et leur imposer le même type de politique. La Grèce n’est pas une exception. La Grèce est un laboratoire où la nouvelle thérapie de choc est appliquée. »

Ce qui m’amène à la question suivante. Dans l’un de vos récents articles, vous avez écrit : « L’Europe subit une thérapie de choc comme l’Amérique latine dans les années 80 et 90 ». Pensez-vous que l’Europe, aussi, est maintenant entrée dans une « longue nuit néolibérale »?

« Certainement. Le parallèle est évident. Dans les années 80 et 90, le FMI, ainsi que la Banque Mondiale et le Club de Paris, ont imposé une telle thérapie aux peuples d’Amérique latine, ainsi qu’à d’autres peuples dans le reste du Tiers Monde, en Asie – par exemple l’Indonésie, les Philippines, la Corée du Sud – après la crise asiatique en 1997. Ce n’était donc pas seulement en Amérique latine, mais dans toutes les régions du Tiers-Monde. Nous pourrions faire une comparaison avec la thérapie de choc appliquée en Russie, en Pologne, en Hongrie et en Allemagne de l’Est durant la période de réunification dans les années 90. Alors, quelles sont les politiques ? La privatisation, comme c’est le cas en Grèce en ce moment, l’augmentation de la TVA, les impôts indirects sur la majorité de la population, les licenciements dans la fonction publique, une réduction des salaires, etc. »

La recette classique du FMI…

« Exactement. Ce qu’ils font en Grèce a été mis en œuvre il y a 20 ou 30 ans dans les pays latino-américains, asiatiques, africains et les pays de l’ex-bloc soviétique. »

Et les résultats sont évidents…

« Ça a échoué parce que ça n’a pas créé de la croissance, ou de l’emploi. Mais la vraie motivation n’est pas la croissance de l’économie, la réelle motivation du FMI et des autres éléments de la Troïka, la BCE et la Commission européenne, est de ne pas fournir de croissance. Ils savent parfaitement qu’avec ce type de politique, la Grèce ne récupérera pas sur le plan économique. Ils le savent fort bien. Ils ne sont pas stupides. Ils sont intelligents. Ils se servent de la crise de façon stratégique pour réduire les salaires et le niveau de vie de la population, parce qu’ils veulent un pays et un monde augmentant les profits pour les grandes entreprises. C’est vraiment la motivation. Ils veulent aider et renforcer les grandes sociétés financières comme Goldman Sachs, Deutsche Bank, JP Morgan et toutes les grandes banques privées en Europe et aux Etats-Unis.»

« Quelqu’un qui n’est pas un économiste de gauche, Joseph Stiglitz, lauréat du prix Nobel en 2001, écrivait dans son livre « Globalization and its Discontents » que si vous analysez superficiellement les politiques du FMI, elles pourraient sembler absurdes et vouées à l’échec, mais si vous considérez que le FMI aide et défend les intérêts du capital financier, vous vous rendrez compte que ses politiques sont vraiment cohérentes et intelligentes. »

Et ils essaient de persuader la Grèce que c’est la seule façon d’agir, mais, comme vous le savez très bien, nous avons des exemples de pays qui ont annulé des parties de la dette illégitime. Un exemple en est bien sûr l’Equateur, où vous avez participé à la Commission d’audit de la dette. Pourriez-vous nous dire brièvement comment cet effort a évolué, comment cela a-t-il porté des fruits ?

« Tout d’abord, nous devons dire que ce fut un succès à 100% et cela sans représailles. Ce qu’a fait le peuple équatorien : il a élu un nouveau président en novembre 2006, qui, par décret présidentiel, a créé une Commission d’audit de la dette en juillet 2007 pour analyser la dette pour la période 1976-2006. Le président a choisi 18 experts, 12 de l’Equateur, 6 venant de l’étranger. J’ai été l’une des ces six personnes. Il a également demandé à 4 organes de l’Etat de faire partie de la Commission : la Commission anti-corruption, la Cour des comptes, le Ministère de la Justice, le Ministère des Finances. »

Alors, le gouvernement a appuyé pleinement l’effort.

« Nous avons travaillé pendant 14 mois et, à la fin de cette période, en septembre 2008, nous avons remis notre conclusion et nos recommandation au gouvernement. Après deux mois de délibération, ils ont décidé de suspendre le paiement de la dette sous forme de titres (ceux venant à échéance en 2012 et en 2030. »

C’est étonnant, il a fallu seulement 16 mois, 14 pour le travail d’audit et deux de plus pour que le gouvernement agisse…

« Il a fallu 14 mois pour analyser et deux mois pour discuter au sein du gouvernement de ce qui devait être fait. Nous avons eu plusieurs réunions avec le gouvernement au cours de ces 14 mois et après, mais c’est le gouvernement qui a pris la décision finale de suspendre les paiements des titres. Après huit mois de non-paiement, ils ont réussi à forcer les détenteurs de titres à accepter une réduction de 65% de la valeur. L’Etat, l’Equateur, a acheté des obligations à prix réduits. Pour une obligation d’une valeur de 1.000 dollars, ils ont payé 350 dollars. »

Je suppose que vous avez rencontré des difficultés. Je veux dire, vous vous êtes élevés contre les créanciers internationaux, les banques et le système. Il a été rapporté dans un article que des boîtes avec des documents provenant du Ministère de l’Economie ont disparu de vos chambres.

« Il est évident que lorsque nous étions au travail, les personnes au pouvoir avant l’élection du nouveau président et qui avait été soudoyées, ou qui avaient signé des contrats illégaux qui contribuent à l’endettement du pays, n’ont pas voulu nous donner toute la documentation dont nous avions besoin pour notre travail. Sous certains points de vue, ce fut difficile, mais à la fin nous avons eu toute la documentation dont nous avions besoin. »

« Dans le cas de la Grèce, je pense que ça doit être, dans un certain sens, plus facile parce qu’il y a plus d’information disponible ; il n’y a pas de secret au sujet des conditions imposées par la Troïka par exemple. Nous pouvons analyser exactement ce que la Troïka a fait avec la Grèce dans les deux dernières années. Donc, nous n’avons pas vraiment besoin d’accéder à des secrets d’État ».

La dette de l’Equateur est passée de 1,2 milliards de dollars en 1970 à 14,25 milliards de dollars en 2006. Elle était plus petite que la dette grecque. J’ai donc demandé à Eric Toussaint :

Étant donné que la Grèce est dans la zone euro et que sa dette est supérieure à celle de l’Equateur, pensez-vous qu’il serait plus difficile pour la Grèce d’effacer la partie illégale de sa dette?

« Je crois qu’il est plus facile d’analyser la dette grecque que celle de l’Equateur, parce que cette dernière était plus compliquée et concernait beaucoup plus de contrats que ce n’est le cas en Grèce. Dans le cas de l’Équateur, nous avons eu à analyser un par un, les contrats du pays avec la Banque mondiale, le FMI, la Banque interaméricaine de développement, les pays membres du Club de Paris, mais aussi sa dette (titres) envers les marchés. »

« Dans le cas de la Grèce, la plus grande partie de la dette sera rapidement sous forme de titres achetés par la Troïka ou de prêts accordés par elle. Donc, je pense que c’est plus facile. Dans le cas de l’Équateur, la dette aurait pu être relativement plus faible, mais il y avait plus de 100 contrats. L’analyse était donc plus difficile. »

Je me souviens de la déclaration du gouvernement Correa par l’intermédiaire du Ministre des Finances Ricardo Patinio – et il a respecté cette déclaration : « Nous n’acceptons pas ce que les autres gouvernements ont accepté. Ceci est valable pour notre politique économique dictée par le FMI. Nous considérons que c’est inacceptable. » Est-ce que les Grecs oseront faire la même chose ? ai-je demandé à Eric Toussaint:

Le peuple grec est dans la crainte que si on annule la dette illégitime, il pourrait y avoir des représailles sur les marchés et qu’il ne serait alors même plus capable de manger. Dans le cas de l’Equateur, il n’y a pas eu de représailles. Y at-il une possibilité de représailles dans le cas de la Grèce?

« Nous devons être clairs. J’ai dit qu’il n’y avait pas eu de représailles, mais nous devons nous rappeler que désormais l’Équateur ne finance plus ses politiques sur les marchés. Il n’y a pas eu de représailles, mais il est clair que si vous arrêtez de payer la dette aux banques privées, il faudra attendre quelques années avant que les banques acceptent de vous financer à nouveau. »

« La Grèce, dans les conditions actuelles, devrait trouver des méthodes alternatives de financement de ses politiques et de son développement. La Grèce devrait combiner une suspension du paiement de la dette avec un audit de celle-ci, et réformer sa politique fiscale. Le pays devrait élaborer une politique fiscale qui respecte la règle de l’égalité. Je dois mentionner, par exemple, qu’en Grèce, l’Eglise, ainsi que le secteur du transport maritime, sont largement exonérés d’impôt. Les différentes institutions et secteurs du pays devraient contribuer à la fiscalité. »

« Vous devez établir un budget fondé non seulement sur l’argent de l’étranger, mais de l’intérieur du pays aussi. Et, bien sûr, je ne veux pas dire en imposant plus de TVA aux pauvres. Je dis tout simplement que les secteurs qui ne contribuent pas au budget devraient y contribuer ».

Pendant ce temps, le peuple grec serait en mesure de survivre?

La réponse me laisse sans voix :

« Si vous arrêtez de payer, vous aurez l’argent ! Si vous n’utilisez pas l’argent pour payer les banques, vous pouvez l’utiliser pour payer les salaires, augmenter les pensions, payer les fonctionnaires, créer des emplois, stimuler l’économie. C’est exactement ce qu’a fait l’Argentine après avoir cessé de payer sa dette en 2001. Depuis lors, ils n’ont plus demandé de financement auprès des banques étrangères privées ni auprès des marchés. Et l’Argentine se porte très bien. Ce que l’Argentine et l’Équateur ont fait, ils ont imposé de plus grands impôts sur les grandes entreprises. J’insiste : cela ne signifie pas que la Grèce devrait demander à la majorité des gens, les pauvres, à payer plus d’impôts. Je dis que les grandes sociétés privées devraient contribuer. »

Il est révélateur que, malgré le fait que l’Équateur est un pays exportateur de pétrole, le pays a reçu de petits revenus de ces exportations, étant donné que les compagnies pétrolières multinationales obtenaient la plus grande partie des bénéfices. Cela a changé lorsque, en juillet 2010, par le biais d’une loi adoptée par le gouvernement de Correa, la part de l’Etat dans les exportations de pétrole a augmenté de 13% à 87% sur les revenus pétroliers bruts. 7 des 16 compagnies pétrolières ont fui le pays, et ont été remplacées par les entreprises d’État. Les autres sont restées. L’augmentation des recettes pétrolières d’État était de 870 millions de dollars en 2010.

En outre, les impôts immédiats, imposés principalement sur les entreprises, ont augmenté de 35% en 2006 à plus de 40% en 2011. Le projet a nécessité une forte volonté politique dans son conflit avec les intérêts des puissants. Il y avait aussi une confrontation avec l’élite nationale. Cela m’amène à la question suivante:

Nous tenons également à ouvrir les comptes bancaires des personnes qui s’occupaient de la dette. Vous l’avez fait en Équateur, aussi.

« Si nous voulons mettre en évidence les cas de corruption, il est clair que la justice doit engager des poursuites et que le Ministère des Finances doit amener certaines personnes à répondre à des questions concrètes sur leur richesse, comment ils sont arrivés à s’enrichir, à partir de quelles sources ils ont reçu l’argent et la fortune qu’ils ont accumulée. Une Commission d’audit aurait besoin de l’aide de ceux en charge du contrôle des impôts ainsi que du Ministère de la Justice. ».

Vous avez parlé de pots de vin. Donc, vous êtes certain qu’il y en a eu.

« Dans certains cas. Oui. En Grèce, ce n’est peut-être pas le problème majeur, mais il est clair qu’il y avait des contrats financés par des prêts, des contrats pour acheter du matériel de Siemens etc. Déjà, le Ministère de la Justice en Grèce a montré que, dans le cas de Siemens, il y avait eu une énorme quantité des pots de vin versés à des politiciens dans l’optique de faire approuver le contrat avec Siemens. Ce n’est donc pas un secret. C’est bien connu ».

En Équateur, vous avez également découvert des pots de vin versés par des entreprises multinationales et des banques. Pourriez-vous nous donner quelques exemples, comme Siemens ?

« Les gens au sein du gouvernement pendant les années 90 et 2000 ont reçu de l’argent pour signer des contrats avec les banques, et pour accepter des conditions favorables aux banquiers ».

Voulez-vous dire que les pots de vin ont été offerts afin que les fonctionnaires acceptent des conditions favorables aux entreprises et non pas aux citoyens du pays?

« Exactement ».

Vous souvenez-vous de certains cas ?

« Citigroup, mais aussi JP Morgan ont participé. Et il y avait aussi la participation d’avocats à New York qui se spécialisent dans le conseil aux banques et aux gouvernements, et qui ont également reçu leurs parts d’intermédiaires dans ce cycle de corruption. »

Il est clair que Correα a provoqué – au moins dans une certaine mesure – la « Révolution citoyenne », qu’il avait déclaré lors de son arrivée au pouvoir. Le président de l’Equateur est le « but contre son camp » de l’Occident : en dépit d’avoir été éduqué dans les universités européennes et américaines – certaines d’entre elles, forteresses de l’école de Chicago -, quand il est arrivé au pouvoir, il a pratiqué l’exact opposé de ce qu’il avait appris.

Aujourd’hui, cependant, il obtient la critique, même de la gauche, avec l’accusation selon laquelle il n’est pas allé jusqu’au bout.

J’ai demandé à Eric Tousssaint : « Avez-vous eu un contact récent avec le président Correa sur l’abolition de la dette illégitime ? ».

« Dans le cas de l’Équateur, ce fut un succès à 100%. J’ai rencontré le président de l’Equateur en Janvier 2011, deux ans après les travaux de la Commission d’audit. Il m’a dit que c’était un succès à 100% car il n’y avait absolument pas de représailles contre l’Equateur. Il pensait dorénavant àsuspendre d’autres parties du paiement de la dette extérieure. Nous allons voir ce qu’il fera ».

Il y a des critiques qui disent que l’Equateur n’a pas parcouru tout le chemin possible…

« Ils auraient pu faire plus et ils le savent. Donc, ils sont en train de penser à d’autres parties de la dette qu’ils pourraient remettre en cause. »

Toutefois, pendant ce temps, l’Equateur emprunte à la Chine à des taux d’intérêt élevés.

« Il y a certains accords entre l’Équateur et la Chine, pour l’exploration et l’exploitation pétrolière. Ils empruntent de l’argent à des sociétés chinoises ».

Eric Toussaint dit qu’il n’est pas un représentant de la présidence de l’Equateur et qu’il soutient tout simplement le changement politique positif et critique les côtés négatifs.

La Chine a été le prêteur numéro un envers l’Equateur après le défaut de paiement en 2008. L’Etat approuva un prêt de 2 milliards de dollars en 2011 de la China Development Bank. Les conditions du prêt, cependant, ne semblent pas avoir réduit les dépenses sociales : de toute l’Amérique du Sud, l’Equateur a le plus haut pourcentage de dépenses sociales par rapport à son PIB de toute l’Amérique latine et les Caraïbes

Dans quelles conditions la Grèce peut-elle suivre l’exemple de l’Équateur?

« Il ya deux scénarios. Si, après les élections, un gouvernement conservateur suit la politique de la Troïka, il est impossible d’imaginer qu’un tel gouvernement donne son soutien à un audit honnête. C’est le premier scénario. L’autre scénario est l’élection d’un gouvernement progressiste de gauche. S’il s’agit d’un gouvernement progressiste, démocratique et souverain, il devrait abroger l’accord avec la Troïka et entreprendre un audit de la dette. Donc, oui, dans ce cas, ce sera très positif. Un tel gouvernement saura révéler ce qui s’est réellement passé avec la dette grecque.

Dans le premier scénario, si vous avez encore un gouvernement qui respecte l’accord avec la Troïka, ce qui devrait être entrepris est un audit citoyen, totalement indépendant du gouvernement.

Je voudrais exprimer publiquement que dans les deux cas, si le peuple veut lancer un réel audit citoyen de la dette, nous soutiendrons cette option. Dans le second scénario, si un gouvernement progressiste suspendait l’accord imposé par la Troïka et voulait auditer la dette, nous serions favorables à cette initiative avec enthousiasme. »

Supposons que la Grèce annule une partie de la dette illégitime. Cela amènerait-il à un déclenchement d’une « révolution » européenne contre la dette?

« Si la Grèce fait cela, il y aura beaucoup de gens au Portugal et en Espagne, et nous espérons aussi en Irlande et en Italie, qui soutiendront cette décision. Et on trouvera aussi un soutien dans les pays comme la France, l’Allemagne, la Belgique, le Royaume-Uni. Nous sommes actifs dans ces pays et nous avons une campagne de solidarité avec la Grèce. Notre campagne reçoit un soutien important. Il n’est pas réaliste de dire, que les gens dans tous ces pays ont déjà compris ce qui se passe réellement. Mais il y a une partie importante de l’opinion publique qui comprend que les conditions imposées à la population grecque sont totalement inacceptables, tandis que de nombreuses personnes dans d’autres pays européens espèrent voir le peuple grec émerger comme un exemple d’un pays qui a recouvré sa souveraineté et donc être une source d’inspiration pour une force alternative en Europe ».

D’un aperçu à l’autre de l’Europe démocratique, nous avons conclu notre entretien avec Eric Toussaint. Ses dernières phrases ont persisté longtemps dans mon esprit : la Grèce pourrait ouvrir la voie pour sortir de la « longue nuit néolibérale » européenne.

« Je vais vous faire une offre que vous ne pourrez pas refuser » était la phrase mémorable de Marlon Brando dans le film bien connu « le Parrain ». De la même manière, la Grèce semble être soumise à un chantage en respectant le mémorandum avec la Troïka. Mais la clé pour comprendre la position de l’élite internationale contre le pays se trouve dans les mots du juge à l’égard des membres de la mafia dans ce film même : « La pomme pourrie peut gâcher le cageot » …

… Selon l’image de la « pomme pourrie » (que Noam Chomsky a souvent utilisée), la raison pour laquelle les Etats-Unis ont puni Cuba n’était pas que Fidel Castro constituait une véritable menace pour eux. Leur principale crainte était que la « pomme pourrie » – le leader cubain – puisse en inspirer d’autres et créer un effet domino qui pourrirait le cageot entier. En effet, comme la « marée rouge » a gagné l’Amérique latine et a amené certains dirigeants à rompre le « Consensus de Washington », Washington a connu son plus grand cauchemar.

Dans le cas de la Grèce, si le  » cobaye occupe le laboratoire » – comme le dit Costas Douzinas -, si la Grèce rend la politique de la Troïka vide de sens et prouve que les démocraties ne sont pas des cul-de-sac et ne portent que des solutions uniques, l’Europe peut conduire vers la démocratie . Dans ce cas, bien sûr, les « pommes » ne seront pas pourries. Elles seront simplement mûres.

Traduit de l’anglais par Maude Petit.


«BENADICTION» , ou « QUAND LE PÉTROLE ÉCHAPPE à l’HUMAIN»

Dans les tourmentes d’un été caniculaire et des fléaux qui menacent ou ensanglantent déjà plusieurs régions du monde, bien au-delà du « Grand Moyen Orient » US, le billet quotidien de El Guellil, incisif, pénétrant, dérangeant et éveilleur comme à son habitude, dépasse nos seules préoccupations algériennes. Il va, mine de rien, au fond des choses planétaires (dans Tranche de vie) du Quotidien d’Oran, le Jeudi 26 juillet.

Il pourrait s’intituler: «Le Pétrole contre l’Humain». Ce n’est évidemment pas la manne pétrolière qui a la triste vertu par elle-même, en jaillissant de terre, de se transformer en malédiction. Les malheurs sont dans l’accaparement et l’usage qu’ont fait de cette ressource-clef les tenants rapaces et cyniques de l’exploitation de l’Homme par l’Homme. Qui plus est, s’accompagnent de l’incapacité et des échecs souvent tragiques, espérons les provisoires, des peuples victimes à imposer la justice sociale, le bien commun et la Paix contre la «civilisation» mortifère du Pétrodollar.

La ressource suprême, mère de toutes les réappropriations, est encore à conquérir. Elle réside dans les prises de conscience et les volontés humaines.
Merci à El Guellil de nous inciter à « reconnecter le corps et l’esprit », à relever nos têtes pour les dégager du marécage des représentations boueuses.

Rabah SERRADJ

http://www.lequotidien-oran.com/?news=5171210


« BENADICTION »

« Nul doute que si l’on avait moins de pétrole, nous aurions été plus imaginatifs, plus entreprenants et plus matinaux. Le mois sacré serait un mois comme les autres. Nous aurions mieux respecté, et autrement, les vertus du travail, du savoir et toutes les autres valeurs universelles qui nous font cruellement défaut. Nous n’aurions pas entretenu l’amalgame et la confusion entre l’intelligence et la ruse. Nous aurions été moins sentimentaux et aurions aimé la terre plus ardemment. Mais, surtout, nous aurions été plus modestes.

Si nous n’avions pas eu de pétrole, nous aurions eu parmi nous moins de faucons et plus d’hirondelles, moins de rentiers et de bras cassés. Nous aurions appris, comme d’autres, que la seule richesse intarissable d’une nation est l’homme. Nous aurions, certes, eu moins de médecins, de pharmaciens, moins de psychiatres, mais nous aurions été probablement moins malades, moins dépressifs. Le revers a une médaille.

Mais comme l’on subit son destin, nous avons eu le pétrole, et il fallait inventer la vie qui va avec. Usine sur usine, des bidonvilles se superposant aux dortoirs, des aides succédant aux subventions, et, petit à petit, nous sommes devenus, selon le principe irréversible des vases non communicants, des «gueux socio-quantativistes superstitieusement autarciques», suffisamment éloignés de toute norme de rationalité et d’esthétique admise. Résultat, il se trouve parmi nous des citoyens plus citoyens que le reste, et l’ordre d’indigénat, supposé aboli, refait insidieusement surface grâce à ceux-là mêmes qui se réclament de l’avant-garde de son anéantissement.

Dans sa logique de cheminement actuelle, le pétrole pose inévitablement problème : il a cessé de profiter équitablement à tous. Mieux, à cause de ce même pétrole, nos enfants naissent endettés. Et salariés comateux de notre Etat, nous nous retrouvons incapables, semble-t-il, de garantir une digne retraite à ceux qui nous ont précédés d’une génération, blâmés d’avoir, paraît-il, mené une vie au-dessus de leurs moyens.

Sans le pétrole, nous aurions été des agriculteurs rugueux ou des provinciaux convaincus; et avec le pétrole, nous ne sommes pas encore des citadins industrialisés ni des majeurs vaccinés. Nous en sommes à mi-chemin, dans une douce transition prolongée. Ou plutôt, nous sommes des fellahs oisifs sans terre dans des cités-dortoirs parabolées. Le corps et l’esprit déconnectés. Les pieds dans la boue, la boue dans la tête et la tête ailleurs».

El Guellil

Billet

le Quotidien d’Oran


QUI L’EMPORTERA EN SYRIE?

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Hocine Belalloufi

Mardi 24 Juillet 2012

La Nation

Cela fait plusieurs mois déjà que l’affrontement politique pour le pouvoir a pris en Syrie la forme quasi-exclusive d’un conflit armé. Les luttes de masse (rassemblements, manifestations, meetings…) ont été de plus en plus marginalisées alors que les grèves de salariés sont quasiment absentes ou n’ont aucune visibilité politique. L’analyse de la situation doit donc prioritairement prendre en considération l’action des forces armées en présence et la nature de leurs stratégies et de leurs tactiques.

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Syrie, le 10 mai. Damas après un attentat dans le quartier Sud de la capitale.

REUTERS/SANA

D’un côté se trouve l’armée nationale syrienne qui a connu des défections de soldats, sous-officiers et officiers, mais qui possède une puissance de feu redoutable et qui reste globalement fidèle au régime. Particulièrement dictatorial, ce dernier n’a pas réussi à s’appuyer sur une partie de la population en armes pour contrer ses ennemis. Il en est donc réduit à porter seul le poids principal de l’affrontement et à utiliser une armée classique pour faire face à une guérilla dont les membres se fondent dans le tissu urbain et la population civile.

La population, enjeu principal de la guerre

On se rappellera que la raison principale de l’échec de l’insurrection menée par l’islamisme armé algérien, dans les années 1990, a résidé dans l’armement d’une partie de la population civile (Groupes de Patriotes, Garde communale, groupes d’autodéfense…). Cette stratégie a permis de répondre à une guérilla disposant d’armes légères par des moyens équivalents et d’éviter ainsi de recourir aux armes lourdes qui occasionnent fatalement des dégâts collatéraux considérables dans le tissu urbain et dans la population. Au-delà de cet aspect strictement militaire, l’armement de la population a constitué la clef de la victoire sur l’islamisme qui n’a pas compris que l’objectif premier de la lutte armée réside dans la conquête politique de la population et non dans le fait de tuer un maximum d’ennemis et de détruire le plus d’ouvrages possibles (usines, institutions…).

Il n’est pas inutile, en ce cinquantième anniversaire de l’indépendance de notre pays, de se souvenir que les manifestations de décembre 1960 démontrèrent que le FLN avait politiquement gagné la partie face au colonialisme français en dépit du fait que l’armée d’occupation disposait d’un écrasant rapport de forces sur le terrain militaire à la suite de l’application du plan Challe, de l’installation des barrages électrifiés (Lignes Morice et Challe) pour étouffer les maquis de l’intérieur en les coupant des bases-arrières situées en Tunisie et au Maroc et de l’internement d’une grande partie de la population dans des camps de regroupement afin de l’isoler des combattants de l’ALN.

En prenant le risque, calculé pour lui, d’armer la population au milieu des années 1990, le pouvoir en Algérie répondait au besoin profond de nombreux citoyens de se protéger, eux et leurs familles. Il favorisait en même temps le basculement, dans le camp anti-islamiste, d’une grande partie de la population qui n’était pas forcément hostile, au départ, au projet porté par ce courant. Une telle stratégie devait forcément s’avérer gagnante dans la mesure où la guerre civile n’opposait plus seulement l’islamisme armé au pouvoir mais aussi l’islamisme armé à une partie croissante de la population.

Une telle stratégie ne pouvait toutefois être conçue que par des politiques qui avaient, directement ou indirectement, fait l’expérience de la guerre populaire de libération nationale. Elle ne pouvait être élaborée par les dirigeants d’une armée classique. Ce n’est pas un hasard si les anciens moudjahidine constitueront le fer de lance des divers groupes armés chargés de faire échec à l’insurrection islamiste. Aguerris militairement, disposant d’une parfaite maitrise du terrain, dotés d’une longue et réelle expérience politique et profondément insérés dans leurs quartiers ou villages, ces anciens moudjahidines joueront, en dépit de leur âge avancé, un rôle très important dans la mise en œuvre de la stratégie de contre-insurrection contre l’islamisme armé.

Une telle stratégie peut difficilement être conçue et, surtout, mise en œuvre par un régime de dictature militaire classique. Les régimes libyen et syrien qui terrorisaient leurs populations respectives pouvaient-ils prendre le risque d’armer ces dernières pour contrer l’insurrection ? Cela était peu probable et c’est pourquoi ils tablèrent sur les forces armées ou de police pour tenter d’écraser, en milieu urbain, leurs ennemis.

Mais une telle stratégie peut-elle venir à bout d’une insurrection qui se répand dans les villes et qui dispose d’un soutien militaire, matériel et financier fourni par les grandes puissances impérialistes (Etats-Unis, France, Grande-Bretagne…), les régimes réactionnaires locaux (Arabie Saoudite, Qatar, Turquie) et le courant islamiste sunnite des Frères musulmans ou des Salafistes ? Une insurrection qui s’appuie sur une forte légion étrangère venue de Libye, d’Irak et du Liban ? La stratégie du régime syrien peut-elle être couronnée de succès alors même qu’il doit faire face à une démarche d’étranglement des puissances du G7 ? Le soutien de la Russie, de la Chine et de l’Iran s’avèrera-t-il suffisant pour contrer les sanctions ?

De la capacité du régime à résoudre cette équation dépendra l’issue du conflit. Des forces de l’opposition nationale réfractaires aux ingérences impérialistes peuvent-elles s’intégrer à une stratégie de résistance et de défense de l’Etat syrien ? Le pouvoir baasiste est-il prêt à faire des concessions suffisantes en matières politique et sociale pour favoriser l’implication concrète d’une grande partie de la population syrienne dont l’entrée dans le combat ferait définitivement basculer le rapport de forces politiques ? La réponse à ces questions déterminera le sort des armes.

La tactique de l’opposition armée ou la politique de la terre brûlée

Dans la lutte contre le régime de Damas, l’opposition basée à l’étranger – le Conseil national syrien (CNS) – a très vite privilégié l’option armée au point de refuser toute discussion avec le régime en vue de négocier les termes d’une transition politique. De même a-t-elle écarté de sa tactique la mobilisation politique de la population syrienne, l’organisation de grèves de travailleurs et de commerçants…

Ne disposant manifestement pas du soutien, pourtant revendiqué, de la population, les opposants à l’étranger qui représentent en réalité une opposition de l’étranger n’avaient qu’un seul objectif : créer une situation de chaos à l’intérieur afin de préparer la voie à une intervention militaire directe des forces de l’OTAN. Leur objectif n’a jamais été de construire un rapport de forces en organisant la population afin qu’elle puisse se défendre face aux forces de répression du régime. Le CNS n’est que le cheval de Troie au service des puissances impérialistes qui espéraient rééditer le scénario libyen en Syrie. La Russie et la Chine les en ont empêchés jusqu’ici.

Cette opposition qui dispose de moyens extraordinaires fournis par « les amis de la Syrie » n’accorde pas davantage d’intérêt à la population que le régime baasiste. Elle n’a aucune stratégie de conquête politique de la population dont elle ne favorise en aucun cas l’auto-organisation. Son but n’est pas de permettre au peuple syrien de s’organiser et de s’armer afin de lutter sur tous les terrains (militaire, mais aussi politique et social) et d’imposer enfin sa souveraineté politique. Elle refuse toute perspective de guerre populaire, forcément prolongée, car visant à gagner le peuple à son projet politique et à transformer le rapport de forces. Le seul objectif de cette opposition de l’étranger est d’accroître le chaos en vue de préparer le terrain à une offensive militaire étrangère. Elle provoque l’armée syrienne en espérant pousser celle-ci à réagir aveuglément, à utiliser la grosse artillerie, les blindés et les forces aériennes (hélicoptères…) pour réduire des quartiers entiers dont les insurgés se sont préalablement retirés. La population civile désarmée et abandonnée constitue alors la victime principale du conflit. Et le fossé ne peut que se creuser entre elle et l’armée qui ne peut éviter les bavures. Plus l’armée détruit les quartiers – elle seule dispose de la force de feu suffisante pour le faire – et plus elle prend le risque de perdre le soutien d’une population terrorisée qui ne songe qu’à fuir ou à se terrer.

Cette tactique cynique est systématiquement mise en œuvre par les insurgés syriens et, surtout, étrangers qui n’ont aucune attache avec le pays et sa population et qui se soucient peu des sacrifices et des pertes subies par cette dernière. Même si elle était couronnée de succès en finissant par provoquer la chute du régime d’El Assad, cette tactique ne mettrait pas fin au calvaire que vit le pays car les parties de la population qui refusent la soumission à l’étranger et les règlements de compte confessionnels poursuivraient la résistance. Le pays éclaterait. C’est peut-être cela que cherchent les impérialistes…

L’urgence de l’émergence d’une troisième force

Afin de sortir de cette dialectique infernale qui embrase et détruit lentement mais sûrement le pays tout entier ainsi que sa population, il faudrait qu’émerge une troisième force politique. Une force populaire, opposée au régime mais défendant sans concession aucune l’Etat syrien face à l’agression de l’impérialisme et de la réaction régionale (gouvernements du Golfe et de Turquie, partis islamistes et laïcs pro-américains et européens). Une force capable à ce titre de proposer un accord au régime en vue de défendre la souveraineté de l’Etat menacée par l’étranger en échange d’une ouverture politique démocratique et d’une amélioration de la situation sociale des couches défavorisées du pays pour faire échec aux plans du G7 et de l’OTAN.

Cette force existe potentiellement, de façon embryonnaire et, surtout, disséminée dans les différents courants d’opposition. De nombreuses coordinations locales proches du Comité de coordination national pour le changement démocratique (CCNCD), du Forum démocratique syrien (FDS) ou de la coalition Watan (créée en février dernier) sont opposées à toute ingérence étrangère et se prononcent pour la récupération du Golan occupé par Israël, soutiennent la lutte du peuple palestinien… Une partie de ces coordinations locales sont même membres du CNS alors même que celui-ci s’affiche de plus en plus ouvertement en faveur d’Israël et des puissances de l’OTAN !

Mais aucune force politique ne s’est révélée en mesure, jusqu’ici, de rassembler ces différentes forces locales dans un projet national anti-impérialiste, démocratique et social en vue de faire face au complot étranger et d’instaurer un régime basé sur l’expression libre de la souveraineté populaire. Certaines de ces coordinations pensent pouvoir refuser la « militarisation de la révolution » alors même que la guerre civile actuelle confirme que le pouvoir est au bout du fusil. Au lieu de tracer une perspective militaire subordonnée à un projet politique, elles refusent l’idée même de lutte armée et prônent de manière totalement naïve une issue pacifique ! D’autres assument le caractère armé du conflit, mais se placent à la remorque de l’opposition de l’étranger, celle de Washington, Paris, Londres, Ankara, Doha et Riad. Elles ne cherchent pas ou n’arrivent pas, là aussi, à tracer une perspective indépendante où l’incontournable lutte armée s’intègre à une stratégie plus vaste aux côtés des luttes politiques, syndicales…

Contrairement à la Libye où le régime de Kadhafi avait empêché l’émergence de forces politiques d’opposition, il existe en Syrie des partis et mouvements politiques de gauche à même de penser et de mettre en œuvre une telle stratégie. L’équilibre relatif des forces en présence – incapacité de l’opposition à renverser le pouvoir et incapacité du pouvoir à écraser l’insurrection alimentée par l’ingérence étrangère – risque de faire durer le conflit en dépit des prédictions de la propagande impérialiste qui ne cesse de clamer la fin prochaine du régime. Ce caractère prolongé du conflit peut être propice aux forces syriennes vraiment nationales et progressistes qui doivent le mettre à profit pour clarifier la perspective, définir une stratégie et une tactique et rassembler des forces pour les mettre en œuvre. Ce travail colossal se mènera dans les pires conditions qui soient, celles d’une guerre civile et d’une intervention étrangère qui ne dit pas son nom. Mais ces difficultés peuvent à l’inverse accélérer les prises de conscience et les reclassements à même de forger cette troisième voie. Il n’y a pas que des inconvénients à être sous le feu de l’ennemi. Les stratégies justes s’élaborent souvent dans l’action et sous l’effet de la nécessité.

INDÉPENDANCE : LES RENDEZ VOUS MANQUÉS DU DÉVELOPPEMENT

Une étude fiable et documentée, présentée au colloque récent d’El Watan par Smail Goumeziane, un des acteurs de l’effort de réformes économiques dirigées contre le système rentier durant l’ épisode du gouvernement Hamrouche ( fin 1989-juin 91).

La conclusion implicite des constats fortement étayés par l’expérience et de plus en plius largement partagés, est résumée dans les dix points qui terminent l’article, autant d’objectifs concrets à débattre et réaliser.

Reste à expliciter et mettre en oeuvre le COMMENT qui ponctue chacun des dix points énoncés. Le type de mobilisation à réaliser dans cette voie constitue le levier essentiel d’un déblocage que le régime dominé par les intérêts rentiers ne peut assumer de lui même.

C’est dire à quel point est capital l’effort convergent de l’ensemble des forces acquises à un changement démocratique et social pour déterminer les voies et moyens concrets de cette mobilisation générale. Condition sine qua non pour faire reculer les deux fléaux nationaux jumeaux de la corruption et de l’autoritarisme, adossés à la dépendance envers les lobbies du capitalisme néolibéral international.


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« Notre histoire a été et demeurera très mouvementée.
Nos richesses attirent et nos divisions amplifient le mouvement. »

L’Emir Abdelkader

Smaïl GOUMEZIANE

Colloque El Watan

Alger 5, 6,7 juillet 2012

publié dans El Watan des

10 et 11 juillet 2012

De la Déclaration du 1er Novembre 1954 au Congrès de Tripoli de juin 1962, en passant par le Congrès de la Soummam d’août 1956, la volonté de développer le pays pour rompre avec le système colonial et le féodalisme pour moderniser la société fut clairement affichée. On y affirmait une orientation « socialiste, la nécessité de transformer les structures rurales, de développer une industrie lourde étatique, mais aussi une industrie privée, avec le recours aux capitaux étrangers »  afin de répondre aux immenses besoins de la population dans tous les domaines. L’indépendance venue, cet objectif ne fut jamais réalisé.

Dès l’été meurtrier 1962, sur fonds de coup de force et de pouvoir personnel, le romantisme économique (biens vacants, coopératives agricoles…) ne résista pas et il fallut la Charte d’Alger de 1964 pour recadrer le processus et réaffirmer la volonté de l’Etat de s’appuyer sur un important secteur public qui serait le « moteur du développement », coordonné et mis en œuvre par la planification.

Sur cette base, suite au coup d’Etat du 19 juin 1965, et sous couvert de « redressement révolutionnaire » ne laissant aucun espace à quelque opposition politique que ce soit, une première stratégie de développement fut tentée, dès la fin des années 1960, par ce qu’on peut appeler, par simplification, le tandem Boumediene-Abdeslam. Ce fut le premier rendez-vous manqué du développement.

Puis, une seconde tentative de développement, sous la forme de réformes globales et démocratiques, fut initiée, après moult hésitations, un contrechoc pétrolier et de longs atermoiements s’achevant par les dramatiques évènements d’Octobre 1988, par le tandem Chadli-Hamrouche. Ce fut le second rendez-vous manqué du développement.

Pour mieux comprendre ces échecs, retour sur un demi-siècle d’économie politique algérienne.

Boumediene-Abdeslam : industrialisation publique et révolution agraire

Dès le milieu des années 1960, la volonté de récupérer les richesses nationales s’affirme [[Pour plus de détails sur ce chapitre, voir Smaïl Goumeziane, le mal algérien , éd. Fayard, Paris 1994]] 1. Celle-ci s’opère en deux temps. En 1968, l’Etat, lui-même en chantier, confie le monopole de la distribution des hydrocarbures à la Sonatrach, entreprise publique créée dès 1963. Puis, le 24 février 1971, Houari Boumediene décide la nationalisation des intérêts étrangers dans ce secteur. Pour valoriser au mieux les ressources financières tirées de ces richesses, deux axes essentiels sont définis : l’appropriation maximale de la rente pétrolière ; son investissement dans l’industrialisation, dans la conservation et le développement de la rente pétrolière elle-même. S’inscrivant dans la lutte pour l’émancipation du Tiers monde, cette démarche est brillamment exposée par le président Boumediene en 1974 à la tribune de l’ONU. Elle tient en une phrase : la rente pétrolière doit revenir aux pays producteurs afin d’assurer leur développement. L’appropriation de la rente pétrolière a donc pour objectif, vertueux et explicite, la constitution d’une base productive nationale la plus diversifiée possible. Pour cela, il s’agit de promouvoir, une industrialisation en profondeur et une intégration entre les branches de l’économie nationale. Priorité est donnée à l’investissement sur la consommation, à l’industrie sur l’agriculture, à l’industrie lourde sur l’industrie légère, au secteur public sur le secteur privé.

Tout ce processus, qui prend le nom de « stratégie des industries industrialisantes », est piloté principalement par Belaïd Abdeslam, le volontariste ministre de l’Industrie et de l’Energie. Financé par les exportations d’hydrocarbures, le développement de l’ensemble des secteurs doit résulter de «l’effet d’entrainement» assigné à l’industrie lourde. De la sorte, selon le Secrétariat d’Etat au Plan (SEP), grâce à des investissements colossaux (plus de 50% du PIB), «en 1980, l’industrie doit satisfaire au moindre coût les besoins de la population et, plus encore, les industries du cuir, les industries textiles, par ailleurs, les industries agricoles doivent être largement exportatrices». Dans tous les plans qui se succèdent, la nécessité de développer l’économie productive est réaffirmée. Les entreprises publiques monopolistes en sont les «fers de lance» et la rente pétrolière le carburant. Ainsi, à l’horizon 1980, l’hypothèse est que la production agricole aura doublé pour les céréales et les viandes, quintuplé pour les fruits et légumes, par rapport à 1967. De même, en matière industrielle, on attend une production multipliée par quatre ou cinq. Avec un important effet de création d’emplois pour faire face au chômage, estimé à 30% de la population active au lendemain de l’indépendance.

Pourtant, au moment de la disparition prématurée, et encore mystérieuse, du président Boumediene le 27 décembre 1978, la stratégie de développement menée, malgré quelques améliorations, notamment en termes de densification du tissu industriel, de revenus, d’emplois et de consommation, n’aboutit pas au développement tant espéré.

Côté industrialisation, malgré la priorité accordée à l’industrie (plus de 50% des investissements, dont 40% pour les seules industries de base), et souvent outrepassée [[Ce que d’aucuns ont appelé, de façon abusive et caricaturale, «l’impérialisme industriel». ]]2, et la place exorbitante du secteur pétrolier (plus de la moitié des investissements industriels), les
performances ne sont pas au rendez-vous. Face à un appareil bureaucratique et procédurier des plus rigides, gaspillages, surcoûts et surfacturations, plus ou moins opaques, sont monnaie courante. Les entreprises industrielles connaissent des déficits chroniques de plus en plus lourds, les rendant incapables d’assurer leur propre viabilité, leurs besoins de trésorerie et le remboursement de leur endettement, d’où un recours systématique au découvert bancaire [[Entre 1973 et 1979, les découverts bancaires sont multipliés par trois en moyenne, générant des frais financiers en cascade que les entreprises sont incapables de payer si ce n’est en recourant… de nouveau au découvert bancaire. 
]]3. Les nouvelles capacités de production installées, entachées de malfaçons et mal maitrisées, sont largement sous-utilisées, ce qui entraîne une rigidité de l’offre de produits industriels. Tout cela provoque une chute régulière du taux d’efficacité du capital, et l’incapacité pour les secteurs industriels de répondre à la demande nationale.

Côté agriculture, la priorité accordée à l’investissement industriel et l’insuffisante modernisation des exploitations agricoles (mécanisation, engrais et autres intrants), soumises, malgré la révolution agraire des années 1970, au carcan bureaucratique et aux réseaux opaques des maquignons et autres mandataires, ont raison du secteur et de sa paysannerie. Les coûts de production sont particulièrement élevés et les rendements parmi les plus faibles du Bassin méditerranéen. Résultat, comme dans l’industrie, les exploitations s’installent dans des déficits chroniques et un endettement permanent. La production, malgré les objectifs assignés, reste très en deçà des besoins de la population. Le recours aux importations alimentaires, financées par l’endettement international, se fait plus intense et systématique. Ainsi, alors que la production agricole nationale couvrait l’essentiel des besoins jusqu’à 1967, les résultats médiocres constatés à partir des années 1970, sur fonds de démographie galopante, conduisent à une aggravation sans précédent de la dépendance alimentaire. Pour ces raisons, la balance commerciale agricole, qui était positive jusque là, devient structurellement négative dès l’année 1973, et le déficit se creuse chaque année un peu plus. La production nationale qui couvrait 93% des besoins en 1969, n’en assure plus que 30% au début des années 1980. A cette date, l’Algérie a le douzième déficit alimentaire mondial!

Au bout du compte, en cette fin des années 1970, bien huilé en théorie, le modèle subit ainsi, sur fonds «d’indiscipline intersectorielle», de nombreux grains de sable qui enraient la machine. Non seulement la rente pétrolière n’a pas permis l’émergence d’une économie nationale productive, diversifiée, efficace et intégrée, dégageant un surplus et une épargne intérieure, mais il a fallu recourir en permanence à l’endettement international pour financer des investissements non productifs et l’explosion de la consommation intérieure [[L’ardoise ainsi laissée sera remboursée au prix fort, soit 120 milliards de dollars, entre  1985 et 2005! ]]4. Avec, comme résultat global un quadruple déséquilibre de la balance des paiements, du Trésor public, des entreprises publiques et des exploitations agricoles.

Pour autant, la rente pétrolière n’est pas coupable de cet échec. En réalité, au cours de la période, on assiste à l’émergence d’une véritable « économie de pénurie », avec ses files d’attentes, ses dérogations, ses passe-droits et sa corruption. Le marché intérieur y présente une double facette: celle du marché administré et celle du marché parallèle, ce dernier se nourrissant du premier. Ainsi, au côté d’un marché de pénurie, dont les produits, en quantité et qualité insuffisantes, sont offerts, sous certaines conditions et procédures, à des prix fixés par l’administration (à des niveaux généralement inférieurs aux coûts de production ou d’importation), se développe un marché parallèle régulé par des décisions privées, le plus souvent occultes, à des prix de monopole, incluant des marges phénoménales, sans facturation et hors de portée de l’appareil fiscal. Ce faisant, le marché parallèle affecte autant les entreprises que les particuliers, laissant la voie ouverte à toutes les pratiques délictueuses. Ces pratiques couvrent l’ensemble du secteur commercial, depuis les contrats d’importations jusqu’au consommateur final. Pis, un tel « double marché » s’étend également à la monnaie nationale, le dinar, dont le taux de change administré est largement concurrencé par le taux de change parallèle. Ce faisant, le dinar ne fonctionne véritablement que sur le marché parallèle qui en fixe, en dernier ressort, le cours réel, et le volume nécessaire à l’équilibre des transactions. Dès lors, la Banque centrale est réduite au rôle d’imprimeur de billets et d’émetteur de monnaie pour l’économie informelle. Par ce processus, alimenté en permanence par l’appel systématique aux importations, cette économie spéculative s’approprie, progressivement et indirectement, sous la forme d’une multitude de revenus rentiers, les recettes pétrolières et les devises prêtées à l’Algérie par le système financier international.

Ainsi, en voulant développer de façon autoritaire et volontariste une économie productive, avec ses entrepreneurs, ses cadres gestionnaires, ses travailleurs industriels et ses coopérateurs agricoles, on aboutit à l’émergence et à l’expansion d’un système rentier, fondé sur une logique spéculative et clientéliste, qui domine de plus en plus l’économie officielle et sa monnaie. La répartition primaire des revenus des entreprises et des ménages par l’administration se soumet de fait au diktat de la redistribution seconde imposée, de façon plus ou moins visible, par le couple marché administré-marché parallèle. Les revenus salaires et profits sont tributaires non seulement de la rente pétrolière, prélevée et redistribuée par l’Etat, mais surtout d’une multitude de rentes foncières, financières, commerciales et fiscales générées dans l’opacité par un système rentier qui va bien au-delà de la simple économie rentière et de son pendant institutionnel, l’Etat rentier. Pis, un tel système entre en convergence, voire en alliance, avec les convoitises rentières externes, à travers l’accès au pétrole et au gaz, le financement du développement et celui des importations sur fonds de corruption de plus en plus étendue.

A l’évidence, la confiscation de l’indépendance par un régime autoritaire, fut-il nationaliste et adepte d’un Etat planificateur et de l’économie productive, favorisa davantage l’émergence de ce système rentier, qui étend progressivement la toile d’araignée de ses réseaux occultes à toute la société, y compris le cœur du régime lui-même. D’où, à partir des années 1980, une fragilité extrême de l’économie algérienne.

Chadli-Hamrouche : réformes globales et démocratie

Avec le Printemps berbère de 1980, la critique de la politique culturelle et non démocratique du régime, jusque là plus ou moins discrète ou étouffée, descend dans la rue.

Sous l’autorité de Chadli Bendjedid, le nouveau président, divers «replâtrages» organisationnels sont engagés dans l’espoir d’un retour à l’économie productive. Mais il s’agit d’une véritable illusion: ni la restructuration organique des entreprises publiques «géantes», en entreprises plus petites et plus «facilement» gérables, ni leur assainissement financier partiel par le Trésor [[Cet assainissement devient permanent. En 25 ans, les sommes englouties, en pure perte, s’élèvent à plus de 60 milliards de dollars. ]]5, ni la redéfinition de leur organigramme par l’administration désormais dotée d’un super Ministère de la Planification et de l’Aménagement du Territoire (MPAT), n’ont d’effet significatif. Certes, l’endettement s’est ponctuellement réduit, mais les pénuries perdurent malgré la mise en place de vastes «programmes anti-pénuries (PAP)». Le chômage est structurel, particulièrement au niveau de la jeunesse. La crise de l’habitat est de plus en plus aigue. La misère et la pauvreté gagnent de larges couches de la population. L’embellie artificielle ne peut cacher plus longtemps la crise du système politique, économique et social algérien. La brutale chute des prix pétroliers en 1986 en révèle la gravité et la profondeur.

Pourtant, malgré cette crise systémique, la diminution des recettes pétrolières, l’explosion de la dette externe et la fermeture des marchés financiers, d’aucuns restent convaincus que le sauvetage du modèle est possible. En 1987, au moment où le secrétariat général de la Présidence de la République engage, avec la participations de cadres gestionnaires, de syndicalistes et d’universitaires, des travaux sur les réformes à entreprendre, le discours de l’Exécutif sur « la relance économique à tout prix » prend le pas sur celui de la réforme: des objectifs ambitieux sont affichés dans la presse nationale et internationale pour stimuler les investissements et les importations avec, à la clef, une liste de projets prioritaires fixée par l’administration. Cependant, pour faire taire la grogne montante des cadres gestionnaires des entreprises publiques et de la population, des promesses sont faites : aux premiers, plus d’autonomie dans leur gestion ; aux seconds de nouveaux programmes d’importations.

Mais, en période de chute des recettes d’exportations et de raréfaction du crédit externe, comment faire? S’agissant des importations stratégiques, notamment alimentaires, l’administration impose de manière intensive l’utilisation du crédit à court terme, particulièrement onéreux, et ouvre la possibilité aux entreprises de réaliser leurs «importations sans paiement», c’est-à-dire par un financement direct en devises négociées … au niveau du marché parallèle. Ainsi, officiellement, l’administration se soumet à la loi de l’économie informelle et de ses réseaux occultes. Résultat, la balance commerciale creuse son déficit et l’endettement externe explose: entre 1986 et 1989, le service de la dette double et atteint 75% des exportations annuelles! Au bonheur des lobbys de l’économie informelle dont les rentes doublent entre 1985 et 1988 passant de 50 milliards de dinars (contre 90 milliards de dinars de salaires et 32 milliards de profits) à 116 milliards de dinars. Les rentes équivalent à elles seules les salaires et les profits! A cet instant, selon certaines estimations, les placements réalisés à l’étranger par le change parallèle et les transferts invisibles de capitaux sont de l’ordre de 100 milliards de francs (environ 20 milliards de dollars), soit le niveau de la dette externe algérienne.

Dès lors, est-il encore temps d’éviter le naufrage du navire Algérie en changeant le système de pilotage? Les travaux sur les réformes, qui s’achèvent, ouvrent-ils de nouvelles perspectives? Le système rentier permettra-t-il leur mise en œuvre au risque de voir disparaitre ses rentes spéculatives?

L’année 1988 est une année charnière. La lutte entre les partisans du sauvetage du système rentier et ceux de sa réforme radicale pour l’émergence d’un système productif et démocratique s’intensifie. Le 5 octobre, la confrontation entre les deux tendances, jusque là feutrée, se fait directe, violente et sanglante, par FLN (le bras politique du régime) et rue interposés. Elle fit près de 500 morts. Malgré les pressions du lobby rentier, Chadli Bendjedid, opte dès le 10 octobre pour la mise en œuvre des réformes démocratiques qu’il confie d’abord à Kasdi Merbah, puis à Mouloud Hamrouche.

C’est là, la seconde tentative de développement d’une économie nationale productive, diversifiée, efficace et intégrée avec, cependant, une différence de taille: pour atteindre cet objectif, il ne faut plus « uniquement » rompre avec ces systèmes archaïques que sont le colonialisme et le féodalisme, mais aussi avec ce système rentier qui gangrène désormais le pays, ce qui implique, simultanément, la réforme du système économique et celle du régime politique. C’est-à-dire la démocratisation de la société, car la liberté économique va de pair avec la liberté politique [[Pour plus de détails sur ce chapitre voir Smaïl Goumeziane, le mal algérien , éd. Fayard, Paris 1994 ]]6. Comme le montre Amartya Sen, prix Nobel d’économie en 1998, la liberté constitue à la fois la condition, le moyen et l’objectif du développement.

Dès la fin des «évènements d’octobre», la mise en œuvre des réformes globales s’accélère: lois sur l’autonomie des entreprises, loi portant assouplissement du système de planification, loi sur la libéralisation du système des prix, loi sur la monnaie et le crédit, loi sur les associations, liberté de la presse et nouvelle Constitution en février 1989 se succèdent pour consacrer toutes ces évolutions vers plus de libertés dans tous les domaines.

Grâce à ce nouvel arsenal juridique, en 1989 et 1990, on voit l’émergence de nouveaux modes de management dans les entreprises, désormais libérées de leurs sempiternelles tutelles administratives, l’affirmation d’une Banque centrale enfin libre de sa gestion monétaire, l’éclosion d’une multitude d’associations à caractère politique et la floraison de nombreux organes de presse indépendants. A n’en pas douter, un vent de liberté souffle alors sur l’Algérie.

Dans l’objectif de sortir du système rentier, Mouloud Hamrouche, le nouveau chef du gouvernement, présente et fait adopter son programme de réformes par l’Assemblée nationale. Pour autant, ce programme s’inscrit dans un environnement particulièrement contraignant et hostile.

D’une part, le niveau exorbitant de la dette extérieure et le faible niveau des recettes pétrolières limitent fortement les ressources budgétaires disponibles et les moyens d’action pour des résultats rapidement perceptibles au quotidien. D’autre part, «la mise en place de (nouvelles) normes juridiques libérales, la fin des monopoles d’Etat sur le commerce interne et externe, la fermeture des robinets financiers par la séparation des patrimoines de l’Etat et ceux des nouvelles entreprises publiques économiques (EPE), la fin de la subordination de la Banque centrale au ministre des Finances et au Trésor, …, tous ces éléments étaient de nature à susciter une vaste coalition d’intérêts contre les réformes» [[Georges Corm, Revue Maghreb-Machrek, janvier-mars 1993 ]]7.

Dès lors, blocages, et résistances se multiplient contre les réformes, allant jusqu’à des alliances contre nature entre certaines associations politiques fraichement agréées et la partie conservatrice du régime. Dans l’incapacité de s’opposer frontalement aux réformes économiques, dont les premiers résultats sont jugés positifs par la population, les lobbys du système rentier développent une opposition politique violente, des pressions multiples, internes et externes, contre les réformes tout en agitant l’épouvantail du rééchelonnement de la dette, de l’effondrement économique et de la disette. Profitant, à l’occasion, de relais désormais disponibles au niveau de certains médias privés générés par la réforme. Ces pressions, s’appuyant sur l’instrumentalisation du Front Islamique du Salut, la force montante du mouvement islamiste, cherchent à imposer des échéances électorales précipitées (législatives et présidentielles) [[Le chef du Gouvernement avait obtenu la promesse que les élections ne se dérouleraient qu’après trois ans, le temps d’enraciner les réformes économiques et d’en récolter les premiers fruits pour la population. Sous les pressions, la promesse n’aura pas été tenue. ]]8, dont certains nourrissent l’espoir qu’elles peuvent être, les unes et les autres, manipulées au point d’assurer la victoire du système rentier, et la fin de toute velléité de construction d’une économie nationale, productive, diversifiée, efficace et intégrée, dans un cadre démocratique.

La résurrection du système rentier

Le résultat, on le connait. Cette stratégie, pour le moins opaque, de mise en échec des réformes et de résurrection du système rentier s’opère en deux étapes décisives.

Les élections législatives de juin 1991, qui devaient favoriser l’émergence, dans la transparence, d’une assemblée plurielle et démocratique, majoritairement FLN/FFS et incluant les islamistes, sont annulées suite à une grève générale déclenchée par le FIS, à l’occupation permanente des espaces publics, aux premiers affrontements entre manifestants et forces de sécurité, à la démission conséquente du gouvernement «réformateur», et à l’instauration de l’Etat de siège le 4 juin.

De nouvelles élections, promises « libres, transparentes, propres et honnêtes»   par le nouveau chef du gouvernement, sont programmées pour décembre 1991, avec l’objectif affirmé de faire gagner «les candidats de la troisième force (ni FLN/FFS, ni FIS)» soutenus par l’administration! La victoire écrasante des islamistes, qui frôlent la majorité absolue dès le premier tour, met à nu la dangerosité de la stratégie menée, conduit à la démission de Chadli Bendjedid, à l’annulation du second tour du scrutin, à la dissolution du FIS et à la poursuite de l’Etat de siège.

Le mouvement islamiste, dans sa composante la plus radicale, sombre alors dans une opposition violente et armée. Cette violence terroriste, menée par une nébuleuse de groupes islamistes, combattue pendant près d’une décennie par l’ANP (l’armée nationale populaire), fait selon certaines estimations, plus de 150 000 morts (dont celle du Président Boudiaf, assassiné le 29 juin 1992), des milliers de disparus et de blessés. Sans compter les multiples destructions ou incendies d’édifices publics (écoles, unités de production, lignes de transport, hôpitaux…) évalués en milliards de dollars, et le formidable exode des compétences (plus de 400 000 cadres, professionnels libéraux, enseignants, entrepreneurs…) vers l’Europe ou le continent américain.

Une douloureuse tragédie et un véritable traumatisme pour la société algérienne auxquels le nouveau président Liamine Zeroual s’efforce de mettre un terme par le dialogue en obtenant, à partir du 1er octobre 1997, l’arrêt unilatéral des combats de l’AIS, la branche armée de l’ex FIS [[Le 11 septembre 1998, suite aux pressions et aux provocations du lobby rentier, le président Zeroual jette l’éponge. Il annonce sa démission et la tenue d’une élection présidentielle anticipée avant février 1999. Elle se déroule en avril 1999. Abdelaziz Bouteflika, candidat unique, du FLN, en est le vainqueur. ]]9. Un arrêt confirmé et scellé par la loi sur la Concorde Civile qui fixe au 13 janvier 2OOO la date butoir de «repentance» et de «pardon» pour les maquisards islamistes. Pour autant, la violence terroriste des autres groupes armés, bien que réduite, ne dit pas son dernier mot.

La tragédie sécuritaire vécue au cours des années 1990 par l’Algérie n’a cependant pas pu masquer les luttes sourdes qui se poursuivaient en arrière plan pour le contrôle rentier des richesses pétrolières, foncières, commerciales et financières du pays. Pour beaucoup d’observateurs et de spécialistes, ces deux « luttes » s’alimentaient en permanence. Ainsi, le système rentier, qui s’était greffé de manière rampante au lendemain de l’indépendance, après avoir mis en échec la tentative de développement national et productif des années 1970, puis celle des réformes démocratiques de la fin des années 1980, semble alors sortir victorieux de son combat contre le  «paradis mercantiliste» promis et défendu de façon violente par les islamistes radicaux.

Cependant, en termes économiques, sur fonds de rééchelonnement de la dette (1994), d’ajustement structurel, d’ouverture débridée de l’économie nationale (foncier, immobilier, commerce et banques) et d’embellie durable du marché pétrolier international, on assiste plutôt à une sorte de compromis de fait entre les lobbys rentiers publics et islamistes.  Pour schématiser, aux réseaux islamistes les activités commerciales, de plus en plus informelles, fondées sur l’initiative privée, et aux réseaux «traditionnels» l’économie rentière attachée aux grands contrats de l’Etat et de ses partenaires. Encore que la frontière entre les uns et les autres, à l’intérieur du système rentier, soit difficile à cerner.

Dans ces conditions, on assiste à l’effondrement des activités productives publiques et privées, hors hydrocarbures, malgré les sommes faramineuses injectées par le Trésor pour leur assainissement et leur réorganisation. L’agriculture et l’industrie, hors hydrocarbures, créent moins de 20% de la richesse nationale. Le secteur pétrolier et gazier demeure, plus que jamais, le grand pourvoyeur de devises et de dinars du pays (98% des exportations, 70% des recettes budgétaires et 38% du PIB). Les investissements publics, principalement infrastructurels, se multiplient au rythme des recettes pétrolières [[Le programme d’investissements publics 2010-2014 s’élève à 286 milliards de dollars. ]]10, sans grand effet sur les entreprises nationales (publiques et privées), et sur celles de la diaspora, marginalisées par les procédures de passation des marchés au profit des firmes internationales. Les importations en font de même. Elles augmentent de 125% entre 2005 et 2011, soit deux fois et demi plus vite que les exportations. Le marché intérieur est inondé de produits «made in ailleurs», faisant le bonheur des fournisseurs étrangers, L’économie informelle, et ses pratiques délictueuses, gagne toute l’économie nationale (y compris le secteur public) dont elle représente, selon diverses estimations, plus de 40% du PIB (produit intérieur brut). Ses masses monétaires, non bancarisées (près de 50% de la monnaie en circulation), et non fiscalisées, font la fortune d’une minorité de nouveaux riches, et la misère d’une majorité de nouveaux pauvres.

Ce faisant, on assiste bien au formidable essor des activités commerciales [[Ces dernières années, sur les 200 000 petites entreprises privées créées, seules 10% se consacrent à une activité de production. ]] 11, au retour des grands investissements publics, à des niveaux de croissance jugés satisfaisants, grâce à plusieurs «programmes de relance économique», adossés aux partenariats avec l’étranger, et à l’amélioration conséquente des «indicateurs financiers et globaux du pays». Ce qui aiguise à nouveau les appétits car l’Algérie connait, grâce à la hausse des prix pétroliers [[Cette aisance pourrait bien n’être qu’un souvenir si les prix chutaient durablement en raison, par exemple, d’un ralentissement de la croissance européenne, voire de sa récession.]]12, une embellie financière symbolisée par l’augmentation exceptionnelle des réserves de change du pays (plus de 180 milliards de dollars à fin 2011). Mais, en raison d’une croissance sans véritable développement, toujours tirée par la dépense publique, cette boulimie financière et commerciale s’accompagne d’une explosion de la spéculation foncière et immobilière (difficultés d’accès au foncier, répartition opaque des logements, flambée des prix de l’immobilier), et de pénuries récurrentes en produits essentiels (notamment les médicaments, les matériaux de construction ou certains produits alimentaires).

C’est dire que le système rentier devient de plus en plus difficile à contrôler. Mondialisation oblige, les luttes intestines entre réseaux désormais concurrentiels se multiplient au sujet du partage des rentes. De plus en plus instable, le système est secoué par de nombreuses crises [[Pour plus de détails, voir Smaïl Goumeziane, Algérie, l’histoire en héritage , éd. EDIF2000, Alger 2011, et éd. Non Lieu, Paris 2011. ]]13. Des scandales politico-financiers retentissants, se succèdent et touchent tous les secteurs clé de l’économie.

Le premier d’entre eux concerne, dès 2003, le groupe financier et industriel Khalifa. Cet empire privé, monté en quelques années, s’effondre comme un fétu de paille dès la faillite spectaculaire de sa banque, le cœur du groupe. Des milliers de petits épargnants, de grandes institutions publiques, et même certains dignitaires du régime, se sont fait piéger par les promesses d’une rémunération exceptionnelle pour leurs dépôts, assise en fait sur une immense «opération de cavalerie», les nouveaux dépôts permettant de rémunérer les précédents. Ce faisant, la banque Khalifa «aspira» quelques sept milliards d’euros dépensés et prêtés «sans discernement», sans respect des règles prudentielles, et sans contrôle des organismes de tutelle (dont la Banque centrale), à divers promoteurs fonciers et industriels plus ou moins transparents. Khalifa Airways, la compagnie aérienne du groupe sombre également. Le licenciement des quelques 65 000 employés du groupe prend alors l’effet d’une catastrophe nationale. Epargnants et licenciés n’ont plus alors que les yeux pour pleurer. Le procès qui suit cette affaire dure quatre ans, aboutit à de lourdes condamnations, dont celle, par contumace du patron du groupe, arrêté en 2007 en Grande Bretagne, mais toujours en attente d’extradition.

Le second scandale concerne le secteur clé du système rentier, symbolisé par son entreprise phare, la Sonatrach. Le scandale, qui éclate en 2006, révèle l’âpre lutte qui se déroule dans le pays et au niveau international pour le contrôle de la manne pétrolière et gazière. Depuis 2002, cette lutte se focalise autour du projet de loi sur la privatisation de l’entreprise, défendu par Chakib Khelil, le ministre de l’Energie, avec l’assistance technique… de la Banque mondiale, et contesté par Ali Benflis, alors premier ministre. Adoptée en 2005, cette loi provoque une levée de boucliers dans le pays et à l’extérieur, y compris au sein de l’OPEP. On crie alors au «bradage de l’économie nationale» dans un «pays croupion à la solde des Etats-Unis». Face à cette grogne, en juillet 2006, tous les articles de la loi restaurant le régime des concessions, en vigueur avant les grandes nationalisations pétrolières des années 1970, sont supprimés du texte de loi. Mais, ce n’est là qu’un aspect de la lutte. La même année, en juillet, l’IGF (inspection générale des finances), chargée d’une enquête sur la gestion de Sonatrach, finalise son rapport. Celui-ci met au jour un nouveau scandale, mêlant recours abusif au gré à gré dans la passation des marchés, multiples surfacturations dans les contrats, relations privilégiées entre l’entreprise et BRC (Brown-Root & Condor) une société mixte algéro-américaine, filiale de Halliburton, le grand groupe pétrolier et de défense américain. Puis, un nouveau scandale éclate en janvier 2010, mêlant affaires de corruption et malversations présumées. Il conduit à la mise en examen de plusieurs hauts dirigeants de l’entreprise. Chakib Khelil ne peut résister davantage à la tempête médiatique et judiciaire. Il est limogé le 29 mai 2010. Pour autant, les luttes autour de ce «fleuron de l’économie nationale» et son rôle dans le développement du pays sont loin d’avoir cessé.

Le troisième scandale éclate dans le domaine de la téléphonie. En 2007, s’appuyant sur une autorisation de gestion d’une licence de téléphonie mobile en Algérie, obtenue en 1999, le groupe égyptien Orascom réalise deux opérations jugées douteuses: l’achat de deux cimenteries publiques qu’il revend aussitôt au groupe français Lafarge… avec une plus-value de deux milliards de dollars; l’association, sans aucune expérience ni moyens financiers, avec … Sonatrach pour la réalisation et l’exploitation d’un complexe pétrochimique, en recourant à l’expertise d’un groupe allemand et aux capitaux du réseau bancaire algérien. Face à l’ampleur du scandale, Orascom décide de vendre Djezzy, sa marque de téléphonie et la licence qui s’y rapporte. En 2011, l’Etat algérien décide de faire jouer son droit de préemption et, après évaluation, de se porter acquéreur.

Le quatrième scandale concerne le secteur des travaux publics. Les enquêtes menées à propos des conditions de passation des marchés relatifs à la réalisation de l’autoroute Est-Ouest (un projet de quelques onze milliards de dollars) révèlent des irrégularités et conduisent à des soupçons de corruption. Au cœur de ce nouveau scandale, des intermédiaires (algériens et étrangers) et un consortium d’entreprises chinoises. De multiples inculpations ont eu lieu et le procès est toujours en cours.

Ainsi, sur fonds d’insécurité encore palpable dans le pays, mêlant terrorisme « résiduel » et banditisme (rackets, enlèvements), tout au long des années 2000, l’économie algérienne continue de subir la domination du système rentier et son instabilité chronique. Toujours, et plus que jamais dépendante du secteur des hydrocarbures et de ses échanges extérieurs, celle-ci connait une double fracture de plus en plus large : fracture entre un secteur énergétique et commercial regorgeant de ressources rentières et spéculatives, et un secteur productif (industriel et agricole) exsangue et agressé simultanément par la bureaucratie étatique et par l’économie informelle; fracture entre une minorité de nouveaux riches, étalant leurs fortunes de manière ostentatoire et provocante, et une large majorité de nouveaux pauvres bien souvent à la limite de la survie.

Au point que la mal vie, le désespoir et la colère, qui s’emparent de la population, notamment des jeunes, s’expriment sous la forme de trois processus d’une extrême gravité: les micro-émeutes récurrentes dans toutes les régions du pays (plus de 10 000 en 2010), les immolations par le feu (plusieurs dizaines) et le phénomène massif des harragas (plus de 2 000 «brûleurs de frontières» interceptés en trois ans). Résultant du sentiment d’abandon dans lequel l’Etat l’a laissée, la population affirme ainsi de façon pragmatique, et souvent cruelle, l’ampleur des besoins structurels non satisfaits (alimentation, santé, logement, éducation, emploi…) et des promesses non tenues.

De ce point de vue, ces processus de défiance de l’autorité constituent un véritable «système émeutier» agissant comme un dramatique révélateur d’une société bloquée, orpheline de toute stratégie de développement, ayant abandonné toute forme de dialogue politique et social, offrant comme seul interlocuteur, face à la population, les forces de l’ordre, détournées ainsi de leur véritable mission: la défense du territoire (dans son unité et sa diversité) et la sécurité (physique, mais aussi économique et politique) des personnes et des biens qui s’y trouvent. Pour ces raisons, ce système émeutier constitue un indicateur, -beaucoup plus pertinent que celui des «grands équilibres financiers»-, de la prégnance du système informel sur le système institutionnel officiel, qu’il piège, dévoie et enferme dans un immobilisme suicidaire.

Une seule alternative : le système rentier ou le système démocratique

Pour ces raisons, cinquante ans après l’indépendance, sous les pressions multiples du système rentier qui en est l’antithèse, le rendez-vous avec le développement semble toujours reporté aux calendes grecques.

Pourtant, si un tel système a gangréné toute la société algérienne, et si les rentiers sont infiltrés dans tous les rouages de la société, les démocrates sont également largement présents dans toutes les couches de la population et dans toutes les institutions du pays. Même si le système rentier les a atomisés, ignorés, voire montés les uns contre les autres, quand il n’a pas réussi à en recruter une partie à son service par la cooptation ou le clientélisme archaïque (tribalisme, clanisme, communautarisme..). C’est dire l’importance qu’il y a à rompre avec ce «clientélisme hétéroclite» et à rassembler toutes les élites démocratiques, où qu’elles se trouvent, dans la perspective d’une mobilisation la plus large possible d’une société aujourd’hui coupée de ses dirigeants politiques et en perte de repères, notamment historiques, et de confiance en ses institutions. Car, comme l’affirmait déjà, Albert Einstein, «ce n’est pas avec ceux qui ont créé des difficultés qu’il faut espérer les résoudre.»

Ainsi comprise, une telle mobilisation pacifique doit se faire autour d’un objectif essentiel: la rupture progressive d’avec le système rentier et son remplacement par un système démocratique. Pour cela, ces élites doivent être capables de s’organiser en forces pacifiques de propositions. Think tanks, cercles de réflexion, associations scientifiques et culturelles, réunissant cadres, chercheurs, entrepreneurs, syndicalistes, militants politiques et autres représentants de la société civile, doivent pouvoir se retrouver librement afin d’identifier ensemble les mesures et les actions concrètes à court et moyen terme, à même de combler les déficits exprimés par la population dans tous les domaines.

Dans cette perspective, pour engager un processus durable de développement, il faut notamment répondre aux 10 questions essentielles suivantes:

  1. Pour développer le territoire, dans son unité et sa diversité, il faut le sécuriser et lui assurer la paix interne et externe. Comment réaliser cet objectif stratégique dans un cadre démocratique?
  2. Comment déconstruire l’Etat rentier dans tous ses démembrements, et édifier l’Etat de droit, républicain et démocratique de demain? Comment faire de cet Etat, un Etat régulateur aux côtés du marché et de la société civile?
  3. Comment favoriser l’expression et l’expansion des libertés, individuelles et collectives, dans les domaines politique, économique, social, culturel et cultuel?
  4. Comment édifier un système législatif qui organise, par le droit et dans la transparence, le fonctionnement de la société démocratique?
  5. Comment organiser le système judiciaire afin qu’il garantisse à la fois la sécurisation des biens et des personnes, la promotion et la protection des comportements productifs des agents économiques et la sanction des comportements rentiers, spéculateurs et corrupteurs?
  6. Comment mettre en place un Exécutif responsable devant la société de la mise en œuvre et des résultats de la politique de développement?
  7. Comment lutter contre l’économie rentière et permettre la réhabilitation et la consolidation d’une économie nationale (publique et privée) productive, intégrée, efficace et respectueuse de l’environnement?
  8. Comment définir, en relation avec les contraintes internationales liées à l’ouverture, et à la situation régionale, les avantages comparatifs et compétitifs de l’économie et construire les filières technologiques correspondantes?
  9. Comment édifier un système d’éducation, de formation et de recherche capable d’assurer la cohérence entre une jeunesse algérienne créatrice, productive et performante, et les besoins de la société et de ses organisations?
  10. Comment enraciner durablement, et à tous les niveaux de la société, la culture démocratique en symbiose avec les valeurs historiques de la société algérienne?

Dès lors, pour tous ceux, nombreux, qui continuent de croire en la possibilité d’un développement national productif, l’heure n’est plus aux tergiversations, aux faux débats, aux mauvais calculs et aux faux clivages. Après toutes ces désillusions, il est temps de cultiver durablement l’espoir.

L’heure est à l’urgence démocratique, et au rassemblement pacifique pour réaliser, enfin, les promesses issues du mouvement national et de la déclaration du 1er Novembre 1954.

En ayant toujours à l’esprit ces trois vérités fondamentales.

  • Primo, aujourd’hui comme hier, aucun homme providentiel ne détient la baguette magique qui résoudrait la crise systémique.
  • Secundo, personne ne s’en sortira seul.
  • Tertio, la tâche sera longue, ardue et semée d’embûches.

Mais, à l’évidence, comme en Novembre 1954, le «jeu» en vaut la chandelle.

Après avoir libéré collectivement le pays, l’heure est à la libération collective et pacifique des Algériens.

Smaïl GOUMEZIANE

Colloque El Watan

Alger 5, 6,7 juillet 2012


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