L’AFFAIRE MAURICE AUDIN AU TRIBUNAL À MARSEILLE

par Gilles Manceron

le 26 septembre 2015

Mediapart – blog

pdf-3.jpg Le 22 septembre, la poursuite en diffamation du général Maurice Schmitt contre un ancien combattant en Algérie devenu militant anticolonialiste a eu pour effet que, 58 ans après les faits, un tribunal s’est enfin penché sur l’affaire Audin, cet assassinat en 1957 par l’armée française d’un militant du Parti communiste algérien.

Alors que, depuis 1957, tous les pouvoirs politiques ont fait en sorte que l’affaire Audin ne parvienne jamais devant la justice, la plainte en diffamation du général Maurice Schmitt – ancien chef d’état-major des armées de 1987 à 1991 –, contre Henri Pouillot – ancien appelé en Algérie, affecté en 1961 à l’intendance d’un centre de torture à Alger, aujourd’hui président du réseau «Sortir du colonialisme» –, a conduit à ce que, le 22 septembre 2015, le tribunal correctionnel de Marseille se penche longuement sur un assassinat qui, pendant 57 ans, a fait l’objet d’un mensonge d’Etat. On peut s’étonner qu’à l’exception de deux quotidiens, L’Humanité ->http://www.humanite.fr/laffaire-maurice-audin-devant-la-justice-marseillaise-584665] et La Marseillaise et du site de la Ligue des droits de l’homme de Toulon , ce fait n’a pas été signalé par les médias[Voir en [document joint l’article [ASSASSINAT DE MAURICE AUDIN. LE GÉNÉRAL SCHMITT ÉTAIT-IL DANS LE COUP – Saoudi Abdelaziz – blog algerie infos qui reprend de larges extraits de ces publications]]
.

On sait que, durant la guerre d’Algérie, Maurice Audin, brillant professeur et chercheur en mathématiques âgé de 25 ans, militant du Parti communiste algérien, a été arrêté le 10 juin 1957 à son domicile à Alger par les parachutistes du général Massu, commandant la 10e DP. Depuis le mois de janvier, ils avaient la charge des pouvoirs de police à Alger et pratiquaient massivement arrestations et interrogatoires sous la torture en tenant à l’écart la justice. Henri Alleg, ancien directeur d’Alger républicain, arrêté peu après, l’a retrouvé au centre de détention d’El Biar et a témoigné de ce que, comme lui, il y avait été torturé.

audin_parcours.pngParcours Maurice Audin, Alger 2003 © Ernest Pignon Ernest

Le 22 juin, la jeune femme de Maurice Audin, Josette, enseignante en mathématiques elle aussi, issue d’une famille européenne d’Algérie, restée seule avec trois enfants dont le dernier avait juste un mois, a commencé à comprendre quand elle a reçu la visite de deux parachutistes qui lui ont dit «Vous croyez le revoir un jour, votre mari… Espérez, vous pouvez toujours espérer…» et parlaient de lui au passé. Le 1er juillet, elle a été reçue par le lieutenant-colonel Roger Trinquier, collaborateur direct du général Massu, qui lui a dit que Maurice Audin s’était évadé le 21 juin, au cours d’un transfert où il n’était pas menotté. Sachant qu’une telle version est la couverture habituelle d’exécutions sommaires, elle a accusé les parachutistes de l’avoir tué et déposé aussitôt plainte pour homicide volontaire.

Pendant 57 ans, cette fable de l’évasion suivie d’une disparition n’a jamais été démentie, ni par la «Grande Muette» ni par les autorités civiles de la République. C’est incontestablement le plus long mensonge d’Etat de l’histoire contemporaine de la France (lire ici sur Mediapart). Or l’audience qui a occupé tout l’après-midi du mardi 22 septembre à la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Marseille a été l’occasion de demander que la vérité soit enfin dite sur cet assassinat, ne serait-ce que pour que Josette Audin et ses enfants, Pierre et Michèle, puissent faire enfin leur deuil.

L’objet de ce procès ? Un passage d’une lettre d’Henri Pouillot – signataire de l’Appel des 171 – au général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées, publiée par le journal Le Combattant, dans lequel le général Maurice Schmitt a vu une diffamation à son égard.

Le rôle du lieutenant Schmitt en 1957 précisé au tribunal

L’un des aspects de cette audience est d’avoir apporté un élément important sur l’activité du lieutenant Maurice Schmitt durant la bataille d’Alger. En effet, a été signalé au tribunal le témoignage écrit d’une personne détenue par les parachutistes du 3e RPC durant la bataille d’Alger et décrivant de manière précise son rôle personnel dans les tortures infligées aux personnes raflées. Ce n’est pas la première fois qu’un témoignage est présenté sur ce point. Comme le général Schmitt l’écrit dans son livre “Alger – été 1957. Une victoire sur le terrorisme” (L’Harmattan, 2002), les parachutistes du 3e RPC parmi lesquels il servait comme lieutenant entre le 20 juillet et le 4 septembre 1957, ont détenu et « interrogé durement » plus de 80 personnes soupçonnées d’aider le FLN à l’« école Montpensier » – l’école Serrouy, rue Montpensier – à Alger. Et plusieurs détenus de cette époque ont témoigné des tortures qu’il a dirigées ou pratiquées.

Le 27 juin 2001, sur France 3, dans le magazine « Pièces à conviction », Malika Koriche, ainsi que les 29 juin et 10 juillet 2001 dans le quotidien Le Monde, Ali Moulaï et Rachid Ferrahi (l’article en PDF à télécharger ici) l’ont désigné comme ayant ordonné ou effectué les tortures qu’ils y ont subies. Le 19 mars 2005,dans Le Monde, Rachid Ferrahi a même complété son témoignage en décrivant les tortures endurées par son père, Farid, auxquelles il avait assisté (l’article en PDF à télécharger là).

Le général Schmitt a répondu dans son livre qu’Ali Moulaï, « terrorisé », a parlé sans être torturé, et il a traité d’«affabulations » les témoignages de Malika Koriche et de Rachid Ferrahi. S’est ajouté aussi le témoignage d’un ancien parachutiste du 3e RPC, Raymond Cloarec, lors du procès en appel consécutif aux poursuites en diffamation intentées contre Schmitt par Louisette Ighilariz, à cette époque jeune agent de liaison du FLN, elle aussi détenue et torturée, qu’il avait accusée – ainsi qu’Henri Pouillot – de mensonge lors du débat suivant la diffusion sur France 3, le 6 mars 2002, du documentaire de Patrick Rotman, L’Ennemi intime.

Le témoignage de Raymond Cloarec, confié auparavant à la journaliste du Monde Florence Beaugé, a confirmé sur plusieurs points celui de Louisette Ighilahriz. En outre, cet ancien parachutiste a fait état des multiples tentatives du général Schmitt pour le faire revenir avant l’audience sur ses déclarations – comme le relate Florence Beaugé dans son livre Algérie, une guerre sans gloire. Histoire d’une enquête (Calmann Lévy, 2005) (lire ici).

Mais ce procès de Marseille le 22 septembre 2015 a été l’occasion d’ajouter à ces témoignages un document accablant. Il a été fait état pour la première fois devant la justice de la mention du lieutenant Schmitt dans le récit écrit à l’époque par une jeune algéroise de famille juive, Huguette Akkache, relatant sa détention dans cette école pour avoir soigné un militant du FLN. Ses 42 pages dactylographiées envoyées en février 1959 au quotidien La Croix ont, en effet, été publiées intégralement en 2012, par le journaliste Jacques Duquesne, dans son livre “Carnets secrets de la guerre d’Algérie” chez l’éditeur Bayard. Ce récit avait déjà fait l’objet de publications partielles : des extraits en décembre 1959 par l’hebdomadaire Témoignage Chrétien et le quotidien Le Monde; puis, en 2004, une édition (signalée par Le Monde du 28 octobre 2004 et du 18 mars 2005 – à télécharger ici en PDF) signée du pseudonyme de «H.G. Esméralda» sous le titre d’“Un été en enfer. Barbarie à la française. Alger 1957”, par les éditions Exils à Paris, où les noms des tortionnaires n’apparaissent qu’en abréviations.

Mais Jacques Duquesne a publié pour la première fois le nom de l’auteur de ce récit et les noms entiers des tortionnaires, dont celui du lieutenant Schmitt (orthographié Schmidt), cité à treize reprises. Avant sa longue carrière de journaliste qui l’a conduit jusqu’à présider l’association qui supervise le groupe Ouest-France, Jacques Duquesne avait fait ses débuts comme reporter pour La Croix en Algérie à la fin de 1957. En 2012, dans le Préambule de ses Carnets, il écrit: « A 82 ans, mes années d’Algérie me reviennent. […] Cette guerre que j’avais couverte pour La Croix s’est imposée dans ma mémoire au moment où j’ai rouvert les cartons que j’avais soigneusement ficelés et rangés au fond d’un grenier en Corrèze il y a 50 ans». Et il présente ainsi ce témoignage : «Sur 42 pages dactylographiées, une jeune femme algéroise, mère d’une petite fille, raconte, en termes simples et précis, les 43 jours de détention et de torture qu’elle a subies, à l’école Serrouy, rue Montpensier, près de la Casbah, un établissement transformé par les paras en “centre d’interrogatoire” durant la bataille d’Alger. […] Je ne me souviens pas d’avoir jamais publié l’histoire de Huguette Akkache. Je suis heureux de pouvoir le faire aujourd’hui». Le lieutenant Schmitt y est décrit comme dirigeant les interrogatoires, ordonnant aux bourreaux de poursuivre ou de stopper les tortures, et actionnant parfois lui-même la magnéto tout en lançant de violentes diatribes anti-communistes.

Est-ce la gêne qu’éprouve Maurice Schmitt quand il se rappelle son propre rôle à Alger en 1957 qui l’a fait réagir ainsi, en jugeant diffamatoire cette lettre d’Henri Pouillot suggérant simplement, en septembre 2014, au chef d’état-major des armées qu’on l’interroge sur ce qu’il pourrait savoir des conditions de la mort de Maurice Audin ? Une telle suggestion – qui ne portait pas sur son rôle personnel – paraît pourtant fondée. Schmitt est certes arrivé à Alger un mois après la mort de Maurice Audin mais il a rencontré fréquemment ensuite – il en fait état dans son livre – des officiers de l’état-major de la 10e DP, dont le lieutenant-colonel Roger Trinquier, collaborateur direct de Massu, et le capitaine Alain Léger. C’est son régiment, le 3e RCP qui – comme le rapporte le colonel Yves Godard, commandant alors la zone Alger-Sahel, dans son livre, “Les paras dans la ville” (Fayard, 1972) – a démantelé entre le 28 janvier et le 19 février 1957 le réseau FLN à l’origine d’une première série d’attentats. Il peut donc avoir eu des informations sur les circonstances de la mort de Maurice Audin, même s’il n’était pas à Alger le 21 juin 1957.

Dans son livre “Alger – été 1957. Une victoire sur le terrorisme”, il montre qu’il a une connaissance très précise des évènements intervenus à Alger pendant toute l’année 1957 : il relate ce qui s’est passé avant son arrivée le 20 juillet et consacre tout un chapitre à la suite de la bataille d’Alger, après le 4 septembre, quand lui-même et ses parachutistes du 3e RCP ont été remplacés par ceux du 1er REP. Il nomme même une fois Maurice Audin, dans la phrase suivante: «Il est clair que Boumendjel, Maurice Audin et Larbi Ben M’Hidi auraient dû être traduits devant un tribunal… ». Or — on le sait aujourd’hui avec certitude — Ali Boumendjel et Larbi Ben M’Hidi ont été tués, sur ordre, durant leur détention. Cette phrase de Maurice Schmitt semble donc indiquer que Maurice Audin a, lui aussi, été l’objet d’une décision de mise à mort. Dans ces conditions, il est logique de lui demander s’il peut le confirmer et s’il peut apporter des précisions sur ce point.

Maurice Audin a-t-il été assassiné sur ordre ?

D’autant que les choses ont bougé ces dernières années sur la question de la mort de Maurice Audin. En mars 2012, une journaliste du Nouvel Observateur, Nathalie Funès, a révélé que le colonel Yves Godard a écrit dans des carnets déposés à l’Université de Stanford (Californie) qu’Audin a été tué, sur ordre, par le sous-lieutenant du 6e RPC Gérard Garcet – qui était au début de 1957 l’officier d’ordonnance du général Massu. Puis, le général Paul Aussaresses – commandant, à l’époque, au sein du 1er RCP et chargé par le général Massu de l’« action », c’est-à-dire notamment des exécutions extrajudiciaires – a confié, peu avant sa mort le 3 décembre 2013, au journaliste Jean-Charles Deniau – qui l’a rapporté dans son livre “La vérité sur la mort de Maurice Audin”, paru en janvier 2014 aux éditions Equateurs – que l’ordre de tuer Audin est venu du général Massu et que le sous-lieutenant Gérard Garcet est bien celui qui l’a mis en œuvre. Il est clair pour les historiens que, si – comme l’a affirmé Aussaresses – il y a eu alors un ordre du général Massu, il a forcément été partagé par le ministre résidant, Robert Lacoste.

La déclaration d’Aussaresses a conduit le Président de la République à mettre fin à la version qui a été la thèse officielle pendant 57 ans, celle de l’évasion. Il a reçu le 17 juin 2014 à l’Elysée Josette et Pierre Audin, l’un des fils du disparu, et rendu public le 18 juin un message à l’occasion de la remise du Prix Maurice Audin de mathématiques. Dans ce message, pour la première fois, un président de la République a reconnu que « les documents et les témoignages dont nous disposons aujourd’hui sont suffisamment nombreux et concordants pour infirmer la thèse de l’évasion qui avait été avancée à l’époque. M. Audin ne s’est pas évadé, il est mort durant sa détention ». Cela revient à reconnaître que, pendant 57 ans, les autorités de l’armée et de la République ont fait d’un mensonge leur vérité officielle.

Mais de quoi Maurice Audin est-il mort alors qu’il était détenu par les parachutistes ? Le Président de la République a écrit dans son message qu’il avait ordonné « que soient engagées des recherches sans précédent dans les archives du ministère de la Défense, afin de découvrir si des documents officiels permettaient d’éclairer de façon définitive les conditions de la disparition de M. Audin en juin 1957. Ces recherches n’ont pas permis de lever les incertitudes qui continuent d’entourer les circonstances précises de la mort de M. Audin, que la justice n’a plus les moyens d’éclairer. C’est aux historiens qu’il appartient désormais de les préciser ». Dans ces conditions, il parait légitime de suggérer au chef d’état major des armées de demander aux officiers encore vivants ayant participé à la bataille d’Alger ce qu’ils savent sur cette mort. Le général Schmitt n’est pas un témoin direct de l’assassinat de Maurice Audin, mais il fait partie de ceux qui peuvent permettre d’établir la vérité. Si l’armée française, aujourd’hui, veut faire la lumière, elle le peut.

Sur la question sur laquelle le tribunal correctionnel de Marseille était saisi, la poursuite en diffamation introduite par Maurice Schmitt, il fera connaître son délibéré le 3 novembre 2015. Fera-t-il référence à l’affaire Audin ? Dans la ville où Pierre Vidal-Naquet, le fondateur du Comité Maurice Audin, était collégien quand ses parents ont été arrêtés avant de disparaître en déportation, on ne peut qu’attendre de la justice qu’elle fasse un pas dans le sens de l’exigence de vérité.

Gilles Manceron

Sources: Mediapart


socialgerie autres articles: (…)

POUR SALUER LA MÉMOIRE DE MON PÈRE

pdf-3.jpg Lateb Azeddine nous a adressé ce texte début septembre : « …Dans moins de dix jours, ça fera deux ans depuis que mon père n’est plus de ce monde. J’aimerais bien publier un petit texte à sa mémoire… »

Texte émouvant, il nous souvient des sentiments poignants éprouvés à la disparition des êtres chers à qui on ne peut rendre le dernier hommage ou message intime.
Socialgerie.


POUR SALUER LA MÉMOIRE DE MON PÈRE

Le 14 septembre 2013, tu es parti habiter l’autre monde.
Durant de longues années, tu avais courageusement tenu tête à la maladie et tu n’avais jamais manqué de célébrer la vie.
Tu refusais la défaite et tu ne désespérais pas, c’est ce qui te tenait vivant. Au plus fort de la maladie, tu te rappelais de la vie à vivre par-dessus tout. Tu disais que tout ce que je vis est un bonus.
Tu n’avais point de goût pour le malheur et pourtant ta propre vie a été sans cesse tremblée. Ton cœur généreux ne s’est point arrêté. Il n’a pas manqué à sa vocation de préserver cet ardent désir de vivre ; être digne du ventre de la Mère c’est inscrire la vie là où le malheur menace.
Tu as été bien entouré, bien accompagné, salué par les siens pour tout ce que tu es. Tu as reçu ce que tu as toi-même donné. A quelques jours de ta propre mort, fatigué, tu as tenu à honorer de ta présence la fête des siens, partager la joie et le fardeau. Pour toi, être un homme c’est ne pas manquer à l’appel du cœur ; ne pas être indifférent aux siens, aux autres.
Tu étais ainsi total. Tu n’aimais pas les demi-mesures. Tout ce qui te singularisais tant, le sens de la famille, la bravoure, la générosité y compris tes colères, nous manqueront. Nous avons fait le serment d’être heureux et nous ne renoncerons pas à ton héritage fait de sens et de dignité.
Que celles et ceux qui t’ont connu puissent avoir une pensée à ta mémoire.
Que Dieu le tout puissant t’ouvre les portes du Paradis.
Paix à ton âme.

L.A. septembre 2015


Pour les miens

Peut-être, quelque part, tu m’entends ; tu entends ce que je voulais te dire, ce que j’aurais aimé te redire, je t’aime.
C’est peut-être absurde pour ce pays qui peine à naître. Mais le pays est à naître. Et l’amour est à réinventer.
Je te l’avais pourtant dit, mais j’aurais aimé t’embrasser, poser mes lèvres sur ton front fatigué par la guerre.
Sentir ton épaule.
T’accompagner dans ton dernier voyage.
Te revoir une dernière fois, rien qu’une dernière fois puis te fermer les yeux ; t’endormir comme on endort un enfant.
T’ouvrir ma poitrine pour y déposer tes secrètes paroles. Et te sentir ainsi apaisé.
Mais la vie est imprévisible. Et le cours du temps est parfois inclément.
La vie, elle, est précieuse. Elle n’est pas à solder. Elle est à croquer. C’est ta leçon.
Il me faudra apprendre à en être digne.
Oui. La dignité, la seule, est de faire chanter les oiseaux que tu as affectueusement nourris. Ils sont le gage de l’avenir. L’avenir est la vie à naître.
Savais-tu que l’hiver sera plus long lorsque les neiges tardent à venir ?
Là où tu dors, il a déjà neigé. Et le frère disparu un jour d’hiver repose à tes côtés.
Je VOUS EMBRASSE.
Nous ne nous sommes pas revus, certes mais quelque part, nous nous rencontrons tous les jours ; dans tous les gestes et paroles, je sens ta présence et ressens cette absence qui me démange les yeux et l’âme.
Tu vis. Et tiens vivant dans la foi que tu as dans ce qui est à butiner, abeille parmi les fleurs.
Lorsque la poitrine est engloutie, les mots sont incapables de faire traverser le battement. Le cœur, lui, apprend à nager. Et à faire entendre sa chanson du désir, la vie.
Alors, je pleure non de chagrin mais de t’avoir manqué, d’avoir manqué à cette ultime retrouvaille.
Mais l’amour est la seule palpitation digne de la blessure de la Mère : Notre Terre. Nous renaîtrons tous les jours dans la paume de cet amour, et nous en mourrons d’y avoir manqué.
Dans ce foutu pays qu’on ne fait que becqueter par nos tristes museaux, ton être durera, fleur dans ce champ vert, cri renaissant de l’enfance interrompue.
Sais-tu que ton prénom est à présent happé à la mort et à l’oubli ?
Oui, lorsque la vie reprend le cycle de la renaissance, la mort est insignifiante. Elle est l’insignifiance.
Car la naissance est la plus belle riposte à ce cycle qui pourtant envoie des flèches à ce cœur où tu habites. Ton battement le préserve, me préserve de son estoc meurtrier.
Pour tout dire, tout redire, je t’aime. Oui, je t’aime. Le jour où l’on n’a plus honte de l’amour, ce jour-là, nous vaincrons la mort, l’oubli.
Et nous renaîtrons enfants d’une terre neuve. Terre, sein de l’Aimée.
Paris, 12 janvier 2014

Lateb Azeddine


GRÈCE : QUELLES LUTTES ET RÉSISTANCES QUI PORTENT SUR LE FOND DU PROBLÈME ?

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VIDÉO: YANIS VAROUFAKIS COMMENTE LES ÉLECTIONS GRECQUES Médiapart – repris sue algerieinfos-saoudi;


CADTM-INFO] BULLETIN ÉLECTRONIQUEle 24 septembre 2015


[CADTM-INFO] BULLETIN ÉLECTRONIQUE

le 24 septembre 2015

bulletin-cadtm@cadtm.org

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ÉDITO

Alors qu’il avait démissionné pour regagner un mandat avec lequel il disposerait de la majorité parlementaire pour voter de nouveaux paquets d’austérité, Alexis Tsipras a réussi à être réélu ce dimanche
20 septembre. Rapidement, le premier ministre a recomposé un gouvernement avec Anel et cette fois sans représentant-e-s du courant de gauche de Syriza, et pour cause, les membres de Syriza opposés au diktat des créanciers ont quitté le parti au pouvoir pour créer Unité populaire.

Les voix des électeurs grec-que-s sont réparties d’une manière proche de lors des dernières élections de janvier 2015. Cependant, il faut souligner le taux d’abstention très élevé, à hauteur de 43%.

La commission d’audit de la dette grecque poursuit ses travaux actuellement. Comme l’explique Emilie Paumard, « l’objectif des rencontres de cette semaine consiste à analyser les conditions de signature et le contenu du troisième memorandum ainsi que le paquet de prêt de 86 milliards d’euros qui l’accompagne ».

Éric Toussaint, en tant que coordinateur de la commission, a rappelé dans son discours à la Vouli ce mercredi 23 septembre, qu’au même moment, la commission d’audit parlementaire sur la dette argentine est également active et rendra ses travaux dans un mois et demi.

C’est notamment sous l’impulsion de l’Argentine que l’ONU travaille sur l’instauration d’un cadre juridique international pour la restructuration des dettes souveraines. Le CADTM international a réagi par la publication d’un commentaire critique au vote survenu à l’Assemblée générale des Nations-Unies il y a quelques jours.

Éric Toussaint a également souligné dans son intervention que le rapport de la commission d’audit, publié aux éditions LLL, fait l’objet de très nombreuses traductions et sera prochainement présenté au parlement européen.

Dans le cadre de notre travail sur les dettes des pays d’Europe de l’Est, Éric Toussaint a effectué une tournée en Slovénie. Il a pu exposer les positions du CADTM sur les relations de domination Centre/Périphérie dans l’Union européenne ainsi que sur le rôle de la dette dans l’offensive généralisée entreprise à l’échelle du continent européen par le patronat des grandes entreprises, les gouvernements nationaux et les institutions européennes.

Au Burkina Faso le coup d’État militaire perpétré par le Régiment de sécurité présidentielle a provoqué le chaos dans le pays et la colère de la population qui avait fait partir le dictateur Blaise Compaoré il y a près d’un an. Sous l’impulsion du collectif Balai Citoyen et d’autres mouvements, la population reste mobilisée pour faire valoir la justice et la paix.

Des informations diffusées ce mardi 23 septembre révèlent que les putschistes se sont rendus. Nous continuerons à vous tenir informé-e-s de l’évolution de la situation.

Au Cameroun aussi point de démocratie ! Alors qu’ils organisaient un atelier sur le thème : «Gouvernance électorale et alternance démocratique» nos ami-e-s camerounais-es de la Plate Forme d’Information et d’Action sur la Dette (PFIAD) ont été arrêté-e-s par les autorités du pays. Après une semaine de détention, Jean Marc Bikoko et ses proches ont été libérés.


DOSSIER SPÉCIAL GRÈCE

gr1.png Le 13 juillet 2015, malgré la victoire éclatante du Non/OXI à l’austérité lors du référendum du 5 juillet (62% de Non contre 38% de Oui), les créanciers ont imposé au premier ministre grec un accord inacceptable. Ensuite, dans la nuit du 15 au 16 juillet, le parlement grec a ratifié ce nouveau mémorandum grâce à l’apport des partis de droite alors que Syriza se divisait.
Le rapport intermédiaire de la Commission d’audit de la dette grecque, présenté les 17 et 18 juin, établit que la dette réclamée à la Grèce est presque entièrement illégitime, illégale et odieuse. Elle est aussi insoutenable. Jusqu’ici il n’a pas été utilisé par le gouvernement grec.
Dans les mois et les années qui viennent, la dette grecque va rester au centre des enjeux européens. Le combat pour rendre justice au peuple grec en matière de dettes est loin d’être terminé. Il est nécessaire de renforcer la solidarité internationale avec le peuple grec qui résiste.

Lire le dossier


GRÈCE


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Emilie Paumard

Trois mois après la remise de son rapport préliminaire, la Commission pour la Vérité sur la dette (…)

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gr3.jpg L’austérité et l’endettement imposés à la Grèce violent les droits humains du peuple grec et le droit international

CETIM

Exposé écrit présenté par Centre Europe – Tiers Monde à la 30e session du Conseil des droits (…)

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gr4.jpg La Commission d’audit de la dette veut se maintenir

Benito Pérez, Renaud Vivien

GRÈCE • Les experts chargés de faire la lumière sur l’endettement grec se réunissent dès aujourd’hui (…)

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gr5.jpg Yanis Varoufakis : « La Grèce a été vaincue mais pas soumise »

Yanis Varoufakis

Les Grecs votent à nouveau ce dimanche 20 septembre, pour la troisième fois en neuf mois après de (…)

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207beb00cf4048aa53392559433a811f.jpgGrèce : pas de démocratie sans désobéissance aux traités

Gwenaël Breës

« Nous serons originaux, en respectant après les élections ce que nous disions avant», avait (…)

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Olivier Bonfond

Le 13 juillet 2015, après six mois de négociations, Alexis Tsipras a décidé de capituler et de (…)

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Cet article, rédigé en janvier 2015, nous apporte un éclairage précieux sur la situation (…)

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À New York, le 3 septembre dernier. La femme qui prend la parole à la tribune de l’ONU lors de la (…)

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gr9.jpg Face à la dette en Europe, l’exigence de vérité s’amplifie

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Dénonçant une dette illégitime et illégale, quatre personnalités européennes exigent des mesures de (…)

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gr10.jpg Les crises de la dette grecque

Bodo Ellmers

La saga du sauvetage de la Grèce a connu un nouvel épisode lors du versement des premières (…)

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Sources: Newsletter du CADTM (envoyée à 20209 abonnés)

2 place De Bronckart
4000 Liège, Belgique
Tel: 0032 (0)4 226 62 85
Email: info@cadtm.org

www.cadtm.org

Le CADTM édite aussi une newsletter en anglais (4340 abonnés) et en espagnol (10814 abonnés).

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YANIS VAROUFAKIS COMMENTE LES ESLECTIONS GRECQUES

Médiapart

repris sur le blog algerieinfos – Saoudi Abdelaziz

le 26 Septembre 2015

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Sources:

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PARUTION DU LIVRE DE YASSIN TEMLALI: AUX ORIGINES DE L’AFFIRMATION BERBÈRE EN ALGÉRIE (1830-1962)

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Annonce et remerciements

(النص بالعربية والأمازيغية (القبائلية) في نهاية النص الفرنسي)

J’ai le plaisir de vous annoncer la parution très prochaine, à la mi-octobre 2015, aux éditions Barzakh (Alger), de mon livre .

La genèse de la Kabylie.

Aux origines de l’affirmation berbère en Algérie

(1830-1962).

Préface : Gilbert Meynier

Postface : Malika Rahal

14,5x23cm / 320 pages / 900 DA

Je saisis cette occasion pour remercier toutes celles et tous ceux qui, de près ou de loin, m’ont aidé à achever ce travail de recherche et au premier rang desquels mon épouse, Dina Heshmat.


بلاغ وشكر

يسرني أن أخبركم هنا بقرب صدور كتابي :

La genèse de la Kabylie.

Aux origines de l’affirmation berbère en Algérie

(1830-1962)

أي ما ترجمته (غير الدقيقة): تاريخ تكون المنطقة القبائلية أو جذور المسألة الأمازيغية في الجزائر بين1830 و1962.

تقديم : المورخ جيلبار مينيي

تعقيب : المورخة ملكة رحال

320 صفحة، 900 دينار جزائري.
تاريخ الصدور المرتقب: أكتوبر
2015

أغتنم هنا الفرصة لأتقدم بالشكر لكل من ساعدني من قريب او من بعيد على إنجاز هذا البحث التاريخي وفي مقدمتهم زوجتي دينا حشمت.

كذلك أتوجه بالشكر لكل الصديقات والأصدقاء ممن أتيح لي أن أناقش هذا الموضوع معهم.


Tanemirt

El mend tufgha n wadlis unadi deg mezruy urigh :

LA GENÈSE DE LA KABYLIE.

Aux origines de l’affirmation berbère en Algérie

(1830-1962)

talalit n’tmurt lekvayel: izuran n tamsalt tamazight ger 1830 -1962 .

Lzayer, Barzakh

Préface : Gilbert Meynier

Postface : Malika Rahal

Adlis aggi adyewjed azgen bwagur en Octobre di tmurt nel dzayer.

Adinigh tanmirt i yal yiwen iyifkan afud slekriv ne& sleviid iwaken adeswajdagh Adlis aggi, ar tazwara tametutiw Dina Heshmat.

Tanmirt i temdoukal d yemdoukal ukud kesra& afayen ya3nan echo&l aggi.


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PARIS – 17 SEPTEMBRE 2015: «UNE CONFLICTUALITÉ INTERNE AU NATIONALISME RADICAL ALGERIEN : « LA QUESTION BERBERE-KABYLE » DE LA CRISE DE 1949 A LA LUTTE POUR LE POUVOIR EN 1962»

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message reçu à socialgerie:

Cher(e)s ami(e)s,

Notre (encore) jeune ami Ali Guenoun qui a travaillé en franc tireur sans aucun soutien institutionnel, vient de brillamment soutenir, au bout d’un long parcours du combattant, sa thèse de Doctorat à Paris 1 Sorbonne.

Une contribution importante à notre histoire contemporaine pour sortir des sentiers battus et des discours convenus.

Puissiez-vous donner l’information et la diffuser dans vos organes de presse et réseaux.

Bravo à la jeune génération d’historiens.

Daho Djerbal

le 17 septembre 2015

soutenance.guenoun.jpg soutenance de la thèse de Ali Guenoun

Sorbonne

le 17 septembre 2015

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Résumé de la thèse :

Une conflictualité interne au nationalisme radical algérien : « la question berbère-kabyle ». De la crise de 1949 à la lutte pour le pouvoir en 1962.
La démarche de cette thèse a été guidée par une question fondamentale : comment le référent identitaire kabyle est devenu un analyseur important, pertinent, de l’histoire politique de l’Algérie contemporaine et du nationalisme radical et indépendantiste ? Ce paramètre renvoie à des lignes de clivage, des éléments de conflictualité qui ont contribué, avec d’autres, à susciter des divisions et des suspicions au sein du parti du PPA/MTLD puis du FLN/ALN. Ces «ingrédients» qui sont au principe de la lutte politique évoluent dans un cadre socio-historique et géographique bien déterminé : le nationalisme algérien depuis 1945 en Algérie, particulièrement en Kabylie, et en France.
La fin de la Deuxième Guerre Mondiale favorise l’avènement de nouvelles formes d’organisation au sein du PPA. Une nouvelle génération émerge porteuse de nouveaux questionnements sur le fonctionnement du parti, le projet insurrectionnel mais aussi sur la définition de la nation algérienne. Autant de paramètres importants porteurs de facteurs de clivage qui vont susciter des conflits d’ordre politique qui vont se muer en un antagonisme « identitaire » fondé sur l’appropriation polémique et la manipulation politique, des catégories classificatoire telles que langue, ethnie, région, nation : la crise de 1949 dite « berbériste ».
La période de la guerre de libération algérienne montre comment la Kabylie s’est imposée comme une région pivot dans la lutte libératrice et a permis à ses cadres de jouer les premiers rôles dans la direction du FLN/ALN et d’être perçus comme « hégémoniques » dans la conduite de la guerre. D’où l’exaspération du sentiment anti-kabyle chez leurs concurrents.
Ali Guenoun.


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Un important travail de recherche sur une question brûlante

SOUTENANCE DE LA THÈSE

DE ALI GUENOUN

INVITATION

Cher(e)s ami(e) s et collègues,

J’ai le plaisir de vous inviter à la soutenance de ma thèse de doctorat intitulée

«Une conflictualité interne au nationalisme radical algérien : « la question berbère-kabyle » de la crise de 1949 à la lutte pour le pouvoir en 1962 »,

sous la direction d’Omar Carlier, Professeur émérite des Universités.

La soutenance aura lieu à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne

le jeudi 17septembre 2015 à 9h00,

en salle Jean-Baptiste Duroselle,

(Sorbonne-Galerie J-B. Dumas, 1, rue Victor Cousin

ou 14, rue Cujas (si travaux),

75005 PARIS).

Le jury sera composé de :

  • Hamit BOZARSLAN,

    Directeur d’études en histoire, EHESS
  • Raphaëlle BRANCHE,

    Professeur d’histoire contemporaine, CHS, Paris 1
  • Karima DIRÈCHE,

    Directrice de recherche au CNRS, Directrice de l’IRMC

    (rapporteure)
  • Mohammed HARBI,

    Professeur émérite d’histoire contemporaine, Paris 8

    (rapporteur)
  • Alain MAHÉ,

    Maître de conférences en anthropologie, EHESS
  • Pierre VERMEREN,

    Professeur d’histoire contemporaine, IMAF, Paris 1

Vous êtes chaleureusement conviés au pot de thèse qui aura lieu, dans la salle adjacente, à l’issue de la soutenance.

Au plaisir de vous y retrouver,

Ali Guenoun


Accès :

  • Métro
    • Ligne 10 : Cluny-La Sorbonne
    • Ligne 4 : Odéon, Saint-Michel
    • RER B : Luxembourg
    • RER C : Saint-Michel, sortie Cluny – La Sorbonne
  • Bus: 21, 27, 38, 63, 82, 84, 85, 86, 87, 89

GEORGES CORM : « DU CÔTÉ SUD DE LA MÉDITERRANÉE, NOUS POURRIONS DONNER DES LEÇONS A L’EUROPE »

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Propos recueillis par THÉOPHILE KOUAMOUO ET VADIM KAMENKA

Vendredi, 4 Septembre, 2015

Humanité Dimanche

corm_0.jpgcorm.jpg – Photo : Pierre Pytkowicz

Ancien ministre des Finances du Liban, sociologue et professeur à l’université Saint-Joseph de Beyrouth, Georges Corm[[Dernier ouvrage « Pensée et politique dans le monde arabe », aux éditions La Découverte, 2015.]] revient sur l’afflux des migrants en Europe. Il rappelle les antécédents que sont la colonisation, le besoin de main-d’œuvre et les conséquences régionales des guerres déclenchées par les dirigeants européens et états-uniens.

HD. Quelles sont les causes historiques et politiques de l’afflux massif de réfugiés en Europe ces derniers mois ?
Georges Corm. Le phénomène n’est pas nouveau. Cela fait des années qu’un certain nombre de migrants qui ne peuvent pas obtenir de visa légalement prennent le risque de traverser la Méditerranée dans des conditions épouvantables. Aujourd’hui, les chiffres ont explosé. Mais il ne faut pas oublier les causes historiques, qui s’étalent sur plusieurs périodes et ont déclenché trois grandes vagues successives d’immigration depuis 1945.

Les premiers déracinements ont été provoqués par la colonisation. En Algérie, les meilleures terres agricoles ont été accaparées par les colons. Ce qui a abouti à des déracinements et à la création d’un sous-prolétariat prêt à s’expatrier. D’où une première vague migratoire sous l’effet de la demande de main-d’œuvre à bon marché pour la reconstruction de la France et de l’Europe. À l’indépendance en 1962, une fois épuisées les possibilités d’élargissement de l’emploi dans le pays, le besoin de migration pour cause économique interne s’est manifesté à son tour.
Mais on était encore à l’époque des Trente Glorieuses en Europe. Un schéma migratoire algérien qui s’applique en partie au Maroc et à la Tunisie.

Des vagues de migration ont existé à l’époque coloniale à l’est de la Méditerranée pour des raisons politiques. Le Liban – et sa diversité religieuse – offrait un terrain d’intervention à l’impérialisme européen cherchant à démanteler l’Empire ottoman. Ce qui a entraîné, pour la première fois dans l’histoire du Liban, des guerres communautaires en 1840 et en 1860, suivies de mouvements migratoires qui perdurent jusqu’à présent. Il y a eu, aussi, le terrible désastre subi par les Arméniens, qui se sont réfugiés massivement en France.

HD. Quelles sont les deux autres vagues migratoires ?
Georges Corm. La seconde apparaît dans les années 1990 avec la volonté européenne d’imposer le libre-échange à la rive sud de la Méditerranée. Il s’agit du processus de Barcelone initié en 1995. Ces pays étaient encore dans une phase de décollage du secteur industriel – celle-là même qui peut créer un très grand nombre d’emplois. Certes, des zones franches dédiées à la soustraitance, que je qualifierais d’enclaves de type néocolonial, ont créé quelques emplois, mais elles ont aussi consacré une économie binaire, avec un secteur moderne extrêmement réduit. Du coup, la forte croissance démographique des années 1960-1970 a entraîné des arrivées massives sur le marché du travail qui ne trouvaient pas de débouchés. À la même époque, l’Algérie connaissait en plus une forte déstabilisation politique.

La troisième grande vague, qui a lieu actuellement, a débuté avec les interventions européennes. Elles ont profondément déstabilisé la rive sud de la Méditerranée avec les bombardements de la France et de l’Angleterre sur la Libye qui ont fait des dizaines de milliers de victimes, suivis de l’assassinat du chef de l’État … En Syrie, le même scénario a prévalu. S’il n’y a pas eu d’interventions, les États européens, les États-Unis et la France ont encouragé l’envoi de «djihadistes» pour faire tomber le pouvoir syrien. Ils ont soutenu des mouvances terroristes car ce régime ne convenait plus depuis des années aux orientations politiques de l’OTAN, en raison de ses liens avec l’Iran ou le Hezbollah libanais. Il faut aussi inclure dans le tableau les Kurdes, qui ont un énorme problème avec la Turquie – beaucoup plus qu’avec des pays arabes comme l’Irak, qui a pris en compte leur demande d’autonomie, et le régime syrien, qui se coordonne avec eux pour faire face aux organisations terroristes. La liste de pays déstabilisés par ces politiques régionales s’allonge avec le dernier en date: le Yémen. Au lieu d’être la puissance politique qui apaise, l’UE s’est investie dans ces conflits aux côtés de l’Arabie saoudite, du Qatar, des États-Unis et de la Turquie. L’Europe en paie le prix et ses citoyens devraient demander des comptes à leurs dirigeants.

HD. L’Afrique et le Moyen-Orient ne sont pas épargnés par ces vagues de migrations. Des migrations qui ont des conséquences politiques dans chacun de ces pays …
Georges Corm. De ce côté de la Méditerranée, nous pourrions donner des leçons à l’Europe. Le Liban, qui a une population de 4 millions d’âmes sur une superficie de 10 450 km 2, a vu affluer plus d’un million de Syriens, sans que cela ne crée des problèmes insurmontables à l’intérieur. Il a été capable de les accueillir en recevant une aide relativement faible. L’opinion locale n’a pas développé de violente xénophobie, à l’instar de certaines factions politiques européennes. La Turquie a aussi reçu un nombre important de réfugiés (près de 1 million sur une population de 80 millions d’habitants). Mais le ratio est plus faible comparé au Liban ou à la Jordanie.

HD. Des différences sociologiques existent-elles entre les réfugiés ? Et ne va-t-on pas assister à une future saignée pour ces pays ?
Georges Corm. Les événements en Syrie ressemblent à ce qu’a connu le Liban. Durant la guerre civile de 1975 à 1990, le pays a vécu la même véritable saignée qui a touché l’ensemble de la population. Les techniciens et cadres ont émigré en masse pendant le conflit. Au retour de la paix, la reconstruction du pays a été livrée aux multinationales et aux entrepreneurs publics peu scrupuleux qui ont achevé de défigurer le Liban. Depuis 25 ans, les gouvernements successifs n’ont pas réussi à rétablir l’électricité, n’assurent ni la distribution d’eau, ni la collecte et le traitement des déchets, ni le recyclage des eaux usées. Le pays est dans un état absolument lamentable et la dette publique ne cesse d’augmenter. Voilà la reconstruction que le monde entier a vantée. Mais nous étions censés avoir un homme providentiel appuyé par toutes les grandes puissances: Rafiq Hariri, qui devait pourvoir à tous les besoins de la reconstruction.

« AU LIEU D’ÊTRE LA PUISSANCE QUI APAISE, L’UE S’EST INVESTIE AUX CÔTÉS DE L’ARABIE SAOUDITE, DU QATAR, DES ÉTATS-UNIS… »

Pour la Syrie, vu les dimensions géographiques et démographiques du pays, on risque fort d’avoir une centaine de Hariri qui se voudront les « seigneurs », lors de la reconstruction, de concert avec les miliciens de tous bords. L’organisation terroriste Daech se charge déjà de préparer le terrain aux spéculations foncières futures. Ils démolissent des sites archéologiques majeurs en Syrie comme en Irak, comme cela est arrivé au Liban durant la guerre avec les milices libanaises. Le centre historique et archéologique de Beyrouth, qui avait subi des dommages importants, a justifié la création d’une société foncière à l’initiative de l’expremier ministre libanais. Elle a récupéré le plus important patrimoine foncier du pays.

HD. Au Liban, les manifestations récentes sont-elles liées à la question des migrants?
Georges Corm. Non, cette crise est l’expression d’une protestation contre la très mauvaise gestion par le gouvernement libanais actuel du ramassage et du traitement des ordures ménagères. Au Liban, c’est un vrai scandale environnemental et financier. Une société privée appartenant à un proche de Rafiq Hariri a très mal fait son travail, facturant ses prestations à des prix incroyables. De plus, les déchets étaient jetés en bord de mer du côté de la ville de Saïda, sans aucun tri ou recyclage. Ses habitants ont manifesté pour demander la fermeture de ce dépotoir. L’année dernière, l’État a décidé sous la pression que le site serait fermé le 15 juillet de cette année. Mais aucune alternative n’avait été prévue.

«ON NE CONSTRUIT PAS UNE IDENTITÉ EN REJETANT SA MÈRE» (Fatma Oussedik à l’université d’été du RAJ)

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FATIMA OUSSEDIK ET EL KORSO À PROPOS D’IDENTITÉ NATIONALE ET SOCIALE

M. H. Khodja

El Watan

le 05 septembre 2015

fatima_oussedik-2_2607443_465x348.jpgFatma Oussedik, sociologue

L’identité et l’histoire ont été au centre des débats à l’ouverture, jeudi, de l’université d’été du Rassemblement Action Jeunesse (RAJ), qu’a abritée du 3 au 5, la ville côtière de Tichy, 18 km à l’est de Béjaïa.

La sociologue Fatma Oussedik et l’historien Mohamed El Korso ont été invités à faire l’éclairage sur ces deux notions intimement liées, lors d’une conférence sur le thème : «L’identité, la mémoire, l’histoire et la construction nationales».

Pour ce faire, Fatma Oussedik a commencé par décrire la situation géopolitique en Afrique du Nord et à l’intérieur du pays qu’elle trouve «dangereuse» et «explosive». Dans une telle conjoncture, la sociologue s’adresse à la jeunesse en la mettant en garde contre «les manipulations instrumentalisant l’histoire, les différences ethniques, linguistiques, géographiques et autres à des fins de pouvoir».

C’est pour cela, estime la sociologue, qu’il faut «réhabiliter l’histoire et lutter contre l’amnésie qui a rétréci le récit national». Une situation, dit-elle, qui met «le tissu national en danger».

Puisque, ajoute-t-elle, «après 1962, la définition de la notion de ‘composantes sociales’ de l’Algérie consacrée comme contenant de l’identité sociale dans les chartes nationales par la minorité politique a mis celles-ci front contre front, au lieu de renforcer l’unité nationale et de garantir la diversité dans la pluralité et l’union».

Pour la sociologue, cette façon de considérer l’histoire sur la base de principes linguistiques et régionaux a donné lieu à une «conquête de la pureté où tous ceux qui ne se réclament pas du récit du groupe au pouvoir sont exclus et sont systématiquement considérés comme non Algériens, à l’exemple des Berbérophones ou des Francophones qu’on a taxés abusivement d’appartenir au ‘hizb frança’ alors que tout le monde a souffert ensemble pendant la colonisation».

Or, déconstruit Fatma Oussedik, «l’écriture de l’histoire et la construction de l’identité sociale nécessitent la prise en compte du contexte, le lieu géographique, la mobilité spatiale, mais surtout l’histoire millénaire de l’Algérie qui a été complètement bannie de l’histoire officielle».

Et de conclure : «Il faut se mettre à la conquête de l’histoire et produire des récits, des Constitutions qui uniront les Algériens, car on ne construit pas une identité en rejetant sa mère.» Pour sa part, Mohamed El Korso estime que «l’histoire officielle est entachée de subjectivités».

En rejoignant sa collègue Fatma Oussedik, l’universitaire considère qu’on a «oublié la résistance populaire qui est le vrai moteur du mouvement national et le référent essentiel de l’écriture de l’histoire algérienne». Replongeant l’assistance dans le récit du Mouvement national, l’historien rappelle que celui-ci, avec toutes les divergences de vues et les différentes sensibilités, la lutte de Libération nationale était commune.

El Korso pose la question du rôle de l’écriture de l’histoire dans la construction de l’Etat-nation, déroulant l’approche entreprise par les différents dirigeants du pays sur cette question de 1962 à nos jours.

«De Boumediène qui, sous prétexte de protéger la Révolution et au nom du peuple, a interdit la hiérarchisation des noms historiques, à Chadli qui a voulu une réécriture de l’histoire alors qu’elle n’est même pas écrite, à Bouteflika qui, bien qu’il ait réhabilité la personne de Messali et fait un pas dans la reconnaissance du génocide du 8 Mai 1945, l’histoire qu’on enseigne à nos enfants est morte», défend l’historien. Pour ce dernier, l’heure est à la sensibilisation des citoyens, en particulier les jeunes, pour qu’ils s’organisent de façon à se réapproprier leur histoire.

Notons que l’université d’été du RAJ se veut, cette année, un hommage à Ourida Chouaki et Assia Djebar, deux dames du savoir et militantes pour l’égalité, la liberté et la dignité humaine, récemment décédées.

Organisée sous le signe : «Jeunesse, engagement, citoyenneté et développement», l’université d’été du RAJ a préparé un cycle de travaux comprenant des conférences-débats, des ateliers et des projections.

Les thèmes choisis tournent autour de «la liberté d’association et de rassemblement, réalité et défis, jeunesse, développement durable et environnement, la femme algérienne et le défi de l’égalité entre l’homme et la femme, la jeunesse et l’éducation, quelle place et quel rôle pour l’élite algérienne, les médias alternatifs et associatifs, vecteur de développement».

La deuxième journée des travaux est chargée, avec notamment les ateliers qu’ont animés le porte-parole du CLA, Achour Idir, l’économiste Mourad Ouchichi, le militant politique et écrivain Brahim Tazaghart, la sœur de la défunte Ourida Chaouki, Yasmina Chouaki de l’association Tharwa N’Fadhma n’Soumer, Karima Belasli et Sabrina Dehri, journalistes et responsables de la webradio Voix des femmes au FEC…

Est prévue également, aujourd’hui, une conférence sur le thème «La crise institutionnelle, rôle et place de l’élite», animée par l’avocat et ex-président de la LADDH, Mostefa Bouchachi.

À noter enfin que la rencontre a réuni plus de 150 jeunes de plusieurs wilayas et associations telle l’Union des étudiants algériens en France.

M. H. Khodja

Sources El Watan

الطفل والبحر

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الرمل فراش، والبحر لِحاف، والموجُ وسادة. لكنَّ الطفل لا ينام.. للملح طعمٌ غريب! لم يُمهله العمر وقتاً، ليألف طعمهُ. هو يجثو، كأنه يُصلي صلاة الفجر.. يتضرع للبحر ألا يُبلل أحلامه. لكن عيونه ما زالت ترصدُ حركة الموج القادم.. علَّ آخرين.. يصلون بعد حين.
القدمان تتحفزان للوثب، كعدّاء يتأهب للانطلاق. لكن البحر مصرٌّ أن يبقيه على الشاطئ. هو صغير جداً.. بحجم جواز سفر لا يملكه. لكن للبحر ضميرا يؤنبه. قال البحر:
لم أغرقه. لقد وصل إليّ غارقاً ببؤسه وفقره، وقهره، بل لعله أرجأ موته منذ أربع سنوات حين كان يلعب برأسه المقطوع كرة القدم.. جاء إليّ يحمل موته ورأسه. يريد عنواناً أو قبراً.. حيث لم يجد في اليابسة مكاناً فأعطيته ما أراد.
لكن الطفل سرعان ما اشتاق أن يُعانق أهله. صار يبكي. فأعدته إلى الشاطئ بسلام.. بات ليلته كملاك يغفو بانتظار الغد، الآتي..
لكن أحداً، مع شروق الشمس، لم يصل. لا أم، لا أب، لا أخ، لا قريب. بقيت أحرسه كل الليل.. حتى أني حذرت الأسماك من أن تنهش لحمه الغض. لم أرتكب إثماً، لم أرتكب جرُماً. الطفل وصل غارقاً في موته منذ 4 سنوات. فكما تُحملونني كل خطاياكم، وجرائمكم، وكُفركم، وعُهركم، لماذا تجعلونني قاتلاً ولست بقاتل؟
أنا البحر. كنز العشاق.. وشاطئ الشعراء ومُلهمهم..
أنا رفيق الشمس. تغرق من زُرقتي كل صباح..
الصدف والضوء واللؤلؤ تغفو في لجتي، والأسماك الملونة اختارت حديقتي.
«لست قاتلاً» يصرخ البحر: أنتم القتلة والمجرمون، أنتم الكفرة والمشعوذون. أنتم سماسرة الدم والبشر، تزنون بالسلاح والإنسان. أنتم من اقتلع العيون والقلوب، أنتم تجار أعضاء البشر، أنتم من صلب الأحياء ونكل بهم ثم أحرقهم!
إعفوني من رذائلكم وموبقاتكم. اتركوني.. ابتعدوا عني.. دعوني بسلام.
الطفل ما زال نائماً.. غارقاً في موته.. لكنه يسمع، ولا يُبالي.. انتهت الحرب بالنسبة له، عاد حراً. لا قذائف تصم أذنيه ولا أزيز رصاص يلعلع حوله. بات سعيداً أن الحرب مضت. بات باستطاعته الآن أن ينصت لصوت الموج يتكسر تحت أذنيه كموسيقى، كنغم ينام عميقاً على لحنه.
حركة الرمل والموج والماء تهزه بحنان. لعله يتذكر يد أمه وهي تهز مهده، لكنه سعيد أكثر بسريره الجديد.
الطفل نائم.. لكنه ما زال يوشوش البحر ويتوسله بحرقة أن يعيده إلى الداخل حيث الدفء، وحيث يستطيع أن يجد له عنواناً ثابتاً: هو «لاجئ في قعر البحر».

عصام الحاج

sources:

UNE QUESTION FONDAMENTALE POUR L’ALGÉRIE: QUEL BUT FIXER À L’EXPLOITATION DU PÉTROLE ET DU GAZ?

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L’ALGÉRIE EST-ELLE ENCORE UNE

RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE ET POPULAIRE?

Conférence de Hocine Malti le 29 mars 2014 – Montréal – Canada

Algerie Watch le 2 avril 2014

http://www.algeria-watch.org/fr/article/analyse/malti_montreal.htm

On m’a demandé de venir ici animer cette conférence quelques temps après qu’Abdelaziz Bouteflika, de retour à Alger après avoir passé près de 3 mois à l’hôpital du Val-de-Grâce, avait entamé, nous avait-on dit, un profond remodelage des structures de l’armée, le rattachement de certaines directions du DRS à l’état-major et le limogeage de plusieurs généraux proches de Tewfik patron des services de renseignements. L’image que l’on voulait nous donner de cet homme, affaibli par la maladie, sérieusement handicapé, cloué sur un fauteuil roulant, est qu’il s’était transformé, après avoir respiré l’air d’Alger en une sorte de Superman, en monarque absolu alors même qu’il n’était jusque-là qu’un ¾ de président. Telle est, en tous cas, la version des faits, fabriquée par le DRS, qui nous a été rapportée par la presse algérienne. J’ai eu personnellement l’occasion de démentir cette présentation des choses, dans un papier intitulé «Sonatrach : 50 ans après» publié par différents médias, dans lequel j’indiquais que ce sont en réalité les services de renseignements américains et britanniques qui avaient exigé un tel nettoyage dans les rangs de l’armée. Ce qui apparaissait cependant, à travers cette campagne médiatique, est que l’on s’orientait déjà vers un renouvellement du mandat de Bouteflika à la tête de l’Etat algérien, d’où cet intitulé, à dessein provocateur, que j’ai donné à cette intervention:

«L’Algérie est-elle encore une république démocratique et populaire?»

Nous savons tous que, de l’indépendance à ce jour, le régime algérien n’a été ni démocratique, ni populaire et que depuis l’avènement de Bouteflika au pouvoir, notamment depuis le tripatouillage de la constitution en 2008 qui a ouvert la porte à une candidature à vie, l’Algérie n’a de république que le nom. Elle est devenue la propriété d’un homme, de sa famille et de deux clans, un royaume dans lequel ils ont instauré la corruption et l’arbitraire comme règles de gouvernance et dans lequel les sujets que nous sommes sont traités comme d’éternels mineurs, comme une populace qu’ils peuvent manipuler comme bon leur semble. C’est de cette très grave situation tant politique qu’économique de l’Algérie d’aujourd’hui et du très sombre avenir que lui ont prescrit les 15 années de règne de Bouteflika et le quart de siècle de Tewfik à la tête du DRS que je voulais vous entretenir aujourd’hui.

La situation politique

On a assisté il y a environ 2 mois à un violent affrontement entre différents clans du pouvoir. Cela a commencé par une déclaration fracassante du secrétaire général du F LN dans laquelle il attaqué frontalement le patron du DRS et a notamment dit :

  • Le DRS interfère dans le travail de la justice, des médias et des partis politiques au lieu de s’occuper de la sécurité du pays,
  • Il a failli dans la protection et la sécurité du président Mohamed Boudiaf,
  • Il n’a pas su protéger Abdelhak Benhamouda, ni les moines de Tibehirine, ni les bases pétrolières dans le sud, ni les employés des Nations Unies, ni le Palais du gouvernement, ni le président Bouteflika à Batna où il avait été la cible d’une tentative d’assassinat,
  • Tewfik aurait dû démissionner après ces échecs,
  • S’il devait m’arriver malheur, ce sera l’œuvre de Tewfik,
  • Enfin, le DRS a fait éclater le soi-disant scandale de Sonatrach, dans lequel il accuse Chakib Khelil de corruption tout simplement parce qu’il est proche de Bouteflika alors qu’il est l’un des cadres les plus intègres et les plus compétents.

À l’exception du dernier point concernant Khelil où l’accusation de corruption est bel et bien avérée et a, en réalité, émané du parquet de Milan et non pas de celui d’Alger, toutes les autres affirmations de Saâdani sont des secrets de Polichinelle dénoncés depuis longtemps par différents opposants. La nouveauté est que c’est la première fois qu’un apparatchik dénonce en des termes aussi violents les agissements du général Mohamed Tewfik Médiène. Encore qu’il n’a pas tout dit puisque nombre de ces assassinats et attentats sont en réalité l’œuvre du DRS.

La réaction du DRS

Comment a réagi le DRS ? Il a d’abord fait intervenir la presse qui a, dans sa totalité, pris fait et cause pour Tewfik et qui nous a rapporté le même son de cloche, à savoir :

  • Saâdani a été mandaté par le clan présidentiel pour dire ce qu’il a dit,
  • Ses attaques portent préjudice à l’unité de l’armée dont le DRS fait partie,

Puis quelques jours plus tard, face au silence du chef d’état-major le général Gaïd Salah et à celui du président de la république, la presse a enchainé et dit :

  • Pourquoi le chef d’état-major se tait-il ? Qui ne dit mot, consent. Il est donc complice d’une tentative de déstabilisation de l’armée,
  • Le président de la république, garant de l’unité de l’armée, doit intervenir et protéger cette unité.

Il est intéressant de noter ici les faits suivants.

1/ – On a eu la preuve, s’il était nécessaire de le prouver encore, que toute la presse algérienne est aux ordres du DRS : elle nous a rapporté les mêmes faits, pratiquement dans les mêmes termes, au même moment.

2/ – A travers ces écrits qui représentent donc le point de vue du DRS, à aucun moment celui-ci n’a démenti les faits rapportés par Saâdani.

3/ – Bien que Tewfik sait parfaitement que l’attaque qu’il a subie provient en réalité, comme nous le verrons plus loin, d’une autre frange de l’armée, à savoir du clan de l’état-major, il en a fait endosser la responsabilité au clan présidentiel. Pourquoi une telle tactique ? Parce que, d’une part, toute son argumentation dans cette bataille de la communication était bâtie sur la préservation de l’unité de l’armée, qu’il se devait donc lui de préserver, ne serait-ce que pour la forme, et parce que, d’autre part, il devait maintenir la pression sur Abdelaziz Bouteflika, son frère Saïd et ses affidés et leur dire que si le président ne prenait pas fait et cause pour Tewfik dans cette bataille décisive, ils devront faire leur deuil du 4ème mandat.

On a eu également droit à toutes sortes de rumeurs, allant toutes dans le même sens et présentant Tewfik comme la victime d’une cabale : mise à la retraite par le président de la République de 100 officiers supérieurs, dont Tewfik lui-même, un de ses collaborateurs les plus proches, le général Hassan a été molesté avant d’être traduit en justice, Tewfik a été limogé, etc. etc…

Dans une seconde étape, le DRS a fait intervenir trois autres personnages, chargés de porter qui une estocade au chef d’état-major, qui une autre à Saïd Bouteflika, le troisième faisant l’éloge du DRS.

Ainsi, le général à la retraite Hocine Benhadid, ex-chef de la 3ème région militaire, s’est à son tour fendu d’une longue et fracassante déclaration, reprise par toute la presse, dans laquelle il a défendu Tewfik et l’ensemble du DRS, les présentant comme l’ultime rempart de l’Algérie contre tous ses ennemis, intérieurs et extérieurs. Il s’est aussi prononcé dans cette déclaration contre le 4ème mandat de Bouteflika (retire-toi fil izza wal karama, dans l’honneur et la dignité) et s’en est pris violemment à Gaïd Salah, qui ne peut être, à ses yeux, considéré comme chef d’état-major vu qu’il est aussi vice-ministre de la défense. Il a également proféré une menace diffuse à destination de l’establishment algérien, civil et militaire, en laissant entendre qu’il existait une sorte de conspiration des hauts gradés de l’armée : « Mes frères d’armes m’ont demandé de parler », a-t-il dit.

De son côté, Hicham Aboud, ex-officier de la sécurité militaire, déguisé durant un certain temps en opposant du régime, redevenu porte-parole du DRS et par ailleurs journaliste à ses heures, a lui adressé une lettre à Saïd Bouteflika dans laquelle il lui demandait de réagir à certaines accusations concernant sa vie privée, notamment qu’il était homosexuel, ce qui est considéré, comme vous le savez, en Algérie comme la pire des insultes que l’on puisse adresser à un homme.

Le troisième personnage, Mohamed Chafik Mosbah, est lui aussi un ancien agent du DRS, auquel il demeure toujours attaché. Après avoir effectué des études supérieures dans une université britannique, il s’affiche aujourd’hui comme politologue, connaisseur des milieux des services secrets, dont il prend la défense chaque fois que le besoin se fait sentir. Il a, lui de son côté, publié une tribune dans laquelle il a présenté ses anciens collègues comme étant des hommes tout à fait ordinaires, une tribune dans laquelle il affirme que le DRS est conscient et disposé à se débarrasser de l’étiquette de police politique qui lui colle à la peau et dans laquelle il dit aussi que le DRS, donc Tewfik, est disposé à œuvrer pour l’instauration d’une société démocratique en Algérie. Il a de même reconnu que ce dernier était d’accord pour un 4ème mandat pour Bouteflika.

Cette levée de boucliers unanime en faveur de Tewfik, l’angle d’attaque qu’il a choisi, à savoir l’insistance sur l’unité de l’armée, les accusations sournoises contre le chef d’état-major et contre Saïd Bouteflika, rajoutés aux négociations menées en coulisses entre le clan présidentiel et celui du DRS, garantissant à Bouteflika le soutien des services secrets pour un 4ème mandat, ont poussé ce dernier à réagir et à affirmer que les dépassements de certains milieux portaient atteinte à l’unité de l’armée, à la stabilité du pays et à son image, que nul n’avait le droit de s’en prendre à l’ANP, que le DRS avait toujours fait son travail correctement, etc. etc…

Du coup, miracle à l’algérienne, l’affrontement a cessé et, une quinzaine de jours plus tard Bouteflika, annonçait sa candidature pour un quatrième mandat.

Ceci est ce que l’on a vu sur le devant de la scène. Mais que s’est-il réellement passé dans les coulisses ? Pour pouvoir appréhender tous les tenants et aboutissant de cette affaire, il faut remonter à l’attaque terroriste, menée en janvier 2013 par un commando d’une quarantaine d’hommes armés contre les installations industrielles et contre la base de vie du champ de gaz de Tiguentourine, situé au sud est du Sahara à proximité de la frontière libyenne. Ces hommes, lourdement armés, perchés sur des 4×4, Land Rover et autres véhicules tous terrains avaient parcouru plus de 1000 kms à travers le désert sans être repérés par les moyens super sophistiqués utilisés par l’ANP, tandis que l’attaque avait causé la mort de quelques 70 personnes, en grande majorité des expatriés. La riposte à l’assaut avait été organisée et menée par les unités de la 6ème région militaire, avant que ne débarquent d’Alger, les Rambos, des unités spéciales de lutte contre le terrorisme relevant de l’autorité du DRS et dirigées par Athmane Tartag, l’un des adjoints directs de Tewfik et l’un des généraux les plus sanguinaires de l’ANP. Il chassa manu militari ceux qui avaient pris les choses en mains. Selon des témoins de la scène l’affrontement qui opposa les deux groupes de militaires a été extrêmement violent et faillit tourner au drame, car des deux côtés on s’était dit prêt à en découdre armes à la main ; ceci en plus des menaces et insultes que l’on se jeta à la figure de part et d’autre.

Cette mise à l’écart des unités opérationnelles a été très mal vécue au sein de ce que l’on appelle aujourd’hui le clan de l’état-major. L’humiliation ressentie par ces hommes a engendré de très forts ressentiments voire une haine à l’égard de Tewfik, au sein de ces unités, chez les chefs de régions militaires, qui se sont portés solidaires de leur collègue de la 6ème et chez les commandants des différents corps d’armée qui ne pouvaient plus supporter sa tutelle sur l’ensemble de l’ANP. Pour comprendre comment celui-ci s’est érigé en patron de l’armée, il suffit d’évoquer quelques dates et quelques faits connus de tous :

  • 1990, il est nommé patron du DRS grâce au travail de coulisses de son mentor Larbi Belkheir qui avait convaincu Chadli de revenir sur sa décision d’éclater la défunte Sécurité militaire en trois services différents,
  • 1992, coup d’Etat contre Chadli, le DRS en est la cheville ouvrière et l’outil qui oblige, sous la menace, le président à se soumettre au diktat des généraux janviéristes,
  • 1992 toujours, l’assassinat de Boudiaf est organisé par le DRS,
  • 1996/1997, négociations du DRS avec l’AIS, ce qui entrave l’action de Zeroual qui lui-même menait d’autres négociations avec le FIS et le pousse ainsi à la démission. Pour la première fois et officiellement l’action du DRS a prévalu sur celle du chef de l’Etat,
  • 1999, Bouteflika est mal élu président de la république, en raison de l’action du DRS qui a poussé les 6 autres candidats au désistement,
  • 2004, réélection de Bouteflika soutenu par le DRS qui remporte sa bataille face à Mohamed Lamari, chef d’état-major qui lui soutenait Ali Benflis et qui disparait ainsi de la scène politique algérienne,
  • 2008, viol par Bouteflika de la constitution, soutenu par le DRS, ce qui lui a ouvert la voie à une présidence à vie.

C’est donc cette tutelle du DRS sur le reste de l’armée qui est à l’origine de ce désir de vengeance des opérationnels qui s’extériorise aujourd’hui. Le facteur déclenchant a été le dernier séjour de Bouteflika au Val-de-Grâce, qui a causé la panique dans les deux camps. Ils ont tous pensé qu’il venait de subir une nouvelle attaque et que celle-ci lui serait fatale. Du côté du DRS, on a alors déclenché ce qui était le plan B, à savoir pousser Benflis à officialiser sa candidature. Du côté du clan de l’état-major, on s’est dit que c’était le moment ou jamais d’éliminer Tewfik et de se placer en vue de l’après Bouteflika pour le pouvoir et la rente qui va avec. Pour revenir dans le jeu, Tewfik a donc utilisé la même tactique qu’en 2004 : alors même qu’il était d’accord pour le 4ème mandat, il a menacé Bouteflika de ne pas le soutenir. Le chantage a encore une fois marché : poussé par son frère et par son entourage Bouteflika s’est porté au secours de Tewfik, mettant ainsi une fin temporaire à l’affrontement entre les deux clans de l’ANP, assurant du même coup sa réélection et mettant toute sa tribu à l’abri de mesures de rétorsion éventuelles. Mais la fracture au sein de l’armée est profonde. Le cessez-le-feu déclaré n’est que temporaire, les hostilités vont probablement reprendre après le 17 avril à l’occasion du choix du vice-président. Il faut espérer que ce n’est pas une nouvelle guerre civile qui nous attend, car cette fois-ci il faut s’attendre à des affrontements entre deux clans de l’armée.

L’alternative, qui est tout aussi détestable, est que les deux clans s’entendent, ce qui est fort probable, sur un partage du pouvoir et de la rente pétrolière, afin de faire perdurer le régime en place depuis 1962 ; auquel cas, l’Algérie est repartie pour une nouvelle période de glaciation à la Brejnev de 5 ans (plus ou moins selon la volonté divine), dirigée par un homme, incapable de parler, de se mouvoir, de voyager, de participer à des forums internationaux, en un mot incapable d’accomplir toutes les tâches qui relèvent de la charge de président de la république et dont la capacité de réflexion elle-même est probablement très affectée. Quant aux candidats au poste de vice-président, nous avons apparemment le choix entre Belkhadem et Ouyahia avec Ghoul. Voilà donc où nous en sommes au plan politique.

La situation économique

Parler de la situation économique de l’Algérie c’est parler des hydrocarbures, c’est-à-dire de 80% des revenus du pays et de 98% de ses rentrées en devises.
Où en est-on aujourd’hui?

La production de pétrole est en déclin depuis 2006; elle est passée (condensat compris) de 85 millions de tonnes en 2006 à 76 en 2012, soit une chute de 10,6%.

Quant au gaz, aussi bien la production que les exportations ont chuté : la production est passée de 89 milliards de mètres cubes en 2005 à 83 milliards en 2011, tandis que l’exportation est passée de 65 milliards de mètres cubes en 2005 à 49 en 2012, soit une baisse de 25%.
Pour ce qui est de la production, les nouvelles découvertes vont permettre d’amortir la chute et de maintenir pendant quelques temps encore le potentiel de 85 à 90 milliards de mètres cubes par an, mais le déclin est bien là.
Dans un délai très proche (10 à 15 ans au maximum) l’Algérie ne sera plus en mesure d’honorer ses engagements à l’international.

Quant à l’exportation, la raison de la diminution est double ;

1/ la consommation interne est en hausse permanente (la progression est de l’ordre de 12 à 13% par an en Algérie, contre 2,5% en moyenne à travers le monde)

2/ Sonatrach a de plus en plus de difficultés à commercialiser son gaz.

On note, par ailleurs, une forte poussée démographique, une augmentation importante des dépenses de l’Etat, dont une augmentation substantielle du budget de la défense, qui a triplé depuis 2009, jusqu’à atteindre 12,7 milliards de dollars en 2014 (l’année 2011, a connu à elle seule une augmentation de 44% par rapport à 2010); on a assisté également à une augmentation importante des salaires des fonctionnaires des services de sécurité, une distribution à tout-va par les walis de subventions et d’aides à fonds perdus destinées à mettre un terme aux émeutes qui éclatent journellement aux quatre coins du territoire, à l’attribution par l’ANSEJ de prêts dont on sait par avance qu’ils ne seront jamais remboursés: c’est cela d’ailleurs la grosse découverte du duo Bouteflika-Tewfik, leur méthode de gouvernance, acheter la paix par l’argent.

À ce rythme le pays va se trouver en déficit dans un délai très proche. On dit déjà que l’Etat pourrait avoir des difficultés à prendre en charge les retraites et les dépenses sociales. Le ministre des finances lui-même a récemment lancé un cri d’alarme et laissé entendre qu’au rythme où vont les choses, l’Algérie risquait de se remettre très bientôt à emprunter sur le marché financier pour faire face à ses dépenses courantes.

Il est clair donc qu’il est absolument nécessaire de procéder à une réforme du modèle économique algérien, dans les plus brefs délais. Je ne suis pas spécialiste en la matière, aussi je laisserai le soin à d’autres d’en parler. Mais je peux par contre parler de l’industrie pétrolière qui nécessite de manière urgente et impérative une refonte totale du programme de développement du secteur, une révision des méthodes d’exploitation des gisements aussi bien de pétrole que de gaz, un réexamen des systèmes de formation et de rémunération des hommes qui y exercent, sans oublier, bien entendu, une lutte impitoyable contre la corruption et la gabegie qui gangrènent le secteur des hydrocarbures.

Il s’agit d’abord et avant tout d’élaborer et mettre en place une vision stratégique de la gestion de la principale source de richesse du pays.

Cette vision devra être menée dans le seul intérêt du pays, ce qui n’a pas été le cas de 1999 à ce jour.

En effet, la politique menée par l’Algérie dans le domaine des hydrocarbures durant les 15 dernières années avait pour seul but d’acheter la complicité des grandes puissances mondiales, celle des Etats-Unis en particulier, et de pérenniser ainsi le pouvoir des deux clans qui gouvernent le pays.

Cela commença dès les tous premiers mois de 2001, quand sous couvert d’adapter le secteur de l’énergie et des mines aux conditions de fonctionnement d’une économie de marché libre, ouverte et compétitive, Chakib Khelil signait un contrat avec la Banque mondiale, destiné officiellement à mettre en place ce qu’il a appelé un nouveau cadre juridique, règlementaire et institutionnel. Le passage par la Banque mondiale était en réalité le stratagème destiné à confier à des firmes américaines l’étude des plus importants chapitres de la nouvelle loi sur les hydrocarbures, à savoir l’élaboration du texte de loi lui-même, les textes relatifs aux attributions et fonctionnement des agences de régulation et la création d’une banque de données.
À vrai dire cette loi n’était que la copie conforme, la version algérienne de la nouvelle doctrine américaine dans le domaine du pétrole et du gaz.

Dès son arrivée à la Maison Blanche, le président George W. Bush avait, en effet, lancé les travaux d’un groupe de réflexion dénommé National Energy Policy Development Group (NEPDG), dirigé par Dick Cheyney, l’ex-PDG de Haliburton devenu vice-président des Etats-Unis, chargé de mettre au point cette doctrine. Y étaient programmées les lignes générales de la politique à adopter vis-à-vis des grandes régions pétrolifères du monde, qui permettrait aux compagnies pétrolières américaines de s’y installer durablement, tout comme y étaient prévus, les actions indispensables qui aideraient les compagnies à pénétrer ces zones, ainsi que les moyens humains et matériels nécessaires à l’Etat fédéral pour protéger leurs intérêts. Pour ce faire – l’énergie ayant été décrétée fondement de la sécurité nationale – les néoconservateurs au pouvoir à la Maison Blanche envisageaient l’utilisation de tous les moyens, politiques, diplomatiques, économiques ou militaires, pour mettre en application cette doctrine.

Pour ce qui est des moyens militaires nous en avons eu un exemple en Afghanistan, en Irak et au Sahel notamment.

S’agissant des autres moyens et pour la région MENA (Middle East North Africa), le groupe de travail recommandait d’encourager les tentatives d’ouverture à l’investissement étranger des secteurs pétroliers de plusieurs pays, dont l’Algérie nommément citée. L’objectif était d’aboutir à terme à la privatisation totale des industries pétrolières de ces pays et que les multinationales se substituent aux compagnies nationales, ce qui aurait eu pour conséquence la disparition de l’OPEP et le retour au système des concessions des années 1950.

La loi concoctée par Chakib Khelil prévoyait effectivement le transfert aux compagnies étrangères – donc américaines puisque ce sont celles qui dominent le secteur – de 70 à 100% des droits de propriété sur les gisements algériens. Ceci signifiait tout simplement la disparition à terme de la Sonatrach et une emprise américaine totale sur l’industrie pétrolière algérienne.

À l’issue d’un long feuilleton qui dura 5 ans, cette loi ayant été retoquée en 2006, l’Etat DRS-Bouteflika adopta une autre technique pour satisfaire la demande américaine. On se mit à exploiter les gisements au-delà même du potentiel maximum permis par les règles de l’art, au point de piéger dans les entrailles de la terre d’importantes quantités de pétrole qui ne seront plus jamais récupérées.

Et quand je parle de règles de l’art, il s’agit des règles de conservation des gisements que connaissent parfaitement les multinationales et qu’elles appliquent scrupuleusement quand elles travaillent en Alaska, au Texas ou en mer du Nord. Vous avez, d’ailleurs, dans ce pays, un Etat, l’Alberta qui a édicté probablement les règles les plus strictes de conservation de cette ressource stratégique qu’est le pétrole. Parmi les gisements sérieusement endommagés par cette politique d’exploitation à la hussarde, pour ne pas dire ce sabotage de l’industrie pétrolière nationale, se trouve le plus gros champ pétrolier algérien, Hassi Messaoud.

Le but recherché était de livrer toujours plus de brut aux Etats-Unis, comme s’y était engagé Abdelaziz Bouteflika dans une profession de foi, publiée sous forme d’un article écrit de sa propre main paru dans le Washington Times du 22 novembre 2002, dans laquelle il s’engageait à satisfaire toute demande américaine au point de faire de l’Algérie le premier fournisseur africain des Etats-Unis en pétrole. C’est ainsi que les enlèvements de pétrole algérien par les Etats-Unis sont passés de 50 000 tonnes en 2000, à 500 000 en 2001, puis 1 500 000 en 2005, avant d’atteindre 22 000 000 de tonnes en 2007 et se stabiliser aux alentours de 16 à 17 millions jusqu’en 2010, année où Chakib Khelil a été limogé.

En arrière-plan de ces deux lignes directrices officiellement déclarées et assumées, on retrouve bien entendu plusieurs milliards de dollars de pots-de-vin qui sont allés alimenter les comptes en banque des mafieux des deux bords, algérien et américain. Quel bénéfice a retiré l’Algérie d’une telle politique ? 200 milliards de dollars qui dorment aux Etats-Unis sous forme de bons du Trésor américain qui profitent donc à l’économie de ce pays et nullement à celle de l’Algérie.

C’est pourquoi la première question que l’on doit de se poser aujourd’hui est celle de savoir quel but fixer à l’exploitation du pétrole et du gaz.

À quoi doivent servir le pétrole et le gaz produits ? Doit-on produire uniquement pour honorer le programme établi par l’OPEP, autant dire par l’AIE (Agence internationale de l’énergie)? Si l’exploitation du pétrole et du gaz doit servir à accumuler des milliards de dollars que l’on stocke dans des banques, alors non. Autant laisser ces hydrocarbures en place et les préserver pour les générations futures. Si par contre c’est pour les injecter dans l’économie nationale et créer ainsi de nouvelles richesses, alors là oui ; mais pas pour bâtir la plus grande et la plus somptueuse mosquée du monde musulman. Pour la même somme, on aurait pu construire un hôpital ultra moderne et éviter l’offense faite à l’Algérie, que le chef de l’Etat se fasse soigner chez l’ex colonisateur.

Deuxio : adopter une politique d’exploration volontariste. On parle depuis plus d’une décennie d’explorer l’offshore algérien et les zones insuffisamment explorées du sud-ouest et du nord du pays. La question qui vient tout de suite à l’esprit est celle de savoir qu’est-ce que l’on attend pour le faire sur le terrain?

Autre mesure immédiate à prendre : réorganiser de fond en comble l’IAP dont la mission a été dévoyée, revoir et moderniser l’enseignement afin d’améliorer les techniques et méthodes désuètes utilisées à Sonatrach. Malgré l’association avec Statoil, le grand spécialiste de l’offshore, l’IAP n’a pas formé de foreurs ou de producteurs spécialisés des techniques de l’offshore.

Revoir totalement la politique de commercialisation de Sonatrach dans le but de remédier aux défections inévitables dans ce domaine et de se prémunir contre la concurrence de pays, tel que le Qatar, prêts à adopter une politique de dumping afin de décrocher de nouvelles parts de marché.

Il faut pour cela investir dans des projets à l’étranger, non pas dans l’amont, comme on l’a fait au Pérou ou en Libye, mais dans l’achat d’un réseau de distribution adossé à une raffinerie, par exemple, comme l’on fait les Libyens avec l’achat du réseau Tamoil.

Nous devrions également s’associer à de gros distributeurs de gaz afin de pallier aux à-coups du marché, comme l’ont fait les Russes qui se sont associés aux Allemands dans la construction du North Stream et ont pris pour président de la filiale commune l’ex-chancelier Gerhard Schroeder. J’avais personnellement recommandé de saisir au vol la proposition faite par Nicolas Sarkozy lors de la campagne électorale pour la présidentielle de 2007 en France. Il avait suggéré que Gaz de France, qui traversait une phase difficile, s’associe à Sonatrach, créant ainsi un partenariat gagnant-gagnant pour les deux parties. Il est certain que l’opération aurait permis à Gaz de France de régler ses problèmes financiers et d’assurer son approvisionnement en gaz, mais la Sonatrach aurait, elle aussi, acquis un quasi-monopole pour la distribution du gaz en France et l’accès aux 350 millions de consommateurs européens. Khelil avait considéré que ce n’était pas là une proposition officielle et qu’il ne fallait donc pas en tenir compte. Ce sont probablement ses mentors américains qui lui ont soufflé une telle réponse.

On devrait enfin se poser cette question fondamentale: l’Algérie est-elle condamnée à demeurer ad vitam aeternam un pays pourvoyeur d’énergie uniquement?
Voici une question qui, à mon avis, devrait faire l’objet d’un grand débat national, auquel devraient participer des responsables politiques mais aussi des spécialistes du domaine de l’énergie, des économistes, et des universitaires. Ne devrait-on pas tout faire pour guérir l’économie algérienne de ce Dutch disease dont elle souffre depuis si longtemps ?
Pourquoi n’utiliserait-on pas l’argent du pétrole pour diversifier l’activité économique, pour améliorer le tissu industriel ? La Norvège l’a fait, les pays arabes du Golfe l’ont fait. Les Emirats arabes unis ou le Qatar qui ont pour seules ressources le pétrole et le sable du désert sont en train de se transformer en destinations touristiques mondialement appréciées et de créer des hubs pour l’aviation civile utilisés par les plus grandes compagnies aériennes

Si l’on devait se focaliser sur l’énergie uniquement, pourquoi n’exploitons-nous pas toutes les sources d’énergie disponibles dans le pays ? Qu’attend-on pour lancer un programme pharaonique d’exploitation de l’énergie solaire ? L’Algérie a la chance de bénéficier de 365 jours par an d’ensoleillement des 4/5 de la superficie du territoire ; si l’on ne transformait qu’une partie de l’énergie solaire qui baigne toute l’année ces 2 millions de kilomètres carrés en énergie électrique, on produirait probablement suffisamment d’électricité pour couvrir tout ou partie des besoins du pays.
Pour le faire, il faut avoir la volonté politique nécessaire, il faut avoir foi en la jeunesse de ce pays et laisser s’épanouir l’instinct de création de ses femmes et de ses hommes. Autant de qualités que ne possède pas le régime d’Alger qui préfère pousser les forces vives de la nation à l’exil, y compris sur des embarcations de fortune avec une mort quasi certaine au bout du voyage.

Je ne terminerai pas cet exposé sans mentionner les énormes dégâts causés au pays par le développement exponentiel de la corruption durant les 15 années de règne de Bouteflika. Ce sont au minimum 5 à 6 milliards de dollars (certains parlent même de 10) qui vont annuellement dans les poches des membres de la nomenklatura; ceci pour le secteur de l’énergie uniquement. Hélas le phénomène n’est pas prêt de disparaître, je crains fort qu’il va plutôt s’amplifier. Pour preuve, le secrétaire général du parti du pouvoir, le FLN, a osé innocenter de manière grossière, Chakib Khelil, le plus gros escroc de l’histoire contemporaine de l’Algérie.

La corruption va certainement fleurir encore plus car les prédateurs de tous bords vont s’acharner à dépecer les restes de la dépouille, vu que le temps presse ; c’est une course contre la montre, une course contre la loi de la nature qu’ils s’apprêtent à engager. Ils vont tenter de profiter autant que faire se peut des quelques semaines, quelques mois ou quelques années que Bouteflika va encore passer à la tête de l’Etat.
Voilà hélas l’état des lieux guère réjouissant de l’Algérie à l’issue du long règne de Bouteflika et à la veille de sa réélection pour une quatrième mandature. Quand bien même il devrait quitter le pouvoir maintenant ou dans peu de temps, l’héritage est là. Et il n’est pas brillant.
Que va-t-il se passer quand les recettes pétrolières ne suffiront pas à boucler le budget du pays et que l’Etat ne sera plus en mesure de distribuer quelques millions de dollars à droite et à gauche pour éteindre les incendies qui se déclenchent tous les jours un peu partout?

Cela arrivera très bientôt, beaucoup plus tôt qu’on ne le croit.

Il ne reste plus qu’à dire comme l’on dit chez nous, Allah yastour, ou God bless Algeria, comme disent les Américains.

Je vous remercie.

Montréal (Canada) le 29 mars 2014

Hocine Malti, 2 avril 2014

Sources: Algerie Watch

TROP, C’EST TROP! COLONISATION DE LA PALESTINE: L’HYPOCRISIE DOIT CESSER

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Etienne Balibar, philosophe, Alice Cherki, psychanalyste et Mohammed Harbi, Gilles Manceron et Bernard Ravenel, historiens, considèrent que le crime commis fin juillet dans un village de Cisjordanie contre une famille palestinienne, dont le père et un bébé ont été brûlés vifs est une conséquence directe de la colonisation.

Avec le collectif « Trop, c’est trop ! », ils militent pour que des sanctions soient imposées à Israël.

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Les invités de Mediapart

Médiapart

le 1er SEPTEMBRE 2015

Le 31 juillet en Palestine occupée, dans le village de Douma près de Naplouse, des colons israéliens ont lancé des cocktails Molotov dans la maison d’une famille palestinienne qui avait laissé les fenêtres ouvertes à cause de la chaleur. Le petit Ali, 18 mois, est mort brûlé vif, son père, Saad, a succombé à ses blessures, sa mère Riham, 26 ans, et son frère Ahmed, 4 ans, ont été brûlés au troisième degré.

Ce crime est un produit direct de la colonisation des territoires palestiniens occupés par Israël après la guerre de 1967.

Pour faire cesser cette situation en imposant des sanctions contre Israël, le collectif « Trop, c’est trop ! », constitué en 2001, au moment où Yasser Arafat s’est trouvé enfermé à Ramallah, à l’initiative de Madeleine Rebérioux et Pierre Vidal-Naquet, et qui s’est exprimé quand de nouvelles menaces compromettaient encore davantage la paix dans la région, ouvre aujourd’hui un site internet.

Son cap ? Dès le lendemain de la Guerre des Six Jours, Pierre Vidal-Naquet l’avait fixé. Dans son article du Monde intitulé «Après», du 13 juin 1967, il expliquait qu’après avoir pris la défense d’Israël quand son existence était menacée, il demandait désormais la «satisfaction des aspirations nationales des Arabes de Palestine» par la création «d’un Etat palestinien arabe à partir de la bande de Gaza et de la Cisjordanie».

Les élections de mars 2015 en Israël ayant tourné le dos à cette perspective, seules de réelles sanctions contre cet Etat peuvent faire bouger les choses.

Engagés dans le combat permanent nécessaire contre l’antisémitisme, nous refusons l’instrumentalisation indue de cette cause pour tenter de discréditer la critique des politiques israéliennes et les demandes de sanctions économiques contre cet Etat.

Le gouvernement d’Israël soutient la colonisation

Le crime commis à Douma, qui mérite bien le terme de pogrom et est aussi révoltant que tous ceux qui ont jalonné l’histoire de l’antisémitisme en Europe, n’est pas un acte isolé. Les organisations palestiniennes et israéliennes de défense des droits de l’homme recensent chaque semaine bien d’autres agressions perpétrées en Cisjordanie par des colons contre des civils palestiniens, dont des enfants, et destructions de lieux de culte chrétiens ou musulmans, de cultures et de maisons, qui s’ajoutent aux humiliations et aux violences infligées par les soldats israéliens.

Elles ont pour soubassement l’idéologie inculquée aux 600 000 colons installés en Cisjordanie, celle du «Grand Israël» qui les a persuadés que ces territoires étaient leurs. Leur doxa, que le discours des politiques qui ont accompagné leur implantation a édifiée, est que les Palestiniens sont des intrus, qu’ils doivent disparaître de leur regard, laisser la place aux colons; et que les crimes commis par des extrémistes colons ne doivent pas être réprimés, ils visent à «restituer» à Israël les terres de «Judée-Samarie», autrement dit toute la Palestine.

Telle est la situation. Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a feint de s’indigner en opérant quelques arrestations. Son utilisation de la détention administrative sans charge et pour une durée illimitée employée jusque-là contre les seuls Palestiniens – 401 sont actuellement emprisonnés selon cette procédure -, est non seulement une procédure arbitraire mais un leurre à destination de l’opinion internationale, puisqu’il continue à entretenir le terreau sur lequel se développent ces crimes en poursuivant l’implantation de nouvelles colonies à Jérusalem-Est et en Cisjordanie.
Parmi les colons, les groupes terroristes comme Tag Mehir («Le prix à payer»), qui considèrent comme un kadosh, un saint, un héros, Baruch Golstein, l’assassin de 29 Palestiniens en prière dans la mosquée d’Hébron, le 25 février 1994, bénéficient de l’indulgence du gouvernement comme des tribunaux de district.
Les trois individus accusés d’avoir mis le feu le 18 juin à une église de Tibériade ont vite été libérés, quand, pour des faits semblables, un tribunal militaire aurait condamné des Palestiniens à au moins quinze ans de prison.
A Beit El, près de Ramallah, le 29 juillet, quand Netanyahou a été contraint d’appliquer une décision de la Cour suprême à la requête de paysans palestiniens en détruisant deux petits immeubles illégaux construits par des colons, il l’a aussitôt compensé. Pour tenter de calmer les jeunes colons qui avaient lancé toutes sortes de projectiles sur les soldats – en toute impunité, quand, pour les mêmes actes, l’armée aurait tiré sur de jeunes palestiniens -, il a annoncé la construction de 300 logements dans cette colonie déjà peuplée de 6 000 habitants.

Une situation bloquée

Sans pressions extérieures, une société enfoncée dans une situation coloniale ne peut trouver d’elle-même une solution pour en sortir. De telles sociétés connaissent des dissidences et des minorités lucides qui méritent notre soutien mais qui restent isolées au milieu de l’aveuglement majoritaire.

Lors de la guerre d’Algérie, par exemple, dans la population européenne, ceux qui étaient favorables à la recherche d’une solution politique pour l’indépendance du pays se sont trouvés marginalisés par le courant dominant dont les faveurs allaient aux extrémistes de l’OAS. La paix n’a pu advenir qu’imposée de l’extérieur.

La situation actuelle en Israël est comparable à celle qui aurait résulté de l’élimination du général de Gaulle, si les extrémistes de la colonisation avaient réussi à l’assassiner en 1961, comme Itzhak Rabin l’a été en 1995 en Israël, et si les auteurs du coup d’Etat d’avril, qui se réclamaient du vote massif des Européens d’Algérie en janvier contre l’indépendance et bénéficiaient d’un fort soutien de cette population, avaient pris le pouvoir en Algérie.

En Israël, par l’assassinat décisif de Rabin, puis par les urnes, avec certes moins de violence contre les éléments minoritaires, c’est aussi l’aveuglement qui prévaut, et, pour gagner l’opinion, ce sont les surenchères qui sont payantes.
L’opposition de Netanyahou à l’accord avec l’Iran, conclu à Vienne le 14 juillet, a eu beau être été un total fiasco diplomatique, elle lui a valu une hausse de sa popularité dans le pays et l’opposition travailliste tétanisée par ce climat lui a apporté son soutien.
Sur les plages de Tel-Aviv, on ne veut pas entendre parler du sort des Palestiniens de Gaza pourtant à quelques dizaines de kilomètres de là.

Dans une telle situation coloniale, le déni prévaut, le colonisé est devenu invisible, nié dans son existence même. A cet égard, l’idée d’une prise de conscience venant spontanément de l’intérieur d’Israël est illusoire, le droit ne peut être imposé qu’au prix d’une pression résolue de l’extérieur.

Chacun le constate : vingt ans après les Accords d’Oslo, la perspective de créer un Etat palestinien aux côtés d’Israël parait plus éloignée que jamais.
Jérusalem-Est s’y trouve annexée de fait avec ses 300 000 habitants palestiniens — sans qu’ils en soient reconnus citoyens, sans droit d’y participer aux élections législatives.
Des colonies de plus en plus nombreuses tendent à la séparer de la Cisjordanie.
Les quelque 1 800 000 habitants de la bande de Gaza, isolés du monde, vivent au milieu des ruines provoquées par l’attaque de l’été 2014, leurs quelques activités économiques comme la pêche se voyant restreintes chaque jour davantage par les autorités israéliennes.
Alors qu’ils appartiennent au même peuple palestinien que les habitants de Cisjordanie, que pendant de nombreuses années, des jeunes pouvaient aller y étudier à l’Université de Bir-Zeit, qu’une personne habitant Beth Hanoun à Gaza, par exemple, pouvait épouser quelqu’un de Ramallah, ils ne peuvent plus se rendre en Cisjordanie.

Pourtant, comme l’a souligné l’anticolonialiste israélien Uri Avnery, les Accords d’Oslo reconnaissaient que la Cisjordanie et la bande de Gaza formaient un seul territoire, et Israël s’y engageait à ouvrir entre eux quatre «libres passages» sécurisés, jamais réalisés.

L’objectif actuel d’Israël est d’approfondir la coupure entre ces deux morceaux de Palestine, quitte à renforcer l’emprise du Hamas sur Gaza en concluant avec lui un accord séparé et en lui octroyant même un port de haute mer sous son contrôle.

Mais, même si l’unité de la Palestine, la construction d’un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza avec Jérusalem-Est comme capitale paraissent s’être éloignées sans cesse dans les faits, cet objectif reste la seule perspective pouvant, à moyen terme, mettre fin au conflit. Non seulement la France ne doit pas différer sa reconnaissance d’un tel Etat, mais elle doit militer activement pour des pressions qui amèneraient l’Etat d’Israël à accepter cette issue.

Des sanctions sont nécessaires

Seules des sanctions venues du reste du monde pourraient provoquer des évolutions en Israël. Cet Etat s’est souvent montré sensible aux menaces de sanctions économiques.
En 1986, c’est en menaçant d’arrêter la coopération en matière agricole de l’Europe avec Israël que le commissaire européen Claude Cheysson a contraint cet Etat à autoriser les exportations palestiniennes de produits agricoles vers l’Europe, et l’année suivante, c’est en menaçant de supprimer la coopération universitaire de l’Europe avec Israël, qu’il l’a contraint à rouvrir les universités palestiniennes.
En 1991, c’est en menaçant de supprimer leur important soutien financier pour l’installation des Juifs soviétiques en Israël que les Etats-Unis ont obtenu que le Premier ministre Itzhak Shamir vienne à Madrid discuter avec les Palestiniens.

Aujourd’hui, la sanction la plus efficace et la plus légitime est la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël, entré en vigueur en 2000, puisque, comme tous les autres accords d’association de l’Union avec des Etats non membres, son application est subordonnée au respect par eux des droits de l’homme.
Cette mesure a déjà été votée par le Parlement européen en 2002, mais non suivie d’effet puisque la Commission européenne a refusé de l’appliquer et que l’opinion publique n’a pas fait assez pression à l’époque pour l’imposer. La dépendance de l’économie israélienne par rapport à son débouché européen rend très efficace cette sanction, à laquelle devrait s’ajouter l’arrêt de toute coopération sécuritaire et militaire.

En 2005, l’Union européenne a décidé de ne pas appliquer les «tarifs préférentiels» issu de cet Accord d’association aux marchandises issues des territoires palestiniens occupés et elle a commencé à travailler sur la «différenciation» entre les produits exportés par Israël et ceux venant des colonies.

À l’été 2013, elle a adopté des «lignes directrices» visant à exclure les territoires palestiniens occupés de tous les accords conclus par l’Europe avec Israël. L’année suivante, le programme européen «Horizon 2020», sur la recherche et l’innovation, dont Israël est partie, contenait des clauses excluant de tout financement les implantations dans ces territoires.

Mais le fait est que, durant ces dix années, cette volonté de «différenciation» a eu peu d’effets. Malgré l’appel lancé en avril 2015 par seize ministres des Affaires étrangères – dont ceux de la France, de l’Italie, de la Belgique, de l’Espagne – pour un étiquetage des produits provenant des territoires palestiniens occupés, rien de tel n’a vu le jour, en raison, semble-t-il, de l’opposition de pays comme l’Allemagne ou la Hongrie.
Dans ces conditions, en l’absence d’une réelle traçabilité des produits des colonies – qui impliquerait la possibilité d’inspections internationales sur place -, les quelques décisions prises par l’UE – comme celle, le 1er septembre 2014, de cesser d’importer les volailles et produits laitiers issus des colonies – ne peuvent guère être considérées comme effectives.
Plus sérieuse serait l’application du rapport que le Conseil européen des Affaires étrangères a transmis à l’Union européenne en juillet 2015, préconisant le boycott des banques israéliennes qui ont des succursales dans les territoires occupés, mais, pour l’heure, aucune décision n’a été prise.

  • Dans le même souci de distinguer les exportations des colonies de celles de l’Etat d’Israël, une campagne pour le boycott des produits provenant des colonies a été lancée conjointement par la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine – qui rassemble 40 associations membres ou observateurs – et la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH). Intitulée «Made in illegality / Stop aux relations économiques de la France avec les colonies israéliennes!», elle demande à la France et à l’Union européenne d’interdire l’importation des produits des colonies.

Pour sa part, le collectif « Trop, c’est trop ! » a relancé le 11 mai 2015 la demande de suspension de l’Accord d’association de l’Union européenne avec Israël.

Elle avait été au cœur, en novembre 2002, d’une réunion publique à la Mutualité organisée notamment avec l’Association France-Palestine Solidarité, qui n’a jamais cessé de la défendre depuis.

Elle a été reprise par la Ligue des droits de l’homme dans la résolution adoptée au Mans, le 24 mai 2015, lors de son 88e congrès, «Soutenir les droits du peuple palestinien».

Une telle revendication pourrait faire l’objet d’une vaste campagne des citoyens européens à destination de leurs élus, pour que l’Union européenne ait le courage de prendre effectivement cette décision.

Déjouer l’instrumentalisation indue de l’antisémitisme

Faut-il appeler au boycott de tous les produits israéliens par les consommateurs? Nous n’avons pas repris un tel appel.

En droit, tout Etat dont on dénonce la politique doit pouvoir être l’objet d’un boycott sans qu’on puisse considérer celui-ci comme une manifestation de racisme à l’égard de ses habitants. En cela, la «circulaire Alliot-Marie» émise le 12 février 2010 par la Garde des sceaux de l’époque, qui demande aux parquets d’engager des poursuites contre les personnes appelant ou participant à des actions de boycott des produits israéliens, qu’elle assimile à de la provocation à la discrimination ou à la haine raciale, doit être abrogée.
Les militants qui appellent au boycott des produits israéliens en raison de la politique de colonisation pratiquée par cet Etat, tout en étant clairs sur la dénonciation de l’antisémitisme, ne doivent pas pouvoir être accusés de racisme ni relever des tribunaux.

La Garde des sceaux Christiane Taubira a organisé à la chancellerie deux réunions de travail, les 17 décembre 2012 et 6 mars 2013, avec des parlementaires et des responsables associatifs, puis réuni le 13 mai 2014 un «conseil des sages» composé de la sociologue Dominique Schnapper, du philosophe Olivier Abel, du magistrat Pierre Lyon-Caen, de l’ambassadeur Yves Aubin de la Messuzière et du professeur au Collège de France, Henry Laurens.

Une nouvelle réunion avait été convoquée en janvier 2015, mais son annulation du fait des attentats terroristes semble avoir repoussé aux calendes grecques l’abrogation de cette circulaire.

Il est urgent qu’une telle directive contraire à la liberté d’expression, qui vise, en tentant de les criminaliser, à museler des actions non violentes contre un Etat qui viole en permanence le droit, soit abrogée.

Mais un appel général au boycott des produits israéliens par les consommateurs est-il pour autant un mot d’ordre approprié?

Du fait de l’ancienneté et de l’enracinement de l’antisémitisme en France et en Europe, en raison des confusions et connotations antisémites que cela pourrait comporter dans une partie de l’opinion, nous ne le pensons pas.

Comme l’avait souligné encore Pierre Vidal-Naquet, Israël n’est pas «un Etat comme les autres». Il faisait remarquer qu’«attaquer violemment la politique française, le gouvernement français, ne signifie pas mettre en cause l’existence de la France en tant que communauté nationale». Boycotter les Etats-Unis à cause de la politique de ses dirigeants, brûler pour cela un drapeau américain, n’est pas perçu comme une négation du droit d’exister de cet Etat.
La construction d’Israël s’est produite au confluent de deux histoires: elle a eu lieu dans un contexte où l’idéologie accompagnant l’expansion coloniale européenne, qui commençait à être remise en cause, niait les droits des peuples indigènes ; et elle est aussi indissociable de l’histoire de personnes qui ont quitté l’Europe pour fuir les persécutions antisémites qui y déferlaient. On ne peut pas faire abstraction de cette double histoire particulière.

Il faut prendre en compte également l’existence en Israël d’un courant, inévitablement minoritaire, mais significatif, favorable à l’existence d’un Etat palestinien.

De nombreux secteurs de la société israélienne sont hostiles aux colons de Cisjordanie, pour des raisons variées, économiques, financières, idéologiques, et même militaires, puisque des jeunes Israéliens n’ont pas envie de mourir pour eux et leur sentiment est partagé par leurs familles.

Le mouvement des « indignés », confus politiquement, a été traversé par cette hostilité, même si, malgré un début de dénonciation des budgets de guerre, il n’a pas débouché sur une remise en cause claire de la colonisation.

Le parti communiste israélien a une analyse pertinente de ce problème : l’aggravation de la crise économique et sociale peut favoriser en Israël un mouvement critique intéressant. Sans parler de l’inquiétude de certains milieux financiers — et militaires — face à l’hostilité internationale grandissante à l’égard d’Israël.

Et il ne faut pas sous-estimer le rôle politique grandissant que peut jouer la diaspora juive pour influencer positivement la société israélienne.

Le mouvement de soutien aux droits des Palestiniens doit faire preuve d’une vigilance particulière vis-à-vis de l’antisémitisme dont l’enracinement multiséculaire en France et en Europe fait qu’il a tendance à rejaillir sans cesse sous de multiples avatars.

Et cet antisémitisme, largement enraciné dans l’histoire de l’Europe chrétienne, a tendance à se compliquer du fait de l’interférence de préjugés judéophobes et d’approches simplistes et ethnicisantes du conflit israélo-palestinien, issus des cultures populaires de pays musulmans et de l’immigration qui en provient.

Sans reprendre les théories selon lesquelles un « nouvel antisémitisme » d’origine musulmane aurait remplacé en France le « vieil antisémitisme » européen, une réflexion précise sur ces phénomènes doit être menée avec les Français musulmans ou héritiers de cette culture, ainsi qu’avec l’ensemble des forces qui veulent faire triompher les droits des Palestiniens.

Reste que nous refusons clairement l’invocation systématique de l’antisémitisme pour récuser toute critique à l’encontre des politiques mises en œuvre par l’Etat d’Israël. Il s’agit d’un procédé, d’une manœuvre, pour éviter d’y répondre qui, en prétendant les expliquer, permet en réalité d’éviter de les examiner.

Quand Le Monde a publié a deux reprises, le 30-31 décembre 2001 et le 13-14 janvier 2002, le premier appel du collectif «Trop, c’est trop!»:
_«Les dirigeants palestiniens, Yasser Arafat en tête, qui serra naguère la main d’Itzhak Rabin, sont aujourd’hui cernés à Ramallah par des tanks israéliens. Les bombes pleuvent sur le territoire où vit encore une partie du peuple palestinien. Rien, nous disons bien, rien – y compris les attentats inacceptables commis par des kamikazes – ne peut justifier de tels actes. Le peuple palestinien a le droit de vivre libre. Il a droit à un État véritable…»,

on a assisté dans le même quotidien à une étrange «réponse». Alors qu’on pouvait s’attendre à lire un autre point de vue sur le sujet soulevé, un autre jugement que le nôtre sur les dirigeants palestiniens, un argumentaire sur l’impossibilité d’un Etat palestinien, les défenseurs des politiques israéliennes ont fait paraître dans le même quotidien un encart reprenant la même typographie intitulé «Trop, c’est vraiment trop! », mais portant sur un autre sujet : sur la question de la montée des actes antisémites en France.

L’alerte était légitime, mais cette publication est révélatrice d’une volonté d’éluder la question posée et de la remplacer par une autre.

Comme si leurs auteurs n’avaient rien à répondre à l’interpellation formulée, comme s’ils n’avaient comme recours pour l’éluder que de porter l’attention sur un autre sujet – un sujet grave, et à propos duquel, en raison du passé, il est facile de réactiver des peurs, potentiellement porteuses d’angoisses et de réactions irrationnelles qui empêchent d’aborder spécifiquement et sereinement les problèmes politiques de la Palestine.

L’allégation d’antisémitisme est une arme récurrente à laquelle les défenseurs des politiques coloniales israéliennes ont constamment recours.

Ainsi, en juillet 2004, le Premier ministre israélien Ariel Sharon en visite à Paris avait cherché à détourner l’attention des critiques contre sa politique coloniales en dénonçant un déferlement d’antisémitisme en France qui devait selon lui conduire les Juifs de ce pays à émigrer en Israël.
Et cet argument n’a cessé d’être utilisé depuis par la propagande israélienne. Pour disqualifier comme antisémites les manifestations contre l’intervention israélienne à Gaza, le 13 juillet 2014, une provocation lors d’une d’entre elles, à Paris, du groupe raciste «Ligue de défense juive» a même réussi, comme l’a montré le site internet de l’Obs, à susciter un incident qui a permis d’accréditer cette thèse.

L’accusation revient sans cesse dans la propagande de l’Etat d’Israël : les critiques contre sa politique seraient des incitations à «haïr le Juif». Un argument que des responsables politiques français n’hésitent pas à reprendre; ainsi Valérie Pécresse, lors de l’opération controversée de la Mairie de Paris associant la ville de Tel-Aviv à Paris Plages, le 13 août, déclarait sur RTL, à propos des critiques extrêmement mesurées émises par des élus du Conseil de Paris et des partis politiques: «derrière, on sent quand même des relents antisémites».

Vigilants vis-à-vis de toute forme d’antisémitisme, nous ne céderons pas face à cette instrumentalisation indue de cette notion par les défenseurs des politiques coloniales d’Israël. Aujourd’hui plus que jamais, la France comme l’Europe se doivent de tout faire pour que le droit international soit imposé à cet Etat. Si elle ne veut pas être complice de la poursuite de ces crimes, la France doit reconnaître sans délai l’Etat de Palestine et demander que l’Europe suspende son accord d’association avec l’Etat d’Israël.

Sources: Mediapart


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