« QUAND UNE NATION S’ÉVEILLE » DE SADEK HADJERÈS: UN REGARD CRITIQUE ET GÉNÉREUX

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par Saïd Djaafer

Huffington post Maghreb Algérie

« Quand une nation s’éveille » de Sadek Hadjerès(*) est un livre à traduire, toute affaire cessante, en langue arabe. Le faire lire par le plus grand nombre possible d’Algériens est une œuvre de salubrité mentale dans le contexte actuel marqué par l’immobilisme, le désarroi et une tendance à dénigrer le combat des algériens en partant des vicissitudes du présent.

Ou, plus platement, par une terrible ignorance de cette histoire qui devient, paradoxalement, « l’argument » pour asséner des jugements péremptoires et même essentialistes – pour ne pas dire plus – sur les algériens et leur histoire.

Ce livre n’est pourtant pas une hagiographie populiste, c’est un livre très critique qui met constamment en exergue l’attitude positive des classes populaires attentives à ceux qui ont de l’instruction et qui dirigent le mouvement national et les comportements, étriqués, autoritaires et souvent populistes, de ces derniers.

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Écrit par un acteur et témoin, un lutteur au long cours, ce livre couvre une période de l’histoire – 1928-1949 – où le combat multiforme des algériens s’affirme et où l’horizon de la lutte armée se profile dans un contexte de marasme général et de division au sein des appareils politiques du mouvement national. Et où, déjà, les questions aujourd’hui – place de l’Islam, statut de la langue arabe, de la langue Amazigh…- se posent en termes de démocratie.

La force de ce livre est qu’il est à la fois un témoignage et un essai, une analyse.
Sadek Hadjerès, avec le recul critique, n’hésite pas à se saisir d’une question posée à cette période pour se livrer à une lecture du présent.
Cela donne un livre où l’histoire se déroule en son temps – et l’expression une “nation qui s’éveille” n’a rien d’une formule creuse – avec une analyse qui déborde sur ses aboutissements actuels.

Les Algériens n’ont pas à avoir honte de leur histoire

Les Algériens n’ont pas à avoir honte de leur histoire, ils doivent au contraire la connaître et la comprendre pour parvenir à vaincre des blocages qui se sont profilés bien avant le déclenchement de la guerre de libération et qui perdurent jusqu’à ce jour.

Connaître et comprendre pour enfin avancer.

On comprend à la lecture de ce livre passionnant d’un homme qui a fait un parcours “presque” classique (scout, militant dans le mouvement étudiant, militant au sein du PPA avant de rejoindre le Parti Communiste…) pourquoi ce lutteur au long cours n’a pas été, dans les années 90, un “éradicateur”.
On comprend pourquoi il ne pouvait rien avoir de commun avec ces terribles “théoriciens” du FAM (Front de l’Algérie Moderne) qui radotaient sur l’Algérie avec ses “deux peuples”, l’un “intégriste” et l’autre “moderne” et dont les relents, plus ou moins édulcorés, continuent d’être présents…

Il ne pouvait l’être car – et le livre le montre avec force – il sait d’où il vient. Il sait d’où les Algériens reviennent, il connaît ce début de renaissance d’une nation après plus d’un siècle d’écrasement et de clochardisation colonialiste.

Il fait partie de ces Algériens, peu nombreux, qui ont étudié et ont, de manière qui leur est parue naturelle, considéré que le savoir qu’ils ont acquis, fut-il modeste, doit être mis au service de la liberté et de la justice.

Hadjerès évoque avec chaleur, Mohamed Hadj Sadok, qu’il a eu comme professeur d’arabe en 1941 au collège de Blida et qui a permis à toute une génération d’aimer et de respecter cette langue.

“Mon premier cours avec lui au collège de Blida en 1941, constitua pour moi une surprise complète, pour ne pas dire un réveil brutal…
… Nous-nous sommes sentis réintégrés dans un monde qui nous était jusque-là caché. Nous nous le réapproprions, avec une fierté dont nous étions sevrés par l’indigence de l’enseignement arabe colonial”.

Cet homme, regrette Sadek Hadjerès, a été mis en marge à l’indépendance alors qu’il était “l’un des hommes qui étaient capables de former en un court laps de temps des dizaines de formateurs nationaux aptes à prendre la relève. Sans aller chercher à l’extérieur..”.

Hadjerès raconte toute une partie de son parcours qui s’est déroulé à Larb’a, dans la Mitidja, et qui sera plus tard le théâtre des pires violences durant la décennie 90. Il raconte un moment très spécial d’un défilé inaugural le 11 novembre 1943 des Scouts Musulmans Algériens (SMA) qui s’est déroulé, pourtant dans le cadre de la commémoration “embarrassante” de l’anniversaire de l’armistice de la première guerre mondiale.

Le moment de Larb’a

La description de la manière dont fut accueilli ce défilé par les colonisés est d’une très grande force, elle raconte un “moment” où l’histoire a déjà tranché même s’il faudra encore un long et sanglant combat pour que cela soit admis.

“En un instant, les trottoirs furent noirs d’une foule frappée d’un silence étrange, tout yeux et tout oreilles vers une aspiration à laquelle chacun se retrouvait sans se reconnaître ni y croire tout à fait. Rêve ou réalité ? C’était bien leurs enfants, leurs voisins, leurs connaissances qui passaient devant eux, mais regroupés et transfigurés en un mouvement d’ensemble inattendu, qui leur donnait un sens nouveau : car ce qui frappait, c’était ce groupe compact qui donnait une image d’ordre et de discipline loin de stéréotypes de “pagaïe arabe” qui nous étaient généralement associés…”.

Cette nation qui s’éveille dans la douleur, la difficulté, une formidable disponibilité de la société mais aussi une logique d’exclusion dans les appareils politiques du mouvement national qui ne s’explique pas seulement par la répression coloniale, trouve dans ce livre une traduction respectueuse.

Le livre de Sadek Hadjerès raconte et explique une période importante de l’histoire du mouvement national avec l’intelligence aiguisée que donne l’empathie et le respect des femmes et des hommes, humbles et héroïques à la fois, ce “peuple” que d’aucuns méprisent encore et le créditent d’une incapacité congénitale alors qu’il a une histoire. Une grande histoire. C’est cela le message actuel : il n’y a pas de fatalité, il y a des combats à mener.

(*) Sadek Hadjerès: Quand une nation s’éveille – Mémoires- Tome 1 – 1928-1948 – Essai annoté et postface par Malika Rahal – Inas Edition


4 MARS – MARSEILLE – CONFÉRENCE DÉBAT: ALGÉRIE – TROIS DÉCENNIES DE RESTRUCTURATION ONT PROVOQUÉ L’IMPASSE. QUELLE ALTERNATIVE POSSIBLE?

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ALGERIE :
Trois décennies de restructuration libérale ont provoqué l’impasse.
Quelle alternative possible?

Conférence publique de

ABDELATIF REBAH, économiste

MERCREDI 4 MARS 2015 A 18H
AU LOCAL DE MILLE BABORDS
61, rue Consolat 13001 Marseille

.

Du fait de la hausse durable des prix des hydrocarbures, l’Algérie n’a pas cessé d’engranger des milliards de dollars durant ces quinze dernières années.

Au lieu de saisir cette aisance financière pour relancer un développement national au bénéfice des larges couches populaires, Le pouvoir algérien s’est enfermé dans le dogme des restructurations libérales qui lui sont dictées par les institutions financières internationales (FMI, Banque Mondiale, …) menant ainsi le pays dans l’impasse.

Les algériennes et les algériens n’ont donc connu que chômage et répression, après avoir subi les affres d’une décennie faite de larmes et de sang du fait du terrorisme durant les années 1990. Il n’y a jamais eu autant de candidats au suicide et à la harga pour fuir un quotidien sans lendemain.

Comment expliquer un tel gâchis?

Existe-t-il une autre alternative possible dans un contexte international marqué par le retour de guerres coloniales et de guerres pour le pétrole et le gaz ?

Pour débattre de toutes ces questions, la MOUBADARA – France, en collaboration avec la librairie Transit vous convie à une rencontre – débat avec :

ABDELATIF REBAH,
Economiste, chercheur
et ancien cadre du secteur de l’énergie
Cela se passera le
MERCREDI 4 MARS 2015 A 18H
Au LOCAL DE MILLE BABORDS
61, rue Consolat 13001 Marseille

Abdellatif Rebah vous dédicacera son dernier ouvrage :
Economie algérienne, le développement national contrarié
(Inas – Editions, Alger 2012)


Vous voulez vous informer sur l’actualité algérienne ?
Ecoutez l’émission : Algérie, lutter pour espérer
Tous les vendredis de 19h à 20h sur
Radio Galère 88.4 Mhz (www.radiogalere.org)

1er AVRIL 1999 – ROGER HANIN: JE ME DOIS À L’ALGÉRIE

Roger Hanin, empli de fierté et de douleur pour l’Algérie, solidaire et fidèle jusqu’à son dernier souffle à son pays natal, comme le furent Henri Maillot, Pierre Chaulet, Myriam Ben et tant d’autres, unis à leurs compatriotes dans l’amour charnel et moral de leur patrie,

Je me dois à l’Algérie

Roger Hanin

Jeudi, 1 Avril, 1999
L’Humanité
Par Roger Hanin. Acteur

Paris. Il fait nuit. Je suis dans mon bureau. Je pense à l’Algérie. Comme elle me paraît loin. J’ai peur de ne plus pouvoir la retrouver en pensée. Je ne veux forcer ni mon cour ni ma mémoire. Où en suis-je de l’Algérie ? J’écoute cette phrase et j’entends :  » Où en suis-je de ma vie ?  » Même sensation. L’Algérie, comme ma vie, m’a laissé bonheurs, souffrances, frayeurs. Et pourtant, dans le silence de mon bureau, j’ai l’impression, ce soir, que je ne la connais plus et que je n’ai ni droit ni qualité pour en parler. Et si je me taisais tout simplement ? Ah, bien sûr ! Ce serait plus conforme à l’élégance intellectuelle, et l’intelligentsia trouverait cette esquive correcte. Mais, décidément ce soir, je ne suis pas correct !… Je n’ai jamais été correct. Ni intellectuellement correct, ni politiquement correct, ni « algériennement » correct.

J’ai honte de cet affaissement que je ressens pour mon pays. Mon pays… J’ai dit  » mon pays « … Chaque fois que j’évoque l’Algérie, c’est vrai, je dis  » mon pays « . Est-il donc si loin cet Éden blanc de soleil, parfumé d’eucalyptus et de jasmin, orange et rouge et jaune de ses fruits, ses fleurs… Je ne me rappelle donc que cela ?… D’où vient que se télescopent l’horreur, l’OAS, les crimes, les offenses, la haine, le sang, l’exode ? Tout se mélange. Et pourtant, résiste en moi une petite pousse de refus qui s’entête. Je ne peux pas me contenter d’un constat. Même brouillé.

L’Algérie n’aurait donc plus de visage ? Difficile d’admettre l’adieu et de tirer sa révérence. Musique fade sur fond de « Vous ne me devez rien, je ne vous dois rien ». L’Algérie ne me doit rien, mais moi je dois à l’Algérie. Je dois d’y être né, d’un père d’Aïn-Beida, d’un grand-père et de toute une lignée venue de la basse Casbah. Je dois à l’Algérie d’avoir vécu de soleil, d’avoir été nourri de son amour pudique et braillard, excessif et profond, ensemencé des cris de la rue, où j’ai appris la vie, la lutte, la fraternité…

Et voilà que chaque jour, lorsque j’ouvre un journal, je lis :  » Des Algériens ont assassiné lundi quarante Algériens dans le massif de l’Ouarsenis. « Mardi : « Des Algériens ont égorgé à Médéa trente femmes algériennes, dix enfants algériens. » Mercredi : « Des Algériens ont torturé des vieillards algériens, coupés en morceaux des bébés algériens. » Jeudi… J’arrête l’horreur.

Et ces crimes seraient commis au nom de Dieu ?

Je ne crois pas que Dieu veuille ce sang. Le Coran n’a jamais imaginé des scènes aussi déshonorantes, des sacrifices aussi écœurants. Je ne suis pas musulman. J’en arrive à le regretter car aujourd’hui je pourrais parler plus haut, plus fort. Je suis juif et je dois une gratitude éternelle à l’Algérie d’avoir gardé sur sa terre et dans sa chair, des centaines de milliers de Juifs pendant des siècles et des siècles jusqu’à l’arrivée des Français, qui ont trouvé en envahissant le pays une communauté israélite intacte, heureuse et différente.

C’est cela l’Algérie… C’est cela l’islam : le respect, la tolérance, l’amour…

En dehors des analyses intelligentes et généreuses, il faut agir! Aujourd’hui. Il y a urgence! Chaque heure qui passe sonne notre lâcheté. Les chefs religieux de l’islam doivent parler sans craindre de porter l’anathème. Les chefs politiques doivent se déclarer en état de guerre civile car c’est bien de cela qu’il s’agit : il y a en Algérie des hommes et des femmes qui veulent vivre d’une certaine manière et il y a en face d’eux, d’autres hommes et d’autres femmes qui veulent vivre d’une autre manière.

Je forme des vœux pour que le prochain président de la République d’Algérie parvienne à faire vivre ensemble tous les Algériens dans leur patrie, qu’ils ont gagnée dans le courage et la dignité, dans le sang et les larmes, mais où ils ne veulent plus vivre dans les larmes et le sang.

Il ne faut plus que l’Algérie éloigne d’elle, par la terreur qu’elle inspire, ceux qui voudraient lui dire leur amour et leur fidélité. Il faut rendre, de nouveau, l’Algérie fréquentable, en y allant ; prouver que l’Algérie n’est pas un pays de chaos, mais une terre noble qui ne refuse pas la fraternité et appelle le courage partagé.

Je viendrai bientôt.

— 
http://www.humanite.fr/node/204697

1946-1956:ALGÉRIANISATION ET RADICALISATION : LES ÉTUDIANTS COMMUNISTES DE L’UNIVERSITÉ D’ALGER

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article de
Pierre-Jean Le Foll-Luciani
Cahier d’histoire – Revue d’histoire critique

126 | 2015 : Rebelles à l’ordre colonial
p. 97-117

…/… extraits
pour accéder au texte complet, aller sur le lien:
http://chrhc.revues.org/4156

Résumé

En s’intéressant aux trajectoires des étudiants communistes d’Alger entre 1946 et 1956, cet article vise à appréhender à hauteur d’individu les questionnements habituellement liés au Parti communiste algérien, tout en insistant sur les configurations propres à l’université et au militantisme étudiant.

L’université d’Alger, espace important de lutte politique, fut en effet au tournant des années 1940 et 1950 l’un des lieux où les communistes furent le plus pris au sérieux par les nationalistes algériens, ce qui entraîna des relations spécifiques allant de la rivalité entre partis à la quasi-fusion clandestine au service de la lutte armée au début de la guerre d’indépendance.

La vie de ce groupe témoigne donc tant de l’«algérianisation» du PCA que de trajectoires de radicalisation dont la dissidence s’exerce parfois tout autant à l’égard de l’ordre colonial que des chemins tracés par les structures partisanes.

Plan

  • L’université d’Alger, miroir grossissant de la société coloniale
  • Le recrutement des étudiants communistes, témoin de l’« algérianisation » du PCA
  • Faire front ? Étudiants communistes et nationalistes de 1946 à 1955
  • La nation algérienne des étudiants communistes. Théorie et pratiques
  • Une entrée commune en guerre. Les réseaux PCA‑FLN à l’université en 1955-1956
  • Radicalisation. Le réseau des bombes de la Zone autonome d’Alger
  • Conclusion : de 1956 à 1965, la portée d’une expérience

Texte intégral (extraits)

Les études consacrées au Parti communiste algérien (PCA), fondé en 1936 après avoir été durant seize ans une organisation locale du Parti communiste français (PCF), tournent généralement autour de quatre grands questionnements : ses rapports avec le « parti frère » français ; son implantation au sein de la population colonisée et les questions posées par la présence en son sein de « colonisés » et de « colonisateurs » ; ses relations avec les mouvements nationalistes et, singulièrement, son rapport à la question nationale et au mot d’ordre d’indépendance ; enfin, son rapport à la lutte armée et à l’insurrection lancée par le Front de libération nationale (FLN) en 1954. Du fait de cette focalisation sur la ligne politique et sur les rapports au sommet entre PCF, PCA et nationalistes – qui laisse d’ailleurs de côté la question du rôle de l’URSS –, peu de travaux ont interrogé les fondements individuels de l’engagement communiste en Algérie coloniale, ainsi que les interactions à la base entre militants communistes – notamment entre militants de différentes origines – et entre communistes et nationalistes. Toutefois, les travaux biographiques se sont multipliés ces dernières années, dans le sillage des ouvrages de Jean-Luc Einaudi, Andrée Dore-Audibert et Djamila Amrane – s’intéressant essentiellement à des communistes « européens » d’Algérie – et autour de dictionnaires biographiques alimentés par plusieurs récits mémoriels [[Jean-Luc Einaudi, Pour l’exemple. L’affaire Fernand Iveton. Enquête, Paris, L’Harmattan, 1986, Un Algérien. Maurice Laban, Paris, Le Cherche midi, 1999, Un rêve algérien. Histoire de Lisette Vincent, une femme d’Algérie, Paris, PUF, 2001 (1994) ; Djamila-Danièle Amrane-Minne, Des femmes dans la guerre d’Algérie, Paris, Karthala, 1994 ; Andrée Dore-Audibert, Des Françaises d’Algérie dans la guerre de libération, Paris, Karthala, 1995 ; René Gallissot (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier : Maghreb. Algérie : engagements sociaux et question nationale. De la colonisation à l’indépendance, de 1830 à 1962, Paris, Éditions de l’Atelier/Éditions ouvrières, 2006.]].

Dans ce cadre, analyser les trajectoires et les actions des étudiants communistes de l’université d’Alger – organisés en plusieurs cellules entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la guerre d’indépendance – présente plusieurs intérêts. Il s’agit en effet d’un groupe circonscrit d’une soixantaine d’individus, dont une vingtaine ont laissé des récits mémoriels ou ont pu être interrogés directement, et dont l’essentiel des activités peut être suivi à travers la presse et les archives des services de renseignement et de répression[[Je m’appuie sur des dossiers des archives de la justice militaire (AJM), des Archives nationales d’outre-mer (ANOM) et des archives de la préfecture de police de Paris (APP). Les récits mémoriels ont été recueillis et traités dans le cadre de mon travail de thèse : Pierre-Jean Le Foll-Luciani, Les juifs algériens anticolonialistes. Étude biographique (entre-deux-guerres-1965), thèse, université de Rennes 2, 2013.]]. La vie de ce groupe et de ses militants permet ainsi d’appréhender à hauteur d’individu les questionnements habituellement liés au PCA, tout en insistant sur les configurations propres à l’université et au militantisme étudiant. L’université d’Alger, espace important de lutte politique, fut en effet l’un des lieux où les communistes furent le plus pris au sérieux par les nationalistes, ce qui entraîna des relations spécifiques allant de la rivalité entre partis à la quasi-fusion clandestine au service de la lutte armée au début de la guerre d’indépendance. On s’intéressera donc ici à des trajectoires de radicalisation, dont la dissidence s’exerce parfois tout autant à l’égard de l’ordre colonial que des chemins tracés par les structures partisanes.

L’université d’Alger, miroir grossissant de la société coloniale

Censé répondre prioritairement aux besoins de l’administration en auxiliaires autochtones tout en veillant à ne pas favoriser l’émergence d’intellectuels «déracinés» qui risqueraient de se retourner contre les autorités, le système scolaire de l’Algérie coloniale est marqué par une sélectivité très grande, a fortiori dans l’enseignement supérieur : dans l’après-guerre, alors que les colonisés représentent plus de 90 % de la population, les étudiants musulmans représentent moins de 10 % des inscrits à l’université d’Alger. Ce fait est accentué par les départs de nombreux étudiants musulmans vers Paris et d’autres villes françaises dont «l’atmosphère», pour reprendre les termes d’un gouverneur général d’Algérie, leur semble, «non sans quelque raison, plus libérale et plus accueillante que celle de l’Algérie (où des préjugés racistes subsistent dans de larges couches des diverses populations)»[[ANOM fonds ministériel 81 F 1032 : courrier du gouverneur général Edmond Naegelen au ministre de l’Intérieur, 26 février 1951. Sur 4 000 à 5 000 étudiants inscrits à Alger en 1945-1946, 360 sont musulmans, et ils ne sont plus que 227 l’année suivante. Il faut attendre 1949-1950 pour retrouver environ 300 inscrits. Les chiffres augmentent ensuite et atteignent environ 600-700 en 1954-1956, avant de retomber à 267 fin 1956, conséquence de la désertion de l’université sur mot d’ordre du FLN. À partir de 1957, les chiffres augmentent à nouveau pour atteindre plus d’un millier à la fin de la guerre. Cf. Guy Pervillé, Les étudiants algériens de l’université française 1880-1962, Paris, CNRS, 1984, p. 30.]]. Jusqu’à l’indépendance, l’université d’Alger n’est donc en rien représentative, numériquement, de la société algérienne, mais elle est un symptôme particulièrement caricatural de la situation coloniale, et un miroir grossissant de ses rapports de domination et de ses conflictualités.

Au début des années 1950, les autorités françaises considèrent les étudiants colonisés comme les «cadres locaux de l’Algérie de demain»[[Courrier d’Edmond Naegelen, déjà cité.]], et estiment que leur accueil dans les facultés et les cités universitaires doit permettre de créer un «foyer d’union entre les différents éléments ethniques» afin de «former des élites qui auront appris à s’estimer en vivant en communauté», car «le sort de l’Algérie» dépend de leur «collaboration»[[ANOM Préfecture de Constantine 93 4511 : « Les étudiants musulmans algériens inscrits à l’université d’Alger », étude du Service de liaison nord-africaine (SLNA) (mai 1952).]]. Elles doivent toutefois admettre que ce projet d’«union» se heurte à de sérieux obstacles. Divers observateurs – y compris au sein des services de renseignement – notent en effet l’existence d’une atmosphère «tendue» et même d’une «mésentente totale» entre étudiants colonisés et étudiants français d’Algérie à l’université[[APP H A 14 (4542) : « Note sur les étudiants musulmans » envoyée par le préfet de police de Paris au ministre de l’Intérieur et au gouverneur général, 21 juillet 1952.]]. De fait, des amitiés solides entre étudiants «européens» et «musulmans» ne peuvent pratiquement se construire que sur une base anticolonialiste, et les points de rencontre entre les uns et les autres sont rares. L’université est en effet dominée par des professeurs et des étudiants européens qui défendent le régime colonial, parfois avec virulence, notamment au sein de leur organe représentatif, l’Association générale des étudiants algériens (AGEA). De leur côté, les étudiants musulmans, qui disposent depuis 1919 d’une association représentative spécifique de plus en plus dominée par les nationalistes, l’Association des étudiants musulmans d’Afrique du Nord (AEMAN), refusent le projet «intégrationniste» sélectif des autorités et sont majoritairement membres ou sympathisants des organisations anticolonialistes, pour lesquelles ils constituent une cible privilégiée en tant qu’intellectuels et cadres potentiels de la future Algérie souveraine.

Plus encore que la poignée de professeurs métropolitains et d’étudiants européens qui, à l’image d’André Mandouze ou de Pierre Chaulet, se revendiquent «chrétiens progressistes» et nouent des liens avec des étudiants nationalistes algériens, les étudiants communistes, qui regroupent au sein même de leur organisation des étudiants musulmans et non musulmans sur des bases anticolonialistes, constituent dans ce cadre un groupe particulièrement original. L’évolution de la composition et des activités politiques de leurs cellules est également symptomatique des mutations du mouvement national algérien dans l’après-guerre.

Le recrutement des étudiants communistes, témoin de l’«algérianisation» du PCA

Entre 1945 et 1952 se constituent progressivement trois cellules d’étudiants communistes à l’université d’Alger. En tout, une soixantaine d’étudiants nés entre 1921 et 1933 y militent jusqu’à la dissolution du PCA en septembre 1955. L’évolution du recrutement de ces cellules dit bien l’évolution du PCA et l’attraction croissante qu’il exerce chez certains colonisés, qui tendent à devenir majoritaires au sein du parti à la veille de la guerre d’indépendance. Jusqu’en 1950 n’existe en effet qu’une cellule, dont le nom, Paul-Langevin, témoigne de l’ancrage français de ceux qui l’ont créée, et au sein de laquelle les étudiants non musulmans sont largement majoritaires : deux listes publiées en 1947 ne font apparaître que 4 « musulmans » sur 47 étudiants communistes ou sympathisants[[Alger Estudiantin. Bulletin intérieur de l’AGEA, février-mars 1947 et liste des adhérents du Comité des intellectuels pour la démocratie et la liberté (ANOM Préfecture d’Alger 91 3 F 60, décembre 1947).]]. De plus, parmi ces quelques étudiants socialement perçus comme « musulmans » se trouvent deux hommes issus de familles kabyles converties au christianisme et/ou faites citoyennes françaises, et une femme de religion catholique issue d’un mariage dit mixte entre un Kabyle et une Corse. Signe supplémentaire du décalage entre la composition de la cellule et les réalités sociologiques de l’Algérie coloniale, les juifs algériens, qui ne représentent pas plus de 10 % des inscrits à l’université, sont largement surreprésentés par rapport aux Européens parmi les « Français » de la cellule, au point de constituer plus de la moitié des adhérents en 1947, et encore la moitié en 1954. Cette surreprésentation des militants juifs – également décelable au sein de l’Union de la jeunesse démocratique algérienne (organisation à direction communiste créée en 1946) et du groupe de langue des étudiants algériens de Paris – permet de nuancer l’ancrage « français » de la cellule Langevin : dès 1946, plusieurs de ces jeunes juifs, qui ont parfois rejoint le PCA clandestin sous Vichy alors qu’ils étaient discriminés et privés de la citoyenneté française, se revendiquent « Algériens » au sens national du terme[[Cf. William Sportisse, Le Camp des oliviers. Parcours d’un communiste algérien. Entretiens avec Pierre-Jean Le Foll-Luciani, Rennes, PUR, 2012, p. 126-128 ; Pierre-Jean Le Foll-Luciani, « Des étudiants juifs algériens dans le mouvement national algérien à Paris (1948-1962) », dans Frédéric Abécassis, Karima Dirèche, Rita Aouad (dir.), La bienvenue et l’adieu. Migrants juifs et musulmans au Maghreb, xve-xxe siècles. Volume 2 : Ruptures et recompositions, Paris, Karthala et Casablanca, La Croisée des chemins, 2012, p. 67-93 (en ligne : http://cjb.revues.org/167 – bodyftn18 ).]]. In fine, la cellule Langevin est majoritairement composée de jeunes hommes et femmes qui connaissent une expérience de minoritaires – voire une expérience de minoritaires parmi les minoritaires – dans laquelle s’ancre fort probablement en partie leur dissidence politique.

Le recrutement d’étudiants musulmans plus nombreux et aux profils sociologiques plus variés correspond au moment de l’adhésion de Sadek Hadjerès. Étudiant en médecine et militant du parti nationaliste dominant, le PPA-MTLD[[Créé en 1937 par Messali Hadj, le Parti du peuple algérien (PPA) domine rapidement le mouvement anticolonialiste algérien. Interdit durant la Seconde Guerre mondiale, il est reconstitué légalement après les massacres du Nord-Constantinois (mai 1945) sous le nom de Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD).]], Sadek Hadjerès est membre du bureau de l’AEMAN depuis 1947. Au sein de cette organisation, il plaide pour développer des relations avec les étudiants communistes dont certains, à l’image d’Ahmed Akkache et Hamid Gherab, animent parfois des réunions et des conférences devant des militants nationalistes[[ANOM Alger 91 3 F 60 : note de la police des renseignements généraux (PRG), 18 janvier 1950.]]. Prenant appui sur ces relations interindividuelles, le PCA, qui pâtit parmi les nationalistes d’une réputation de parti «français», profite de la crise dite «berbériste» qui désorganise les étudiants nationalistes en 1949[[En 1948-1949, des militants (surtout kabyles) du PPA-MTLD entreprennent de lancer un débat dont le cœur est pour nombre d’entre eux une critique du fonctionnement « antidémocratique » du parti et de son absence de programme pour l’Algérie indépendante. Opposés à la définition d’une nation algérienne arabe et musulmane, ils avancent en outre l’idée d’une «Algérie algérienne» aux fondements arabo-berbères. Ces contestations sont étouffées par la direction du parti qui, se focalisant sur l’un de leurs aspects, accuse leurs meneurs de «régionalisme» et de «berbérisme».]]. En 1950-1951, quelques étudiants du PPA stigmatisés comme « berbéristes » rejoignent en effet le PCA, dont les mots d’ordre se radicalisent et dont la conception de la nation tend à attirer certains nationalistes qui refusent l’idée d’une nation algérienne exclusivement arabe et musulmane. Sadek Hadjerès adhère ainsi début 1951 et, à la suite d’une cérémonie de remise des cartes ponctuée d’un discours en arabe, impulse la création d’une nouvelle cellule d’étudiants, dénommée Fahd en l’honneur d’un communiste irakien assassiné par le régime de Fayçal. Basée dans le foyer d’étudiants musulmans de la Robertsau – inauguré en 1948 et dont les services de renseignement affirment qu’il est « noyauté » par le PCA[[Étude du SLNA (mai 1952), déjà citée.]] –, cette cellule est composée d’une quinzaine d’étudiants, tous musulmans, qui agissent conjointement avec la cellule Langevin et une troisième cellule, Avicenne, créée quelque temps plus tard. Au même moment, L’Étudiant communiste devient le journal de l’ensemble des cellules et change significativement de titre en devenant L’Étudiant algérien. L’adhésion de ces jeunes intellectuels musulmans, parfois venus directement du nationalisme, concomitante d’un changement de ligne au sein du PCA, permet aux étudiants communistes de rivaliser avec les nationalistes, mais aussi de nouer des liens avec eux sur la base de ce que les uns et les autres nomment le «patriotisme algérien».

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«L’Étudiant communiste, 1950. Journal de la cellule Langevin (ANOM).»

Faire front ? Étudiants communistes et nationalistes de 1946 à 1955

Après s’être fortement opposé au nationalisme en allant jusqu’à accuser le PPA d’être coresponsable des massacres du Nord-Constantinois en mai 1945, le PCA affirme depuis l’été 1946 être un « parti national » plaidant pour la « libération nationale » et l’unité du mouvement national algérien. Tout comme le parti de Ferhat Abbas, l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA), le PCA n’envisage toutefois pas dans un premier temps une rupture étatique avec la France et revendique la création d’un gouvernement algérien au sein de l’Union française. Cependant, en 1951-1952 surtout, alors que l’expression « patrie algérienne » se banalise dans son vocabulaire et que la référence à l’Union française disparaît dans les textes du Comité central, le PCA revendique sans équivoque l’indépendance nationale de l’Algérie [[Cf. Liberté des 16 et 30 novembre 1950, 12 juillet et 2 août 1951, 21 et 28 février 1952.]]. À la différence du PPA-MTLD, les dirigeants communistes se contentent toutefois de demander l’élection d’un parlement algérien pour négocier les relations avec la France, et n’envisagent pas concrètement le déclenchement d’actions pouvant conduire à une indépendance immédiate, et qui prendraient presque nécessairement une forme violente, étant donné les blocages structurels des institutions françaises.

Alors que, dans certaines sections, la radicalisation progressive des mots d’ordre du PCA éloigne des militants – surtout non musulmans – du parti, les jeunes militants des cellules d’étudiants et de l’UJDA ont devancé cette radicalité dans leurs propres publications depuis 1946. Il est difficile de distinguer ce qui témoigne, d’une part, de débordements de ligne symptomatiques de la « radicalité inventive»[[Omar Carlier, «Mouvements de jeunesse, passage des générations et créativité sociale : la radicalité inventive algérienne des années 1940-1950», dans Nicolas Bancel, Daniel Denis, Youssef Fates (dir.), De l’Indochine à l’Algérie. La jeunesse en mouvements des deux côtés du miroir colonial. 1940-1962, Paris, La Découverte, 2003, p. 163-175.]] des mouvements de jeunesse dans l’après-guerre, et ce qui relève, d’autre part, d’un partage des tâches assumé entre organisations communistes. Il est en effet fréquent de confier les actions et mots d’ordre les plus audacieux aux jeunes, tant à l’échelle de chaque parti qu’à l’échelle de l’organisation communiste internationale, comme en témoigne la radicalité anticolonialiste des deux organisations de jeunesse satellitaires de l’URSS, la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique (FMJD) et l’Union internationale des étudiants (UIE)[[Cf. leurs périodiques en français : Étudiants du monde (UIE, 1953) et Jeunesse du monde (FMJD, 1947-1949).]]. Toutefois, des témoignages font état d’accrochages avec les échelons supérieurs du parti du fait de cette radicalité. Albert Smadja, dirigeant des étudiants communistes en 1950-1953, se souvient ainsi s’être fait « engueuler » par le Comité central pour avoir signé un tract commun avec des étudiants nationalistes réclamant l’indépendance de l’Algérie[[Entretien avec Albert Smadja, 9 décembre 2008.]]. À l’inverse, lors du sixième congrès du PCA en février 1952, Sadek Hadjerès « apporte le salut des étudiants communistes qui, à l’avant-garde de tous les étudiants, portent le drapeau du Parti de l’indépendance, première étape vers le socialisme », ce que reproduit sans sourciller l’hebdomadaire du PCA[[Liberté du 28 février 1952.]]. En fait, à la différence de la direction du PCA, dont les mots d’ordre évoluent en fonction de réflexions stratégiques dont les ressorts échappent à nombre de militants de base, les étudiants maintiennent constamment un ton radical. Ce ton, qui peut ponctuellement déplaire à la direction, contribue a contrario à permettre des échanges poussés avec certains nationalistes.

Bien que centrée essentiellement sur la question coloniale, une partie de l’activité politique et syndicale des étudiants communistes se déroule en milieu européen, où elle se heurte à l’hostilité de l’AGEA. Toutefois, les communistes peuvent parfois tirer profit des structures de l’AGEA et établir des rapports cordiaux avec certains de ses membres. La composition de l’AGEA dépend en effet des élections étudiantes, et il arrive à des communistes de s’y faire élire – notamment à la faculté de médecine, à l’image de Meyer Timsit et Jeanine Belkhodja en 1948-1949[[ Alger Estudiantin, novembre-décembre 1948 et janvier 1950.]] – ou d’y agir de manière camouflée. En 1949, Paul Moatti et Paul Bouaziz dirigent ainsi clandestinement la rédaction de deux numéros du journal de l’AGEA – alors pris en main par une communiste cachée, Annie Steiner – et y introduisent des articles antiracistes et faisant une place à une société musulmane habituellement ignorée du journal[[ Alger Estudiantin, janvier et février 1948 ; entretien avec Paul Bouaziz, 25 mai 2012.]]. Cependant, si certaines manifestations des étudiants communistes semblent accueillir un public de sympathisants assez nombreux[[250 étudiants auraient assisté à la cérémonie de remise des cartes et 100 au thé de fin d’année en 1950, et 150 à la cérémonie de remise des cartes de 1952 (Liberté des 12 janvier 1950, 6 juillet 1950 et 31 janvier 1952).]], leur focalisation sur l’anticolonialisme rend leur discours peu audible parmi les étudiants non musulmans, et c’est surtout en direction des musulmans qu’ils déploient leurs activités.

L’objectif du PCA est en effet de construire un front, voire une organisation unitaire d’étudiants avec les nationalistes, qui permettrait d’intégrer solidement les communistes au mouvement national et d’orienter les nationalistes dans le sens des mots d’ordre défendus par le PCA et, plus largement, par le camp soviétique et l’UIE. De fait, l’AEMAN adhère à l’UIE et participe à son congrès de Prague en août 1950 à travers une délégation unitaire au sein de laquelle les étudiants Jean Timsit (PCA), Sadek Hadjerès (AEMAN), Rabah Kerbouche (UDMA) et Nour Eddine Rebah (UJDA) apparaissent comme les représentants d’une nation indépendante. Cette connexion d’organisations du mouvement national à l’orbite soviétique ne va pas de soi pour tous les nationalistes – dont certains restent farouchement anticommunistes –, mais elle contribue à forger des liens solides entre militants. On observe ainsi une fluidité relative dans les rapports entre nationalistes et communistes, et certains étudiants, à l’image de Boualem Oussedik, naviguent avant 1954 entre les deux tendances sans adhérer directement à aucune. Ces liens se développent également dans divers lieux de sociabilité – les foyers d’étudiants musulmans de la place de la Lyre puis de la Robertsau, les restaurants nationalistes – et, pour les communistes musulmans, au sein de l’AEMAN. Les étudiants communistes s’inscrivent ainsi pleinement dans le jeu politique du mouvement national : entre 1949 et 1955, le bureau de l’AEMAN est dirigé par des coalitions à géométrie variable entre PPA-MTLD, PCA, UDMA et oulémas, et des communistes y jouent parfois un rôle moteur. En 1954-1955, ces relations s’approfondissent autour du projet d’une nouvelle organisation étudiante spécifiquement algérienne. Toutefois, à l’encontre du souhait des communistes et d’une minorité de nationalistes de voir se constituer une organisation ouverte aux non-musulmans, ce projet débouche en juillet 1955 sur la création de l’Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA), qui se met rapidement au service du FLN.

La nation algérienne des étudiants communistes. Théorie et pratiques

Depuis le discours de Maurice Thorez en 1939 – expurgé après 1946 de son vocabulaire assimilationniste –, le PCA défend l’idée d’une « nation algérienne en formation ». Après 1946, cette formule signifie, pour les militants qui l’apprennent, que l’Algérie constitue une collectivité distincte de la France mais qu’elle ne sera une nation « formée » qu’une fois accomplie la « fusion » entre les différents éléments « ethniques » de la population de l’Algérie coloniale, dont le PCA affirme qu’ils ont des intérêts communs. Ces idées, qui semblent occulter la réalité des relations entre colonisateurs et colonisés, ne précisent pas ce que signifie « fusionner » et n’indiquent pas si la « formation » de la nation doit être un préalable à l’indépendance, entraînent des accrochages avec les nationalistes du PPA-MTLD. Toutefois, en milieu étudiant, les communistes algériens semblent n’employer la formule que très rarement, a fortiori après les recrutements de 1951 : deux de leurs dirigeants successifs, Sadek Hadjerès et Yahia Henine, co-auteurs en 1949 de la brochure L’Algérie libre vivra – dans laquelle ils développaient, en tant que militants du PPA-MTLD, une conception de la nation algérienne prenant en compte la dimension berbère –, affirment en effet clairement depuis plusieurs années que la nation algérienne existe, et qu’elle est composée des colonisés auxquels peuvent se joindre ceux des Français d’Algérie qui se veulent Algériens[[Sadek Hadjerès, « 1954 n’est pas 1830 ! », Liberté du 17 juin 1954 ; Idir El Watani, L’Algérie libre vivra, brochure de 1949 reproduite dans Sou’al n° 6, avril 1987, p. 129-194.]].

Mais que signifie concrètement être « algérien » pour un communiste non musulman ? La question se pose particulièrement en milieu étudiant, dans un contexte organisationnel où la différenciation entre musulmans et non-musulmans est importante – la cellule Fahd étant exclusivement composée de musulmans, et les étudiants communistes musulmans étant les seuls à pouvoir participer aux activités de l’AEMAN puis de l’UGEMA. Cependant, en pratique, les étudiants des différentes cellules communistes militent ensemble et, surtout, construisent des sociabilités communes, ce qui est pour beaucoup une véritable révolution dans leur quotidien. Plusieurs anciens membres non musulmans des cellules étudiantes insistent ainsi sur le paradoxe qui veut que c’est en entrant à l’université d’Alger, où les musulmans sont pourtant très minoritaires, qu’ils découvrent ce qu’Albert Smadja nomme « l’autre Algérie»[[Entretien avec Albert Smadja, 9 décembre 2008.]], c’est-à-dire l’Algérie colonisée. De même, c’est au sein du PCA que plusieurs étudiants musulmans fréquentent pour la première fois des non-musulmans sur des bases amicales et politiques, et ce bouleversement concerne aussi les rapports entre juifs et Européens : des étudiants comme Jacques Azoulay ou André Akoun, habitués jusqu’au lycée à la fréquentation exclusive de juifs, se lient d’amitié pour la première fois avec des non-juifs au sein de leurs cellules. Sans être nécessairement déterminant, cet élément joue à n’en pas douter dans les engagements et leur consolidation : en pratique, le PCA est l’un des seuls lieux d’Algérie où les frontières raciales de la société coloniale sont transgressées.

Ces transgressions ne se jouent pas seulement à l’intérieur des cellules, mais aussi dans l’espace public. Ainsi, Jean Timsit, étudiant en médecine qui a grandi dans une famille juive en lisière de la Casbah d’Alger, entre pour la première fois dans ce quartier – jusqu’ici hors de sa portée du fait d’un interdit implicite – pour y vendre le journal du PCA. De même, Claude Sixou, étudiant en mathématiques né dans une famille juive de Tiaret, obtient à sa demande une chambre dans le foyer des étudiants musulmans de la Robertsau et devient un habitué de lieux de sociabilité nationalistes et musulmans de la Casbah, dans lesquels l’introduit son aîné Yahia Henine. À l’image de son camarade Daniel Timsit, Claude Sixou se considère alors sans complexe comme un « patriote algérien », et il écrit par exemple en 1953 un poème intitulé « Les enfants de mon Algérie », dans lequel il célèbre la résistance des enfants de la Casbah face à la répression policière[[Liberté du 23 juillet 1953 ; entretien avec Claude Sixou, 12 février 2007.]]. Ces bouleversements atteignent aussi la sphère amoureuse : Sadek Hadjerès se souvient que des étudiants musulmans plus ou moins sympathisants se rendaient volontiers aux manifestations des étudiants communistes, pour des raisons politiques mais aussi « parce que c’était la seule possibilité qu’ils avaient de danser avec des filles […], ce qu’ils ne pouvaient pas faire dans les bals de l’AG des étudiants européens, racistes»[[Entretien avec Sadek Hadjerès, 10 décembre 2010.]]. De fait, en plus de plusieurs couples judéo-européens, des amours extracommunautaires naissent dans le militantisme étudiant entre jeunes hommes musulmans et jeunes femmes non musulmanes, alors qu’elles demeurent très rares dans la société[[Certaines relations amoureuses entre musulmans et non musulmans sont toutefois désapprouvées par des membres de la direction du PCA, qui craignent semble-t-il qu’elles ne servent d’argument aux nationalistes pour attaquer les communistes]].

Ainsi, l’idée d’une nation algérienne non-exclusive est d’autant plus défendue par les étudiants communistes qu’elle « fonctionne » au sein de leur organisation, sans doute plus que dans d’autres secteurs du PCA, au sein desquels des tensions apparaissent à la veille de la guerre : dans ce noyau d’étudiants aux origines diverses mais façonnés par le même système scolaire et universitaire, les militants n’ont pas de mal à s’identifier les uns aux autres. Le sentiment d’appartenance au groupe politique, qui se présente lui-même comme une préfiguration de la nation indépendante, peut ainsi ouvrir, y compris chez les militants non musulmans, sur un sentiment d’appartenance à la nation algérienne telle qu’ils la définissent. L’affirmation de ces étudiants selon laquelle ils sont des « patriotes » se trouve, quoi qu’il en soit, mise à l’épreuve en novembre 1954 par le déclenchement de l’insurrection.

Une entrée commune en guerre. Les réseaux PCA‑FLN à l’université en 1955-1956

Avant novembre 1954, il n’y a pas au sein du PCA de préparation à la lutte armée, et il existe sans nul doute une impréparation à la clandestinité elle-même. Toutefois, la lutte armée est une question discutée en privé, et un horizon accepté par nombre de militants, notamment parmi les plus jeunes. Claude Sixou insiste ainsi sur ses discussions en 1953-1954 avec Yahia Henine, partisan déterminé de la lutte armée et co-auteur à l’été 1954 d’un reportage exaltant l’action des maquisards tunisiens [[ Liberté des 1er et 8 juillet 1954 ; entretien avec Claude Sixou, 12 février 2007.]]. Les communistes, étudiants ou non, n’en sont pas moins pris de court par les actions armées de novembre, de même d’ailleurs que la grande majorité des militants du mouvement national, qui cherchent à s’informer sur la composition et les intentions du FLN avant d’adopter une position face au Front et face à l’insurrection.

Tout comme celles de l’UDMA et du MTLD, les premières déclarations du PCA après le 1er novembre condamnent le « colonialisme » et la répression, mais ne contiennent ni soutien ni appel à l’insurrection. Certains textes du PCA se font rapidement plus offensifs : le Comité central du 14 novembre affirme que les actions des maquis des Aurès sont liées aux « masses » et qu’il « ne s’agit pas d’une provocation, ni d’un complot colonialiste, mais d’un mouvement algérien » [[Liberté du 18 novembre 1954.]]. Toutefois, la direction du PCA reprend fin 1954-début 1955 des mises en garde contre les « actes individuels » formulées par le PCF dans sa déclaration du 8 novembre 1954 – actes que le PCA distingue cependant d’autres actions armées des insurgés qu’il juge positives[[Liberté du 13 janvier 1955.]]. Une fois que des certitudes sont acquises sur la composition du FLN, l’objectif de ceux qui, à la base ou à la direction du PCA, souhaitent rejoindre ou soutenir la lutte armée, est d’entrer en contact avec le Front. Certains militants gagnent ainsi directement l’Armée de libération nationale (ALN) dans les premiers mois, avec ou sans l’accord de la direction du PCA. De son côté, face à la non-acceptation de communistes dans certains maquis et afin de donner des gages de « patriotisme » au FLN, la direction du PCA tente à partir du premier semestre 1955 de constituer ses propres groupes armés, les Combattants de la libération (CDL). Lors du Comité central clandestin du 20 juin 1955 est prise collectivement la décision de participer à la lutte armée, et après l’interdiction du PCA et des pourparlers clandestins, le FLN accepte en juin 1956 que les CDL et les communistes qui désirent participer à la lutte armée s’intègrent à l’ALN, se placent sous la direction du FLN et coupent tout lien avec le PCA. Ceux des communistes qui restent en-dehors de la lutte armée peuvent quant à eux maintenir l’activité politique autonome du PCA clandestin – là où les autres partis anticolonialistes se dissolvent dans le FLN –, tout en soutenant le FLN-ALN.

Daniel Timsit, à la tête des étudiants communistes en novembre 1954, dit s’être rendu à la direction du PCA après le 9 novembre afin de recevoir des directives et de discuter de la première déclaration du PCF qui, loin de répondre à leur enthousiasme face à la perspective d’une lutte finale, a scandalisé les étudiants[[ Daniel Timsit l’Algérien, film de Nasredine Guenifi (2010).]]. Dès le 10 novembre, la police affirme d’ailleurs que des jeunes communistes, surtout musulmans et parmi lesquels se trouvent « des Kabyles » anciennement membres du PPA-MTLD, ont « manifesté à la direction du PCA [leur] désir de participer à la lutte armée»[[ANOM gouvernement général d’Algérie (GGA) 10 CAB 2 : note de renseignement, Alger, 10 novembre 1954.]]. Le même jour, lors d’une réunion de militants à Blida, l’étudiant en médecine Georges Counillon aurait demandé à Boualem Khalfa ce qu’il en était d’une participation du PCA à l’insurrection, ce à quoi Khalfa aurait répondu que les dirigeants des Aurès semblaient être passés au maquis et que l’ensemble du PCA devrait leur emboîter le pas[[ANOM GGA 10 CAB 2 : note de la PRG de Blida, 12 novembre 1954.]]. Même si ces rapports restent sujets à caution, cette conversation a très probablement eu lieu : interne de Frantz Fanon, Georges Counillon rejoindra un maquis des Aurès quelques mois plus tard et y mourra assassiné en tant que communiste par des membres de l’ALN.

À l’université, les activités anticolonialistes liées à l’insurrection se font dans un premier temps à visage découvert, et elles impliquent immédiatement les communistes qui, jusqu’à l’été 1955, se mobilisent en commun avec les étudiants nationalistes contre la répression judiciaire et militaire[[ Liberté du 24 février 1955.]]. En mars, un étudiant algérien de Paris transféré à la prison civile de Tizi-Ouzou reçoit ainsi la solidarité d’une délégation de six étudiants algérois composée de deux communistes (Daniel Timsit et Georges Smadja), d’un Européen « libéral », et de trois membres de l’AEMAN, dont le frère du dirigeant du FLN Larbi Ben M’Hidi, qui sont tous appréhendés par la police[[ANOM Alger 91 3 F 61 : rapport de la police de Tizi-Ouzou, 17 mars 1955.]]. La question des modalités d’action change à la rentrée universitaire d’octobre 1955 : le PCA a été dissous le 12 septembre, et Daniel Timsit réorganise un réseau clandestin de 22 étudiants cloisonné par groupes de trois et regroupant « 11 musulmans et 11 non-musulmans»[[ Daniel Timsit l’Algérien, déjà cité.]]. Leur activité comprend un volet légal, qui couvre un volet clandestin comportant des actions politiques (propagande), logistiques (soutien aux organisations clandestines du PCA et du FLN) et armées (passage au maquis et fabrication de bombes). Cette activité, qui se déploie jusqu’à la grève des étudiants à l’appel du FLN en mai 1956, est à bien des égards originale du fait des liens qu’elle a impliqués à la base entre communistes et nationalistes, plusieurs mois avant l’accord conclu entre FLN et PCA.

L’activité légale est menée à titre individuel et à visage découvert. Elle consiste à se mobiliser contre la répression, à participer aux premières grèves lancées par l’UGEMA, et à soutenir la nouvelle direction de l’AGEA qui, élue en décembre 1955 et auteure d’une motion contre la répression, se voit contrainte de démissionner sous la pression d’étudiants et de professeurs « ultras » partisans de l’Algérie française. L’activité clandestine est plus difficile à saisir, d’autant plus qu’elle échappe largement à la surveillance policière. D’après les saisies, les communistes diffusent plusieurs tracts et cinq numéros de L’Étudiant algérien à partir de novembre 1955. Proche de celle de la direction du PCA, leur propagande vise avant tout à exalter les « combats glorieux des montagnes des Aurès », et appelle à combiner toutes les formes d’action afin d’être « dignes de [leurs] frères de combat dans les maquis»[[ L’Étudiant algérien n° 2 (décembre 1955). Plusieurs numéros de ce bulletin clandestin sont conservés aux AJM, dans le dossier d’instruction de l’affaire dite des « bombes » ou des « docteurs », 1956-1957 (désormais « AJM Timsit »).]].

Jusqu’ici absent de l’université d’Alger, le FLN s’y organise à travers l’UGEMA au même moment que le PCA clandestin. Or, indépendamment de tout contact entre les directions du PCA et du FLN, des étudiants du PCA et du FLN participent immédiatement à des actions clandestines communes. D’après Daniel et Gabriel Timsit, tous deux étudiants en médecine, un réseau mêlant communistes et nationalistes «socialisants» se forme fin 1955, « sans directives, sans dogmatisme»[[Entretien avec Gabriel Timsit, 20 décembre 2006.]] au point d’aboutir, fait exceptionnel, à la création d’un réseau FLN au sein duquel l’organisation communiste conserve son existence autonome. Sans que les frontières soient toujours bien nettes, l’activité de ce réseau se fait au profit du PCA et du FLN et fait circuler des planques, des chauffeurs, des armes et du matériel clandestin entre les deux organisations. D’après Daniel Timsit, le dirigeant de l’UGEMA Mohammed Ben Yahia, lorsqu’il aura connaissance de l’existence de ce réseau, demandera aux communistes de ne participer qu’individuellement à l’action du FLN. Il est clair que tous les membres du FLN ne sont pas partisans de cette collaboration : en mars 1956, un tract du FLN distribué à la cité universitaire menace explicitement les communistes, qualifiés de « factieux » et d’« agents de division » car ils se réclameraient du FLN pour organiser les étudiants au profit du PCA dans des actions « contre-révolutionnaires et antinationales»[[Tract joint à ANOM GGA 7 G 1223 : note du commissariat central d’Alger, 18 mars 1956.]]. Ces éléments témoignent tout autant du relatif flou organisationnel qui caractérise ces premiers mois de guerre que des fortes divergences internes au FLN quant à l’attitude à adopter face au PCA – divergences qu’expérimenteront de nouveau ceux des étudiants communistes qui rejoindront des maquis de l’ALN dans lesquels ils seront parfois traités comme des ennemis. Quoi qu’il en soit, lorsqu’en mai 1956, l’UGEMA déclenche la grève illimitée des cours et appelle les étudiants à gagner le maquis, les communistes relaient l’appel en affirmant qu’ils seraient « indignes de [leur] peuple » s’ils restaient « en marge de la lutte»[[« Lycéens, étudiants algériens », tract de mai 1956 (ANOM Alger 91 3 F 88).]]. À cette date, des étudiants communistes comme Georges Counillon, Daniel Timsit, Salah Mohammed-Saïd et Nour Eddine Rebah sont déjà au maquis ou s’apprêtent à le rejoindre. Les autres se dispersent, mais la plupart sont traqués à partir de septembre 1956 et des démantèlements des CDL d’Oran et du réseau des bombes de la Zone autonome d’Alger (ZAA) de l’ALN.

Radicalisation. Le réseau des bombes de la Zone autonome d’Alger

En février 1956, le bulletin clandestin des étudiants communistes titre « Il faut agir toujours plus ! Tout pour la lutte armée ! », et se place sous le haut patronage de Lénine : « Une classe opprimée, qui ne s’efforcerait pas d’apprendre à manier les armes, d’avoir des armes, cette classe opprimée ne mériterait que d’être traitée en esclave »[ [L’Étudiant algérien n° 3 (février 1956).]]. Deux mois plus tard, les étudiants se font plus précis : « Étudiant, tu ne dois plus te contenter de sympathiser avec le mouvement de libération. Il faut mettre toutes tes connaissances techniques – qui peuvent être précieuses –, toutes tes forces, tous tes biens, au service de la lutte libératrice ». Dans le même numéro, ils célèbrent la désertion d’Henri Maillot, organisée par le PCA et prouvant que « la lutte du peuple n’a pas et n’aura jamais un caractère racial»[[ L’Étudiant algérien n° 5 (avril 1956).]]. Cependant, chez certains étudiants, dont leur dirigeant Daniel Timsit, naît une colère face à ce qu’ils jugent être une inaction de la direction du PCA, accentuée entre autres par le fait qu’après le vote par le PCF de la loi sur les pouvoirs spéciaux en mars 1956, la direction régionale du PCA défend ce vote dans une « circulaire intérieure à détruire après discussion » (dont un exemplaire est retrouvé dans le casier de Daniel Timsit en mai 1956 [[AJM Timsit. Le vote du PCF y est défendu au nom de l’unité avec la SFIO et de la lutte contre les « ultras » européens (que les pouvoirs spéciaux permettraient de mener).]]). Lucien Hanoun, qui dirige alors un réseau clandestin de propagande et fut l’enseignant de Daniel Timsit dans le lycée juif de substitution mis en place sous Vichy, évoque la personnalité de son ancien élève :

« Très ardent, d’une ardeur… Et puis alors, c’est le fil du rasoir. Et dans le jugement, et dans l’action. J’emploie ce terme à dessein, parce que je le rencontre pendant la guerre. Moi, je ne lui dis pas ce que je fais, et je le vois furieux. Furieux contre le Parti communiste algérien, qu’il n’est pas loin de mépriser parce qu’il n’en fait pas assez. […] Je vous indique sa réaction, très dure, et que je comprends mal. Moi, je suis l’aîné, celui qui a été son prof […]. Et il me parle sur un ton que je n’accepte pas.»[[Entretien avec Lucien Hanoun, 6 février 2007.]]

Pour Daniel Timsit, la participation à la lutte armée est une condition d’acceptation des communistes au sein du FLN, mais elle est également liée à une soif d’action et au climat de l’université, où les communistes sentent une confiance à la base avec des nationalistes et où ils se heurtent à l’hostilité des « ultras » européens. André Beckouche, étudiant communiste qui loge à la cité universitaire de Ben Aknoun, décrit ainsi « une tension extrême » entre étudiants fin 1955-début 1956. Dans un moment de polarisation raciale exacerbée, lui qui est juif fréquente ostensiblement des étudiants musulmans tout en militant clandestinement, et se souvient notamment avoir été inscrire avec son camarade Smaïl Bendjaballah des slogans sur les murs de la cité, un soir où il neigeait : « Vive les maquis ! Vive l’Algérie indépendante ! ». La haine monte chez des résidents européens, et André Beckouche apprend que ces « ultras », radicalisés par les manifestations de février 1956, sont armés et prêts à passer à l’action[[Entretien avec André Beckouche, 29 mars 2007.]]. De leur côté, les étudiants communistes s’arment également – en mai 1956, les enquêteurs retrouveront dans l’une des cachettes de Daniel Timsit un revolver de calibre 6,35 mm chargé[[AJM Timsit : lettre de la Sûreté au procureur de la République et rapport de l’Identité judiciaire, 6-7 mai 1956.]] – et haussent le ton dans leur presse clandestine : « Toute atteinte à la personne d’un étudiant patriote ou antifasciste sera suivie de l’exécution de deux étudiants réactionnaires.»[[ L’Étudiant algérien n° 4 (mars 1956).]]

C’est dans ce contexte, en mars 1956, que Daniel Timsit entreprend de recruter des étudiants communistes et nationalistes pour constituer un laboratoire de bombes, par une initiative semble-t-il personnelle. Souhaitant fabriquer des explosifs qui seraient remis aux CDL et à l’ALN, il se tourne vers un chimiste, Giorgio Arbib, juif tunisien et ancien des étudiants communistes, qui accepte de travailler à la constitution d’un premier réseau avec Smaïl Bendjaballah et Boualem Oussedik. Ahmed « Nanni » Bouderba leur procure de la glycérine, de l’acide sulfurique et de l’acide nitrique, et ils mènent plusieurs expériences, interrompues le 6 mai par l’explosion accidentelle d’une bombe cachée par Daniel Timsit dans une salle désaffectée de l’hôpital Mustapha. Le réseau se démembre et Daniel Timsit s’enfuit. Caché dans des conditions précaires à Sidi-Bel-Abbès, il dit alors perdre confiance dans le PCA car il n’est pas acheminé vers un maquis[[D’après les déclarations de l’un de ses amis, Daniel Timsit lui aurait dit que le PCA l’a envoyé « à la mort » à Sidi-Bel-Abbès (AJM Timsit : PV d’interrogatoire de X par la 1ère brigade mobile d’Alger, 19 octobre 1956).]], et décide de rentrer à Alger, sa ville, où les planques sont plus nombreuses.

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L’Étudiant algérien n° 5, avril 1956. Bulletin clandestin des étudiants communistes de l’université d’Alger. Cet exemplaire, en partie déchiqueté, a été retrouvé dans une salle désaffectée de l’hôpital Mustapha après l’explosion accidentelle d’une bombe cachée par Daniel Timsit (ANOM).

Fin mai-début juin, le FLN accepte l’intégration individuelle des communistes à l’ALN. Sadek Hadjerès, ancien dirigeant étudiant devenu dirigeant du PCA clandestin et qui a négocié les accords avec le FLN, oriente alors Giorgio Arbib vers un nouveau réseau de fabrication d’explosifs, directement intégré à l’ALN. Giorgio Arbib s’installe dans le laboratoire fin juillet, et Daniel Timsit, réfugié chez un ami, reçoit la visite de Sadek Hadjerès qui l’invite à rejoindre le réseau. Dans ses mémoires, Daniel Timsit dit avoir rompu avec le PCA à son retour à Alger. En fait, ses contacts avec le PCA ont duré jusqu’à son intégration à l’ALN, après quoi ils ont cessé en vertu des accords FLN-PCA. Cependant, Daniel Timsit présente cette rupture comme un choix motivé par ses divergences avec le PCA et sa volonté de le voir se dissoudre dans le FLN 47998.]]. De fait, ces divergences transparaissent dans des sources où sont rapportés ses propos :

« Le dernier jour où nous nous sommes rencontrés, alors que j’avais déjà remarqué le changement d’attitude d’Oussedik qui devenait hargneux envers les Partis communistes algérien et français, j’ai eu l’après-midi une conversation avec ce même Oussedik, Timsit et Hassiba. Là, Timsit approuvait Oussedik dans ses propos outranciers tels que : “Maurice Thorez est un colonialiste”, “Le Parti communiste français n’est pas assez avec nous”, “L’Humanité est en arrière de France Observateur et même de l’Express”. Ils soutenaient que le Parti communiste algérien aurait dû se dissoudre dans le FLN, etc.»[[AJM Timsit : PV d’interrogatoire de X, 11 octobre 1956.]]

Ce laboratoire, situé à Birkadem, dans une ferme appartenant à Abdelaziz Bensadok (âgé de 27 ans), est dirigé par Abdallah Kechida alias Si Mourad (âgé de 20 ans), a pour agent de liaison principal la lycéenne Hassiba Ben Bouali, et comprend quatre membres du premier réseau : Daniel Timsit, Giorgio Arbib, Boualem Oussedik et Smaïl Bendjaballah. D’autres militants, nationalistes et communistes, participent à des liaisons et à la fourniture de produits. Qu’y fabrique‑t‑on ? D’après le rapport commandé par l’instruction, pas grand-chose. L’expert affirme qu’« il s’agit d’un laboratoire rudimentaire où l’on ne peut faire que des opérations chimiques banales », et fabriquer en quantité réduite du fulminate de mercure, de la nitroglycérine et des dynamites. Il ajoute qu’aucun attentat du FLN à Alger n’a employé ces produits[[AJM Timsit : rapport d’expertise du directeur du laboratoire de la police scientifique, Alger, 31 janvier 1957.]]. Pourtant, les témoignages des artificiers Daniel Timsit et Giorgio Arbib et du dirigeant de la ZAA Yacef Saadi ne laissent aucun doute quant à l’utilisation de fulminate de mercure dans les attentats contre des civils européens d’Alger à la « Cafétéria » et au « Milk Bar » le 30 septembre 1956, qui font deux morts et aboutissent à l’arrestation d’une grande partie du réseau dix jours plus tard : le fulminate de mercure a servi d’amorce pour les bombes montées dans un autre laboratoire dirigé par Abderrahmane Taleb. Ce dernier, étudiant en chimie, déclarera d’ailleurs lors de son procès – qui aboutira à son exécution – avoir été amené au FLN par un étudiant communiste, Nour Eddine Rebah, alors dans un maquis de l’ALN [[Yacef Saadi, La bataille d’Alger, t. 1, Paris, Publisud/Yacef Saadi, 2002, p. 277-289 ; La dépêche quotidienne du 12 juillet 1957. Cf. Mohamed Rebah, Des chemins et des hommes, Alger, Mille-Feuilles, 2009.]]. Ces éléments indiquent une fois de plus l’importance des liens entre jeunes nationalistes et jeunes communistes à l’université, mais aussi la grande complexité, durant ces premières années de guerre, des structures du PCA et du FLN prises dans le tourbillon de la clandestinité.

Conclusion : de 1956 à 1965, la portée d’une expérience

En mai 1956, la grève des étudiants met fin à l’existence des organisations du PCA et du FLN à l’université d’Alger. À partir de la rentrée 1957, des étudiants musulmans regagnent cependant en nombre l’université, où ils sont environ 1 300 inscrits en 1960-1961. Une cellule communiste clandestine regroupant une nouvelle génération d’étudiants est alors reconstituée à l’université : dans les derniers mois de la guerre, les étudiants Moula Henine puis Hanafi Oussedik rencontrent régulièrement Sadek Hadjerès afin de lui donner des informations sur le climat de l’université et de discuter avec lui des actions à entreprendre. À l’image de ses prédécesseurs de 1955-1956 et jusqu’à son assassinat par l’OAS en février 1962, Moula Henine est alors investi à la fois dans le PCA clandestin, dans le FLN – dont il semble avoir refondé la section universitaire en 1960-1961 –, dans le soutien matériel à l’ALN et dans des activités légales auprès d’étudiants « libéraux » européens et juifs.

In fine, parmi les hommes et les femmes qui ont fait vivre le PCA à l’université d’Alger entre 1946 et 1962, la grande majorité a connu durant la guerre d’indépendance la (semi-)clandestinité au service du PCA et/ou du FLN, les menaces de mort de l’OAS, les chambres de torture, les tribunaux militaires, les camps d’internement et/ou les prisons et, pour six d’entre eux, la mort [[Georges Counillon et Salah Mohammed-Saïd, qui ont rejoint l’ALN, sont exécutés par des maquisards anticommunistes en 1955-1956, Maurice Audin est tué par ses tortionnaires de l’armée française en 1957, Nour Eddine Rebah meurt au maquis en 1957, Amokrane Ould Aoudia est assassiné par les services secrets français en 1959, et Moula Henine par l’OAS en 1962.]]. Engagés dans l’insurrection sans aucun « retard » par rapport à leurs condisciples du FLN, ceux du réseau clandestin de 1955-1956 partageront a posteriori des avis divergents sur l’attitude générale du PCA durant la guerre d’indépendance, de même qu’ils n’étaient pas tous d’accord à l’époque sur la question de la dissolution du PCA dans le Front ni sur celle de la fabrication de bombes. Tous s’accordent toutefois sur un élément central : leur expérience, bien que circonscrite, est une démonstration de la possibilité d’un engagement concret et commun par-delà les clivages partisans et, peut-être plus encore, par-delà les barrières raciales. Plusieurs militants nationalistes et communistes condamnés à de lourdes peines mettaient d’ailleurs cet élément en avant dès mars 1957, durant le « procès des bombes », à la suite duquel les RG affirmaient que la « masse musulmane » était « sensible à l’action d’intellectuels, de religions différentes, pour la cause de l’Algérie indépendante»[[ANOM Alger 91 1 F 285 : note de la PRG d’Alger, 22 mars 1957.]].

D’après d’anciens dirigeants du PCA, l’université sera d’ailleurs l’un des principaux champs d’expansion du parti dans les premiers mois de l’Algérie indépendante. Malgré son interdiction par le gouvernement algérien dès novembre 1962, le PCA bénéficie en effet d’une certaine aura parmi les jeunes intellectuels, liée notamment à son image de parti de militants dont l’idéologie est plus lisible que celle du FLN, dont les clivages internes éclatent alors au grand jour. Lors de la première rentrée universitaire de l’Algérie indépendante est ainsi reconstituée une organisation d’étudiants communistes qui, bien que restée légale durant seulement quelques semaines, s’enracine solidement dans les lieux : en 1965, les principaux dirigeants de l’Union nationale des étudiants algériens (UNEA), qui a pris la suite de l’UGEMA après l’indépendance, sont des membres du PCA clandestin, et plusieurs d’entre eux seront traqués pour leur opposition réelle ou supposée au coup d’État du 19 juin 1965[[Cf. Houari Mouffok, Parcours d’un étudiant algérien, de l’UGEMA à l’UNEA, Paris, Bouchène, 1999.]]. L’histoire de ces étudiants communistes de l’Algérie indépendante reste toutefois à écrire.

Pour citer cet article

Référence papier
Pierre-Jean Le Foll-Luciani, « Algérianisation et radicalisation :les étudiants communistes de l’université d’Alger (1946-1956) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 126 | 2015, 97-117.

Référence électronique
Pierre-Jean Le Foll-Luciani, « Algérianisation et radicalisation :les étudiants communistes de l’université d’Alger (1946-1956) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 126 | 2015, mis en ligne le 21 janvier 2015, consulté le 18 février 2015. URL : http://chrhc.revues.org/4156

Auteur
Pierre-Jean Le Foll-Luciani
Docteur en Histoire, chercheur associé au CERHIO (Université du Maine)

L’ETRANGE FATWA D’AL-AZHAR

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par Ali El Hadj Tahar
_Le Soir d’Algérie

le 18 février 2015

Al-Azhar s’est de nouveau opposé à la représentation du Prophète Mohamed (QSSSL) dans le film iranien Mohamed Rassoul Allah, estimant qu’une telle démarche portait atteinte au caractère sacré des prophètes et des messagers.
Dans un communiqué rendu public récemment, Al-Azhar a exprimé son opposition à la représentation du Prophète dans le film iranien Mohammad Rassoul Allah dont la projection a commencé à Téhéran. Al-Azhar a rappelé sa position contre toute représentation des prophètes et des messagers dans des œuvres cinématographies ou artistiques. Ainsi donc, l’institution égyptienne, dont les musulmans attendaient un esprit d’ouverture et de modernité, se distingue par un esprit archaïque qui bannit l’image alors que le Coran n’interdit que les représentations susceptibles d’être adorées comme l’étaient les statues vénérées avant l’avènement de l’islam, dont Al-Lat, Al-Izza et Houbel.

Tout comme le christianisme, l’islam n’est pas iconoclaste (il ne détruit pas ni n’interdit l’image) mais aniconiste (il n’adore pas l’image), comme l’explique le savant Titus Burckhardt dans L’art de l’islam. En ces temps sombres de domination de l’esprit wahhabite qui nuit tant à l’islam, une institution telle qu’Al-Azhar devrait faire preuve de modernité et d’ouverture ; or, son édit s’inscrit dans la somme des discours, livres et fatwas qui font reculer dangereusement l’islam dans la stagnation, voire la régression dont le pendant est l’extrémisme excommunicateur de Daesh et autre Boko Haram. L’ignorance ― par la majorité des théologiens musulmans dont ceux d’Al-Azhar― des sciences et des technologies, comme leur mépris de l’art, de ses fonctions sociales, politiques, éducatives, culturelles, enfoncent les musulmans dans l’arriération, voire dans l’intolérance et les dérives terroristes. Or, ces imams et savants sont supposés disposer de savoirs encyclopédiques incluant toutes les disciplines de leur temps, afin de faire avancer l’islam et de faire entrer notre civilisation dans la contemporanéité — voire dans le millénaire, car elle a plus de 700 ans de retard dans tous les domaines de la connaissance.

Selon la logique d’Al-Azhar, il faudrait donc interdire Er-Rissala (Le Messager), le film du Syrien Mustapha El-Aqqad, un chef d’œuvre cinématographique qui a réussi à faire comprendre la religion musulmane et même à convertir à l’islam de très nombreuses personnes.

Depuis la mort de Mohamed Al-Bouti, assassiné en 2013 par les terroristes à Damas, l’islam sunnite s’avère incapable de porter notre religion de l’avant et de participer à l’épanouissement des musulmans, non pas parce qu’il n’a pas de savants, mais parce que les plus modernes d’entre eux n’ont pas de visibilité, faute de médiatisation. L’avis de l’institution cairote s’inscrit dans une logique d’arrière-garde alors qu’elle est supposée s’inscrire contre le fanatisme et l’esprit rétrograde du wahhabisme que ce même Al-Azhar se dit combattre.

«Les prophètes et les messagers ne doivent être représentés sous quelque forme que ce soit, et ce, quel que soit l’art concerné, afin de préserver leur caractère sacré», a précisé le communiqué d’Al-Azhar. Faut-il déduire que les chrétiens qui représentent le Christ et les saints ne préservent pas le caractère sacré de ceux-ci ? En voulant bien faire, Al-Azhar fait dans la précipitation et dans l’amalgame puisque cet avis vient après la publication d’une autre caricature insultante du Prophète par le journal Charlie Hebdo. Or, contrairement à ce journal raciste ― qui s’inscrit dans une stratégie de stigmatisation de l’islam afin de créer un «clash des civilisations» prôné par Huntington et les politiciens néoconservateurs―, le film iranien vise à faire connaître le message du Prophète, dans une entreprise culturelle et cultuelle qui participe donc du djihad tel que prescrit dans le Coran, djihad qui consiste à éclairer les consciences et participer de l’épanouissement de l’humanité tout entière, pas à museler la conscience et l’imaginaire des musulmans.

Le Prophète lui-même a protégé les images de Jésus et de Marie qui figuraient sur la Qaâba

Al-Azhar ignore-t-il à ce point l’histoire de l’art alors que le Prophète Mohamed et ses compagnons ont été représentés de nombreuses fois dans des miniatures qui figurent dans de nombreux livres anciens ? Illustrés de miniatures qui représentent des personnages historiques et des saints, dont le Prophète Mohamed, plusieurs de ces manuscrits musulmans sont conservés dans des bibliothèques et des musées de pays sunnites et chiites comme la Turquie et l’Iran.

Les professeurs d’Al-Azhar ignorent-ils que l’islam n’interdit pas l’image ou la représentation humaine alors que c’est ce même Al-Azhar qui a statué sur le sort de l’image profane disant, il y a des décennies de cela, qu’elle est tolérée en islam ? Rappelons qu’au sujet du feuilleton Omar (en 2012), Al-Azhar a également émis un édit religieux (fatwa) affirmant que les représentations figuratives des prophètes et de leurs compagnons étaient interdites. En dépit de la fatwa, Omar, cette superproduction historique qui raconte la vie d’Ibn Al-Khattab, a été diffusée dans de nombreux pays dont l’Egypte. Au lieu de bénir un film qui fait connaître l’islam et ses figures, Al-Azhar a voulu le saper. Cependant, cette plus grande production arabe (30 000 acteurs et techniciens de 10 pays) a eu un immense succès. Al-Azhar nous a donc habitués à des édits qui vont à contre-courant de la demande populaire, ce qui leur vaut d’être superbement ignorés, voire qui le discréditent aux yeux des citoyens qui veulent connaître l’histoire de leur religion à travers des médias de leur temps. Al-Azhar ignore-t-il que le cinéma est plus populaire que le livre ? En ces temps de sensibilité religieuse exacerbée et même de religiosité, il devrait même tolérer des bandes dessinées et des dessins animés sur la vie des prophètes et des saints. Ce n’est pas le fait de caricaturer un saint ou un prophète qui est scandaleux, en vérité ― car une caricature peut être saine et respectueuse de leur sainteté ―, mais le contenu des caricatures du Prophète par le journal danois et celle mise en couverture du numéro de l’après-attentat, un contenu éminemment haineux et pernicieux. De plus, comment combattre le wahhabisme si ce n’est avec des moyens de communication modernes ?

Rappelons que l’une des toutes premières peintures musulmanes représentant le Prophète remonte à 1307. Dans cette miniature ― et dans les autres ―, le dessin est naïf, presque caricatural si on ne les regarde sans replacer dans leur contexte d’histoire de l’art. Parmi les ouvrages contenant ce genre d’images, il y a Jami’ al-Tawarih, un livre d’histoire générale écrit par Rashid al-Din Fadl-Allah entre 1306 et 1314. Une copie d’un livre de l’historien Tabari contient aussi des images du Prophète. Un autre livre fut réalisé dans le palais de l’empereur turc Baysungur (donc sunnite) en 1436 : il est écrit en turc et comprend 57 miniatures dont certaines figurent le Prophète Mahomet. Un autre livre, Siyer-i Nebi, que l’auteur Dariri de Erzurum a écrit au XIVe siècle. Une copie de cet ouvrage a été faite par le sultan ottoman sultan Murad lui-même à la fin du XVIe siècle.

C’était l’époque où les sultans faisaient de la calligraphie et de la miniature, pas celui où l’on censure des livres et des films ! Cette période glorieuse de l’art du livre islamique était celle où les chrétiens allaient à Damas, Bagdad, Mossoul, Tabriz, Le Caire, Cordoue ou Grenade pour apprendre les sciences et acheter de précieux ouvrages de médecine, d’histoire, de philosophie ou de mathématiques illustrés de belles miniatures. Ces trésors culturels illustrés par les artistes musulmans sont une fierté pour notre culture et notre civilisation, alors à son apogée. Ils sont précieusement conservés dans les musées de Topkapi à Istanbul, Téhéran, Londres, Berlin, New York. Al-Azhar ignore-t-il leur existence, tout comme les ignorait le ministère algérien des Affaires religieuses lorsqu’il a voulu interdire le livre Soufisme, l’héritage commun, de Khaled Bentounès, cheikh de la zaouïa alawiya, en 2009 ? Que penserait Daesh de la fatwa d’Al-Azhar, lui qui a brûlé des milliers de livres à Mossoul, en Irak, l’été dernier ? L’art de l’islam comprend de nombreuses miniatures qui représentent non seulement le Prophète Mohamed mais certains de ses compagnons ainsi que d’autres prophètes, ainsi qu’Adam et Eve que nous retrouvons encore dans des miniatures vendues dans les souks et qui meublaient les murs de presque toutes les maisons algériennes dans les années 1960 et 1970. Si les musulmans n’ont jamais représenté Allah, leurs artistes ont librement représenté le Prophète Mohamed, dans quelques rares exceptions, à travers ses attributs humains, à l’exception des détails du visage : une célèbre miniature le montre, avec un halo de lumière à la place du visage, assis sur un tapis et entouré de Hassan et de Hussein. Une seconde peinture le représente dans le Mi’râj, le voyage dans les cieux.

Le hadith du Prophète sur l’image était destiné à empêcher l’adoration de l’image du Prophète ou de tout autre saint, mais en islam, comme dans le christianisme, l’icône ne fait jamais l’objet d’adoration. Il n’existe nulle représentation de Dieu, du Prophète Mohamed, des saints, etc., dans les mosquées, dont l’esthétique est purement abstraite, à base géométrique et florale.

Toutes les religions sont contre l’idolâtrie des images

L’islam n’a pas été la seule grande religion à avoir combattu l’idolâtrie et les idoles, de même que la crainte de la figuration n’est pas spécifique à cette religion. Le Décalogue dit : «Tu ne feras aucune image de Dieu.» Dans l’Ancien Testament, Exode, XX, 4, il est dit : «Tu ne feras point d’image taillée, ni aucune représentation des choses qui sont en haut dans le ciel, ici-bas dans la terre ou dans les eaux, au-dessous de la terre.»

Cependant, aucune des grandes religions n’a pu mettre fin à la figuration, à l’acte de peindre, de dessiner et de sculpter. Pourtant, Al-Azhar a compris, dès le XIXe siècle avec l’apparition de la peinture de chevalet et du cinéma en Égypte que représenter une figure de personne, d’un animal ou d’une plante ne sert pas l’adoration, puisque sans L’Ecorché de Léonard de Vinci, ni la biologie, ni la médecine ni la chirurgie n’auraient évolué.

Les différents interdits de théologiens chrétiens ou musulmans ne visaient pas à interdire l’avancée humaine dans les domaines scientifiques — car sans dessin il n’y a ni sciences, ni techniques ni technologies — mais à empêcher le retour à l’idolâtrie que risquait de provoquer la représentation des saints et de la personne humaine, à une époque où la spiritualité n’était pas encore fondée sur l’abstraction chez les gens du commun. Aujourd’hui, il ne viendra à l’idée de personne d’adorer une image, une statue, une sculpture, la lune ou le soleil.

En terre d’islam, la représentation artistique figurative s’est faite selon un processus en trois phases : la phase de l’art abstrait géométrique ou floral ; la phase des sujets vivants tels que lions, gazelles et autres animaux ; puis celle où la figure humaine apparaît pour la première fois sur les murs de Qsayr Amra et de Qsar al-Hayr alGharby, dans une fresque reproduisant des femmes nues sortant du bain. Le sociologue tunisien Mohamed Aziza dira alors qu’en un siècle (691 à 743), la conquête de la figuration est accomplie.

Désormais, l’artiste arabe peut transcrire une part des aspects de la vie quotidienne et sociale, et les restituer par l’image, reflet de l’imaginaire du groupe, dans les arts visuels, du cinéma aux beaux-arts. Cet acquis est fondamental pour la civilisation musulmane et nul n’a le droit de le remettre en question.

Il est donc dommage qu’un avis précipité d’Al-Azhar risque de créer des malentendus gravissimes à l’heure où Daesh détruit des livres, des œuvres d’art, des pièces archéologiques…

Qui ne se souvient de Sid-Ali, le compagnon du Prophète, sur son boraq dont les pattes baignaient du sang et avec son épée «dhou-alfiqar» à double lame ? Tout comme le film iranien, tout comme Ar-Rissala, comme le feuilleton Omar et les dizaines d’autres moussalsalate religieuses, ces œuvres à la gloire du Messager et de l’islam ne sont pas des représentations ou des icônes destinées à tromper les fidèles ou à les détourner de la foi. Les savants d’Al-Azhar ignorent-ils que le Prophète lui-même a protégé les images de Jésus et de Marie qui figuraient sur la Qaâba, à son retour triomphal de Médine vers sa ville natale ? Certains de ses Compagnons voulaient effacer toutes les peintures figurant sur la pierre noire, il s’interposa, mit sa main sur le mur et ordonna de n’effacer que ce qu’il y avait au-dessus, soit les icônes païennes, pas les représentations chrétiennes de Marie et de Jésus.

Le Prophète (QSSSL) a fait avancer la spiritualité en dehors du fanatisme. C’est avec cet esprit que les théologiens chiites et sunnites ont accueilli les anciens ouvrages musulmans figurant des images du Prophète et des saints sans les détruire. Ces ouvrages figurent encore dans des bibliothèques arabes ou occidentales. L’édit d’Al-Azhar l’éloigne de la pensée contemporaine, qui inclue tous les domaines du savoir, y compris l’esthétique, ce domaine de la philosophie et qui est une discipline fondamentalement occidentale puisque les Orientaux n’ont aucun esthéticien digne de ce nom. Voire, ce sont les études de Titus Burkhardt, Richard Ettinghausen, Oleg Grabar ou Marilyn Jenkins-Madina et d’autres auteurs occidentaux qui ont fait connaître les arts musulmans de la miniature, de l’enluminure, de la calligraphie.

Daesh utilise la vidéo pour sa propagande et Al-Azhar veut interdire le film religieux ?

Ce sont également des Occidentaux qui ont étudié l’architecture musulmane et montré ses richesses et sa beauté. Leurs études ont été plus déterminantes dans la compréhension de l’islam lui-même par le monde que les productions intellectuelles de certains théologiens d’Al-Azhar, ou les fatwas et livres excommunicateurs des wahhabites.

Il existe aujourd’hui des centaines de fatwas que l’on n’ose même pas lire en famille tellement elles sont scandaleuses, et qu’Al-Azhar n’a pas jugé utile de dénoncer ou de contrecarrer.

Or, il trouve le moyen de prendre position contre un film iranien sans même l’avoir vu. Alors que les chercheurs du Vatican s’investissent même dans l’astrophysique, la direction d’Al-Azhar se montre en décalage avec l’Histoire — notamment en ces heures graves ou le wahhabisme est en train de semer la haine dans nos nations —, et qu’il est incapable de défendre l’islam en ces temps de défis et de menaces liées à un néocolonialisme et un impérialisme pétaradants.

Alors qu’Al-Azhar a compris l’importance de l’image dès le siècle dernier, voici ce même autre Al-Azhar qui dit presque le contraire, et ce, sans même avoir vu le film qu’il veut censurer !

À l’heure où même Daesh sait que sa guerre inclut aussi les médias modernes — puisqu’il fait sa propagande avec les vidéos de ses massacres, Al-Azhar fait montre d’une étroitesse d’esprit digne du Moyen-âge. Il vient prouver que ses savants n’ont aucune connaissance des domaines actuels de la culture et de l’importance multisectorielle de cette dernière, y compris dans le domaine religieux, croyant que la propagation de l’islam ou sa défense se fait uniquement par les moyens traditionnels du livre bien qu’il reconnaisse que ses fatwas ne font pas le poids face au wahhabisme qui détient plus de cent chaînes satellitaires.

Al-Azhar ignore-t-il que c’est par la culture que l’islam a d’abord devancé le christianisme ? Les églises ne vont introduire la musique (clavecin, puis orgue) que lorsque le Vatican a pris conscience que les mosquées sont réalisées dans une esthétique joyeuse et colorée qui incite à y entrer, contrairement aux églises d’antan, sombres, ténébreuses et n’incitant pas à y accéder ? Aujourd’hui, les batailles occidentales s’inscrivant dans ce qu’on appelle le «clash des civilisations» se font aussi par la culture ; et l’affaire Charlie Hebdo entre dans cette perspective.
Al-Azhar a tenu à souligner que l’interdiction d’une œuvre artistique quelconque n’était pas de son ressort mais qu’il lui appartenait, en tant que principale référence religieuse du sunnisme, de se prononcer sur de telles œuvres sur la base de la charia.

Ainsi donc Al-Azhar avoue ne pas se prononcer sur la base de sa compréhension du Coran stricto sensu mais sur la base de la charia, une jurisprudence ancienne qui relève de la compréhension d’imams morts depuis longtemps. Il fait donc preuve de suivisme et non pas d’innovation et d’imagination, bien que l’un des professeurs de ce même Al-Azhar préconise une théologie qui oublie tous les interprètes qui ont précédé et de se baser sur une lecture moderne et actuelle du texte coranique. Ce savant égyptien n’a certainement pas été consulté dans la promulgation de l’avis contre le film iranien ni contre le feuilleton Omar.

Nonobstant, il y a encore des savants musulmans qui savent ce que doit être le fiqh aujourd’hui, pour répondre aux besoins spirituels de leurs contemporains et répondre à la propagande impérialiste qui veut donner une image négative des musulmans et de l’islam.

L’islam a besoin de points de vue pour son installation dans la modernité, et non pas d’édits qui vont encore taxer l’islam et les musulmans d’archaïsme et d’arriération, ou à stigmatiser le conflit entre sunnites et chiites, conflit créé par les wahhabites afin de servir justement les intérêts impérialistes et sionistes.

Puis, une mauvaise nouvelle ne tombant jamais seule, voilà que le 4 février dernier, Al-Azhar appelle à tuer et crucifier les terroristes de l’EI, à la suite de l’assassinat du pilote jordanien. Al-Azhar sait pourtant que la crucifixion n’est même pas appliquée en Arabie Saoudite, le pays du wahhabisme par excellence, et que le code pénal dans les autres pays n’inclue pas cette méthode létale qui fait dresser les cheveux sur la tête. Al-Azhar préconise d’imiter Daesh pour le combattre…

A. E. T.

LIBYE. LES ALGÉRIENS NE MORDENT PAS À L’HAMEÇON DE SISSI-HOLLANDE

Publié par Saoudi Abdelaziz
le 17 Février 2015

Hollande vend des Rafales à Sissi et veut faire de l’Egypte le fer de lance de la coalition militaire que Paris s’efforce de monter pour parachever en Libye, en faveur des intérêt occidentaux, le travail bâclé en 2011 par Nicolas Sarkozy, soutenu alors par… François Hollande.

Après la proposition Egyptienne d’intervention internationale militaire en Libye, Zine Cherfaoui note dans El Watan:

« Le premier pays occidental à avoir déjà répondu favorablement à la proposition égyptienne est la France. La célérité avec laquelle Paris a soutenu l’appel de l’Egypte n’a rien d’étonnant puisque le gouvernement français n’a pas arrêté aussi, ces dernières semaines, de faire du lobbying en Afrique et en Europe en faveur d’une action similaire ».

La conclusion du journaliste : « En engageant son armée en Libye, le président Al Sissi fait comprendre aux pays occidentaux que son régime peut être un rempart sûr contre le terrorisme. Les Occidentaux n’en espéraient certainement pas tant ».

Abdelaziz Rahabi, ancien ministre de la communication du régime passé à l’opposition avec la CNLTD, estime que l’Algérie « n’a pas beaucoup d’atouts » dans sa politique consistant à favoriser prioritairement le dialogue inter-libyen. Exprime-t-il le point de vue de la CNLTD, lorsqu’il conclut ainsi son analyse dans TSA : « Le terrorisme international est une responsabilité de la communauté internationale, qui doit être impliquée davantage dans la lutte contre le terrorisme en Libye ».

Une nouvelle « coalition » comme en 2011? Avec cette fois-ci la participation de l’ANP?

Le diplomate de la CNLTD n’est pas sur la même longueur d’onde que son ainé, l’ancien diplomate algérien Lakhdar Brahimi, devenu représentant de l’ONU. Évoquant la situation en Irak, il a déclaré hier à Alger : “Daech sera vaincu, il n’y a pas de doute, mais il ne sera pas vaincu par des bombardements américains d’une hauteur de 10 000 mètres. »

La défaite de Daech dépend selon lui de la mise en place « d’un cadre de processus politique qui règle les problèmes en suspens en Irak”

Pour Habib Kharroubi dans son analyse du Quotidien d’Oran, « la seule approche réaliste qui pourrait ramener la paix et la concorde en Libye reste le dialogue entre les parties en conflit à l’exclusion des groupes terroristes ». Il conclut : « L’intervention armée n’a jamais rien résolu nulle part car ceux qui la privilégient la font non pas dans l’intérêt du peuple du pays concerné, mais pour défendre ou protéger les leurs. C’est dans cette logique que s’inscrit l’action préconisée par l’Italie et l’Egypte dont nul n’ignore les visées qu’elles ont pour l’ex-Jamahiriya, espace pour autant stratégique géographiquement que juteux par ses ressources ».

Le colonel Abdelhamid Larbi Chérif présenté comme « expert en terrorisme » exprime-t-il les vues de l’Etat-major de l’ANP lorsqu’il déclare dans une interview au quotidien l’Expression :  » Une action militaire en Libye est, bien au contraire, une perte de temps. Il faut travailler pour l’instauration d’un gouvernement. La seconde étape sera de renforcer l’armée libyenne. Ce sera à elle de conduire les actions armées contre les terroristes. Une alliance sans les Libyens risque d’empirer la crise et donner plus de légitimité à Daesh. Cette organisation passera pour une armée de résistance contre des envahisseurs. Il n’y a pas mieux pour renforcer ses rangs par des vagues de contingents extrémistes. Au-delà de ces aspects très importants, il faut faire la part des choses entre vitesse et précipitation (…)

« Les Français sont incapables d’organiser une intervention militaire en Libye. Ils veulent diriger une coalition avec des troupes africaines, sur un financement arabe, dont l’Algérie serait partie prenante. C’est leur souhait. L’Occident mettrait les bombardiers de l’Otan. Mais ce voeu sera très difficile à réaliser, ne serait-ce que parce que l’Algérie s’oppose à une intervention militaire en Libye ».

L’officier de l’ANP élargit son propos : « Le travail des services de renseignement des anciennes puissances coloniales est orienté dans le sens de profiter de nos richesses et nous maintenir à leur service. Ces services de renseignement ont trouvé dans le courant wahhabite matière à entretenir une sorte de guerre permanente dans tout le monde islamique ».

Il conclut par un rappel historique : « L’exploitation des divergences linguistiques et religieuses pour diviser et encourager la discorde a donné l’Irak d’aujourd’hui, de même que le Liban très fragile, la partition du Soudan, et dans un futur proche, la Libye… En résumé, je constate que les pays qui ont participé aux côtés de l’Egypte et la Syrie dans la guerre des Six-Jours, en 1973, contre Israël, sont en train d’en payer le prix.

L’AMANT DE LA LANGUE

L’amant de la langue

Pour la mémoire vivante de Nour
Pour Samia

Nour.
Lumière de la langue; versets qui soulèvent le jour de la Nuit. La nuit
c’est quand l’attente assiège tassa*. Tassa, c’est l’indicible langage
de la mère. La longue attente. L’Attente. La mort.
Nour, c’est la lettre écrite dans la langue de la lumière : Lumière.
Tafat*, poème. Amant de la langue de la langue, Livre sacré de la Mère.
Le Livre des livres. La Mère renaissante dans le sourire des enfances
ininterrompues.
Il était ainsi mon frère. Il souriait, il parlait la langue de la Mère.
Awal* surgi de la terre, Akal*. Ameslay* bercé par la Mère, la Terre.
Goutte de miel dans la bouche des enfants.
Il était ainsi mon frère, il berçait les mots, les lettres. Ils sont
fragiles, les mots. Il les protégeait de la nuit de la langue.
Le sommeil est la patrie des Ogres. Il pétrissait les lettres comme
l’argile. Oulman* filés en quenouille, le geste vivant de la mère qui
file la laine.
Azetta*. C’est l’écriture sainte de la Mère. Ses mains, sa craie, geste
qui souffle la vie à la vie. Sein tendu à l’enfance. Aux enfances.
Dans le langage de la tribu, abernous*, c’est le langage sacré de la
laine. Oulman. Aman*. La vie qui conjugue la vie à la vie.
Il était ainsi mon frère,
Amastan*.
Il était ainsi mon frère.
Il est le digne fils de la parole. Parole de la parole. Amant de la
langue.
Les faux-frères ne parlent pas la langue de la terre, de la mère.
Matricide.
La démagogie est l’idéologie des Ogres.
Tagmatt* , balbutiement du langage du feu; fatiguée, vidé par les faux
frères.
La Mère blessée.
Les frères, c’est la vie qui conjugue la vie à la vie; mains qui
fatiguent le malheur, la mort de la Mère.
Les frères, mains qui pansent les blessures de la Mère. Craie blanche,
lait de la Mère. Vie dans le geste d’écrire la Mère. La mère c’est la
vie qui conjugue la vie à la vie.
Les faux-frères c’est le sang de la Mère, brebis sacrifiée pour honorer
la divinité noire. Ogresse de l’ogresse. Wayzen*.
Ils sont ainsi les faux frères, ils n’ont plus le goût des mots. Ils
massacrent les mots, les êtres. Ils sacrifient la langue sacrée de la
Mère pour ne plus parler la vie; ne plus faire entendre la chanson
renaissante des sources.

Les faux-frères, les fausses-sœurs, le faux-pays:
La fausse couche du Pays.

Il est ainsi mon frère,
sourire dans le futur.
Le futur c’est la mémoire de l’enfance.
Azekka*, demain, c’est ce qui prolonge la vie, la parole. C’est ce qui tire la langue de la mère de la mort, Azekka, tombe.
Il était ainsi mon frère,
amant de la langue.

Azeddine Lateb

Notes :
Tassa : foie, siège de la tendresse et de l’affection maternelle.
Tafat : lumière.
Awal : parole.
Akal : terre.
Ameslay : mot.
Oulman : laine.
Azetta : métier à tisser.
Abernous : burnous.
Aman : eau.
Amastan : protecteur, défenseur.
Tagmatt : fraternité.
Wayzen : Ogre.
Azekk : demain.
Azekka : tombe.


texte adressé à socialgerie en septembre 2014

HOMMAGE AU CHAHID FERNAND IVETON ET À SON COMPAGNON GEORGES ACCAMPORA

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Cérémonie de recueillement
en hommage
au Chahid Fernand Iveton
et son compagnon Georges Acampora

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le 18 février 2015

Fernand Iveton|

Une cérémonie de recueillement en hommage au Chahid Fernand Iveton et son compagnon, Georges Acampora,deux condamnés à mort pour que vive l’Algérie indépendante.
Fernand Iveton fut exécuté à la guillotine le 11 février 1957 à la prison de Barberousse Serkadji Alger ,
et Georges Acampora, un des libérateurs bâtisseurs de l’Algérie indépendante, est décédé le 11 février 2012

Cette sérémonie sera organisée
le samedi 21 FEVRIER 2015 à 10 h,
au cimetière chrétien de Bologhine Alger

Venons déposer une rose sur leur tombe, et rendre hommage à ces militants de la liberté de la dignité et de l’espoir !

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Georges Acampora

AUTOUR DE LA SORTIE DU LIVRE DE AMEZIANE KEZZAR: « BRASSENS TUYAC D ISEFRA»

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Restitution vidéo de la rencontre littéraire
du mercredi 10 décembre 2014

L’ACB ouvre les guillemets à Ameziane Kezzar

pour « Brassens Tuyac d isefra »

« Brassens Chants et poésies »

(Ed. Achab )

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rencontre suivie d’une dédicace

Animé par Arezki Metref et Hend Sadi

Introduction musicale par Belaid Branis

Il fallait de l’audace pour s’attaquer à Brassens, il en faut encore plus quand il s’agit de le publier en kabyle. Comment retrouver l’esprit corrosif et vivifiant d’un chansonnier devenu l’un des symboles de l’identité française, même pour ceux qui n’apprécient pas son esprit ? Ce Brassens s’adapte-t-il au climat de la farouche et rocailleuse Kabylie ?

Il ne s’agissait pas pour Ameziane Kezzar de traduire mot-à-mot les textes du chanteur moustachu, mais de les adapter, de les transplanter dans une terre qui ignore tout de lui.
La greffe a si bien pris que l’on croirait lire Brassens en kabyle, et qu’à la fin de la lecture, on se demande si on a lu le texte français ou le texte kabyle.

Pourtant, paradoxalement, les images, les références, les noms utilisés par Ameziane Kezzar sont kabyles, mais ce qui reste après la lecture c’est l’esprit de Brassens.
L’adaptateur réussit ainsi ce que préconisait Baudelaire pour les apprentis poètes, la recherche de « l’unité de sens et d’impression ».

Si Brassens a chanté la liberté c’est d’abord celle de dire ce qui lui plaît. C’est cette liberté qu’Ameziane Kezzar revendique dans son adaptation en kabyle des chansons de Brassens.

Il a réussi à rendre la musique et le rythme particulier aux paroles de Brassens en variant les rythmes et la prosodie, car il s’agit aussi de renouveler les formes fixes de la poésie kabyle en mettant à distance une forme poétique qui se meurt dans son carcan si-mohandesque et en lui substituant des formes plus complexes, plus nourrissantes, moins étriquées.

Renouveler les formes traditionnelles de la poésie kabyle, A. Kezzar s’y était déjà essayé, notamment dans «Aγyul n Ǧanǧis», mais dans ce recueil il pousse la «subversification» sur plus de deux cents textes, dont pas un n’est comparable à l’autre.

La chanson de Brassens est saturée de références culturelles tirées de la littérature voire pour certaines de l’érudition. Mais toutes se font avec le sourire amusé de quelqu’un qui ne se prend pas au sérieux, qui ne se prend ni pour un poète ni pour un érudit.s’adresse à son auditoire et cherche à lier avec lui complicité et connivence.

Comment rendre ces références compréhensibles pour les Kabyles ?
plusieurs choix s’offrent au traducteur : soit transposer ces éléments culturels dans le monde de références de la langue, soit leur trouver des équivalents, soit les transformer pour les rendre plus efficaces, ou les garder pour enrichir la culture dans laquelle elles sont transplantées.

C’est ce dernier choix que fait Ameziane Kezzar, tout en se permettant quelques transpositions.

En effet, adaptation selon Ameziane Kezzar ne signifie pas effacement de ce qu’il y a d’irréductible dans les textes de Brassens. Le but du traducteur est à la fois de faire comprendre le texte mais aussi de dépayser son lecteur, de lui montrer un autre monde possible.

Il est certain que l’élément le plus difficile à transposer ce sont les thèmes abordés par Brassens, le plus souvent scandaleux ou simplement provocateurs.

Comment rendre l’adultère, la nymphomanie, le cocuage dans une culture qui a souvent placé son honneur dans la sexualité contrôlée des femmes ? Eh bien, tout simplement. Loin des regards hypocrites sur la société kabyle, Ameziane Kezzar reste fidèle à Brassens et écorne avec brio et finesse le fameux nnif kabyle. Mais l’humour et la finesse prémunissent de l’accusation de vulgarité.

Non seulement Ameziane Kezzar rend ici hommage à un libre-penseur, chansonnier, taquin et provocateur, mais ses adaptations portent en elles toutes les possibilités de la subversion et de l’hymne à la vie.

Sans gravité et avec légèreté, ce qui manque à la société kabyle, elles peuvent être le premier pas vers une tradition de chansonniers capables de la décrire sans concession et sans la nostalgie de l’identité perdue, sans jugement aussi.

Libération par les mots nécessaire et salvatrice dans une société qui transforme sa culture en objet de musées.

Si ces adaptations ont atteint leur but, elles enrichiront l’inspiration kabyle de nouvelles thématiques, et elles permettront peut-être quelques minutes de joie et de bonheur sur un air de guitare libérateur.

Ecoutez, lisez ces chants d’un autre temps pour éveiller en vous l’esprit carnavalesque et réjouissez-vous de leur fraîcheur.

Présentation pour l’ACB (Introduction de Mohand Lounaci)

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Pour écouter

J’ai rendez-vous avec vous

Paroles Ameziane Kezzar « Brassens Tuyac d isefra » (« Brassens Chants et poésies »)

musique de Belaid Branis

cliuer sur le lien (…)

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PARIS-SORBONNE- 17 FÉVRIER 2015 -SOIRÉE DÉBATS: « ITINÉRAIRES COMMUNISTES »

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Aujourd’hui
MARDI 17 FÉVRIER 2015,
à 17h30,
à la Sorbonne
amphithéâtre Lefebvre
Galerie Jean-Baptiste Dumas, escalier R

Soirée-débat
‘ITINÉRAIRES COMMUNISTES’

À l’occasion
de la parution de l’ouvrage
de Jean SALEM

“RÉSISTANCES.
Entretiens avec Aymeric Monville”,
Paris, Éditions Delga, 2015

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Résistances

Jean Salem

entretiens avec Aymeric Monville

éditions Delga

Dans ces libres entretiens, Jean Salem revient, tout d’abord, sur une enfance dont le cours fut déterminé par les combats de ses parents, Henri et Gilberte Alleg. Combats pour l’indépendance de l’Algérie, pour la justice sociale et la victoire de l’idéal communiste, combats pour la cause de la paix, de la fraternité, de la liberté.
Il évoque ses propres passions intyellectuelles, son parcours académique, ainsi que le grand ttravail de conviction, de résistance aussi, qui fut nécessaire pour faire revivre à la Sorbonne, après trente années de plomb, l’étude de l’oeuvre et de la pensée de Marx.
En tirant, enfin, les enseignements des nombreux voyages qu’il effectue autour du monde en tant que militant et en tant qu’universitaire, il livre ici ses réflexions sur la crise actuelle, sur la dégénérescence des gauches en Occident, et sur l’aggravations des tensions internationales.

Jean SALEM, philosophe, est professeur à la Sorbonne. Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages, qui portent sur le matérialisme antique (Démocrite, Epicure, Lucrèce) et moderne (libertins du XVIIè siècle, Feuerbach, etc.), sur l’œuvre de Marx, sur celle de Lénine. Outre des livres consacrés au bonheur, à Maupassant, à l’art italien de la Renaissance, il a également publié plusieurs essais tels que «Rideau de fer sur le Boul’Mich», «Formatage et désinformation dans le monde libre» (rééd. Delga, 2009), ou «Élections, pièges à cons?» (Flammarion, 2012).

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BON DE COMMANDE

Les éditions Delga viennent de publier Résistances. Entretiens avec Aymeric Monville de Jean SALEM.

Vous pouvez vous procurer le livre soit en le commandant chez votre libraire,
soit en envoyant ce bon de commande rempli,
accompagné d’un chèque de 20 euros à l’ordre des Editions Delga, à l’adresse :

Editions Delga, 38 rue Dunois, 75013 Paris.

Les Editions Delga se chargeront de vous le faire parvenir sans frais de port à l’adresse :
Adresse de livraison : …………………………………………………………..
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