LES VOYOUS

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Nous sommes dans une société où les richesses se sont vite et facilement constituées, l’argent démesuré pour les uns et pour un grand nombre la précarité visible. Ceux qui sont laissé sur la route, désespèrent. Parmi eux certains lèvent le nez vers le minaret d’autres s’enfoncent dans le verre et la drogue.

Et pour la jeunesse, il se déroule devant eux le tapis de la plus grave solitude, celle de ne rien faire, celle de tous ces jeunes, épars, qui regardent et écoutent, étrangers à ce monde qui se fait sans eux.

(A.Z)

LES VOYOUS

SAMEDI CULTUREL N° 29

Abderrahmane Zakad

Urbaniste

le 27 juillet 2013

On taxe les jeunes des cités populaires de fainéants, voire de « voyous ».

Les cités-douars dans lesquelles ils vivent n’ont pas eu les mêmes vertus que son ancien modèle, modèle au sens de houma – elle les a même inversées et physiquement ruralisées. Ces cités produisent une société qui ne se reconnaît dans rien, qui pointe des paraboles vers le ciel à chercher une vie meilleure, par la procuration des images qu’elle chasse inlassablement, pour s’évader. Des images venues d’ailleurs, qui semblent décrire la vie que le douar cloné ne permet pas d’avoir et qui font espérer que viendrait l’époque ou de nouveaux urbanistes découperont l’espace et le peupleront autrement qu’en référence au douar, au béton et au barres. Même les élus ont un esprit « douar » eux qui sont chargés de les mener vers la modernité. La plupart des jeunes qui grignotent leur âge en pensant déjà à la vieillesse n’ont jamais voté et, surtout dans les partis, seule la «chkara» a rempli les urnes ce qui a permis à des incultes d’occuper la scène.

Comment pourrait-on régler les problèmes des jeunes si les élus ne leur tendent pas les bras, si on ne les écoute pas afin de les connaître : les connaitre dans leurs désirs, dans leur ambition et dans leur misère sociale.

Ces voyous sont pour certains la cause des maux qui touchent notre pays, la racine de tous les fléaux, la gangrène. Bien sûr tout cela perturbe le bourgeois et les nouveaux riches qui voient leur confort menacé.

Les gouvernants, les élus, les juges, les policiers, ne font pas le poids de la déliquescence humaine devant les voyous, ces terribles et impitoyables gardiens de parking ou vendeurs de mouchoirs en papiers et de lunettes fumées.

Ils sont peut-être voyous, voleurs ou bandits, quelques fois de grossiers personnages mais jamais ils n’ont été skinhead ou égorgeur fanatique comme les islamistes de la triste époque. Ils ne sont qu’un symbole de la révolte pure et dure déjà exprimée et toujours en gestation. Ils n’ont pas droit au partage des richesses que la ville leur plaque en plein visage.

La misère, la hogra, le besoin sont leur viatique et à défaut d’une école formatrice d’hommes responsables pour des emplois pérennes, ils se morfondent dignement. Et la rue leur appartient à défaut de travail dans les chantiers et les usines. Ce n’est pas une honte d’être pauvre ou chômeur, mais c’en est une de ne rien faire pour sortir de cette situation. Vis-à-vis de sa mère et en lui-même. Et que peut-il faire ?

Etre anarchique n’est pas un hasard mais une construction et une nécessité pour survivre et le cri du ras-le-bol. Allez-y, chassez le voyou de son parking, la dellala de son trottoir et vous aurez une jeunesse sans raison de vivre.

Chacun refoule ses déceptions et son stress à sa manière quelque part et n’importe comment. Ces voyous les refoulent par la violence urbaine quant ils n’en arrivent pas au suicide. C’est ce que font les herragas. Il leur arrive même de faire « un chahut de gamin » comme l’avait proclamé un ministre en 1988. Un chahut qui a brisé toute les vitres de la maison Algérie pour enfin voir ce qui s’y passe.

Le réel fléau n’est autre que les producteurs de voyous et non les voyous.

Au fait Ali La pointe dans quelle catégorie le placerons-nous ?

Abderrahmane Zakad – Urbaniste – 27.7.13

L’HISTOIRE N’EST PAS UN LONG FLEUVE TRANQUILLE

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Pour Daniel Bensaïd, « la plupart des procès ordinairement intentés à Marx sont des faux procès où se mêlent incompréhension et ignorance. Il est vrai, à la décharge de ses détracteurs approximatifs, que la plupart des héritiers (Lafargue et son déterminisme économique, Kautsky et sa science de l’histoire, Staline et ses lois du Diamat) ont tordu sa théorie dans un sens positiviste, au prix d’une double régression : vers une conception scientiste de la connaissance et vers une conception spéculative de l’histoire. Les vulgarisations ajoutées aux vulgarisations ont fini par barrer l’accès à l’original. La conjoncture intellectuelle semble aujourd’hui propice à un retour à Marx par des chemins moins fréquentés. »

Un autre retour à Marx est ainsi annoncé.

Mais de quel retour s’agit-t-il ?

Allons voir…

Michel Peyret


MARX,

L’HISTOIRE

ET SES DEMONS

Daniel Bensaïd

1995

Ce pelé, ce galeux…

Selon l’air du temps et la rumeur médiatique, Marx serait coupable de tous les maux. En particulier d’avoir conçu une théorie rigoureusement déterministe de l’histoire (où les lois de l’économie agiraient avec l’inflexibilité d’un destin). Ou bien encore d’avoir remplacé le jugement de Dieu par celui de l’Histoire (la terre promise par la société sans classes). Enfin d’avoir prophétisé la fin de l’histoire.

Bref, les petites mains philosophantes nous confectionnent un Marx en patchwork, de pièces et de morceaux, taillés pêle-mêle dans Hegel, Comte, Renan, Mill. Sir Popper et sa Société ouverte portent une lourde responsabilité pour cet amalgame.

Pauvre Marx ! Lui qui a, dès L’Idéologie allemande , réglé ses comptes avec la philosophie spéculative hégélienne de l’histoire et qui ne consacre, dans tout Le Capital , qu’une méprisante note de bas de page au père fondateur du positivisme ! Bien sûr, on trouve dans son œuvre des tentations contraires. Il n’est pas rare de le voir se chamailler avec son ombre, tiraillé entre une fascination par les sciences positives de l’époque et un attachement envers la dialectique de ce qu’il appelle la «science allemande».
Ainsi, de nombreux interprètes ont-ils pu choisir de lire la Préface à la Contribution à la critique de l’économie politique (dite préface de 1859) ou le chapitre 32 du Capital ( «La tendance historique de l’accumulation capitaliste» ), comme les discours de la méthode d’un «matérialisme historique» strictement déterministe ou téléologique (nous reviendrons sur la différence entre les deux). Abondamment cités et commentés, ces deux textes sont familiers :

  • « Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles» (préface de 59). Suit le développement connu sur l’infrastructure économique et la superstructure politique et juridique.
  • « L’appropriation capitaliste, conforme au mode de production capitaliste constitue la première négation de cette propriété privée, qui n’est que le corollaire du travail indépendant et individuel. Mais la production capitaliste engendre elle-même sa propre négation avec la fatalité qui préside aux métamorphoses de la nature. C’est la négation de la négation.» (Chapitre 32 du Capital. )

Ces passages posent de réels problèmes d’interprétation. Inutile de jouer au stérile jeu des citations, où l’une contredit et annule l’autre. Mieux vaut chercher à saisir d’abord l’évolution logique de Marx sur la question de l’histoire.

« L’histoire ne fait rien »

La rupture de Marx envers la philosophie spéculative de l’histoire (hégélienne) est consommée dès La Sainte Famille (1845) et L’Idéologie allemande (1846). Cette rupture est radicale et irréversible. On trouve dans La Sainte Famille un rejet définitif de toute représentation fétichiste (religieuse) de l’histoire: «L’Histoire ne fait rien. Elle ne possède pas de richesses énormes, elle ne livre pas de combats. C’est au contraire l’homme réel et vivant qui fait tout cela, possède tout cela et livre tous ces combats ; ce n’est pas, soyez-en certains, “l’histoire” qui se sert de l’homme comme moyen pour réaliser – comme si elle était une personne à part – ses fins à elle. Elle n’est que l’activité de l’homme qui poursuit ses fins à lui.» C’est clair et net: l’histoire n’est pas une personne, l’histoire ne fait rien. Plus la moindre trace de transcendance. L’histoire est d’abord le développement conflictuel d’un rapport social.

Certes. Mais ce passage foudroyant est, fera-t-on remarquer de la main d’Engels. L’objection ne tient pas. Sur ce sujet et à cette date, les deux compères écrivent de la même main. Il suffit de feuilleter L’Idéologie allemande pour vérifier à quel point cette rupture envers la philosophie de l’histoire est acquise: «La philosophie de l’histoire d’Hegel est la dernière expression conséquente, poussée à sa plus pure expression, de toute cette façon qu’ont les Allemands d’écrire l’histoire et dans laquelle il ne s’agit pas d’intérêts réels, pas même d’intérêts politiques, mais d’idées pures ; cette histoire ne peut alors manquer d’apparaître à saint Bruno comme une suite d’Idées dont l’une dévore l’autre…» Il s’agit d’une conception «vraiment religieuse» . Cette manie de représenter les époques historiques comme les «premières étapes imparfaites» , «annonciatrices de la véritable époque historique» , donne lieu à des « montages historiques et des cancans littéraires» en forme de théodicée.

Avec L’Idéologie allemande , Marx et Engels ont bel et bien réglé leur compte avec leur vieille conscience philosophique et tourné la page. Acharnés à faire de Marx un philosophe hégélien de l’histoire, les critiques pressés ont même relevé qu’après 1847, il ne traite pratiquement plus jamais de l’histoire en tant que telle (comme sujet philosophique) ? Il se consacre à la critique de l’économie politique et à des interventions d’actualité politique. Cette activité théorique et pratique illustre un nouveau rapport à l’histoire.

Différentes façons d’écrire l’histoire

Sur la conception de l’histoire, on ne retrouvera guère chez Marx que des notes lapidaires, une sorte de pense-bête jeté sur le papier pour lui-même sous forme de pense-bête. Il se trouve dans l’ Introduction aux Grundrisse (dite Introduction de 1857 ): «Nota bene à propos de points à mentionner ici et à ne pas oublier.» Les huit points concis, aphoristiques, mériteraient la citation intégrale et un long commentaire. Ils proposent un programme de travail riche et fécond. S’interrogeant sur le «rapport entre l’histoire idéale telle qu’on l’a écrite jusqu’ici et l’histoire réelle » , Marx constate qu’il y a eu «différentes façons d’écrire l’histoire jusqu’à maintenant: l’histoire dite objective, subjective (morale), philosophique» . Il s’agit donc de trouver une nouvelle façon d’écrire l’histoire, conforme au bouleversement que constitue la découverte de l’histoire réelle. Cette nouvelle écriture de l’histoire n’est autre que «la critique de l’économie politique». Nous y reviendrons.

Ajoutons que, dans ces brèves notes, apparaissent aussi :

  • la notion de « développement inégal » entre différentes sphères de la vie sociale (ou de «non-contemporanéité» , pour reprendre le concept ultérieurement exploité par Ernst Bloch);
  • une conception critique du progrès ;
  • une réflexion sur le rapport entre hasard et nécessité en histoire ;
  • une rupture critique envers l’idée classique d’histoire universelle ;

Revenons brièvement sur chacun de ces points.

« Développement inégal » et « contretemps »

Marx souligne l’existence d’un «rapport inégal entre le développement de la production matérielle, et, par exemple, celui de la production artistique» . Il indique encore que «le point vraiment difficile en question est ici : comment les rapports de production suivent, en tant que rapports juridiques un développement inégal».

Autrement dit, les différentes formes de production (matérielle, juridique, artistique) ne marchent pas du même pas. Elles ne sont pas naturellement homogènes. Il existe au contraire des rythmes spécifiques à chaque sphère. On retrouvera une idée analogue en bonne place dans la préface à la première édition du Capital : «Outre les maux de l’époque actuelle, nous avons à supporter une longue série de maux héréditaires provenant de la végétation continue de modes de production qui ont vécu, avec la suite des rapports politiques et sociaux à contretemps qu’ils engendrent. Nous avons à souffrir non seulement de la part des vivants, mais encore de la part des morts.»

Le terme de « contretemps » , zeitwidrig (qui réapparaît étrangement sous la plume de Derrida à propos des Spectres de Marx), est souligné par Marx lui-même. Voilà de quoi s’étonner. Là où la préface de 1859 insistait sur la «correspondance» entre infra et superstructure, voici au contraire qu’il insiste sur les décalages et la discordance des temps. La «correspondance» en question n’impliquait nullement en effet l’adéquation exclusive entre une infrastructure et une superstructure: elle délimitait seulement un champ de possibilités effectives.

En mettant l’accent sur l’articulation de temporalités hétérogènes, Marx ouvre la voie à une représentation non linéaire du développement historique. Ainsi, dans ses fameuses lettres à Vera Zasoulitch, il envisage (de façon résolument non schématique) que la combinaison entre la communauté agraire villageoise russe et la technologie industrielle européenne la plus avancée puisse donner naissance à un socialisme original, évitant à la Russie de passer par les affres de l’accumulation capitaliste qu’a connues l’Angleterre.

De même, le concept de «développement inégal et combiné» , forgé par Parvus et Trotski à partir de 1905 pour rendre compte de l’articulation des différents modes de production à l’échelle planétaire, s’inscrit-il dans le droit fil de ces intuitions.

Critique du progrès

Cette approche du développement historique n’est plus compatible avec l’idéologie dominante du progrès. Marx en prend acte explicitement dans la même note: «d’une manière générale, ne pas prendre le concept de progrès sous la forme abstraite habituelle» . Cette forme abstraite habituelle fait du progrès une sorte de destin et de fatalité: le progrès technique et scientifique entraînerait mécaniquement le progrès social et culturel.

Elle va également de pair avec une conception homogène et vide du temps. Le temps qui passe produit du progrès. Sur cette voie tracée, il ne saurait y avoir que des ralentissements ou des écarts, mais le fleuve suit son cours.

Pour Marx, au contraire, le développement inégal entre différentes sphères sociales, politiques, culturelles, implique la notion d’un progrès qui ne soit ni automatique ni homogène. Un progrès technique peut fort bien provoquer une régression sociale (ou écologique). Ce qui est progrès d’un certain point de vue est aussi régression sous un autre angle. Il convient donc de recevoir cette notion de progrès avec moins d’enthousiasme aveugle que les courants positivistes et d’en redéfinir les critères. Le seul développement des forces productives est une condition nécessaire mais non suffisante. Il ne constitue pas le critère ultime du progrès historique. Il faudrait plutôt chercher un tel critère dans l’universalisation effective de l’humanité, dans la diversification et l’enrichissement des besoins sociaux, dans l’émancipation du travail contraint au profit d’une libre activité créative.

Universalisation effective

À la différence de Herder, Marx, tirant les conséquences logiques de sa rupture avec la philosophie spéculative, rejette l’idée d’une histoire universelle, dont l’humanité serait conçue dès ses origines comme le personnage unique: «L’histoire universelle n’a pas toujours existé. L’histoire en tant qu’histoire universelle est un résultat.» L’histoire devient universelle par l’universalisation réelle de la production, de la communication, des échanges. C’est alors et alors seulement qu’elle peut commencer à être pensée comme histoire universelle. À l’opposé de tout européo-centrisme normatif, cette remarque cruciale ouvre la voie à l’anthropologie et à l’histoire comparatives.

Le hasard de la nécessité

Enfin, toujours dans les mêmes notes de 1857, Marx souligne lapidairement: «Cette conception apparaît comme un développement nécessaire. Mais justification du hasard. Le comment. (De la liberté, etc., aussi.)» Dans la logique formelle vulgaire qui est souvent la nôtre, hasard et nécessité s’excluent mutuellement. Dans la Logique de Hegel (que Marx revendique aussi fermement qu’il répudie sa philosophie de l’histoire), ils sont liés. Le hasard est l’autre de la nécessité, mais son autre. Il est hasard de cette nécessité.

Ce n’est évidemment pas ici le lieu d’un long commentaire sur les catégories logiques à l’œuvre dans Le Capital . Contentons-nous de signaler que les notions de causalité, de nécessité, ainsi que cet étrange concept de loi tendancielle» (qui intervient notamment dans la baisse tendancielle du taux de profit) doivent être compris à la lumière de la logique hégélienne et non suivant le sens commun.

On constatera alors que la position de Marx n’est pas du tout celle du déterminisme mécaniste dont on l’accuse si souvent. Le développement historique est certes déterminé (non arbitraire, tout n’est pas possible, il y a un champ de possibles). Il n’en demeure pas moins historique, c’est-à-dire singulier, plein d’embranchements et de bifurcations, de fourches et d’aiguillages. Smoking/No smoking… Autrement dit, sa détermination ne permet pas d’en prédire les effets comme dans un système mécanique.

Ici, les critiques superficiels de Marx se contredisent. Certains lui reprochent d’être trop déterministe (la politique ne serait que le reflet de l’économie) ; d’autres de ne pas l’être assez pour prétendre à un savoir véritablement scientifique (sa connaissance de l’histoire ne permettrait pas des prédictions réfutables). Cette difficulté concerne tous les savoirs ayant pour objet des singularités (histoire, névroses, crises économiques).

En outre, l’idée de systèmes déterminés dont les conséquences ne sont pas pour autant prédictibles est devenue familière dans les sciences contemporaines (voir Prigogine, le billard de Sinaï, les théories du chaos, etc.). Le concept d’histoire chez Marx, loin d’exclure le choix et l’événement, leur fait toute leur place. Dans un champ de possible, quelque chose arrive (évènement, révolution, contre-révolution) qui aurait pu ne pas arriver. C’est pourquoi il y a place pour l’action et la stratégie politiques.

L’histoire n’est pas un long fleuve tranquille

On ne saurait dès lors imaginer l’histoire comme un long fleuve tranquille, comme l’écoulement imperturbable de modes de production suivant un schéma de succession préétabli.

Nous avons déjà constaté avec les lettres à Vera Zassoulitch que l’histoire selon Marx est déterminée (elle ne résulte pas d’un caprice divin) mais ouverte. Ajoutons qu’elle ne poursuit aucun but préétabli. Il serait ainsi illusoire de comprendre le passé comme la simple préparation de notre présent prédestiné.

Cette vision est rejetée très clairement dès L’Idéologie allemande : «L’histoire n’est rien que la succession des générations qui viennent l’une après l’autre et dont chacune exploite les matériaux, les capitaux, les forces productives léguées par toutes les générations précédentes. Par conséquent, chacune d’elle continue, d’une part, l’activité traditionnelle dans des circonstances entièrement modifiées et, d’autre part, elle modifie les anciennes conditions par une activité totalement différente. Grâce à des artifices spéculatifs, on peut nous faire croire que l’histoire à venir est le but de l’histoire passée. Ainsi, par exemple, on attribue à la découverte de l’Amérique un but, celui d’avoir permis le déclenchement de la révolution française.»

Après avoir vu Marx refuser explicitement un déterminisme mécanique, on le voit maintenant refuser une conception téléologique de l’histoire. Le premier existe bel et bien chez les épigones où il alimente une sorte de quiétisme politique : puisque l’horloge de l’histoire est remontée, il suffit d’attendre ce qui doit arriver ni trop tôt ni trop tard, juste à l’heure, selon le mouvement imperturbable des rouages et des ressorts. Quant à la seconde, qui fixe au déroulement historique un but préétabli, elle peut aussi bien encourager un activisme échevelé visant à hâter les desseins inéluctables de la Providence. Le mouvement ouvrier a donné maint exemple de cette double tentation.

Une conception « supra-historique » de l’histoire ?

Les positions acquises dans La Sainte Famille et L’Idéologie allemande seront maintenues fermement jusque dans les derniers textes de Marx. Sa lettre à la rédaction des Otetchevestveny é zapisky (en 1877) en apporte une éclatante preuve: «Il lui [mon critique] faut absolument métamorphoser mon esquisse historique de la genèse du capitalisme dans l’Europe occidentale en une théorie historico-philosophique de la marche générale, fatalement imposée à tous les peuples, quelles que soient les circonstances historiques où ils se trouvent placés, pour arriver en dernier lieu à cette formation économique qui assure, avec le plus grand essor des pouvoirs productifs du travail social, le développement le plus intégral de l’homme. Mais je lui demande pardon… Des évènements d’une analogie frappante, mais se passant dans des milieux historiques différents, amenèrent des résultats tout à fait distincts. En étudiant chacune de ces évolutions à part, et en les comparant ensuite, l’on trouvera facilement la clef de ce phénomène, mais on n’y arrivera jamais avec le passe-partout d’une théorie historico-philosophique générale dont la suprême vertu consiste à être supra-historique.»

Il n’y a pas de doute. Faisant pleinement la part de l’événement, Marx refuse tout schéma historique général, «supra-historique» , plaqué sur l’imprédictible déterminé du développement réel. Cela n’a pas empêché les épigones (tant sociaux-démocrates que staliniens) d’égrener la succession mécanique des modes de production, quitte à escamoter au passage ceux (comme le mode de production asiatique) qui risquaient de troubler le bel enchaînement.

L’homme et le singe : questions d’anatomie

« L’anatomie de l’homme est une clef pour l’anatomie du singe.»

À la relecture de ces textes, le contresens de tous ceux qui veulent voir dans la célèbre formule de l’ Introduction de 1857 la preuve d’une conception déterministe ou téléologique de l’histoire, saute aux yeux. Il s’agit là d’un problème de connaissance, et non de chronologie. La forme la plus développée permet d’accéder aux secrets des formes les moins développées. Cela n’implique nullement que l’homme ait été le destin du singe, ni qu’il ait été le seul développement concevable (le seul avenir possible) du singe. Entre le singe et l’homme, il y a bien des bifurcations.

L’interprétation de Marx se complique ici de celle de Darwin, dont les lecteurs récents (Gould, Coppens) insistent sur une compréhension non déterministe de la sélection naturelle, prenant en compte l’accident événementiel : disparition des dinosaures, fracture géologique du continent africain, etc.

Le temps n’est plus ce qu’il était

À partir de l’ Introduction de 1857 , la recherche d’une autre écriture de l’histoire coïncide avec la «critique de l’économie politique» . L’idée traditionnelle de l’histoire universelle allait en effet de pair avec le concept de progrès sous sa forme abstraite» et, par conséquent avec le concept d’un temps homogène et vide, hérité de la mécanique newtonienne. Si l’histoire ne fait rien, le temps non plus. On ne saurait en rester alors à la notion d’un temps (et d’un espace) transcendantal, condition a priori de l’expérience historique ; pas plus d’ailleurs qu’à l’image d’un temps qui roulerait sous ses flots, pour amasser mousse, les galets du devenir. En tant que «critique de l’économie politique» , Le Capital constitue une formidable entreprise de sécularisation du temps.

Toute économie est économie de temps ? Soit.

Mais qu’est-ce que le temps ? Pas une chose qu’on épargne et qu’on engrange. Au fil du Capital , le temps apparait comme un rapport social complexe. Ainsi voit-on apparaître, au Livre I, un temps de la production sous forme d’un segment divisé entre travail nécessaire et surtravail ; au Livre II, un temps de la circulation, avec ses cycles et ses rotations ; au Livre III, un temps de la reproduction, avec ses cercles de cercles, ses rythmes et ses crises. Sans doute est-ce là qu’il convient d’aller chercher les fondements de cette nouvelle manière, proprement révolutionnaire, de penser et d’écrire l’histoire. C’est pourquoi, une fois congédiée l’histoire universelle et sa philosophie spéculative, Marx ne bavarde plus sur l’histoire en général. Il écrit et réécrit, inlassablement, Le Capital .

La plupart des procès ordinairement intentés à Marx sont des faux procès où se mêlent incompréhension et ignorance. Il est vrai, à la décharge de ses détracteurs approximatifs, que la plupart des héritiers (Lafargue et son déterminisme économique, Kautsky et sa science de l’histoire, Staline et ses lois du Diamat) ont tordu sa théorie dans un sens positiviste, au prix d’une double régression : vers une conception scientiste de la connaissance et vers une conception spéculative de l’histoire.

Les vulgarisations ajoutées aux vulgarisations ont fini par barrer l’accès à l’original. La conjoncture intellectuelle semble aujourd’hui propice à un retour à Marx par des chemins moins fréquentés.

Ainsi, le rapport de Derrida aux Spectres de Marx passe-t-il par Walter Benjamin. Nous verrons bientôt ce qu’il en est du Grand Marx annoncé par Deleuze.

Nous remarquerons pour notre part que la «critique de l’économie politique» ne donne pas lieu à des prédictions certaines mais à des projets (stratégiques) visant à agir sur les possibles. On a parlé parfois de prophétie et de prophètes, armés ou désarmés. Ce vocabulaire colporte une religiosité désagréable. Il convient de rappeler cependant qu’à la différence de l’oracle grec, la prophétie n’annonce pas une fatalité. Elle énonce une prévision conditionnelle : la catastrophe qui arrivera si on continue, si on ne fait pas ce qu’il faut pour l’éviter. On pourrait dire en ce sens que la prophétie est l’annonce d’une pensée stratégique.

S’agissant donc d’une histoire ouverte à plusieurs possibles et de projets visant à transformer certaines de ses virtualités en réalité, les grands textes politiques (ceux de Marx, de Lénine, de Trotski) sont toujours alternatifs : sur le seuil des grandes bifurcations historiques, ils déterminent les termes et les conditions d’un choix. Dans une conception de l’histoire qui n’est donc, chez Marx, ni déterministe au sens strict, ni téléologique, ce qui pose problème c’est plutôt l’idée sous-jacente d’un développement historique normal (par opposition à des développements tout aussi concevables, mais déviants et monstrueux).

La question devient alors celle de la représentation du normal et du pathologique (au siècle dernier et depuis). Dans ses Thèses sur le concept d’histoire , Walter Benjamin disait ce qu’il y avait eu de proprement désastreux, de la part des états-majors sociaux-démocrates ou staliniens, à penser le nazisme comme une parenthèse ou une exception passagère, la norme historique étant appelée à reprendre ses droits.
Il nous est encore moins permis de nous rassurer à peu de frais en rangeant ces monstruosités contemporaines (nazisme, stalinisme) au rayon de la déviation, du dérapage, de la pathologie.

Il ne nous est pas davantage permis d’énoncer les barbaries parfaitement actuelles des expéditions néocoloniales (Golfe), des guerres ethniques (Balkans) ou du racisme ordinaire, comme le retour de «vieux démons» inquiétants mais archaïques.

Les démons, hélas, n’ont pas d’âge.

Ce sont toujours les nôtres. Nos contemporains.

Notre présent à part entière.

Daniel Bensaïd

Parution et date inconnues, vers 1995

adressé par Michel Peyret à socialgerie

le 17 juillet 2013

EN GRECE, LES MULTIPLES DÉFIS DU NOUVEAU SYRISA

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Le congrès fondateur de la gauche radicale s’est achevé hier à Athènes. Afflux de nouveaux membres hors des partis qui composaient traditionnellement Syriza, désaccords sur la ligne et la gestion de Tsipras, question d’une éventuelle alliance en vue de gouvernement : les dossiers urgents ne manquent pas.

Correspondance à Athènes

Amélie Poinssot

Mediapart

15 juillet 2013

Le 17 juin 2012, Syriza décrochait la deuxième place aux élections législatives, avec 27 % des suffrages et 72 sièges à l’assemblée en Grèce, suscitant la surprise européenne. Un an plus tard, l’engouement est toujours là : la gauche radicale oscille entre 20 et 28 % des voix selon les instituts de sondage, talonnant la droite de Nouvelle Démocratie (au pouvoir). Score d’autant plus étonnant que, depuis sa création en 2004, Syriza n’avait jamais dépassé 4 à 5 % aux élections. Si une partie de ce vote peut être interprétée comme une réaction de mécontentement face à la politique d’austérité, il n’en reste pas moins que la formation s’est imposée en à peine une décennie d’existence comme une force incontournable de l’échiquier politique grec, et ce malgré ses contradictions internes liées à sa constitution. Syriza est en effet composée à l’origine d’une coalition de diverses formations de gauche et d’extrême gauche, des ex-communistes pro-européens, des maoïstes, des trotskistes, ou encore des écologistes radicaux: une constellation qui a fait l’objet de nombreuses critiques de la part de ses contradicteurs.

Ces derniers jours toutefois, Syriza a fait peau neuve: la gauche radicale tenait son «congrès fondateur» dans la métropole athénienne, lors duquel les différentes composantes devaient s’auto-dissoudre pour se fondre dans un nouvel appareil, le «Syriza-EKM» (EKM pour, en grec, «Front social unitaire» ). Une étape décisive dans la jeune histoire du parti, puisqu’il s’agissait à la fois de s’accorder sur un programme politique commun, d’établir de nouveaux statuts, et d’afficher une image à l’extérieur plus homogène, plus cohérente, auprès de son électorat comme de ses adversaires. Pendant quatre jours, dans le centre des congrès de Palio Phaliro, à quelques encablures du Pirée, 3 500 congressistes ont ainsi échangé leurs vues, avant le vote de la déclaration de principes du parti puis l’élection du nouveau comité central et la reconduite d’Alexis Tsipras à la présidence.

Dans cette déclaration de principes, Syriza réaffirme à la fois ses sources

  • un parti fondé sur la pensée marxiste et plus largement la pensée de l’émancipation, qui tente de la faire progresser en prenant en compte tout apport théorique important»
    * et ses objectifs : « renversement démocratique du système politique »,

    « organisation d’une société basée sur la propriété et la gestion sociales des moyens de production »,

    « renversement de la domination des forces néolibérales et annulation des mémorandums d’austérité».

    * On y trouve les grandes lignes de son programme, à savoir l’arrêt des privatisations des biens publics, la garantie de l’accès à un certain nombre de biens fondamentaux comme l’eau, l’éducation, la santé…, l’instauration d’un revenu minimum vital, et le versement d’allocations à tous les chômeurs du pays (actuellement la durée maximale d’indemnisation est de un an pour les chômeurs ayant travaillé à temps plein).

Pour financer tout cela, le parti propose la mise en place d’un nouveau système fiscal, plus juste et plus efficace, qui s’attaquerait notamment aux sources de richesse encore protégées du pays, comme les propriétés de l’Église, et il demande à relâcher la pression budgétaire exercée sur la Grèce via une renégociation de la dette afin d’en annuler une partie et d’instaurer un moratoire sur le reste. Plus généralement, le parti défend une politique de relance, basée sur l’augmentation des dépenses sociales et le soutien à la production – en particulier dans le secteur agricole, suivant les principes de protection de l’environnement et de développement durable.

Parmi les congressistes, la plupart sont des vieux routards de la gauche grecque. Mais l’on trouve aussi de jeunes militants, et de nouveaux encartés. Syriza comptait 14 000 membres avant les élections de l’an dernier… Il en compte aujourd’hui plus du double : 35 000.

Athina Arvaniti fait partie de ceux qui ont rejoint les rangs après les élections. «J’ai trouvé en Syriza le seul parti qui permettra de changer les choses, de renverser la politique d’austérité, et de se battre pour une société plus égalitaire, plus juste. Non pas que je me reconnaisse dans toutes les positions du parti, mais c’est là que je retrouve mon combat et une raison d’espérer.» Athina Arvaniti est active depuis longtemps dans les mouvements sociaux. Résidente de la commune portuaire de Perama, ancien fleuron de l’industrie navale grecque aujourd’hui en déshérence, elle fait partie des piliers de l’assemblée de son quartier, un collectif monté dans le sillage du mouvement des Indignés il y a deux ans, et qui assure depuis collecte et distribution de nourriture pour aider plusieurs dizaines de familles dans le besoin tout en les encourageant à lutter contre la politique d’austérité.

Très présente dans les manifestations, cette mère de famille n’avait auparavant jamais rejoint un parti politique. Pour elle, adhérer n’est pas une fin en soi: «Il y a encore beaucoup de travail, il faut que les gens s’approprient le combat de la gauche, il faut que les gens comprennent qu’ils doivent se mobiliser, et ce, d’abord pour eux-même ! Pour cela, il faut aussi que les membres et les cadres du parti ne s’en tiennent pas qu’aux mots et soient plus présents dans les organisations, les mouvements… Syriza doit participer davantage aux processus sociaux.»

Si Athina appelle à plus d’investissement sur le terrain, les membres de Syriza sont en réalité déjà nombreux à s’impliquer dans les collectifs de solidarité créés dans de nombreux quartiers de la métropole athénienne et dans d’autres villes du pays. Certains militants ont même impulsé la mise en place de structures autogérées, comme le dispensaire de médecins bénévoles de Thessalonique: le parti n’en fait pas la publicité, mais ses relais sur le terrain sont de plus en plus denses. Surtout, ce qui est en train de changer, c’est son tissu de sympathisants: «Le vote Syriza était essentiellement urbain, nous explique le porte-parole du parti, Panayotis Skourletis. Or pour la première fois de notre histoire, nous avons des membres dans les zones rurales. Et les noyaux grossissent dans les petites villes de province.» Sur le secteur de Corinthe et ses alentours, par exemple, le parti compte sept sections aujourd’hui contre une il y a un an. À Arta, dans le nord-ouest du pays, cinq sections couvrent désormais le terrain contre une seule auparavant.

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Toute cette vague d’adhésions, si elle réjouit les membres historiques, pose à l’évidence de nouveaux défis: ces membres n’ont pas le même passé politique, certains proviennent du Pasok (parti socialiste) ou du KKE (parti communiste), d’autres ne sont pas ou peu politisés… Autant d’identités différentes qui peuvent infléchir la ligne du parti. Se pose également la question de leur représentativité: jusqu’au congrès, chaque formation composante de Syriza avait un droit de veto, ce qui excluait du processus de décision tous ces nouveaux adhérents non membres des partis préexistant à Syriza. De plus, de nombreux dirigeants assumaient une double fonction: à la fois cadre dans leur formation d’origine, et cadre au sein des instances de Syriza.
« Pour des raisons fonctionnelles, donc, mais aussi de démocratie, il fallait réformer les statuts, nous explique Natacha Theodorakopoulou, membre du comité central, réélue à l’issue du congrès. L’objectif est d’être un parti plus représentatif et mieux organisé. Cela n’empêche que nous restons une gauche plurielle; diverses tendances continueront d’exister dans le parti.» Ce qui fait dire au chercheur en sciences politiques Georges Contogeorgis que cette refondation tient en réalité plus du changement de façade: «Si les composantes sont officiellement supprimées, elles vont continuer à exister à l’intérieur du parti, nous explique cet universitaire très critique du système politique grec. La mentalité et les orientations de Syriza ne vont pas fondamentalement changer.»

Parmi les tendances persistantes, il y a le courant de la «Plateforme de gauche», emmené par le député Panagiotis Lafazanis. Déjà remarqué à l’occasion des réunions préliminaires au congrès, en décembre dernier, pour avoir déposé une motion qui avait emporté le quart des voix des participants, ce courant se caractérise par un programme économique plus radical que la ligne majoritaire, et n’exclut pas, par exemple, la sortie de la zone euro. Cette fois-ci, il a déposé quatre amendements à la déclaration de principes du parti – amendements qui, s’ils n’ont pas été adoptés par la majorité, ont recueilli un certain écho, notamment celui sur la non-reconnaissance de la dette publique et la proposition de son effacement intégral: il a conquis des voix au-delà de ses propres rangs. Dimanche, pour l’élection du comité central à la proportionnelle, la liste de la «Plateforme de gauche» a obtenu 28 % des suffrages, décrochant donc une représentation non négligeable au sein du comité central.

Parmi les courants minoritaires, les avis sont, de fait, plus mitigés quant au nouveau costume de Syriza, voire profondément clivés: «C’est une tentative de reprise en main, de centralisation au détriment du pluralisme qui faisait notre richesse», entendait-on dans les couloirs du congrès. Où l’on reproche à Alexis Tsipras d’avoir axé son discours ces derniers mois sur les questions d’organisation plutôt que sur les questions politiques, et de vouloir éviter les sujets délicats, comme ceux de la monnaie unique ou encore de la cessation de paiement: «Jusqu’où la Grèce ira-t-elle en cas de renégociation de la dette? En cas de scénario chypriote? En cas d’arrêt de financement de la Troïka? Le parti ne le dit pas», pointe un proche de Lafazanis. Les composantes réticentes à l’auto-dissolution, comme le parti de Manolis Glezos, doyen du parlement et figure de la résistance grecque, ont finalement obtenu un répit de quelques mois.

Nourries par la crainte de voir Syriza se transformer en un parti monolithique et par des désaccords sur la stratégie de Tsipras, les critiques se sont multipliées ces derniers mois dans les rangs du parti, mais aussi chez ses électeurs. Tsipras a notamment déçu quand cet hiver, il a multiplié les séjours à l’étranger et ses interventions dans diverses institutions internationales: certains y lisent un double discours, radical en Grèce, beaucoup plus centriste à l’extérieur.

D’autres au contraire défendent le rôle que Syriza doit jouer sur la scène étrangère. C’est le cas de la députée Rena Dourou, convaincue que l’enjeu de ce congrès fondateur est international: «La Grèce a été le cobaye de l’austérité au niveau européen, à présent elle doit devenir le modèle d’une stratégie radicale en termes de démocratie et de justice sociale», défend la jeune femme. Plusieurs délégations étrangères étaient d’ailleurs présentes au congrès, dont le Front de gauche français…

Mais en interne, la question d’une stratégie européenne semble bien le cadet des soucis de Syriza, même à l’approche du scrutin de juin 2014. «On risque d’avoir des élections législatives bien avant!» lâche Natacha Theodorakopoulou. De fait, les enjeux nationaux sont multiples, et toujours aussi pressants: après la fermeture brutale et unilatérale de l’audiovisuel public le mois dernier, le gouvernement s’apprête à faire voter au parlement d’ici à la fin de la semaine un nouveau texte législatif pour entériner, entre autres, le licenciement de 4 000 personnes et la mutation de 12 500 employés dans la fonction publique. Une grève générale a d’ailleurs été convoquée demain par les confédérations syndicales du public et du privé.

Jeudi est attendu le ministre allemand des finances Wolfgang Schäuble, vendredi doit être voté le projet de loi de création du nouvel audiovisuel public alors que le blocage reste entier avec les employés de ERT… Face à un gouvernement qui ne compte plus que sur un soutien de 155 députés sur 300 à la Vouli, la gauche radicale entend bien jouer son rôle de premier parti d’opposition, et Alexis Tsipras réclame, déjà, de nouvelles élections.

Mais Syriza ne pourra éviter, un jour ou l’autre, la délicate question des alliances politiques: à lui seul, et même dans les estimations les plus hautes, il n’atteint pas la majorité. À gauche du Pasok, il ne reste plus que l’orthodoxe parti communiste – hostile jusqu’à présent à tout rapprochement avec la gauche radicale – et le Dimar (« Gauche démocratique »), né il y a trois ans d’une scission… avec Syriza.

Source: mediapart.fr

repris sur le blog algerieinfos-saoudi

ISLAMISME ET NATIONALISME

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Les nécessaires et déchirantes remises en cause

Par Ali Akika

Contribution

Le Soir d’Algérie

23 juillet 2013

Algérie, Syrie, Égypte, Libye, Tunisie, pays qui ont connu bouleversements et tragédies. S’interroger sur l’histoire de ces pays et les sources des événements qu’ils vivent permettent de dessiner les remises en cause nécessaires que ces pays devraient faire.

Il vaut mieux que les contradictions internes fassent l’objet d’une thérapie du terroir, bien de chez nous que de rater les rendez-vous avec l’histoire dont profiteront des prédateurs en embuscades.

D’un trait grossier on peut dessiner les contours de l’histoire moderne de ces pays. Ils ont connu la colonisation et leurs régimes politiques au lendemain des indépendances avaient des tenues spartiates propres aux militaires pour mieux servir la dictature. Leurs idéologies reposaient sur le socle du nationalisme avec l’islam comme religion d’Etat pour la plupart d’entre eux. Une fois l’indépendance acquise, les forces politiques existantes ou potentielles étaient les communistes, les nationalistes, les islamistes.

Les communistes étaient tolérés grâce aux bonnes relations avec l’URSS qui avait aidé leur lutte de libération et fournit formation et matériels à leurs armées. Cette tolérance fut de courte durée et l’on connaît la répression des communistes en Égypte de Nasser, d’Irak de Saddam Hussein et surtout la boucherie de Nemeyri au Soudan. En dépit d’une certaine influence idéologique quand le mot socialisme n’était pas une obscénité à cette époque, ils ne comptaient pas beaucoup politiquement au fil du temps.

Quant au mouvement national composé des différentes couches sociales, le socle de son idéologie fut évidemment le nationalisme. Normal quand le pays subissait la loi du colon. A cette époque, cette idéologie avait sa raison et son efficacité car elle était en quelque sorte Un nationalisme défensif parce que patriotique. Mais une fois le pays indépendant, cette idéologie ne pouvait plus faire «consensus» car les intérêts et contradictions des couches qui composaient le mouvement éclatèrent. N’ayant plus le colon en face, le patriotisme glissa peu à peu vers le nationalisme chauvin. Avec l’accumulation des échecs économiques et la misère engendrée, l’idéologie chauvine du nationalisme ne pouvait plus contenir le peuple et l’islamisme politique surfa sur cette misère et exploita la religiosité de la société pétrie d’une culture musulmane qui régissait, régulait le tissu social et peuplait l’imaginaire populaire.

L’islamisme politique représenté historiquement par les Frères musulmans (Ikhwan), bien qu’il ne fût pas à l’avant-garde de la lutte de Libération, ni en Egypte (de Nasser) ni en Algérie (FLN de la guerre de Libération) avait ses relais dans les sociétés. A l’indépendance, il «sortit de sa clandestinité» et fut réprimé et moqué par Nasser. De même, en Algérie les islamistes (cheikh Ibrabimi) connurent quelques «problèmes» sous Ben Bella et Boumediene.

Voilà le tableau brossé rapidement de la vie politique à l’heure où grondent les révoltes et s’expriment les colères dans les pays arabes. Révoltes des peuples las de subir misère et répression, colères de catégories sociales et générationnelles qui ne supportent plus d’être dirigés par une «élite» compétente pour gouverner leurs parents analphabètes mais d’une incompétence pitoyable, digne des rois fainéants de la France mérovingienne, face à une jeunesse formée et «branchée» sur internet et autres smartphones.

Ces nécessaires remises en cause

Il y a d’abord à inventer un discours politique qui «saisit le réel» propre à l’histoire du pays et aux contradictions politiques de l’époque. Ce nécessaire discours permet de rompre avec des lieux communs sortis des écoles de sciences politiques. Deux exemples me viennent à l’esprit.

Le concept fumeux de «régression féconde»: son auteur ne sait pas que ce genre d’oxymore est le péché mignon, une sorte de chasse gardée des poètes pour louer une certaine beauté, mettre le doigt sur la complexité d’un fait ou bien pour ironiser et mettre en avant les bouffonneries de certains. Mais demander à un peuple de faire l’expérience de la régression pour démontrer l’imbécillité des auteurs de cette expérience, c’est proprement scandaleux car de l’enfer on ne revient jamais. Un peuple n’est pas un groupe d’enfants dans une salle de classe à qui l’instituteur fait des expériences pédagogiques.

La deuxième notion tout aussi fumeuse, c’est celle de «Peuple musulman». Les adeptes de cette notion devraient se contenter de la notion de la oumma, communauté qui se fonde sur une seule variable, la religion. Le concept de peuple est autrement plus coriace à saisir car il renferme plusieurs variables dont chacune a sa propre singularité. Grosso modo, un peuple vit sur un même territoire, partage en gros la même culture tout en parlant une ou plusieurs langues, pratiquant une ou plusieurs croyances, enfin et en résumé fait et subit l’histoire pour son bonheur et son malheur. Il faut donc laisser tranquille l’islam et ne pas l’utiliser à des fins obscurs.

Les réactions à propos de la destination de Morsi en sont une preuve éclatante. On est bien embêté de voir ce peuple égyptien qui a porté Morsi au pouvoir, divisé, déchiré et ô blasphème voir une partie de cette oumma s’allier avec des «mécréants laïques», voir aussi les salafistes conspuant Morsi sur la place Tahrir en compagnes des tamarods. L’Iran «chiite» regrette la destitution de Morsi et l’Arabie «sunnite» applaudit à coups de milliards de dollars le coup de force contre le sunnite Morsi. Mon Dieu que dire quand le chiite défend le sunnite et quand ce dernier enfonce un poignard dans le dos de ses Ikhwan (les Frères).

Les adeptes de ces deux notions, régression féconde et peuple musulman, comme ils sont des lecteurs d’une certaine école française, reproduisent les mêmes balivernes que les cerveaux qui façonnent l’opinion publique. Gare à celui qui remet en cause les idées dominantes, hors de celles-ci il n’y a point de salut. Parce qu’ils ont la démocratie et la morale qui va avec.

Donc eux peuvent avoir la bombe atomique, peuvent espionner jusqu’aux lits des mariés, c’est pour le bien de tout le monde. En revanche on interdit aux autres la possession de bombe atomique parce qu’en face c’est le mal absolu capable de tout parce que ne respectant rien…

Pour les coups d’Etat, c’est la même rengaine. On oublie qu’on est dans le pays des coups d’Etat comme celui du 18 Brumaire de Napoléon-Bonaparte jusqu’au putsch déguisé de De Gaulle du 13 mai 1958.

Et pour finir on n’a pas hésité à élire Mitterrand en 1981 alors que ce monsieur avait appelé ouvertement devant les foules au stade Carléty en 1968 à ce qu’on donne congé (démission) à De Gaulle qui entre-temps s’en alla dans une base militaire française en Allemagne, chercher l’aide du général Massu une vieille connaissance des Algériens.

À ces donneurs de leçons, il faut dire que des révisions déchirantes sont nécessaires. Les pays ou les religions qui ont fait ces révisions ou réformes se portent mieux.

Ainsi le christianisme s’est divisé entre catholiques et protestants pour des raisons politiques et d’intérêts économiques. Pour justifier cette déchirure en Europe chrétienne, il fallait bien opposer «des interprétations théologiques» pour donner un sens, une raison à la rupture avec un pape envahissant à partir de Rome ou bien permettre l’éclosion de la finance pour mieux élaborer l’immense territoire du capitalisme naissant. La Suisse et Londres, ces temples de la finance et les banquiers français ne sont certainement pas étrangers à leur statut de protestants et autres anglicans.

Ce qui se cache derrière l’utilisation de la religion, c’est en général de banals intérêts économiques. Le cas des Etats-Unis est flagrant et symbolique, ils attisent les conflits entre les différentes communautés religieuses pour casser un pays comme l’lrak et ensuite siphonner son pétrole. De même les pays du Golfe qui oppriment «leurs chiites» pour maintenir la suprématie des sunnites. Mettre l’accent sur la manipulation de la religion par les politiques ne signifie nullement une attaque contre les religions qui sont nées et qui restent une voie (x) pour expliquer l’existence du monde et les angoisses de ses habitants.

Les remises en cause des catégories et partis politiques

Les partis se réclamant du nationalisme ont tout intérêt à saisir les limites de cette idéologie face au peuple.

Camper sur des idées qui ont fonctionné hier contre le colon, c’est tourner le dos à ce peuple qui ne souffre plus du colon mais d’un pouvoir qui parle, certes, la même langue mais pas le même langage sur la liberté, le travail, l’école, la santé…. Se recroqueviller sur le déni de la réalité et nourrir celle-ci par le chauvinisme, ça donne des Le Pend, odieux et inefficace de surcroît. Il faut donc enrichir le discours par plus de noblesse qui existe dans l’histoire du pays et par les idées de la vie de notre époque.

Quant à l’islamisme politique comme stratégie et solution uniques parce que procédant de Dieu, ce ne sont là que des illusions qui commencent à s’évaporer du champ politique. Que ce soit par la voie de la Iourte armée ou par la voie des urnes, cette idéologie ne doit pas se nourrir elle aussi du déni de la réalité. On ne pratique pas la Iourte armée pour «mettre le peuple dans le droit chemin». On n’utilise pas la voie démocratique pour arriver au pouvoir et ensuite effacer d’un trait de plume le tissu et les réseaux d’une société pour la «purifier». Il est donc plus intelligent de penser des réformes politiques et idéologiques pour enrichir le pays.

La richesse des pays et banquiers protestants auxquels j’ai fait allusion précédemment est le fruit d’un travail complexe et minutieux. Ces banquiers se sont fait «aider» par un Martin Luthier, un Jean Calé, les Kart et autres philosophes de la même trempe. Ils ne se sont pas contentés d’inventer une «finance chrétienne». Ils ont inventé une «science» pour que la finance irrigue les artères multiples et tortueuses de l’économie capitaliste.

Dans nos pays, on se contente d’inventer la finance islamique qui se réduit à l’interdiction des intérêts.

Pendant ce temps nos «milliardaires musulmans» placent leur argent à Long City et à Genève et recommandent aux gens pieux de chez nous d’aller se faire plumer leurs économies par une inflation galopante. Une contribution qui nous éclairerait sur ce sujet serait une aide précieuse pour beaucoup.

L’Égypte et l’Algérie qui vivent encore sous un nationalisme qui a joué un rôle contre le colonialisme et qui a affronté un islamisme politique virulent peuvent servir de points de repères pour accoucher, inventer un projet politique débarrassé des fossiles du féodalo-chauvinisme tout aussi bien des sornettes qui dénaturent la brillante civilisation de l’islam et dont ne se reconnaîtra certainement pas Ibn Khaldoun, lui le précurseur de la science historique.

Il faut revenir aux fondamentaux pour utiliser une notion à la mode, à savoir l’idéologie doit s’incliner devant la réalité, on doit lui préférer la philosophie de l’histoire qui met à leurs justes places les acteurs sociaux d’un pays, sa culture y compris sa religion.

A. A.

PS. Dans l’émission «Politique étrangère» de France-Culture, on a limité le temps pour ne pas dire censurer un écrivain égyptien qui était face à François Burgat. Comme il n’a pas chanté la Chanson de Roland*, on lui a fait pan sur le bec selon le bon mot du Canard enchaîné.

* Chanson de Roland , poème épique et mythique du chevalier Roland vantant la chevalerie censée avoir combattu les Sarrasins (en réalité c’étaient les Basques et non les Arabes en Espagne au Xle siècle).
On construisit la légende avec les Arabes pour servir plus tard de justifications religieuses aux croisades.

L’ANTI-ISLAMISME EST-IL DE GAUCHE?

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par Saoudi Abdelaziz

blog algerieinfos-saoudi

Jeudi 18 juillet 2013

Dans notre pays, le courant de gauche est historiquement alimenté par les grandes options sociales égalitaires qui ont préparé puis dominé la lutte de libération nationale. Devenue une quasi-mentalité, cet ancrage égalitaire constitue aujourd’hui l’obstacle principal aux coups de force à l’égyptienne que préparent les néolibéraux et les conglomérats algériens. Cet ancrage têtu est la principale spécificité du peuple algérien. C’est ce spectre plébéien millénaire qui hante ceux des décideurs tentés de plonger dans la religion de l’inégalité sociale naturelle. Religion qu’ils partagent avec l’ensemble des décideurs néolibéraux du monde musulman, surtout là où le pouvoir se revendique de l’islamisme. Nulle part où l’islamisme fait la loi, les préceptes de justice sociale n’ont été appliqués par les Etats. En terme d’inégalité sociale, les néolibéraux islamistes font aussi bien, sinon mieux que leurs congénères laïques.

En Algérie, la gauche historique est d’abord une gauche sociale. Dans les années 60 et 70, les marxistes du Pags ont joué un rôle actif pour organiser les luttes sociales et syndicales de masse, s’exprimant en dehors du contrôle du pouvoir. Lequel n’avait pas encore achevé sa mutation en système, avec la construction progressive du redoutable appareil de contrôle social qui deviendra le DRS, « colonne vertébrale du système ».

Les Pagsiste ont aussi contribué à la constitution d’un solide et vivant corpus argumentaire en faveur d’un développement économique indépendant. Cet acquis conceptuel contribue encore à nourrir la recherche des voies et moyens pour sortir de l’impasse néolibérale actuelle.

Dans les années 60 et 70, les pagsistes furent aussi, aux côtés d’autres courants de gauche, les ferments des nouvelles luttes démocratiques et antiautoritaires dans les syndicats, le mouvement étudiant et celui de l’émancipation féminine. Ce combat démocratique contre l’autoritarisme, qui a posé au lendemain de l’indépendance les bases de l’avenir démocratique de la société algérienne, a été payé à prix fort par les militants du Pags. Personnellement, j’ai été emprisonné pendant un an et demi en 1965-1966, puis, après une condamnation par contumace du tribunal militaire de Blida en 1971, contraint de militer clandestinement pendant douze années à Alger, dont je dirigeais la fédération du Pags.

Comme on le sait, à la fin des années 80 le Pags n’a pas survécu à la conjugaison de trois facteurs :

  • la perte de crédibilité mondiale de « l’option socialiste » et des partis communistes avec la liquidation du «camp socialiste » et l’énorme tsunami libéral qui en a résulté (et qui reflue depuis, après avoir ravagé la vie des êtres humains)
  • -les reconversions sociales à grande échelle dans les élites instruites, y compris celles influencées par le Pags, en liaison avec l’infitah néolibéral amorcé dans notre pays au début des années 80;
  • Et, sur cette double toile de fond, la subverstion accélérée au sein du Pags menée par les infiltrés et les retournés des services secrets. (C’est sans doute parmi ces gens-là, devenus très visibles après la liquidation du Pags, que M. Saadoune s’inspire pour son éditorial du Quotidien d’Oran, http://www.lequotidien-oran.com/?news=5185541 où il écrit ce matin: « Il y a, plus gravement, un renoncement à un combat sur le terrain politique qui rend les élites de la gauche plus enclines à défendre les systèmes autoritaires que les processus démocratiques »).

Après les évènements d’octobre 1988, le Pags étant déjà quasiment vidé de son contenu social, la voie était grande ouverte aux islamistes dans ce domaine décisif qui conditionne l’ancrage politique.

Autre facette de cette disparition du Pags : l’émergence médiatique de groupuscules manipulés par les services secrets pour réaliser une captation « laïciste » du Pags. Ils se sont heurtés au spectre de l’héritage social irréductible du parti défunt, dont les adhérents ont opté massivement pour le repli hors de la sphère publique et pour un profil bas vigilant.

L’anti-islamisme n’est pas une création de la gauche. Nous assistons aujourd’hui en Algérie, à partir des mêmes groupuscules réduits comme peau de chagrin, au remake poussif des diatribes de la « belle époque » des années 90. En ces temps là l’anticlérical-DRS affrontait le clérical-djihadiste tout aussi DRS dans une fitna ultra médiatisée par la presse « indépendante » et par les officines du Djihad contrôlé.

La réactivation actuelle est sans doute directement liée aux luttes autour de la succession de Bouteflika. Elle ne réussira pas, comme elle a réussi à le faire à la fin des années 80, à empêcher le peuple de peser sur cette succession par l’affirmation de ses propres intérêts socioéconomiques.

Elle n’empêchera pas les secteurs de gauche de continuer à bâtir patiemment, en prise sur les luttes sociales, les bases de leur renouveau politique, puis de leur union.

Saoudi Abdelaziz, le 18 juillet 2013

EGYPTE: DE VRAIS PUTSCHISTES, UN FAUX ALLENDE

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Cet article est une mise au point précise et nécessaire en réponse aux évaluations faites de flou et de généralités; certaines de ces « analyses », par esprit partisan, occultent trop souvent une partie des réalités au détriment des gauches arabes, même si une partie de ces dernières prêtent le flanc à ces déformations.


Yassin Temlali

le jeudi 25 juillet 2013

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Dans un article intitulé «À propos du putsch égyptien: le naufrage des gauches du monde arabe se confirme» (Maghreb Emergent, 15 juillet 2013), l’universitaire algérien Ahmed Henni attire l’attention, à travers l’exemple du coup de force contre le président islamiste Mohamed Morsi, sur les risques du déficit d’autonomie des organisations de gauche du monde arabe vis-à-vis des pouvoirs en place, encore dominés par l’armée et ou/les services secrets.

Je ne m’attarderais pas sur la critique nécessaire des alliances contractées par des partis censés être avant-garde des masses» avec des régimes autoritaires (Algérie) voire sanguinaires (Syrie). En revanche, le point de vue de l’auteur sur la situation en Egypte mérite qu’on s’y arrête tant il révèle une perception de la réalité gouvernée par deux idées «fixes» pour ainsi dire: la gauche a soutenu et soutient toujours le despotisme laïc, et les grandes mobilisations contre les islamistes sont le produit de savantes manipulations des moukhabarate (services de renseignements).

Ahmed Henni écrit : «(…) En juin 2013 une partie de la gauche égyptienne s’associe aux auteurs d’un appel (…) à la direction de l’armée égyptienne pour destituer un président élu». Ailleurs dans l’article, cette «partie de la gauche» devient une «majorité des courants de gauche» mais ni ici ni là il ne nous dit de quels courants il s’agit ni à quoi on peut reconnaître qu’ils constituent une «majorité» au sein de la gauche.

Il n’explique pas non plus à ses lecteurs que la gauche s’est associée, avant le 30 juin 2013, à l’appel à la tenue d’élections présidentielles anticipées et non à celui – ultérieur – à l’éviction de Mohamed Morsi par les militaires.

Surtout, il ne rapporte aucune déclaration officielle des courants concernés et se contente de citer l’économiste égyptien Samir Amine pour qui «il y a une autre légitimité, supérieure (à la légitimité des urnes, NDLR), celle de la poursuite des luttes pour le progrès social et la démocratisation authentique».

Or, tout contestables qu’ils soient, ces propos n’engagent que leur auteur; surtout, ils n’ont pas de rapport direct avec les événements récents en Egypte (ils datent de juillet 2012).

L’armée, sous le règne de Morsi, a-t-elle jamais quitté le pouvoir?

Cette «majorité de la gauche égyptienne» évoquée par Ahmed Henni inclut-elle les nassériens qui, fidèles à leurs origines putschistes (le coup d’Etat du 23 juillet 1952), ont souhaité, à mots à peine couverts, le renversement manu militari de Mohamed Morsi? Si l’acception du mot «gauche» est si large, il devrait alors inclure en Algérie… le FFS, qui s’est opposé à l’annulation des élections législatives de 1991, et en Tunisie El Takatol et le Congrès pour la République, qui… font partie de la coalition gouvernementale menée par Ennahda.

Les gauches arabes ne seraient pas alors toutes ces gauches laïcistes en plein naufrage que dénonce vigoureusement Ahmed Henni.

Si l’on n’inclut pas les nassériens dans la gauche égyptienne, le seul parti de la gauche «réellement existante» à avoir préconisé une intervention de l’armée contre le président islamiste est Al Tagamoê, né au milieu des années 1970 d’une fusion entre des communistes et des nationalistes arabes radicaux et dont le programme se résume presque à un anti-islamisme caricatural.

Tout en soulignant que «les forces armées ne doivent pas se mêler de politique», un autre parti de gauche de moindre envergure, le Parti socialiste égyptien, a estimé qu’elles devaient agir «en cas de risque d’effondrement de l’Etat ou d’affrontements sanglants ou si le régime en place expose la vie des citoyens au danger» (sa secrétaire générale Karima el Hafnaoui), ce qui peut être interprété comme une bénédiction tacite à la destitution violente de Mohamed Morsi.

Ni le Parti communiste égyptien ni les Socialistes révolutionnaires (extrême gauche) ni la Coalition populaire socialiste (formée d’une scission d’Al Tagamoê et d’une autre des socialistes révolutionnaires, entre autres factions) n’ont lancé d’appels au putsch.

Les deux dernières organisations citées ont même mis en garde contre les dangers du retour de l’armée aux commandes politiques du pays, ce qui s’inscrivait en droite ligne de leurs positions antérieures.

Elles avaient pris, en effet, une part active à la contestation qu’avait affrontée, après l’abdication de Hosni Moubarak, le gouvernement intérimaire de l’armée (février 2011-juin 2012).

Le Parti communiste égyptien n’avait pas cessé, lui non plus, durant cette période, de condamner ce gouvernement autoritaire et de réclamer le jugement de ses symboles.

On peut dire, sans crainte de se tromper, qu’une partie considérable de la gauche égyptienne sinon sa majorité avait lutté courageusement contre le pouvoir du maréchal Hussein Tantaoui au moment où les Frères musulmans justifiaient ses massacres et ses procès martiaux.

Les gauches arabes : un simple courant de la nébuleuse laïque?

Ahmed Henni généralise ses conclusions sur la gauche égyptienne à toutes les gauches arabes. Il écrit à leur sujet: «N’étant arrivées au pouvoir que dans les fourgons des militaires, elles continuent de répudier la lutte primordiale pour la citoyenneté et lancent, ici et là, des appels irrésistibles du peuple au putsch pour maintenir des dictatures dites ‘’laïques’’, ou renverser des pouvoirs élus par des peuples qui ‘’votent mal’’».

La question se pose: pourquoi continue-t-on à parler des gauches arabes comme si elles n’étaient constituées que de laïcistes obtus, drapés dans les oripeaux de la cause ouvrière?

Il est connu, par exemple, que les organisations des droits de l’homme dans le monde arabe sont souvent animées par les militants de gauche: lutter contre la torture, le jugement des civils par les tribunaux de l’armée et pour les droits politiques, sociaux, etc. ne serait-il donc pas «lutter pour la citoyenneté»?

Est-il nécessaire de rappeler qu’avant d’exiger la démission de Mohamed Morsi, une partie de la gauche avait même appelé à voter pour lui afin de barrer le chemin au candidat de l’armée, le général Ahmed Chafik. Sous la dictature moubarakienne, les socialistes révolutionnaires et une frange de l’actuelle Coalition populaire socialiste défendaient, à contre-courant, le droit des islamistes de créer des partis légaux et manifestaient pour la libération de leurs dirigeants (en souvenir de cette solidarité, les Frères musulmans se sont empressés de porter plainte contre des figures de la gauche radicale les accusant de vouloir «détruire l’Etat», une accusation qui prête à sourire de la part d’une confrérie qui rêve de restaurer le Califat).

Les jugements d’Ahmed Henni sur les gauches ne semblent pas s’appliquer non plus à la gauche tunisienne. À notre connaissance, elle n’a pas appelé à un coup d’Etat pour «dégager» Ennahda.

En revanche, nous savons que, sous le règne de Zine El Abidine Ben Ali, le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT) et le Parti démocratique progressiste (PDP) avaient formé avec les islamistes un bloc d’opposition (le collectif du 18 octobre).

Les courants de gauche qui n’avaient pas rejoint cette coalition (les patriotes démocrates, les trotskistes, etc.) n’avaient pas, pour autant, soutenu la répression de leurs adversaires politiques. Bien au contraire, nombre de leurs figures, dont le défunt Choukri Belaïd, prenaient leur défense devant les tribunaux.

Si on tait ces prises de position – on peut critiquer, dans certaines d’entre elles, une foi curieuse en la possibilité d’une évolution interne majeure de l’islam politique vers la démocratie -, c’est qu’il est probablement plus aisé, pour condamner la gauche, de la réduire à une de ses composantes et d’en faire un mince courant d’une nébuleuse laïque qui méprise le «peuple».

La gauche égyptienne ne devait-elle pas exiger la démission de Morsi?

En réalité, si Ahmed Henni critique la «majorité de la gauche» égyptienne, c’est que pour lui, sa participation aux mobilisations exigeant la démission de Mohamed Morsi est synonyme d’un appel du pied à l’armée à revenir aux affaires.

Or, encore une fois, le slogan central des manifestations du 30 juin 2013 n’était pas le renversement de Mohamed Morsi mais l’organisation d’élections présidentielles anticipées: ce n’est pas parce que des dirigeants du mouvement Tamarrod ont accepté d’être le porte-voix officieux de l’armée que toutes les forces qui s’étaient associées à eux sont à la solde des militaires.

Et ce n’est pas parce qu’un président a été démocratiquement élu qu’il ne peut plus être révoqué.

Certes, sous prétexte de préservation de la stabilité, les démocraties parlementaires prévoient rarement des mécanismes de révocation des chefs d’Etat mais ceux-ci n’en sont pas moins une condition sine qua non de l’exercice démocratique.

Il faudrait rappeler ici que cette «majorité de la gauche» participait déjà aux manifestations contre Mohamed Morsi à un moment où les généraux lui juraient encore fidélité.

Elle s’était opposée, en décembre 2012, à son projet de Constitution qui, entre autres aspects contestables, soustrait le budget de l’establishment militaire au contrôle du Parlement (article 197).

Si elle a appelé à sortir dans la rue le 30 juin 2013, ce n’était pas pour couvrir politiquement des plans de l’armée (celle-ci n’en avait probablement pas de précis et attendait de mesurer l’ampleur de la contestation avant de déterminer son attitude).

Elle s’est associée aux manifestations parce que la politique des Frères musulmans avait aggravé les conditions de survie de millions d’Egyptiens et menaçait de déclencher une guerre civile confessionnelle.

L’armée a exploité le rejet des Frères musulmans pour revenir sur le devant de la scène (l’avait-elle jamais réellement quitté, avec ces députés et un président islamistes aussi indifférents à sa totale soustraction au contrôle parlementaire?)

La gauche militante ne pouvait, hélas, que constater ce retour de manivelle, lourd de dangers pour la démocratie et les libertés publiques, comme l’atteste la répression sanglante des sit-in des Frères musulmans.

Elle ne pouvait pas commanditer de coup d’Etat et encore moins s’y opposer.

Ce sont là ses limites: en deux ans et demi d’effervescence politique, elle a étoffé ses rangs mais n’a pas réussi à améliorer de façon substantielle son implantation ouvrière et populaire, unique levier pour empêcher les hold-up islamiste et militaire sur les mouvements de masse que connaît l’Egypte depuis le 25 janvier 2011.

L’Egypte de 2013 n’est pas le Chili de 1973

Pour Ahmed Henni «l’Etat profond», celui des moukhabarate, et des réseaux d’hommes d’affaires, a œuvré à bloquer l’action du président islamiste destitué. Ceci est vrai mais en partie seulement. Pas plus que les plans de libéralisation de l’économie, la répression des grèves ouvrières et la limitation des libertés publiques (le droit de manifester¸etc.) n’étaient pour déranger ces cercles influents.

Les généraux égyptiens sont des Pinochet en puissance mais Mohamed Morsi, qui ne voyait pas de mal à concéder au plus offrant la gestion de la zone du canal de Suez, n’est pas Salvador Allende qui, dès son élection en 1970, a nationalisé les banques et les mines de cuivre au grand dépit des Etats-Unis.

Il est surprenant que dans un article aussi sévère envers la gauche égyptienne, Mohamed Morsi ne nous soit présenté que comme un «président civil» et qu’il ne soit fait nulle mention de sa politique despotique et antisociale.

Ce «président élu» a tenté de s’attribuer des prérogatives de monarque absolu, notamment en interdisant toute contestation de ses décrets fût-ce devant la Cour constitutionnelle (la Déclaration constitutionnelle du 21 novembre 2012): c’était pour le moins choquant de la part du premier chef d’Etat élu de l’histoire de l’Egypte.

Avec un sens du timing peu commun, il promettait à des millions de démunis exsangues la douloureuse vérité des prix, sous prétexte de lutter contre la contrebande et le marché noir.

Au lieu de chercher de l’argent frais là où il se trouve, chez ces industriels au profit desquels des dizaines d’entreprises publiques avaient été privatisées, il a préféré tendre la main au FMI, dont les prêts avaient été «halalisés» pour la circonstance par des fetwas ad hoc.

Il avait beau être «légitime», il a échoué à réduire la force tentaculaire de la Sûreté d’Etat qui, pour toute réforme depuis la fin du régime de Moubarak, a été rebaptisée «Sûreté nationale»!

Et alors que dans les commissariats on continuait à torturer (349 cas de torture depuis son élection, dont certains se sont soldés par le décès des victimes), il appelait les Égyptiens à «améliorer leurs rapports avec la police» (sic! discours du 26 juin 2013).

Au niveau judicaire, son œuvre se résume à la nomination d’un procureur général qui a sévi contre ses opposants plus que contre les résidus de l’ancien régime, les fouloul.

Avec son accord, sa confrérie et ses alliés salafistes ont constitutionnalisé le statut d’«Etat dans l’Etat» qu’est celui de l’institution militaire.

Si au terme d’un an de gouvernement chaotique, il a été trahi par ceux-là mêmes dont il avait fait des alliés, lui seul doit en être tenu pour responsable.

S’il avait voulu mettre en œuvre un programme de justice sociale et de libéralisation politique, d’autres alliances étaient possibles, avec tous ceux qui espéraient que le «règne des craignant-Dieu» mette fin à des décennies d’oppression.

L’« Etat profond » est-il tout-puissant ?

Les militaires ont renversé Mohamed Morsi non pas parce qu’il leur avait déclaré la guerre mais parce qu’il s’était montré incapable d’être l’habile chef d’orchestre de la restauration de l’Etat moubarakien, et que pour ne pas mécontenter ses alliés islamistes, il s’était montré trop tolérant envers leurs franges radicales, dont certaines œuvraient, avec une inconscience criminelle, à plonger le pays dans une guerre religieuse.

Si elle était attisée et entretenue par les fouloul, la colère contre les Frères musulmans avait été allumée par leur politique antisociale et sectaire.

L’armée, le 30 juin 2013, a jeté des drapeaux aux manifestants mais il est peu probable que dans leur majorité ils aient été «rameutés» par ses officines secrètes.

Le penser c’est ignorer que l’Egypte manifestait en continu depuis le 25 janvier 2011, parfois contre… les militaires.

C’est surtout ne pas répondre à la question: si les services de renseignements égyptiens ont cette puissance de manipulation proverbiale, pourquoi avaient-ils échoué à empêcher la chute de Hosni Moubarak et à faire élire Ahmed Chafik?

L’affaiblissement des Frères musulmans était déjà réel avant l’élection de Mohamed Morsi.

En témoigne la division de leur réservoir électoral par deux entre les élections législatives de novembre 2011-janvier 2012 (10 millions de voix) et les présidentielles de juin 2012 (5 millions de voix au 1er tour). L’«Etat profond» n’a fait que l’instrumentaliser.

La pénurie de carburants (récurrente en Egypte depuis des années comme l’atteste le fait que l’aide des pays du Golfe à ce pays comprend 3 milliards de dollars de produits pétroliers) a été aggravée pour étendre la contestation aux classes populaires. Mais cela n’a été possible que parce que les islamistes étaient déjà rejetés par des millions d’Égyptiens qui, à peine débarrassés de Hosni Moubarak, voyaient en naître un autre, d’autant plus arrogant qu’il se croyait éternellement « légitime».

LETTRE ADRESSÉE PAR SADEK HADJERES À HENRI ALLEG LORS DE LA PRÉSENTATION DE SON LIVRE : « MÉMOIRE ALGÉRIENNE, SOUVENIRS DE LUTTES ET D’ESPÉRANCES »

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À L’OCCASION DE LA SORTIE DE L’OUVRAGE DE HENRI ALLEG

 » Mémoire algérienne, souvenirs de luttes et d’espérances »

Cher(e)s ami(e)s,

Henri Alleg vient de publier un ouvrage relatant son itinéraire algérien depuis le début des années quarante. Il sera présenté incessamment à la fête de l’Huma, au cours d’une réception à laquelle j’ai été invité. Dans l’impossibilité d’y assister, j’ai souhaité faire part de mes sentiments et de quelques opinions à l’auteur et à tous ceux de mes ami(e)s que l’événement ne laisse pas indifférents.

Sentiments et opinions fondées sur nombre d’épisodes au cours desquels nous avons appris à nous connaître et, chacun de son côté, à réfléchir au sens du combat mené par les communistes algériens et les communistes en général, avec sa grandeur et ses faiblesses. Nul doute que le récent ouvrage de Henri nous permettra d’enrichir et ajuster notre vision, au-delà des seuls faits que j’évoque ici en hommage et en respect à une vie de lutte exemplaire.

S.H.


Lettre adressée par Sadek HADJERES à l’auteur

Bien cher Henri,

Voilà ce que je t’aurais dit si j’avais été présent à la Fête de l’Huma pour la présentation de ton livre. D’abord que je suis impatient de te lire. Ensuite, je suis heureux que tu aies mené à bien la publication des mémoires consacrés à ton itinéraire algérien. Plus exactement à la partie de ta vie et des combats auxquels tu as contribué sur le sol algérien, en communion directe et vivante avec les femmes, les hommes et la jeunesse ardente de ce pays. Car même plus tard, les problèmes de l’Algérie que tu as découverte en y arrivant et l’amour de son peuple ne t’ont jamais quitté, lorsque les évolutions historiques ont mené vers une autre contrée l’internationaliste que tu as toujours été. Je suis heureux en particulier que l’évocation de ton itinéraire fasse mieux connaître le visage humain trop souvent méconnu de ton idéal et de ton engagement communistes.

Je suis persuadé par avance de la richesse du témoignage et des opinions que tu apporteras sur les tourments de l’Algérie coloniale, l’héroïsme populaire déployé pour l’arracher à sa condition humiliante et la contribution apportée par les communistes et leur parti à cette libération. C’est la dimension que tu souhaitais avant tout donner à ton ouvrage. Je ne m’aventure pas en prédisant que le résultat sera au moins à l’égal des témoignages que tu as apportés dans le passé à l’opinion internationale et aux Algériens eux mêmes, au prix d’un engagement souvent périlleux

J’ajouterai que dans sa simplicité et sa sincérité, ta rétrospective montrera non seulement ce que le combat algérien a apporté à la formation de ta personnalité, mais aussi ce que ta personnalité a apporté au combat national et anti-colonial, à son intensité et à son efficacité politique, à ses efforts d’ouverture vers les acquis et les horizons communs de l’humanité progressiste.

Je ne peux donc m’empêcher à cette occasion, dût ta modestie en souffrir, d’évoquer des épisodes et des traits de ton activité qui m’ont particulièrement touché à différents moments de notre vie militante. Par leur signification, ils méritent selon moi d’être mieux connus des jeunes générations et je crains que ta retenue habituelle quand il s’agit de toi-même risque de les en priver. C’est pour l’instant et en mon absence, ma contribution aux débats que suscitera directement ou indirectement la sortie de ton ouvrage.

Je me souviens en premier lieu, de mon contact avec tes préoccupations de formateur et d’éducateur.

De leur côté, les jeunes rédacteurs d’Alger républicain formés sur le tas en avaient tiré un grand profit. Le climat chaleureux et attentif que tu avais créé, tourné vers le concret et dénué d’attitude hautaine, avait compensé les conditions précaires de fonctionnement du journal et les inévitables contradictions et incidents de parcours.

Moi-même, nouvel adhérent du PCA au début des années 50, j’avais participé avec une quinzaine de jeunes à une école élémentaire de la région algéroise du Parti que tu avais dirigée dans les locaux d’architecte du regretté camarade Abderrahmane Bouchama. Jusque là, je te connaissais surtout par le pseudonyme sympathique et comme prédestiné q’on te donnait, celui de « Hamrito » (à la fois le rouquin et le Rouge). J’ai découvert à cette école ton souci d’expliquer et d’argumenter, ta volonté d’aller au plus précis, de coller au réel, loin des clichés apologétiques et du verbiage creux de l’endoctrinement étroitement partisan. Avec bien d’autres, j’étais venu depuis peu de la mouvance nationaliste du PPA, active et assoiffée de lutte mais où la réflexion et le débat politique et idéologique étaient plutôt tenus en suspicion ou même réprimés. Le changement m’aida beaucoup, il s’avéra précieux pour mes activités dans le mouvement de masse et pour mon ancrage idéologique et organique ultérieurs. A côté des camarades musulmans participants à cette école et qui tous honorèrent plus tard leur engagement dans la lutte sociale et patriotique, il y avait aussi Henri Maillot et Fernand Iveton. Je les avais rencontrés là pour la première fois, modestes et cordiaux ; je les trouvais parfois réservés et taciturnes mais je les sentais surtout avides de s’approprier les repères théoriques pour les confronter avec leur vécu social.

Le deuxième trait qu’au fil des années j’ai apprécié chez toi, Henri, a été le courage politique.

Je ne parle pas du courage physique et moral face aux colonialistes méprisants, sans pitié et sans scrupules envers nos compatriotes et les militants résolus. Cette forme de courage t’est reconnue largement, y compris par ceux qui ne partagent pas nécessairement tel ou tel de tes points de vue. Elle n’est certes pas donnée à tous. Néanmoins à tes yeux, elle allait de soi dès lors que, par haine de l’injustice et de l’oppression, par sensibilité et solidarité envers ses semblables, on a fait le choix d’en payer le prix.

Mais à côté de cette exigence du combat libérateur, il en existe une autre, que tu as bien illustrée. Je parle du courage politique, qui fait sa place à l’incontournable discipline et solidarité de combat, mais pousse en même temps le militant et le responsable à dire franchement son opinion et ses propositions à ses camarades, à ses compagnons de lutte ou à ses alliés. Il en fait état même quand il sait que, partant d’intentions constructives et d’une expérience avérée, elles courent le risque d’être insuffisantes ou erronées, minoritaires, incomprises, déformées, ou pire encore, l’objet de réactions et d’interprétations hostiles et malveillantes. Ce risque, tu l’a pris à quelques reprises.

Le choix du débat transparent et contradictoire entre militants d’un même parti ou avec des partis frères ou des alliés n’est pas chose facile. A l’opposé du suivisme timoré ou intéressé, il est moralement encore plus éprouvant que le courage déployé face à l’ennemi, aux adversaires ou rivaux politiques. Comme je vais l’indiquer, tu as été de ceux qui se sont efforcés en diverses circonstances d’en faire ta ligne de conduite, considérant qu’il s’agit autant d’intérêt collectif que de respect de soi-même.

Au début des années quarante, dans les rangs des Jeunesses Communistes, réagissant aux ambiguïtés paternalistes fréquentes chez les anti-colonialistes européens, tu as été attentif et sensible aux signaux provenant de la montée du sentiment et du mouvement national algérien. Tu as été un de ceux qui ont contribué au redressement de la conception erronée et unilatérale, inspirée par les mouvements communiste et socialiste français, selon laquelle l’aspiration à l’indépendance et sa revendication étaient au moment de la menace nazie et de l’immédiate après-guerre, contradictoires avec la participation à la lutte antifasciste mondiale et non pas une bonne voie pour imposer au colonialisme français des relations nouvelles, libres et mutuellement avantageuses de la nation algérienne avec la France.

Je me souviens aussi comment en août 1949, lors de la crise du PPA-MTLD, qualifiée à tort et de façon anachronique de «berbériste», tu avais, avec les camarades de la direction du PCA et du journal ; contribué à faire connaître la vérité en faisant publier par Alger républicain le démenti patriotique des militants contestataires du PPA. Le démenti de ces derniers répondait aux allégations provocatrices de la presse colonialiste, selon lesquelles ces militants avaient créé un PPK, parti de scission et de sécession kabyle. Le gros mensonge était aussi dangereux que fantaisiste et peu crédible pour l’opinion nationale dans le climat politique de l’époque. Il s’expliquait seulement par le fait que la presse colonialiste et les services français du 2ème Bureau prenaient leur désir pour des réalités, ils étaient heureux de porter un coup à un des secteurs les plus dynamiques et les plus politisés du PPA et de l’OS dont ils avaient, comme par hasard, arrêté les responsables du district de Kabylie recherchés depuis Mai 45. Ils faisaient le calcul, qui s’avéra malheureusement juste, que les dirigeants du MTLD garderaient sur le bluff de l’Echo d’Alger un silence équivoque, pour faire diversion aux exigences radicales montantes et demandes de compte de la base militante.

La décision clarificatrice de publier le démenti, que refusaient aussi bien l’Echo d’Alger que l’organe du MTLD, n’allait pas sans quelques problèmes avec les dirigeants nationalistes, du fait des grands efforts unitaires qu’Alger républicain déployait en leur direction. A la direction d’Alger républicain, comme à la direction du PCA, vous avez eu le mérite de comprendre que l’approche démocratique de la diversité culturelle arabo-berbère de l’Algérie était plus bénéfique à la cohésion nationale et à l’unité d’action des forces patriotiques que sa négation. Vous avez ainsi contribué à déjouer, auprès de secteurs sincères et conscients de l’opinion, les méfaits d’une conjonction au moins objective entre les colonialistes qui cherchaient à instrumenter cette diversité à des fins de division et les dirigeants nationalistes du moment qui aggravaient les méfiances et les tensions en niant ou réprimant.cette diversité. Ces méfaits, s’étendant à d’autres domaines de la vie politique, n’ont cessé dès lors de miner le MTLD qui vécut crise sur crise jusqu’à la veille du 1er novembre 54, crises qui furent transférées en plus grave au FLN de la période de guerre et ont amoindri son immense potentiel de mobilisation et d’espoirs démocratiques.

Je précise en passant que votre position clairvoyante dans ce domaine ( quand on connaît les suites au cours des décennies suivantes), s’ajoutant à des motivations sociales et théoriques, m’a rapproché comme nombre de militants syndicaux, d’étudiants et d’intellectuels, du Parti communiste auquel j’ai adhéré deux ans plus tard.

Après l’indépendance, tout en tenant en grande estime l’évolution cubaine vers le socialisme (dont tu étais un bon connaisseur), et tout en soutenant les mesures de progrès social du gouvernement Benbella et les déclarations d’intention socialistes du Congrès du FLN de 1964, tu estimais inadéquates et même dangereuses par certains côtés les formes par lesquelles le PCA exprimait son soutien à ces orientations proclamées. Elles risquaient en effet par leur caractère unilatéral public de cautionner les calculs des cercles qui en dehors et au sein du pouvoir (et chez Benbella lui même) visaient à mettre fin à l’existence politique et organique du PCA, qui en fait se poursuivait clandestinement. L’essor rapide de ce dernier dans les premiers mois qui ont suivi l’indépendance, constituait un obstacle aux visées antidémocratiques et claniques du pouvoir, camouflées sous couvert de spécificité de l’expérience algérienne et à l’ombre de relations amicales avec les pays du camp socialiste. Le coup d’Etat antidémocratique du 19 juin 65 a confirmé que le mouvement algérien vers le socialisme était loin de bénéficier de la base sociale, du conditionnement historique et de la maturité subjective qui ont fait l’originalité et le succès de la révolution cubaine.

À ce propos, tu as été des plus actifs après ce coup d’Etat dans les efforts de la direction du PCA et du PAGS auprès des dirigeants des pays socialistes et d’un certain nombre de partis communistes des pays capitalistes et du monde arabe, afin de les éclairer sur la nature du régime algérien. Il s’agissait, à contre-courant d’idées simplistes et de pressions multiples, de les persuader que les orientations effectives et les pratiques dominantes du nouveau pouvoir étaient en contradiction avec ses proclamations socialistes et démocratiques, même si certaines orientations anti-impérialistes et d’édification nationale d’une aile de ce pouvoir méritaient un soutien réel, vigoureux, mais vigilant et n’excluant pas une critique et une opposition actives. C’est le point de vue que j’avais exprimé dans ma lettre à Boumediène du 14 septembre 1968 (rendue intégralement publique quelques semaines plus tard).

Tu te souviens sans doute des réserves sérieuses que nous avions exprimées à la direction du PCUS, quant à l’attribution du titre de « Héros de l’Union Soviétique » à Ahmed Benbella. C’était l’initiative personnelle de Khrouchtchev, qui avait néanmoins exprimé publiquement sa solidarité avec le PCA interdit dès 1962. Tu dois te souvenir aussi comment nous avons exprimé à diverses reprises à nos camarades des pays socialistes (qui par ailleurs nous ont donné de nombreuses preuves de leur solidarité), un avis autonome à propos d’orientations et de méthodes qui concernaient soit le mouvement communiste en général (comme à propos de la façon dont Khrouchtchev a été remplacé à a tête du PCUS), soit la situation algérienne. Notre préoccupation était d’amener ces partis au pouvoir à mieux maîtriser le rapport entre les stratégies et raisons d’Etat justifiées et le rôle autonome que leurs partis dirigeants devaient naturellement jouer en solidarité avec les luttes de libération sociales et démocratiques des peuples du Tiers-Monde.

Tu as payé en particulier de ta personne, en compagnie de Larbi Bouhali et d’autres camarades de la délégation extérieure, durant la période difficile après le 19 juin 65. Il fallut en effet beaucoup de persévérance pour faire échouer les pressions exercées de divers côtés sur les grands partis communistes. Elles visaient sous l’inspiration des autorités algériennes issues du coup d’Etat, à isoler le PAGS présenté mensongèrement comme une organisation fantôme et aventuriste existant seulement à l’étranger.

Il te fallut aussi plus tard, à partir des années 70, beaucoup de fermeté et de savoir faire, lorsque tu auras rejoint le PCF et son quotidien l’Huma, pour résister aux pressions du parti FLN et de la direction du PCF qui se conjuguaient pour amener les communistes algériens à abandonner leur position de principe de parti indépendant luttant contre la répression de classe, pour la liberté d’expression et d’organisation en faveur des travailleurs et des couches déshéritées. Les autorités algériennes avaient en effet changé leur fusil d’épaule suite à l’échec de leurs campagnes de répression ouverte accusant les communistes algériens de subversion anti-nationale. Désormais, il leur paraissait plus efficace de les présenter comme des sectaires refusant de prendre en marche le train soi-disant socialiste du parti FLN et de s’y dissoudre. Il faut reconnaître que ces campagnes de séduction et de chantage ont trouvé quelque crédit auprès de la direction du PCF de l’époque, lorsque Georges Marchais en particulier en 1975 à Berlin, se félicitait de la construction du socialisme en Algérie sous la direction d’un parti non marxiste. Curieuse conception qui fustigeait avec virulence les «goulags de l’Est» vrais ou supposés; mais admettait et cautionnait ouvertement l’emprisonnement; la torture et les persécutions envers les militants syndicaux, associatifs et politiques qui se battaient pour des orientations démocratiques et socialistes C’était une rupture avec la solidarité de principe et de fait dont avait fait preuve le PCF envers les aspirations des couches populaires et laborieuses algériennes durant la guerre et les premières années de l’indépendance. Sur cette période sombre; le PCF jette aujourd’hui me semble-t-il, un regard rétrospectif critique et conforme à ses meilleures traditions anticolonialistes; se doublant d’un effort réel pour «l’approche concrète des réalités concrètes».

Je sais, Henri, combien tu as bataillé contre les nuisances multiples de ces errements. Elles ont pourtant duré une quinzaine d’années pendant lesquelles le PCF avait coupé unilatéralement toute relation avec le PAGS, depuis 1973 jusqu’à la répression sanglante des remous populaires d’octobre 88 qui ont commencé à ouvrir les yeux des plus aveugles.

Enfreignant, durant toute cette période, les consignes absurdes d’appareils bureaucratiques coupés des réalités, tu tenais à chacun de tes voyages en Algérie à rencontrer ouvertement ceux des camarades algériens vivant légalement et à rendre visite aux familles des camarades victimes de la répression ou contraints à la clandestinité. Cela t’a valu encore plus de respect, non seulement des travailleurs, des progressistes et des militants socialistes, mais aussi des autorités algériennes habituées aux courbettes d’invités ou de délégués étrangers timorés ou cédant aux apparats et « gracieusetés » officielles.

À l’occasion d’un de ces voyages, tu n’as pas hésité à prendre le risque politique de me rencontrer clandestinement pour m’interviewer à propos de l’action des «Combattants de la Libération» dont j’avais été un des responsables durant la guerre d’indépendance et au sujet des accords avec le FLN-ALN conclus au printemps 1956, après des discussions menées du côté PCA par Bachir Hadj Ali et moi-même. Tu préparais à ce moment des matériaux pour l’Histoire de la Guerre d’Algérie en trois tomes.

Cet épisode lié à l’ouvrage collectif réalisé sous ta direction, m’inspire avec le recul du temps deux réflexions.

J’apprécie aujourd’hui d’autant plus la rencontre que nous avions eue alors, car vingt cinq ans plus tard et alors que je vis légalement depuis une quinzaine d’années, nombre d’historiens croient possible d’émettre en passant des commentaires et jugements sur le mouvement communiste algérien, sans avoir pris la peine d’entretiens documentés à la source et éventuellement contradictoires avec moi ou d’autres acteurs et dirigeants centraux des décennies écoulées.

Un autre fait montre à quel point parfois des commentateurs et publicistes, se croient libérés de leur normale et habituelle exigence de rigueur dès lors qu’il s’agit du mouvement communiste. Lorsque parurent les trois tomes de « la Guerre d’Algérie », certains commentaires en France se sont dispensés d’une analyse de contenu, aussi sévère soit-elle, qui aurait ouvert un débat bénéfique entre les différents points de vue favorables à la lutte du peuple algérien pour son indépendance. Certains de ces commentaires se sont contentés d’avancer que l’ouvrage serait une commande du PCF, raison suffisante à leurs yeux pour le traiter par le dédain et les allusions malveillantes.

Dommage que l’analyse et le débat productif aient dans ces milieux cédé le pas au procès d’intention et à la polémique stérile. Car à cette époque, la guerre d’Algérie était encore dans l’opinion française un tabou très fort, il appelait les anticolonialistes à coopérer pour le balayer par les multiples éclairages possibles, hors de tout esprit de pensée unique. Quand bien même l’ouvrage aurait répondu à une « commande » du PCF, en quoi était-ce une raison d’éluder une approche argumentée et une critique concrète, aussi objective que possible, des informations et opinions rapportées dans l’ouvrage?

Plus désolant et piquant à la fois, le procès d’intention était lui même sans fondement. Si les a priori idéologiques avaient été refrénés par la prudence professionnelle, les commentateurs auraient appris que non seulement le PCF n’était pas le commanditaire de l’ouvrage, mais que l’initiative avait été contrecarrée de diverses façons par certains de ses appareils bureaucratiques en charge des questions algériennes. Il s’en fallut de peu qu’elle soit étouffée, sans ta persévérance, Henri, et la coopération de tous ceux, communistes et non communistes, qui ont contribué à finaliser et à publier vos efforts. Il reste que des débats utiles, non biaisés par les passions, ont été retardés entre artisans de travaux d’histoire et de mémoire soucieux de briser les chapes officielles de silence, d’occultations et de déformations des deux côtés de la Mediterranée.

Pas besoin de te dire, Henri, que les secteurs d’opinion intéressés par les faits et par la confrontation des opinions, restent froids aux querelles de chapelles ou s’en méfient. Pour eux, les trois tomes parus à une époque déjà ancienne restent parmi les bonnes références, ne serait ce que par l’ampleur des matériaux présentés. Ils contribueront, comme l’ouvrage que tu viens d’achever, à alimenter les travaux et débats objectifs qui ont manqué jusqu’ici pour ce qui concerne en particulier le mouvement communiste au cours du dernier demi-siècle.

De la même façon, les milliers de militants français ou algériens qui dans les années 70 et 80 s’interrogeaient sur les raisons inexplicables de l’absence d’un stand communiste algérien à la fête de l’Huma (absence que certains dirigeants du PCF n’hésitaient pas à travestir comme si elle avait été voulue par notre parti) te seront reconnaissants de ton internationalisme prouvé en actes.

Cher Henri,

Il y a certaines choses que je tiens à te dire en cette période de grands remous mondiaux,

parce que j’ai en mémoire le climat de reflux et de défaitisme qui a démarré il y a une quinzaine d’années; quand la «chute du mur de Berlin» devait ouvrir, selon d’arrogantes prévisions, une ère de paix, de liberté et de prospérité. Défaite historique il est vrai, au même titre que nombre de celles qui se sont succédées durant des siècles depuis celles de Spartacus, de la révolte des Zendj, de l’expérience des Qaramita, des guerres paysannes d’Allemagne, jusqu’à la Commune de Paris. Mais ce grand revers n’a anéanti ni la pensée ni l’action communistes, ni surtout ce qui en est la source profonde, le besoin et le mouvement social des exploités en faveur de la liberté, de la justice et de l’égalité. Fondements indéracinables, qui aident à comprendre et pas seulement espérer, que les puissants changements planétaires amenés par la Grande révolution soviétique d’octobre 1917, la Longue Marche chinoise des années trente et l’écrasement du fascisme mondial ne sont que les nouveaux jalons qui ont semé plus que des graines vivaces des changements futurs. Leurs leçons, en ce qui concerne notamment les modalités d’exercice du pouvoir d’Etat ; éclairent les nouvelles et diverses formes à venir du mouvement irrépressible des sociétés humaines.

Le reflux de ces quinze dernières années (rien à l’échelle du temps historique) avait fait dire imprudemment à des « philosophes » que c‘était désormais « la fin de l’Histoire ». Il a amené aussi d’anciens membres du PAGS à jurer leurs grands dieux dans un moment de panique et de manigances politiciennes qu’ils n’avaient jamais rien eu à voir avec le communisme. A une échelle plus large, les mille et un moyens de la haute finance mondiale et de ses complexes militaro-industriels ont travaillé à forger et répandre le « politiquement correct » consistant à prendre en dérision toute vision de l’avenir qui ne dansait pas aux trompettes d’une belle modernité façonnée par le grand «Marché mondial».

Comme s’il était interdit à une cause juste ancrée au plus profond des aspirations humaines, de tirer des leçons pour tracer dans l’action de nouvelles voies qui tiennent compte à la fois des débats sur les leçons du passé et de l’examen de réalités nouvelles ou jusque là méconnues.

L’expérience de chacun, selon son poste d’observation ou d’action, apporte aux autres sa part d‘enseignements. Quelle part nous en livres-tu, Henri?

S’il m’était possible de résumer en un seul (ou principal) enseignement ton itinéraire militant et humain, ce serait celui que m’a inspiré le film «Un rêve algérien» . Il est la clef du respect et de la considération que te portent les Algériens non obnubilés par les idéologies rétrogrades ou petites bourgeoises et qui te considèrent comme l’un des leurs, quelle que soit leur opinion sur telle ou telle de tes prises de position. Ils ne se posent pas la question de ton arbre généalogique parce que l’expérience séculaire ou quotidienne leur a appris une chose simple : la fraternité prouvée dans les actes est souvent plus forte et plus fiable que celle fondée sur les liens du sang. Je ne t’apprends rien en te disant que l’ostracisme émane plus souvent des milieux conditionnés par les enjeux et ambitions de pouvoir que des couches engagées consciemment dans les combats sociaux et démocratiques.

Il était pour cette raison regrettable que les organisateurs des invitations au Congrès du PAGS de décembre 1990, et plus encore certains de ceux qui ont été tes proches compagnons dans le parcours professionnel, se soient laissés aller (ou ont laissé faire) à t’étiqueter comme « étranger », t’excluant par là même de la liste des invités nationaux, seuls admis à ce congrès ! Tu avais pourtant aussi officiellement la nationalité algérienne ; acquise par ta participation directe au combat libérateur .

Faux pas désolant et, j’en conviens, difficile politiquement et humainement à avaler. Au-delà des calculs de coulisses et des pressions occultes, il reflète, me semble-t-il, une défaillance de fond, qui s’est exprimée de différentes façons, dans la conjoncture opaque du début des années 90. Le fait est à contre-courant de ce qui avait été jusque là dans les adversités successives la boussole, la force et la fierté du mouvement communiste en Algérie et dans le monde : déceler les intérêts en cause et les vraies lignes de clivage sous le dessous des passions exacerbées.

Qu’est ce qui est décisif quoique moins spectaculaire, qui rassemble, unit et mobilise le plus durablement dans la voie des libertés, de la justice sociale et de la démocratie réelle? Ce ne sont pas, aussi compréhensibles soient-ils ; les réflexes identitaires de peur ou d’agressivité, les appartenances, les affinités, les états d’âme, les replis, fascinations ou répulsions liées à la langue, à la religion, à la culture, aux coutumes, aux penchants idéologiques et politiques etc.. Ces pulsions ne sont pas à confondre avec les liens et sentiments de solidarité inspirés par une communauté d’aspirations culturelles et morales légitimes et démocratiques. Elles en sont une caricature, une déformation dangereuse. Elles servent de fond de commerce que les uns portent aux nues tandis que leurs adversaires les utilisent comme épouvantail pour les diaboliser. Séduisantes et souvent efficaces sur le court terme, les incitations sur le terrain exclusivement identitaire ou idéologique conduisent presque à coup sûr à des impasses souvent tragiques du fait qu’elles cachent les vrais enjeux socio-politiques, les solutions de fond correspondantes et surtout les motivations les plus fiables qui rapprochent et rassemblent par delà les différences, à savoir les intérêts concrets communs, depuis les plus terre à terre et quotidiens jusqu’aux plus généraux et à long terme.

Mais comme le confirme l’actualité, les objectifs sociaux et démocratiques légitimes, tant sacrifiés et maltraités par les appétits hégémoniques et par les rivalités de pouvoir des exploiteurs et des couches parasitaires, finissent par rebondir face à la réalité des mécanismes d’exploitation et d’oppression.

Les illusions et les mirages entretenus sur l’efficacité et les «valeurs» supposées de la modernité libérale s’effritent les unes après les autres à la lumière des réalités; même si les prises de conscience se font encore souvent sous des formes dévoyées. Les objectifs concrets et potentiellement rassembleurs guident les mobilisations tournées vers la libération sociale et démocratique sur des bases et des voies renouvelées. En Algérie, en France et dans le monde, la montée d’un mouvement social et démocratique plus conscient est réelle, avec ses reculs et ses avancées, ses obstacles et ses facteurs favorables, face aux nouvelles formes de l’impérialisme mondialisé.

Comme au temps où le colonialisme croyait s’imposer à nous comme l’horizon indépassable, les combats actuels sont prometteurs, pour peu que les enseignements, ceux que tu tires de tes luttes passées et d’autres encore, contribuent aux grands débats mobilisateurs et rassembleurs.

Le contexte mondial actuel a plus que jamais besoin de personnalités, de forces militantes, de courants et de combats communs trans-nationaux, trans-continentaux et transcendant les cultures et les civilisations. Les temps mûrissent pour aller plus hardiment encore au devant du besoin grandissant de passerelles entre les différents groupes humains dont les aspirations convergent vers la liberté et le bonheur. Ta vie et tes combats sont de ceux qui font surgir ces passerelles indispensables. L’action des jeunes générations en tirera certainement profit.Je ne crois pas me tromper en retrouvant ces raisons d’espérer quand j’aurai le plaisir de lire ton ouvrage.
La parution d’un ouvrage n’est pas le point final à une vie de lutte qui se poursuit. Surtout quand ce jalon appelle et suscite déjà de nouvelles mobilisations, de nouvelles solidarités. Il encouragera les jeunes générations à prendre la relève

Bon succès à ton livre et aux débats qu’il suscitera


LE MOIS DE RAMADAN ET SON LOT DE PROBLÈMES

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mardi 16 juillet 2013

par raina

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http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=T1sOcZYBPME

Belhadj ouvrier docker nous parle sur la situation et les difficultés de la majorité de nos concitoyens à joindre les deux bouts pendant le mois de Ramadhan.

Il ne manque pas de souligner aussi que cette situation est la conséquence de l’absence, dans notre pays, d’une politique de développement centrée sur le travail productif et la justice sociale.

ÉTAT DES LIEUX DE L’EGYPTE EN CRISE

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À LA «GAUCHE» DE L’AUTORITARISME

par M.Saadoune

Le Quotidien d’Oran

le 17 juillet 2013

La gauche a-t-elle un avenir dans le monde arabe ?

Poser la question, c’est déjà apporter un élément de réponse.

Après une certaine présence dans les années 60 et 70, la gauche, hormis une existence groupusculaire, ne pèse plus sur les jeux politiques. Hormis en tant qu’appendice et alibi pour les pouvoirs en place avec lesquels elle entretient des rapports d’une grande ambiguïté.

Au cours de ces deux dernières décennies et jusqu’à présent, les batailles politiques ont été largement menées par les courants nationalistes -souvent faire-valoir de régimes autoritaires- et des islamistes.

La gauche, ou ce qu’il en reste, n’a plus qu’une présence marginale. Sa voix est amplifiée lors des moments délicats où l’alternance est en jeu et où les urnes donnent des résultats «indésirables».

L’opposition radicale aux islamistes -tous classés dans une seule case sans la moindre nuance- qui émane de ces courants n’est pas purement idéologique. La gauche a des divergences avec les ultralibéraux qui ne tournent jamais à une vision guerrière.

On peut observer actuellement en Egypte que la gauche accepte de s’allier avec l’affairisme le plus véreux du régime Moubarak -qui n’a jamais disparu- par opposition aux islamistes. On aura même entendu des gens de gauche afficher leur mépris pour la population qui ne sait pas «voter». Vieille et terrible rengaine droitière!

Et au fond, au-delà des divergences idéologiques et politiques réelles, ce que la gauche ne supporte pas chez les islamistes est qu’ils sont plus écoutés par les classes populaires dont elle se sent, par une sorte de prédestination divine!, la seule apte à représenter. La seule apte à défendre y compris contre elles!

En Algérie comme ailleurs, les premières élections ouvertes ont été un terrible choc pour les gens de gauche. La «distance» entre eux et les classes populaires était abyssale.

Et même si intellectuellement, ils pensent -et souvent à juste titre- que l’islamisme n’est pas une réponse aux attentes de ces damnés des indépendances, ils n’en tirent aucune réflexion sur eux-mêmes, sur leur pratique. Sur le fait que les classes populaires choisissent légitimement ceux qui les côtoient dans leur vie quotidienne et non ceux qui, de loin, théorisent sur des sujets abstraits.

Il y a bien entendu une crise des vocations militantes, une incapacité à sortir d’un entre soi et de ses codes.

Il y a, plus gravement, un renoncement à un combat sur le terrain politique qui rend les élites de la gauche plus enclines à défendre les systèmes autoritaires que les processus démocratiques.

Il est pénible de constater la gauche arabe, dont la littérature pourfend avec abondance les régimes autoritaires, s’installer durablement dans le rejet de la démocratie au nom du rejet de l’islamisme, voire du «diktat de la populace».

Que l’islamisme ne soit pas une alternative de gouvernement est un fait.

Mais que des militants de gauche y trouvent un motif pour justifier que l’on rallonge la vie des systèmes autoritaires est le signe d’une impasse.

Ou l’expression d’un «statut de classe».

La gauche arabe ne serait-elle en définitive qu’un élément du décor du système autoritaire… qu’elle défend avec acharnement contre les urnes libres?