DETTE ALLEMANDE ENVERS LA GRECE

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1941_acropole_0.large.jpgWalther von Brauchitsch, commandant en chef de la Wehrmacht visite l’acropolis en 1941 pendant l’occupation allemande de la Grèce.

98 milliards d’euros, la dette de l’Allemagne à la Grèce

Au minimum, 90 milliards…

Pourquoi les demandes de réparation de la Grèce envers l’Allemagne sont justifiées

ci après une traduction d’un article de Karl Heinz Roth, parue sur le site contremps.eu sur la dette de l’Allemagne envers la Grèce du fait des réparations de guerre (1939-1945) que l’Allemagne n’a jamais payées. Le chercheur et militant allemand, ancien membre du bureau national de l’Union socialiste allemande des étudiants et fondateur de la revue 1989, décrit le pillage de la Grèce pendant l’occupation l’allemande et, à partir de ces éléments, propose un calcul de la dette actuelle due par l’Allemagne à la Grèce, tout en discutant de la légitimité actuelle des demandes de réparations grecques.

Le 6 avril 1941, la Wehrmacht attaque la Yougoslavie et la Grèce. Fin octobre 1940, l’armée grecque a déjà repoussé une offensive italienne depuis l’Albanie et de ce fait un corps expéditionnaire britannique a été laissé en soutien dans le pays. Pour les Allemands, ce développement entraine une double menace stratégique. D’abord en ce qui concerne les champs pétrolifères roumains mais aussi par rapport à l’offensive planifiée contre l’Union Soviétique qui présente désormais des faiblesses sur son flanc sud-est. En 1941, ni la Yougoslavie ni la Grèce ne sont en mesure de résister à l’attaque de la 12ème armée de la Wehrmacht.

La direction de la Wehrmacht utilise cette « guerre-éclair » (« Blitzkriegs-Exkurs ») comme champ d’expérience afin de tester le pillage économique total prévu pour être répliqué en Union Soviétique. La Grèce est systématiquement pillée. Entre le début de l’offensive et le début du mois de juin 1941, de grandes quantités de minerais et de concentrés de chrome, de zinc, d’étain, de cuivre et de plomb s’accumulent dans le port de Thessalonique afin d’être transportés vers l’Allemagne. De plus, les managers industriels allemands prennent le contrôle de la production annuelle des métaux industriels que sont la bauxite, le manganèse, le nickel, le molybdène et la pyrite, si bien que la somme totale annuelle d’exportation de matières premières atteint 45 à 50 millions de Reichsmark (RM). Le charbon, l’huile minérale et les produits d’exportation agricoles les plus importants comme les raisins secs, l’huile d’olive, le coton, le sucre, le riz et le cocon de soie sont également envoyés en Allemagne. En outre, les officiers chargés des questions économiques confisquent les machines-outils du consortium d’armement de Bodsakis et une grande partie du matériel roulant du chemin de fer.

Cependant le butin le plus considérable reste le tabac. Sous la direction du manager de Reemtsma, Otto Lose, toute la récolte de 1939 et 1940 est confisquée et transportée vers l’Allemagne. Il s’agit de 85.000 tonnes de tabac d’Orient, soit l’équivalent de 175 millions de Reichsmarks. Cette quantité suffit pour approvisionner l’Allemagne en cigarettes pendant une année entière et leur vente génère un revenu fiscal de 1,4 milliards de Reichsmarks.

Comme contrepartie pour ces « achats », la 12ème armée délivre soit des certificats de livraison qui contiennent la promesse de paiement après la guerre, ou paye avec des « bons de caisse de crédit », moyen de paiement de la Wehrmacht, indexé sur les prix de 1939. Ces paiements ou promesses de paiement fictifs doivent être refinancés soit en liquide (drachmes), soit en crédits par le gouvernement de collaboration du général Tsolakoglu installé le 30 avril 1941. Ce gouvernement se voit donc contraint de faire marcher la planche à billets, de surendetter l’État et de gonfler le déficit du bilan de la banque centrale grecque. C’est le premier pas dans l’hyperinflation, revers des expéditions de pillage. La chute ainsi provoquée de l’économie grecque est d’autant plus accélérée que l’industrie de transformation perd son approvisionnement en matières premières et doit réduire sa production.

Avec ce pillage économique planifié, les conditions économiques se dégradent dramatiquement. La drachme est dévaluée deux fois. En août 1941, un premier paiement de trois milliards de drachmes mensuels est imposé à la banque centrale grecque pour rembourser les frais d’occupation. Cette politique ouvre définitivement les vannes économiques du pays. La Wehrmacht considère désormais la Grèce comme un tremplin pour ses opérations en direction de l’Afrique du Nord et du canal de Suez, et les frais de ravitaillement et de logistique augmentent drastiquement. Ils sont inclus entièrement dans les frais d’occupation. En raison de l’hyperinflation naissante les prix de l’alimentation augmentent rapidement : ils doublent avant la fin de l’année 41 et sont multipliés par 4 à 5 entre 1942 et début 1944. L’activité du secteur agro-alimentaire se réduit alors très fortement. La famine s’installe.

Dans les grandes et moyennes villes, près de 100 000 personnes meurent de faim ou de maladies liées à la faim à l’hiver 1941/42. Pour la plupart, les victimes sont des enfants et des personnes âgées issues de classes sociales populaires. Toute personne qui le pouvait, s’enfuyait dans les régions villageoises pour y vivre d’une économie de subsistance. Cette migration interne et massive vers les campagnes vient soutenir la résistance qui commence à s’organiser rapidement.

Bilan des destructions

Quand les Allemands se retirent de Grèce, à partir d’octobre 1944, ils ne laissent pas seulement un pays ruiné économiquement mais aussi en grand partie détruit. Ce sont en tout six facteurs qui détruisent le potentiel économique de la Grèce pendant l’occupation allemande :

Premier facteur : les pillages pendant la première phase d’occupation. Ils atteignent en valeur un montant d’au moins 750 millions de Reichsmarks. Les confiscations continuent cependant au-delà de cette période. Ainsi au plus tard à partir de l’été 1943, il est devenu habituel de piller systématiquement les villages qu’on prévoie de détruire.

Deuxième facteur : le pillage du fait des rapports d’échange inégaux lors des « achats» de la Wehrmacht et des «remboursements» qui s’en suivent. Il y a de bonnes raisons d’estimer que la dette allemande liée à ces opérations menées jusqu’à l’automne 1944 est d’au moins 125 millions de Reichsmarks.

Troisième facteur : les dépenses extorquées au régime de collaboration grec pour frais d’occupation et coûts de projets d’infrastructure militaires. Une estimation du ministère des finances du IIIe Reich parle d’un montant de 500 millions de Reichsmarks pour l’année budgétaire 1943. En partant de cette donnée, il est possible de décompter pour les 3 ans et demi d’occupation – y compris l’emprunt obligatoire imposé à la banque centrale grecque – un montant total d’environ 1,75 milliard de reichsmarks.

Quatrième facteur : l’exportation de matières premières stratégiques qui fait suite à la première phase de pillage par l’industrie minière grecque sous contrôle allemand. Elle couvre une partie importante des besoins allemands comme par exemple pour le minerai de chrome et la bauxite et atteint une ampleur considérable d’après le rapport final de la direction de l’industrie de l’armement de la Wehrmacht pour la Grèce de septembre 1944.

Cinquième facteur : la destruction d’une partie considérable de l’économie dans le cadre des mesures de terreur et de la pratique de la terre brûlée lors des opérations de retraite. Les représailles contre les région contrôlées par la résistance armée entraîne la destruction de 1.600 localités – des villages, hameaux et petites villes. Plus de 100.000 maisons sont ainsi incendiées. À la date de la retraite allemande environ 400.000 habitant.e.s sont sans-abris. Si nous estimons la valeur marchande moyenne de chaque bâtiment détruit à 10.000 reichsmarks, alors cela équivaut à une somme d’un milliard de reichsmarks. Il faut y ajouter les vastes destructions des infrastructures routières et ferroviaires visées systématiquement par les troupes allemandes pendant leur retraite.

Sixième facteur : la perte de vies humaines qui ne peuvent jamais vraiment être dédommagées par aucun geste, si généreux soit-il. Sur 6,933 millions de personnes avant le début de l’occupation, au total 520.000 personnes de nationalité grecque meurent, victimes de l’attaque allemande. Au moins 125.000 de ceux-ci meurent de faim. Environ 100.000 personnes grecques sont assassinées dans les camps de concentration allemands. 60.000 Juives, Juifs et Roms sont tué.e.s dans le cadre de la Shoah. Les rafles dans les grandes villes et les massacres dans les régions villageoises, par les militaires allemands et la police tuent 56.000 individus supplémentaires.

La question des réparations

Après la libération, des économistes et des experts de la banque centrale grecque commencent à faire le bilan des conséquences économiques de l’occupation allemande. Leurs constatations sont adressées à la conférence de réparation interalliée qui siège autour du nouvel an 1945/46 à Paris. Les résultats en sont, le 14 janvier 1946, une convention de réparation et la fondation d’une agence de réparation (IARA) inter-alliée. Pour les pourparlers sur les réparations envers la Grèce, ce sont avant tout deux expertises qui sont significatives.

A. Angelopoulos estime que les frais d’occupation ont soutiré 4,050 milliards de dollars US à l’économie grecque et que les dégâts causés à l’ensemble de l’économie sont de 3,172 milliards de dollars US, ce qui revient à un montant total de 7,222 milliards de dollars d’US sur la base du pouvoir d’achat du dollar US de 1938. Au contraire A. Sborounis, chef de la délégation grecque, pose une estimation totale de 12 milliards de dollars d’US, également sur la base de 1938. Finalement, le gouvernement grec s’accorde sur une somme de réparations de 10,45 milliards de dollars US.

Le montant global convenu lors des pourparlers de Paris, de l’ordre de 7,1 milliards de dollars US, constitue un socle inattaquable en droit international pour toutes les discussions ultérieures. Certes, cette convention de réparation de Paris a été suspendue de fait par la convention de sur la dette de Londres de 1953, mais elle n’a jamais été annulée. Donc, puisque le pouvoir d’achat du dollar US a diminué entre 1938 et 2010 en raison de la dévalorisation continue selon le facteur 15, les droits de réparation pour la Grèce définis par la conférence de Paris se montent à 106,5 milliards de dollars US en 2010.

La convention sur la dette de Londres de février 1953 a prorogé les demandes de réparation qui avaient été adoptées sept ans plus tôt. Ces demandes ont été adressées d’abord en 1946 à la zone d’occupation interalliée, puis plus tard à la RFA, et sont reprises finalement dans la perspective de l’adoption d’un traité de paix avec une future Allemagne unifiée1. Après de longues négociations, le gouvernement grec obtient en mars 1960 un versement unique de 115 millions de Deutschmarks. Dans le compte rendu de ces accords, le gouvernement grec anticipe et spécifie que cela ne signifie pas que les revendications de réparations sont satisfaites.

Au moment de l’annexion de la RDA par la RFA, la question des réparations resurgit. Ceux qui s’attendaient à ce qu’une nouvelle convention (avec des règles contraignantes) soit élaborée sur cette question ont été déçus. Certes, l’accord de septembre 1990 entre les quatre alliés principaux et les deux Etats allemands, ratifié à la veille de l’unification, équivaut très certainement à un traité de paix, mais il ne dit rien sur les réparations.

Une facture encore largement due

Le paiement global de 115 millions de deutschmarks de 1960 de la RFA à la Grèce vise uniquement à dédommager les personnes persécutées pour raison raciale et politique. Même si le versement exclut du dédommagement les descendants des victimes de massacres et de la famine, il a le caractère d’une réparation du fait de son mode de transfert interétatique et parce qu’il répond aux réparations individuelles mentionnées dans l’accord de Paris de 1946. Ainsi, en 1960, 27,578 millions de dollars US supplémentaires sont payés à la Grèce en accord avec les taux de changes de l’époque. Comme l’index d’inflation pour la période entre 1960 et 2010 est de 7,35, cela correspond à une somme d’environ 202,7 millions dollars US sur la base du pouvoir d’achat de 2010.

En revanche, le deuxième paiement de dédommagement de 2003 se déroule hors du cadre d’un contrat bilatéral. Il est versé, dans le cadre de la fondation « souvenir, responsabilité et avenir » au bénéfice d’un groupe spécifique, les personnes victimes du travail forcé en Grèce. Puisque notre base de référence, la convention de réparation de 1946, ne prévoit pas la division des dédommagements de la guerre entre les réparations dues à l’Etat et celles dues à des personnes privées, nous ne devons pas exclure ces paiements. 20 millions d’euros ont été payés aux victimes de travail forcé en Grèce. Ce qui équivaut à 22,588 millions de dollars US selon le taux de change de 2003. Il faut aussi prendre en compte l’index d’inflation (1,19) pour la période allant de 2003 à 2010, ce qui fait que le remboursement effectué en 2003, calculé sur la base du pouvoir d’achat de 2010, peut être estimé à 26,9 millions de dollars US.

Si on additionne ces trois versements partiels, calculés sur la base du pouvoir d’achat de 2010, on arrive à un sous-total de 1,954 milliards de dollars US. Cette somme doit être soustraite de la somme totale fixée en 1946 (106,5 milliards de dollars US sur la base du pouvoir d’achat de 2010). Il s’agit ainsi de 104,546 milliards de dollars US ou de 78,844 milliards d’euros (toujours sur la base du pouvoir d’achat de 2010). Depuis l’euro a été dévalorisé considérablement et cette tendance continue à moyen terme. La dette de réparation allemande se monte donc actuellement à 98,503 milliards d’euros. Nous pouvons ainsi estimer la dette de réparation à, au moins 90 milliards d’euros.

Ressentiments populistes

En Allemagne ces calculs vont très certainement être perçus comme scandaleux par la majorité de la population. Le premier argument à réfuter concerne les accords de réparation de Paris de 1946. Datant de près de 70 ans, il seraient ainsi de « l’histoire ancienne», alors même que d’un point de vue de droit international, ils n’ont de fait jamais été annulés. A contrario, en raison des accords de Londres, les dettes allemandes dues à des créanciers privés, qui remontent parfois à 1924, ont été amorties jusque dans les années 1980. Dans le même ordre d’idées, alors que le paiement des intérêts sur les réparations de la première guerre mondiale par la RFA avait été ajourné lors de la convention de Londres, du fait de la partition de l’Allemagne, le fisc allemand a postérieurement repris les paiements jusqu’au 3 octobre 2010 – soit presque un siècle après la fin de la première guerre. L’argument du gouvernement fédéral qui vise donc à refuser les demandes de réparation grecques au nom d’un délai sans précédent paraît bien cynique si l’on remonte l’histoire des réparations.

Deuxièmement, il faut rappeler que ces calculs sont basés sur des estimations et des montants minimaux. Mais comme les réparations doivent toujours prendre en compte en plus des biens et services volés, les salaires et revenus soustraits, il faudrait y ajouter un calcul sur la base de l’index des salaires et de l’index des produits sociaux et d’en estimer une valeur moyenne. Dans ce cas les réparations dues seraient encore plus importantes.

Une troisième série d’arguments provient de mots d’ordre populistes : Est-ce que les petit.e.s contribuables et les retraité.e.s allemand.e.s qui vivent déjà pauvrement devraient payer pour les demandes de réparations de la Grèce ? Aux côté de la banque impériale allemande (Deutsche Reichsbank), des services fiscaux de l’époque (Reichfiskus), des groupements économiques et des commandements économiques de la Wehrmacht ,ce sont avant tout les grandes entreprises qui ont organisé et profité du pillage de la Grèce. Elles existent encore aujourd’hui. ThyssenKrupp, l’industrie du tabac, Siemens, des entreprises de construction de premier plan et des grandes banques. Tout autant que la Deutsche Bundesbank (qui assume la succession juridique de la Deutsche R eichsbank), elles devraient se voir également présenter la facture. Un prélèvement généreux sur les réserves d’or de la banque fédérale allemande ainsi que sur la fortune des responsables historiques envers une Grèce ébranlée par la crise serait un signal essentiel.

Ce texte est une synthèse du livre Griechenland am Abgrund. Die deutsche Reparationsschuld (La Grèce au bord du gouffre, les dettes de réparation allemande) de Karl Heinz Roth publié dernièrement aux éditions VSA-Verlag.

Il a été publié en allemand dans le journal AK – analyse & kritik. Zeitung für linke Debatte und Praxis / Nr.606 / 16.6.2015 https://www.akweb.de/

Traduit par Aurélie Audeval et Jan Wörlein

Image en bandeau : Walther von Brauchitsch, commandant en chef de la Wehrmacht visite l’acropolis en 1941 pendant l’occupation allemande de la Grèce.

1. NdT : Les traités de paix post-guerre ont été rédigés comme des traités provisoires, du fait de la partition de l’Allemagne. Avec la réunification, ces traités auraient donc du être réexaminés.

Karl Heinz Roth

date:le 16/07/2015

OMAR AKTOUF S’OPPOSE À LA MEUTE DES EXPERTS NÉOLIBÉRAUX

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[ Publié par Saoudi Abdelaziz

le 26 Juillet 2015->http://www.algerieinfos-saoudi.com/2015/07/omar-aktouf-s-oppose-a-la-meute-des-experts-neoliberaux.html]

ob_d86a01_omar-aktouf.jpgPhoto DR

Lorsque Liberté titre ce matin “Le gouvernement n’a aucune vision économique” reprenant une phrase de l’interview de Omar Aktouf, on pourrait penser que cet économiste hétérodoxe a rejoint la meute des experts néolibéraux qui à la faveur de la diminution des recettes pétrolières, se relayent pour expliquer que l’Algérie doit sans tarder tenir compte des « réalités de la mondialisation ». Ils expliquent l’urgence d’un tournant « anti-populiste », et demandent aux décideurs de mettre aux oubliettes les responsabilités sociales de l’Etat algérien qui sont constitutives du pacte national, depuis le 1er Novembre . Les néolibéraux veulent que l’on aille plus loin et plus systématiquement dans le démantélement de cette option sociale déjà fortement rongée. Le drame de la maternité du CHU de Constantine illustre encore une fois les conséquences dramatiques de l’abandon du rôle de l’Etat dans la Santé publique. Omar Aktouf se situe à contrecourant de la meute.

Quelques propos

La politique actuelle est « flottante »

« Pour paraphraser un certain Charles de Gaulle, je dirais que nos décideurs font de la politique “qui flotte sur l’événement, comme le bouchon flotte sur la vague”. C’est là le résultat d’un vide total en matière de vision économique. Ce qui en tient lieu, c’est une religion, un dogme, assis sur les chimères du “Dieu Marché” néolibéral, qui impose la “non-vision” : “laisser faire” et compter sur la régulation magique de la main invisible. Laisser “le bouchon flotter” au hasard ».

Les pouvoirs successifs n’ont jamais eu la volonté “ferme” de diversifier l’économie, trop contents de s’appuyer sur la manne des hydrocarbures : on pompe, on vend, on importe, on achète la paix sociale, on se gave et on continue. J’ai vu un embryon d’une telle volonté à une période de l’époque dite “Boumediene”. Lorsque notre pays faisait ce que font les pays émergents : des politiques de développement autocentré. C’est-à-dire, compter sur ses propres ressources en les développant : formation d’ouvriers, techniciens, cadres tous azimuts ; installation de capacités de production ; supervision étatique des infrastructures et moyens d’équipement ; lancement de plans par priorités sectorielles ; contrôle des secteurs stratégiques ; élimination des dépendances extérieures. Mesures s’accompagnant de l’implication (Corée, Malaisie, Chine) d’un secteur privé poussé à être “patriotique” et intraverti. Boumediene et ses technocrates furent vite dépassés par les gangrènes qui commencèrent à ronger le pays : népotisme, clanisme, ascension des incompétents, corruption.

« Il ne s’agit pas de réduire les dépenses de l’État, il s’agit d’en hausser les revenus en allant chercher l’argent là où on sait qu’il est. Mais cela implique de sortir de l’ornière néolibérale et oser autrement. Mais cela implique de sortir de l’ornière néolibérale et oser autrement. Comme la Suède dont près de 60% du PNB provient de l’impôt, ou l’Islande qui, après 2008, a étatisé le système financier du pays. Ils s’en portent très bien. Ces actes “d’austérité” qu’adopte notre pays n’ont que trop montré les dégâts qu’ils peuvent causer, particulièrement en Europe, otage d’un fanatisme néolibéral qui ne profite qu’aux banques et aux multinationales. Notre pays se classe, pour les fortunes privées (connues), parmi ceux qui en possèdent les plus grosses d’Afrique et du monde. Cela donne une idée de l’ampleur des “pertes de revenus” pour l’État et de l’immensité des inégalités. Ce qui se passe en Grèce devrait nous éclairer et nous faire radicalement changer de cap.

La politique d’austérité, une solution?

Absolument pas ! Il suffit de regarder l’Europe et voir ce que près de huit ans de ce genre de “remède” a donné. Toute politique de diversification a déjà été handicapée, annihilée depuis longtemps par l’abandon des mesures “d’auto-centrage”, puis par l’effet des diktats néolibéraux, le bradage de l’économie aux mains d’“élites” vendues au chant néolibéral-néocolonialiste et ses refrains : “libre marché”, “déclin de l’État”, “privatisations”, “coupures”. Diversification annihilée, également, par le recours à des experts dont la compétence est à l’aune de leur vassalité vis-à-vis du modèle américain. Armes de destruction massive en tête : MBA et autres DBA (Doctorate in Business Administration, invention académique US destinée à renforcer, par titre ronflant interposé, la fabrication de la doctrine du “comment plaire aux classes riches” que l’on dénomme “management”). On en voit les résultats aujourd’hui. Et les gros freins à la diversification : d’abord, il est trop tard pour lancer un développement autocentré, et ensuite, trop facile de continuer la stratégie de rente et de captage des retombées de la rente.

Les problèmes structurels de l’économie algérienne

Ces problèmes sont autant techniques que politiques, écologiques, sociaux… Mais, c’est le propre de ces doctrines (surtout de type US) de laisser croire que tout doit être résolu par des “techniques”. Et que tout ce qui est philosophie sociale, écologie, économie politique, projets de sociétés n’est qu’inutiles balivernes. C’est la mission des écoles de MBA et DBA qu’on multiplie comme des champignons : mathématiser, techniciser et tout réduire en service au money making. La nature devient “stocks”, la société “marché d’employables”, l’humain “ressource”, etc. Surmonter les problèmes structurels de notre économie doit passer par une radicale rupture avec le néolibéralisme, comme la Malaisie de Mahathir qui se plaisait à répéter : “Look East !” ou “regarder vers l’Est” (modèles nippon, coréen…). Il nous faut comprendre que ce qui est à la base de la crise structurelle de l’Occident du capitalisme financier, c’est que nul ne songe à couper dans les indécents “salaires”, “bonus”, “parachutes”, que s’octroient (via les cercles mafieux que l’on dénomme Conseils d’administration) les patrons et gros actionnaires. Alors que c’est là que les États iraient chercher “économies” et sources d’équilibres budgétaires. La raison en est simple : les vrais décideurs se trouvent dans les banques et dans les CA des CAC-40 (40 plus grosses firmes de France) de ce monde (soit dit en passant, ce CAC-40 ne paie en moyenne que 8% de ses revenus au fisc français, alors que n’importe quel ouvrier est taxé à 50% ou plus).

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Source : Liberté.com

L’HÉRITAGE DE FRANTZ FANON

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HAMZA HAMOUCHENE

le 7 JUILLET 2015

Frantz Fanon est mort quelques mois avant l’indépendance de l’Algérie en juillet 1962. Il n’a pas vécu pour voir son pays d’adoption s’affranchir de la domination coloniale française, une chose qu’il pensait être devenue inévitable. Cet intellectuel radical et révolutionnaire s’est consacré corps et âme à la libération nationale algérienne et a été un prisme à travers lequel de nombreux révolutionnaires étrangers ont compris l’Algérie et l’une des raisons pour lesquelles le pays est devenu synonyme de révolution du tiers monde.

Avec le poids de son passé récent et en particulier sa longue lutte pour l’indépendance qui a servi de modèle pour plusieurs fronts de libération à travers le monde, et compte tenu de sa diplomatie affirmée et de sa politique étrangère audacieuse dans les années 1960 et 1970, la capitale algérienne allait devenir la « Mecque » de tous les révolutionnaires. Comme Amilcar Cabral l’a dit lors d’une conférence de presse en marge du premier Festival Panafricain tenu à Alger sur 1969 : «Prenez un stylo et notez : les musulmans font le pèlerinage à la Mecque, les chrétiens au Vatican et les mouvements de libération nationale à Alger!» Fanon aurait sûrement été fier de cette séquence de l’histoire de l’Algérie et de l’Afrique. Le festival était imprégné de ferveur révolutionnaire et d’idées sur une culture combative alimentée par les luttes quotidiennes du peuple. L’atmosphère radicale de quelques jours de juillet a été immortalisée par l’important et puissant film de William Klein, Le Festival panafricain d’Alger 1969, qui atteste que cette rencontre panafricaine n’était pas seulement un slogan ou une utopie généreuse mais aussi une véritable rencontre des cultures africaines unies à la fois dans leurs dénonciations du colonialisme et leur lutte pour la liberté.

Les dirigeants politiques comme António Agostinho Neto et Cabral voyaient la culture comme étant au cœur de leurs préoccupations parce qu’ils l’associaient à la libération qu’ils ont théorisée comme une forme d’action politique. Ils font fortement écho aux mots de Fanon dans Les damnés de la terre: «La culture nationale n’est pas le folklore où un populisme abstrait a cru découvrir la vérité du peuple. Elle n’est pas une masse sédimentée de gestes purs, c’est-à-dire de moins en moins rattachables à la réalité présente du peuple […] La culture négro-africaine, c’est autour de la lutte des peuples qu’elle se densifie et non autour des chants, des poèmes ou du folklore [[Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Editions La Découverte, 2002, p. 221-223.]]».

Il vaut mieux garder cela à l’esprit quand on pense au rôle et à la conception de la culture aujourd’hui. Est-ce simplement une culture qui divertit la population et la détourne des vrais problèmes ? Ou est-ce une culture qui parle au peuple et met en avant sa résistance et ses luttes ? Est-ce une culture indépendante et libre qui favorise la dissidence et la critique, ou est-ce une culture folklorique qui arrive sous le patronage suffocant de certaines élites autoritaires?

an-v-193x300.jpgFanon avait de grands espoirs et croyait fermement en l’Algérie révolutionnaire et son livre lumineux L’an V de la révolution algérienne l’atteste et montre comment la libération ne vient pas comme un cadeau. Elle est saisie par les masses de leurs propres mains et en la saisissant, elles sont elles-mêmes transformées. Il a fermement soutenu que pour les masses, la forme la plus élevée de la culture, c’est-à-dire du progrès, c’est la résistance à la domination et à la pénétration impérialistes. Pour Fanon, la révolution est un processus de transformation qui permettra de créer de « nouvelles âmes [[L’expression « nouvelles âmes » est un emprunt à Aimé Césaire.]]». Pour cette raison Fanon termine son livre de 1959 avec ces mots : « La Révolution en profondeur, la vraie, parce que précisément elle change l’homme et renouvelle la société, est très avancée. Cet oxygène qui invente et dispose une nouvelle humanité, c’est cela aussi la Révolution Algérienne. [[Frantz Fanon, L’an V de la révolution algérienne, La Découverte, 2001, p. 174.]]»

La préoccupation de Fanon pour ce que les masses font, disent et pensent, et sa conviction que ce sont les masses, et non pas les dirigeants ni les systèmes, qui font et déterminent l’histoire, sont au cœur de ses livres. Il est crucial d’analyser le témoignage de Fanon, car il montre comment au milieu des pires catastrophes, les masses trouvent les moyens de se réorganiser et de poursuivre leur existence quand elles ont un objectif commun. À cet égard, les descriptions de Fanon de la conduite des masses sont d’une grande importance car elles montrent comment les masses cheminent dans leur existence et comment elles vont de l’avant [[Une analyse plus profonde est fournie dans L’an V de la révolution algérienne.]].

Cette attention et ce vif attachement aux damnés de la terre, à leurs vies et leurs luttes est mis en opposition à une aversion instinctive envers une bourgeoisie nationale qui va trahir les masses, stopper la libération et mettre en place un système national de tyrannie et d’exploitation, sur le modèle de son homologue colonial. Fanon a observé à juste titre comment la conscience nationaliste peut très facilement conduire à la « rigidité gelée », remplaçant simplement les maîtres blancs défunts avec des équivalents de couleur.

Comprendre l’Afrique : Fanon aujourd’hui

Plus de cinq décennies après sa mort, la question semble être : pourquoi Fanon est-il pertinent aujourd’hui, plutôt qu’est-il pertinent du tout ? Il serait instructif d’examiner comment ce révolutionnaire aurait pensé et agi face aux enjeux contemporains en Afrique et dans le monde.

Le travail de Fanon, écrit il y a cinq décennies porte encore un pouvoir prophétique qui réside notamment dans la description exacte de ce qui est arrivé en Algérie et au-delà. En lisant les mots de Fanon et en particulier «Les mésaventures de la conscience nationale» son célèbre chapitre des Damnés de la terre (basé sur ses réflexions sur ses expériences en Afrique de l’Ouest ainsi que ses préoccupations au sujet de la révolution algérienne[[Les mésaventures de la conscience nationale, chapitre des Damnés de la terre, p. 145-193.]]), on ne peut s’empêcher d’être absorbé-e-s et secoué-e-s par leur vérité et leur clairvoyance sur la faillite et la stérilité des bourgeoisies nationales en Afrique et au Moyen-Orient aujourd’hui ; bourgeoisies qui avaient tendance à remplacer la force coloniale avec un nouveau système basé sur des classes reproduisant les anciennes structures coloniales d’exploitation et d’oppression. Aujourd’hui, nous pouvons voir les Etats à travers le monde anciennement colonisé qui ont des « pathologies de pouvoir congénitales » comme Eqbal Ahmad les a appelés, donnant naissance à des Etats de sécurité nationale, à des dictatures, des oligarchies et des systèmes à parti unique [[Eqbal Ahmad, The Neo-Fascist State: Notes on the Pathology of Power in the Third World (L’Etat néo-fasciste : notes sur la pathologie du pouvoir dans le Tiers Monde), Arab Studies Quarterly 3, No.2 (été 1981), p. 170-180.]].

Ce qui est advenu de l’Algérie d’aujourd’hui avec l’argent du pétrole qui joue un rôle extrêmement important dans la pacification de la population et le financement d’une force de sécurité pléthorique et omniprésente, correspond à ce que Fanon craignait. Sa vision et sa politique étaient et ne sont pas du goût de la classe dirigeante et c’est pourquoi il est marginalisé aujourd’hui et réduit à n’être qu’une autre figure anticoloniale, dépouillée de son attaque incandescente sur la stupidité et la pauvreté intellectuelle et spirituelle des bourgeoisies nationales.

livre-ewsaid-culture_imperialisme-195x300.jpgComme le disait Edward Said, le vrai génie prophétique des Damnés de la terre, c’est quand Fanon détecte la fracture entre la bourgeoisie nationaliste en Algérie et les tendances libératrices du FLN. Il a été le premier théoricien majeur de l’anti-impérialisme à réaliser que le nationalisme orthodoxe a suivi la même piste taillée par l’impérialisme, qui tout en apparaissant concéder le pouvoir à la bourgeoisie nationaliste, étendait en réalité son hégémonie [[Edward Said, Culture et impérialisme, Fayard/Le monde diplomatique, 2001.]]. Fanon nous l’a carrément montré : « Que le combat anticolonialiste ne s’inscrive pas d’emblée dans une perspective nationaliste, c’est bien ce que l’histoire nous apprend.[[Fanon, Les damnés de la terre, p. 145.]]» Il nous avertit alors que nous devons faire un pas rapide de la conscience nationale à la conscience politique et sociale si nous voulons vraiment que nos pays évitent la régression et les incertitudes.

Dans cet état de choses la bourgeoisie nationale se passe de la légitimité populaire et tourne le dos de plus en plus à l’intérieur et aux réalités du développement inégal et n’est intéressée qu’à l’exportation des énormes profits qu’elle tire de l’exploitation des personnes vers des pays étrangers. Les événements d’aujourd’hui confirment cette affirmation que nous pouvons voir une corruption endémique et scandaleuse et un vol « légalisé » en Algérie, au Nigeria, en Egypte, dans la Tunisie de Ben Ali et l’Afrique du Sud, pour ne citer que quelques exemples.

En Algérie par exemple, une bourgeoisie anti-nationale, stérile et improductive a la haute-main dans la gestion des affaires de l’Etat et dans la direction de ses choix économiques. Cette élite compradore est la plus grande menace à la souveraineté de la nation comme elle brade l’économie aux capitales et multinationales étrangères et coopère avec l’impérialisme dans sa « guerre contre le terrorisme », un autre prétexte pour étendre la domination et la ruée pour les ressources [[Hamza Hamouchene, L’Etat algérien est-il anti-impérialiste? Etat d’Exception.net.]]. C’est une bourgeoisie qui a renoncé au projet de développement autonome initié dans les années 1960 et 1970, et comme Fanon l’a éloquemment exprimé « n’arrive même pas à arracher à l’Occident des concessions spectaculaires : investissements intéressants pour l’économie du pays [[Fanon, Les damnés de la terre, p. 169.]]» Au contraire, elle accepte désormais concession sur concession pour des privatisations et projets aveugles qui vont miner la souveraineté du pays et mettre en danger sa population et son environnement – l’exploitation du gaz de schiste par exemple [[Hamza Hamouchène, Algeria, an Immense Bazaar: The Politics and Economic Consequences of Infitah, Jadaliyya, janvier 2013.]]. Aujourd’hui, l’Algérie – mais aussi la Tunisie, l’Egypte, le Nigeria, le Sénégal, le Ghana, le Gabon, l’Angola et l’Afrique du Sud entre autres – suit les diktats des nouveaux instruments de l’impérialisme comme le FMI, la Banque mondiale et négocie son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce. D’autres pays africains utilisent encore le Franc CFA, une monnaie héritée de l’époque du colonialisme et toujours sous le contrôle du Trésor français. Fanon aurait été révolté par cette bêtise et pure stupidité. Comment pouvons-nous continuer à être soumis à l’impérialisme en nous inclinant à toutes les folies pour satisfaire les capitaux étrangers ?

Fanon avait prédit cette situation inquiétante et le comportement choquant de la bourgeoisie nationale quand il écrivait que sa mission n’avait rien à voir avec la transformation de la nation, mais consistait plutôt « à servir de courroie de transmission à un capitalisme acculé au camouflage et qui se pare aujourd’hui du masque néo-colonialiste.[[Fanon, Les damnés de la terre, p. 149]]» C’est là que nous pouvons apprécier la valeur durable d’employer la sagacité critique de Fanon nous décrivant la réalité postcoloniale contemporaine, une réalité façonnée par une bourgeoisie nationale « sans vergogne … antinationale », s’enfonçant ajoute-t-il, dans la voie horrible d’une bourgeoisie classique, « d’une bourgeoisie bourgeoise, platement, bêtement, cyniquement bourgeoise.[[Ibid, p. 147.]]»

C’est exactement ce qui s’est passé en Algérie et dans d’autres pays en Afrique. Ces régimes se contentent du rôle d’agent d’affaires des capitales occidentales et ne sont préoccupés que par le fait de se remplir les poches le plus rapidement possible, en ignorant la stagnation déplorable dans laquelle leurs pays s’enfoncent plus loin et plus profondément. Fanon aurait été choqué par la division internationale du travail en cours où nous, Africain-e-s, « on continue à expédier les matières premières, on continue à se faire les petits agriculteurs de l’Europe, les spécialistes de produits bruts.[[Ibid, p. 148.]]»

La critique de Fanon du tourisme, qu’il considérait comme une industrie postcoloniale par excellence, doit être revisitée et poussée plus loin. Il condamne le fait que les élites nationalistes soient devenues « les organisateurs de fêtes » pour leurs homologues occidentaux au beau milieu de l’énorme pauvreté de leurs populations. À court d’idées et coupées du peuple, ces élites, soutient-il, auront en pratique fait de leur pays « le lupanar de l’Europe [[Ibid, p. 150.]]». Ce n’est pas juste le cas des Caraïbes ; c’est devenu celui de nombreux pays d’Afrique comme l’Afrique du Sud postapartheid, la Tunisie, l’Egypte et le Maroc.

« Dans ces pays pauvres, sous-développés, où, selon la règle, la plus grande richesse côtoie la plus grande misère, l’armée et la police constituent les piliers du régime. Une armée et une police qui, encore une règle dont il faudra se souvenir, sont conseillées par des experts étrangers. La force de cette police, la puissance de cette armée sont proportionnelles au marasme dans lequel baigne le reste de la nation. La bourgeoisie nationale se vend de plus en plus ouvertement aux grandes compagnies étrangères. À coups de prébendes, les concessions sont arrachées par l’étranger, les scandales se multiplient, les ministres s’enrichissent, leurs femmes se transforment en cocottes, les députés se débrouillent et il n’est pas jusqu’à l’agent de police, jusqu’au douanier qui ne participe à cette grande caravane de la corruption. [[Ibid, p. 165-166.]]»

fanon_wretched_gallimardjeunesse-179x300.jpgCe passage plein de rage des Damnés est une représentation assez précise de la situation dans de nombreux pays africains où la répression et la suppression des libertés sont la règle – avec l’aide bien sûr de l’expertise étrangère – et où les élites avides institutionnalisent la corruption et servent des intérêts étrangers.
Fanon était l’un des rares intellectuels radicaux à souligner les dangers d’un nativisme « soigneusement cultivé », pour reprendre les mots d’Edward Saïd, sur un mouvement sociopolitique comme la décolonisation [[Edward Said, Culture et impérialisme, p. 242.]]. De nationalisme, nous passons à l’ultranationalisme, puis au chauvinisme et enfin au racisme et au tribalisme. Cela se voit dans plusieurs idéologies dogmatiques et d’exclusion comme l’arabisme, la négritude de Senghor, et les appels à un Islam pur ou authentique, qui ont eu des conséquences désastreuses sur les populations. On peut reprendre à nouveau l’exemple de l’Algérie, où la diversité culturelle a été ignorée pour une conception culturaliste plus étroite de l’identité algérienne, où la dimension berbère du patrimoine culturel algérien a été marginalisée et réduite à des manifestations folkloriques, où l’élite s’est engagée dans une politique d’arabisation sclérosée, où s’est développée une interprétation conservatrice de la religion et une vision réactionnaire du rôle des femmes dans la société par l’adoption de mesures sociales destinées à apaiser les islamistes telles que le notoire et rétrograde Code de la famille de 1984.

Edward Said a noté que plus d’efforts semblaient être engagés dans le renforcement de l’idée qu’être syrien-ne, irakien-ne, égyptien-ne, ou saoudien-ne était une fin en soi, plutôt que de penser de manière critique, audacieuse même, sur le programme national lui-même [[Ibid.]]. La politique identitaire suppose la place principale, et « l’unité africaine […], dévoile son vrai visage et s’émiette en régionalismes à l’intérieur d’une même réalité nationale. [[Fanon, Les damnés de la terre, p. 155.]]» Fanon a plaidé pour aller au-delà des premières étapes de l’identité nativiste affirmée vers une véritable libération qui implique une transformation de la conscience sociale au-delà de la conscience nationale.[[Ibid.]]

La vision de Fanon de l’Algérie future, qu’il partageait avec son mentor Abane Ramdane, l’architecte de la révolution, était une société sécularisée et démocratique avec la primauté de la citoyenneté sur l’identité (arabe, amazigh, musulmane, juive, chrétienne, européenne, blanche, noire, etc.) : « dans le cadre de la Cité en construction, écrit Fanon dans L’an V de la révolution algérienne, il n’y a que des Algériens. Au départ donc, tout individu habitant l’Algérie est un Algérien. […] Nous voulons une Algérie ouverte à tous, propice à tous les génies. [[Fanon, L’an V de la révolution algérienne, p. 15.]]» Il n’a pas oublié le rôle des femmes dans la nouvelle société quand il dit que tous les efforts doivent être faits pour mobiliser les hommes et les femmes aussi rapidement que possible et avertit contre le danger « de perpétuer les traditions féodales qui consacrent la priorité de l’élément masculin sur l’élément féminin. [[Fanon, Les damnés de la terre, p. 191.]]» Fanon a démontré dans un article qu’il a écrit dans son livre de 1959 intitulé «L’Algérie se dévoile» comment les femmes étaient des éléments essentiels de la révolution algérienne et comment les nécessités du combat ont donné lieu à de nouvelles attitudes et de nouveaux modes : « Le caractère quasi tabou pris par le voile dans la situation coloniale disparaît presque complètement au cours de la lutte libératrice.[[Fanon, L’an V de la révolution algérienne, p. 44.]]»

Alternatives : un deuxième moment fanonien ?

Hélas, une vision aussi généreuse d’une société pluraliste est encore à atteindre et c’est le second moment fanonien de la décolonisation, un moment qui rompt avec les hiérarchies, les divisions et les régionalismes constitués par l’impérialisme en embrassant un humanisme universel (qui comprendra les hommes et les femmes), et en construisant des solidarités régionales et internationales.

La triste réalité contemporaine que Fanon a décrit et contre laquelle il a mis en garde il y a cinq décennies laisse peu de doute que s’il était vivant aujourd’hui, Fanon serait extrêmement déçu par le résultat de ses efforts et de ceux des autres révolutionnaires. Il s’est avéré avoir raison au sujet de la rapacité et de la division des bourgeoisies nationales et des limites du nationalisme classique, mais il ne nous offre aucune prescription pour faire la transition après la décolonisation vers un nouvel ordre politique libérateur. Peut-être n’y a-t-il pas quelque chose qui ressemble à un plan ou à une solution toute faite. Peut-être qu’il considérait cela comme un processus de longue durée qui sera informé par la praxis et surtout par la confiance dans les masses et leur potentiel révolutionnaire à mettre à jour l’alternative libératrice.

pageimage-491391-2181333-3tahrirspainbw-300x225.jpgFrom Tahrir to Puerta Del Sol – Thumba Lewis Photography

Néanmoins, Fanon nous avertit que l’enrichissement scandaleux de cette caste mercantile sera accompagné par « un réveil décisif du peuple, d’une prise de conscience prometteuse de lendemains violents.[[Fanon, Les damnés de la terre, p. 161.]]» Aussi, nous pouvons voir la rationalité fanonienne de la révolte et de la rébellion rendue soudainement claire par les soulèvements arabes en 2011. Ce qui a commencé en Tunisie, puis sur la Place Tahrir en Égypte, est devenu une nouvelle révolte mondiale, s’étendant à l’Espagne et au mouvement des Indignés, à Athènes contre les vicieuses mesures d’austérité, aux révoltes urbaines au Royaume-Uni, à la mobilisation étudiante massive pour mettre fin à l’éducation à but lucratif au Chili, au mouvement Occupy contre les 1%, à la révolte en Turquie, au Brésil et ainsi de suite. Les masses populaires dans tous ces pays se sont rebellées contre la violence du monde contemporain qui ne leur offre que la paupérisation, la marginalisation et l’enrichissement croissants de quelques-uns au détriment et à la damnation de la majorité.

Des pays comme l’Egypte et la Tunisie ont longtemps été félicités pour les réalisations « merveilleuses » de leurs économies avec des croissances qui ne reflètent pas du tout la pauvreté abjecte et les inégalités profondes ancrées dans ces pays. Les masses ont surgi sur la scène politique, ont découvert leur volonté politique et se sont remises à nouveau à faire l’histoire. Comme les Égyptiens l’ont dit le 25 janvier, au début de leur révolution : « Quand nous avons cessé d’avoir peur, nous savions que nous allions gagner. Nous ne nous permettrons plus d’avoir peur d’un gouvernement. C’est la révolution dans notre pays, la révolution dans nos esprits.[[Une citation d’Ahmad Mahmoud tirée d’un article du Guardian, “Mubarak is still here, but there’s been a revolution in our minds, say protesters”, Chris McGreal, 5 février 2011.]]» Les Egyptiens et les Tunisiens ne se sont pas seulement révoltés pour réclamer la démocratie et la liberté, mais ils se sont rebellés pour le pain et la dignité, contre les conditions socio-économiques oppressives dans lesquelles ils ont vécu pendant des décennies. Ils se levèrent pour contester les géographies manichéennes de l’oppresseur et de l’opprimé (si bien décrites par Fanon dans Les damnés), géographies qui leur sont imposées par le système capitaliste-impérialiste mondialisé.

Que peut nous dire Fanon sur ce qui s’est passé en Egypte depuis 2011, avec le coup d’État militaire et la contre-révolution en cours ? Fanon dirait probablement : « la bourgeoisie ne doit pas trouver de conditions à son existence et à son épanouissement. Autrement dit, l’effort conjugué des masses encadrées dans un parti et des intellectuels hautement conscients et armés de principes révolutionnaires doit barrer la route à cette bourgeoisie inutile et nocive. [[Fanon, Les damnés de la terre, p. 167-168..]]» Libéraux, islamistes ou généraux militaires, quelle est la différence? Tous appartiennent à une bourgeoisie stérile alignée sur la demande du capitalisme néolibéral mondial.

Fanon nous répèterait également une observation importante qu’il a faite sur quelques révolutions africaines (y compris celle d’Algérie), à savoir leur caractère fédérateur qui marginalise toute pensée d’une idéologie sociopolitique sur la manière de transformer radicalement la société. C’est une grande faiblesse à laquelle nous avons de nouveau assisté avec la révolution égyptienne. « Le nationalisme n’est pas une doctrine politique, ni un programme », dit Fanon[[Ibid, p. 192.]]. Il insiste sur la nécessité d’un parti politique révolutionnaire qui puisse prendre en charge les revendications des masses, un parti politique qui éduquerait le peuple politiquement, qui sera « un outil entre les mains du peuple » et qui sera le porte-parole énergique et le « défenseur incorruptible des masses ». Pour Fanon, atteindre une telle conception d’un parti nécessite d’abord de nous débarrasser de la notion bourgeoise d’élitisme et de l’idée «très méprisante que les masses sont incapables de se diriger.[[Ibid, p. 179.]]»

Pour Fanon, le « nous » était toujours un « nous » créatif, un « nous » de l’action politique et de la praxis, de la réflexion et du raisonnement [[50 Years Later: Fanon’s Legacy, Nigel C Gibson, Keynote address at the Caribbean Symposium Series “50 Years Later: Frantz Fanon’s Legacy to the Caribbean and the Bahamas”, décembre 2011.]]. Pour lui, la nation n’existe pas en dehors d’un programme sociopolitique et économique « élaboré par une direction révolutionnaire et repris lucidement et avec enthousiasme par les masses.[[Fanon, Les damnés de la terre, p. 192.]]» Malheureusement, ce que nous voyons aujourd’hui, c’est l’antithèse de ce pour quoi Fanon a fortement plaidé. Nous voyons la stupidité des bourgeoisies antidémocratiques incarnée dans leurs dictatures tribales et familiales, bannissant le peuple, souvent avec une force brute de la participation au développement de leur pays et favorisant un climat d’immense hostilité entre gouvernants et gouvernés. Fanon, dans sa conclusion des Damnés, soutient que nous devons travailler sur de nouveaux concepts à travers une éducation politique permanente qui s’enrichit à travers la lutte de masse. L’éducation politique pour lui ne consiste pas seulement en des discours politiques, mais plutôt en « la libération des esprits » de la population, « les éveiller, et permettant la naissance de leur intelligence[[Ibid, p. 179.]]».

C’est peut-être l’un des plus grands héritages de Fanon. Sa vision radicale et généreuse est si rafraîchissante et enracinée dans les luttes quotidiennes du peuple qu’elle ouvre des espaces pour de nouvelles idées et de nouveaux imaginaires. Pour lui, tout dépend des masses, d’où son idée d’intellectuels radicaux engagés dans et avec les mouvements populaires et capables de venir avec de nouveaux concepts dans un langage non technique et non professionnel. Tout comme pour Fanon, la culture doit devenir une culture de combat, l’éducation doit mener également à la libération totale. Il écrit: «Le nationalisme, s’il n’est pas explicité, enrichi et approfondi, s’il ne se transforme pas très rapidement en conscience politique et sociale, en humanisme, conduit à une impasse.[[Ibid, p. 193.]]» Et c’est ce que nous devons garder à l’esprit lorsque nous parlons d’éducation dans les écoles et les universités. L’éducation décoloniale dans le sens fanonien est une éducation qui contribue à créer une conscience sociale et un individu social.

Pour Fanon, le militant ou l’intellectuel ne doit pas prendre des raccourcis pour faire avancer les choses car ce serait inhumain et stérile. Il s’agit de se réunir et de réfléchir ensemble, ce qui est le fondement de la société libérée. Et ce n’est pas seulement une abstraction lorsqu’il nous donne des exemples concrets tirés de la révolution algérienne, décrivant la façon dont la création de comités de production /consommation parmi les paysans et le FLN a donné lieu à des questions théoriques sur l’accumulation du capital: «Dans ces régions où nous avons pu mener à bien ces expériences édifiantes, où nous avons assisté à la construction de l’homme par l’institution révolutionnaire, les paysans ont saisi très clairement ce principe qui veut qu’on travaille avec d’autant plus de goût qu’on s’engage plus lucidement dans l’effort. On a pu faire comprendre aux masses que le travail n’est pas une dépense d’énergie, ou le fonctionnement de certains muscles, mais qu’on travaille davantage avec son cerveau et son cœur qu’avec ses muscles et sa sueur.[[Ibid, p.182-183.]]» Il nous parle également d’une autre expérience dans L’an V de la révolution algérienne dans un article sur la radio intitulé « Ici la voix de l’Algérie…[[Fanon, L’an V de la révolution algérienne, p. 51-82.]]». Il décrit une réunion dans une salle où les gens écoutent la radio avec un militant (enseignant) en leur sein. Cette forme de salle de classe sur laquelle il a écrit est un espace démocratique où l’enseignant est un commentateur éclairé pas un administrateur, et où le but de l’éducation politique est l’autonomisation [self-empowerment].

the-wretched-of-the-earth-400x400-imaef9a5jnfk6qgb-203x300.jpgUn militant ou un intellectuel ne peut pas être vraiment productif dans sa mission de servir le peuple sans être entièrement dévoué au changement radical, sans renoncer à la position de privilège (carriérisme) et sans remettre en cause les divisions qui prévalent dans le capitalisme : leader contre les masses, travail intellectuel contre travail manuel, urbain contre rural, centre contre périphérie et ainsi de suite. Pour Fanon, le centre (la capitale, la culture officielle, le leader désigné) doit être désacralisé et démystifié. Il plaide pour un nouveau système de relations mobiles qui doivent remplacer les hiérarchies héritées de l’impérialisme[[Edward Said, Culture et impérialisme.]]. Afin de parvenir à la libération, la conscience de soi, un processus sans fin de découverte, d’empathie, d’encouragement et de communication avec l’autre doit être libéré. C’est une des leçons fondamentales dont nous devons tenir compte lorsque nous construisons des mouvements sociaux à la base, qui soient divers, non-hiérarchiques et intersectionnels.

Fanon n’était pas marxiste mais il croyait fermement que le capitalisme avec son impérialisme et ses divisions asservissent les gens. En outre, son diagnostic précoce sur l’incapacité des élites nationalistes dans l’accomplissement de leur mission historique démontre la pertinence de sa pensée aujourd’hui. En dépit de son propre échec – sa mort précoce à l’âge de 36 ans y joue sans doute un rôle – à mettre en place une idéologie détaillée sur la manière d’aller au-delà de l’impérialisme et du nationalisme orthodoxe et de parvenir à la libération et à l’universalisme, il a sans nul doute réussi à nous fournir des outils cruciaux pour travailler par nous-mêmes : sa conception lumineuse de l’éducation, transformatrice et toujours influencée par la pratique, s’efforçant de libérer toute l’humanité de l’impérialisme. Ceci est l’héritage vivant d’un révolutionnaire et d’un grand penseur.

Source : Counterpunch.
Traduit de l’anglais par SB, pour Etat d’Exception.


HAMZA HAMOUCHENE
Hamza Hamouchene est un militant qui vit en Angleterre. Auteur de nombreux articles, parus notamment sur le site Jadaliyya, il est président de l’Algerian Solidarity Campaign (Londres).


 » GRÈCE, PERSPECTIVES APRÈS LE DIKTAT NÉOLIBÉRAL COLONIALISTE »

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AU SOMMET D’OUFA, LES BRICS PASSENT À L’ACTEChristine Bierre – le 16 juillet 2015;


GRÈCE, TORTURE DE LA BAIGNOIRE, BRICS ET CONJONCTURE MONDIALE, selon Jacques Cheminade;


[DANS LES RUES D’ATHÈNES AVEC FRANTZ FANONpar Omar Benderra –
Fondation Frantz Fanon – le 20 juillet 2015
->#6]


GRÈCE: LA MISE À NUpar Abdelatif Rebah – Le Soir d’Algérie – le 20 juillet 2015;


TRANSFORM! newsletter n°8 – 16 juillet 2015;


[

AU SOMMET D’OUFA, LES BRICS PASSENT À L’ACTE

Christine Bierre

solidarité et progrès

le 16 juillet 2015

->http://www.solidariteetprogres.org/actualites-001/au-sommet-d-oufa-les-brics-passent.html]

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AU SOMMET D’OUFA, LES BRICS PASSENT À L’ACTE

« Les BRICS sont les futurs dirigeants de l’économie mondiale» et la Chine en «reste la locomotive» , a déclaré Vladimir Poutine, lors d’une conférence de presse à l’issue des sommets des BRICS et de l’Organisation de la coopération de Shanghai (OCS), tenus à Oufa en Russie du 8 au 10 juillet.

Compte tenu de la crise interminable, et peut-être finale, dans laquelle s’est engagée l’Union européenne en voulant faire de la Grèce la victime expiatoire d’une crise qui est en réalité celle de toute l’Europe, et de la zone transatlantique, plombées par la faillite du système en 2008, les progrès accomplis à Oufa par les BRICS, l’OCS et l’Union économique eurasiatique (UEEA) qui les a rejoints, représentent aujourd’hui le seul espoir d’une sortie de crise et d’un retour à des politiques de croissance permettant d’assurer un avenir à notre planète.

N’en déplaise aux Occidentaux, dont les médias ont, pour la plupart, boycotté la couverture de ces sommets, les BRICS ont annoncé le lancement, en un temps record, de leur Nouvelle banque de développement (NDB) (100 mds de dollars) ainsi que d’un fonds commun de réserve de change (100 mds) , deux initiatives adoptées lors du dernier Sommet des BRICS il y a tout juste un an, à Fortaleza, au Brésil.

La NDB pourra commencer à prêter dès avril 2016 ! Elle pourrait notamment participer au financement de la construction de la ligne à grande vitesse Moscou-Kazan, selon le ministre russe des Finances Anton Silouanov, président du Conseil d’administration de la NDB. « Nous sommes en train d’étudier cette question » , a précisé le ministre avant d’ajouter que la Russie proposera également ce projet à la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII).

À cela s’ajoute la perspective adoptée par les BRICS d’accroître leurs échanges, non pas en dollar, mais en devises des pays membres, en particulier en yuans et en roubles.
Mais pour Sylvie Kauffman, du quotidien Le Monde (qui avait refusé en 2012 de couvrir la candidature présidentielle de Jacques Cheminade), le sommet des BRICS est un non-évènement et le «Congrès d’Oufa n’aura pas lieu » !

Triple union : BRICS, OCS, UEEA

Oufa fut également le lieu de rassemblement non seulement des BRICS et de l’OCS, mais aussi de l’Union économique eurasiatique (UEEA), organisation fondée en janvier 2015 par la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et l’Arménie.

Pour ceux qui comptaient encore pouvoir manipuler la Russie contre la Chine, la Chine contre l’Inde, etc. ils en seront pour leurs frais. L’intégration entre BRICS, OCS et UEEA engendrera non seulement un nouvel ordre économique mondial, mais accroîtra les retombées bénéfiques pour les peuples d’Eurasie.

Ce fut le thème répété à l’unisson par les trois dirigeants.

Nous sommes prêts à travailler très étroitement pour coordonner et nouer des liens entre les deux projets d’intégration – UEEA et Ceinture économique de la route de la soie, a déclaré Vladimir Poutine. Nous y voyons la grande promesse de construire un système commun de transports pour l’OCS, utilisant notamment le potentiel de transport offert par le Transsibérien et le Baïkal-Amour en Russie.

« La Chine est prête à renforcer sa coopération avec tous les pays pour réaliser des projets prioritaires», a dit Xi-Jinping, annonçant son intention d’ «organiser le soutien financier pour réaliser des études de faisabilité et de design et participer à des investissements conjoints. » Pour lui :

Il est important d’établir un scénario de coopération pour la région, qui inclura, dans les prochaines années, la construction de 4000 kms de voies ferrées et de plus de 10 000 kms d’autoroutes. La Chine s’engage à créer au plus vite une banque de l’OCS pour aider à financer la production dans la région, et elle est prête à utiliser son fonds de la Route de la soie dans ce but.

Évoquant dans un entretien au quotidien indien The Hindu, le «puissant sursaut économique (…) qui résultera de l’association entre ressources matérielles, capital humain et énormes marchés à la consommation» de ces trois régions du monde, Vladimir Poutine a précisé aussitôt : «Pour nous, il ne s’agit pas d’un échiquier ou de jeux géopolitiques» ; l’espace eurasiatique est « notre maison et nous voulons que la paix et la prospérité règnent chez nous, pour qu’il n’y ait aucune place pour l’extrémisme ou des tentatives pour certains de chercher leur propre intérêt au détriment des autres» .

Rapprocher les frères ennemis indo-pakistanais

Autre flanc consolidé au cours de ces sommets, l’Inde et le Pakistan : les deux frères ennemis ont tous deux fait leur entrée à l’OCS. Associés à la Russie et à la Chine, voilà une combinaison qui bloquera les Games of Thrones chers aux Anglo-américains dans cette région.

Les deux chefs d’État, Narendra Modi et Nawaz Sharif, se sont rencontrés en marge du sommet de l’OCS à Oufa et ont convenu d’une visite de M. Modi au Pakistan, lors du Sommet des pays de l’Asie du Sud l’année prochaine. Autre invité de marque aux sommets, l’Iran, qui a posé sa candidature pour rejoindre l’OCS.

Rappelons le rôle important de cette organisation dans la lutte contre le terrorisme, l’extrémisme et le trafic de drogue, véritables plaies endémiques dans cette partie du monde. La Structure anti-terroriste régionale de l’OCS (SATR) pourra mieux fonctionner avec la présence de l’Inde et du Pakistan. D’autant que l’Afghanistan était aussi parmi les invités. Son président Ashraf Ghani a participé à la réunion en Russie, tournant définitivement la page des années sombres de l’invasion soviétique.

L’entrée de l’Inde et du Pakistan à l’OCS, composée jusqu’à présent de six États, Chine, Russie, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan et Ouzbékistan, a vite fait naître la rumeur qu’un nouveau G8 s’était constitué…

Après Oufa, M. Modi a continué son périple au Turkménistan où il a promu le corridor de transport Nord-Sud passant par l’Iran.

Si nous utilisons la route iranienne, Achgabat (Turkménistan) sera la première capitale desservie en Asie centrale. Avec le chemin de fer Kazakhstan-Turkménistan-Iran et l’investissement proposé par l’Inde dans le port iranien de Chabahar, ces initiatives renforceront les relations économiques entre les deux pays.

Au cours de sa rencontre avec le président turkmène Gurbanguly Berdymuhamedov, M. Modi a appelé à la construction rapide du pipeline Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde, devant acheminer 33 milliards de m3 de gaz naturel par an depuis le Turkménistan vers l’Asie du Sud, dont 41 millions de m3 par jour en Inde. Ce gazoduc sera le deuxième au monde en largeur.

Entrer dans l’âge industriel

Infrastructures, recherche de pointe, hautes technologies étaient aussi au menu d’Oufa. Lors du Business Council des BRICS, le dirigeant des chemins de fer russes et proche collaborateur de Poutine, Vladimir Iakounine, a précisé :

La question n’est pas juste de construire des infrastructures – chemins de fer, routes et infrastructure énergétique – mais de créer des plateformes économiques étendues, avec la participation d’institutions financières et manufacturières internationales.

Le vice-premier ministre russe Dmitri Rogozine a annoncé le 6 juillet que la Russie et la Chine s’apprêtent à renforcer leur coopération spatiale. Suite aux tensions avec les États-Unis, les Russes ont en effet réorienté leur collaboration vers la Chine pour en faire leur principal partenaire. Celle-ci s’équipera désormais en moteurs-fusées RD 180 russes pour son programme lunaire, en échange de quoi elle livrera de l’électronique de pointe aux Russes, moins chère que celle achetée aux États-Unis.

Le Sommet de la jeunesse des BRICS fut aussi un point fort de ces journées. Un mémorandum a été signé en vue de construire une station spatiale pour explorer l’espace lointain et faire des programmes spatiaux habités le symbole des valeurs que les BRICS veulent imprimer au nouvel ordre économique qu’ils construisent.

À Oufa, en effet, l’air était bien plus respirable qu’en Europe où un nouveau Traité de Versailles a été imposé à la Grèce.

Battons-nous pour rejoindre au plus vite la dynamique des BRICS.

Sources:

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GRÈCE, TORTURE DE LA BAIGNOIRE, BRICS ET CONJONCTURE MONDIALE

http://www.jacquescheminade.fr/


PAR DELÀ LA GRÈCE: LES BRICS ET LE SÉNAT AMÉRICAIN

le samedi 18 juillet;

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Entretien avec Jacques Cheminade suite au torpillage financier de la Grèce par l’Europe. La question qui se pose est : Qui pourraient être les alliés de la France face aux tortionnaires de la City et de Wall Street ?

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Jacques Cheminade – LES TORTIONNAIRES DE LA GRÈCE

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le 16 juil. 2015
Ce qui s’est réellement passé durant les négociations, comment agir face à la folie des dirigeants européens.

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DANS LES RUES D’ATHÈNES AVEC FRANTZ FANON

par Omar Benderra[[Omar Benderra, responsable de la négociation de la dette extérieure de l’Algérie, 1989-1991]]

Fondation Frantz Fanon

Évoquer depuis la Grèce les quatre-vingt-dix ans de la naissance de Frantz Fanon s’impose comme allant de soi. Le hasard a voulu que je me trouve dans ce pays à cette date et dans ces circonstances. Dans ce pays, ou la société est froidement acculée à la misère, le regard fanonien sur les enjeux politiques du monde, se vérifie implacablement.

Au pied du Parthénon, cette Europe qui se drape dans l’humanisme et les Lumières qu’elle aurait inventés pour éclairer le monde se révèle telle que la voyait cliniquement Fanon dans sa fulgurante conclusion des Damnés de la Terre.

Une Europe dont le centre est à Francfort et dont tout l’esprit est dans son marché bancaire globalisé.

Cette Europe que nous, dans ce qu’il convenait d’appeler alors le tiers monde, avons rencontrée aussi dans les infâmes cercles de négociateurs de la dette des clubs de Londres et de Paris, face à ces fonctionnaires fourbes des ministères des Finances néocoloniaux et leurs ondoyants banquiers centraux ou d’affaires et lors des «assemblées générales» d’aigrefins vraiment très distingués du FMI et de la Banque mondiale.

Cette Europe usurière, boutiquière et sans âme, celle qui, pour paraphraser Yannis Varoufakis, l’ex-ministre grec de l’Économie, pose un regard vide sur les pauvres, les déshérités, ceux qui doivent payer pour épargner les riches.

Cette Europe des technocrates serviles et des multinationales financières.

L’Europe selon Goldman Sachs qui généralise la précarité dans le déroulement logique de sa collusion avec les bourgeoisies apatrides, de droite ou de gauche, qui ont forgé ces liens de sujétion avec les marchés financiers.

Fanon aurait eu quatre-vingt-dix ans ce 20 juillet si le destin en avait voulu autrement, et nul ne sait ce que la correction infligée au peuple grec aurait suscité en lui.

Mais il y a plus que de l’ironie à voir l’arrogance des finanz-kommandos allemands (et de leurs hypocrites collaborateurs) piétiner avec délectation un pays qui fut la matrice, lointaine et par trop orientale certes mais matrice reconnue, de l’Europe des philosophes et de sa Kultur.

Qu’aurait-il pensé de la froide indifférence des autres peuples de cette Union européenne?

Aurait-il renié ce qu’il proclamait puissamment au terme des Damnés de la Terre?

Il est cruellement révélateur d’observer que les peuples d’Europe ne montrent pas beaucoup d’empathie pour leurs « frères » hellènes, illustrant en cela le caractère absolument artificiel d’une construction antidémocratique fondée sur le profit et l’exploitation. Pourtant, la dureté inflexible des conditionnalités imposées à Athènes devrait faire réfléchir, car le laboratoire grec est aujourd’hui le terrain d’expérimentation des médecines qu’ils subiront demain. Cela aussi Fanon le décrivait avec sa lucidité chirurgicale, il suffit de relire les Damnés…

Mais face à la forteresse d’argent et au cynisme des fossoyeurs d’espoir, on peut saluer le courage du peuple grec et la solidarité des peuples du sud du monde avec les manifestants de la place Syntagma.

En effet, même si l’absence de solidarité des peuples du nord est criarde, le peuple grec n’est pas seul.

Ceux qui ont connu les programmes d’ajustement structurel, les rééchelonnements, les restructurations et même les «reprofilages» de la dette – vocable popularisé en Algérie à la fin des années 1980 et au début des années 1990 – n’ignorent rien des souffrances et des privations endurées par les Grecs.

L’Afrique et l’Amérique Latine connaissent d’expérience la religion du marché et les évangélistes criminels de l’ultralibéralisme.

L’Europe des marchés est une impasse sordide, elle débouche sur le mur aveugle des populismes vulgaires, des nationalismes criminels et l’omnipotence de l’argent-roi. Plus que jamais, elle se replie sur les échecs de son histoire, jusqu’à la caricature.
Alors, oui au nom de l’humanisme universel et de la fraternité humaine, il faut sauver cette Europe d’elle-même comme nous y invite Fanon dans son ultime recommandation: «Pour l’Europe, pour nous-mêmes et pour l’humanité, camarades, il faut faire peau neuve, développer une pensée neuve, tenter de mettre sur pied un homme neuf.»

Dans les rues d’Athènes, avec le peuple grec.

Sources:

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GRÈCE: LA MISE À NU

par Abdelatif Rebah

Le Soir d’Algérie

le 20 juillet 2015

Quelques jours seulement après que les Grecs aient rejeté, par une majorité absolue de plus de 61%, le diktat du Fonds monétaire international, de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et de l’Eurogroupe réunis, le gouvernement Tsipras, contre toute attente, a fait adopter par le Parlement grec la Vouli, un nouveau projet de mesures d’austérité de 13 milliards d’euros encore plus rude que le paquet de mesures d’austérité précédentes de 9 milliards d’euros rejetées par le référendum du 5 juillet !
La troïka jubile : les «négociations» (sic!) ont porté leurs fruits… Quelle terrible défaite !

Et c’est Tsipras, le leader du parti de la gauche radicale Syriza, lui-même, qui va devoir accomplir l’infamie qui crucifie son peuple ! Paré de la «légitimité démocratique» des 61%. Au peuple grec d’en payer le prix fort. Très fort ! Après avoir vécu cinq années dans un état de détresse économique et sociale extrême, le peuple grec se voit imposer un nouveau dispositif d’appauvrissement et de misère.

Le nouveau plan d’«aide» de l’Union européenne

  • Les conditions engagent la Grèce sur une obligation d’excédents budgétaires allant crescendo de 1%, 2%, 3%, 3,5% durant les années 2015-2018.
  • TVA (taxe sur la valeur ajoutée) : la réduction de la TVA pour les îles a été supprimée ; elle n’est maintenue que pour les îles éloignées ; la TVA a été augmentée à 23% pour les restaurants, à 13% pour les produits alimentaires de base, l’eau, l’électricité, les hôtels ;
  • retraites : augmentation progressive de l’âge de départ à la retraite de 62 à 67 ans ; suppression de l’aide pour les retraités les plus pauvres et une augmentation de 50% des frais médicaux pour les retraités ; les retraites seront réduites de 2,7 milliards d’euros, dans un délai de 18 mois ; les départs en retraite avant l’âge seront abolis (sauf dans certaines professions) ; au 16 mars 2016, les subventions aux retraités pauvres seront supprimées pour les personnes ayant des revenus «supérieurs», l’élimination progressive se poursuivra jusqu’en 2019.
  • Salaires et emploi : réduction des salaires et traitements dans la fonction publique et le secteur public ; le salaire de début dans le secteur public est de 586 euros brut, égal au salaire minimum dans le secteur privé ; révision de la négociation collective sur un an, élimination du droit de grève, libéralisation du droit des entreprises à procéder à des licenciements massifs.
  • Impôts : augmentation de l’impôt de solidarité ;
  • l’impôt sur les entreprises passera de 26% à 28% ; paiement d’avance de 100% de l’impôt pour les entreprises.
  • Agriculture : suppression de l’aide pour le carburant pour les agriculteurs.
  • Privatisation des aéroports régionaux, de l’aéroport d’Athènes Elliniko, du réseau de transport d’électricité, des chemins de fer grecs, des ports du Pirée et de Salonique et d’autres ; transfert du paquet d’actions des Télecom grecques à l’agence de privatisation ;
  • la Grèce devra transférer plus de 50 milliards d’euros d’actifs publics dans un «fonds de confiance» avant même qu’ils ne soient privatisés, y compris les services électriques nationaux, les ports et de nombreux autres installations publiques indispensables.

Un tableau accablant

Le tableau est accablant. Laissons aux économistes perspicaces la tâche de découvrir la rationalité économique qui guide ce énième programme de «sauvetage» de la Grèce.

Arrêtons-nous sur quelques-unes de ses mesures caractéristiques.

  • L’augmentation de la TVA : outre qu’elle va chasser de la demande les plus pauvres, appliquée sur les biens et services destinés au secteur touristique (hôtellerie, restauration, alimentation, etc.), elle va frapper de plein fouet le secteur économique n°2 de la Grèce, pénalisant ce pays par rapport à ses concurrents touristiques tels que la Turquie où la TVA est à 7% et l’Italie où elle est à 9%.
  • La privatisation : les recettes provenant de la vente des entreprises publiques vont aller pour moitié (25 milliards d’euros) à la recapitalisation des banques et le quart de chaque recette (12,5 milliards d’euros) ira au remboursement de la dette et à l’investissement.

    Un pactole réservé d’office aux multinationales étrangères car, avec une économie ruinée, quelle entreprise grecque pourra accéder à la vente.

Les plans de sauvetage ont encore poussé la Grèce plus loin dans la dette. Tout le monde sait maintenant que les prêts qui sont consentis à la Grèce, non seulement ne sont pas investis dans l’économie grecque mais repartent immédiatement pour payer les intérêts sur les prêts antérieurs et finissent dans les comptes de banques privées.

Le piège est si efficace qu’on apprend par la presse que la Banque centrale européenne (BCE) a réalisé en 2014 et 2015, soit en un an et demi, près de 3,3 milliards de profits sur ses achats d’obligations grecques, ce qui correspond quasiment à la somme qui est due par la Grèce à cette institution financière pour le 20 juillet : 3,5 milliards d’euros.

Alors que la dette attribuée à la Grèce représente 175% du PIB, le FMI annonce que ce taux élevé le restera et qu’il atteindra 118% du PIB en 2030.
Son patrimoine matériel saisi, sa richesse nationale confisquée, son système bancaire sous perfusion de Bruxelles, sa force de travail laminée économiquement et socialement, sans agriculture, sans industrie, enfoncée dans un endettement sans fin, ses institutions tenues en laisse par la troïka, comment la Grèce peut-elle envisager une croissance future ?

Le terrorisme financier

En réalité, l’exemple de la Grèce fait la démonstration tragique et spectaculaire en grandeur nature de la réalité crue du capitalisme.

Le chef de la BCE, Mario Draghi, négociateur majeur de la troïka, s’est permis de fermer totalement le système bancaire grec, laissant l’économie et la population grecques sans liquidités.

Un jour avant le référendum du 5 juillet, le président du Parlement européen, Martin Schulz, exposait au grand jour la machine à broyer du capital financier.
Mettant en garde les électeurs grecs, il déclarait : «Sans liquidités, les salaires ne seront pas payés, le système de santé cessera de fonctionner, le réseau électrique et les transports publics s’effondreront et ils (les Grecs) ne seront pas en mesure d’importer des biens essentiels parce que personne ne peut payer.»

Une capitulation, à proprement parler

De leur côté, les dirigeants du parti Syriza avaient renoncé progressivement à leurs propres «lignes rouges». Après avoir prôné l’annulation de la dette, puis le paiement d’une partie minoritaire de celle-ci, puis son échelonnement contre des «réformes» acceptables par Bruxelles, ils ont fini par entériner purement et simplement les exigences de la troïka. Le chef du gouvernement Alexis Tsipras s’était lui-même tracé ses propres limites en martelant que le référendum du 5 juillet était destiné à revoir le contenu du mémorandum de l’Eurozone et non pas de décider de rester ou non dans l’UE ou dans l’Euro.

Effrayé par le coup de la rupture, il va faire subir à son peuple celui de la non-rupture, fait de régression économique et sociale sans fin et de perte de souveraineté.

Comment, dans ce cas, concilier l’inconciliable : l’opposition structurelle entre les intérêts fondamentaux du peuple grec et ceux du capital financier.
Comment mésestimer le pouvoir économique tentaculaire monstrueux, derrière les négociateurs de la troïka, cette combinaison articulée d’institutions, G8, Union européenne, BCE, FMI, Banque mondiale, agences de notation, think-thanks, OMC, OCDE,OTAN…, toutes au service des propriétaires des banques, des multinationales, des médias, etc. ?
Comment nourrir l’illusion qu’il est possible de «réaliser des choses», pour les classes exploitées et opprimées de la population, changer l’UE, l’euro, etc., en restant à l’intérieur de la règle du jeu du capital financier ?

Les médias répandent volontiers la légende de l’ogre allemand qui s’acharne impitoyablement sur la Grèce. Comme si le sort de la Grèce aurait été tout autre si la Belgique ou la Pologne ou un tout autre Etat de l’UE avait piloté les négociations.
Le bourreau du peuple grec a un nom, c’est le système capitaliste sous son vrai visage. Tsipras n’a pas cédé aux dirigeants cruels et monstrueux d’une UE qui aurait failli à sa vocation humaniste mais à la loi d’airain du capital financier qui broie tout ce qui n’est pas profit sur son passage.
Ce faisant, il a signé l’acte de décès des illusions réformistes dans l’Union européenne. Mais la leçon vaut bien au-delà de cet espace.

Abdelatif Rebah

Sources:

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transform_10_2012-2.jpg newsletter n°8 – 16 juillet 2015
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Sommaire

Nous avons besoin d’un plan B pour une autre Europe, pour toute l’Europe [p. 1]
Walter Baier et Elisabeth Gauthier

Pierre Laurent
« C’est un défi de résister à ces pratiques colonialistes » [p. 2]
Entretien réalisé par julia Hamlaoui, l’Humanité, 15 juillet 2015

Communiqué de « Blockupy goes Athens », 12 juillet
Comprendre la défaite c’est préparer une victoire [p. 4]

Déclaration de Alexis Tsipras à l’issue du Sommet de la zone euro [p. 9]

Derrière le refus de l’Allemagne d’accorder un allègement de la dette de la Grèce [p. 10]
Yanis Varoufakis

« Cette liste de revendications de l’eurogroup est de la folie »
Tuer le projet européen
[p. 13]
Paul Krugman

Lettre ouverte de la CES aux responsables politiques européens [p. 13]

Grèce

Une dette illégale, illégitime, odieuse et insoutenable [p. 15]
Résumé du rapport de commission sur la vérité sur la dette publique du Parlement grec

Le TTIP et la lutte pour la souveraineté et de la dignité [p. 20]
Amelia Martinez

Parti de la Gauche européenne – transform!Europe [p. 22]
Université d’été 2015

Conférence mondiale 2015 Democracy Rising [p. 28]

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فيديو حصة معا رشاد

RachadTV
حركة رشاد
Mouvement Rachad
أعزائنا أعضاء حركة رشاد
فيما يلي رابط حصة « معا رشاد » لهذا الأسبوع

معا رشاد | مراد دهينة | إشادة بافتكاك الإعلام الجزائري حيز أكبر من الحرية في أنظار المزي
أسئلتكم و مقترحاتكم مرحب بها
مع تحياتنا الخالصة

حركة رشاد

Chers membres du mouvement Rachad,

Vous trouverez ci-dessous le lien de l’émission « Maan Rachad » de cette semaine

معا رشاد | مراد دهينة | إشادة بافتكاك الإعلام الجزائري حيز أكبر من الحرية في أنظار المزي

Vos questions et suggestions sont les bienvenues.

Avec nos salutations fraternelles

Mouvement Rachad

GRÈCE – APRES LES « NÉGOCIATIONS »

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VAROUFAKIS ANALYSE LE DIKTAT IMPOSÉ À LA GRÈCEpar Jean Baptiste Duval – Huffpostmaghreb – le 19 juillet 2015;


« LA BCE A DÉSTABILISE L’ÉCONOMIE POUR SOUMETTRE LA GRÈCE AUX EXIGENCES DES CRÉANCIERS»entretien avec Eric Toussaint CADTM – Rosa Moussaoui – L’Humanité – le 17 juillet 2015;


LA GRÈCE SOUS TUTELLE EUROPÉO-COLONIALE Le Quotidien d’Oran – La chronique du blédard – le 16 juillet 2015;


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GRÈCE: YANIS VAROUFAKIS PUBLIE SA VERSION ANNOTÉE ET CORROSIVE DU NOUVEL ACCORD AVEC LA TROÏKA

Le HuffPost

par Jean-Baptiste Duval

le 16 juillet 2015

L’ex ministre des finances grec Yanis Varoufakis, démis de ses fonctions au lendemain du référendum du 5 juillet, ne s’est pas résigné à prendre une retraite discrète. Au contraire. Après plusieurs interventions musclées et à quelques heures du vote du Parlement sur l’accord du 13 juillet, il a publié une version intégrale du texte, avec ses remarques et annotations corrosives.

Voici ses dix remarques les plus cinglantes à propos de cet accord qu’il a comparé au Traité de Versailles, symbole de l’humiliation de l’Allemagne à l’issue de la Première guerre mondiale, en 1919:

Et aussi: La version intégrale de l’accord annoté par Varoufakis

1. Berlin ne fait confiance qu’au FMI

« Il est attendu d’un État membre de la zone euro demandant l’assistance financière du MES qu’il adresse, lorsque cela est possible, une demande similaire au FMI. Il s’agit d’une condition préalable pour que l’Eurogroupe approuve un nouveau programme du MES. La Grèce demandera donc que le FMI maintienne son soutien (surveillance et financement) à partir de mars 2016. [Berlin croit toujours que la Commission n’est pas fiable pour ‘policer’ les propres plans de sauvetage de l’Europe.]

2. Une totale soumission de la Grèce est exigée

« Compte tenu de la nécessité de rétablir la confiance avec la Grèce, le sommet de la zone euro se félicite que la Grèce ait pris l’engagement de légiférer sans délai sur une première série de mesures. » [la Grèce doit se soumettre elle-même à un waterboarding (technique d’interrogatoire qui simule la noyade, NDLR) fiscal, avant même qu’aucun financement ne soit proposé]

3. La hausse de la TVA, catastrophique et inefficace

« une rationalisation du régime de TVA [pour la rendre plus rétrograde, grâce à une hausse des taux qui encourage la fraude à la TVA] et un élargissement de l’assiette fiscale afin d’accroître les recettes » [infligeant un coup majeur à la seule industrie de croissance grecque – le tourisme]

4. Encore et toujours plus d’austérité

« la pleine mise en œuvre des dispositions pertinentes du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, notamment en rendant opérationnel le conseil budgétaire avant la finalisation du protocole d’accord et en introduisant des réductions quasi automatiques des dépenses en cas de dérapages par rapport à des objectifs ambitieux d’excédents primaires, après avoir sollicité l’avis du conseil budgétaire et sous réserve de l’accord préalable des institutions [le gouvernement grec, qui sait que les objectifs fiscaux imposés ne seront jamais atteint avec l’austérité imposée, doit s’engager à plus d’austérité automatique comme résultat des nouveaux échecs de la troïka]

5. Faillites en cascade

« l’adoption du code de procédure civile, qui représente une refonte en profondeur des procédures et modalités propres au système de justice civile et peut accélérer considérablement les procédures judiciaires et réduire les coûts dans ce domaine [faillites, expulsions, et liquidation de milliers de foyers et de commerces qui ne sont plus en position de payer leur emprunt/loyer]

6. Syriza doit être humilié

« Le sommet de la zone euro souligne la nécessité cruciale de rétablir la confiance avec les autorités grecques, condition préalable pour un éventuel futur accord sur un nouveau programme du MES. À cet égard, il est essentiel que la maîtrise du processus revienne aux autorités grecques, et les engagements pris dans ce contexte devraient être suivis d’une mise en œuvre effective. [le gouvernement Syriza doit être humilié au point qu’il lui est demandé de s’imposer à lui-même une rude austérité comme premier pas vers la demande d’un autre prêt de sauvetage toxic, du genre de ceux que Syriza combat, ce pour quoi il est connu internationalement]

7. L’asphyxie tactique des créanciers

« Afin de pouvoir servir de base à la conclusion positive du protocole d’accord, les mesures de réforme présentées par la Grèce doivent être sérieusement renforcées compte tenu de la profonde dégradation de la situation économique et budgétaire du pays au cours de l’année dernière. [le gouvernement Syriza doit accepter le mensonge selon lequel il a, et non l’asphyxie tactique de ses créanciers, causé la profonde détérioration des six derniers mois – la victime doit prendre le blâme à la place du méchant]

8. Les sommes dérisoires des privatisations

« élaborer un programme de privatisation nettement plus étoffé avec une meilleure gouvernance; des actifs grecs de valeur seront transférés dans un fonds indépendant qui monétisera les actifs par des privatisations et d’autres moyens. La monétisation des actifs constituera une source permettant le remboursement programmé du nouveau prêt du MES et générera sur la durée du nouveau prêt un montant total fixé à 50 milliards d’euros, dont 25 milliards d’euros serviront au remboursement de la recapitalisation des banques et d’autres actifs, et 50 % de chaque euro restant (c’est-à-dire 50 % de 25 milliards d’euros) serviront à diminuer le ratio d’endettement,
les autres 50% étant utilisés pour des investissements. [le bien public sera vendu et les sommes dérisoires iront au service d’une dette insoutenable – avec précisément aucun reste pour l’investissement public ou privé]

9. Faire de la Grèce une technocratie inepte

« conformément aux ambitions du gouvernement grec, moderniser et considérablement renforcer l’administration publique grecque, et mettre en place, sous l’égide de la Commission européenne, un programme de renforcement des capacités et de dépolitisation de l’administration publique grecque. [Transformer la Grèce en une zone zéro-démocratie calquée sur Bruxelles, une forme de prétendu gouvernement technocratique, qui est politiquement toxique et macro-économiquement inepte]

10. Une dette insoutenable? Ca alors!

« De sérieux doutes planent sur le caractère soutenable de la dette grecque. [Vraiment? Ca alors!] Cela est dû au relâchement des politiques au cours des douze derniers mois, qui a entraîné la dégradation récente de l’environnement macroéconomique et financier du pays. Le sommet de la zone euro rappelle que les États membres de la zone euro ont, tout au long de ces dernières années, adopté une série impressionnante de mesures pour soutenir la viabilité de la dette de la Grèce, qui ont allégé le service de la dette de la Grèce et sensiblement réduit les coûts. » [ce ne sont pas les plans de ‘sauvetage’ de 2010 et 2012 qui, en conjonction avec une austérité destructrice de PIB, ont fait grimper la dette jusqu’à des hauteurs immenses – c’est la perspective, et la réalité, d’un gouvernement qui a critiqué ces prêts… qui a rendu la dette insoutenable!]

Pour lire l’article en entier et accéder aux photos, aller sur HUFFPOST MAGHREB

Sources:

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Eric Toussaint : « LA BCE A DÉSTABILISE L’ÉCONOMIE POUR SOUMETTRE LA GRÈCE AUX EXIGENCES DES CREANCIERS»

Entretien réalisé par Rosa Moussaoui

le 17 JUILLET, 2015
L’HUMANITÉ

toussaint1707.jpg Éric Toussaint universitaire 
et porte-parole du CADTM –
Photo : DR

Maître de conférences à l’université de Liège, porte-parole du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde (CADTM), Éric Toussaint est le coordinateur scientifique de la Commission pour la vérité sur la dette grecque.

Athènes, envoyée spéciale.

Avons-nous assisté ces dernières semaines, à Athènes, à un coup d’État financier, comme l’affirment nombreux observateurs, en Grèce et à l’étranger ?

Éric Toussaint Oui et non. Ce qui était décisif ici tenait à des décisions politiques, prises par des instances politiques complices, bien sûr, des intérêts financiers. Ce n’est pas un coup d’État mené directement par la finance, mais par les institutions, la Commission européenne, les chefs d’État et de gouvernement des pays de la zone euro. L’Allemagne n’est pas seule impliquée. Il est clair que l’Espagnol Mariano Rajoy ou le Portugais Pedro Passos Coelho, sans parler des gouvernements finlandais ou letton, dévoués aux politiques néolibérales, tenaient à démontrer à leurs peuples respectifs que l’option présentée aux Grecs et aux peuples d’Europe par Syriza ne pouvait pas fonctionner. Il s’agit donc bien de décisions d’abord politiques. Il est clair que les grandes banques privées, les multinationales voulaient aussi obtenir la démonstration qu’il est impossible de tourner le dos à l’austérité. Mais il faut rappeler que les principaux créanciers de la Grèce sont aujourd’hui des créanciers publics. Les banques ne sont plus aux premières loges, elles l’étaient jusqu’en 2012, avant de se défaire des créances qu’elles détenaient. La restructuration de la dette en 2012 leur a permis de s’en tirer à bon compte. Aujourd’hui, la Commission européenne, la Banque centrale européenne et les États de la zone euro veulent absolument, en dépit de l’échec des politiques économiques imposées à la Grèce, que le pays reste sur les rails du néolibéralisme. Le FMI aussi, bien entendu, qui est aussi une instance politique.

Alexis Tsipras espérait, en contrepartie de sa capitulation sur les politiques d’austérité, obtenir des engagements sur un allégement de la dette. Les créanciers, eux, concèdent tout juste l’ouverture en 2015 d’une discussion sur un éventuel réaménagement de la dette à partir de 2022. Pourquoi cette intransigeance, alors que le FMI lui-même juge désormais la dette insoutenable ?

Éric Toussaint À mon avis, il pourrait y avoir une restructuration de la dette avant 2022. Les créanciers disent « pas avant 2022 » parce qu’ils savent que ce plan ne va pas fonctionner, que le paiement de la dette sera insoutenable. Ils la restructureront, cette dette. Mais en conditionnant cette restructuration à la poursuite de réformes néolibérales. La dette est un moyen de chantage, un instrument de domination. Fondamentalement, dans le cas grec, ce n’est pas tellement la rentabilité qui compte pour les créanciers, même si elle existe. Ce qui les motive, c’est de démontrer à leurs propres peuples et à ceux des autres pays périphériques qu’il n’est pas question de dévier du modèle. 
Pour Hollande, pouvoir dire : « Regardez, même Tsipras, même la gauche radicale ne peut sortir du carcan ! », c’est a posteriori et dans le débat français la justification de sa propre abdication, en 2012, sur la promesse de renégocier le traité européen sur la stabilité budgétaire.

Devant la violence de l’offensive des créanciers, Tsipras avait-il d’autres choix ? L’alternative se résumait-elle à la sortie de l’euro ?

Éric Toussaint Non, je ne le crois pas. Le choix n’est pas entre le Grexit et le maintien dans la zone euro assorti d’un nouveau plan d’austérité, en continuant à payer la dette. Il était possible de rester dans la zone euro en désobéissant aux créanciers par l’invocation du droit. Des violations de droits humains sont en jeu, ici. Il fallait suspendre le paiement de la dette ; prendre le contrôle de la Banque de Grèce dont le gouverneur, nommé par Antonis Samaras, joue contre les intérêts du pays et peut-être, aussi, lancer une monnaie électronique complémentaire qui aurait pu aider à faire face à l’assèchement organisé des liquidités, tout en restant dans la zone euro.

La BCE, instrument du coup d’État, inonde les marchés financiers de liquidités, dopant la machine à spéculer. Peut-on mettre la création monétaire au service de l’économie réelle, des besoins sociaux, du développement humain ?

Éric Toussaint Bien sûr ! Mario Draghi n’est pas « indépendant ». Il est l’interface entre les grandes banques privées et les gouvernements de la zone euro. La BCE a déstabilisé l’économie grecque de façon délibérée, pour soumettre la Grèce à ses exigences et à celle des autres créanciers.

Sources:

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LA GRÈCE SOUS TUTELLE EUROPÉO-COLONIALE

Lignes quotidiennes, par Akram Belkaïd
Blog au fil des jours, quand la chose et l’écriture sont possibles.
le 16 JUILLET 2015

Le Quotidien d’Oran, jeudi 16 juillet 2015
Akram Belkaïd, Paris

Il est à craindre que la date du 13 juillet 2015 demeure dans les annales de l’histoire européenne comme celle d’un jour de honte et d’infamie. Un jour de vérité aussi où l’Union européenne, ou plus encore, l’Union monétaire européenne, sont apparues sous un même et seul visage, celui du diktat néolibéral et de la haine de la démocratie. Car comment qualifier autrement cet accord que le Premier ministre grec Alexis Tsipras a signé avec un Luger Parabellum collé à sa tempe ? Un accord imposé à la Grèce quelques jours à peine après que son peuple a dit non par voie référendaire à l’austérité…

Pour ne pas être exclue de la zone euro et pour bénéficier d’un plan « d’aide » de trois ans, le gouvernement grec s’est vu imposer une longue liste de conditions drastiques. Certaines sont classiques et ressemblent à s’y méprendre aux mesures qui accompagnent habituellement tout plan d’ajustement structurel concocté par le Fonds monétaire international (FMI). Limitation des dépenses publiques, hausse de la TVA, réforme fiscale, allongement de l’âge de la retraite et baisse des pensions : la potion, amère, va continuer de faire des dégâts dans la population grecque mais, de cela, les dirigeants européens, notamment allemands, n’en ont cure.

« Une liste d’horreurs », c’est ainsi que de nombreux médias occidentaux, pourtant peu suspects de sympathie pour les idées de gauche du parti Syriza, ont qualifié l’accord du 13 juillet destiné donc à prévenir un « Grexit », autrement dit une sortie de la Grèce de la zone euro. Une liste d’horreurs et, surtout, une sorte de Traité de Versailles où ce pays a été traité comme s’il venait de capituler et qu’il convenait de le punir de la manière la plus dure qui soit pour qu’il ne recommence plus. Recommencer quoi ? Certains diront que ce sont les errements de la Grèce qui méritent punition, notamment le fait d’avoir vécu au-dessus de ses moyens ou d’avoir maquillé ses chiffres afin d’entrer, puis de rester, dans la zone euro (des dérives réelles mais pour lesquelles le parti Syriza n’est pas responsable).

Mais, en vérité, ce qui est en jeu dans l’affaire c’est de punir un peuple parce qu’il a « mal » voté. D’abord, en portant au pouvoir Syriza en janvier dernier puis en se prononçant majoritairement contre l’austérité prônée par l’axe Berlin-Bruxelles. Le message est clair. Ce qui arrive à la Grèce aujourd’hui est aussi une mise en garde à l’encontre des Italiens, des Espagnols ou des Portugais, des pays où la colère contre les politiques d’austérité ne cessent de monter. Et ce qui a été signifié à Tsipras durant de longues et éprouvantes négociations c’est qu’il est le Premier ministre d’un pays qui n’est plus souverain. Un pays qui devra privatiser pour 50 milliards d’euros d’actifs non pas pour se développer ou se doter d’infrastructures mais pour rembourser ses créanciers et restructurer ses banques. Le quotidien Bild qui réclamait des Grecs qu’ils vendent leurs îles (à des tour-opérateurs allemands ?) peut enfin pavoiser…

Plus grave encore, l’accord prévoit qu’Athènes devra soumettre tout projet de loi relatif à l’économie ou aux finances à ses créanciers avant de le proposer au vote du Parlement (*). Voilà qui permet de mieux nommer les choses. Cela s’appelle une mise sous tutelle ou encore une mise sous protectorat. Cela rappelle l’Egypte ou la Tunisie du dix-neuvième siècle, toutes deux étranglées par la dette avant de perdre leur indépendance. Les temps changent mais les idées réactionnaires perdurent affirmant notamment que certains peuples ne seraient pas dignes d’exercer leur libre-choix. Comment oublier ces articles et ces déclarations racistes – le qualificatif n’est pas trop fort – à l’égard des Grecs tout au long de ces dernières semaines ?

Le pire dans l’affaire, c’est que tout le monde sait que ce plan triennal ne servira à rien. La Grèce est dans une situation économique et financière dramatique – avec notamment une dette de 310 milliards de dollars soit 177% de son Produit intérieur brut – qui va mécaniquement gonfler en raison des intérêts. La solution idéale serait une remise des compteurs à zéro, c’est-à-dire un effacement de la plus grande partie de cette dette combinée à des mesures de relance mais aussi de réformes menées par le gouvernement Tsipras. Ce n’est pas ce qui est envisagé, loin de là, des dirigeants européens comme Wolfgang Schäuble continuant même à plaider pour le Grexit, autrement dit pour que la Grèce soit abandonnée à son sort.

Parmi les enseignements de cette grave crise, on peut aussi relever que l’Union européenne ressemble de plus en plus à une chimère. Ses idéaux de fraternité et de solidarité rabâchés à l’envi ne veulent plus rien dire à l’aune de l’humiliation subie par la Grèce. On relèvera aussi que la France, et c’est devenu une habitude, s’est distinguée par d’inutiles gesticulations dilatoires avant de rentrer dans le rang (à l’image de ce qui s’est passé d’ailleurs durant les négociations sur le dossier du nucléaire iranien). In fine, la vraie conclusion de toute cette tragédie, c’est que le vrai patron de l’Europe et de la zone euro – l’unique patron – c’est l’Allemagne. C’est elle qui décide, impulse et définit les lignes rouges à ne pas franchir. Ce pays qui, en 1953, a bénéficié d’un effacement presque total de sa dette de guerre – y compris celle contractée à l’égard de la Grèce – impose désormais sa loi et sa manière de voir les choses (on relèvera que la gauche allemande n’a guère pris ses distances avec Angela Merkel et Wolfgang Schäuble). Et, en prenant toutes les précautions oratoires qui s’imposent pour prévenir toute accusation de germanophobie, il est impossible de ne pas se dire qu’une Allemagne devenue ivre de sa puissance (économique et politique) est une très mauvaise nouvelle pour l’avenir de l’Europe.

(*) Cette chronique a été rédigée quelques heures avant la décision du Parlement grec d’adopter l’accord du 13 juillet 2015.

Sources:

haut de page


TROIS IDÉES REÇUES SUR LA CRISE GRECQUE

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https://www.youtube.com/watch?v=4RqU_cYxCJk

AttacTVFrance

Ajoutée le 15 juin 2015

Plus d’information :

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  • Grèce : petit guide contre les bobards médiatiques : http://www.audit-citoyen.org/?p=6374
  • Rapport d’audit de la dette grecque : http://www.okeanews.fr/20150617-la-de…
  • 20-27 juin, semaine de mobilisation contre l’austérité et l’injustice sociale : http://www.audit-citoyen.org/?p=6454

Ecrit par Thomas Coutrot et Frédéric Lemaire,
Animé par Philippe Massonnet,
Sonorisé par Bruno Guéraçague,
Raconté et réalisé par Joris Clerté,
Produit par Virginie Giachino / Doncvoilà Productions

DÉBAT JOURNALISTIQUE SUR LES ÉVOLUTIONS POLITIQUES DU MOIS

Khaïma du Café Presse Politique:

l’émission décryptée par son public

(PHOTOS-VIDÉO)

HuffPost Algérie

par Nejma Rondeleux

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Pour sa dernière émission de la saison, le Café presse politique (CPP) – le rendez-vous phare de la webradio Radio M qui décrypte chaque semaine l’actualité avec des journalistes – a ouvert ses portes au public, mercredi 15 juillet.

Une trentaine de personnes, auditeurs assidus, journalistes solidaires, tweetos chevronnés, et même chef d’entreprise en la personne de Slim Othmani, PDG de NCA Rouiba, ont assisté à l’émission qui a débuté vers 22H30, dans les bureaux d’Interface Médias, à Alger, transformés en khaïma pour l’occasion.

Pour ce CPP exceptionnel étaient réunis autour de l’animateur Khaled Drareni, les fidèles Abed Charef, Saïd Djaafer, Ihsane El Kadi mais aussi les journalistes de passage occasionnel comme Adlène Meddi et Akram Kharief de El Watan week-end.

Et, surprise, au milieu de ces voix masculines a résonné la voix familière de Souhila Benali, la présentatrice du CPP, jusqu’à son départ forcé, il y a deux mois.

« Je tiens à remercier tous les gens qui m’ont soutenu au moment où j’ai été menacée de licenciement à la radio », a déclaré la journaliste de la chaîne 3 qui anime le CPP depuis sa naissance au moment des présidentielles d’avril 2012.

« J’ai trouvé une immense solidarité avec des amis nouveaux que je n’ai pas trouvé auprès de ma famille à la radio », a ajouté Souhila Benali qui reprendra les commandes de l’émission à la rentrée en septembre.

LIRE AUSSI: Le Café presse politique (CPP) de Radio M privé du sourire de son animatrice Souhila Benali (VIDÉO)

Des suites des affrontements de Ghardaia au traité avec l’Iran, les huit journalistes ont débattu une heure durant de l’actualité de la semaine, sous l’oreille attentive du public.

« J’ai trouvé le débat vraiment impressionnant », a jugé Andrew Lebovitch, doctorant américain et visiting fellow à l’European Council on Foreign Relations, de passage à Alger. « Il prouve la grande qualité des journalistes en Algérie mais aussi les efforts qu’ils font et continuent à faire pour approfondir un discours sur la politique et la société en Algérie et dans le monde entier ».

Démystification

Venu surtout pour marquer son soutien à ce qu’il estime être une excellente initiative (non seulement le CPP mais aussi Radio M et Maghreb Emergent), Karim, 56 ans, a apprécié la soirée et « l’ambiance conviviale » qui régnait.

« J’ai pu observer que les divergences d’opinions qu’on entend souvent en écoutant l’émission cachent en fait une bonne entente entre les journalistes du CPP « , a souligné ce fidèle auditeur qui apprécie de pouvoir écouter des journalistes informés qui prennent le temps de partager leur appréciation de la situation.

De son côté, Nadia Ghanem, doctorante en langues anciennes qui tient un blog en anglais sur l’Algérie Machaho, a particulièrement aimé le concept de l’émission live ouverte à une audience.

« Dans le contexte algérien, démystifier le coté intouchable, un peu élitiste et inapprochable du journaliste algérien par un face à face avec des algériens lambda est louable et je pense vital, notamment pour démystifier aussi le coté complotiste et vendu de la presse algérienne », a-t-elle estimé.

« Pour la prochaine fois, une interaction avec l’audience en live serait un plus », a-t-elle suggéré pour conclure.

LIRE AUSSI: [Retour sur l’aventure de Radio M, la webradio du CPP
Retrouvez toutes les émissions de Radio M ICI.
->http://www.huffpostmaghreb.com/2015/05/14/radio-m-censure-webradio-_n_7282190.html]

« ZEITGEIST ADDENDUM » – DOCUMENTAIRE SUR LE SYSTÈME MONÉTAIRE

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https://www.youtube.com/watch?v=FdruX1blV5o

signalé par un visiteur du site:

… je voudrais aussi partager, avec vous tous, un documentaire vraiment exceptionnel de froideur d’analyse qui met à nu les mécanismes de la dette, de la guerre…
Nous connaissons déjà bien sûr, plus ou moins, tout cela, mais lever le voile à ce point, sur la mécanique monétaire est vraiment exceptionnel

Il s’agit du Documentaire sur le système monétaire‏: « Zeitgeist Addendum »

Ce documentaire très intéressant décrit clairement le système monétaire mondial et ses implications sur le monde, (les premières minutes sont de mauvaise qualité et inutiles pour la compréhension, les zapper).


Texte de présentation ( traduction de l’anglais en mauvais français, dans la présentation, avec des mots corrigés par moi marqués entre [..]):
« Zeitgeist Addendum » est un immense documentaire d’une honnêteté rare et d’une intelligence rayonnante qui tente d’éveiller, à qui sait écouter, la conscience à un niveau impersonnel [d’objectivité]et immesurable [incommensurable]. Démontrant avec une impitoyable lucidité la crise dans laquelle le monde que [où] nous sommes s’est fourvoyé. Une véritable masse cohérente d’informations révélant notre véritable potentiel humain constructif [surtout le potentiel destructif du capitalisme ?]. À voir et à partager…

Dans les conditions de la guerre économique, politique et idéologique actuelle qui se déroule sur tous les continents, il est important de mettre l’accent sur les axes fondamentaux pour mieux éclairer et armer les forces saines dans les sociétés et les nations gravement lésées…

Sommaire :
Chapitre I : « Nul n’est plus désespérément esclave que ceux faussement convaincus d’être libres » : Johann Wolfgang – 1749-1832
Chapitre II : « Il y a deux manières de conquérir et asservir une nation. L’une est par l’épée. L’autre par la dette » : John Adams – 1735-1826
Chapitre III : « Cupidité et compétition ne sont pas le résultat d’un tempérament humain immuable … la cupidité et la peur du manque sont, en effet, créés et amplifiés… la conséquence directe est que nous devons nous battre les uns contre les autres pour survivre » Bernard Liertaer,- Fondateur du système monétaire européen-
Chapitre IV : « Mon pays est le monde… et ma religion est le bien » : Thomas Paine – 1737-1809

VIOLENCES À GHARDAÏA : ENTRETIEN AVEC ABDERRAHMANE HADJ NACER

Important entretien de Hadj Nacer avec TSA, clarté de l’analyse et sa qualité de lanceur d’alerte patriotique et démocratique, en faveur d’un large rassemblement pour la sauvegarde de la nation et de la sociéété algriennes avant qu’il ne soit trop tard.


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TSA

par Hadjer Guenanfa

le vendredi 10 juillet 2015

Entretiens

a1.jpgAbderrahmane Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque d’Algérie

« Je ne me sens pas Mozabite dans cette affaire, ni Chaâmbis. Mais je sens qu’il y a véritable danger sur l’Algérie », lance Abderrahmane Hadj Nacer avant de répondre à nos questions. L’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie revient, dans cet entretien, sur les violences qui secouent Ghardaïa depuis plus de deux ans.

Que pensez-vous de l’intervention de l’armée dans la crise à Ghardaïa après les derniers affrontements?

Cela veut dire qu’on reconnait officiellement que les institutions ne fonctionnent plus et que les gens n’ont plus confiance dans la police ou la gendarmerie. Il est surprenant tout de même de constater que lorsqu’il y a danger de mort, ces deux corps de sécurité sont systématiquement défaillants dans l’incapacité d’agir parce qu’ils n’ont pas reçu d’ordre d’Alger pour intervenir ou parce qu’ils ne sont pas assez équipés pour intervenir.

Cela pose problème surtout quand on pense aux budgets dépensés par ces deux corps de sécurité pour des équipements qui ne servent qu’à matraquer la population lorsqu’elle manifeste paisiblement. À Guerrara, au plus mauvais moment, la gendarmerie et la police ne pouvaient pas intervenir. Les citoyens algériens les paient pour les protéger et pour les avertir à temps. Ils ne le sont pas.

Ensuite, il faut s’interroger pourquoi veut-on mobiliser l’armée ? La désignation du commandant d’une région militaire pour gérer un problème civil, même s’il y a des armes, veut dire qu’on voudrait tester la capacité de résilience de l’armée. Une armée dont l’unité et sa capacité de résilience sont désormais en jeu. Ce test, peu importe qui est derrière, est fondamental.

Pourquoi est-il fondamental ?

Dans les années 1990, on s’est évertué à casser le FLN. C’est-à-dire à casser le lien politique entre le régime et la population. Dans les années 2000, on a cassé Sonatrach et à travers elle tout le tissu industriel. Il reste le troisième pied sur lequel repose l’Algérie : l’armée.

L’armée peut être en danger en intervenant dans ce conflit?

Je pense que l’armée a échappé au piège qu’était l’intervention à l’extérieur du pays.
L’autre piège est qu’elle soit utilisée dans des guerres picrocholines à l’intérieur. Nous avons une armée nationale populaire qui constitue une force reconnue, une colonne vertébrale puisque elle est l’émanation de toute la population. Tout le monde estime que cette armée lui appartient même si on n’est pas d’accord avec ses chefs. Tout le monde la réclame. Si on mouille l’armée dans des mini-conflits qui se tribalisent, on l’oblige à prendre position d’une certaine façon. Elle ne pourrait pas sortir indemne d’une guerre pour laquelle elle n’est pas faite.

Une armée est faite pour tuer l’ennemi et non pour assurer l’ordre. Souvent, on a bien vu ce qui s’est passé en octobre 1988. On avait tiré des conclusions sur « l’armée tueuse ». On oublie que ce qu’on apprend à un militaire, c’est de tirer sur l’ennemi et à viser juste. L’intervention dans ce genre de conflits est très dangereuse pour l’armée parce que la tribalisation va gangrener l’armée! Alors qu’une armée ne doit appartenir ni à un clan, ni à une caste ou à une tribu. Méditons le cas syrien.

Des visites officielles ont été effectuées et des décisions ont été prises mais la crise continue…

Le problème essentiel est le système d’arbitrage qui a été cassé en 1992. Dans tous les systèmes de gouvernance, il y un arbitrage entre les différents intérêts et intervenants. En Algérie, la disparition de Chadli s’est accompagnée par l’effondrement progressif du système d’arbitrage. L’arbitrage est un rôle dévolu au président de la République ou à un groupe au sein duquel un individu peut jouer le rôle d’arbitre de dernier recours. En l’absence de ce système d’arbitrage et d’un arbitre reconnu par tout le monde, les sous groupes peuvent se multiplier.

Vous avez également des gens qui peuvent s’allier aux empires étrangers ou à ces nouveaux pouvoirs occultes. C’est le début de la trahison même si elle n’est pas perçue comme telle au départ.

Comment expliquez-vous ce qui se passe entre les deux communautés arabe et mozabite à Ghardaïa depuis plus de deux ans?

Peut-être qu’il faut se demander qui fait quoi au M’zab ? Je crois que si on veut éviter une mauvaise compréhension de la situation dans cette région, on ne doit justement pas se restreindre à parler de Mozabites et de Chaâmbas qui peuvent être des victimes expiatoires ou de la chair à canon. Parce que c’est exactement là où on veut nous mener pour contraindre notre expression et notre réflexion dans des limites qui ne nous permettent pas de voir la réalité du problème: c’est-à-dire ce qui se passe réellement et qui a intérêt à quoi.

Est-ce que ce sont les Américains qui manifesteraient leur volonté d’avoir une maîtrise absolue de tout ce qui se passe dans le monde? Les Français qui voudraient montrer leur détermination de tenir en main leur pré-carré? Les Israéliens qui accroissent leur mainmise sur l’Afrique? Est-ce que c’est l’Arabie saoudite qui, à travers le wahhabisme, offre ses capacités d’intervention notamment aux Israéliens? Ou est-ce que ce sont des manipulations de segments mafieux du pouvoir algérien qui manifestent aussi leurs capacités à rompre ou perturber les nouveaux équilibres en gestation s’ils ne sont pas pris en considération? Est-ce que finalement ce n’est pas aussi les soubresauts d’un système qui a totalement échoué?

Quelle hypothèse vous semble la plus plausible ?

Je considère que les Israéliens, les Français, les Américains et les Saoudiens ont tous des légitimités à intervenir en Algérie parce qu’ils ont des intérêts. Cela ne veut pas dire que je leur reconnais le droit ! Le problème se pose en ce qui concerne nos services de sécurité. Ces services sont par définition là pour anticiper ce qui risque d’arriver à l’intérieur ou à l’extérieur d’un pays pour qu’on puisse intervenir à temps. Si nous ne sommes pas intervenus à temps, c’est que quelque part il y a des intervenants qui ont un agenda antipatriotique. Je ne sais pas lesquels. Je n’ai pas les capacités de vous dire si ce sont juste des gens qui ont été achetés ou est-ce que c’est une logique plus fondamentale. En fait, il y a une logique plus stupide liée à la volonté de sauvegarder le statut quo, de protéger des intérêts, de maintenir cet algorithme entre les intérêts nationaux et internationaux qui peut conduire à des sujétions qui sont de l’ordre de la trahison.

C’est-à-dire qu’on peut aller vers les déshydratas de tel ou tel intervenant étranger pour être adoubé et être considéré comme étant l’équipe qui les a aidés et qui doit donc gérer le pays pour les 15 ou 20 ou 30 prochaines années. La question: est-ce que les acteurs locaux travaillent avec ou contre eux? Là on rentre dans un périmètre très complexe. Je pense qu’il y a des intérêts convergents.

Pourquoi le choix de Ghardaïa ?

Si on prend l’Arabie saoudite, on sait qu’elle s’est fait doubler dans le Golfe par Oman (dont la population est en majorité ibadite) qui a facilité les discussions entre les États-Unis et l’Iran. On sait également qu’il y a régulièrement un appel contre les Ibadites à la Mecque.

Vous avez la France qui n’a jamais supporté de n’avoir pas récupéré son «Sahara». Et ici localement, on peut considérer que le M’zab est la meilleure région pour une mise en scène entre Daech d’un côté et des « Khawaridj » de l’autre. On a l’expérience des manipulations qui peuvent mal tourner comme octobre 1988 qui a failli emporter le système. Maintenant, on va vers des territoires beaucoup plus étroits et petits et qui ne parlent pas autant aux gens du Nord qui continuent à considérer le Sud comme n’étant pas véritablement une partie de l’Algérie. Sauf qu’on est à l’ère d’Internet. On est plus à l’ère où on peut tuer sans témoignages.

Vous croyez qu’il y a complot ?

On ne doit exclure aucune hypothèse ! On ne distribue pas les armes spontanément et naturellement par exemple. Il est clair qu’il y a la main de l’homme, qu’il y a un minimum d’ingénierie. Et on ne va pas nous empêcher de penser. Quand il y a complot, il faut le dire!

Je vous rappelle que ce qui s’est passé avant-hier a failli se réaliser il y a quelques mois. Sauf qu’il y a eu une erreur de casting et un problème d’organisation. Trois jeunes « arabes » avaient été tués et on avait propagé une rumeur disant que des Mozabites allaient violer les femmes dans les quartiers arabes. Le scénario ne pouvait pas tenir la route parce que les Mozabites ne rentraient pas dans ces quartiers et ne pouvaient pas tuer à bout portant. Cela n’a pas marché. Les Ghardaouis se sont alors interrogés sur qui fait quoi.

Voilà pourquoi il ne faut plus parler de Mozabites et de Chaâmbas. Il faut parler des populations de cette région qui, dans le fond, sont solidaires parce qu’ils subissent les mêmes pressions. Ils parlent tous de professionnels encagoulés qui tantôt tuent dans une direction et tantôt dans une autre.

Si ces professionnels sont des étrangers, à quoi servent les services de sécurité ? Si ce sont des Nationaux, ils jouent à quoi ? Pour l’instant, je n’ai pas les moyens de savoir qui fait quoi ?

Ghardaïa est devenue un laboratoire, selon vous ?

Oui, je considère que c’est un laboratoire. Et ce qui est grave, ce n’est pas tant que des étrangers veuillent faire de mon pays un laboratoire mais qu’on participe avec eux.

Comment se fait-il qu’on arrête quelqu’un pour une vidéo et qu’on n’arrive pas à arrêter des assassins ou des gens qui appellent au meurtre. Comment arrive-t-on à savoir qui a filmé qui et quoi? Et on n’arrive pas à savoir qui a tué qui? Je n’ai pas de réponse.

Vous parlez de complicité des services de sécurité ?

Je ne peux pas aller avec vous dans ce sens. Si j’avais les éléments pour être aussi affirmatif, je le serai! J’ai parlé de segments du pouvoir. On ne va pas accuser le DRS, la police, les renseignements généraux ou la gendarmerie.

Dans tous les pays, vous pouvez avoir des sous-structures inconnues qui ont une autonomie totale parce qu’ils ont leurs propres intérêts. Même s’il ne s’agit que de trois ou quatre brebis galeuses qui ont constitué un groupuscule pour peser sur les nouveaux équilibres algériens, le rôle des instruments légaux de contrôle et de sécurité consiste à lutter contre ces gens et ces déviations.

Sommes-nous passés à une nouvelle étape dans le conflit avec l’utilisation des armes à feu?

Si on a fait l’effort de distribuer des armes de chasse plutôt que des armes de guerre, c’est justement pour dire: on peut aller loin. Cela dit, je ne sais pas qui parle à qui.

Il n’y a pas eu que des armes de chasse selon certains témoignages…

Oui, bien sûr. Il ne faut pas oublier qu’il y a eu beaucoup de distribution d’armes dans les années 1990. Mais ce ne sont pas ces armes qui ont été utilisées. Il y a beaucoup de distributeurs d’armes de chasse. Ces wahhabites qui viennent chasser l’outarde dans le Sud algérien ne repartent pas avec le matériel qu’ils ramènent en Algérie. Tout ça peut circuler. Et si ce n’est pas des armes de guerre mais des armes de chasse, c’est bien la preuve qu’il y a manipulation. C’est-à-dire que nous sommes encore à un stade où on montre qu’on peut aller plus loin.

Est-ce que la crise à Ghardaïa s’inscrit dans le cadre de la lutte pour la succession de Bouteflika et donc la préparation de l’après-Bouteflika?

L’histoire de l’Algérie s’est construite d’abord sur une légitimité d’hommes (l’émir Abdelkader et Messali Hadj par exemple). La légitimité du groupe est venue avec la Guerre de libération. Maintenant, on peut considérer que les événements du M’zab sont une énième tentative de refus du passage à la troisième phase de notre histoire : la légitimation populaire. On a eu un ratage en octobre 1988. On aurait pu terminer sur un certain succès dans les années 1990 et on aurait accepté tout ce qui s’est passé auparavant parce que ce sont des expériences nécessaires. Maintenant, nous n’allons retenir que le négatif. C’est dommage car, cet échec ne permet pas aux jeunes, qui vont prendre le pouvoir demain je ne sais comment, de se construire positivement. C’est dommage parce que la Guerre de libération nous a construit . Il faut reprendre le dialogue de façon tranquille, s’asseoir tous ensemble et discuter de la façon avec laquelle on peut organiser le pays pour les prochaines années. On ne pourra pas aller à l’encontre de la légitimité populaire sauf à se soumettre au diktat d’un autre pays.

Les conflits entre les deux communautés arabe et mozabite ne datent pas d’aujoud’hui, mais des années 1960. Est-ce un problème de terrains et de pouvoir local?

Les problèmes issus des anciennes tribus existent partout en Algérie et cela est normal. Ce sont des problèmes de territoires et de pouvoir. Par contre, les choses ont beaucoup changé sur le plan anthropologique (au Sud). Dans la hiérarchie anthropologique pré-coloniale du Grand Sud, vous avez en haut les Zénètes ibadites, les Chaâmbas en deuxième position, puis les harratines . Ce mille-feuilles s’est totalement bouleversé. Une bonne partie des Zénètes ont refusé de voir que le monde changeait alors que les harratines ont su tirer profit des bouleversements de pouvoir. Dans tous les pays du monde, le rôle de l’État est de gommer ces aspérités et d’aider ceux qui ont raté des marches. En Algérie, tous ces bouleversements, dans le Sud anthropologique comme sociologique, sont très mal perçus par les dirigeants algériens car à l’école, on n’étudie pas l’anthropologie. Et donc à force de nier l’existence de différenciation régionale et linguistique, plus personne n’étudie réellement la consistance sociologique et anthropologique en Algérie.

Quelle est la particularité du M’zab au Sud ?

Chez les Mozabites et les Touareg, il y a des institutions séculaires qui ont permis à des groupes d’exister en tant que tels, d’absorber le changement, de le refuser ou de ne pas comprendre le changement. C’est ce qui les rend visibles et fragiles par rapport aux manipulations. Ces institutions leurs permettent aussi de rester solides. Ce qui n’est pas le cas des autres groupes de la population qui, elles, ont été tellement déstabilisés et qui n’ont plus de repères. Quand vous allez au M’zab et quand vous passez d’un quartier à un autre, vous avez l’impression de changer de pays. Non pas à cause de différences de coutumes ou de vêtements mais par rapport aux comportements.

Quelle solution peut-on apporter à cette crise selon vous ?

Il faut certainement éviter les fausses solutions de distribution d’argent sans contrepartie, de distribution de terrains pour favoriser des mouvements de population déstabilisants. Rappelons-nous que des «repentis» ont été installés à Ghardaïa avec énormément de moyens au détriment des locaux. Leurs quartiers abritent deux mosquées takfiristes qui appellent ouvertement au meurtre sans être pour autant inquiétés. Les Ghardaouis ont besoin de croire en leurs dirigeants et cela passe par la ré-légitimation du pouvoir et la reconstruction de l’État.

Que pensez-vous de l’installation d’une commission d’enquête indépendante revendiquée par une partie de l’opposition?

Il est triste de devoir passer par une commission d’enquête indépendante et impartiale. C’est bien la preuve de la perte de légitimité de toutes les institutions, dont la justice. Dans le même moment, cela peut être nécessaire pour ramener la confiance entre les Ghardaouis.

Sources TSA