31 OCTOBRE 2015 – AKBOU – COLLOQUE SCIENTIFIQUE SUR L’HISTOIRE NATIONALE : «POURQUOI LE 1er NOVEMBRE 1954?»


31 OCTOBRE 2015 – AKBOU – COLLOQUE SCIENTIFIQUE SUR L’HISTOIRE NATIONALE : «POURQUOI LE 1er NOVEMBRE 1954?»


POURQUOI LE 1er NOVEMBRE 1954 ? Thème de la table ronde organisée à Paris par l’IREMMO – SEMAINE SPÉCIALE ALGÉRIE – du 22 au 25 MAI 2012 – socialgerie mai 2012, texte revu octobre 2014 et septembre 2015;


1er NOVEMBRE 1954: AUTRES LIENS SUR SOCIALGERIE;


JUILLET 1956 L’ALN DANS LES MONTS DE CHERCHELL : LES PREMIERS ACCROCHAGESMohamed Rebah – raina-dz.net – le 14 janvier 2015 ;


LE PARTI COMMUNISTE ALGÉRIEN ET LE DÉCLENCHEMENT DE L’INSURRECTION DU PREMIER NOVEMBRE 1954William Sportisse-raina.dz & LRI – 1er Novembre 2014 -raina-dz.net.


31 OCTOBRE 2015 – AKBOU – COLLOQUE SCIENTIFIQUE SUR L’HISTOIRE NATIONALE : «POURQUOI LE 1er NOVEMBRE 1954?»

Le Colloque Scientifique sur l’Histoire Nationale intitulé « Pourquoi le 1er Novembre 1954 ? » dont les travaux auront lieu à Akbou le samedi 31 Octobre 2015 sera accompagné de la mise en circulation de la revue MEMOIRE éditée par l’association MedAction.

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association organisatrice

Med-Action [[Pour éventuelle prise de contact avec l’association organisatrice, voir coordonnées ci-dessous.
Hocine Smaali – Président – Medaction – Algérie

www.medaction.org
Centre culturel Akbou B.P 30 (06001) – Wilaya de Béjaia Algérie
Tél. / Fax: 00 213 (0) 34 334 577 / 00 213 (0) 34 334 584 – Mobile: 00 213 (0) 661 100 958]]

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COMMUNIQUÉ

Avec la participation d’historiens algériens et français, le 61e Anniversaire du déclenchement de la Révolution du 1er Novembre 1954 sera marqué cette année par l’organisation d’un Colloque Scientifique sur l’Histoire Nationale intitulé « Pourquoi le 1er Novembre 1954 ? » dont les travaux auront lieu à Akbou le samedi 31 Octobre 2015.

À travers cette manifestation, nous voulons apporter notre humble contribution à l’écriture de l’histoire ; une entreprise éminemment délicate lorsqu’il s’agit surtout de la guerre d’Algérie avec, au demeurant, une Révolution en majuscule.

Une dimension scientifique sera donnée à cette commémoration symbolique, à travers des communications académiques posant la question du 1er novembre qui reste cet authentique sursaut populaire héroïque, salvateur qui engendra une date, une révolution libératrice, essaimée à travers le monde, en symbolisant un flamboyant modèle de résistance pour les peuples opprimés.

Prendront part à ce Colloque, modéré par Samira Bendris, les Historiens Gilbert Meynier (Professeur Emérite à l’Université de Nancy II, ancien Maître de Conférences à l’Université de Constantine, Auteur), Gilles Manceron, (Journaliste, Auteur, Rédacteur en Chef de la Revue « Hommes et Libertés » de la Ligue des Droits de l’Homme) et Tahar Khalfoune, Conseiller Juridique, Enseignant à l’Université Lumières Lyon 2, Auteur.

Par ailleurs, mettant sous les feux de la rampe des faits et événements non anodins, avec la contribution d’historiens, d’universitaires et d’acteurs privilégiés de l’époque, dont Djoudi Attoumi, l’association Med-action sortira aussi le deuxième numéro de la revue « Mémoire ».
Dans cette seconde édition, un texte inédit de Mohamed Boudiaf intitulé « le commencement », écrit à Turquant, en 1961 ou Si Tayeb El Watani prédisait déjà, qu’« un jour viendra où tous les crimes seront connus et, à ce moment, on oubliera volontiers de parler aussi légèrement du 1er novembre 1954 ». Ce n’était, nullement, une prémonition légère mais une conviction profonde de l’homme.
Pour Gilbert Meynier, historien « Le déclenchement de la lutte armée en Algérie ne retentit pas comme un coup de tonnerre dans un ciel serein » et ce, « en dépit des assertions officielles françaises qui affectèrent, publiquement, sur le registre du fait divers, d’imputer l’événement à une organisation de malfaiteurs et/ou, dans le contexte de guerre froide, intriqué avec la méfiance à l’égard des suites politiques de la révolution égyptienne du 23 juillet 1952, elles dénoncèrent la main du Caire, représentée comme n’agissant que sur les directives de Moscou ».
Une guerre d’indépendance « ne doit pas être séparée de l’histoire, de ce qui l’a précédé, en particulier des nombreux mouvements de résistance à la colonisation de l’Algérie qui ont eu lieu avant son déclenchement », notera aussi l’historien Gilles Manceron dans « le FLN ou la construction d’un anticolonialisme moderne ».

Cette guerre pour l’émancipation algérienne était une plaie béante pour la France qui dénonçait pourtant « la barbarie nazie, les tortures, les déportations, les exécutions sommaires ». « Dans le subconscient général, il n’était donc pas possible que l’Armée Française ait pu se conduire comme les nazis ; cela ne pouvait être que des exceptions qu’il fallait cacher », témoigne Henri Pouillot, ancien appelé du contingent français, affecté au centre de torture qu’était la Villa Susini à Alger. Alimenté ainsi, le pourquoi du 1er novembre était posé, avec acuité, d’abord, par ses instigateurs, une poignée certes, mais résolus qui – après épuisement de tous les moyens antérieurs de lutte et de revendications émancipatrices – avec détermination, avaient bouleversé, par l’action directe, le cours de l’histoire, en s’adressant, en Novembristes, au peuple algérien en ces termes homériques: « A vous qui êtes appelés à nous juger… ».

Dans cette Revue, Dalila Ait El Djoudi, Docteur en Histoire Militaire et Etudes de Défense, notera dans son analyse relative à Abane Ramdane – héros du passé dans les débats politiques du présent – que les rapports entre la politique, le religieux et le militaire, réinstallent cette figure, dans un cadre mémoriel, dans une polémique politique, publique et idéologique. Ainsi, Abane appartenait à l’Algérie et ne se posait pas la question de l’identité régionale !

Le 1er novembre c’est aussi l’esprit et la lettre qu’il fallait expliquer en mettant à profit des supports écrits et audiovisuels comme complément de la lutte armée dont « le FLN avait réussi à renvoyer une image moderniste des aspirations révolutionnaires du peuple algérien », dira Ahmed Bedjaoui, Expert en Communication, dans sa contribution « du Fusil aux Médias ».

De ces combattants de l’ombre, nous entrouvrons la page d’un visionnaire, poète du langage, de l’esprit, assumant pleinement ses appartenances multiples : Jean El Mouhoub Amrouche, patriote universel, intellectuel déchiré, qui su exprimer, avec force, en tant que Jean et El Mouhoub, à la fois, sa propre dualité et la signification profonde de la révolte de son peuple. Considérant la notion de langue maternelle, Khaoula Taleb Ibrahimi, Professeur à l’Université d’Alger, soulignera, dubitative « alors devrions-nous, aujourd’hui, au nom d’une authenticité pure et originelle, nous enfermer dans les limites étroites de nos idiosyncrasies respectives en prenant le risque de casser les fils tenus et quoique étrangement solides d’une cohésion nécessaire et vitale pour notre survie face a un ordre mondial injuste et implacable. »

Puisant dans le « dominium » latin, « la colonisation française, c’est aussi la spoliation des terres, chères aux algériens, couverte de l’habit de la légalité », selon Tahar Khalfoune, Docteur en Droit.

Par ailleurs, en marge de cette rencontre, une Déclaration d’Amitié et de Partenariat sera signée par Med-Action et l’association « Amitié France-Algérie », établie dans le Gard (Nîmes) en France.

Dans le contrat programme, qui liera ces associations des deux rives de la Méditerranée, il est question de favoriser et développer les échanges pédagogiques entre les jeunesses des deux pays dans les domaines sociétaux, culturels, touristiques, artistiques et sportifs en vue d’une meilleure connaissance de l’autre par la formation de citoyens ouverts sur le monde et tournés vers l’avenir. Les échanges d’expériences, de documentation et d’archivage relatifs à l’histoire, la citoyenneté et la démocratie sont aussi des axes contenus dans ce document qui sera paraphé le 31 Octobre 2015 à Akbou.

À l’occasion de cet anniversaire mémorable, nous nous inclinons solennellement devant la Mémoire des Valeureux Martyrs de la Révolution de Novembre 1954, prônant l’Algérie Algérienne.

Par devoir de mémoire, indispensable à l’écriture de l’Histoire, et en perpétuant la tradition du Forum Citoyen initié depuis 2010, notre association continuera, périodiquement, à mettre en exergue des thèmes d’actualité en relation avec l’Histoire d’Algérie, la Citoyenneté, la Culture du Dialogue et de la Paix ainsi que le Brassage Inter-Méditerranéen.

Akbou, le 22 Octobre 2015

Le président
Hocine SMAALI


PROGRAMME ET PRÉSENTATION

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PARTICIPANTS

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haut de page


POURQUOI LE 1er NOVEMBRE 1954 ?

pdf-3.jpg socialgerie, texte 2012, revu en octobre 2014 et septembre 2015

Thème de la table ronde organisée à Paris par l’IREMMO

[[ IREMMO SEMAINE SPÉCIALE ALGÉRIE du 22 au 25 MAI 2012

  • http://www.socialgerie.net/spip.php?breve517
  • http://iremmo.webou.net/spip/spip.php?article185
  • http://www.youtube.com/watch?v=E3IYRjUb190#t=12]]

le Mardi 22 mai 2012:

“Pourquoi le 1er novembre 1954 ”

Pour accéder à l’enregistrement de cette conférence animée par Gilbert Meynier, Sadek Hadjerès et Sylvie Thenault,

cliquer ci-dessous

enregistrement accessible sur YouTube avec le lien suivant

intervention de Sadek Hadjerès: 24 : 54 à 54 :33


“Pourquoi le 1er novembre 1954 ”

table ronde- conférence à 3 voix

organisée à Paris par l’IREMMO

le mardi 22 mai 2012 :

Transcription de l’intervention de Sadek Hadjerès

de 24 :54 à 54 :33

Je vais essayer de respecter moi aussi le planning

Je crois que Gilbert a bien situé le cadre historique et politique de l’insurrection de 54

En ce qui me concerne, je vais plutôt aborder la facette sous l’angle subjectif : Qu’est-ce qui a amené à cette idée de lutte armée? Qui a donné à l’idée de lutte armée un tel poids?

Pourquoi les Algériens ont-ils rapidement fait masse autour d’une voie, qui au départ, en novembre 54, avait les apparences de la fragilité

Comme Gilbert l’a dit, on peut dire, pour paraphraser Jaurès… le ciel de l’Algérie était lourdement charge des nuées du colonialisme, et que l’orage de l’insurrection était inévitable ; ça c’est une explication juste mais générale,

En fait des questionnements surgissent, quels sont les spécificités historiques et psycho-culturelles qui ont rendu ce, le soulèvement de 54 concevable, et puis qui l’ont marqué de cette particularité?

Par exemple, Pourquoi le 1er novembre 54 n’a pas été, comme ces orages méditerranéens, très violents mais de courte durée, et suivis d’éclaircies?

Pourquoi à la différence des insurrections du siècle précédent, ces premiers coups de feu de 54, bien sûr ont été suivis d’une accalmie très passagère, mais, ils ont débouché sur une guerre qui a duré 7 ans, et qui a balayé finalement l’édifice colonial, qui était présenté comme éternel en 1930, à l’occasion du centenaire de …

Il y a une autre spécificité dans cette entrée dans une guerre asymétrique :

Pourquoi le peuple algérien a dû consentir tellement de sacrifices prolongés, alors que dans l’espace maghrébin et africain, beaucoup de pays étaient parvenus, presque sans coup férir, à la reconnaissance de leur droit à l’autodétermination, bien sûr il y avait l’influence du contexte du soulèvement algérien… ?

Donc, ce 1er novembre, ça a été un pari, celui d’une avant-garde nationaliste restreinte, avec une part d’improvisation, parce que, entre autres, pour sortir d’une crise de politique interne au PPA MTLD, mais pourquoi, a-t-il fini par déboucher sur une rupture entre deux époques historiques, pour l’Algérie et pour une grande partie du monde colonisé.

Cet événement, qu’on peut dire emblématique, est devenu une référence plus tard, pour les générations suivantes, il avait même suscité des répliques, des imitations, qui s’étaient avérées fondées pour un certain nombre de mouvements de libération, mais elles ont été aussi moins judicieuses et elles ont avorté dans d’autres pays, quand on en est resté à la théorie à la guerre des focos implantée de l’extérieur, comme cela a été le cas en Bolivie, pour créer plusieurs Vietnams, dont on connaît le résultat.

Encore aujourd’hui, ou même plus tard, souvent quand il y avait une tension de crise, une volonté de changements, on entendait des voix dire « vivement qu’il y ait un nouveau premier novembre ».

Et, pour l’anecdote, je crois que vous savez que même Bouteflika, récemment, a dit que les élections algériennes, législatives, allaient être aussi importantes que le 1er Novembre …

Tout cela repose la question de fond : si l’option de la résistance armée était devenue presque inévitable en 1954, pourquoi les conditions qui l’ont rendue possible et productive par l’Algérie du milieu du 20ème siècle, pourquoi elles ne peuvent pas être reproduites n’importe où, et n’importe quand ?

Là je mets évidemment les facteurs subjectifs au centre de l’explication, mais ce n’est pas du tout à l’encontre du socle objectif des facteurs géopolitiques, mais simplement pour dire que les conditions objectives – je crois que le cadre historique qu’a tracé Gilbert le montre bien- mais ces conditions objectives ont été relayées par des motivations d’ordre psychologiques et culturelles. C’était une greffe compatible, une adéquation entre l’objectif et le subjectif et cela était vraiment la condition du succès.

Quelles étaient ces motivations ?

L’insurrection du 1er novembre, comme je l’ai dit avait été un pari audacieux sur la suite des événements, mais en aucune façon cela n’a été un miracle. A propos de miracle, Gilbert sait aussi, que dans le monde arabe, on a souvent parlé de « الجزائر بلاد العجائب » «Algérie pays des miracles», on a beaucoup aimé les interprétations magiques.

Mais en fait le succès final n’a pas relevé du seul volontarisme, parce que, à lui seul, il n’aurait accouché que d’une tentative glorieuse, mais avortée.
La vérité c’est que, dans le cadre d’un rapport de forces objectif, national et international, qui était de plus en plus favorable, ce potentiel subjectif interne s’y prêtait.

Le 1er novembre, de ce point de vue, est le résultat d’une longue maturation dans les opinions algériennes. Et il y a deux facteurs complémentaires qui se sont forgés l’un et l’autre dans le cours du processus historique.

D’un côté il y avait les imaginaires, le psycho-culturel avec des représentations dominantes dans nos sociétés opprimées, et d’autre part il y a eu les prises de conscience politiques, qui ont été le résultat d’efforts difficiles, pas toujours à la hauteur, mais elles ont été suffisantes, pour féconder, pour soutenir la continuité d’une initiative audacieuse et risquée à la fois.

Comment s’est donc faite cette jonction? Ceux qui avaient initié l’insurrection, ou bien les courants politiques qui ensuite l’ont ralliée, comprenaient bien cette maturation, et je crois qu’ils s’étaient reconnus dans la tonalité de l’Appel du 1er Novembre.

Mais toute autre était la vision d’un certain nombre d’esprits français, naïfs, ou bien embrumés, comme les a priori de la domination coloniale.

Voila : quelques semaines avant l’insurrection, le quotidien français le Monde qui est une référence… pontifiait avec un gros titre, y affirmant que «l’Algérie restait une oasis de paix dans un Maghreb en flammes» , il faisait allusion au Maroc et surtout à la Tunisie, avec les actions croissantes des fellaghas.

À cette allégation, notre camarade Bachir Hadj-Ali, avait répliqué en substance sur deux pages de l’hebdomadaire communiste algérien «Liberté»: «Non, l’Algérie, corps central du grand oiseau qu’est le Maghreb, ne peut échapper à l’incendie qui a enflammé ses deux ailes».

Sur quoi reposait la certitude de notre camarade ? Et bien le rédacteur du Monde aurait été mieux inspiré, de méditer un avertissement qui avait été lancé en 1913, avant la première guerre mondiale, par le député français radical, Abel Ferry, le neveu de son oncle Jules Ferry, fondateur de l’école laïque, et lui aussi imprégné du virus colonialiste, il rappelait au nom des intérêts – à ce qu’il disait- «intérêts et grandeur de la France» que deux éléments constituaient un mélange hautement explosif quand ils se conjuguaient : la misère et l’humiliation sociale d’un côté, les sensibilités identitaires et religieuses de l’autre.

Ces données, géopolitiques de base, échappaient aux spécialistes de la communication et hautes sphères dirigeantes coloniales, qui pour diverses raison se complaisaient à prendre leurs désirs pour des réalités. Elles ignoraient que la passivité apparente des indigènes n’était qu’une posture qui les aidait à survivre. Or, n’importe quel algérien peut attester qu’à cette époque, le rêve de la délivrance massive par les armes, pour peu que l’occasion s’en présente, c’était une obsession qui habitait la majorité de mes compatriotes, de leur enfance jusqu’à l’âge le plus avancé… Encore gamin, je voyais couler les larmes sur le visage de ma grand-mère maternelle dès qu’elle évoquait comment après l’insurrection de 1871, toutes les terres de sa famille avaient été volées, occupées par les Alsaciens-Lorrains, qui fuyaient l’Allemagne de Bismarck. Peut-être c’était une anticipation du phénomène international qui a provoqué la Naqba plus tard en Palestine : c’est-à-dire que des Palestiniens ont payé ce qui s’était passé en Europe.

À l’évocation de ces désastres, ma mère renchérissait, comme pour apaiser sa colère, elle nous racontait dans une espèce de revanche verbale, les exploits «djihadistes», de Sidna Ali, un des compagnons du prophète, un épisode que nous rappelait aussi les contes en prose rimée des meddahs – c’étaient un peu les troubadours populaires sur les places des villages – , qui chaque mercredi -jour de marché à Berraghouia- exaltaient les exploits qui étaient représentés sur des estampes naïves déposées sur le sol, et ma mère ajoutait avec amertume: mais nous, les musulmans, nous ne savons pas comploter, elle le disait en kabyle «our nessi nara an-nafeq-» nous ne savons pas comploter.

Et c’était là le hic, parce que le seul obstacle au passage à l’acte, à la révolte – dans l’imaginaire évidemment – c’était le manque de confiance dans la concertation collective.

Encore enfant, nous exprimions entre nous cette préoccupation d’une façon simpliste et arithmétique : nous les musulmans nous sommes dix fois plus nombreux qu’eux. Si chacun de nous ne s’occupait que d’un seul français – nous disions kaffer ou gaouri – le problème serait facilement réglé. Je signale en passant que cette même recette géniale habitait les phantasmes de nombreux pieds-noirs et adeptes de l’OAS: «Y a qu’à les tuer tous», une recette qui a connu plusieurs débuts d’application.

Mais nous devions nous contenter de ruminer nos incapacités à engager des actions concertées, et apprendre seulement à garder le secret de nos états d’âme contre les mouchards.

Qu’est-ce qui a fait progresser ensuite les mentalités dans toute la société, qu’est-ce qui leur a donné plus d’assurance et d’espoir, leur a appris à jauger avec plus de réalisme le contenu, les orientations de l’action violente ou non violente, la combinaison des divers moyens d’action possibles, l’adhésion à des formes d’organisation nouvelles, greffées sur les traditionnelles structurations patriarcales.

Et bien cette évolution s’est réalisée à travers l’émergence progressive de noyaux associatifs et politiques, d’abord minoritaires – tout à l’heure Gilbert les a évoqués – ; puis cela s’est fait à un rythme plus rapide, plus massif, à partir de la fin des années 30, sous l’influence des événements internationaux de grande importance qui avaient pénétré la scène algérienne, à travers de multiples canaux, jusqu’aux bourgades et les douars les plus reculés, c’est-à-dire les douars ou les bourgades d’où étaient originaires les habitants des villes, ou bien les travailleurs immigrés en France, porteurs d’une culture syndicale et politique minimum.

La courte période du Front populaire en France, malgré le refus du gouvernement socialiste de faire droit à des revendications démocratiques les plus élémentaires, a montré aux organisations, encore minoritaires, qu’il était possible d’accéder aux activités associatives, syndicales, politiques, en dépit des barrages répressifs, de sorte que la combattivité sociale et politique est montée d’un nouveau cran.

Mais c’est surtout le séisme de la deuxième guerre mondiale et des résistances à l’occupation nazie, qui nous a éveillés à la dynamique des luttes pacifiques et non pacifiques.

Après sa défaite de 1940, l’armée française n’était plus considérée par nous comme invincible.

Après le débarquement anglo-américain de 1942, en Afrique du Nord, en Algérie, cette armée faisait piètre figure à côté du spectacle des troupes motorisées américaines.

Les Algériens, au même moment, sont devenus aussi partie prenante, plus consciente, de l’usage des armes, dans les campagnes de libération d’Italie et de France.

Et ensuite, face au repli temporaire de la grosse colonisation, qui avait collaboré avec Vichy, la revendication nationale s’est déployée à travers le regroupement des Amis du Manifeste et de la Liberté, et surtout – en même temps- un très large réseau associatif, culturel, religieux, de jeunesse soute ou sportive, s’exprimer, activer de façon imbriquée, et en parallèle, sur deux registres qui n’étaient pas forcément contradictoires en ce qui concerne l’objectif commun. L’un était pacifique et légaliste, l’autre para-légal, tourné vers des horizons d’actions plus radicales, impliquant le recours aux armes

Ainsi les chants patriotiques en arabe classique ou populaire, et en berbère, évoquaient sans ambages l’idée du sacrifice de la vie pour la patrie, et ils appelaient à ne pas craindre les balles, «ma trafouch men dharb erssas »

Les causeries et les prêches des cercles culturels et religieux exaltaient les victoires militaires de l’islam à sa naissance, en dépit de l’inégalité des forces, comme lors de la fameuse bataille de Badri.

Dans le mouvement scout musulman, dans l’esprit d’ailleurs de son fondateur anglais Baden Powell, l’engagement envers l’idéal scout c’était de mettre un savoir faire technique et paramilitaire au service de la patrie et de ses concitoyens. Et quand un avion militaire allié s’était écrasé sur la montagne voisine, ou bien dans nos contacts avec les troupes des USA, cantonnées près du village, la recherche d’armes, c’était une de nos préoccupations.

L’attrait pour la perspective de la lutte armée allait de paire avec la politisation croissante du mouvement nationaliste, même si cette politisation ne s’accompagnait pas d’une réflexion qui articulait mieux, dans les esprits, les luttes militaires et les luttes pacifiques syndicales, électorales, associatives. Cette insuffisance va être ressentie plus tard dans les sphères dirigeantes nationalistes, par l’improvisation à l’époque du 8 mai 1945, avec des ordres et des contre-ordres d’insurrection, ou bien la façon dont les couches de la paysannerie pauvre, à cette même époque, dans le
Constantinois, avaient réagi d’une façon spontanée à cette répression, faute d’orientations assez claires.

C’est la même carence dans l’évaluation des stratégies des rapports de forces politico militaire qui s’est révélée après la défaite arabe de la première guerre israélo-arabe de Palestine, qui a été une douche glacée, à côté des rodomontades nationalistes qui étaient polarisées sur la puissance supposée d’une Ligue arabe qui était idéalisée à outrance.

Le 8 Mai 45 a eu deux sortes d’effets. La division et le pessimisme avaient été assez rapidement surmontés dans la majeure partie de l’opinion, en particulier grâce à la campagne pour l’amnistie qui avait été initiée par les communistes, et qui a bénéficié d’un rapport de forces favorable sur la scène politique française. En même temps le 8 mai a consolidé l’opinion algérienne dans l’opinion que le colonialisme ne nous laissait plus d’autre issue que la violence armée pour se libérer. C’est à partir de ce moment-là vraiment que c’était devenu une conviction politique assez forte.

Certains courants nationalistes moins convaincus, ou bien sensibles aux séductions des colonialistes des fractions libérales – que l’on appelait libérales à l’époque – concevaient les voies politiques comme opposées à l’option armée et non pas complémentaires.

Mais cette option armée va marquer des succès chez les plus résolus, avec la décision du Congrès du PPA – MTLD de 1947, de créer l’Organisation Spéciale OS

Je ne sais pas si je suis dans les temps / Il te reste 4 minutes

Le démantèlement de l’OS en 1950 n’a pas interrompu l’élan et le débat entre les avantages et les inconvénients de chacune de ces options.

Il y a deux événements qui vont précipiter le projet de recours aux armes :

  • D’abord c’est l’échec du FADRL – le Front Algérien pour la Défense et le Respect des Libertés Démocratiques –. Il s’était constitué en l’été 1951, par l’ensemble des partis politiques, qui ont eu, ensuite, chacun leur part de responsabilité quand il s’est effiloché les mois suivants.

    L’échec de cet élan politique et populaire a renforcé le courant des partisans de l’activisme armé. Mais ce fut d’une façon assez perverse et dépolitisée, avec l’idée fausse, chez nombre de gens déçus, que c’était la lutte politique en elle-même, et non pas l’absence d’une saine politisation, qui était stérile et contre-productive.
  • L’autre facteur, ça a été sur la scène régionale et internationale une série encourageante de changements tel que l’arrivée au pouvoir de Nasser en Egypte, en 1952, il a mis fin à l’aura trompeuse d’une Ligue arabe impuissante et complaisante envers les puissances coloniales, cette évolution ascendante va trouver plus tard son apogée avec le grand rassemblement intercontinental de Bandoeng ; et l’option militaire en même temps va s’inviter davantage avec l’entrée en lisse des fellagas tunisiens, et surtout la grande victoire de Dien Bien Phu.

    Le 8 Mai 1954 a été ressenti chez nous comme une revanche éclatante sur la tragédie du 8 Mai 45. Les Algériens ce jour-là, je m’en souviens très bien, je me trouvais à Sidi bel Abbès, le berceau de la Légion étrangère, c’était le deuil dans la Légion, contrairement à l’habitude, ils ne sont plus sortis de leurs casernes, et les Algériens se répandaient en congratulations traditionnelles, et se souhaitaient un nouvel Aid, une grande fête de libération à venir.

À partir de ce moment l’évolution vers la préparation de l’insurrection ne pouvait pas surprendre même les observateurs les moins avertis.

Et, je voulais ajouter là une note particulière, comment croire dans ces conditions à des affabulations selon lesquelles les communistes ont été surpris, ou, même, auraient réagi de façon hostile à la survenue de l’insurrection. C’était bien mal connaître cette période, que de se fier à des allégations propagandistes, qui s’expliquaient par les enjeux politiciens du temps de guerre, avec les positions hégémonistes de certains cercles dirigeants du FLN, mais qui ont été reprises plus tard en boucle sans vérification, par des médias, ou même des historiens dont ce n’était pas le thème principal de recherche.

Fort heureusement, dans la dernière décennie, nombre d’historiens, anciens ou nouveaux, soucieux d’investigations ouvertes et responsables, se dégagent de plus en plus de ces raccourcis sommaires, et idéologisants vers où les poussait la désinformation ambiante.

Par exemple, lié au 1er novembre, déclenchement de l’insurrection, je signale un article très documenté d’un historien hongrois, Ladzslö Nagy, qui vient de me l’envoyer, qui détaille un épisode significatif et pourtant occulté: l’appel du 1er novembre fut presque aussitôt répercuté par une station radio, émettant en arabe dialectal depuis Budapest, … c’était une station qui émettait en direction du mouvement indépendantiste d’Afrique du Nord. Cette station était animée et dirigée par notre camarade William Sportisse, qui avait été envoyé pour cette mission, depuis le milieu de l’année 54, c’est-à-dire vers juin-juillet, par le Parti PCA et les autres partis communistes du Maghreb. Il avait diffusé le communiqué du 1er Novembre avant qu’il ne le lui soit envoyé par la délégation du FLN au Caire, qui en son temps, en la personne de Aït Ahmed, l’avait remercié et félicité pour cette initiative.

Pour mieux préciser les choses, la direction du PCA n’a pas été surprise par la survenue de l’insurrection qui était politiquement dans l’air et prévisible pour les mois ou l’année à venir.

Ce qui nous a surpris dans la semaine qui a précédé l’insurrection, et au cours de laquelle nous avons compris son imminence – là, je signale que une semaine avant je me trouvais avec Bachir Hadj-Ali et moi-même, avec la section locale du Parti communiste dans laquelle figurait Galland, Jean-Jacques Galland, qui l’a relaté dans un ouvrage, qui avait rencontré 6 mois auparavant Ouamrane, futur colonel de la wilaya IV , et ils en ont discuté toute une nuit, c’est-à-dire ce n’est pas quelque chose qui nous avait surpris – ce n’est pas le fait qu’il allait y avoir une insurrection, c’était l’accélération de son timing, alors que il y avait la crise du PPA MTLD qui s’aiguisait de plus en plus ; parce que nous avions prêté davantage de perspicacité politique aux initiateurs de l’insurrection, à qui Abane Ramdane avait reproché plus tard d’ailleurs en termes très durs la précipitation avec laquelle l’insurrection avait été déclenchée dans de telles conditions.

Par contre, là où j’estime que la direction du PCA aurait dû et aurait pu faire mieux, c’est que, après Diem Bien Phu, d’après ce qu’on m’a dit parce que je n’étais pas encore au bureau politique où il y avait eu des discussions sur l’éventualité d’une lutte armée, je pense, qu’à partir de ce moment-là il aurait fallu anticiper organiquement, préparer des structures parallèles du type de ce qui va être fait ensuite avec les Combattants de la Libération, avant que l’insurrection ne survienne, ce qui nous aurait facilité les dispositions organiques, et un certain nombre de développements politiques ultérieurs dans l’intérêt de tous.

Voila, alors le temps qui m’est imparti ne me permet pas d’aller plus loin.

Nous le regretterons…

Je vais conclure seulement en soulignant que cette question du 1er novembre est d’une grande actualité.

Pourquoi elle est d’une grande actualité ?

Elle dépasse de loin la question du timing et de son accomplissement pratique et militaire.

L’essentiel réside dans la finalité et le contenu politique des soulèvements.

Il y a deux remarques qui me paraissent d’actualité, à propos de cette symbolique du 1er novembre

  • Premièrement : un prétendu novembrisme passéiste, et qui se tient à l’apologie désincarnée de la lutte armée, a servi de couverture idéologique à des dérives anti démocratiques de la part de cercles nationalistes, officiels ou non. Ils se sont mis à invoquer pour eux seuls la légitimité révolutionnaire et le label de la famille révolutionnaire.

    Ça s’est traduit par la crise de l’été 1962 qui a vu s’instaurer par la violence le socle militaro policier du nouveau système de pouvoir.

    Et ensuite, les vertus qui ont été attribuées à la violence armée sans évaluation critique de son contenu, sont à l’origine de fautes politiques graves, désastreuses, tels que les affrontements armés en Kabylie en 1964, puis dans tout le pays pendant toute la décennie de 1990.

    Ce constat a une nouvelle résonnance aujourd’hui en cette saison pas de printemps mais de tempêtes arabes et africaines. Quelques cercles s’étonnent, en le déplorant, de ce qu’ils appellent l’exception algérienne, ils caressent par mimétisme envers le 1er novembre 54 le calcul dangereux d’allumer un feu par internet, ou tout autre scénario planifié.

    C’est ignorer que ce qui a donné du souffle à l’insurrection algérienne en 1954, ce fut avant tout une orientation politique qui était bien en phase avec les aspirations, avec le ressenti et la sagesse populaire, et non pas fondamentalement les instruments pratiques qui ont véhiculé ce contenu, depuis le bouche à oreille, le téléphone arabe ou radio trottoir ou café du quartier, jusqu’au poste radio transistor qui venait récemment d’arriver. Donc c’est le contenu politique qui était déterminant.
  • Deuxièmement, un deuxième enseignement est rendu éclairant par le, les malheurs dans lesquels ont été plongés le peuple de Libye, de Syrie, et du Mali, après les Irakiens.

    C’est le suivant : militariser artificiellement les conflits internes, recouvre souvent des tentatives suspectes d’embrigadement émotionnel de l’opinion, d’anesthésie de la conscience politique et du sens critique, pour des buts non avoués dont profitent des cercles réactionnaires internationaux qui encouragent et/ou suscitent ces dérives.

    Dans ces conflits internes encore plus que dans les luttes de libération nationale, la lutte armée ne devient légitime et porteuse d’avenir que si elle est engagée en dernier recours, quand les moyens et voies pacifiques ont réellement épuisé leurs effets.

    Alors seulement le recours aux armes, avec un large appui populaire, peut ouvrir la voie à des solutions pacifiques et démocratiques.

    Dénouer l’écheveau compliqué des situations où s’entremêlent les représentations identitaires et les enjeux économiques et stratégiques.

    C’est dans ce sens que novembre 54 a ouvert la voie aux Accords d’Evian.

    En sens inverse, l’épreuve des forces de l’été 62 a préparé les impasses et tragédies survenues un quart de siècle plus tard : massacre d’octobre 88, années noires de la décennie 90, la répression algéroise sanglante des jeunes marcheurs du 14 juin 2001, et le marasme et la fragilité nationale actuels.

À cinquante ans de distance il est à souhaiter que ces enseignements croisés préparent un vrai printemps démocratique et social tel que celui qui était souhaité par l’appel du 1er novembre 54.

C’est l’enjeu, encore en balance des luttes en cours.

Intervention de SH le 22 mai 2014

IREMMO

transcription socialgerie M&S R

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annaba_mars_2013_fresque_murale_pour_anniversaire_independance.pngfresque murale Annaba, après le cinquantenaire de l’indépendance – photo mars 2013.

1er NOVEMBRE 1954

AUTRES LIENS SUR SOCIALGERIE


ALGÉRIE : LE MILITAIRE ET LE POLITIQUE DANS LA GUERRE INDÉPENDANCE ET SES SUITES

par Sadek Hadjerès

HORS SÉRIE DE L’ « HUMANITÉ » – mars 2012

socialgerie – article 772 – mis en ligne le 15 mars 2012

http://www.socialgerie.net/spip.php?article772


[

PCA-CDL (Combattants de la libération)

et FLN-ALN

DANS LA GUERRE D’ INDÉPENDANCE :
LIENS UTILES SUR SOCIALGERIE »

->br435]

socialgerie – brève 435 – mise en ligne le 5 février 2012

http://www.socialgerie.net/spip.php?breve435


COMMENT LE MONDE DU 5 NOV 2005 VOIT L’HISTOIRE PAR LE BOUT D’UNE LORGNETTE IDÉOLOGIQUE – LES COMMUNISTES ET LE 1ER NOVEMBRE 54

socialgerie – article 75 – Date de rédaction antérieure: 6 novembre 2005 – mis en ligne le 27 août 2009

http://www.socialgerie.net/spip.php?article75

le 1er novembre 1954, chez les Benni Yenni

1er novembre 1954 – extraits du livre « En Algérie du temps de la France »;

ed. Tiresias, 1999

http://www.socialgerie.net/IMG/pdf/1954_11_01_2005_01_31_deSH.Galland_1er_Nov_54_B_Yenni.extt_-_921.pdf


·

[

le 1er Novembre 1954
intervention de Sadek Hadjerès au siège du PCF – Colonel Fabien

le 28 octobre 2004

->http://www.socialgerie.net/IMG/pdf/2004_10_28_de_SH_au_PCF_1_Nov_1954.pdf]

http://www.socialgerie.net/IMG/pdf/2004_10_28_de_SH_au_PCF_1_Nov_1954.pdf

lié à article 76 :

[

UN DEMI-SIÈCLE APRÈS LE CONGRÈS DE LA SOUMMAM

MI-AOÛT 2009

FORUM DU QUOTIDIEN D’ALGÉRIE

->76]

socialgerie – article 76 – mis en ligne le 27 août 2009

http://www.socialgerie.net/spip.php?article76

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JUILLET 1956

L’ALN DANS LES MONTS DE CHERCHELL : LES PREMIERS ACCROCHAGES

cherchell.png Mohamed Rebah
raina-dz.net

le 14 janvier 2015

Dans la zone montagneuse très accidentée de Cherchell, les accrochages avec l’armée française commencèrent au mois de juillet 1956.

La mi-juin 1956, treize hommes armés avaient été envoyés par le commandement de l’ALN de la zone 4 (Blida-Médéa) – plus tard wilaya IV- pour porter la lutte dans cet espace rectangulaire, de 70 kilomètres de long et de 15 à 20 kilomètres de large, qui sépare la plaine du Haut Cheliff de la Méditerranée.

Le premier objectif assigné à ce groupe « éclaireur » était de réaliser la jonction avec le maquis déjà actif de Ténès[[Les premiers jalons furent posés par les communistes de la région dès le dernier trimestre 1955.]] , à l’ouest, dans le cadre du plan général d’expansion de l’insurrection tracé par l’état-major de cette zone.

Les deux chefs du groupe –Ahmed Ghebalou et Ahmed Noufi- chargé de cette mission sont nés à Cherchell. Les anciens membres du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques créé par Messali Hadj au mois d’octobre 1946), bien intégrés dans la population des montagnes, les aidèrent dans leur mission en prenant particulièrement en charge la campagne d’explication des objectifs de l’ALN : libérer le pays de l’occupation coloniale.

Au plan administratif, le territoire pris en charge était divisé en sept douars issus du démembrement, en 1863, des tribus des Béni Menacer et d’El Ghobrini. Les douars, habités exclusivement par des indigènes, étaient caractérisés par l’extrême morcellement de l’habitat ; un habitat épars avec toutes ses singularités. Les populations, très conservatrices, vivant quasiment en autarcie, avaient toutes la même culture et pratiquaient la même religion. Elles parlaient la même langue, le berbère. Elles avaient le même mode de vie archaïque caractérisé par leur façon de travailler la terre avec des outils rudimentaires (l’araire et la hache à la main), leur façon de consommer, de se soigner, de s’habiller, de se divertir, de construire leur maison (une hutte construite en pisé et en pierre couverte d’une terrasse faite d’un mélange d’argile et de branchages entrelacés avec une étable sous le gourbi).

La colonisation féroce fit que les montagnards, séparés de la zone littorale utile occupée par les colons, furent abandonnés à leur triste sort, l’administration coloniale ne s’intéressant qu’au prélèvement des impôts : « pas d’école, pas de
médecin ni dispensaire, pas d’électricité, pas de route », nous dit un ancien paysan de la fraction Taourira du douar Sidi Semiane, rencontré à Sidi Ghilès où il habite.

« Des gens vivant dans les ténèbres, sans les ressources de base minimales, soumis à l’arbitraire de l’administrateur civil et de son assistant servile, le caïd, désigné à la tête de chaque douar, témoigne Mohamed Younès, un maquisard né à Cherchell.

Ses parents sont originaires du douar Bouhlal. Son compagnon d’armes, Mustapha Saadoun, un vieux dirigeant du Parti communiste algérien (PCA), avait été frappé, à son arrivée au maquis au mois de juillet 1956, par la terrible pauvreté des montagnards. Commissaire politique, il avait eu à arpenter tout le maquis. « Au douar Zatima, sur les hauteurs des monts de Gouraya, les gens vivaient à l’âge de pierre. À Sidi Ouchkine, la famine tuait en hiver. De ma vie, je n’ai vu une telle situation de dénuement. Pour éviter les rafales de vent, les gens vivaient sous terre comme des troglodytes. Livrés à eux-mêmes, ils étaient devenus des loups », nous a-t-il dit en 2008, quelques semaines avant sa mort survenue le 26 janvier 2009.

C’est dans ce douar déshérité de Zatima que les militaires français recrutèrent leurs premiers harkis en leur offrant une maigre solde.

« Au milieu de la désolation – où les enfants, vêtus d’une simple gandoura, marchaient les pieds nus – les garçons venaient à la vie pour garder des chèvres, puis adultes, aller travailler « des étoiles aux étoiles » dans les riches fermes coloniales du littoral, ou bien être des hommes de peine à l’huilerie Buthon, dans la montagne de Dupleix, ou alors tailleurs de pierre au mont des Carrières, au sud de Fontaine-du-Génie », raconte le maquisard Mohamed Younès qui, enfant, partait rendre visite à ses grands-parents restés dans la montagne de Bouhlal.

« Des montagnards, parmi les plus costauds, réussissaient à trouver du travail, sur le littoral colonial, comme cantonniers au service des Ponts et Chaussées. Aux côtés d’autres travailleurs, certains, les plus conscients, avaient intégré le mouvement national. Ils furent les premiers moussebiline », témoigna Mustapha Saadoun qui avait mené campagne, dans les années 1950, contre le recrutement des montagnards, démunis de l’essentiel pour vivre, pour aller faire la guerre en Indochine et servir de « chair à canon » dans le corps expéditionnaire français en contrepartie d’une maigre solde.

Dans cette partie orientale du Dahra, l’occupation du sol par les troupes de l’armée française, venues de France renforcer les forces répressives, se fit par étape. Elle commença par l’est du massif montagneux. Le 17 juillet 1956, le 3ème bataillon du 22ème régiment d’infanterie (22ème R.I) s’installa au centre de colonisation de Zurich puis fixa un PC réduit au centre de colonisation de Marceau. Les maisons forestières lui servirent de postes avancés dans les montagnes. Le bataillon était rattaché sur le plan opérationnel au secteur Est dont le PC se trouvait à Miliana. Pour les stratèges de l’armée française, la vraie guerre se jouait dans ces montagnes farouches. Il fallait « pacifier » ce territoire, c’est-à-dire soumettre tout à leur contrôle.

Pour le petit groupe de l’ALN, arrivé dans la région au mois de juin 1956, tout commença à Adouiya, un lieu escarpé très difficile d’accès, situé sur l’axe Carnot-Dupleix, à 50 kilomètres au sud-ouest de Cherchell, loin des centres de colonisation de Marceau et de Zurich. Son installation fut facilitée par l’imam Sid Ahmed, un homme de culture doté de la confiance de la population.

Les gens de Adouiya sont connus dans l’histoire du mouvement national pour avoir porté les candidats de la liste démocratique[[La liste démocratique était composée de militants et de sympathisants du Parti communiste algérien animé dans la région par Omar Heraoua et Mustapha Saadoun.]] à la Djemaa, en 1946. Mustapha Saadoun, alors militant du Parti communiste algérien, fut pour beaucoup dans ce succès électoral. C’est de Adouiya-un douar relativement politisé- que fut lancée l’opération de jonction avec le maquis de Ténès, à l’ouest.

La deuxième étape de l’extension de la guérilla dans la région fut Hayouna, un ensemble d’habitats dispersés au sommet d’un plateau très élevé, entre oued Sebt et oued Messelmoun. Située sur le versant de Gouraya, à mi-chemin entre la mer, au nord, et oued Chéliff, au sud, cette fraction du vaste douar de Bouhlal (4 000 habitants), offrait par son relief accidenté toutes les commodités pour l’implantation de l’ALN.

Le commando de l’ALN s’appuya sur l’organisation clandestine du MTLD présente au douar depuis longtemps. Ainsi, rapidement, les refuges furent trouvés pour servir de relais aux groupes armés en constants déplacements. Des caches pour le stockage du ravitaillement furent aménagées chez des hommes sûrs, dotés de la confiance de la population, tels que Hadj Larbi Mokhtari, Djelloul Bélaïdi, Mohamed Hamdine, M’Hamed Mokhtari, Larbi Charef et Mohamed Mechenech. « La population était acquise à la cause. De cette société montagnarde sortirent les fida et les moussebiline dont le groupe armé avait besoin. Les femmes préparaient la nourriture. Nous étions comme un poisson dans l’eau », témoigna le doyen du maquis, Mustapha Saadoun.

Le premier accrochage entre le commando de l’ALN et des éléments de l’armée française eut lieu le 18 juillet 1956, au maquis d’Aghbal, à six kilomètres au sud de Gouraya. Le commando, renforcé par de nouvelles recrues arrivées de la ville, notamment des joueurs de l’équipe de football du Mouloudia de Cherchell conduits par Ali Bendifallah, leur capitaine, venait de recevoir des armes de guerre sorties du lot capturé le 4 avril 1956 par Henri Maillot [[Henri Maillot est tombé au champ d’honneur le 5 juin 1956.]].

Ce premier accrochage eut lieu sur le plateau de Saadouna, au pied d’un des plus hauts sommets du Dahra oriental, Iboughmassen, à un lieu enclavé dans une épaisse forêt. L’embuscade fut tendue au col, à la fin d’une pente raide, boisée, caillouteuse. La 6ème compagnie du 3ème bataillon du 22ème R.I, partie de Gouraya, pour mener une opération de bouclage du djebel Gouraya, perdit plus de 50 morts. En se retirant, l’ALN emporta de nombreuses armes de guerre.

Douze jours après, le 31 juillet 1956, sur la piste qui borde l’oued Messelmoun, l’armée française fut une nouvelle fois accrochée. Là aussi, l’ALN récupéra des armes lourdes.

Mohamed Rebah, auteur de «Des Chemins et des Hommes»

Toponymie :
Zurich : Sidi Amar
Marceau : Menaceur
Fontaine-du-Génie : Hadjret Ennous
Carnot : El Abadia
Dupleix : Damous

Sources : http://www.raina-dz.net/spip.php?article710

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pdf-3.jpg LE PARTI COMMUNISTE ALGÉRIEN ET LE DÉCLENCHEMENT DE L’INSURRECTION DU PREMIER NOVEMBRE 1954

william_sportisse_7_-2-68e1b.jpg William Sportisse

raina.dz & LRI

1er Novembre 2014

http://www.raina-dz.net/spip.php?article682&lang=fr

À l’occasion du 60 ème anniversaire du premier anniversaire de l’insurrection armée du premier novembre 1954 en Algérie, la LRI (lettre des relations internationales du Parti communiste Français) a publié dans sa publication du mois de novembre 2014, l’article suivant de notre camarade William Sportisse, ancien dirigeant du PCA :

Le premier novembre 1954 est un grand moment de l’histoire de l’Algérie. Il a reflété l’ardente aspiration d’un peuple à se débarrasser d’un système d’oppression et d’exploitation qui lui était imposée par une puissance impérialiste, en l’occurrence la France, depuis plus de 120 années.
Le groupe de militants appartenant à la mouvance nationaliste du Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques, à l’origine de cette insurrection armée, conserve et conservera le mérite d’avoir eu l’audace de la déclencher, même si pour beaucoup d’Algériens gagnés à la revendication de l’indépendance cela pouvait apparaître qu’elle allait « à l’assaut du ciel » selon l’expression de Karl Marx à propos de la commune de Paris.
À ce moment-là, pour la majorité des Algériens qui composaient les différentes tendances politiques du mouvement de libération nationale, il devenait de plus en plus évident que le choix de la voie pacifique pour mettre un terme à l’oppression et à l’exploitation coloniales avait de moins en moins de chance de s’imposer à ce système qui se perpétuait par les moyens violents et répressifs de sa police, de son armée et de son administration.

Cet événement a-t-il surpris le peuple Algérien et ses partis politiques, comme certains l’ont exprimé quand il s’est produit ou encore aujourd’hui dans leur analyse de cet événement ?

Les choses sont beaucoup plus complexes. Au 6° congrès du Parti communiste Algérien (21-23 novembre 1952), dans son rapport présenté aux participants, Larbi Bouhali, premier secrétaire déclarait : « Quand on voit avec quelle puissance la colère des masses populaires explose dans les pays opprimés, comme en Tunisie, il ne peut venir à l’idée que l’Algérie est un oasis de calme. »
La même année, au cours d’une réunion publique il appelait à élever le niveau des luttes afin de parvenir « à la forme de lutte supérieure ». Ces termes étaient utilisés à la place de  » lutte armée » afin d’éviter des poursuites et des condamnations des tribunaux colonialistes pour « atteinte à la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat » colonial en vertu de l’article 80 du code pénal français.
En quoi donc peut-on parler de surprise ?
Certes de nombreux Algériens s’interrogeaient si le moment avait été bien choisi ?
Sans doute l’une des raisons de leurs interrogations était la crise profonde qui venait de diviser les rangs du MTLD, le plus influent et organisé des partis du mouvement de libération nationale. La désunion régnait également entre les différentes forces politiques du mouvement de libération nationale. Tout cela pouvait être un handicap sérieux à la conduite de la lutte pour l’indépendance.
Cependant d’autres facteurs allaient contribuer à le surmonter.

Craignant malgré tout le soutien populaire qui pouvait être apporté, en armes et autres moyens matériels et financiers, à l’ALN dont elle était dépourvue au début de l’insurrection, le système colonial s’est engagé aussitôt avec son obstination coutumière dans une large campagne répressive essentiellement dirigée dès les premiers mois de la guerre contre les couches laborieuses des villes et des campagnes et les militants de tous les partis composant le mouvement de libération nationale.

Loin d’être intimidés par cette répression, les couches populaires du pays et les militants appartenant aux différents partis du mouvement de libération nationale, contrairement aux calculs du système colonial, se sont alors engagés de plus en plus dans le combat actif contre le colonialisme.
Ils ont rejoint les rangs des groupes armés, les ont soutenus en les informant sur les mouvements et les activités des organes répressifs du système colonial tout en leur apportant une aide matérielle et financière dont ils avaient un grand besoin. Ce soutien populaire dont le couronnement fut marqué par les grandes manifestations populaires de décembre 1960 et de juillet 1961 fut décisif pour imposer la négociation après environ huit années de luttes.

De son côté, à la veille du premier novembre 1954, le Parti communiste Algérien s’était renforcé grâce à son action anticolonialiste et anti-impérialiste, sa politique et ses efforts constants en faveur de l’union de toutes les forces nationales.

Son implantation parmi les couches populaires du pays et son audience y compris dans les rangs des deux autres partis nationalistes (MTLD et UDMA) et de l’Association des Oulémas s’étaient élargis.

C’est pourquoi, même s’il n’avait pas été associé à l’organisation de l’insurrection du premier novembre, sa première réaction fut réaliste même si elle a pu comporter certaines insuffisances.

Elle se référait à la fois sur l’aspiration profonde d’une large majorité des Algériens à l’indépendance et en même temps prenait en compte le niveau d’organisation et la possession de moyens matériels nécessaires insuffisants pour mener la lutte armée combinée aux autres formes de lutte.
C’est pourquoi, pendant toute une période, de novembre 1954 jusqu’à septembre 1955, date de son interdiction, le PCA s’efforcera d’utiliser les moyens légaux encore existants pour élargir et renforcer la lutte sous toutes ces formes.

Dans son ouvrage « l’Algérie en guerre », Mohamed Teguia, ancien officier de l’A.L.N., écrit ce qui suit à propos de la déclaration du Bureau politique du PCA, en date du 2 novembre 1954 : « En fait, dans les limites d’une déclaration légale, le PCA a rapidement apporté son soutien au FLN (et il a été le seul, en tant que parti à le faire officiellement) dans cette déclaration, même si certains passages sont ambigües, comme celui qui faisait référence à des négociations « qui tiendraient compte des intérêts de la France ». Mais ces termes là sont employés dans la proclamation du premier novembre 1954 du FLN et repris plus tard par le FLN dans la perspective des négociations. »

Il écrit encore : « Si le PCA ne se décide pas à s’engager officiellement dans la lutte armée que lors de la réunion de son comité central du 20 juin 1955, il aura auparavant mené de front plusieurs luttes légales combinées à des démarches à caractère secret sur les lieux des combats, notamment dans l’Aurès pendant que ces cellules sont préparées dans diverses régions (Mitidja, Chelif, Tlémcenois) pour le passage éventuel à la lutte armée, le contact était recherché avec le FLN depuis novembre 1954. »
Après avoir rappelé la visite faite dans les Aurès, en février 1955, par une délégation du PCA composée de Rachid Dalibey, membre du Bureau Politique, Alice Sportisse député, René Justrabo (délégué à l’Assemblée Algérienne) , Azzedine Mazri, le docteur Camille Larribère, Laïd Lamrani, bâtonnier de l’ordre des avococats de Batna et Mohamed Guerrouf ( les six étaient membres du comité central du PCA), Mohamed Teguia écrit encore : « Guerrouf avait pris des contacts dés le mois de novembre 1954 avec des responsables (dont Ben Boulaïd Mostefa) et des combattants de l’ALN de l’Aurés, parmi lesquels s’étaient engagés les paysans communistes de cette région, notamment Hamma Lakhdar, responsable de la section communiste d’El-oued, qui dirigeait une katiba » qui selon Soustelle (gouverneur général de l’Algérie à l’époque) a été « anéantie avec son chef le 18 août 1955 à Guemar dans les oasis du Souf. »

Mohamed Teguia poursuit : « Les paysans communistes de l’Aurés qui rejoignirent l’ALN se comptaient par dizaines sur les centaines d’adhérents du parti dans la région de M’Chounéche, Tadjemout, de Zelatou, du Souf et.. Un ancien mineur communiste, Sadek Chebchoub, recherché à la suite d’une grève meurtrière à la mine d’Ichmoul tenait le maquis depuis 1947.. » [[Mohamed Teguia : « L’Algérie en guerre » (OPU) pages 259 à 267. ]]
Il est utile de préciser que cet engagement des paysans communistes à la lutte armée au lendemain du premier novembre 1954, fait suite à une décision de la direction du PCA fixant un pourcentage de ses effectifs qui devait rejoindre l’ALN dans les zones où elle activait.

Ajoutons d’autres faits qui méritent d’être également signalés. En mai 1955, après l’arrestation de notre camarade Ahmed Keddar, dirigeant de la section communiste de Duperré (aujourd’hui Aïn-Defla) et membre de son comité central, une marche de protestation vers Miliana pour exiger sa libération, organisée par le PCA, mobilise des fellahs de la région et les mineurs du Zaccar. Des heurts avec la police se produisent et de nombreux manifestants sont blessés.

Mais le commissaire de police Giscard qui dirigeait la répression de la manifestation est enlevée par les manifestants. Le militant communiste de la section du PCA de Duperré, Ahmed Ben Djilani Embarek dit Zendari au maquis, futur capitaine de l’ALN, est l’auteur de l’enlèvement de ce commissaire, à la suite duquel il rejoignit le maquis. Il tombera au champ d’honneur le 7 janvier 1961.

Par ailleurs, n’est-ce pas le colonel de l’ALN Dehilés Slimane dit Si Sadek qui rappelait dans une évocation du premier novembre 1954 le rôle joué par le quotidien « Alger républicain » dirigé par des communistes qui, avant son interdiction en septembre 1955, informait, malgré la censure, les maquisards de toutes les actions armées qui se déroulaient sur le territoire. Ce quotidien avait partiellement joué un rôle de coordination avec la diffusion de ces informations utiles aux moujahidine et à leurs chefs pour leur combat.
De son côté l’émission radiophonique des trois partis communistes du Maghreb qui se trouvait à Budapest (capitale alors de la République Populaire de Hongrie) après avoir diffusé l’appel du FLN du premier novembre 1954, relatait chaque jour sur ses ondes, en leur donnant la priorité, les actions armées menées sur le territoire national.

Ce rappel de quelques exemples sur l’attitude des communistes algériens et de leur parti, au lendemain du premier novembre n’a pas pour objectif de surestimer leur rôle dès les premiers jours et mois du déclenchement de la lutte armée qui fut l’œuvre de militants nationalistes du MTLD qui ont réussi à rassembler dans et autour du FLN et de l’ALN toutes les forces politiques du pays, (nationalistes, communistes et patriotes sans parti).

Il a pour objectif de rappeler la vérité historique souvent déformée par ceux qui, par anticommunisme de classe ou guidés par des préjugés d’un autre âge, ont voulu effacer cet apport des communistes à la lutte libératrice.
Ce que condamne Slimane Chikh, historien et enseignant qui, dans son ouvrage « l’Algérie en armes », a écrit : « Le tribut payé par le PCA au cours de la lutte de libération nationale est assez lourd. Le pouvoir colonial ne l’a pas épargné. » [[Slimane Chikh : « L’Algérie en armes » (OPU) page 316]]

William SPORTISSE

Sources : http://www.raina-dz.net/spip.php?article682&lang=fr

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HOMMAGE À CLAUDINE CHAULET

pdf-3.jpg Cher(e)s ami(e)s,
Nous venons d’apprendre le décès dans la nuit du 29 au 30 octobre de notre amie, la moudjahida Claudine Chaulet. Nous vous prions de trouver ci-joint en fichier attaché une notice biographique et bibliographique de la défunte dont l’enterrement est prévu le 31 octobre au cimetière d’El Mouradia.
Merci de diffuser l’information dans vos réseaux et organes de presse.
Pour le collectif de l’Hommage à Claudine Chaulet
Daho Djerbal


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HOMMAGE À CLAUDINE[Extrait de l’introduction par le comité d’organisation de l’[Hommage à Claudine Chaulet paru sous le titre : « La conquête de la citoyenneté. », Editions Barzakh/NAQD, Alger 2012,]]

Claudine Chaulet qui vient juste de nous quitter est une femme, une Moudjahida de la première heure qui aura marqué, par son parcours de militante de la guerre de libération nationale, puis de la construction nationale, plusieurs générations.
Être Française de naissance et de culture, et issue d’une famille de résistants à l’occupation allemande qui s’installe en Algérie en 1942, voilà déjà une caractéristique peu courante pour une jeune fille de l’Est de la France. Ses déplacements entre Oran, Paris et Alger pour poursuivre ses études vont lui faire découvrir, de proche en proche, la réalité coloniale ; voilà encore une évolution dans la perception du fait colonial qui n’est que peu partagée dans le milieu des Français de France, et que les Français d’Algérie préfèrent occulter et soustraire à la réalité.

La rencontre de Claudine Chaulet avec « Consciences Algériennes » et le groupe qui active autour d’André Mandouze en 1951 aura contribué à son passage dans le militantisme étudiant et dans les premières luttes anticolonialistes. Peut-être y a-t-il là les premiers ingrédients de la rupture radicale, qui ne sera pas ―comme cela fut le cas pour une toute petite minorité de Français― qu’une révolte contre le tort fait aux valeurs de la République. Il s’agit en fait de la formation/émergence d’une conscience algérienne et non plus française. Un premier pas vers l’Autre, le colonisé, l’exploité, le dominé, qui correspond en réalité à une première identification.
Mais être une militante anticolonialiste et participer à la rédaction d’une brochure clandestine ; rencontrer des nationalistes algériens, dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne se contentent pas d’organiser de simples « stages universitaires » ou d’anodines séances de cinéclub, voilà une activité qui n’est déjà même plus partagée par les jeunes étudiantes algériennes.
1954-1955, c’est donc le grand examen, la grande rupture, le passage à l’Action dans les rangs du FLN. Ses choix ont fait de Claudine Guillot, devenue entre-temps Claudine Chaulet, une actrice engagée dans un processus de libération nationale. Elle ne se contentera pas de porter le courrier, de lui faire traverser les frontières de la colonie ; elle transportera des militants, visitera des malades, participera à la formation des infirmières des maquis. Elle se lancera corps et âme dans le combat pour une Algérie libre, pour des Algériennes et Algériens libres. On peut les compter sur les doigts d’une main, ces étudiantes algériennes qui, les premières, avaient rejoint les rangs du FLN/ALN. Combien sont-elles qui, comme elle, ont hébergé Ramdane Abane, transporté Belkacem Krim, Amar Ouamrane, Slimane Dehilés ou Larbi Ben M’hidi ? Claudine Chaulet emmènera hors d’Alger en février 1957, et malgré le quadrillage de la ville par les parachutistes, au volant de sa 2CV, seule avec son bébé, Ramdane Abane, au moment même où son mari venait d’être emmené par les policiers de la DST. Elle rejoindra plus tard Tunis, en octobre 1957. Elle y participera à l’animation culturelle aux côtés de Safia et Mohamed Kouaci, de Nadia Oussedik, de Rédha Malek, de Franz Fanon, de Mohamed Sadek Moussaoui dit Mahieddine, de Mhamed Yazid et d’autres encore, à la réalisation de la voix de l’Algérie combattante, le journal El Moudjahid.

Les conditions dans lesquelles l’Algérie a accédé à l’indépendance (départ massif de l’encadrement européen des entreprises et des fermes agricoles, retour des réfugiés souvent d’origine rurale, abandon des exploitations agricoles par leurs propriétaires, nécessité d’assurer les récoltes et de préparer les futures campagnes agricoles) place dès 1960 la question paysanne au cœur de la problématique de la construction nationale, dans un pays réputé agricole. Le souci de tous, et en particulier de Claudine Chaulet dans l’Algérie indépendante, est : comment peut-on et doit-on, selon son expression, travailler la terre « Algérie », la préserver, utiliser les richesses sans les gaspiller ? Comment, au sortir de la guerre de libération, penser et vivre l’indépendance ?

Diverses approches s’affrontent ici : la première a trait au type de régime politique qui devrait prévaloir. La seconde concerne le statut de la terre et celui du paysan ; le « secteur autogéré » est vécu et défendu par tout un courant politiquement dominant comme le fer de lance de la paysannerie, au point de l’utiliser comme un instrument de contrôle du Pouvoir. Il s’agit là d’un prisme réducteur pour d’autres, dont Claudine Chaulet, qui, s’inscrivant en faux, tentent de souligner que la paysannerie, y compris dans les zones réputées totalement autogérées telles que la Mitidja, ne saurait se réduire aux ouvriers des fermes autogérées, fussent-ils eux-mêmes membres de familles paysannes et anciens ouvriers saisonniers, ni se confondre avec eux. La lutte pour le contrôle du pouvoir et le développement d’un nouveau système politique, notamment à travers la mise en place de relais sociaux, se double d’un autre combat d’idées autour des formes d’exploitation et de propriété, du rôle et de la place historique de la paysannerie dans la construction nationale, de la définition de celle-ci. Claudine Chaulet a choisi d’y répondre en s’intéressant de près à ses composantes, en gardant la distanciation nécessaire sans jamais prétendre être le porte-parole ou le guide d’un quelconque groupe, encore moins imposer son approche. Son point de vue et ses réponses seront le résultat d’enquêtes, d’entretiens avec les diverses composantes des espaces ruraux qu’elle va investir, d’un processus interactif dans lequel elle gardera toujours sa distance et assumera son statut d’intellectuel « non organique ». Elle s’emploiera à saisir la complexité des trajectoires historiques des familles paysannes – en particulier le rôle et le statut de la femme – pour la promotion desquelles elle ne cessera de plaider.

Aux responsabilités et à la gloire politiques auxquelles son rôle historique durant la guerre de libération nationale auraient dû ou pu la conduire, elle préfère le travail sur le terrain de la connaissance et la formation des générations futures, tout d’abord au sein de l’INRA et de son Centre national de la recherche en économie et sociologie rurales. Elle a fait le choix de travailler avec ceux qu’elle a trouvés «en bas» et dont on a escamoté l’existence à coups de raccourcis historiques et d’analyses sociologiques à connotation structuraliste. C’est ainsi qu’elle a approché les « paysans » puis les « femmes » , lesquelles, selon la réponse que lui a donnée un chef de famille exploitant agricole, sont tout en « bas » : « ce sont les femmes qui récoltent les lentilles car elles sont habituées à se courber ».

Le terrain, celui de « ces gens d’en bas » , a toujours été dans sa sociologie la pierre de touche de ses analyses. Une question est au cœur de la sociologie de Claudine Chaulet : comment se libérer, dans un rapport au demeurant étroit à cette terre ? Les réponses à cette question, elle les a cherchées au plus près des acteurs que sont les femmes et les hommes du pays profond, paysans et acteurs locaux, ces Algériens dont elle a reçu les témoignages sur leur quotidien, les mutations vécues, les rapports de domination dans lesquels ils étaient pris. Ces témoignages seront autant de points d’appui aux travaux qu’elle aura conduit. Avec les jeunes chercheurs qu’elle a formés et encadrés, et qu’elle continue de suivre et de conseiller, elle ne cessera de partager sa façon d’approcher la réalité socio-économique. Autant de dons reçus de ces populations, enquêtés, enquêteurs, jeunes chercheurs, étudiants auxquels elle a toujours tenu à rendre intelligible le sens de leur démarche par le dialogue et le partage, la publication et la formation .
[…]
Mohammed Benguerna, Naceur Bourenane, Daho Djerbal, Tayeb Kennouche, Fatma Oussedik.


Biographie

Claudine Chaulet, née Guillot

Née le 21 avril 1931 à Longeau (France) de parents fonctionnaires français. Son enfance est marquée par la montée du nazisme puis le début de la deuxième guerre mondiale : elle vivra, enfant, l’exode des populations de l’Est de la France mitraillées par l’aviation allemande.
Elle arrive en Algérie en Janvier 1942, suivant ses parents qui ont choisi la résistance. Etudes au Lycée d’Oran, puis après 1945 à Paris, avant de revenir à Alger.
Baccalauréat à Alger, puis études de Lettres à l’Université d’Alger. Découverte des « stages universitaires » et du Cinéclub à la suite d’André Mandouze ; milite dans le syndicalisme étudiant ; partage l’expérience de la revue « Consciences
Algériennes ».
En 1952, elle part à Paris faire des études d’ethnologie. Donne des cours du soir à des émigrés algériens et reste en contact avec des étudiants algériens de Paris. Suit les
mouvements anticolonialistes. En décembre 1954, bref passage à Alger. Rencontre de Pierre Chaulet et de Pierre Roche, ainsi que des militants nationalistes : Salah Louanchi, Abdelhamid Mehri.

Elle s’engage alors aux côtés de Pierre Chaulet, dans l’action clandestine. D’abord à Alger (transport de militants) puis à Paris où elle achève son année universitaire en juin 1955 (transmission de courrier entre Alger et Paris) et en fin à Alger où elle se marie en septembre 1955.

Dès lors, son activité militante est totalement confondue avec celle de son mari, juqu’à l’arrestation de Pierre en février 1957. Transport de militants, visites aux malades et aux blessés, formation d’infirmières et d’infirmiers, articles écrits en commun pour le journal l’Action de Tunis ; hébergement de Abane Ramdane, transport de Krim Belkacem, d’Amar Ouamrane, de Slimane Dehilés, de Larbi Ben M’hidi. C’est elle qui fera sortir d’Alger en Février 1957, malgré le quadrillage de la ville par les parachutistes, seule au volant de la 2 CV, Ramdane Abane, au moment même où son mari vient d’être emmené par les policiers de la DST.

À Tunis, de 1957 à 1962, elle a des fonctions d’enseignement à la Faculté de lettre et Sciences humaines de Tunis et poursuit des recherches en sociologie rurale dans la région de l’Enfida.
Parallèlement elle participe avec J. Belkhodja et Mme Allouache au soutien et à l’organisation du foyer des Moudjahidate, et sous l’égide du Ministère des affaires sociales du GPRA, au recensement puis au rapatriement des réfugiés algériens en Tunisie.

Après l’indépendance, de retour en Algérie, elle est recrutée au Bureau des Etudes du Ministère de l’Agriculture et de la Réforme Agraire par Amar Ouzegane. Par la suite, elle sera chercheuse à l’Institut national de la recherche agronomique, et fondera le Centre national de recherche en économie et sociologie rurales, qui mènera des enquêtes dans les domaines autogérés (elle publiera en 1970 « La Mitidja autogérée. Enquête sur les exploitations autogérées agricoles d’une région d’Algérie,
1968-1970 ») puis dans les coopératives de la Révolution agraire jusqu’en 1975, lorsque cette expérience est brutalement interrompue.

À partir de cette date, elle travaille à l’Université, enseignante à l’Institut de Sociologie et comme chercheur Centre de recherche en économie appliquée (C.R.E.A.) responsable de l’équipe « économie et sociologie rurales ».

Après sa thèse de doctorat en 1984 (« La terre, les frères et l’argent ») elle devient Maitre de Conférences puis Professeur de Sociologie à l’Institut de Sociologie, et Directeur de recherches au CREAD jusqu’en 1994.

Parallèlement, elle a été élue à l’Assemblée populaire de la wilaya d’Alger en 1976 où elle a travaillé dans la commission des affaires sociales.

Durant son séjour en Suisse de 1994 à 1998, elle a écrit sur son expérience. Depuis son retour à Algérie en 1999, elle contribue à encadrer des thèses de magistère en sociologie.


Décès de Claudine Chaulet,

acteur et témoin du combat pour la liberté des Algériens

[

Saïd Djaafer

HuffPost Algérie

le 30 octobre 2015

->http://www.huffpostmaghreb.com/2015/10/30/claudine-chaulet_n_8427384.html]
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Les militants de Novembre que sont les Chaulet partent en octobre. Ce n’est pas un choix, c’est ainsi. Une sorte de prédestination. Pierre est parti le 5 octobre 2012. Claudine vient de le rejoindre en ce jeudi 29 octobre 2015. Paix aux braves.
À ceux qui partent à la veille de novembre, de ce ce grand mouvement qu’ils ont fait avec les autres militants de la cause nationale. De ce grand mouvement qui nous a fait et dont on cherche encore l’accomplissement.
En ces jours sacrés de veille de novembre, comment ne pas s’incliner bien bas devant la grandeur paisible de cette dame. Allah Yerahmak Claudine Chaulet.

La militante de la cause nationale Claudine Chaulet est décédée jeudi 29 octobre à Alger, trois ans après son compagnon dans la lutte et dans la vie, Pierre Chaulet, parti le 5 octobre 2012.

Née en en 1931 à Longeau en Haute-Marne, fille d’un officier de gendarmerie et d’une enseignante, Claudine est arrivée en Algérie en 1941. Etudiante à Alger, elle suit les cours d’André Mandouze, homme exceptionnel venu en Algérie en 1946 pour préparer une thèse sur Saint-Augustin, un grand chrétien, un ancien résistant pour qui l’insoumission était un « acte de foi ».

Un homme que sa droiture pousse à s’engager du côté des militants de l’indépendance et qui deviendra la bête noire des ultras de l’OAS et qui finira par être expulsé d’Algérie après avoir signé le  » Manifeste des 121 « .

Bifurcation décisive

C’est chez André Mandouze, à Hydra, le 21 décembre 1954, que Claudine Guillot rencontre Pierre Chaulet. Elle devait discuter du contenu du dernier numéro de la revue « Consciences Maghribines » elle se retrouve dans une sorte de bifurcation décisive où le cheminement personnel épouse celui de l’histoire.

o-claudine-et-pierre-570.jpgclaudine et pierre

Elle le raconte dans le livre « Le choix de l’Algérie » : « Ce soir-là sont venus les deux Pierre (Chaulet et Roche) et deux personnes non prévues qui avaient besoin d’asile, Abdelhamid Mehri et Salah Louanchi (…) Quand vers la fin de mon séjour, le 6 janvier 1955, Pierre Chaulet m’a demandé si j’étais d’accord pour continuer avec lui, j’ai dit oui ».

Une épopée

Le couple Chaulet venait de se constituer. C’est ensemble qu’ils feront la révolution. Une épopée. Une action guidée par un engagement pour la justice sociale qui se prolongera par la lutte pour l’indépendance.

« J’étais syndicaliste en essayant de défendre les intérêts des étudiants. J’avais compris que le 1er Novembre était un événement extraordinaire qui allait donner enfin un sens aux luttes. C’est donc tout naturellement que je me suis engagée aux côtés de Pierre… ».

BLOG – Pierre et Claudine Chaulet, un choix d’attachement (*)

En septembre 1955, c’est la rencontre avec Abane Ramdane, homme un « peu enveloppé, très sympathique et direct » qui pose la question de confiance. « Est-ce que l’organisation peut compter sur nous ? ». Nous répondons ensemble et séparément « oui ».

Transports de tracts, évacuation de militants recherchés, le récit de ces jours extraordinaires est raconté dans le livre à deux voix paru chez Barzakh avec l’humilité de ceux qui ont pleinement conscience d’avoir été dans un mouvement d’une ampleur gigantesque une révolution.

De la plate-forme de la Soummam transportée dans les langes de son bébé au récit de l’exfiltration de Abane Ramdane vers Blida le jour même où Pierre était arrêté par la DST. Une évacuation faite en compagnie du bébé. Ce n’est qu’après avoir déposé Abane Ramdane à l’entrée de Blida qu’elle se laisse aller. « C’est alors seulement que j’ai pu pleurer, mon bébé dans les bras ».

Ensuite ce fut l’exil, la poursuite du combat à partir de Tunis. Et cet engagement de sociologue-militante après l’indépendance par le même élan de justice pour cette paysannerie qui a été la force de la révolution.

Claudine Chaulet nous quitte la veille du 1er novembre, trois ans après Pierre Chaulet. Cette grande dame a choisi l’Algérie. On ne lui sera jamais assez reconnaissant. Sans elle, Pierre et d’autres, on serait encore des indigènes, a écrit quelqu’un, hier, en guise d’hommage.

Beaucoup le savent. Beaucoup garderont le souvenir d’une femme discrète, économe de paroles, dont les yeux pétillaient d’un humour très fin. D’une femme qui était belle. De la beauté des justes.

« L’ÉTAT DE JUSTICE » DES MUSULMANS ANTICAPITALISTES DE TURQUIE

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AYŞE AKYÜREK [[Doctorante en religion et systèmes de pensées à l’école pratique des hautes études (EPHE). Thèse sur la réinvention de la Mevleviye au XXIe siècle. Actuellement rattachée à l’institut français d’études anatoliennes.]]

le 26 OCTOBRE 2015

ORIENT XXI – MAGAZINE

Populaires depuis les repas de rupture du jeûne de ramadan (iftar) organisés dans la rue pendant les événements de Gezi à Istanbul au printemps 2013, les musulmans anticapitalistes remettent en question non seulement le système économique, mais également la gouvernance politique de la Turquie et du Proche-Orient. Convaincus que ni la théocratie, ni la laïcité ne sont des systèmes adaptés à cette région du monde, ils proposent une troisième voie qu’ils nomment « l’État de justice ».

arton1064-resp560.jpgİhsan Eliaçık (assis, deuxième en partant de la g. de l’image) lors d’un forum de la KESK à Ankara.OnurT, 19 juillet 2013.

L’idéologue des musulmans anticapitalistes est İhsan Eliaçık[Pour plus de précisions, voir Ayşe Akyürek, [«Yeryüzü sofrası », symbole de l’anticapitalisme musulman, Dipnot IFEA, 8 juillet 2015.]]. Militant dans le mouvement Akıncı gençler (Jeunes cavaliers)[[Créé en 1980, Akıncı gençler est issu du mouvement politique islamiste Milli Görüş (Vision nationale). Ses principaux slogans étaient: «Pour un État islamique sans frontières et sans classes» et «La charia ou la mort». Abdullah Manaz, Türkiye’de siyasal islamcılık, İq kültür sanat yayıncılık, 2008; p. 252-285.]] pendant sa jeunesse, Eliaçık se sépare en 2003 de ses anciens compagnons de route — qui sont au pouvoir aujourd’hui — pour mener sa propre réflexion sur l’islam et le sort de la Turquie. Il propose alors le concept d’islam social, révolutionnaire, démocratique et libéral qu’il oppose à l’islam purement métaphysique. Cet islam spirituel, qui n’a pas d’effet direct sur la vie sociale et quotidienne des hommes, serait en effet un vecteur de superstitions et de traditions erronées. Dans le but de corriger ce qu’il considère comme des idées reçues et de mettre à jour le message divin, Eliaçık publie en 2003 sa propre traduction du Coran qu’il nomme « le Coran vivant » (« Yaşayan Kur’an »). Il déclare souhaiter par là mettre l’accent sur le caractère atemporel et universel du livre saint de l’islam et en faire un livre de référence pour la vie quotidienne.

Pour Eliaçık, marxisme et islam ne sont pas incompatibles. Il établit une corrélation entre les notions de propriété, d’enrichissement, de don, d’aumône et d’intérêt qui sont fréquemment citées dans le Coran avec les notions de matériel, de propriété, de capital, d’argent et de travail qui figurent dans Le Capital de Karl Marx. Si le socialisme et le communisme lui semblent conciliables avec l’islam, il estime que ce n’est pas le cas du capitalisme. C’est pour cela que les musulmans anticapitalistes scandent à chaque manifestation le leitmotiv «Abdestli kapitalizm» («capitalisme purifié»): cette expression dénonce la nouvelle bourgeoisie musulmane qui camouflerait le capitalisme sous les habits de la religion. Le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, conservateur démocrate, est actuellement la cible de ces accusations. Ces nouveaux bourgeois musulmans, autrefois compagnons de route d’Eliaçık et qui partageaient l’idéal d’un « islam sans frontières et sans classes », s’en seraient selon lui séparés pour créer une nouvelle classe dont l’« idéologie » se résumerait au carriérisme et au conformisme.

RÉSOLUTION PACIFIQUE DES CONFLITS

La dénomination « musulmans anticapitalistes » pour désigner l’homme et ses partisans peut se révéler cependant trompeuse ou du moins incomplète. En effet, ce n’est pas seulement la gouvernance économique qui est remise en question mais également la gouvernance politique, et cela dans un contexte de conflit interne. Eliaçık utilise la question des minorités ethniques et en particulier la question kurde pour exposer sa conception de l’État. Pour remédier à ce qu’il appelle un «problème de justice et d’égalité» et pour éviter à la Turquie d’être «une proie pour l’impérialisme», Eliaçık propose de faire de l’Anatolie un «État de justice» («adalet devleti»), similaire au «système juste» («adil düzen») formulé par Necmettin Erbakan dans les années 1990: un système islamique qui repose sur la paix, la justice et la liberté des personnes de toutes confessions, de toutes origines ethniques et de tous niveaux sociaux. Pour cela il fait référence à l’histoire du placement de la Pierre noire dans le mur de la Kaaba à La Mecque. Le conflit entre les tribus qui se considéraient toutes comme les plus légitimes pour le faire avait été résolu grâce à l’arbitrage du prophète Mohammed. Cet événement serait un symbole de loyauté et représenterait un modèle pour la résolution des conflits qui ont lieu au Moyen-Orient et principalement en Turquie[İhsan Eliaçık, [«Kürd sorunu, Kanlı çanak ve Hacer’ul-Esved», Adil medya, 4 septembre 2011.]].

Mais l’égalité des religions semble pour le moment compromise, dans la mesure où Eliaçık ne conçoit pas d’exclure les valeurs socio-politiques de l’islam de ce supposé nouvel État[[İhsan Eliaçık, Adalet devleti, ortak iyinin iktidarı, Bakış yayınları, 2003 ; p. 483-567.]]. En ce sens il ne peut s’agir concrètement d’un État neutre. Il suggère d’élaborer une analyse poussée des quatre événements cruciaux:

  • le «pacte des vertueux» (hilf al-fudul), conclu entre plusieurs clans koraïchites quelques années avant la mission du Prophète, suite à un conflit né d’une transaction inéquitable;
  • le pacte de Médine ou Constitution de Médine : conclu en 622 du calendrier de l’hégire, le pacte de Médine est un texte signé entre Koraïchites et Médinois. Il fixe des lois sur les libertés individuelles, la sécurité, la défense et la justice entre tribus;
  • le dernier sermon du Prophète (khutba al-wada), prononcé lors du dernier pèlerinage à la Mecque et dont le thème principal est la question des droits de l’homme, tels que la liberté de culte, l’égalité et la sécurité;
  • la révélation coranique pour comprendre l’idéal politico-social du prophète Mohammed.

VERS LE CONFÉDÉRALISME DÉMOCRATIQUE

Cité-État constituée autour de la notion de « oumma » — non comprise au sens courant de « communauté musulmane » mais de « citoyens » —, le pacte de Médine représenterait une union socio-politique et non une union religieuse, et se présenterait donc comme un modèle d’islam démocratique et l’oumma incarnerait ce que l’on appelle aujourd’hui le confédéralisme démocratique[İhsan Eliaçık, [«Demokratik toplum, Konfederalizm ve Medine sözleşmesi» , Adil medya, 25 février 2014.]].

Notion introduite en Turquie par Abdullah Öcalan, leader du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), le confédéralisme démocratique représente une administration politique non étatique. Né de l’ambition d’octroyer la liberté et l’autonomie au peuple kurde sans pour autant remettre en question les frontières politiques de la Turquie actuelle, le confédéralisme démocratique est, selon Öcalan, le paradigme de la « modernité démocratique » contre la « modernité capitaliste ». Il considère le nationalisme et l’État-nation comme source des problèmes du Moyen-Orient et s’oppose de ce fait à la création d’un État-nation kurde. La résolution du problème kurde en Turquie sans recourir à l’État-nation et au système capitaliste serait par ailleurs un facteur-clé pour la résolution des problèmes du Moyen-Orient[Abdullah Öcalan, [Confédéralisme démocratique,, 2011.]].

Le pacte de Médine a gagné de l’importance en Turquie, surtout depuis le Congrès démocratique des peuples (Halkların demokratik kongresi) qui s’est tenu à Diyarbakir en mai 2014 à l’initiative d’Ökcalan et avec la participation et le soutien du Parti démocratique des peuples (HDP)[ «[Diyarbakır’da Demokratik İslam Kongresi», BBC, 10 mai 2014.]]. En 2011, Eliaçık avait déjà appelé le Parti de la paix et de la démocratie (BDP) et le PKK à prendre en considération la religion dans le processus de résolution du conflit et à participer à la propagation de l’islam révolutionnaire. Il invitait les dirigeants et militants du mouvement kurde à accepter l’islam en tant que réalité sociale, même dans le cas où certains d’entre eux ne seraient pas musulmans.

SOUTIEN AU HDP

Déclarant ne pas avoir l’intention de s’engager activement dans la politique, Eliaçık affiche tout de même ouvertement son soutien au HDP qu’il considère comme le parti le plus proche de ses idéaux en terme d’égalité religieuse, ethnique, confessionnelle, mais aussi d’égalité des sexes et d’égalité économique. Par ailleurs, il adopte un discours sans précédent quant à la position d’Abdullah Öcalan dans la résolution du problème kurde. Pour Eliaçık en effet, le mouvement kurde devrait élargir sa vision, mais cela semblerait irréalisable dans la mesure où son leader est détenu. La solution serait donc la libération d’Öcalan pour concrétiser le projet de confédéralisme démocratique et construire une société pluraliste basée sur le consentement de chacun. Conscient d’exaspérer ses coreligionnaires et ses compatriotes, il justifie ses propos en se référant à la sourate Ar-Rum du Coran :

| Parmi ses signes: la création des cieux et de la terre ; la diversité de vos idiomes et de vos couleurs. Il y a vraiment là des Signes, pour ceux qui le savent.
Coran 30 : 22. |

Les musulmans anticapitalistes semblent pour le moment loin d’être pris au sérieux. Ils sont critiqués d’une part pour un manque de profondeur intellectuelle, et d’autre part pour un engagement considéré comme utopique. Leur présence dans le paysage politico-religieux va tout de même dans le sens de la diversification du discours islamique.

AYŞE AKYÜREK

Sources

COMMENT POUTINE FORCE LES ÉTATS-UNIS A DÉVOILER LEUR JEU EN SYRIE

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Grégoire LALIEU

investig’action

22 octobre 2015

Article en PDF pdf-3.jpg:

Quand Poutine a proposé à la tribune des Nations unies de former contre les terroristes une coalition semblable à celle contre Hitler, les chancelleries occidentales lui ont réservé un accueil mitigé.
Pire, les premières frappes russes ont créé l’émoi : Poutine s’attaquerait aux rebelles modérés plutôt qu’à Daesh.
«Quels rebelles modérés?» demande Mohamed Hassan.

Selon notre spécialiste du Moyen-Orient, l’intervention russe force les Etats-Unis à dévoiler leur jeu en Syrie et pose implicitement une question simple à Obama: êtes-vous pour ou contre les terroristes?

La réponse, elle, semble plus compliquée. Pourquoi Al-Qaida revient en odeur de sainteté dans la presse US? Les bombes, qu’elles soient larguées par l’Otan ou la Russie, suffiront-elles à résoudre les problèmes en Syrie? Qu’en est-il des revendications portées par les manifestations populaires avant le début du conflit? Après avoir piégé l’Union soviétique en Afghanistan dans les années 80, pourquoi Brzezinski suggère-t-il à Obama de riposter contre les attaques russes?

Mohamed Hassan poursuit son analyse développée dans Jihad made in USA à la lumière des événements récents qui pourraient marquer un tournant dans le chaos syrien.
Mais le pire est peut-être seulement à venir…

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Depuis le début de la guerre en Syrie, la Russie fournit des équipements militaires à l’armée syrienne. Mais le 30 septembre, Vladimir Poutine est passé à la vitesse supérieure en ordonnant des frappes aériennes.
Pourquoi la Russie intervient-elle directement en Syrie et pourquoi le fait-elle maintenant?

Tout d’abord, la Syrie est l’un des principaux alliés de la Russie au Moyen-Orient. La relation entre les deux pays est historique. Elle prend racine dans les années 50 et s’est trouvée renforcée par la montée au pouvoir du parti Baath en Syrie. Même après l’effondrement de l’Union soviétique, la Russie a maintenu ces liens étroits tant sur les plans économique, politique que militaire. Elle dispose notamment d’une base navale stratégique à Tartous, à l’ouest de la Syrie. C’est l’unique base dont disposent les Russes en Méditerranée.

Ensuite, parmi les jihadistes étrangers qui combattent en Syrie, beaucoup viennent de Russie. Certains ont d’ailleurs menacé Poutine. Et s’ils parviennent à renverser le gouvernement syrien, ils pourront plus facilement mettre leurs menaces à exécution. De plus, alors que la fédération russe compte quelque vingt millions de musulmans, il y a un risque que les Etats-Unis et leurs alliés du Golfe utilisent la carte du fanatisme religieux pour tenter de déstabiliser la Russie. Il est donc impératif pour Poutine de vaincre les extrémistes en Syrie s’il ne veut pas que le feu se propage jusqu’à sa porte.

Enfin, sur le timing de l’intervention, il semble que l’Otan était sur le point d’établir une no-fly zone au sud et au nord de la Syrie. Officiellement pour empêcher l’armée syrienne de bombarder les civils. Mais nous avons vu en Libye ce que les no-fly zones de l’Otan peuvent faire. Une telle manœuvre aurait porté un sérieux coup à l’armée syrienne et aurait compromis une intervention ultérieure des Russes. Poutine se devait donc d’agir rapidement.

À la tribune des Nations unies, Vladimir Poutine a appelé à former une «large coalition armée semblable à celle contre Hitler». Mais cette proposition a reçu un accueil relativement mitigé. Pourquoi?

Je pense que Poutine a habilement manœuvré en mettant Obama face à ses contradictions. À travers la proposition d’une coalition, il y a une question très simple qui est implicitement posée au président des Etats-Unis: êtes-vous pour ou contre les terroristes? En effet, depuis le début de la guerre en Syrie, Washington prétend soutenir la rébellion modérée. Or, nous savons que cette rébellion relève du mythe. D’une certaine manière, Barack Obama l’a lui-même reconnu dans une interview accordée au New York Times en août 2014: «L’idée que nous pourrions fournir des armes légères ou même des armes plus sophistiquées à une opposition qui était essentiellement constituée d’anciens docteurs, fermiers, pharmaciens, etc. Et qu’ils pourraient battre un Etat bien armé soutenu par la Russie, l’Iran et le Hezbollah… Ça n’a jamais été une option.»

Quelle était l’option alors ?

Dans une Syrie laïque composée à 70 % de sunnites, la stratégie des Etats-Unis, soutenue par une partie de l’opposition, consistait à présenter le gouvernement comme un régime exclusivement alaouite. En 2006 déjà, William Roebuck, chargé d’affaires à l’ambassade US de Damas, pointait dans une note révélée par Wikileaks que l’alliance entre le gouvernement syrien et Téhéran constituait une vulnérabilité qu’il faudrait exploiter pour déstabiliser le régime:

«Il y a des craintes en Syrie que les Iraniens soient actifs à la fois dans le prosélytisme chiite et la conversion de sunnites, principalement les pauvres. Bien que souvent exagérées, de telles peurs reflètent un segment de la communauté sunnite en Syrie qui est de plus en plus contrarié et focalisé sur l’étendue de l’influence iranienne dans leur pays à travers des activités qui vont de la construction de mosquées au commerce. Tant les missions locales égyptiennes que saoudiennes ici (ainsi que les leaders religieux sunnites les plus en vue), donnent une attention croissante à ce sujet et nous devrions nous coordonner plus étroitement avec leurs gouvernements sur les manières de mieux promouvoir et de focaliser l’attention régionale sur cet enjeu.»

Exacerber les contradictions confessionnelles devait permettre de couper les dirigeants syriens de leur base sociale. Il fallait aussi provoquer de nombreuses défections au sein de l’armée dont le corps est principalement composé de sunnites. Des slogans confessionnels ont ainsi fait irruption dans les premières manifestations populaires qui réclamaient plus de démocratie et de meilleures conditions de vie. Des éléments provocateurs ont poussé à l’extrême les tensions communautaires. Mais les défections n’ont pas été aussi nombreuses qu’espérées. Et bon nombre de déserteurs ont tout simplement fui la guerre au lieu de rejoindre les rangs de l’Armée Syrienne Libre. Cette armée soutenue par l’Occident s’est ainsi retrouvée rapidement dépassée par les soi-disant jihadistes qui ont pris la tête de l’opposition.

Un échec pour les Etats-Unis ?

Oui et non. Les tensions entre sunnites et chiites sont très fortes pour le moment au Moyen-Orient et les Etats-Unis en profitent. Mais en Syrie, jouer la carte confessionnelle n’a pas permis de faire tomber le gouvernement. Cette stratégie a même eu le résultat inverse de ce qui était espéré. En effet, alors que les revendications légitimes des premières manifestations auraient pu mobiliser un grand nombre de Syriens, les slogans confessionnels ont aliéné la majorité silencieuse qui n’avait pas encore pris position. Rappelons que la Syrie est un Etat laïc depuis très longtemps et que plusieurs générations de Syriens ont grandi dans cette société. Rappelons également que le souvenir de la guerre du Liban, théâtre d’un conflit confessionnel terrible, était encore bien présent à l’esprit de nombreux Syriens. Si bien que lorsque des manifestants ont commencé à scander des slogans du style « Les chrétiens à Beyrouth, les alaouites ont tombeau », une bonne partie de la population a craint de voir la Syrie plonger dans la guerre civile. Et ce n’était pas seulement les minorités religieuses.

La stratégie confessionnelle de l’opposition a donc renforcé la popularité de Bashar el-Assad, comme en témoignait un sondage réalisé par une fondation qatarie que l’on peut difficilement taxer de collusion avec le régime. Et cette popularité s’est encore trouvée renforcée par les exactions de l’opposition armée. Des exactions cachées le plus longtemps possible par nos médias qui s’efforçaient de construire l’image d’un printemps syrien pacifique et démocratique. Mais nous savons que la réalité était tout autre, avec des massacres commis très peu de temps après les premières manifestations et l’arrivée de groupes armés venus de l’étranger. Loin des sirènes du printemps arabe, bon nombre de Syriens étaient au courant de cette réalité du terrain et ont envoyé un message clair au gouvernement : «Débarrassez-nous de ces bandits qui veulent plonger notre pays dans le chaos.»

Les Etats-Unis n’étaient-ils pas au courant de cette situation ?

Bien sûr que si. Une note déclassifiée de la Defense Intelligence Agency tirait déjà la sonnette d’alarme en août 2012: «Les événements prennent clairement une direction sectaire. Les salafistes, les Frères musulmans et AQI [pour Al-Qaida en Irak] sont les forces majeures qui mènent l’insurrection en Syrie» . Pire, deux ans avant la création de l’Etat islamique, l’agence prévoyait que le conflit syrien offrirait une opportunité aux intégristes d’établir une principauté salafiste à l’est de la Syrie. «C’est exactement ce que veulent les puissances soutenant l’opposition, dans le but d’isoler le régime syrien considéré comme le cœur stratégique de l’expansion chiite (Irak et Iran)» ajoute la DIA.

En octobre 2014, c’est le vice-président Joe Biden qui livrait ces confessions devant les élèves de la Kennedy School d’Harvard: «Nos alliés dans la région ont été notre principal problème en Syrie… Les Saoudiens, les Émirats, etc. Qu’ont-ils fait? Ils étaient tellement déterminés à renverser Assad et à mener essentiellement une guerre par procuration entre sunnites et chiites. Donc qu’ont-ils fait? Ils ont versé des centaines de millions de dollars et des dizaines de milliers de tonnes d’armement militaire à quiconque combattrait Assad. Sauf que ceux qui étaient approvisionnés, c’était Al-Nosra et Al-Qaida et des jihadistes extrémistes venus d’autres endroits du monde.» Joe Biden nous explique ce que ses alliés ont fait. Mais il faut poser une autre question : qu’est-ce que les Etats-Unis ont fait?

Apparemment, pas grand-chose. Certains reprochent à Barack Obama de ne pas s’être montré assez entreprenant sur le dossier syrien. Il avait d’ailleurs fait de l’usage des armes chimiques une ligne rouge à ne pas franchir. Mais il n’est pas intervenu après l’attaque de la Ghouta en 2012.

La culpabilité de l’armée syrienne n’a jamais pu être prouvée dans cette attaque. Un rapport de deux experts du Massachusetts Institute of Technology met en cause les rebelles. De plus, les forces loyalistes avaient le dessus sur l’opposition à ce moment-là. Et le gouvernement syrien accueillait justement des enquêteurs des Nations unies qui devaient investiguer sur l’usage d’armes chimiques. Recourir à de tels moyens à un tel moment était la chose plus stupide qu’aurait pu faire le gouvernement syrien. Il n’avait aucune raison de mener cette attaque. Les rebelles par contre, mis en difficulté par l’armée, pouvaient espérer que ce casus belli provoquerait une intervention salvatrice des Etats-Unis.

John Kerry avait d’ailleurs présenté devant le Congrès un rapport devant prouver la responsabilité de Bachar el-Assad. Mais ce rapport a été démonté par un groupe d’anciens officiers des renseignements. Ils ont interpellé Barack Obama pour lui dire que le directeur de la CIA, John Brennan, était en train «de commettre une fraude — du type de celle commise avant la guerre en Irak — envers les membres du Congrès.» Le journaliste Seymour Hersh, lauréat du prix Pulitzer, a quant à lui révélé que le dossier de Kerry se basait sur des informations manipulées. Enfin, un rapport de l’ONU publié en décembre 2013 a bien confirmé l’usage d’armes chimiques. Mais les experts des Nations unies n’ont pas pu pointer les responsables de ces attaques.

Malgré tout cela, l’information revient sans cesse dans les médias, matraquée insidieusement au détour d’un article ou d’un reportage: Assad est l’auteur de cette attaque à l’arme chimique et Obama n’a pas réagi comme il l’avait promis. La première victime de la guerre, c’est bien la vérité! Quand on voit le bilan des interventions de l’Otan en Afghanistan, en Irak ou en Libye, on ne peut que se réjouir qu’Obama n’ait pas tenu sa promesse.

Mais la Syrie reste empêtrée dans une guerre particulièrement meurtrière depuis quatre ans. Pour Baudouin Loos, journaliste du Soir, on aurait pu éviter une telle débâcle si la rébellion avait été mieux armée. Une position soutenue à demi-mot par l’organisation pacifiste Pax Christi pour qui « l’appel constant à la fin des violences pourrait […] paradoxalement participer du maintien, voire de l’aggravation du conflit en cours. »

Les premières manifestations en Syrie ont suscité beaucoup d’espoir. Par idéalisme ou mauvaise foi, certains sont visiblement restés cramponnés à l’image d’une révolution démocratique sans voir que le mouvement populaire avait été détourné et que la Syrie était devenue victime d’une guerre d’agression. De là, l’idée qu’il aurait fallu sauver le printemps syrien en soutenant davantage la rébellion. Deux remarques à ce sujet.

  • Tout d’abord, sur qui ces « pacifistes » comptaient-ils pour mieux armer les rebelles? Les Etats-Unis? Vous avez déjà vu les Etats-Unis soutenir des mouvements démocratiques dans le monde? Et s’ils devaient le faire en Syrie, ce serait avec l’aide de dictatures comme l’Arabie saoudite et le Qatar qui constituent les «Amis de la Syrie»? Alors qu’au même moment, Washington cautionne la répression au Bahreïn!
  • Deuxièmement, on ne peut pas dire que la rébellion a manqué de soutien. L’argent et les armes ont afflué en Syrie dès le début du soulèvement. Ce que les idéalistes du printemps syrien ne veulent pas admettre en revanche, c’est que les soi-disant jihadistes constituaient le plus gros de cette rébellion comme nous l’avons déjà expliqué. Certains diront qu’il aurait fallu mieux soutenir les modérés pour empêcher les terroristes de prendre l’avantage. Mais il n’y avait pas de modérés à soutenir. Les quelques groupes qui avaient un profil acceptable aux yeux des Occidentaux ne pesaient pas grand-chose sur la balance. La plupart ont fini par rejoindre les rangs d’Al-Qaida ou ont fui en remettant leurs armes. On l’a encore vu récemment. Les Etats-Unis avaient mis sur pied la Division 30, censée combattre l’Etat islamique. Lorsque ce groupe de combattants a pénétré la Syrie en juillet dernier, le Front Al-Nosra l’a attaqué, laissant seulement quatre à cinq soldats opérationnels. En septembre, on apprenait qu’un autre groupe de rebelles syriens entraînés par les Etats-Unis avait finalement livré une bonne partie de ses équipements au Front Al-Nosra. Le Pentagone a donc officiellement annoncé mettre un terme à la formation de rebelles modérés. Le programme disposait pourtant d’une enveloppe de 500 millions de dollars. Ce n’est pas de l’aide, ça ?

Sur ces programmes d’aide à la rébellion modérée, le reporter Patrick Cockburn est catégorique: «C’est là de l’auto aveuglément, puisque la rébellion syrienne est dominée par l’EIIL et Jahbat al-Nusra (JAN), représentant officiel d’al-Qaida, en plus d’autres groupes djihadistes extrémistes. En réalité, il n’existe pas de mur de séparation entre eux et les rebelles supposés modérés alliés de l’Amérique » . Et Cockburn d’ajouter le témoignage d’un officier de renseignement d’un pays du Moyen-Orient expliquant que les membres de Daesh « étaient toujours très heureux quand des armes sophistiquées étaient livrées à n’importe quel groupe anti-Assad, parce qu’ils arrivent toujours à les convaincre de leur donner ces armements, par la menace, la force, ou de l’argent. »

Vous parlez de guerre d’agression, mais il y a aussi des Syriens qui se sont soulevés pour mettre à bas la dictature corrompue. Qu’en faites-vous ?

Les premières manifestations étaient tout à fait légitimes. La Syrie était effectivement une dictature répressive. Au regard d’autres pays dans la région, elle avait tout de même réalisé des avancées sociales importantes. Mais au début des années 2000, le gouvernement a mené toute une série de réformes néolibérales. Ces réformes ont touché les classes sociales les plus faibles et ont fait exploser la corruption. Ajoutez à cela l’accueil de millions de réfugiés irakiens qui ont mis une pression énorme sur la société syrienne et les sècheresses à répétition qui ont eu un impact désastreux sur la classe paysanne, et vous obtenez tous les ingrédients pour une révolte populaire.

Mais ce mouvement légitime a été récupéré par les Etats-Unis qui ont saisi l’occasion pour accomplir un objectif fixé depuis longtemps: renverser le gouvernement syrien. Cependant, les moyens pacifiques n’ont pas suffi pour mener la mission à bien. Dans l’impossibilité d’envoyer leurs propres troupes au sol, les Etats-Unis ont donc composé avec les forces en présence sur le terrain. Mais sur ce terrain, l’opposition modérée occupait une place mineure. Comme en Libye, où l’académie militaire de West Point pointait déjà en 2007 que l’Est du pays était un sanctuaire de terroristes. Cela n’a pas empêché Washington de jouer avec le feu et de tenter malgré tout de renverser ces gouvernements qui lui étaient hostiles. Avec l’aide de leurs alliés saoudiens, qataris et turcs, les Etats-Unis ont donc ouvert la Boîte de Pandore. Et dix ans après le lancement de la guerre contre le terrorisme par George W. Bush, Al-Qaida est devenue plus forte que jamais au Moyen-Orient.

Aujourd’hui, il y a une guerre en Syrie qui oppose le gouvernement à des forces obscures libérées par l’Otan et ses alliés. On peut bien sûr renvoyer les deux belligérants dos à dos dans une posture «niniste» et choisir de ne soutenir que les mouvements progressistes. C’est une position confortable sur le plan idéologique. Mais en pratique, elle ne débouche sur rien. Elle laisse même le champ libre aux agresseurs qui s’emploient à détruire la Syrie. Car dans la situation actuelle, ces mouvements progressistes n’ont aucune marge de manœuvre. Il faudra m’expliquer comment on peut les soutenir concrètement pour mettre un terme à la guerre et libérer la Syrie.

Quelle est la solution alors ?

La solution, nous l’avons toujours dit, ne peut être que politique. Si quatre ans après le début des hostilités, la Syrie est toujours à feu et à sang, c’est parce que l’Occident a systématiquement bloqué les négociations en faisant du départ de Bachar el-Assad une condition préalable à toute discussion. Jusqu’il y a peu, oser prétendre qu’une sortie du conflit ne pourrait se faire sans négocier avec le président syrien vous valait toutes les foudres occidentales. Mais la situation a changé et cette idée a fait du chemin. Aujourd’hui, même Angela Merkel plaide pour un dialogue entre tous les acteurs syriens, y compris Bachar el-Assad.

Mais d’autres, comme François Hollande, continuent à dire qu’on ne peut pas négocier avec le « bourreau » du peuple syrien.

Ce n’est qu’un slogan, il ne correspond pas à la réalité. Alors que les efforts militaires se concentrent de plus en plus sur les terroristes de Daesh, des statistiques sont apparues pour dire que le gouvernement était responsable de 90 % des victimes en Syrie. En suivant la logique de ces chiffres, le problème n’est plus Daesh mais Assad. Le hic, c’est que ces informations sont clairement manipuléeshttp://www.michelcollon.info/Syrie-le-revisionnisme-du-Monde-a.html ] par une pseudo-organisation des droits de l’homme qui n’est [ pas très indépendante.

Ensuite, le peuple syrien est divisé. Bien sûr, Bachar el-Assad compte bon nombre d’opposants. Mais on ne peut pas ignorer non plus tous les Syriens qui soutiennent leur président. Et comme le faisait remarquer un ancien analyste de la CIA, Paul R. Pillar, avant le début de la guerre, Assad ne bombardait pas des quartiers civils avec des barils d’explosifs. Il faut mettre un terme à cette guerre. Les véritables bourreaux du peuple syrien sont ceux qui ont bloqué toutes les négociations politiques jusqu’à maintenant.

Qu’en est-il des revendications qu’avaient fait entendre les Syriens descendus dans les rues en mars 2011 ?

Aujourd’hui, la plupart des Syriens ont vu le Front Al-Nosra et Daesh à l’œuvre. Ils savent que ces organisations qui dominent la rébellion n’ont pas de solution à apporter à leurs problèmes. La grande majorité des Syriens veut la fin de la guerre. Ils veulent rentrer chez eux et reconstruire le pays.

La reconstruction va prendre du temps. Le gouvernement doit lancer un processus de réconciliation nationale qui inclura l’opposition, à l’exception des groupes terroristes évidemment. Cette opposition est principalement constituée de groupes d’individus plutôt que de partis politiques bien organisés. Peu importe qui ils sont, ils doivent faire partie du processus.

Bien sûr, bon nombre de ces opposants sont attachés à des gouvernements étrangers. Et la guerre qui aura pris fin sur le terrain continuera certainement autour de la table des négociations par d’autres moyens. Mais ils doivent se rassembler autour d’un objectif commun qui est la fin de la guerre et la reconstruction du pays. Il leur faudra aussi apporter des solutions aux problèmes socio-économiques à l’origine du mouvement populaire. Ce qui sera sans doute plus compliqué. Car dans tous les pays arabes où des révoltes ont éclaté, la question sociale reste occultée.

Il y a aussi cet Etat islamique, à cheval sur la Syrie et l’Irak. Pensez-vous que des bombes, qu’elles soient larguées par les Etats-Unis ou la Russie, suffiront à contrer cette organisation terroriste? Le politologue François Burgat estime même que la lutte contre Daesh ne peut passer par Assad. «Daesh n’est point la cause, mais la conséquence du verrouillage répressif et manipulateur du régime», explique ce spécialiste du monde arabe.

Le gouvernement syrien n’a pas attendu l’Etat islamique pour être répressif. Par contre, attribuer l’explosion de Daesh à Assad témoigne d’une certaine malhonnêteté intellectuelle. Cela révèle aussi une aversion obsessionnelle pour le président syrien qui a contribué à embourber le conflit jusqu’ici.

Rappelons tout d’abord que Daesh est né de la guerre en Irak menée par Georges W. Bush. Les Etats-Unis ont occupé l’Irak, démantelé l’Etat laïc et les structures du parti Baath, démobilisé l’armée nationale et installé un gouvernement chiite sectaire. Dans une opération sale de contre-insurrection, semblable à celle menée au Salvador dans les années 80, les Etats-Unis ont également financé et armé des milices chiites qui ont commis des atrocités contre les sunnites d’Irak. Parallèlement, Georges W. Bush a tenté d’acheter des insurgés sunnites pour limiter la casse dans les rangs des GI et éviter une déconvenue totale avant la fin de son second mandat. Des milliards de dollars ont ainsi été investis pour créer des milices sunnites. Avec un succès relatif.

En Irak, les Etats-Unis ont donc usé et abusé de cette vieille stratégie coloniale qui consiste à diviser pour régner. Ils ont exacerbé les tensions communautaires et ont créé un terreau favorable à l’émergence d’Al-Qaida. De plus, comme le relève le journaliste Robert Parry, la communauté du renseignement est seulement en train d’évaluer les dégâts collatéraux des pots-de-vin versés par le gouvernement Bush aux insurgés sunnites: «Une partie de cet argent semble être devenu un capital de départ pour la transformation d’“Al-Qaida en Irak” en “Etat islamique”, alors que les sunnites qui continuaient à être privés de leurs droits par le gouvernement chiite d’Irak ont étendu leur guerre sectaire à la Syrie.» Difficile de tenir Assad responsable de ce fiasco. Je serais plutôt de l’avis du général Vincent Desportes qui a déclaré devant le sénat français: «Quel est le docteur Frankenstein qui a créé ce monstre ? Affirmons-le clairement, parce que cela a des conséquences: ce sont les Etats-Unis.»

Mais en août 2014, Obama a pris la tête d’une coalition internationale pour lutter contre Daesh…

Il faut tout d’abord voir quand le monstre de Frankenstein a échappé au contrôle de ses maitres. Tant que l’Etat islamique combattait en Syrie et gênait un gouvernement irakien très proche de Téhéran, les Etats-Unis s’accommodaient très bien de cette organisation terroriste. Ainsi, Washington n’a pas bronché lorsque les pseudo-jihadistes ont pris Mossoul, aidés par la corruption qui ravageait l’armée irakienne. Mais quand les soldats de l’Etat islamique ont pris la direction du Kurdistan irakien, Obama a mis le halte-là. Ce Kurdistan est la chasse gardée des Etats-Unis. Leurs multinationales y réalisent de plantureux bénéfices. Pas question de propager le chaos jusque-là.

Le monstre de Frankenstein avait donc échappé à tout contrôle et les Etats-Unis ont commencé à mener des attaques contre l’Etat islamique. Avec des résultats mitigés. Dix mois et 4000 sorties aériennes plus tard, Daesh avait encore progressé.

Comment expliquez-vous ce manque d’efficacité?

Obama s’est trouvé piégé. Lutter trop efficacement contre Daesh aurait profité à l’armée syrienne qui aurait pu reprendre les territoires laissés par les terroristes. De plus, les raids aériens ne suffisant pas à contenir l’expansion de l’Etat islamique, Washington a dû compter sur les Kurdes du YPG-PKK et des milices soutenues par l’Iran pour lutter contre Daesh au sol. Ce qui a passablement irrité les alliés turc et saoudien !

Obama s’est donc contenté d’un tragique statu quo qui à terme, aurait pu déboucher sur un nouveau découpage du Moyen-Orient. Un découpage sur des bases confessionnelles. C’est là que Poutine intervient en proposant assez habilement de joindre les efforts pour lutter contre les terroristes. Obama peut le suivre. Ou assumer ouvertement que les Etats-Unis soutiennent Al-Qaida en Syrie.

La deuxième option n’est pas impossible. Depuis plusieurs mois, les tribunes se multiplient dans la presse outre-Atlantique pour vanter les mérites du Front Al-Nosra.

En effet, c’est surtout la position des néoconservateurs et des pro-Israéliens. Lina Khatib par exemple du Carnegie Middle East Center préconise de s’allier au Front Al-Nosra pour combattre l’Etat islamique: «Même si tout le monde n’aime pas l’idéologie d’Al-Nosra, il y a un sentiment croissant dans le nord de la Syrie qu’il constitue la meilleure alternative sur le terrain — et l’idéologie est un petit prix à payer pour des rendements plus élevés.» Dans la même veine, le correspondant pakistanais Ahmed Rashid a publié un article dans le New York Review of Books pour expliquer «Pourquoi nous avons besoin d’Al-Qaida ». Dans le prestigieux Foreign Affairs, c’est Barak Mendelsohn qui préconise d’accepter Al-Qaida, «l’ennemi de l’ennemi des Etats-Unis» . Comme d’autres, cet expert estime que l’organisation responsable des attentats du 11 septembre a réalisé un virage stratégique. Aujourd’hui, elle présente l’avantage de se concentrer sur ses adversaires proches du Moyen-Orient plutôt que sur ses adversaires lointains d’Occident. Soulignons enfin la franchise de l’ancien ambassadeur israélien aux Etats-Unis, Michael Oren, qui a déclaré: «Nous avons toujours voulu le départ d’Assad. Nous avons toujours préféré les mauvais gars qui n’étaient pas soutenus par l’Iran aux mauvais gars qui sont soutenus par l’Iran». Et Oren a précisé que la catégorie des mauvais gars acceptables pouvait inclure Al-Qaida.

Il semble pourtant que Vladimir Poutine ait obtenu le feu vert de Benyamin Netanyahu pour intervenir en Syrie. La Russie et Israël s’échangent même des informations pour la sécurité des vols dans l’espace aérien syrien.

Sans trop s’exposer pour ne pas décrédibiliser la rébellion syrienne, Israël a soutenu l’opposition pour renverser Bachar el-Assad. L’objectif de Tel-Aviv, tel qu’exposé par Michael Oren, était effectivement de briser l’axe qui relie Téhéran à Beyrouth en passant par Damas. Depuis les années 90, une lourde menace d’attaque US et israélienne pèse sur l’Iran. En l’absence d’une force aérienne digne de ce nom, les Iraniens ont développé une autre stratégie de dissuasion consistant à fournir des missiles au Hezbollah libanais. En cas d’attaque sur Téhéran, ces missiles tirés depuis le sud du Liban pourraient riposter contre Israël. La guerre israélienne menée en 2006 contre le Hezbollah devait neutraliser cette force de dissuasion. Sans succès. Les combattants libanais ont résisté et l’attaque israélienne s’est soldée par un échec. L’autre stratégie d’Israël pour couper la ligne d’approvisionnement entre l’Iran et le Hezbollah consistait à s’attaquer au maillon faible de la chaîne : la Syrie. Mais là aussi, c’est un échec.

Et c’est dans ce contexte que les Russes ont décidé d’intervenir en Syrie. Nous l’avons vu, Poutine se devait d’agir rapidement. Mais il n’a pas foncé tête baissée pour autant. Il a pris soin de neutraliser Israël, acteur discret, mais incontournable du conflit syrien. Du point de vue russe, c’est un joli coup de poker et un véritable pied de nez à Obama, Israël étant le gendarme US du Moyen-Orient. De plus, Poutine a également multiplié les contacts avec Mahmoud Abbas. Jusqu’à présent, dialoguer tant avec les Israéliens que les Palestiniens était un privilège diplomatique réservé exclusivement au président des Etats-Unis.

Pour négocier son intervention en Syrie auprès d’Israël, Poutine avait plusieurs cordes à son arc. Il existe tout d’abord une importante communauté russe en Israël à travers laquelle il peut se faire entendre. La situation plaide également en sa faveur, avec une expansion de l’Etat islamique devenu incontrôlable et un risque d’embrasement général dans la région. Enfin, et c’est sans doute l’argument principal, Poutine semble avoir donné des garanties à Netanyahu que les armes livrées tant à la Syrie qu’à l’Iran ne tomberaient pas dans les mains du Hezbollah.

L’intervention en Syrie marque le retour des Russes au-devant de la scène internationale. La Russie de Vladimir Poutine est-elle en train de devenir une puissance impérialiste sous nos yeux ?

Elle pourrait le devenir, mais elle ne l’est pas encore. Jusqu’à maintenant, la Russie n’a fait que se défendre. Pourtant, depuis la prétendue annexion de la Crimée et les bombardements en Syrie, les médias occidentaux nous rabâchent les oreilles avec la menace russe. Vous remarquerez d’ailleurs que s’ils peuvent se montrer critiques sur certaines questions de politique interne, ces médias rapportent systématiquement la version de l’Otan sur les conflits internationaux. La faute sans doute à des conditions de travail qui se sont détériorées au sein de l’industrie médiatique où l’on travaille de plus en plus sur base de communiqués de presse. Le poids de l’idéologie dominante se chargeant du reste. Et lorsque quelques rares reporters parviennent encore à faire entendre un autre son de cloche sur le terrain, on leur tombe dessus.

La Russie a donc été blâmée pour le rattachement de la Crimée. Alors que les Etats-Unis ont contribué au renversement du président ukrainien jugé trop russophile pour installer un régime d’extrême droite aligné sur l’Otan. Quant au rattachement de la Crimée, il a été approuvé au travers d’un référendum par 95 % de la population de cette région qui faisait autrefois partie de la Russie. En Syrie, Vladimir Poutine a le droit international avec lui.

De leur côté, après l’éclatement du bloc soviétique et la réunification de l’Allemagne, les Etats-Unis avaient promis de ne pas étendre la zone d’influence de l’Otan en Europe de l’Est. Depuis, Washington semble avoir donné une autre interprétation à cette promesse. Bill Clinton a élargi l’Otan à la République tchèque, la Hongrie et la Pologne. Ensuite, Georges W. Bush a intégré l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie. Observez une carte et la disposition des bases militaires US. Qui menace qui? Le budget militaire des Etats-Unis est dix fois supérieur à celui de la Russie. Les forces spéciales US opèrent dans 81 pays, leur nombre a doublé depuis 2001 et leur budget a été multiplié par cinq. Les Etats-Unis sont le seul pays dans l’histoire de l’humanité à avoir utilisé l’arme nucléaire. Ils ont été en guerre 222 sur 239 années de leur existence et ont bombardé 14 pays du Moyen-Orient. Et la menace est russe?

En Afghanistan dans les années 80, les Etats-Unis avaient financé la rébellion d’islamistes radicaux pour renverser le gouvernement allié de l’URSS. L’opération avait débouché sur une longue guerre opposant les troupes soviétiques aux islamistes soutenus par la CIA et l’Arabie saoudite. Soldé par une défaite de l’URSS, le conflit avait précipité l’effondrement du bloc soviétique. L’Histoire est-elle en train de se répéter en Syrie ?

Certains aspects rappellent l’Afghanistan en effet. Mais la situation est tout de même différente. La Russie de Poutine n’est pas l’Union soviétique des années 80 qui était minée par une série de problèmes internes. Ensuite, les bombardements russes viennent en soutien à l’armée syrienne qui opère au sol. Enfin, la Chine était en contradiction avec l’URSS à l’époque et avait même soutenu les moudjahidines afghans. La situation a bien changé depuis, Moscou et Pékin étant sur la même longueur d’onde. C’est même un changement radical. En effet, la guerre d’Afghanistan avait marqué le passage d’un monde multipolaire à un monde unipolaire. En précipitant la chute du bloc soviétique, ce conflit avait inauguré l’hégémonie des Etats-Unis devenus l’unique superpuissance mondiale. A l’inverse, la guerre de Syrie marque sans doute la fin de cette domination exclusive. Les Etats-Unis ne peuvent plus intervenir partout comme ils le souhaitent. Ils doivent à présent composer avec d’autres puissances mondiales telles que la Russie et la Chine qui s’organisent à travers l’Organisation de Coopération de Shanghaï. Cette alliance va intégrer l’Inde et le Pakistan en 2016 et compte également l’Iran parmi ses membres observateurs. Elle marque en outre la domination des rivaux de Washington sur l’Eurasie. Un cauchemar pour Brzezinski, l’artisan du piège afghan des années 80. Dans son livre Le grand échiquier, ce conseiller de la Maison Blanche considère que celui qui dominera l’Eurasie dominera le monde.

Brzezinski ne semble pas s’être adouci avec l’âge. A 87 ans, il vient d’appeler Obama à riposter si les Russes continuaient à bombarder les rebelles syriens. Le passage à un monde multipolaire pourrait-il accoucher d’une Troisième Guerre mondiale dont la Syrie serait l’étincelle ?

L’étincelle pourrait être la Syrie ou l’Ukraine ou même la mer de Chine… Le risque est réel. Le droit international offre bien quelques garanties pour éviter un nouveau conflit mondial qui opposerait des puissances dotées de l’arme nucléaire. Mais il n’est pas parfait et subit constamment les attaques de va-t-en-guerre qui manifestement, veulent plonger le monde dans le chaos sous couvert d’ingérence humanitaire. Lors de la dernière assemblée générale des Nations unies, François Hollande a ainsi remis en question le droit de veto des membres du Conseil de Sécurité: «La France veut que les membres permanents du Conseil de sécurité ne puissent plus recourir au droit de veto en cas d’atrocités de masse. Comment admettre que l’ONU, encore aujourd’hui, puisse être paralysée lorsque le pire se produit ? (…) Nous pouvons agir pour régler les drames d’aujourd’hui et sauver la planète demain.»

C’est une attitude irresponsable et mesquine à la fois. D’abord parce que la France soutient les atrocités de masse ou les dénonce selon ses propres intérêts. Ensuite parce que ce principe invoqué par François Hollande peut être sujet à bien des manipulations. C’est pour empêcher un massacre que l’Otan est intervenue en Libye. Mais des rapports d’organisations indépendantes ont confirmé par la suite qu’il n’y avait pas de massacre en cours. L’Otan, qui devait se limiter à instaurer une zone d’exclusion aérienne, cherchait en réalité un prétexte pour renverser Kadhafi . Enfin, si le Conseil de Sécurité de l’ONU peut être contourné lorsque des atrocités de masse sont commises, on pourrait se trouver dans une situation où la Russie interviendrait unilatéralement en Birmanie par exemple, le Brésil en Colombie, la Chine en Centrafrique et la France en Syrie. Bref, une situation de guerre de tous contre tous. A ce moment-là, il sera trop tard pour penser à « sauver la planète demain » comme le suggère François Hollande.

Alors, que faire ?

Commencer par bien s’informer sur les guerres et ne pas tomber dans le piège de la propagande. Se mobiliser à travers des mouvements pour la paix. Mais il faut surtout comprendre la nature fondamentale de ces conflits. Vous connaissez la chanson, les grandes puissances n’ont pas de principes, seulement des intérêts. Ce n’est pas pour les droits de l’homme ou la démocratie que l’Otan largue des bombes. Sinon, comment expliquer qu’au moment où François Hollande appelle à mettre un terme à la dictature en Syrie, Manuel Valls signe des contrats d’armement en Arabie saoudite?

Ces guerres répondent avant tout à des intérêts stratégiques. Il n’y a pas de guerre humanitaire. Ce sont des guerres pour le fric. C’est pour avoir accès aux matières premières, pour profiter d’une main-d’œuvre bon marché et trouver des débouchés pour leurs capitaux que les grandes puissances cherchent à se partager le monde, à coup de bombes s’il le faut. Derrière ces guerres, il y a donc une autre guerre, celle d’un système économique basé sur la concurrence et la course au profit maximum. Un système qui par ailleurs engendre des inégalités sociales — 1 % des plus riches possèdent la moitié des richesses mondiales, un niveau jamais atteint —, un système qui gaspille les ressources naturelles, un système qui broie les travailleurs, un système qui sauve les banquiers fraudeurs pendant qu’on ferme des écoles… Et ce système nous conduit tout droit vers une Troisième Guerre mondiale. Je ne sais pas vous, mais moi, je pense qu’il est grand temps de changer de cap.

[ Source : Investig’Action http://www.michelcollon.info/Comment-Poutine-force-les-Etats.html ]

FAIRE SAUTER LE VERROU MÉDIATIQUE

par Serge Halimi

Le Monde Diplomatique

octobre 2015

pdf-3.jpg Les tentatives de rupture avec les politiques néolibérales se multiplient. Après l’espérance grecque, l’élection imprévue de M. Jeremy Corbyn au Royaume-Uni, demain peut-être le réveil de l’Espagne… Ces essais ne sont pas toujours transformés, on l’a mesuré à Athènes en juillet dernier. Mais quelques-uns des obstacles sont dorénavant bien identifiés : les marchés financiers, les entreprises multinationales, les agences de notation, l’Eurogroupe, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque centrale européenne (BCE), la politique monétariste allemande et ses caudataires sociaux-libéraux. La puissance de ces agents ainsi que la convergence de leurs préférences expliquent pour partie les prudences et les capitulations des uns, les souffrances et les hésitations des autres. Bien que pertinent, un tel diagnostic est incomplet. Car y manque un élément décisif, souvent analysé dans ces colonnes mais largement ignoré ailleurs, en particulier par les forces politiques qui devraient s’en soucier au premier chef.

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Cet élément a révélé sa nocivité à Athènes lorsque Syriza résistait aux diktats de l’Union européenne ; il s’est d’emblée déchaîné à Londres contre le nouveau dirigeant travailliste, M. Corbyn (lire « Jeremy Corbyn, l’homme à abattre » ) ; on l’observera à Madrid si Podemos l’emporte en décembre prochain. Enfin, depuis six mois, il se reconfigure méthodiquement à Paris. De quoi s’agit-il ? Du perfectionnement d’un verrou médiatique susceptible de disqualifier tout projet contraire au pouvoir des actionnaires.

Au fond, pourquoi en serait-il autrement dès lors que les propriétaires des médias sont aussi, de plus en plus, les architectes des concentrations industrielles et les bénéficiaires de gigantesques capitalisations boursières ?
En France, par exemple, six des dix principales fortunes nationales — la première, la cinquième, la sixième, la huitième, la neuvième et la dixième — sont désormais détenues par des propriétaires de groupes de presse [[Respectivement MM Bernard Arnault, Serge Dassault, Patrick Drahi, François-Henri Pinault, Vincent Bolloré, Xavier Niel. Source : Challenges, Paris, 8 juillet 2015. ]].

L’un d’eux, M. Patrick Drahi, vient également de débouler en tête des fortunes d’Israël [« The rich list : Drahi debuts at no1 », Haaretz, Tel-Aviv, 12 juin 2015. ]]. Pourtant, dans ce secteur-clé qui conditionne à la fois l’information publique, l’économie, la culture, les loisirs, l’éducation, on peine à détecter la moindre stratégie politique qui s’emploierait à contrer le danger. Un peu comme si chacun se disait qu’on verrait bien le moment venu, qu’il y a d’autres priorités, d’autres urgences [[ Cf. [ « L’art et la manière d’ignorer la question des médias » , www.homme-moderne.org. ]]

On verra bien ? On a vu… Arrivant au pouvoir à Athènes en janvier dernier, le gouvernement de M. Alexis Tsipras avait escompté, un peu imprudemment, que la solidarité des peuples européens en butte aux politiques d’austérité lui permettrait de mieux résister à l’intransigeance allemande.

Bien des raisons liées à la fragmentation et à la faiblesse des alliés continentaux de Syriza, politiques et syndicaux, expliquent que cette espérance ait été déçue. Toutefois, un élément important ne saurait être omis. Pendant six mois, le traitement médiatique de la question grecque a défiguré les termes du débat en cours. Et a tenté d’exacerber dans l’opinion publique européenne le souci de ce que l’effacement de tout ou partie de la dette d’Athènes coûterait à « chaque Français » , Allemand, Espagnol, Italien, Slovaque, etc. [[En France, la campagne a été lancée par Le Figaro dès le 8 janvier 2015 (« Chaque Français paierait 735 euros pour l’effacement de la dette grecque »). Elle a été relayée ensuite par la plupart des autres médias, notamment (le 26 janvier) par les deux principales chaînes de télévision française, TF1 et France 2. ]]. Les principaux moyens d’information, y compris ceux qui se montrent en général friands de prêches postnationaux, trouvèrent là un moyen assuré de contenir un mouvement de solidarité continental avec la gauche hellénique. Dans une autre configuration médiatique, la Grèce aurait peut-être été présentée non pas comme un mauvais payeur susceptible d’aggraver les difficultés de ses créanciers, y compris les plus pauvres, mais comme l’avant-garde d’un combat européen contre une politique d’austérité ayant échoué.

Chaque concentration semble favoriser la suivante

Le coût pour la collectivité des baisses d’impôts qui ont profité depuis trente ans aux contribuables les plus aisés ou celui des plans de sauvetage des banques privées n’ont d’ailleurs jamais été calculés — et matraqués — avec le même acharnement, à l’euro près, pour « chaque Français », Allemand, etc. Et quand, le 27 août, les créanciers occidentaux, intraitables dans le cas de la dette grecque, ont consenti à l’effacement d’une partie de celle de l’Ukraine, quel grand quotidien économique a évalué ce que cet abandon de créances risquait de coûter à « chaque Français », Italien, Lituanien, etc. ? Quelle chaîne de télévision s’est hâtée de recueillir, lors d’un de ses héroïques micros-trottoirs, les réactions de badauds terrorisés en imaginant la spoliation qu’une telle remise de dette signifierait pour eux ?

Évoquant en août dernier les difficultés du Brésil en proie à un ralentissement de son économie, à la baisse du prix des matières premières et à de multiples affaires de corruption, M. João Pedro Stédile, membre du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST), a noté que « le peuple observe avec inquiétude les nouvelles de la crise et le manque d’alternative à la télévision. (…) Nous n’arrivons pas à faire entendre nos propositions, y compris parce que les médias sont détenus par la bourgeoisie » . Le principal groupe médiatique brésilien, Rede Globo, servirait selon lui de « parti idéologique » et de lieu où se construit l’unité de la « classe dominante » [Entretien avec João Pedro Stédile, «[ Au Brésil, les classes dominantes ont abandonné le pacte d’alliance passé avec Lula et Dilma », Mémoire des luttes, 4 août 2015. ]]. Un peu comme Fox News est devenue aux Etats-Unis le bras armé du Parti républicain.

Fox News appartient à M. Rupert Murdoch. Le Sun britannique et le Wall Street Journal aussi. A priori, le lien entre une chaîne d’information continue dont raffolent les retraités américains, un journal anglais connu pour ses scandales et ses seins nus et le grand quotidien new-yorkais des milieux d’affaires ne saute pas aux yeux. Mais l’objectif de M. Murdoch est de constituer une puissance qui en impose, pas d’imaginer une quelconque complémentarité éditoriale au service du public. Et puis, quel rapport aussi entre un quotidien populaire comme Le Parisien-Aujourd’hui en France , Radio Classique et Les Echos , si ce n’est l’identité de leur propriétaire commun, M. Bernard Arnault ? La même observation vaut pour Libération, RMC, L’Express et BFM TV, sur lesquels M. Drahi désormais veille. Sans oublier Direct Matin , Canal Plus et CNews (ex-iTélé), que M. Bolloré dirige avec une brutalité remarquée.

Or, en l’absence d’une résistance dans des salles de presse de plus en plus inquiètes et dépeuplées ou d’une législation contraignante, chaque concentration favorise la suivante. En mai dernier, M. Francis Morel, PDG des Echos, expliquait en ces termes le rachat par le groupe de presse de M. Arnault du Parisien-Aujourd’hui en France : « J’ai redressé Les Echos, mais cela ne suffit pas. Un acteur ne peut rester isolé dans un univers en pleine concentration, sous peine de se mettre en danger. En analysant le marché, l’option la plus logique était celle du Parisien [«[ Le PDG du groupe Les Echos défend le rapprochement avec “Le Parisien” », Le Monde, Paris, 27 mai 2015. ]] »

Quatre mois plus tard, M. Nonce Paolini, PDG de TF1, estimait à son tour que la « consolidation » d’un secteur des médias désormais quadrillé par des mastodontes capitalistes était devenue telle que plus rien ne justifiait qu’on interdise à son entreprise, comme un an auparavant, de déployer sa chaîne d’information continue LCI sur la TNT gratuite : « Il n’y a plus de groupes isolés et fragiles, seulement des acteurs puissants qui investissent. La crainte de voir certains acteurs fragilisés par l’arrivée de LCI en clair n’est plus d’actualité [«[ TF1 défend un nouveau projet pour le passage de LCI en TNT gratuite », Le Figaro, Paris, 15 septembre 2015. ]]. » De fait, à l’aune de la trentaine de milliards d’euros de capitalisation boursière du groupe de M. Drahi (qui vient tout juste d’acquérir BFM TV) ou des 9 milliards d’euros de trésorerie nette du groupe de M. Bolloré (qui resserre son contrôle sur iTélé), TF1 va bientôt passer pour un petit artisan désargenté. En tout cas, un gouvernement insuffisamment respectueux des vaches sacrées du libéralisme aurait quelque souci à se faire s’il trouvait face à lui trois chaînes d’information continue de ce genre…

Comment espérer faire connaître
des analyses dissidentes ?

M. Arnault, on le sait, fut le témoin de mariage de M. Nicolas Sarkozy, auquel M. Bolloré prêta son yacht peu après son élection à l’Elysée [Lire Marie Bénilde, «[ M. Sarkozy déjà couronné par les oligarques des médias ? », Le Monde diplomatique, septembre 2006.. ]] Gageons que M. Drahi, encore peu connu en France, deviendra vite aussi bien introduit que MM. Arnault et Bolloré dans les milieux politiques. Deux directeurs de journaux employés de son groupe, Laurent Joffrin et Christophe Barbier, devraient l’y aider, l’un familier de M. François Hollande, l’autre de Mme Carla Bruni-Sarkozy. De toute façon, ce genre de relations s’acquiert sans effort quand on dispose d’un groupe de presse tentaculaire adossé à plusieurs milliards d’euros. En juin dernier, M. Xavier Niel (compagnon de la fille de M. Arnault) s’est rendu à une réception célébrant le mariage de la directrice exécutive de sa holding personnelle, Mme Anne-Michelle Basteri, avec M. Pierre Moscovici, ancien ministre des finances socialiste et actuel commissaire européen à l’économie. Il y a naturellement croisé le président de la République . [Marie Bordet, «[ Anne-Michelle Basteri, la gardienne de l’empire Niel », Le Point , Paris, 14 septembre 2015. ]]

Nulle spécificité française en la matière. En 2012, un rapport officiel relatif aux dérives sensationnalistes d’un hebdomadaire britannique, News of the World, appartenant à M. Murdoch relevait déjà que « les formations politiques qui se sont succédé au pouvoir et dans l’opposition ont tissé avec la presse des liens incestueux qui ne répondent guère à l’intérêt général. (…) Les actionnaires, directeurs et rédacteurs en chef des journaux britanniques ont appris dans les meilleures écoles à exercer un lobbying subtil dans le lacis des amitiés personnelles et professionnelles [ Le Monde diplomatique a publié de larges extraits de ce rapport dans son édition de janvier 2013 («[ Ce rapport qui accable les médias britanniques »). ]] . » Novice sur ce terrain et peu enclin à s’y risquer, M. Corbyn sait ce qui l’attend. Sa victoire a d’ailleurs été saluée par le Sunday Times (dont M. Murdoch est également propriétaire) par ce titre ruisselant d’entrain : « Corbyn déclenche la guerre civile au Labour ».

Dans de telles conditions d’adversité idéologique et médiatique, comment espérer faire connaître des analyses dissidentes au-delà de ceux qui sont déjà attirés, voire convaincus par elles ? Il est tentant de répondre en invoquant les cas spectaculaires où le tir de barrage de la propagande a échoué, par exemple les référendums français de mai 2005 et grec de juillet 2015. Lors de ces scrutins, l’indignation suscitée par l’unanimisme des médias dominants a même constitué un instrument de mobilisation populaire important, s’ajoutant au simple refus du traité européen de 2005 ou du diktat de la « troïka » dix ans plus tard. M. Stathis Kouvelakis, un des dirigeants de la gauche grecque, estime par exemple que « le fait que le camp du “oui” ait mobilisé des politiciens détestés, des commentateurs, des chefs d’entreprise et des célébrités des médias n’a fait qu’enflammer une réaction de classe » favorable au « non » [Entretien avec Stathis Kouvelakis, «[ Greece : The struggle continues », Jacobin, 14 juillet 2015. ]]. C’est dire que ne pas engager de combat contre le système de l’information dominante constitue une erreur de calcul autant qu’une faute intellectuelle. D’autant que la critique des médias sert souvent de point d’entrée en politique à de nouvelles générations, aussi saturées de nouvelles et de commentaires que défiantes envers le journalisme professionnel.

A la longue,
la traque de propos sulfureux
devient un exercice vain

Toutefois, d’éventuelles victoires resteront sans lendemain et l’indignation impuissante, sans une refonte radicale du système d’information. En décembre dernier, Le Monde diplomatique a proposé un projet allant dans ce sens [Pierre Rimbert, «[ Projet pour une presse libre », Le Monde diplomatique ,décembre 2014. ]]. À présent, il faut avancer ; nous nous y emploierons, forts de notre indépendance [Lire Serge Halimi, «[ “Le Monde” et nous », Le Monde diplomatique, juin 2010. ]].

Les problèmes du journalisme traditionnel se poseront bientôt — se posent déjà — au journalisme numérique. Imaginer que les promesses de la Toile vont enfanter un autre type d’information de masse, dégagé des logiques de rentabilité et de domination qui se déploient ailleurs, constitue par conséquent un pari perdu d’avance. L’existence d’un site marginal qui nous plaît et que nos amis aussi apprécient ne confère à celui-ci aucune puissance particulière, aucun impact supplémentaire dès lors que nous ne sommes que quelques-uns à le consulter, à le consommer. Vraisemblablement les mêmes qu’avant, mais derrière un clavier. Doit-on alors se scandaliser et abreuver tous ses contacts de tweets rageurs ? A la longue, la traque de propos sulfureux dont on va pouvoir s’indigner de concert avec ses amis devient un exercice lassant et vain.

Pour armer ses combats, mieux vaut chercher à comprendre. Au risque de ne jamais être compris soi-même par les professionnels des « unes » racoleuses, des intellectuels à la mode et des campagnes de dénonciation ronflantes — Le Point qui inlassablement aimerait associer notre critique de l’Europe libérale à l’extrême droite, Marianne qui semble imaginer que la menace djihadiste, dont les journalistes de Charlie Hebdo ont éprouvé la terrible réalité le 7 janvier dernier, sera conjurée par ses coups de trompette contre l’Etat islamique et par les puissantes analyses de Pascal Bruckner [[Le 27 novembre 2013, Le Point a placé Le Monde diplomatique dans le camp des « néoconservateurs à la française » (titre du dossier), puis le 30 octobre 2014, dans celui de « la gauche Zemmour ». Le 28 août 2015, Marianne a plutôt estimé que Le Monde diplomatique s’était donné pour mission d’ « anoblir Daech » … ]].

Heureusement, notre singularité semble rencontrer quelques échos. Depuis 2009, nous faisons chaque année appel à nos lecteurs pour que leurs dons et leurs abonnements consolident notre indépendance. En 2014, les deux ont progressé de concert. Avec 296 000 euros (contre 242 000 euros l’année précédente), les dons que nous avons reçus via l’association Presse et pluralisme ont représenté près du triple de nos recettes publicitaires. Le nombre de nos abonnés a quant à lui enregistré une hausse de 8,7 % entre août 2014 et août 2015. Enfin, nos ventes au numéro sont également en progression depuis quinze mois de suite.

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Il est donc probable que 2015 marquera le premier rebond de notre diffusion depuis 2008 (voir le graphique ci-dessus) . Ces résultats, s’ils se confirment, seraient d’autant plus encourageants qu’ils s’inscrivent à rebours d’une tendance générale [[Entre juillet 2014 et juin 2015, la presse payante grand public a enregistré un recul de 5,4 % de sa diffusion. ]]. Nous publierons nos comptes le mois prochain, mais disons-le d’emblée : grâce à votre mobilisation et à vos dons, notre situation financière s’est améliorée. La constance de votre soutien nous permettra à la fois d’engager de nouveaux projets — dès ce mois-ci, notre site fait peau neuve ; bientôt, nous disposerons d’une base d’archives multilingue — et d’espérer maintenir en 2016 notre tarif au niveau qui était le sien trois ans plus tôt. Votre appui nous procurera aussi les ressources grâce auxquelles nous pourrons amplifier notre effort éditorial, y compris à une période où le terrain tremble autour de nous.

Le règne des émotions destinées à être avalées, digérées, oubliées

Nous disposons de petits moyens, mais nous nourrissons de grandes ambitions.

Quand toutes sortes de colères s’expriment, la culture de la vitesse, du ragot, du coup de gueule médiatisé, de l’à-peu-près peut répondre à des raisons commerciales et servir des intérêts industriels, mais elle comporte des risques immenses, politiques et sociaux. Le démantèlement du code du travail au prétexte de favoriser l’emploi, des murs contre les migrants au prétexte de maintenir la cohésion nationale, une nouvelle expédition militaire au prétexte de contenir la guerre…

Dans un climat idéologique aussi lourd, un journal indépendant n’est pas de trop. Il s’adresse à des lecteurs qui réclament du recul, qui en ont assez d’être bombardés d’informations sans importance, d’anecdotes personnalisées, de « débats » confectionnés par les médias, d’émotions destinées à être avalées, digérées, oubliées. Il encourage les résistances là où tant d’autres s’emploient à les écraser.

Serge Halimi

SYRIE: TROIS CONDITIONS POUR UNE SOLUTION POLITIQUE

pdf-3.jpg jacquesfathinternational

le 9 octobre 2015

Avec l’intervention de la Russie, la crise syrienne est entrée dans une nouvelle phase. Les évolutions les plus récentes montrent qu’il s’agit bien d’une crise stratégique globale. Et si l’on veut bien réfléchir à ses causes réelles on constate aisément que la problématique n’est pas seulement syrienne mais plus globalement arabe.

Une crise de tout le monde arabe.

Les conséquences immédiates de la confrontation donnent une idée du caractère exceptionnel de cette crise : 240 000 victimes ; 11 millions de réfugiés et déplacés (soit environ la moitié de la population du pays), des centaines de milliers de personnes qui forcent le passage des frontières pour obtenir un droit d’asile dans quelques pays de l’Union européenne…

Les plus grandes puissances mondiales, des dizaines d’Etats, un bras de fer d’alliances politico-militaires contradictoires, une confrontation à l’arme lourde avec des blindés, des engagements aériens et maritimes… On s’est rapproché sensiblement des formes d’une vraie guerre même si l’asymétrie des forces et des moyens subsiste.

Dans un contexte aussi préoccupant, de lourdes questions se posent: jusqu’où l’extension de l’islamisme politique djihadiste et terroriste pourra-t-elle se prolonger? Pourquoi une telle carence d’alternative? Pourquoi une telle polarisation dans l’extrémisme, la violence et la cruauté? Comment trouver une issue dans cette impasse tragique? Faut-il aller chercher les causes dans ce que Pascal Bruckner appelle «une guerre impitoyable au sein de la civilisation islamique entre chiites et sunnites…»? (débat avec R. Brauman, Le Monde 02 10 2015).

Ce serait – n’en doutons pas – une façon de masquer les causes sociales et politiques de la crise, pourtant essentielles, ainsi que les évidentes responsabilités extérieures, notamment celles des puissances occidentales.

Si l’origine des problèmes pouvait se réduire à ce que P. Bruckner appelle « une guerre de tous contre tous » en Libye, au Yémen, en Syrie, en Irak, en Afghanistan… alors, autant prétendre que les musulmans sont seuls responsables de ce qui leur arrive…

Voilà une bien curieuse façon de comprendre la complexité des événements de l’histoire, sauf, une fois encore, à transformer celle-ci en choc des civilisations pour mieux essentialiser et stigmatiser un peuple et une religion….

Une fois encore, cela pose la lancinante question du rôle de ceux qu’on appelle des intellectuels, en tous les cas le petit nombre de ceux qui ne cessent d’obtenir les faveurs des médias dominants.

Bien sûr, les facteurs idéologiques – en l’occurence, religieux – ont une portée considérable. Ils légitiment les actions, les allégeances et les alliances…

Mais la crise syrienne trouve ses origines compliquées dans l’histoire et la mémoire, dans les politiques de l’Etat, mais aussi dans les guerres occidentales, les humiliations et les dominations…c’est à dire tout ce qui fait concrètement le vécu d’un peuple face aux enjeux politiques et stratégiques qui pèsent sur son existence sociale.

L’épuisement des régimes issus de la décolonisation…

Il faut saisir cet enchevêtrement contradictoire et très diversifié des facteurs pour comprendre une crise qui n’est pas seulement syrienne. Ce que rappelle le retour à l’autoritarisme en Egypte, l’écrasement militaire du mouvement social à Bahrein, le chaos laissé par l’OTAN en Libye, l’éclatement yéménite…

Un monde hier en espérance, aujourd’hui en convulsions et en effondrement.

Un monde arabe où dans chacune des confrontations, les droits humains fondamentaux, l’aspiration démocratique, l’idée même d’humanité sont dramatiquement mises en question, ta ndis que l’État lui même, son existence en tant qu’institution de « pérénisation » du politique, est directement mis en cause.

On comprend aujourd’hui à quel point la crise prend racine dans l’épuisement des régimes issus de la décolonisation, du nationalisme arabe et du rêve panarabe qui se sont cristallisés après la seconde guerre mondiale.

Les peuples ne supportent plus des pouvoirs en place incapables de leur offrir un avenir. Ils rejettent leur autoritarisme, leur violence répressive, leur corruption. Le «Parti de la résurrection arabe socialiste», ou parti Baas en Syrie, n’a pas échappé au rejet populaire puisque dès le mois de mars 2011 de grandes manifestations pacifiques pour la démocratie se sont développées dans l’ensemble du pays, comme version syrienne de ce qu’on appela le Printemps arabe.

Ce mouvement fut volontairement et immédiatement réprimé par le sang dans une répression extrêmement brutale. Le régime de Bachar El Assad rechercha et obtint rapidement un affrontement militarisé qui brisa l’élan populaire en profitant aux forces politiques les plus radicales – qui sont aussi les plus réactionnaires – de l’opposition islamiste. Le processus ainsi engagé a produit un éclatement et une sévère déstabilisation du pays avec l’avancée militaire du djihadisme le plus barbare, marginalisant les autres formations en particulier celle se réclamant de la démocratie.

La suppression symbolique de la frontière syro-irakienne par l’Organisation de l’État islamique (OEI) se présenta comme une mise en cause des frontières étatiques issues du colonialisme. Il s’agissait de nourrir un discours anti-occidental radical, de légitimer des conquêtes territoriales et un pouvoir politique par une interprétation fondamentaliste et rigoriste – en réalité fanatique et approximative – de l’Islam. Un Islam prétendument de pureté et des origines… comme si cette religion du Livre n’était pas, elle aussi, une grande histoire intellectuelle et sociale.

Ce fanatisme a su s’appuyer sur la force, sur la peur, sur l’instrumentalisation cynique de la désespérance sociale et de cette profonde colère populaire devant tant d’injustices, tant d’ingérence extérieures, et si peu de perspectives.

Le poids déterminant des politiques de puissance

La rhétorique anti-occidentale de l’islamisme politique n’a cependant rien d’un exercice abstrait. Elle a prise sur les immenses et légitimes ressentiments populaires quant aux guerres occidentales menées en Irak, notamment en 2003, mais aussi sur le soutien et l’impunité inacceptables dont bénéficie l’État d’Israël dans sa politique de colonisation et d’occupation militaire du territoire palestinien.

On peut dire que la crise syrienne est le fruit de tout ce qui fait les dominations, les humiliations, les espoirs, les résistances et les luttes des peuples du monde arabe au 20è siècle et jusqu’aujourd’hui..

Les attentes sociales et démocratiques, l’espérance de changements politiques, l’exaspération des peuples continuent de se heurter à des régimes de dictature, des forces ultra-réactionnaires, des paroxysmes de violence et de guerre, des ingérences extérieures permanentes…

C’est une impasse si étroite que le débat public témoigne quotidiennement de l’incapacité à dire quelle pourrait être la solution, qui pourrait être des partenaires crédibles – s’il y en a de possibles -, quel adversaire principal faut-il identifier… entre une dictature tortionnaire et un djihadisme criminel.

En vérité, cette impasse est en grande partie l’héritage de l’impérialisme et de la domination des puissances occidentales.

Il est le fruit du soutien hypocrite constant des grandes puissances aux despotismes locaux.

Il est aussi le résultat de l’emprise économique, des intérêts stratégiques et énergétiques du monde capitaliste dominant.

Il est enfin le bilan désastreux de ce qu’on ose encore appeler (20 ans après sa création) un «partenariat euro-méditerranéen». Celui-ci, en effet, n’a jamais contribué, si peu que ce soit, à la solution des grands problèmes des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, en particulier le règlement tant attendu de la question de Palestine.

L’impasse n’est donc pas seulement celle des régimes arabes. Elle est aussi (et peut-être d’abord) celle que l’on doit aux puissances extérieures dominantes.

L’histoire et l’actualité de leur hégémonie néo-impériale est une cause de l’effondrement en cours au Proche-Orient. L’exploitation et le commerce des hydrocarbures, les ventes d’armes, la préservation et l’extension des zones d’influence, les accords stratégiques avec Israël et des régimes arabes peu fréquentables … Tout cela continue de former le contexte et les causes réelles de la crise.

On comprend que certains – intellectuels ou pas – cherchent à désigner les contradictions entre différentes confessions musulmanes comme l’origine essentielle de la crise. Cela permet d’exonérer les politiques de puissance, les dominations d’hier et d’aujourd’hui, les alliances répréhensibles qui conduisent le droit et l’éthique à se noyer dans l’océan des intérêts financiers.

Une histoire de longue durée

Devant les cruautés de la tragédie syrienne, personne ne peut dire : on ne savait pas. C’était imprévisible… Depuis plus de 35 ans, en effet, les événements se succèdent, la crise des régimes et des sociétés arabes ne cesse de croître.

Déjà, en 1979, trois faits majeurs, qui ont pesé lourd dans les évolutions du monde, auraient dû servir d’alerte, et imposer au moins une réflexion lucide et critique. Il s’agit de la révolution en Iran, de l’invasion soviétique en Afghanistan et de l’installation de Chadli Benjedid en Algérie qui mit en œuvre une politique de réformes néolibérales.

C’était, en quelque sorte, l’annonce d’une progression de l’islamisme politique dans le contexte d’un rejet politique et identitaire de l’Occident et d’une crise sociale aggravée.

L’assassinat de Sadate Sadate en 1981, la décennie noire des années 90 en Algérie… ont montré aussi à quel niveau d’instabilité et de violence peut conduire le mépris des aspirations démocratiques et sociales… Jusqu’à la négation même de celles-ci par des forces ultra-sectaires fanatisées.

Pourtant, les puissances occidentales ne se sont vraiment préoccupées de la crise syrienne qu’à partir du moment où l’image atroce des supliciés décapités a franchi le seuil des médias. Et plus récemment encore, avec l’afflux massif de réfugiés créant une situation à laquelle l’Union européenne s’est montrée incapable de faire face… Sinon en cherchant à interdire l’accès au territoire européen…Mais comment empêcher d’entrer plus d’un million de personnes décidées à forcer les frontières pour échapper à la guerre et au terrorisme ?

Il fallait donc bien faire quelque chose en Syrie. Et les puissances occidentales, États-Unis en tête, ont décidé de faire – sans excès ou précipitation – ce en quoi elles prétendent exceller : des bombardements. Des bombardements contre l’OEI, désignée cible privilégiée afin de laisser la possibilité d’accords avec d’autres groupes armés… Un jeu fallacieux, manifestement risqué et sans grande efficacité. Au final, les bombardements de la coalition sous direction des États-Unis n’ont pas permis de faire reculer l’Organisation de l’État islamique. Les combattants équipés et formés par Washington sur des terrains voisins ont cédé avec armes et bagages aux djihadistes, quant à la réorganisation et à l’entrainement des forces armées irakiennes, elle se révèle être un échec depuis plus de dix ans dans un contexte de crise politique aiguë en Irak. C’est un fiasco stratégique.

Quand la Russie comble un vide stratégique

C’est dans cette situation que la Russie décida d’intervenir directement, elle aussi par des frappes aériennes, en installant en Syrie un dispositif militaire très substantiel.

Elles se concerta avec l’Arabie Saoudite, parrain de ceux qu’elle allait bombarder, ainsi qu’avec Israël, officiellement neutre…

Mais on sait que les autorités de Tel Aviv ont choisi de faire soigner dans leurs hôpitaux des centaines de combattants djihadistes blessés pour les laisser ensuite retourner au combat… On note au passage que l’hypocrisie du discours israélien sur le terrorisme atteint des sommets.

Les puissances occidentales et l’OTAN ont d’abord émis des doutes sur les cibles frappées par la Russie en accusant Moscou de vouloir soutenir et protéger Damas plutôt que de frapper l’OEI. Elles ont ensuite dramatisé au maximum la violation de l’espace aérien turc par les avions russes. Le Secrétaire général de l’OTAN, dans le même esprit, fit semblant de s’inquiéter et de s’indigner en constatant que la Russie n’a pas choisi de coordonner ses opérations avec les Occidentaux.

Ces postures alimentent la tension – elles sont faites pour cela – mais elles sont formelles. Ce que les pays de l’OTAN redoutent, en vérité, c’est la signification et les effets de l’interférence de la Russie dans le dossier politique et stratégique.

Moscou veut d’abord aider Damas à reprendre, dans les régions d’Idlib et Hama, des zones prises par une coalition djihadiste et salafiste constituée il y a quelques mois grâce au soutien politique et militaire de l’Arabie Saoudite, du Qatar et de la Turquie.

La Russie déclare bombarder l’ensemble des organisations concernées sans masquer ni un soutien tout à fait explicite au régime de Bachar El Assad, ni la volonté d’empêcher que se brise ou s’affaiblisse l’axe Téhéran, Damas, Hezbollah.

Quant à la violation de la frontière et de l’espace aérien de la Turquie, on peut estimer qu’il s’agit là d’une mise en garde directe à Ankara qui, de son côté, n’a cessé d’aider les djihadistes – y compris ceux de l’OEI – à se jouer de la frontière turco-syrienne pour attaquer le régime baasiste.

Remarquons que les pays de l’OTAN sont d’ailleurs plutôt mal placés pour dénoncer une violation du droit international, eux qui bombardent en Syrie sans le moindre mandat des Nations-Unies et sans sollicitation légale.

L’enjeu réel n’est évidemment pas le respect du droit.

Les puissances occidentales cherchent les moyens d’un changement de régime en Syrie. La Russie veut en revanche conserver celui-ci, probablement davantage qu’elle ne souhaite sauver Bachar El Assad à sa tête. Vladimir Poutine et d’autres dirigeants russes ont d’ailleurs plusieurs fois parlé de compromis et de réformes politiques.

On est dans une confrontation de puissance de grande envergure. Les frappes de la Russie ont d’ailleurs une dimension très politique : montrer que la puissance russe est une réalité et que les États-Unis ne sont pas seuls à pouvoir intervenir sur le cours des relations internationales… Et faire ainsi la preuve que la Russie est en capacité de remplir le vide stratégique laissé par l’échec américain en Syrie. Moscou contraint Washington à négocier des canaux de communication militaires afin d’éviter des accrochages ou des accidents.

Même le front ukrainien – est-ce un hasard ? – est aujourd’hui plus calme que jamais. Le cessez-le-feu tient. On peut imaginer que la Russie ne veut pas gérer deux fronts à la fois… L’ordonnancement politico-militaire de Poutine a donc bouleversé les données du conflit… Jusqu’où?

Les difficiles conditions d’une issue politique.

Si les frappes américaines n’ont pas réussi à faire reculer l’OEI, qu’en sera-t-il des bombardements russes? Tout le monde comprend, surtout après l’échec de Washington, qu’une campagne aérienne ne peut à elle seule faire la décision.

Les troupes djihadistes ne peuvent reculer qu ‘avec une offensive au sol. Des forces russes sont-elles en train de s’y engager avec l’armée syrienne et les alliés de Bachar El Assad, Iran et Hezbollah compris? L’intervention de la Russie ouvre la possibilité d’une modification du rapport des forces, une consolidation du régime de Bachar El Assad. Mais peut-elle contribuer à une solution véritable? Avec à la clé une défaite du djihadisme et un compromis politique sur le pouvoir à Damas? Rien n’est moins sûr.

Ouvrir le chemin d’une solution durable suppose une autre politique et la réalisation de trois conditions .

Premièrement, il est nécessaire de trouver les moyens d’une alliance ou d’une convergence politiques qui puisse surdéterminer les intérêts et les stratégies particulières des puissances régionales.

Il faut réunir des forces militaires locales dans une stratégie d’attrition – comme disent les militaires – pour être en capacité de l’emporter sur le djihadisme tout en établissant un contexte de sécurité régionale.

Dans une situation de polarisation extrême des politiques d’Etat au Proche-Orient, alors que domine l’antagonisme entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, un tel objectif semble difficile à atteindre.

Mais ne faut-il pas un tel effort d’ouverture, de multilatéralisme et de responsabilité collective face à la menace d’un islamisme politique surarmé, aux grandes prétentions de dominations dans le monde arabe et aux pratiques sociales confinant à la sauvagerie?

Les politiques de puissance de Washington et de Moscou offrent surtout un chemin de rivalités régionales et de risques stratégiques importants.

Il faut travailler au dépassement de cette configuration que l’OEI comme les autres formations djihadistes sauraient instrumentaliser à leur profit, comme elles le font déjà.

Deuxièmement, une issue politique doit être recherchée par une concertation de tous les États aujourd’hui impliqués dans la crise, Russie et Iran compris.

Un compromis de pouvoir devrait inclure toutes les forces, y compris l’armée ou une partie de celle-ci, qui veulent en finir avec les atrocités du régime.

Il faut contribuer à une ouverture du champ politique en Syrie en aidant les courants politiques, les dirigeants, toutes les forces désireuses de construire une telle perspective et un avenir plus démocratique.

Il ne s’agit pas de décider à la place des Syriens, de dialoguer tranquillement avec Bachar, mais de trouver des alliés, d’aider à élargir l’espace politique, à recréer de l’espoir. Nul ne dit que c’est facile, mais ne pas agir pour favoriser une transition et surmonter la crise interne serait une faute aux sérieuses conséquences pour tout le monde.

Qui peut y contribuer ? On a peine à imaginer les autorités françaises capables de dépasser leur tropisme militaro-atlantique, leur propension à privilégier les ventes d’armes et de Rafales.

Mais il faut, quoi qu’il en soit, affirmer la nécessité d’un changement de la politique étrangère française, exiger un retour à l’ONU et au multilatéralisme, pousser à une action collective européenne autonome…

La ligne d’intervention de la France devrait être le dépassement des confrontations de puissance, la recherche d’accords au Conseil de Sécurité, le dialogue entre l’Iran et l’Arabie Saoudite… afin d’ouvrir l’espace politique et diplomatique.

Cette crise syrienne, qui est une crise de tout le monde arabe et une confrontation globale de puissance, mérite qu’on prenne la hauteur nécessaire et la détermination qui s’impose. Est-ce trop demander?

Troisièmement, on mesure la gravité de la crise syrienne, qui touche à l’ensemble des relations internationales, qui s’ajoute au conflit ukrainien et à tous les autres. Ce cumul des dangers appelle à une forte implication citoyenne, mais aussi de toutes les autorités morales et sociales, les institutions susceptibles de peser dans la balance : le Secrétaire général de l’ONU, la Ligue arabe (à condition qu’elle trouve un accord en son sein…), les syndicats, les églises, les organisations pacifistes et de la solidarité…

L’exigence immédiate d’une baisse des tensions et d’un recul des confrontations armées se fait pressante.

Ceci est d’autant plus nécessaire que la possibilité d’une nouvelle grande guerre internationale ou guerre mondiale est maintenant régulièrement évoquée dans le débat public. Ce ne sont pas seulement des «prophètes» irresponsables ou de faux spécialistes qui s’expriment ainsi.

Jacques Attali, dans une interview au quotidien belge Le Soir (le 12 septembre 2015) énonce que «la guerre se rapproche. C’est sûr – dit-il – elle se prépare».

Pour Laurent Fabius, interrogé sur Europe 1 (le 5 octobre 2015), il y aurait aujourd’hui des risques de confrontation militaire mondiale…

Pour l’hebdomadaire L’Obs (No du 8 au 14 octobre) la question est maintenant posée: «la troisième guerre mondiale a-t-elle commencée?»

Bien sûr, nul n’affirme que le compte à rebours est enclenché, mais la thématique politique et idéologique est lancée.

Que valent de telles anticipations? Qui peut prétendre être capable de prévoir l’avenir dans une telle situation internationale? Y-a-t-il vraiment un risque de nouveau grand conflit international? Ou bien les crises actuelles restent-elles sous contrôle?

Anticiper ainsi la guerre mondiale, dans un contexte de rivalités de puissances, est-ce un choix de dramatisation pour diaboliser ceux qu’on veut désigner comme des adversaires stratégiques? N’est-ce pas, précisément, courir le risque d’une exacerbation des tensions?

L’escalade dans cette crise syrienne est très problématique, mais il faut constater l’absence d’un enjeu stratégique et global mondial qui rendrait la marche à une 3ème guerre mondiale inéluctable ou possible entre des alliances sous direction des États-Unis et de la Russie.

Le contexte international est très différent. Il est celui d’une multiplicité compliquée de conflits, de visées stratégiques et économiques contradictoires dans des situations différenciées qui doivent beaucoup aux impasses sociales et politiques, à l’écrasement des aspirations populaires, aux effondrements institutionnels dans les pays concernés…

Ce sont les causes profondes des crises qu’il faut mettre dans le débat public en montrant comment les antagonismes de puissances fabriquent des ennemis au lieu de construire des convergences d’intérêts.

Il faut sortir de l’instrumentalisation de la mouvance de l’islamisme politique et du djihadisme et contribuer en commun à répondre aux attentes démocratiques et sociales des peuples.

Mais il faudrait pour cela une révolution dans la pensée stratégique et les choix politiques. C’est à dire une vraie volonté d’engager un changement dans les déterminants de l’ordre international.

On en est pas encore là… Il reste que devant la précipitation des événements des inquiétudes grandissent.

Et ces nouvelles formules du discours politique qui nous prédisent la guerre mondiale sont préoccupantes. Elles doivent faire l’objet d’analyses critiques et d’approches alternatives. Elles ont cependant une vertu : celle rappeler l’exigence incontournable du combat pour la paix, le désarmement, les conditions de la sécurité internationale et le règlement des conflits, la démilitarisation des relations internationales.

On peut dire que tout est possible… sauf qu’on ne peut jamais gagner les batailles qu’on ne mène pas./.

(09 octobre 2015)

BRUXELLES- 15-16-17 OCTOBRE- CADTM: MARCHES – MANIFESTATIONS – CONFÉRENCE EUROPÉENNE SUR LA DETTE

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COMMUNIQUÉ


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La semaine prochaine, des Marches venant des quatre coins de l’Europe convergeront vers Bruxelles.

L’objectif : porter au niveau européen le OXI (NON) du peuple grec,

  • encercler le sommet du Conseil européen (le 15 octobre 2015),
  • débattre (le 16 octobre 2015)
  • et manifester (le 17 octobre 2015).

Toutes les informations sont disponibles sur le site OX15.

Si vous êtes à Bruxelles, ou dans les parages, vous pouvez en tout cas bloquer votre journée du 16 octobre pour une grande conférence européenne sur la dette, coorganisée par le CADTM et ATTAC Europe.

Au plaisir de vous y retrouver,

L’équipe du CADTM


CONFÉRENCE EUROPÉENNE SUR LA DETTE

Le 16 octobre, à Bruxelles, dans le cadre de 3 journées d’action contre l’austérité et les traités de libre-échange, une grande conférence européenne sur la dette accueillera des représentants des mouvements sociaux et des parlementaires européens:

Zoé Konstantopoulou, ex-présidente du Parlement Grec
Eric Toussaint, CADTM International
Thomas Coutrot, ATTAC France
Ludovica Rogers, Debt Resistance UK
Philippe Lamberts, Groupe des Verts européens
Aïcha Magha, ACiDe et FGTB Wallonne
Miguel Urban, Podemos Espagne
Myriam Djegham, CSC, MOC Belgique
Michel Husson, Collectif d’Audit Citoyen (CAC), France
Marco Bersani, président d’ATTAC Italie
Chiara Filoni, CADTM Belgique
Diarmuid Ó Floinn, Parlementaire Irlandais
Thanos Contargyris, ATTAC Grèce
Bruno Théret, économiste français

Coorganisée par le CADTM et ATTAC Europe,

cette grande conférence se déroulera à

l’Auditoire Dom Helder Camara, Rue Plétinckx, 19 (siège de la CSC),

de 9h30 à 17h30.

Entrée libre.

Plus d’infos sur cette page.


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#DEBTOVER

Les comptes rendus de l’Université d’été sont en ligne !

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Retrouvez en ligne des enregistrements audios, des textes, des diaporamas et bien sûr des photos de l’Université d’été 2015 du CADTM Europe.


Voir aussi sur le site du CATM

[CADTM-INFO]

le dernier [BULLETIN ÉLECTRONIQUE –

du Mardi 6 octobre 2015->http://cadtm.org/Bulletin-electronique]

Voir dans le navigateur

ÉDITO

Comme nous l’avons communiqué à travers plusieurs articles, la Commission d’audit de la dette grecque continue son travail.

Lors de la journée de clôture de leur session de septembre, Éric Toussaint, coordinateur scientifique de la commission, a répondu à tous ceux et toutes celles qui répètent depuis plusieurs mois qu’il n’était pas possible de faire autrement qu’un accord d’austérité et de casse (prolongée) de toutes les conquêtes sociales acquises par les Grecs.

« La situation n’aurait pas été catastrophique si le gouvernement Grec avait suivi les recommandations de la Commission, à n’en pas douter, elle aurait même été meilleure». Après l’imposition de politiques d’ajustement mortifères, un allègement de la dette grecque aura peut être lieu sous la forme d’un report des calendriers de remboursement mais l’accord de juillet ne contient pas de traces d’ une hypothétique restructuration de la dette, a affirmé Éric Toussaint.

Notons aussi que la restructuration de dette, loin d’être une formule miracle, représente souvent un piège pour les pays débiteurs. Comme le dit Renaud Vivien dans une tribune publiée dans Libération, « l’Histoire montre que les restructurations de dettes sont pilotées par les créanciers pour servir leurs intérêts».

Nous consacrons d’ailleurs le premier numéro thématique de notre revue Les Autres Voix de la Planète à cette épineuse question des restructurations de dette. Vous pouvez vous abonner en allant visiter cette page.

Suite aux travaux de septembre, la Commission a publié un communiqué, déclarant le troisième Memorandum et l’accord de prêt d’août 2015, illégaux, illégitimes et odieux.

Nous suivons toujours activement la situation au Burkina Faso, où le peuple, grâce à ses mobilisations auxquelles la jeunesse a grandement participé, a fait échouer la tentative de coup d’État menée par le RSP (Régiment de sécurité présidentiel), une milice créée par l’ex-dictateur Blaise Compaoré.

Vous pouvez lire plusieurs articles de Bruno Jaffré, le biographe de Thomas Sankara, mais aussi une interview récente d’Humanist, membre du Balai Citoyen, tous deux présents à l’Université d’été du CADTM.

Dans le cadre de mobilisations européennes contre le TTIP, de nombreuses activités auront lieu à Bruxelles la semaine prochaine.

Le 16 octobre, l’Assemblée citoyenne européenne sur la dette aura pour objectif la construction d’un débat stratégique sur la dette, l’austérité et les solutions alternatives en Europe.

De nombreux représentants de mouvements sociaux européens et des membres d’audits citoyens seront présents.

DOSSIER SPÉCIAL GRÈCE

Le 13 juillet 2015, malgré la victoire éclatante du Non/OXI à l’austérité lors du référendum du 5 juillet (62% de Non contre 38% de Oui), les créanciers ont imposé au premier ministre grec un accord inacceptable.

Ensuite, dans la nuit du 15 au 16 juillet, le parlement grec a ratifié ce nouveau mémorandum grâce à l’apport des partis de droite alors que Syriza se divisait.

Le rapport intermédiaire de la Commission d’audit de la dette grecque établit que la dette réclamée à la Grèce est presque entièrement illégitime, illégale et odieuse. À la suite des élections du 20 septembre, un gouvernement Syriza-Anel a été reconduit mais cette fois sans représentants de la gauche de Syriza, la grande majorité ayant quitté le parti.

La Commission pour la vérité sur la dette grecque s’est réunie en septembre et a statué sur l’illégitimité et l’illégalité des dettes liées au 3e mémorandum.

Lire le dossier

pour lire la suite, aller sur le site du CADTM


QUEL AVENIR POUR L’ALGÉRIE? “L’EXPLOSION OU L’OUVERTURE“

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Entretien.

par Abdou Semmar

ALGERIE FOCUS

le 7 octobre 2015

Chercheur et diplômé en droit et en histoire des universités Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Paris 2 Panthéon-Assas, Massensen Cherbi poursuit actuellement des études doctorales dans ces deux disciplines. Ses thèmes de recherche sont centrés sur l’Afrique du Nord. Il à son actif plusieurs communications faites dans de nombreuses écoles supérieures en France comme l’École des hautes études en sciences sociales (ou EHESS) et la Sorbonne. Il a animé également des tables-rondes à l’Hôtel de ville de Paris et publie régulièrement des articles dans les colonnes de la presse française afin d’y décrypter l’actualité algérienne et maghrébine. Dans cet entretien accordé à Algérie-Focus, il analyse les récentes évolutions politiques et économiques en Algérie et leur impact sur la société algérienne. Il nous parle aussi de son livre universitaire intitulé Algérie qui vient de paraître aux éditions De Boeck Supérieur (Albin Michel), dans la collection Monde arabe-Monde musulman dirigée par Mathieu Guidère, islamologue, professeur à l’Université de Toulouse 2.

Propos recueillis par Abdou Semmar

Algérie Focus: En tant que chercheur en droit et en histoire, quel est votre regard sur l’évolution actuelle de l’Algérie qui connaît de nombreux bouleversements politiques et économiques ? Selon vous, l’Algérie, fermée et sécuritocratique, pourra-t-elle devenir un pays ouvert, démocratique et tourné vers le développement?

Massensen Cherbi: Force est de constater que malgré un retour relatif à la sécurité depuis une quinzaine d’années, rien n’est allé dans le sens ni d’une ouverture économique ni d’une ouverture politique du pays. C’est ainsi qu’après avoir engrangé près de 600 milliards de dollars entre 2000 et 2012, l’économie algérienne reste toujours aussi dépendante des hydrocarbures, tout comme elle reste, en comparaison de la Tunisie et du Maroc, le pays le moins attractif en matière d’investissements étrangers, et même le moins incitatif en matière d’investissements nationaux comme le démontrent les différents blocages opposés à l’industriel Issad Rebrab. Notons cependant que la chute du prix des hydrocarbures depuis un an pourrait s’avérer une chance pour le pays, tout comme après le contre-choc pétrolier de 1986 elle avait conduit à l’ouverture démocratique et économique de l’Algérie. Dans l’absolu, le quasi-monopole du secteur des hydrocarbures sur les exportations algériennes n’est pas une fatalité, comme le prouve l’exemple indonésien évoqué par le politologue Mohammed Hachemaoui, alors que la démocratie n’est pas incompatible avec l’Algérie, ce que démontre l’exemple actuel du voisin tunisien, de même que l’ancrage ancien d’une certaine forme de démocratie endogène avec les tajma‘at-s/djamâ‘a-s – ou assemblées communautaires –, ainsi que le rappelait déjà Ferhat Abbas dans son indépendance confisquée en 1984. Reste donc à savoir si le régime en place pourrait s’ouvrir grâce à un Gorbatchev algérien, ou s’il va au contraire exploser avec des conséquences qui pourraient, au regard du passé du pays et du voisinage libyen, s’avérer très violentes, tant ce régime n’a cessé de déconsidérer et de diviser toute opposition crédible à même de lui succéder.

Vous venez de publier un livre intitulé Algérie, aux éditions De Boeck Supérieur. Il s’agit d’une introduction universitaire sur le pays en 144 pages. Qu’est-ce que vous y apportez de nouveau sur l’Algérie ? Qu’y avez-vous tenté de prouver?

Ce livre offre tout d’abord une synthèse pédagogique sur le pays en direction de ceux qui voudraient le découvrir ou le redécouvrir. On y trouve ainsi quantité de références universitaires de base, ainsi qu’un grand nombre d’auteurs clés à même de permettre au lecteur d’approfondir tous les sujets abordés dans les cinq chapitres du livre : Histoire/Géographie, Population, Politique, Economie et Culture/Société. Les richesses historiques et culturelles de l’Algérie y sont tout particulièrement mises en lumière, démontrant ainsi que le pays n’était pas une terra nullius avant 1830, lors de la colonisation française, c’est-à-dire un territoire dépourvu d’organisations politiques et de traditions endogènes. Plusieurs définitions clés sont présentées dans le livre afin de favoriser une meilleure compréhension du pays comme la ‘asabiyyad’Ibn Khaldûn, les élections à la Naegelen ou le dutch disease.

Parmi les originalités de ce manuel, j’ai beaucoup insisté sur les bouleversements violents et les ruptures profondes connus par la société algérienne durant l’époque coloniale et après l’indépendance, afin d’expliquer certains problèmes de l’Algérie actuelle qui singularisent très nettement le pays par rapport à ses voisins maghrébins, notamment en abordant la question du « déracinement » traitée par les sociologues Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad dans un ouvrage incontournable du même nom paru en 1964. J’ai, par ailleurs, expliqué l’absence de « printemps » algérien en 2011 par l’avortement en janvier 1992 de l’ouverture démocratique débutée en 1989, la Décennie noire des années 1990, la redistribution clientélaire du revenu des hydrocarbures depuis les années 2000, ainsi qu’une relative liberté d’expression héritée des réformes qui ont suivi octobre 1988. Alors que les trois premières causes suscitées ont clairement participé à désintéresser les Algériens de la politique, la dernière est paradoxalement allée elle aussi dans ce sens, puisque si les Algériens expriment régulièrement leurs revendications par des grèves ou des manifestations, c’est presque toujours sur des sujets particuliers (augmentation des salaires, redistribution de logements, gaz de schiste…), alors que les mouvements qui contestent plus spécifiquement le régime sont inaudibles, pas seulement parce qu’ils sont étouffés par les forces de l’ordre, mais aussi parce qu’il existe une réelle dépolitisation de la société algérienne. Le livre revient également sur plusieurs sujets assez méconnus comme celui de l’arabisation du pays. C’est ainsi que le slogan repris par plusieurs politiques : « Nous sommes des Amazighs arabisés par l’islam » est historiquement faux et simpliste, puisque les Indonésiens et les Turcs, bien qu’islamisés, n’ont pas été arabisés, alors qu’au XIIe siècle les Almohades avaient fait du berbère une langue institutionnelle et sacrée au Maghreb, jusqu’à lui donner une sorte de préséance sur l’arabe selon le médiéviste Mehdi Ghouirgate, et qu’encore au XVIe siècle le sultan de Tlemcen pouvait s’exprimer en tamazight d’après le linguiste René Basset. Cette question est donc beaucoup plus complexe qu’elle n’y paraît au premier abord.

Vous avez affirmé qu’”on ne parle généralement de ce pays que lorsqu’un attentat y a été perpétré ou qu’un terroriste en est originaire”. Pourquoi selon vous, l’Algérie fait l’objet d’autant de clichés négatifs et réducteurs?

Plusieurs raisons peuvent expliquer cette image désastreuse qui colle tant à l’Algérie. Notons qu’à la différence du Maroc, le pays n’entretient pas de véritable politique de soft power à même de promouvoir sa richesse culturelle à l’étranger, celle-ci étant d’ailleurs bien souvent méconnue des Algériens eux-mêmes. Cela pourrait s’expliquer par le syndrome hollandais dont souffre le pays en raison des forts revenus qu’il tire de l’exploitation des hydrocarbures, mais force est de constater que les pays du Golfe avec les mêmes richesses ont réussi à promouvoir leur image au-delà de leurs frontières. Il faut alors rappeler le passif de pays fermé hérité des premières décennies « socialistes » de l’indépendance et inconnu des pays du Golfe. Le pays reste d’ailleurs toujours fermé, puisqu’il n’y a pratiquement pas de tourisme en Algérie, excepté pour les affaires, et qu’il n’y a même pas, à la différence notable du Maroc, de véritable politique vis-à-vis de la diaspora, celle-ci étant presque totalement ignorée par les autorités algériennes. Evoquons aussi un certain ressentiment dans quelques milieux vieillissant de l’Hexagone restés nostalgiques de l’Algérie française, lesquels voient dans chaque tragédie qui secoue le pays un alibi pour réitérer leurs prises de position passées, alors qu’ils sont paradoxalement beaucoup plus indulgents vis-à-vis d’autres pays de la région dans des cas, pourtant, similaires. Enfin, on ne peut passer sous silence une certaine incompétence des gouvernants locaux. Ces derniers souffrent, par ailleurs, d’un manque de légitimité politique, alors que l’impunité dont ils jouissent, malgré leurs frasques, ne cessent d’être toujours plus connue du grand public, ce qui ne participe évidemment pas à améliorer l’image du pays.

Dans votre livre, vous avez, semble-t-il, établi une relation entre la mise en place du régime militaire algérien et l’assassinat du politique Abane Ramdane en 1957. Quelle est la relation exacte entre ces deux traumatismes de l’histoire algérienne?

L’assassinat d’Abane Ramdane a effectivement marqué un tournant dans la Guerre d’Algérie en consacrant l’échec du Congrès de la Soummam à imposer la primauté du politique sur le militaire. Il y eut d’abord la montée en puissance de Krim Belkacem, Lakhdar Ben Tobbal et Abdelhafid Boussouf, à l’origine de la mort d’Abane Ramdane, puis, à la défaveur des « 3 B », la montée en puissance de l’Etat-major général (EMG) du colonel Boumédiène contre le Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA). Ce que je veux dire par là, c’est que l’Algérie n’a jamais été gouvernée comme dans les pays de l’Est par un parti unique ou hégémonique, en l’occurrence le Front de libération nationale (FLN), mais par une caste de militaires qui s’est servie de ce parti comme d’un paravent afin de gouverner le pays. Comme tout le monde le sait, ça n’a jamais été au sein du comité central du FLN qu’ont été prises les grandes décisions de l’Algérie indépendante. On se souvient d’ailleurs de l’effacement de l’ex-parti unique dans les années 1990, ce qui n’a pas changé d’un iota la nature profonde du régime. Quant à Abdelaziz Bouteflika, s’il est en effet arrivé en 1999 à la présidence du pays en tant que civil et qu’à cette fonction il a vu progressivement disparaître ou démissionner les principaux généraux qui l’avaient intronisé, le cas récent du général Mohamed Mediène étant le plus emblématique, il faut néanmoins rappeler que ce civil doit toute sa carrière au colonel Boumédiène et qu’il s’inscrit à ce titre dans la continuité, malgré des guerres de clans intestines, du régime militaire qui s’est mis en place au courant de l’été 1962.

Vous avez aussi abordé les oppositions entre l’islam traditionnel, maraboutique et confrérique, et l’islam réformiste. Comment analysez-vous concrètement ces oppositions?

Ces oppositions sont apparues au début du XXe siècle en Algérie avec l’avènement depuis le Moyen-Orient de l’islâh – la réforme – et son opposition aux « innovations blâmables » de l’islam traditionnel maghrébin. C’est ainsi qu’assez rapidement après la fondation de l’Association des Oulémas en 1931, le courant maraboutique et confrérique qui y était représenté en a été exclu, suscitant à cette occasion de fortes dissensions au sein de la société algérienne. Si les zaouïas avaient joué un rôle majeur dans la résistance à la domination ottomane et à la colonisation française – pensez à l’insurrection de 1871 et au rôle joué par la Rahmâniya à cette époque –, l’islam maraboutique et confrérique fut néanmoins accusé d’avoir été instrumentalisé ensuite par les autorités coloniales. C’est ainsi qu’après l’indépendance, cet islam fut fustigé par le nouveau régime en place, alors que l’islam réformiste était promu, malgré la mise à l’écart des Oulémas, tardivement agrégés au mouvement nationaliste et opposés au « socialisme » des années 1960/1970. Cependant, avec l’avènement de l’islamisme politique dans les années 1980, après une période de relative sécularisation de la société algérienne, depuis « réenchantée du monde », le président Chadli fit marche arrière en 1991 avec la création de l’Association nationale des zaouïas, réhabilitant en quelque sorte l’islam traditionnel afin de contrer les islamistes. Cette politique a été considérablement accrue sous la présidence d’Abdelaziz Bouteflika en permettant à ce dernier de s’assurer, par le biais d’un islam confrérique désormais promu, des réseaux de clientélisme, phénomène étudié par Mohammed Hachemaoui.

Vous avez abordé l’histoire de l’Algérie dans plusieurs de vos chapitres. Mais, les jeunes algériens ne semblent pas avoir une grande connaissance de l’histoire millénaire de leur pays. A quoi cela est-il dû selon vous?

Il faut tout d’abord rappeler qu’il existait déjà dans la société algérienne et maghrébine traditionnelle une rupture très forte entre le passé antique et le passé islamique. La première période avait ainsi été totalement oubliée, faisant dire à l’historien Yves Modéran que les connaisseurs de l’Antiquité nord-africaine ressentent un « choc brutal » à la lecture des textes médiévaux sur le Maghreb, et ce alors même qu’en comparaison les Perses, bien qu’islamisés, avaient conservé une certaine mémoire de leur passé antique durant la période musulmane. Il est ensuite nécessaire d’évoquer la crise au sein du nationalisme algérien de 1948-1949 où s’est posée la question de savoir si l’Algérie était arabo-islamique, selon la définition de Messali Hadj, ou si elle était algérienne. Comme vous le savez, la seconde option issue d’une motion de Rachid Ali Yahia n’a pas été retenue et les tenants de l’Algérie algérienne ont été écartés du mouvement « nationaliste », voire assassinés. Cet épisode est essentiel pour comprendre une certaine schizophrénie identitaire dans l’Algérie post-indépendante. En effet, nonobstant l’oubli ou la minoration du passé antique du pays, le fait de retenir essentiellement le passé « arabo-islamique » dans la définition de la nation algérienne a conduit à des absurdités historiques. Il faut ainsi avoir en tête que la domination arabe des Omeyyades sur le Maghreb-central n’a duré qu’à peine un demi-siècle, alors que la région a été gouvernée par des dynasties berbères pendant près de six siècles, sans compter trois siècles de présence ottomane.

Si des évolutions récentes ont été signalées dans la thèse de l’historienne Lydia Aït Saadi, notamment depuis l’introduction de l’amazighité dans la Constitution, force est cependant de constater qu’elles restent très largement insuffisantes. Ainsi dans l’éducation nationale où la littérature algérienne, ou relative au pays, est minorée – qui connaît par exemple en Algérie l’histoire de Massinissa et de Sophonisbe ? –, alors qu’elle est étudiée et célébrée ailleurs dans le monde. Prenez encore les études de droit, alors qu’en Europe on enseigne aux étudiants des matières qui leur permettent d’appréhender, à titre de culture générale, quel était le droit appliqué autrefois dans leurs pays, rien de tel en Algérie. C’est ainsi que le droit coutumier, qui était majoritairement appliqué dans les régions rurales du pays avant 1830, est à peine évoqué, si ce n’est totalement ignoré au profit de la seule charia, alors que l’on dispose à ce sujet d’une documentation considérable pour l’Algérie et le Maroc. Pensons aussi au cas du patrimoine matériel de l’Algérie, les vieilles médinas souffrent en effet d’un manque d’entretien manifeste, alors que le prix exorbitant de la nouvelle grande mosquée « bling-bling » d’Alger, actuellement en cours d’édification, suffirait à lui seul à toutes les restaurer en réhabilitant par là même ces architectures vernaculaires dont les Algériens sont aujourd’hui privés. Quant à l’histoire de l’Algérie depuis le coup de force de l’été 1962, son enseignement est évidemment un sujet tabou en raison de ce qu’il pointerait les origines et le défaut de légitimité du pouvoir en place.

Naguère, l’Algérie était un pays pluriel culturellement et ouvert à l’autre. Ne ressentez-vous pas qu’aujourd’hui elle est devenue un pays renfermé sur lui-même et malade de l’intolérance religieuse ? Quel est votre regard sur cette question?

L’Algérie n’est pas un pays renfermé sur lui-même, culturellement parlant, puisque bien souvent les Algériens s’ignorent eux-mêmes, jusqu’à devenir des étrangers dans leur propre pays. On peut même dire que l’Algérie est « fermée » et non pas « renfermée » sur elle-même, puisqu’elle est presque uniquement ouverte sur le Moyen-Orient ou l’Europe. Prenez la question linguistique : l’école algérienne n’enseigne pratiquement pas les langues du pays. Pour le tamazight, le linguiste Salem Chaker notait qu’en 2013 son enseignement ne touchait que 3% des élèves algériens, alors que vous connaissez le tabou et les tensions qui entourent l’enseignement de la derja, c’est-à-dire de l’arabe algérien et maghrébin. Cette absence des langues algériennes à l’école favorise chez l’élève l’apprentissage de la haine de soi. Celui-ci intègre en effet depuis son plus jeune âge que les langues parlées dans son pays sont méprisables, puisqu’elles ne sont pas dignes d’être enseignées, tout comme la culture algérienne et nord-africaine qu’elles véhiculent. Un Algérois deviendra ainsi, par le biais de l’école, plus proche culturellement d’un Irakien ou d’un Soudanais que de sa grand-mère kabyle, chénouie ou mozabite, si ce n’est des Banû Mazghanna du Moyen-Age ou de Buluggîn fils de Zîrî, le fondateur de Dzayer au Xe siècle qui ne parlait probablement que le berbère d’après le médiéviste Lucien Golvin. Quant au tabou qui entoure l’usage de la langue française, le livre souligne qu’avant 1830 les Algériens avaient déjà intégré dans leurs langues l’usage de mots occidentaux issus de la lingua franca. Tout cela pour dire qu’une identité ne peut pas être figée, surtout sur des fondements historiquement inexacts, mais qu’elle est nécessairement vivante et qu’elle peut-être plurielle sans être conflictuelle, loin des idéologies sources d’identités meurtrières, pour reprendre un titre fameux d’Amin Maalouf. Prenez l’exemple de la wilaya de Tizi-Ouzou. Celle-ci enregistre chaque année les meilleurs taux de réussite au baccalauréat, dont les épreuves se déroulent en arabe classique, alors qu’il s’agit de la wilaya la plus berbérophone du pays, en même temps que la plus militante quant à la question de tamazight, ainsi que celle où la langue française, ce « butin de guerre » selon l’expression bien connue de l’écrivain Kateb Yacine, est sans doute aujourd’hui la mieux maîtrisée du pays. A titre de comparaison, on aura beaucoup de mal à comprendre pourquoi un Etat majoritairement musulman comme le Pakistan n’a aucun complexe vis-à-vis de ses langues nationales ou de l’anglais, alors que l’Algérie en aurait un vis-à-vis du berbère, de la derja et du français. Notons enfin que c’est la derja qui est la langue officielle de Malte, tout comme le tamazight possède ce statut aux côtés de l’arabe au Maroc.

En ce qui concerne la religion, le livre rappelle que l’émir Abd el-Kader avait sauvé à l’aide des Maghrébins de Damas, les chrétiens syriens d’un massacre certain en 1860, alors que durant la Deuxième Guerre mondiale le groupe kabyle des Francs-tireurs et partisans diffusait en France un tract en berbère appelant à sauver les populations juives : Am arrach-negh,Comme nos enfants. L’enseignement de l’islam reste cependant problématique, notamment quand on se souvient que l’islamologue Mohammed Arkoun avait été expulsé d’une conférence sur la pensée islamique organisée dans son propre pays par un religieux étranger et qu’aujourd’hui ce penseur, connu partout dans le monde, est un illustre inconnu pour la plupart de ses compatriotes d’origine, alors que le moindre cheikh moyen-oriental est en Algérie une célébrité incontournable. Afin de mieux appréhender le fait islamique, l’enfant de Taourirt-Mimoun recommandait d’intégrer les approches historiques et anthropologiques dans son enseignement. Par ailleurs, si le christianisme a précédé l’islam en Afrique du Nord, il est intéressant de remarquer la grande ignorance des Algériens vis-à-vis de cette religion, historiquement celle de leurs ancêtres, et notamment de son auteur le plus fameux, Saint Augustin, un fils du pays qui est lu et étudié dans le monde entier, excepté en Algérie, alors qu’a contrario les plus grands islamologues sont souvent des Européens de culture chrétienne.


6-9 OCTOBRE 2015 – TOULOUSE-3èmes JFCA: – LES AMI-E-S D’AVERROES

►HOMMAGE À EDMOND CHARLOT

MARDI 6 OCTOBRE 2015 à 20H 00

À L’ESPACE DES DIVERSITÉS ET DE LA LAÏCITÉ

38-rue d’Aubuisson

À l’occasion du centenaire de la naissance d’une personnalité marquante des deux rives de la Méditerranée : libraire-éditeur exceptionnel, galeriste et homme de radio E. Charlot est un des personnages clé de l’édition française et précurseur de l’amitié franco-algérienne.

● Évocation de la mémoire de François MASPERO,

libraire-éditeur, journaliste, écrivain et figure de l’engagement des intellectuels français dans le combat contre la guerre d’Algérie.

Avec la participation de :

  • Guy DUGAS, professeur des universités, critique de la littérature judéo-maghrébine et coordinateur du centenaire de la naissance d’Edmond Charlot.
  • Abdelmadjid KAOUAH, journaliste, poète et critique littéraire et Danièle CATALA, comédienne.

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►YEUX DE MOTS ◄

MERCREDI 7 OCTOBRE 2015 à 18h 30

À L’ESPACE DES DIVERSITÉS,

38- rue d’Aubuisson

Projection du court métrage ‘Yeux de mots’.

Film réalisé par les élèves du Lycée ‘Les Arènes’

suivi d’un débat en présence des jeunes réalisateurs, leurs professeurs et les protagonistes du film.

  • En présence d’Amar Mohand AMER,

    historien algérien, chercheur au CRASC d’Oran (Algérie).

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►FRANCE-ALGERIE ◄

JEUDI 8 OCTOBRE 2015 à 18 H 30

À L’ESPACE DES DIVERSITÉS ET DE LA LAÏCITÉ,

38, rue d’Aubuisson

Table ronde intitulée

‘Comment débarrasser le présent du passé colonial ?’

Avec la participation de :

  • Amar Mohand AMER,

    historien algérien, chercheur au CRASC (Université d’Oran)
    Jacques PRADEL, universitaire et président d’une ONG travaillant sur la mémoire.

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►DENIS MARTINEZ ET LA POÉSIE ALGÉRIENNE : ENTRE ART ET LITTÉRATURE ◄

VENDREDI 9 OCTOBRE 2015 à 18H30

LIBRAIRIE FLOURY,

36-rue de la Colombette

Rencontre avec le peintre algérien Denis MARTINEZ.

Vente-dédicace d’ouvrages de l’artiste.

●Hommage à Tahar DJAOUT.

Ecrivain, poète, romancier et journaliste algérien, il fut l’un des premiers intellectuels victime du terrorisme islamiste.

Merci de faire suivre dans vos réseaux et vos contacts

LES AMI-E-S D’AVERROES


MENSONGES, PROPAGANDE ET LA VRAIE HISTOIRE DES ETATS-UNIS ET DU MONDE MUSULMAN

pdf-3.jpg NOUS SOMMES EN GUERRE CONTRE UN ISLAM IMAGINAIRE

par Raymond William Baker [[Extrait de son ouvrage: «Un islam, de nombreux mondes musulmans, spiritualité, identité et résistance à travers les terres d’Islam» Oxford University Press, 2015. Partielle traduction sur la base du texte publié sur le site internet «Salon.com (inter-titres du traducteur) ]]

Traduit Par Mourad Benachenhou

Le Quotidien d’Oran – L’actualité Autrement Vue

octobre 2015

La propagande américaine, au service de notre empire, exagère le pouvoir et la dépravation morale de l’ennemi islamique.

UN ISLAM FABRIQUÉ, SANS RELATION AVEC LE CORAN

Les Etats-Unis sont en guerre contre un islam de leur propre fabrication, très différent et mythique, n’ayant rien à voir avec l’islam du Coran. Pour comprendre cette menace conjurée, les études académiques de l’islam et des mouvements islamiques ne sont d’aucun secours. Même l’examen de l’histoire du monde réel et de la pratique de l’empire a une valeur limitée, à moins que la dimension islamique perçue soit prise en compte. Le projet impérial américain ne peut être clarifié sans une évaluation de la rationalité distincte que l’imaginaire islamiste offre.

La tâche n’est pas aisée. L’imaginaire islamiste n’a pas une existence simple et unifiée. C’est plutôt un amalgame complexe qui met sous une forme composite et évolutive à la fois les élucubrations de l’empire et une menace illusoire contre le pouvoir impérial.

UN ISLAMISME QUI N’EXISTE PAS EN DEHORS DES INTEÉRÊTS IMPEÉRIAUX

C’est un « tout difficile, » dans le langage de la théorie utile de la complexité. L’imaginaire islamiste, à la différence de l’islam même, et des mouvements politiques s’inspirant de l’islam, n’existe pas en dehors des intérêts impériaux qui le forment. Cet islamisme n’a pas de réalité indépendante, culturelle ou historique, en dehors de son rôle de menace prédatrice contre les intérêts occidentaux globaux.

Pour mettre en œuvre et rationaliser son projet expansionniste qui doit rester non reconnu et non exprimé, l’empire américain demande un ennemi, qui prend la forme de l’islam de son imagination. Les deux éléments de l’imaginaire et de l’empire évoluent en conjonction.

LA RONDE MACABRE DU PRÉDATEUR ET DE SA PROIE

Les besoins d’un empire menacé et victime vulnérable changent avec le temps. L’imaginaire islamiste se transforme pour satisfaire ces besoins. L’imaginaire et l’empire entrent dans une ronde du prédateur et de sa proie. Leurs rôles sont interchangeables, signe clair qu’ils ne sont pas entièrement réels. Le prédateur est la proie, la proie est le prédateur. Ils se développent en tandem dans un processus complexe d’adaptation mutuelle. Les frontières entre le réel et l’imaginaire disparaissent et, finalement, c’est l’imaginé qui hante nos imaginations et conduit nos politiques.

DES PLANS D’INVASION ARRÊTÉS DEPUIS LONGTEMPS

Le crime contre l’humanité commis le 11 septembre 2001 a eu la conséquence non intentionnelle de servir les plans expansionnistes grandioses des néo-conservateurs qui ont dominé l’administration du président Bush. Il manquait seulement un ennemi pour rendre possible la mise en œuvre de cette politique.

Du magasin de l’imagination historique occidentale furent sorties les vieilles images d’un islam hostile. Les terroristes islamistes constituaient, sous une forme crédible dans l’esprit d’une Amérique effrayée, la «menace à la civilisation» dont a besoin tout empire pour justifier ses actes violents de domination.

Ainsi naquit l’imaginaire islamiste au service de la version néo-conservatrice de l’empire. L’administration a utilisé toutes les ressources de contrôle des médias à sa disposition pour s’assurer qu’aucun lien ne soit établi entre le crime du 11 septembre et ses politiques moyen-orientales injustes, comme les instruments sanglants que les Etats-Unis ont forgés pour les mettre en œuvre. Les plans américains pour renverser les Talibans et occuper l’Irak, et israéliens pour «résoudre» par la violence le problème palestinien, étaient tous en place avant le 11 septembre.

LA DIMENSION ISRAELIENNE

La version la plus exhaustive des plans des néo-conservateurs pour faire avancer les intérêts américains et israéliens a trouvé son expression dans un document politique écrit en 1996, pour le compte de Benjamin Netanyahu, du Likoud, qui venait d’être élu Premier ministre d’Israël. Ce document est intitulé: «Rupture claire, une nouvelle stratégie pour renforcer le royaume.»

Ce document appelle à «une rupture totale avec le processus de paix, à l’annexion des territoires occupés et de Gaza, et à l’élimination du régime de Saddam en Irak, comme prélude à des changements de régime en Syrie, au Liban, en Arabie saoudite et en Iran. Tous les auteurs de ce document sont devenus des acteurs influents lors du second mandat de Bush.

Une Amérique innocente et blessée a redéfini son rôle au Moyen-Orient comme le champion de la démocratie et le rempart contre les sources islamiques de l’irrationalité qui de manière ostensible nourrissait le terrorisme global. Le scénario était en place pour l’évocation de l’imaginaire islamiste.

LA MANIPULATION DE L’ISLAM, UNE LONGUE HISTOIRE

Il y avait déjà une pratique américaine établie de manipuler l’islam, y compris dans ses versions les plus rétrogrades et les plus violentes, pour faire avancer les objectifs impériaux.

Cependant, cette fois-ci, les planificateurs stratégiques rompirent avec le format établi en instaurant une innovation de taille. À chaque moment stratégique critique, l’Amérique a fait usage d’une forme existante d’islam qui pouvait être ajustée pour répondre à ses besoins.

Dans chacun de ces cas, la dimension islamique dérivait d’un islam «trouvé,» qui trouvait son origine dans la satisfaction des besoins des acteurs locaux. Cet islam avait ses propres racines indépendantes dans le sol du monde islamique et servait, en priorité, des objectifs identifiables propres aux régimes ou mouvements existants. L’administration Bush chercha à innover une variante distinctive sur la base de ce schéma général, d’une façon qui clarifierait les nouvelles dimensions culturelles et intellectuelles de l’exercice de la puissance à l’échelle du globe. L’Irak devint le cas de référence.

Selon l’administration Bush, les colonisés sont les propres artisans de leurs malheurs, et leurs propres échecs invitent, si ce n’est exigent la colonisation. Il n’y a pas de meilleur moyen d’innocenter l’Occident de son histoire documentée d’occupation violente et d’exploitation du monde musulman.
On élimine ainsi l’attention qui pourrait être portée sur une évaluation sérieuse de la domination américaine au Moyen-Orient, et de ses politiques destructives en Palestine, en Afghanistan et, de manière plus dramatique, en Irak.

L’ISLAMISME IMAGINAIRE, L’ISLAM PRÉFÉRÉ DE L’ADMINISTRATION AMÉRICAINE

La vision préférée de l’administration de Bush est décrite de manière plus claire et plus argumentée dans une étude de la Rand Corporation. Le livre (écrit par Cheryl Bernard en 2003) porte le titre engageant de «L’islam démocratique : partenaires, ressources et stratégies» ; Bernard pose la réalité d’une menace islamique comme prémisse de son argumentation.

Selon sa formulation, le monde entier, et pas seulement les USA, est la victime innocente et le témoin vulnérable des désordres internes tumultueux dans le monde islamique. Elle se demande: «Quel rôle le reste du monde menacé et affecté comme il l’est par cette lutte, peut-il jouer pour amener à une situation plus pacifique et plus positive?» Bernard affirme clairement que ces dangereux drames du monde musulman sont auto-infligés. Elle écrit que «la crise actuelle de l’Islam a deux composantes : l’incapacité de prospérer et la perte de la connexion avec le courant global. Le monde musulman a été caractérisé par une longue période d’arriération et d’impuissance relative» .

Elle note gravement que «le monde musulman est en disharmonie avec la culture globale contemporaine, situation inconfortable pour les deux côtés. »

UTILISER L’ISLAM CONTRE LES MUSULMANS

L’évaluation de Bernard élimine toute référence à la colonisation occidentale du monde islamique et aux dommages physiques et psychologiques que ces violents assauts ont causés. Il n’y a aucune allusion à la présence impériale américaine dans le monde musulman, à travers un réseau impressionnant de bases en expansion constante. Il n’y a aucune référence aux voies par lesquelles cette présence freine le développement autonome. Il n’y a également aucunes références aux actes maladroits de constantes interventions économiques et politiques américaines, visant à mettre en échec l’autonomie économique et politique.

Israël, fortement armé avec toutes sortes d’armes de destruction massive, occupant cruel, et superpuissance régionale, disparaît totalement de l’analyse de Bernard. Ces réalités brutales sont estompées par l’imaginaire islamiste.

C’est seulement en cachant ces réalités que Bernard peut prendre comme certains les fondements irrationnels de la menace islamiste. Son analyse jette la lumière sur les voies par lesquelles les menaces habituelles contre la sécurité nationale, et présentées par des Etats organisés, dont l’exemple est l’Union Soviétique pendant l’ère de la Guerre froide, sont remplacées par le défi d’acteurs non étatiques, opérant au-dessous de l’horizon de l’Etat-nation.

Pour confronter cette menace, elle défend la nécessité pour les planificateurs stratégiques américains de faire de l’islam une ressource.

En bref, comme ses prédécesseurs, Bernard est dans la profession de la manipulation stratégique de l’islam, pour servir les fins économiques et politiques américaines. Elle évoque un islam malléable qui peut être transformé en un instrument de confrontation des islams de la résistance, tout en servant avec docilité les finalités américaines.