HOCINE AÏT AHMED N’EST PAS RÉCUPÉRABLE. IRRÉMÉDIABLEMENT, IL A PRIS LE CAMP DE LA SOCIÉTÉ CONTRE LE RÉGIME.

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NON, AÏT AHMED N’EST PAS RECUPERABLE PAR LES CLANS, IL EST L’HOMME DE LA NATION

Saïd Djaafer, directeur éditorial du Huffington Post Algérie

Huffpostmaghreb

le 25 décembre 2015

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La mort de Hocine Aït Ahmed donne lieu à des expressions de reconnaissance venant même de ceux qui l’ont constamment insulté, dénigré et qui ont menti sur lui avec un aplomb extraordinaire. C’est inévitable et ses proches, sa famille, qui ont l’élégance du défunt sont obligés de faire avec et de laisser passer, d’attendre que la poussière retombe…

Pourtant, avouons-le, il nous est insupportable d’entendre Ammar Saadani dire, avec une absence de pudeur qui nous hérisse, que Hocine Aït Ahmed, « comme Boudiaf et même Bouteflika… ont fait l’objet d’injustice de la part de petits ».

Il nous est insupportable de l’entendre dire que lui et son clan veulent la démocratie que voulait Hocine Aït Ahmed. C’est faux. Hocine Aït Ahmed a combattu un régime autoritaire avec tous ses clans, par conviction et sans aucune compromission.

Il nous est insupportable d’entendre de la part d’un représentant d’un clan du régime suggérer que Hocine Aït Ahmed ait besoin d’une quelconque « réhabilitation ». Cela est indécent de la part d’un représentant qualifié d’un régime qui a dilapidé le capital historique et humain d’une des plus grandes révolutions du 20ème siècle.

Que ses proches nous pardonnent d’exprimer notre colère en ces temps de recueillement, Ammar Saadani, ne s’étant pas contenté de faire le minimum protocolaire mais a rompu la trêve de la pudeur.

Il faut donc lui rappeler que Hocine Aït Ahmed a combattu l’ensemble du régime avec sa police politique et ses meutes d’aboyeurs politiques et médiatiques qu’il lâchait contre les militants de la démocratie et de la liberté.

Il faut donc lui rappeler que Hocine Aït Ahmed n’a jamais, au grand jamais, joué un clan contre un autre et qu’il les considérait, tous, comme faisant partie d’un même régime, d’une même entreprise de saccage systématique de l’énorme potentiel de notre nation.

Hocine Aït Ahmed était bien dans l’opposition au régime mis en place à l’orée de l’indépendance, il n’était pas seulement opposé « à certains responsables dont il contestait le mode de gouvernance et la méthode de gestion. », selon la formule de Bouteflika.

Non, Hocine Aït Ahmed n’est pas récupérable. Irrémédiablement, il a pris le camp de la société contre le régime. Et ce n’est pas une déclaration scandaleusement opportuniste de M.Saadani qui changera les choses.

Hors de question d’apporter une quelconque légitimité à certaines parties du régime contre d’autres. Ils font partie, pour lui, du même désastre.

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Il était ce que vous nous avez empêché d’être

Hocine Aït Ahmed, contrairement aux éléments de langage que le régime a fourni à ses fonctionnaires politiques et à ses médias, n’a jamais été un homme qui ne dit « que non ». C’était un grand homme politique, un dirigeant responsable, soucieux d’éviter que le pays n’éclate en morceaux en raison de l’impéritie de ceux qui le gouvernent.

Et même s’il ne tenait pas en grande estime ceux qui détenaient le pouvoir, il a toujours affiché sa disponibilité à discuter la recherche d’un compromis vertueux pour faire sortir le pays et la société de la régression, pour aller vers le rétablissement de la souveraineté de peuple et sortir d’une confiscation aux conséquences désastreuses.

Disponibilité au compromis mais intransigeance absolue sur sa finalité qui ne peut être qu’un sortie ordonnée et pacifique vers l’Etat de droit et la démocratie. Hors de question de participer à la guerre des clans ou de l’alimenter.

C’est ce qui rendait absolument pitoyables ces journaux qui ont « vu » Hocine Aït Ahmed avec le général Toufik à l’aéroport de Boufarik ou ceux qui n’en finissaient pas de trouver les preuves du « deal ».

Ce n’est pas aujourd’hui qu’on instrumentalisera SI L’Hocine. Aucun clan ne peut l’utiliser car il était contre le système des clans. Il n’était pas contre Toufik pour être avec Bouteflika ou Saadani.
Trop grand pour ces mesquineries. Il avait une autre idée de la politique et de l’Algérie.

Il était jusqu’au bout ce rêve d’une Algérie humaine, plurielle, moderne et citoyenne que les clans nous ont empêché d’avoir. Et de voir. Et que nous voulons toujours.

Laissez-nous donc enterrer Hocine Aït Ahmed, sans vos pitreries, sans vos opportunismes. Laissez les Algériens saluer le départ d’un grand sans vos parasitages. Que l’on ne nous force pas à aller plus loin. Ne nous forcez pas à rompre la trêve de la pudeur.

Qu’on se le dise: Hocine Aït Ahmed n’a pas besoin d’une « réhabilitation » de la part du régime, de ses hommes, de ses clans. Il est au paradis des révolutionnaires, dans le cœur des femmes et des hommes. Dans nos cœurs.

Sources: Huffpostmaghreb.com


HOCINE AIT AHMED

L’HOMME QUI AIMAIT LES MILITANTS ET LES ALGÉRIENS

HuffPost Algérie

Par Saïd Djaafer

le 24 décembre 2015

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Ceux qui lisent ou relisent, les «Mémoires d’un combattant, l’esprit d’indépendance» de Hocine Aït Ahmed (republié et traduit en arabe aux éditions Barzakh) découvrent une chose assez rare : les notes de renvoi en bas de page sont aussi importantes que le récit.

On ne les lit pas en «passant », on s’y informe. On y découvre des noms d’une multitude de militants que le jeune Hocine Aït Ahmed a côtoyés durant la période couverte par le livre, 1942-1952. C’était un témoignage respectueux pour ces faiseurs, peu connus en général, de l’histoire que les règles du récit obligeaient de les présenter de manière succincte.

LIRE AUSSI : Hocine Aït Ahmed, combattant de l’indépendance et infatigable militant de la démocratie en Algérie est mort

On lit le livre avec ses notes de bas de page en découvrant ce grand réservoir de militants sur lesquels on ne connait pas grand-chose. Quand on rencontre Hocine Aït Ahmed, il pouvait s’étaler longuement sur ces noms – et d’autres qui jalonneront son parcours – pour en parler avec respect, affection et aussi avec humour.

Hocine Aït Ahmed était un militant. Il aimait les militants. Il aimait leur parler, les toucher, leur donner des tapes sur le dos, les plaisanter, les chambrer. Il aimait en parler. Pour lui, c’est cette multitude de militants qui a fait le mouvement national et la révolution.

Les dirigeants «historiques » – il n’aimait pas particulièrement ce terme – sans en amoindrir leur rôle étaient portés par l’abnégation de ces militants qui n’auront pas les honneurs des journaux ou des manuels d’histoire.

Et ces notes de bas de page succinctes devenaient dans sa bouche des récits extraordinaires sur les femmes et les hommes du mouvement national dont le carburant essentiel a été – et il le demeurera pour lui-même après l’indépendance et ses nouveaux combats – une quête de dignité, une affirmation d’humanité.

Parfois, le nom ne revenait pas – et il s’en excusait avec humour, «mon cerveau est un disque dur qui est plein, on ne peut pas le formater me disent les médecins, il faut juste rebooter » – mais il persistait. Il avait trouvé la technique : il racontait la situation toujours avec humour, le décor, le nom du lieu… et par magie, le nom du militant revenait. Son visage s’illuminait alors d’une vraie joie d’enfant. Et ce nom, il le répétait plusieurs fois, comme pour s’excuser de l’avoir oublié…

Une lutte permanente pour la dignité

Ce combattant au long cours connaissait les servitudes du militantisme dans une adversité absolue, cet arrachement permanent au confort de l’abandon et du renoncement, du refus de la réflexion et de l’engagement. Il connaissait l’énorme effort sur soi que le militant, sous le poids d’une menace existentielle permanente, devait faire constamment pour renouveler la flamme, pour se renouveler.

Il avait un immense respect des militants, ces déblayeurs de terrain, ces fabricants de progrès et de perspectives. Il n’acceptera jamais le fait que le régime qui s’est mis en place à l’indépendance a décidé que l’indépendance pouvait se passer de la liberté et des libertés. Il a continué, lui, avec d’autres à militer contre cette régression, ce coup d’arrêt brutal au mouvement d’émancipation de la société algérienne.

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Une lutte sans concession. Cet homme «historique» restera fidèle au combat premier : la dignité pour lequel on s’est battu, pour laquelle on est mort, ne pouvait s’accommoder de la chape de plomb militaro-policière qui s’est mise en place à l’indépendance. Une confiscation à laquelle il ne s’est jamais résigné. La primauté du politique sur le militaire, c’était en définitive, la primauté du citoyen, l’affirmation de sa souveraineté. C’était la primauté du militant politique sur l’agent de la police politique.

Hocine Aït Ahmed a dirigé l’OS (organisation spéciale) C’était en quelque sorte un militaire. Il n’avait pas la naïveté de croire que l’Algérie indépendante pouvait se passer d’une armée ou de services de renseignements. Mais il avait la conviction absolue, totale, que ces instruments ne devaient pas se substituer à la nation et ni exercer, au nom de la légitimité révolutionnaire, une tutelle sur la société.

La police politique et les « dobermans »

Il a toujours combattu l’existence d’une police politique et il savait qu’il lui devait la campagne de dénigrement systématique qui le présentait comme un séparatiste, un agent de l’impérialisme… Il rendait les coups parfois à ces «dobermans » qui, dans les médias, se piquaient de lui faire des leçons de patriotisme.

LIRE AUSSI : [Mécili: « Comprendre, se souvenir, pas pour se venger mais pour sortir du cauchemar… » (Hocine Aït Ahmed)

 >http://www.huffpostmaghreb.com/2015/09/09/ali-mecili-ait-ahmed_n_8108300.html?1450940819]

Il a été écœuré par l’outrance de la campagne de haine et d’accusation de «traîtrise » qui l’a ciblée ainsi que Abdelhamid Mehri – avec qui il a retrouvé une vieille complicité de militant – après la signature de la plateforme de Rome.

Ce rejet de la police politique relève de sa conviction démocratique. Mais il y avait aussi une position éthique: quand la police politique phagocyte le champ social, on tue le militant, on fabrique des indicateurs, on tue le politique, on fabrique des marionnettes.
Et pour Hocine Aït Ahmed cette entreprise organisée d’élimination du militant et du militantisme était le plus grand tort fait à l’Algérie. Une régression, un appauvrissement qui peut mener à l’asservissement dans un monde dangereux où les puissants n’hésitent pas à fabriquer des guerres pour remodeler les pays.

Cette vision globale d’une Algérie – et d’un Maghreb uni – qui doit se donner les moyens par l’adhésion de la population et l’action des militants de toutes les tendances de se défendre recouvre une vision très moderne de la sécurité nationale.

Hocine Aït Ahmed avait en effet une vision très réaliste de ce que veut le «centre » : « l’ordre brutal du monde, du capitalisme colonial hier et de la globalisation néolibérale aujourd’hui, nous dit une seule et même chose: vous avez le droit d’être des peuples unis dans la soumission au colonialisme ou la dictature mais la démocratie et la liberté vous ne pouvez les vivre que comme des petites coteries, des clans, des ethnies, des sectes et que sais-je encore ! ».

Seules les libertés, celles-là qui permettent aux militants des différents courants de se concurrencer politiquement mais également de fabriquer en permanence un consensus national sont à même de nous prémunir d’une « fumisterie néocoloniale qui convient parfaitement à certains, qu’ils l’habillent d’extrémistes religieux, du despotisme des castes mercantilistes appuyées sur des dictatures militaires ou qu’il s’agisse des régionalismes racistes et belliqueux incapables de construire une route ou des tracés de pâturage entre deux communes sans provoquer une guerre!»

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Un dessein

Le chef politique et le chef militaire de l’OS en a tiré de manière définitive la conclusion de la supériorité morale, politique et même sécuritaire du militant sur l’agent et de la dangerosité absolue pour la nation du rôle assumé par la police politique.

Les dégâts de cette mise au pas, de cette entreprise systématique du discrédit du politique, de la manipulation des partis et des médias et de la dissuasion à l’action militante écœuraient Hocine Aït Ahmed. Pour lui, c’était une entreprise d’affaiblissement du pays, une dilapidation d’un capital humain inestimable, celui-là même dont on a besoin dans les moments difficiles.

Les militants pour Hocine Aït Ahmed n’étaient pas et ne sont pas des notes de bas de page. Ils sont beaucoup plus. Infiniment plus. Ils sont la nation qui se renouvelle sans cesse et qui accumule dans la liberté et la fidélité aux idéaux.

Un jour, au détour d’une longue discussion en privée à Alger, il nous disait son espoir de voir les jeunes Algériens, malgré les difficultés et malgré un environnement dissuasif, renouer avec le militantisme politique.

«Les militants politiques sont précieux, ils sont des citoyens en alerte, des vigilants. Ils sont engagés dans une action qui transcende leurs propres vies. Et dans notre cas, hier comme aujourd’hui, militer c’est être dans un dessein d’une société de progrès où les femmes et les hommes recouvrent leur dignité, leur humanité. Y a-t-il plus noble dessein que celui-là… ?»

Sources: Huffpostmaghreb


Frédéric LORDON, SYRIZA, PODEMOS, LE COMBAT CONTINUE

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img190-ee06e.jpgFrédéric LORDON

logo-labas.pngTEXTES À L’APPUI.

“là-bas si j’y suis”

le lundi 21 décembre 2015

2015 restera l’année de la Grèce. Un espoir formidable puis un échec face à une Europe de fer. Fallait-il sortir de l’Euro? À l’heure où Podemos fait une percée en Espagne, la question demeure. Dans notre émission du 18 septembre, Frédéric LORDON a retracé cette épopée. En voici la transcription.

Désormais, nous vous proposons une version écrite de certaines de nos émissions, «TEXTES À L’APPUI».

Notez que les éditions Les Liens qui Libèrent publient les articles de Lordon sur la Grèce: On achève bien les Grecs : chroniques de l’euro 2015.

Retrouvez le blog de Frédéric sur le site du Monde diplomatique « La pompe à phynance ».

Retranscription de l’intervention de Frédéric LORDON dans notre LÀ-BAS Hebdo n°24 du 18 septembre 2015, à écouter ici «FRÉDÉRIC LORDON: LA GRÈCE EST PASSÉE SOUS LA TABLE» ou à voir là «J’ai peur que Podemos finisse aussi mal que Syriza »

SOMMAIRE

  • Le grand débat autour de la sortie de l’euro
  • Le martyr des Grecs comme arme de dissuasion
  • Une sortie de l’euro, c’est possible. Comment ?
  • La sortie de l’euro : une révolution, d’abord intellectuelle
  • L’Europe ou les camps ?
  • No Podemos !
  • Et la gauche française dans tout ça ?
  • Unité Populaire ?

Daniel Mermet : En janvier dernier, quelques jours avant la victoire aux législatives du parti Syriza et la nomination d’Alexis Tsipras comme Premier ministre, nous étions déjà autour de cette table. Et tout de suite, tu nous as fait part de tes doutes. Ce qu’on a eu du mal à comprendre. Pour nous, c’était formidable, la gauche de la gauche arrivait en Grèce ! Aujourd’hui, force est de reconnaître que tu n’avais pas entièrement tort. Même si tu avais vraiment cassé l’ambiance ce soir-là !
Malgré tes doutes, cette victoire du 25 janvier nous a procuré un plaisir immense. C’était la première fois, depuis bien longtemps, qu’un pouvoir de gauche arrivait en Europe. Lors du référendum du 5 juillet autour de la crise de la dette publique, on a tous appris le mot formidable : « oxi », le « non » massif des Grecs aux nouvelles mesures de rigueur imposées par l’Europe. Malheureusement aujourd’hui, l’euphorie est retombée et on ne peut pas dire que l’heure soit aux grandes réjouissances. Même si cette séquence historique reste riche de promesses.

Frédéric Lordon: On va reprendre la chronologie des évènements. Ça commence avec les législatives très prometteuses de juin 2012, quand Syriza loupe d’un cheveu la majorité au Parlement. À la place, arrive aux manettes, le parti du Premier ministre Antonis Samaras (Nouvelle Démocratie), un gouvernement aussi vérolé que tous ceux qui l’ont précédé.
Le 25 janvier 2015, retournement de situation, Syriza remporte les législatives. Un moment extraordinaire parce que c’est la première véritable alternance politique en Europe depuis des décennies. L’espoir est considérable, même si l’avenir s’annonce rude pour les finances publiques grecques. L’échéancier 2015 du remboursement de la dette grecque est sacrément imposant. C’est à coup de milliards qu’ils allaient devoir payer le FMI ou la Banque centrale européenne.
Arrive le 21 février 2015, première étape significative : la Grèce et les ministres des Finances de la zone euro (Eurogroupe) signent un accord qui prolonge de quatre mois le plan d’aide à Athènes. Quatre mois de répit, avec une clause de revoyure en juin pour renégociation sérieuse. Laquelle, évidemment, se passe aussi mal que prévu, le mois de juin arrivé.
C’est alors que Tsipras fait un formidable coup stratégique : pour contrer l’ultimatum des créanciers, il décide d’en appeler au peuple par voie de référendum. Une façon de circonvenir les institutions européennes et de leur rappeler qu’en Europe, la démocratie existe. Une semaine de campagne échevelée démarre et le jour du référendum, c’est le raz-de-marée : le « non » au diktat de l’Eurogroupe gagne à plus de 60%. Un succès considérable.
Et c’est là que tout bascule à nouveau. Dans les deux jours qui suivent le referendum, Tsipras fait un tête-à-queue et repart exactement à l’opposé de ce vers quoi le propulsait l’appui populaire. Un vrai jeu de montagnes russes…

DM : Il était coincé, le camarade ! Obligé d’avaler un plat de couleuvres avec un revolver sur la tempe.

Frédéric Lordon: Dès le mois de janvier, j’ai compris qu’à partir du moment où Tsipras refusait par principe d’envisager l’option de la sortie de l’euro, il se privait du seul instrument stratégique à sa disposition pour essayer de contrebalancer, a minima, l’asymétrie du rapport de force entre la petite Grèce et les institutions européennes. Partant de là, les carottes étaient cuites ! Ou plutôt, elles étaient dans l’autocuiseur, le feu était allumé et il n’y avait plus qu’à attendre.

Le grand débat autour de la sortie de l’euro

DM : Selon toi, Tsipras a donc mal joué. Mais que pouvait-il faire puisque l’opinion grecque, elle-même, dit qu’elle ne veut pas sortir de l’euro!

Frédéric Lordon: Ce sont les sondages qui affirment que l’opinion grecque dit qu’elle ne veut pas sortir de l’euro. C’est très différent. Depuis quand fait-on de la politique au cul des sondages ? Parce que c’est exactement ce qu’a fait Tsipras ! Il s’est abrité derrière les sondages pour rationnaliser son incapacité radicale à envisager la sortie de l’euro. Mais qu’est-ce qu’un sondage qui, au débotté, pose une question aux gens sans leur avoir laissé le temps de s’en saisir, de la malaxer, individuellement ou collectivement ?
Je rappelle qu’en France, en janvier 2005, les sondages sur le traité constitutionnel européen donnaient le « oui » à 60%. Et finalement, au référendum du 29 mai, c’est le « non » qui est sorti dans les urnes à 55% ! Tout simplement parce qu’entre-temps, il y a eu cinq mois de débats intenses. Un moment démocratique et historique exceptionnel.
Ce que je reproche à Tsipras, c’est précisément de ne pas avoir engagé le capital symbolique et politique de sa victoire électorale, pour mettre l’opinion grecque au travail sur la question. Ce qui, malgré tout, n’a pas empêché les Grecs d’analyser tout seuls le problème. C’est ainsi que lors du referendum, en dépit du terrorisme intellectuel qui a pilonné, jour après jour, que voter « non » c’était voter pour la sortie de l’euro, les Grecs ont maintenu le cap à 60%. Quand une société est ainsi en marche, c’est à l’homme politique de lui faire une proposition.

DM : Tu isoles Tsipras, mais autour de lui, il y a le parti Syriza, des conseillers, tout un mouvement intellectuel… Tu dis toi-même que, dans l’ensemble, Syriza ne voulait pas faire mûrir le débat sur la sortie de l’euro, ni proposer de referendum.

Frédéric Lordon: Lors de l’accord intermédiaire Eurogroupe du 21 février, j’ai eu la faiblesse d’espérer, comme tout le monde, que Tsipras avait compris à qui il avait affaire et qu’aucune discussion rationnelle n’était possible. Je pensais qu’il était lucide et qu’il avait signé cet accord pour gagner quatre mois, afin d’avoir le temps de préparer, sur le plan logistique et politique, l’animation d’un débat public en vue de la sortie de l’euro. Il n’en a rien été. Alors c’est vrai, Tsipras n’est pas tout seul. Il y a Syriza derrière. Mais il faut comprendre que Syriza est loin d’être une entité monolithique. C’est un rassemblement assez hétéroclite, avec une aile droite, une aile gauche… Et si, effectivement, la majorité de ses membres refusaient la sortie de l’euro, il y avait quand même une grosse minorité – un peu plus de 40% – qui pensait, elle, exactement le contraire. Tout simplement parce qu’imaginer échapper à la camisole du mémorandum tout en restant dans l’euro était une contradiction ! Et qu’il fallait donc choisir entre les deux termes de cette contradiction.

DM : Il ne faut pas oublier non plus la pression qu’ont exercée sur la Grèce les gouvernements et les médias européens, notamment français.

Frédéric Lordon: C’est vrai, la pression était totale et venait de partout. Parmi les nombreuses erreurs stratégiques commises par Tsipras, il y a eu cette idée folle qu’il allait pouvoir faire alliance avec ce qu’il croit encore être la gauche, en France et en Italie. Comme si François Hollande ou Matteo Renzi pouvaient, à quelque titre que ce soit, être qualifiés d’hommes de gauche ! Et comme s’ils avaient pu avoir la moindre velléité de venir à son secours en pesant sur le bloc allemand et en essayant d’infléchir les politiques économiques européennes. Tsipras a fait une erreur d’appréciation stratégique colossale.
Les Grecs étaient totalement isolés. D’un côté, ils avaient les durs dont la seule intention était de leur faire la peau, et de l’autre, les Espagnols, les Portugais, les Irlandais, pas du tout prêts à les soutenir. A priori, c’est vrai que c’étaient les seuls sur lesquels Tsipras aurait pu espérer compter, au titre de la solidarité des malmenés. Mais pour ces pays qui étaient passés au travers de la purge, obtenir avec la Grèce une détente du mémorandum aurait été se tirer une balle dans le pied. Ayant eux-mêmes imposé comme des abrutis l’austérité à leurs peuples, ils se voyaient mal aider les Grecs à sortir leur épingle du jeu ! Donc tout le monde était contre lui. Et en premier lieu, les médias, spécialement français, dont l’européisme obtus est une constante de longue période.

Le martyr des Grecs comme arme de dissuasion

DM : Le néo-keynésien américain Joseph Stiglitz, pour qui « un autre capitalisme est possible », est exactement sur ta ligne concernant la Grèce. Il pense qu’on s’acharne sur les Grecs « pour faire un exemple » et dissuader tous ceux qui seraient tentés par l’indiscipline.[Entretien avec Joseph Stiglitz, [http://la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/85-milliardaires-dans-un-autobus, 9 septembre 2015]]

Frédéric Lordon: C’est absolument vrai. Et Stiglitz est loin d’être un gauchiste! Mais les économistes américains, qui n’ont aucun investissement affectif ou dogmatique dans la construction européenne en soi, sont dégagés et détachés de toute pulsion fétichiste. Ils voient les choses avec un sang-froid rationnel qui échappe totalement aux économistes européens. Voire même à certains économistes des gauches critiques européennes qui communient dans la foi alter-européiste selon laquelle un autre euro est possible.
Stiglitz, lui, analyse les choses rationnellement : la construction monétaire européenne est une architecture de règles et de principes auxquels il est rigoureusement impossible de déroger. C’est une construction entièrement juridique, inscrite dans les traités et donc irréversible et rigidifiée au dernier degré. Peu importe les nécessités de la conjoncture, il n’y a pas la moindre possibilité d’ajustements.
Évidemment, cet édifice a été validé par tous les États européens qui ont été emportés par la vague néolibérale des années 1980. Mais si tous les États sont égaux, certains le sont plus que d’autres : au premier chef, l’Allemagne. Pour Berlin, il était hors de question d’entrer dans la construction européenne autrement qu’en faisant de cette Europe l’exacte décalcomanie de ses propres institutions monétaires. L’Allemagne tenait à ce qu’il y ait des règles, que ce soit les siennes, et que jamais on ne puisse les modifier. C’est notamment cette dinguerie fondamentale que dénonce Stiglitz.

Une sortie de l’euro, c’est possible. Comment ?

Frédéric Lordon: Une sortie de l’euro est possible. Sauf que la question n’est pas, comment sortir de l’euro ? Mais, sortir de l’euro pour quoi faire ?
On peut sortir de l’euro par bien des côtés, mais qui sont loin de se valoir tous. Imaginons que le Front National parvienne au pouvoir. Et qu’il fasse la sortie de l’euro comme il le claironne (une escroquerie à laquelle je ne crois pas du tout). Ce serait, quoiqu’il en soit, d’une manière qui n’aurait rien à voir avec celle qu’est en train d’envisager, par exemple, Unité Populaire[[Unité Populaire : parti grec fondé par les dissidents de Syriza en août 2015]]. Parce que la sortie de l’euro, c’est à la fois très simple dans ses principes, mais assez compliqué dans sa mise en œuvre opérationnelle.
Restons sur le cas de figure de la Grèce : pour sortir de l’euro, techniquement, on fait quoi ? On commence par réarmer la banque centrale nationale. Aussitôt, on décrète qu’elle s’extrait du système des banques centrales européennes et qu’elle se remet à émettre une nouvelle monnaie dont la conversion s’établit au pair, c’est-à-dire, qu’un euro égal une drachme. Sur les marchés de change, ça va tanguer, c’est certain ! Mais on dit ça au départ.
Une fois réarmée, la banque centrale grecque entreprend de conduire une politique monétaire qui n’a plus rien à voir avec celle de la banque centrale européenne. On l’autorise, par exemple, si les conditions s’y prêtent et qu’elle a une réserve importante, à accorder des financements monétaires au déficit public. Évidemment, on envoie paître tous les memoranda et les mesures d’austérité imposés par l’Europe. Et tant qu’on y est, on fait défaut sur la dette. Quand on en arrive à ce genre de rupture, autant ne pas faire les choses à moitié ! Donc, on ne rembourse ni la BCE, ni le FMI, ni les créanciers privés. Et on ne rembourse pas le Mécanisme européen de stabilité (MES), c’est-à-dire le fonds d’assistance aux pays endettés. (Il est certain que la situation financière de l’économie grecque s’en trouve tout de suite largement amélioré.) Pour autant, afin de ménager le système bancaire grec et empêcher qu’il ne s’effondre, l’État peut continuer à payer, au moins en partie, la dette qu’il détient.
Évidemment, il faut prendre un tas de mesures d’accompagnement. Notamment, instaurer un contrôle des capitaux. Ce qui est de toute façon souhaitable, indépendamment de la sortie de l’euro. Car ce dont il est question en réalité, ce n’est pas seulement de changer de monnaie, ni même de pouvoir dévaluer. Le but, c’est de recréer complètement un modèle de politique économique sur la base de principes entièrement rénovés. Et même de refaire une partie des structures économiques en desinsérant l’économie grecque de la circulation internationale des capitaux. Donc en se mettant en retrait (pas complètement mais sélectivement) des marchés financiers internationaux et surtout en refaisant les structures bancaires. Autrement dit, dès qu’on sort de l’euro, on nationalise tout le système bancaire.

La sortie de l’euro : une révolution, d’abord intellectuelle

DM : Quelle est la position des partisans du plan B sur la question de la sortie de l’euro?

Frédéric Lordon: Franchement, je ne sais pas ce qu’est ce fameux plan B. J’ai d’abord cru que c’était une tentative de bonne foi pour tirer les conséquences des évènements terribles qui se sont déroulés en Grèce cet été[[À lire : http://la-bas.org/la-bas-magazine/articles/la-grece-s-est-fait-la-belle-mais-elle-s-est-fait-reprendre-et-placer-en-haute]]. Et que ses partisans prenaient acte de la nécessité stratégique impérieuse de réintégrer la sortie de l’euro dans le paysage des options disponibles. Aujourd’hui, je suis moins sûr de mon coup. J’en veux pour preuve l’attelage passablement hétéroclite qui est en train de se former autour du plan B.
Si l’on examine la ligne de Varoufakis[[Yanis Varoufakis : ministre des Finances météore qui a quitté le gouvernement Tsipras en juillet 2015]], par exemple : de son propre aveu, son plan B était juste une roue de secours pour rejoindre la station service et essayer de faire le plein. Ca devait aider à tenir quelques jours, histoire de renégocier (des clopinettes, à mon sens) avec l’Eurogroupe. Ce n’était absolument pas un plan de sortie de l‘euro.
Varoufakis a été viré par Tsipras, certes, mais fondamentalement, tous deux partagent le même refus radical d’une sortie de l’euro. Il suffit d’écouter en quels termes Varoufakis en parle: «la sortie de l’euro, c’est la fragmentation nationaliste et xénophobe de l’Europe…».

DM : En gros, Varoufakis est dans le camp des réformateurs qui veulent agir à l’intérieur du cadre en repeignant le tableau par petites touches. Rien à voir avec les révolutionnaires qui proposent de faire un autre tableau, dans un autre cadre.

Frédéric Lordon: Pour moi, c’est le grand mystère. Varoufakis s’acharne à vouloir peindre à l’intérieur du cadre, alors qu’il s’est pris son seau de peinture sur la tête et qu’il s’est fait traîner à la sortie de la ville à califourchon sur un rail. Mais il persiste ! J’y vois la force sociale de la croyance.
C’est très comparable à ce qui s’est passé dans les années 1920 avec l’étalon-or. Ce système monétaire international avait des propriétés formellement très semblables à celles de l’euro. Ce système, qui ne cessait de diffuser des effets dépressionnaires et récessionnistes, a produit les pires catastrophes au moment de la crise de 1929. Jusqu’à ce que l’étalon-or finisse lui-même par éclater tant c’était rigoureusement intenable.
Pourtant, on n’imagine pas la puissance de cette croyance en l’étalon-or chez les élites de l’époque ! Une croyance quasi religieuse. Le spectacle des effets catastrophiques de la chose avait beau se dérouler sous leurs yeux, les entendements étaient bloqués. Pas moyen de leur faire admettre la moindre révision. C’est exactement ce qui nous arrive avec l’euro. Et le pire, c’est que même ceux qui ont été le plus violemment maltraités par l’euro en demeurent, d’une certaine manière, mentalement prisonniers. Ils ne peuvent pas sortir du cadre.
En l’occurrence, il n’existe pas un seul et unique cadre, mais une multitude, emboîtés les uns dans les autres. Dans la Malfaçon[[Frédéric Lordon, La Malfaçon. Monnaie européenne et souveraineté démocratique, édition Les liens qui Libèrent, 2014]], j’explique qu’il faut d’abord sortir du cadre de la construction monétaire européenne, avant de pouvoir sortir de celui du capitalisme. Pour moi, la cause est entendue, l’urgence c’est l’euro : si nous restons à l’intérieur du système, nous n’obtiendrons rien de différent et continuerons d’y souffrir mort et passion. Donc, ce cadre-là, il faut le péter. C’est d’ailleurs comme ça qu’on aura des chances de faire trembloter le capitalisme. Parce qu’un plan de sortie de l’euro par la gauche implique qu’on refasse les structures de la banque et de la finance. Ce qui revient à s’attaquer au cœur du réacteur du capitalisme.

L’Europe ou les camps ?

DM : Ce qui mine les débats sur l’Europe, c’est cette hantise très intériorisée du repli nationaliste. On se souvient de Jean-Marie Cavada disant en 2005 « il faut voter oui, car voter non c’est voter Auschwitz ». On a intégré l’idée que la gousse d’ail et le crucifix contre le nazisme et toutes les horreurs, c’est l’Europe.

Frédéric Lordon: Les débats ont atteint un tel degré de polarisation antinomique que le choix c’est : l’euro ou les camps ! À une autre époque c’était : la mondialisation ou la Corée du Nord !
Euclid Tsakalotos, le ministre des Finances qui a succédé à Varoufakis, a dit lui-même que sortir de l’euro c’était se préparer au retour des camps. C’est Stathis Kouvelakis, d’Unité Populaire, qui le raconte dans un long entretien qu’il a donné à la revue américaine Jacobin[[Sébastien Budgen and Statis Kouvelakis, Jacobin, «Greece: The Struggle Continues», Jacobin, https://www.jacobinmag.com/2015/07/tsipras-varoufakis-kouvelakis-syriza-euro-debt/, 14 juillet 2015]], au lendemain de l’Eurogroupe.
Je me bats contre cette connerie depuis le début de la crise européenne. Mais on a beau répéter les choses cent fois, ça ne passe pas. Pourtant, il suffit de se souvenir de la vie avant l’euro. Ce n’est pas si vieux ! À l’époque de la CEE, il n’y avait ni monnaie, ni grand marché uniques et, à ce que je sache, nous n’étions pas en pleine troisième guerre mondiale et les extrêmes droites ne tenaient pas le haut du pavé. Je dirais même qu’elles avaient tendance à être beaucoup moins présentes qu’aujourd’hui. Je rappelle par ailleurs qu’il y a cent quatre-vingt pays qui n’ont pas le grand bonheur d’appartenir à la zone euro et qui, pour autant, ne sont pas tous des nazis.
C’est par infirmité intellectuelle qu’on est incapable de comprendre que les nations européennes peuvent entretenir entre elles des liens fructueux et denses qui ne passent pas par la monnaie, la circulation des capitaux, des containers et des camions.
Le vrai internationalisme est celui de la culture, du tourisme, de la science, de la pensée. Il faut voir tout ce que l’Europe a réussi à faire quand l’euro n’existait pas, Airbus, Ariane, le CERN, Erasmus… Si on réussit à défaire l’euro, il faudra pousser à fond les curseurs dans toutes les autres directions, dans tous les autres compartiments du jeu. Ce n’est pas ce qu’on appelle le repli national !

DM : Le problème avec la question de la souveraineté, c’est qu’elle peut conduire à de drôles d’alliances. Depuis que Jacques Sapir fait du pied au Front National, tout le monde s’interroge. Est-ce qu’un jour, on ne va pas retrouver Lordon en train de guincher avec Marine?

Frédéric Lordon: La souveraineté, selon son concept, ne signifie rien d’autre que : décider ensemble. Elle appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants. On sait bien que la comédie parlementariste n’est pas une réalisation satisfaisante de cet idéal, mais pour autant l’idéal existe et il travaille dans les esprits. Les euroépistes fanatiques, eux-mêmes, sont des souverainistes puisqu’ils sont les partisans d’une reconstitution de souveraineté, mais à l’échelle européenne ! Donc, arrêtons avec ces confusions conceptuelles à n’en plus finir.
Maintenant, parlons de Jacques Sapir. C’est une catastrophe, même si c’était assez prévisible. Au moment où l’épisode grec a vraiment fait bouger les choses, Sapir a déboulé en nous servant une louche bien épaisse de Front National. Quatremer, Colombani, Leparmentier n’attendaient que ça pour agiter l’épouvantail du Front National, le seul argument qu’il leur reste.
Ceci étant, il serait idiot de nier que des forces de convergence troubles sont à l’œuvre. Une réalité d’autant plus dangereuses que l’époque est dangereuse elle-même. Dans les époques de confusion, il faut tenir un cap intellectuel et idéologique avec une rigueur de fer. Ne pas céder au moindre pas de côté, parce que sinon, c’est le début d’une glissade qui peut se révéler irréversible. Avec Sapir, manifestement, c’est le cas.

No Podemos !

DM : Parlons maintenant du parti Podemos en Espagne. Ils ont suscité un grand enthousiasme, on s’est dit que c’était un mouvement formidable qui réinventait la politique. Mais aujourd’hui, c’est en train de tourner curieusement. Les sondages sont moins bons et on assiste à des rapprochements beaucoup moins révolutionnaires que ceux que l’on aurait pu imaginer.

Frédéric Lordon: Encore une fois, on va croire que j’ai une passion mauvaise pour le chamboule-tout et que j’ai décidé de dégommer tous ceux en qui on a envie d’espérer. Mais je suis navré de le dire, Podémos est bien pire que le Syriza de Tsipras. Aujourd’hui, les gauches européennes sont dans un tel désarroi qu’elles surinvestissent massivement la première occasion d’espérer, à rebours de toute lucidité analytique. C’est comme ça qu’on a surinvesti le Syrisa de Tsipras, puis héroïsé et iconisé Varoufakis. Maintenant, c’est au tour de Podemos.
Je ne dis pas qu’il faille abandonner toute espérance, parce qu’il existe quand même un paysage dans lequel il y a eu Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, Corbyn au Royaume-Uni, Bernie Sanders, le candidat démocrate tout à fait inattendu aux États-Unis… Ca veut dire que la sociale démocratie occidentale est en phase terminale. Elle est en pleine décomposition et il va falloir que tout ça rejoigne très vite les poubelles du restaurant.
En même temps, ce qui se construit par-dessus cette pourriture est encore un peu trouble. Je dirais même que Podemos va être encore plus incertain que Syriza parce qu’à la différence de Tsipras, les Espagnols n’essaieront même pas d’aller plus loin. C’est mon anticipation.
J’ai apporté une vidéo éclairante qu’a faite Iglesias, le fondateur de Podemos, sur le site du quotidien La Republica, le 31 juillet 2015[[http://larepublica.es/2015/07/31/iglesias-si-podemos-gana-no-vamos-a-hacer-mucho-mas-de-lo-que-ha-hecho-grecia/]]. Il dit : «Ce qu’a fait le gouvernement grec est malheureusement l’unique chose qu’il pouvait faire. Nous ne pouvons pas faire de grandes choses, une réforme fiscale, nous battre pour la déprivatisation de la santé, pour une éducation publique, nous ne pouvons pas faire beaucoup plus». «No podemos hacer grandes cosas. No podemos hacer mucho mas que…etc»
C’est un parti qui s’appelle Podemos et qui n’arrête pas de dire «no podemos». C’est vraiment ballot! Pour eux, la croyance en l’euro est inébranlable et il est hors de question d’engager le rapport de force avec les institutions européennes.
Pour moi, Podemos est un tigre de papier qui s’affalera avant même d’être arrivé au pouvoir parce que le parti a fait de l’efficacité électorale son leitmotiv absolu. Leur dernier congrès a vu triompher une motion qui mettait sur le côté les «cercles Podemos», c’est-à-dire la démocratie participative locale du mouvement. Tout ça pour pouvoir reconstruire un parti politique des plus classiques, avec leader et objectif d’accession au pouvoir. Par rectifications successives et accélérées, tous les espoirs que l’on pouvait mettre dans le Podemos du début de l’année ont été abandonnés en cours de route. Et malheureusement, j’ai peur que cela finisse aussi mal que Syriza.

Et la gauche française dans tout ça ?

DM : Quelle est l’influence de tout cela sur la gauche française ? Se pose-t-elle des questions, en tire-t-elle des leçons ?

Frédéric Lordon: Il ne s’est pas rien passé, c’est sûr. La gauche que j’appelle «alter européiste», et qui défend la thèse que nous allons reconstruire un autre euro et nous débarrasser de l’austérité par le rapport de force, a été très ébranlée. Pour Attac ou la fondation Copernic par exemple, c’est le commencement des grandes révisions stratégiques. Je ne dirais pas que l’aggiornamento est à portée de main, mais les gens avec lesquels j’ai ferraillé amicalement se sont mis en mouvement. C’est manifeste, ils ne disent plus les mêmes choses depuis le juillet grec. Même si l’idée qu’il faut un acte de rupture avec l’euro pour y arriver n’a pas encore totalement pris consistance. Du coup, on reste coincé dans cette espèce de dialectique du plan A et du plan B : on va ouvrir le rapport de force, aller à l’épreuve et si – et seulement si – on n’y arrive pas, alors on sortira.
Ce qui est intéressant dans cette dialectique, c’est cette idée d’aller au bout du rapport de force pour obtenir la vérification ultime, par acquis de conscience en quelle que sorte, que ça ne pouvait pas marcher. Je trouve la démarche très sympathique. Simplement, il ne faut pas se raconter d’histoires, le plan A va vivre ce que vivent les roses, l’espace d’un matin. Très rapidement, il va se transmuter en plan B, du seul fait de l’opposition radicale du bloc allemand.
Soit dit en passant, ce qu’on occulte systématiquement, c’est que cette Allemagne intraitable puisse foutre le camp un jour! Je suis convaincu que si elle se retrouvait dans un rapport de force un tant soit peu défavorable, avec un groupe de pays qui la contraigne à mettre de l’eau dans son vin, ses règles et ses principes, c’est elle qui prendrait la tangente. Je serais presque tenté de dire que les forces objectivement les plus puissantes de la décomposition de l’euro ne sont pas du côté des pays dominés, mais du côté des pays dominants. La Finlande, par exemple, ne veut plus entendre parler de l’euro, l’Allemagne se pose des questions… Et on n’est pas passé loin de la rupture avec la Grèce qui est un tout petit État. Si jamais un bloc de pays comme l’Espagne commençait à mettre le souk dans l’ordonnancement européen, ça pourrait aller très mal.

Unité Populaire ?

DM : Que peut-on espérer du petit parti dissident Unité Populaire ? Pour l’instant, il ne pèse pas lourd dans les sondages, mais il est cohérent et a été rejoint par le créateur de Syriza, Manolis Glézos.

Frédéric Lordon: Tsipras a précipité les élections législatives pour empêcher Unité Populaire, qui est un parti très jeune, de s’organiser et de monter en puissance. Moyennant quoi, Unité Populaire doit faire 5 ou 7% dans les sondages, ce qui est déjà admirable, compte tenu de la brève existence du mouvement.
Le drame c’est que, comme l’explique Stathis Kouvelakis, la vague d’opprobre qui est en train d’emporter Syriza est telle, qu’elle frappe toute la gauche de manière indiscriminée. Au point qu’Unité Populaire, qui a pourtant défendu une ligne opposée à celle de Tsipras, risque d’être balayée de la même manière.
Pour les camarades grecs, la chose est claire : le mouvement Syriza va disparaître et ce sera la grande réussite de Tsipras. On va assister à la fin d’un cycle politique et au commencement d’un autre. À l’évidence, Unité Populaire est maintenant un parti homogène du point de vue de la ligne stratégique. Mais tout va dépendre de la conjoncture macroéconomique des douze prochains mois. Ca va être terrible ! La Grèce va vers une récession encore plus saignante qu’en 2010 et 2012. Et à l’épreuve de ces immenses difficultés, l’option de la sortie de l’euro va retrouver de la consistance et regagner du crédit. En tout cas, c’est ce qu’il faut espérer.
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Daniel Mermet et Frédéric Lordon en 2012 du temps de France inter. Photo DR
[
repris sur le blog algerieinfos-saoudi->http://www.algerieinfos-saoudi.com/2015/12/syriza-podemos-le-combat-continue-frederic-lordon.html]

RÔLE STRATÉGIQUE DE L’ÉCOLE

pdf-3.jpg IL EST LÀ, EN NOUS, LE DAECH QUI NOUS MENACE, PAS DANS LES RIVAGES DE SYRTE

Mohamed Saadoune

Huffpostmaghreb

le 21 décembre 2015

n-enfants-algrie-large570.jpgDes enfants à El Abiodh Sidi Cheikh | daguett.fr/flickr

Quelques mois après avoir mené l’Algérie en bateau en créant la polémique aussi furieuse qu’inutile sur l’usage de la darija dans l’école, Mme Nouria Benghabrit donne des chiffres sur la performance du système éducatif national qui donnent froid dans le dos.

Et qui resituent la question de l’école dans sa vraie dimension – la qualité de l’enseignement, les moyens qu’on lui donne, les programmes, la pédagogie – au lieu de cette brumeuse histoire de Darija qui a permis d’allumer, une fois de plus, les fausses polarisations politico-idéologiques.

| Sur 1000 élèves admis à l’école primaire la même année, 41 seulement obtiennent le baccalauréat. Un désastre en chiffre qui nous dispense d’aller chercher une langue – arabe ou étrangère, c’est selon – comme bouc-émissaire d’une terrible absence de vision. |

Le chiffre est tellement bas que certains mettent en doute la fiabilité de l’information statistique donnée par Mme Benghabrit. Cela donne matière à discussion entre statisticiens, mais au-delà du chiffre, on sait que le système éducatif algérien va mal. Très mal. Même si le chiffre de la ministre peut-être sujet à discussion – et il en faut -, la question de l’école algérienne est centrale.

LIRE AUSSI : Parole d’enseignante: Je n’ai rien contre Nouria mais je n’enseignerai pas en Benghabrit

Le mouvement national algérien a fait de l’école une promesse aux générations à venir qu’ils ne vivront plus dans les ténèbres où l’ordre colonial a plongé leurs parents. À la veille du coup de rein de survie que furent les manifestations du 8 mai 1945, la France coloniale avait réussi à détruire les vieilles structures de l’enseignement pour propager l’ignorance généralisée. La clochardisation des algériens avait atteint des sommets.

L’école, une question existentielle

L’école était vue dans le discours des divers courants du mouvement national comme une injustice à réparer mais également une question existentielle: celle qui va donner à la nation l’armée des gens instruits et formés, des citadelles qui nous éviterons la situation infâme où l’ordre colonial avait mis les Algériens. Des indigènes, des sous-humains…

| Bien entendu, nos anciens pensaient qu’il nous faudrait une armée pour défendre le pays et ses frontières. Mais, même si souvent leur instruction n’était pas grande, ces anciens, nos parents, avaient compris que le grand bouclier de la nation qui permettrait à cette armée d’assumer bien son rôle, ce sont des femmes et des hommes instruits, bien formés, capables de déchiffrer le monde dans lequel ils vivent; des femmes et des hommes qui construisent le présent et l’avenir. |

La sécurité nationale, dans son sens le plus durable, est celle qui se forge à l’école. Le meilleur système de défense est dans le savoir, la formation, la compétence. Le meilleur système de défense ne réside pas dans le nombre des soldats et dans la qualité de son équipement.

LIRE AUSSI : Violences d’enseignants : Comment le petit Raouf a cessé d’aimer son école…

Une armée est plus utile et plus efficace dans un pays où le savoir est fortement diffusé. C’est dans l’école et son efficacité que se mesurent la force et le potentiel d’une nation et non l’émergence subite – et sans cause – de nouveaux riches, ces «Tycoon» d’opérettes qui nous ont fichu une honte planétaire.

L’échec de tous les clans

Et ce chiffre de 4% d’enfants algériens avancé par Mme Benghabrit est glaçant. Effrayant. Il est le signe de l’échec monumental des Bouteflika, des Toufik et de tous les clans qui se disputent le pouvoir et la rente.

Durant la dernière décennie – on n’en parle plus avec la chute du prix du baril – on a eu une multitude de propositions sur l’usage des surplus financiers algériens : fonds souverains, infrastructures, redistribution.

Quelques-uns, peu nombreux, ont suggéré de les investir dans la formation, l’enseignement, dans la modernisation radicale de nos universités. On pouvait même le faire par de l’importation d’enseignants-experts pour apporter une formation de qualité à nos enseignants, réhabiliter le circuit éducatif de l’école à l’université.

La dépense – ce mot qui fait frémir nos «libéraux »- aurait été autrement plus rentable qu’importer une autoroute pour importer ensuite les voitures qui roulent dessus. Et ensuite le gasoil pour les faire marcher…

Au lieu d’être exigeant dans ce domaine vital, existentiel même, de l’éducation, on a laissé les choses se dégrader. On s’est gargarisé des grands chiffres : le nombre d’élèves et d’étudiants et les « dépenses » censées être faramineuses que l’État « consent. »

De la pure démagogie dans un pays où le système politique a fait fuir la crème des élites, un système où il ne s’agit pas d’être compétent et instruit mais d’être capable de « frapper son coup » (Adhrab Dharbtak) et d’avoir des connaissances dans un des carrefours du pouvoir.

L’école n’a pas été mise à l’abri de cette régression. Nos valeureux militants de la cause nationale la pensaient comme un lieu privilégié de transmission du savoir avec des maîtres et des enseignants respectés prodiguant de la connaissance et l’appétit d’apprendre. Ils avaient une hiérarchie des valeurs où le savoir était en «haut».

Cette hiérarchie est aujourd’hui inversée. Le travail – et le savoir -, c’est pour les naïfs, ceux qui ne savent pas « frapper leur coup. » Cela donne cette réalité algérienne qui veut que les études ne mènent nulle part et que le savoir académique et scientifique ne pèse pas lourd devant une connaissance (une ma3rifa) dans l’administration ou au gouvernement.

On ne peut même pas se réjouir du nombre important ou non des bacheliers. Il suffit d’aller à l’université et de voir la qualité des diplômés qui en sortent. Nous avons là – moyennant quelques exceptions que la sociologie peut expliquer – la mesure d’une régression vers l’ignorance, ce terrain fertile de tous les charlatanismes dont le coût social – et politique – est très lourd.

On parle beaucoup de la surveillance des frontières de notre grand pays et des risques qui nous viennent de l’extérieur. On omet de regarder l’ampleur de la Bérézina du régime algérien. Elle est dans l’état lamentable de l’école. Il faut le répéter, en arabe, classique, darija et dans toutes les langues du monde: c’est là, chez nous, en nous, que se trouve le Daech qui nous menace, pas dans les rivages de Syrte.

ÉLECTIONS ESPAGNOLES

pdf-3.jpg GRANDE PERCÉE POLITIQUE “ANTI AUSTÉRITAIRE” EN ESPAGNE

Publié par Saoudi Abdelaziz

21 Décembre 2015

Venu en tête la Droite (PP) essuie une dure défaite en perdant la majorité nécessaire pour gouverner. Le parti socialiste PSOE a encore dégringolé. continue de dégringoler. À eux deux ils ne vont que 50,7% des voix contre 73 % des voix aux dernières législatives de 2011.

«Une nouvelle Espagne est née, qui met fin au système du ‘turno’», s’est enthousiasmé Pablo Iglesias, à propos du système bipartiste d’alternance au pouvoir entre le PP et le PSOE en vigueur depuis le début des années 80.

Podemos, le mouvement anti-austérité a réalisé un score impressionnant. Nouveau venu dans l’arène politique, il récolte pourtant 20,62 % des voix progressant de manière significative par rapport aux 8 % aux européennes de mai 2014 et aux 13 % des régionales de mai 2015. À peine 400 000 voix séparent désormais le PSOE du Podemos. Quant aux communistes de l’IU, ils obtiennent 3,7 % (deux sièges, contre 6,9 % et dix sièges en 2011) et ne pourront donc pas former de groupe au Parlement.

Coalition ou pacte?

« Je vais tenter de former un gouvernement stable», a promis le leader de la droite Mariano Rajoy, mais Il faut au moins 176 sièges, au Congrès, pour exprimer une majorité absolue. Une coalition entre PP et PSOE, parait incertaine, ainsi qu’une formule à gauche «à la portugaise» qui agglutinerait les progressistes (Podemos, PSOE, mais aussi IU et des formations régionalistes) tant les désaccords sont très importants. En l’absence de l’une de ces deux coalitions il reste la formule d’un gouvernement minoritaire, assortie d’un «pacte» entre plusieurs partis autour de réformes.

Quitte à provoquer des élections anticipées quelques mois plus tard. « De ce point de vue, Pablo Iglesias a pris une longueur d’avance » estime Ludovic Lamant dans Mediapart. Dimanche soir, il avait posé trois conditions «urgentes et indispensables» à tout éventuel «pacte» incluant Podemos. «Il ne s’agit pas de parler d’accords entre partis, mais de réformes de la Constitution», a-t-il prévenu, dans la droite ligne de son analyse sur la «crise de régime» que traverse l’Espagne post-franquiste.

Il veut renforcer l’inscription des droits sociaux dans la loi fondamentale, réformer le système électoral et mettre en place un système de révocabilité du chef de gouvernement, à mi-mandat, qui puisse être déclenché si ce dernier ne tient pas ses promesses. «Nos 69 députés tiendront la main à toutes les forces politiques qui souhaitent avancer là-dessus, avant de parler de quoi que ce soit d’autre», a-t-il résumé.

BACHAR AL-ASSAD N’EST PAS L’AVENIR DE LA SYRIE, IL EST L’UN SE SES « PRÉSENTS »

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Huffpostmaghreb

 le 24 novembre & le 19 décembre 2015

Mohamed Saadoune

pdf-3.jpg Bachar Al-Assad ne peut être l’avenir de la Syrie. Le propos, vieux de Laurent Fabius, ministre français des affaires étrangères, répété il y a trois jours en Afrique du Sud, sonne creux. Il n’est d’aucune utilité.

Sauf peut-être à essayer de masquer que la France et les autres pays occidentaux ont mené en Syrie une politique d’apprentis-sorciers dont l’effet boomerang se fait sentir et pousse une partie des opinions à se demander pourquoi « est-on allé se fourvoyer dans cette galère ».

Après les attentats de Daech à Paris, on continue à marteler – pour la forme probablement – qu’on ne s’est pas fourvoyé en faisant du « départ » de Bachar Al-Assad un « préalable » à la solution de la crise en Syrie.

C’est pourtant un discours creux. C’est une lapalissade, Bachar Al-Assad, celui qui a si mal compris qu’il pouvait se donner un destin de réformateur au lieu d’être le représentant d’une dictature aveugle, n’est pas l’avenir de la Syrie.

L’histoire l’a déjà condamné. Les Syriens, si leur pays continuera à exister et retrouvera un peu de sérénité, le décideront. Mais si le président syrien n’est pas « l’avenir de la Syrie », il est encore son présent. Cela dépasse largement sa petite personne qui s’est avérée, même en restant dans la logique d’un système autoritaire, particulièrement décevante.

L’histoire est dite

Le « jeune » Assad qui a « succédé » à son paternel n’a fait que du « vieux » et en pire car il n’a pas su percevoir – comme Saddam avant – les retournements des « amis ». Cela est valable pour l’ensemble des systèmes autoritaires arabes: seule une démocratisation sérieuse permettant de souder les liens entre l’Etat et la société pouvait conjurer l’impact des ingérences extérieures.

L’islamisme radical qui ne reconnait pas les « Etats-nations » étant le vecteur idéal des entreprises de déstabilisation grâce aux fonds des pays du Golfe et les fatwas que des cheikhs obscurs et obscurantistes émettent sur commande.

Sur des aspects fondamentaux, pour Bachar Al-Assad, l’histoire est dite. Même en mettant en exergue le rôle des ingérences extérieures, sa responsabilité est tellement lourde qu’il est difficile de croire qu’il puisse encore être un « avenir » de la Syrie. Mais continuer à faire de Bachar Al-Assad un préalable est hors-sujet.

Ce seront les Syriens qui le décideront. Aujourd’hui, Bachar Al-Assad est un des « présents », les autres étant ceux de Daech, d’une partie substantielle de la population syrienne en exil, des jeux des puissances.

Laurent Fabius, les saoudiens, les américains, les turcs ou les qataris, ont fait une erreur d’évaluation grave en tablant sur une chute rapide de Bachar Al-Assad. Dans le monde arabe, beaucoup ne croient pas à une erreur d’évaluation: on savait que Bachar ne tomberait pas mais que la Syrie, elle, pourrait s’effondrer et ouvrir la voie à la création de cantons « ethno-religieux » qui est au cœur du fameux du GMO.

Dans un article publié dans le Quotidien d’Oran (7 janvier 2013) nous relevions que la guerre en Syrie restera indécise jusqu’à ce qu’elle avale le pays morceau par morceau. L’ingérence étrangère sur fond de bataille géopolitique a fixé le pays dans la guerre au nom du « préalable » du départ du Bachar Al-Assad.

Le dépassement du régime dans un « après » démocratique – qui reste le seul horizon possible si tant est que la Syrie puisse un jour renaître dans ses actuelles frontières – est devenu une chimère, la guerre renforçant les positionnements sur des bases ethno-religieuses.

Un préalable inutile

Bachar Al-Assad même s’il voulait démissionner n’aurait pu le faire. Les siens attendaient de lui qu’il dise « non » à ceux qui voulaient son départ. Il a dit non. Il continue aujourd’hui à dire non.

« Il n’y a rien d’imprévisible dans le discours de Bachar Al-Assad d’hier. Ceux qui l’applaudissaient et les « chefs » militaires ont perdu de leur superbe, mais ils attendaient de lui qu’ils disent « non » à ceux qui réclament son départ, qu’ils soient syriens ou étrangers. Non pas par amour pour lui, ni par volonté de se sacrifier pour lui. Juste par conviction (fausse ou vraie cela ne compte pas beaucoup dans ces situations) que son départ serait une défaite qui ouvrirait le champ à des représailles à grande échelle.

Bachar Al Assad est devenu, paradoxalement, au bout de ses terrifiantes erreurs, leur assurance de pouvoir négocier leur statut et leur place dans une autre Syrie. Et plus les opposants et les pays étrangers réclament son départ comme un préalable et plus ils s’y attachent. On est dans le registre de la psychologie. Mais dans une guerre, c’est un aspect qui n’a rien de négligeable. »

Ce constat fait en janvier 2013 reste encore valable aujourd’hui. Mais le «préalable » n’est pas un présent. La Russie et l’Iran viennent de le réaffirmer avec force. La Syrie qui se reconnait pas dans Bachar Al-Assad ne l’acceptera pas non-plus. Bachar n’est pas pour eux l’avenir de la Syrie. Mais il est celui à travers lequel ils négocieront leur propre avenir.

L’ALGÉRIE A BIEN FAIT DE NE PAS REJOINDRE « L’OTAN SUNNITE » LANCÉ PAR RYAD!

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pdf-3.jpg Mohamed ,Saadoune

Huffpost Maghreb

le 16 décembre 2015

L’Algérie ne fait pas partie de la coalition « sunnite » de 34 pays musulmans menée par l’Arabie Saoudite pour officiellement «  »combattre le terrorisme militairement et idéologiquement ». Même si la diplomatie algérienne – reflet de sa situation interne – a cessé d’être active, il faut s’en féliciter.

À défaut de pouvoir agir, l’Algérie se dispense ainsi de participer à une entreprise fumeuse et dangereuse. La coalition aux objectifs douteux menée par l’Arabie Saoudite a été annoncée subitement, sans aucun préalable, comme sortie miraculeusement de la Abaya des saoudiens.

Elle serait destinée à combattre « Daech », cette évolution mutante née de l’intervention américaine en Irak en 2003 et qui a trouvé, par la suite, les appuis financiers des pays du Golfe pour se tailler des territoires et se proclamer « Dawla ».

Il n’est pas inutile de souligner que l’idéologie du Daech n’est que l’accomplissement de celle en cours en Arabie Saoudite et qui, avec les moyens de communications modernes et en association avec un Occident en lutte contre la gauche et les nationalistes arabes, a réussi à dévaster les esprits.

Cette « réussite » saoudienne s’explique aussi par la confiscation des libertés par les pouvoirs autoritaires au lendemain des indépendances. Mais cela est un autre sujet.
Pour l’heure, puisqu’il s’agit d’une coalition créée par les saoudiens, il faut relever avec insistance que la matrice idéologie, mentale et politique du Daech et d’Al-Qaïda se trouve en Arabie Saoudite.

Depuis quelques mois, les religieux saoudiens obéissant à l’ordre Roi leur demandant de sortir du « silence et de la paresse » se sont mis à parler du Daech et d’Al-Qaïda, comme des « phénomènes étrangers (Gharib) à nos sociétés « .

Pour ceux qui observent depuis longtemps le discours des religieux saoudiens, ces « idées » ne sont pas étrangères à l’Arabie Saoudite, ils en sont les produits le plus exportés avec le pétrole.

Les idées de Daech ne sont pas « étrangères » à l’Arabie Saoudite

Cette volonté de se débarrasser – fort tardivement de tout lien avec Daech – ne leurre personne. On continue au demeurant d’armer et de financer en Syrie, des groupes liés à Al-Qaïda ou à Daech.

Comme le soulignait l’écrivain irakien Ali Al-Sarraf, « celui dont la culture, le comportement et la barbarie sont les mêmes que ceux de Daech, ferait preuve de la plus haute hypocrisie s’il lui jette la pierre ». L’Arabie Saoudite est une matrice – The Matrix – qui fabrique des Daech en tout genre. Il peut leur faire de temps à autre la guerre, il continuera à en produire « en interne » indéfiniment.

L’Algérie a été bien avisée de ne pas participer à cette coalition suspecte qui se pique de combattre les terroristes « quel que soit leur maddhab ». Une manière grossière de désigner ceux qui combattent l’intervention saoudienne au Yémen, le Hezbollah au Liban etc…

Cet « Otan sunnite » pour reprendre la formule de l’éditorialiste Abdelbari Atwan entre dans la démarche saoudienne classique qui consiste à aiguiser à la haine sectaire chiite-sunnite avec pour finalité la destruction des Etats-Nations et leur remplacement par des entités de type confessionnel sectaire.

C’est une logique infernale qui consiste à renforcer le poison sectaire qui mine l’Irak et la Syrie et menace d’autres Etats. Derrière la lutte en apparence consensuelle de lutte contre le terrorisme se profile tout simplement la haine et la division sectaire entre sunnite-chiite opportunément relancée par les saoudiens depuis la chute du Chah et dont les fruits empoisonnés sont aujourd’hui visibles.

Où se trouve Daech actuellement? En Syrie et en Irak! Aucun de ces deux pays ne fait partie de la coalition « sunnite » et cela ne relève pas du hasard. L’Iran, non plus, n’en fait pas partie. C’est cousu de fil blanc. L’Algérie qui a refusé avec constance de participer à l’entretien de ce clivage empoisonné doit continuer à le faire.

L’Arabie Saoudite a décidé de « combattre » Daech, elle continue de le fabriquer en permanence. Elle continue à armer les divisions sectaires que des religieux obscurantistes se chargent de diffuser. Avec un réel impact sur des sociétés affaiblies par la pauvreté, l’absence des libertés et la défaillance des Etats.

L’Arabie Saoudite veut faire oublier qu’elle est la matrice. L’Algérie n’a pas à participer à cet enfumage grossier qui note Al-Qods Al-Arabi est un prélude à des « interventions terrestres en Syrie, Irak et Libye avec un soutien occidental ».

Cet Otan-sunnite, est une « aventure saoudienne très dangereuse » avec une guerre contre « le terrorisme » qui s’étendra à une autre guerre, contre l’Iran et ses alliés… » écrit Abdelbari Atwan.

Oui, n’oublions pas la Matrice !

Sources Huffpostmaghreb.com

ALGER – 19 DÉCEMBRE- RENCONTRE DÉBAT – PST: RÉSISTANCE A LA LOI DES FINANCES

Parti socialiste des travailleurs (PST)

Loi de finances 2016

et résistance antilibérale

Rencontre-débat

Avec Nourredine Bouderba

Ancien dirigeant syndical de la Fédération des travailleurs du pétrole, du gaz et de la chimie (UGTA), Expert en relations de travail

Samedi 19 décembre 2015

à 14 heures

au siège national du PST

27, boulevard Zighout Youcef

(près du square Sofia)

Alger

Soyons nombreux

FONDAMENTAL: « TOUT PEUT CHANGER – CAPITALISME ET CHANGEMENT CLIMATIQUE »

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«NOTRE MODÈLE ÉCONOMIQUE EST ENTRÉ EN GUERRE CONTRE LA VIE SUR TERRE»

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Naomi KLEIN

Oubliez tout ce que vous croyez savoir sur le réchauffement climatique. La «vérité qui dérange» ne tient pas aux gaz à effet de serre, la voici : notre modèle économique est en guerre contre la vie sur Terre.

Au-delà de la crise écologique, c’est bien une crise existentielle qui est en jeu – celle d’une humanité défendant à corps perdu un mode de vie qui la mène à sa perte. Pourtant, prise à rebours, cette crise pourrait bien ouvrir la voie à une transformation sociale radicale susceptible de faire advenir un monde non seulement habitable, mais aussi plus juste.

On nous a dit que le marché allait nous sauver, alors que notre dépendance au profit et à la croissance nous fait sombrer chaque jour davantage. On nous a dit qu’il était impossible de sortir des combustibles fossiles, alors que nous savons exactement comment nous y prendre – il suffit d’enfreindre toutes les règles du libre marché : brider le pouvoir des entreprises, reconstruire les économies locales et refonder nos démocraties. On nous a aussi dit que l’humanité était par trop avide pour relever un tel défi. En fait, partout dans le monde, des luttes contre l’extraction effrénée des ressources ont déjà abouti et posé les jalons de l’économie à venir.

Naomi Klein soutient ici que le changement climatique est un appel au réveil civilisationnel, un puissant message livré dans la langue des incendies, des inondations, des tempêtes et des sécheresses.

Nous n’avons plus beaucoup de temps devant nous.

L’alternative est simple : changer… ou disparaître.

Tant par l’urgence du sujet traité que par l’ampleur de la recherche effectuée, l’auteur de No Logo et de La Stratégie du choc signe ici son livre le plus important à ce jour.

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Sources:

  • blog algerieinfos Saoudi Abdelaziz
    http://www.algerieinfos-saoudi.com/2015/12/naomi-klein-notre-modele-economique-est-entre-en-guerre-contre-la-vie-sur-terre.html
  • Tout peut changer
    Capitalisme et changement climatique

    http://www.actes-sud.fr/catalogue/societe/tout-peut-changer
  • http://www.luxediteur.com/naomiklein

Octobre-novembre 2015- NAQD N°32: COMMUNAUTÉ / COMMUNAUTAIRE / COMMUNAUTARISME

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NAQD N°32

Octobre-novembre 2015

COMMUNAUTÉ

COMMUNAUTAIRE

COMMUNAUTARISME

ASIE DU SUD / PACIFIQUE

Samir Kumar Das: Vers une théorie indienne de la reconnaissance (en arabe et en français)
Ranabir Samaddar: Une séquence de maintien de l’ordre dans une ville déchirée par l’émeute : Kolkata, 16-18 août 1946 (en arabe et en français)
Pervez Hoodbhoy: L’illusion du khalifat et la guerre à l’intérieur de l’Islam. Une opinion pakistanaise (en arabe et en français)
Hamid Mokaddem: Une perpétuation de la guerre dans le rapport ethnico-politique en Kanaky / Nouvelle-Calédonie

ALGÉRIE / AFRIQUE SUBSAHARIENNE

Dida Badi: Les Touaregs du Tassili N’Ajjer. Pour une lecture de la structure socio-politique touarègue.
Meriem Bouzid: La formation des obédiences tribales et de pouvoir dans le Tassili (en arabe)
Fatma Oussedik: « Les émeutes de Ghardaïa ». L’Algérie, une société en guerre contre elle-même (en arabe et en français)
Mohommodou Houssouba: Conscience collective et imaginaire collectif autour de l’appartenance (supposée) à une communauté linguistique. Le cas des parlers songhay berbérisés de l’espace sahélo-saharien (korandjé de Tabelbala, tadasahak de Ménaka, etc.)

THÉORIE

Abderrahman Moussaoui: L’Algérie, d’une communauté à l’autre
Abdelhafid Hamdi-Cherif: Communauté, Communautés. La hiérarchie des appartenances
Hartmut Elsenhans: Économie politique des Nouveaux Mouvements Identitaires et Culturels

ÉTUDES & DOCUMENTS

Nacer Baelhadj: L’évolution historique de la communauté dans le Oued M’zab, du XVe siècle à ce jour (en arabe)
Mohammed Khaled: L’ordre confrérique : De la zaouiya el mokhtariya chez les Ouled Jallal (en arabe)
Salim Khiat: Noirs autochtones et immigrés subsahariens en Algérie. L’Altérité en circulation (en français)
Goran Fejic et Kajsa Eriksson: La démocratie dans les sociétés déchirées par la guerre


L’ÉMERGENCE DES FEMMES AU MAGHREB UNE RÉVOLUTION INACHEVÉE

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L’ÉMERGENCE DES FEMMES AU MAGHREB

UNE RÉVOLUTION INACHEVÉE

Dernière publication de Kamel Kateb

éditions APIC

Alger – 2015

Plan succin de l’ouvrage

Première Partie:

Plus de temps dans le célibat, Un mariage de plus en plus tardif

  • Transformation profonde du système matrimonial
  • Scolarisation, emploi féminin et célibat prolongé ?
  • Un processus lent de dérégulation du marché matrimonial

Deuxième Partie

L’ordre social et religieux face aux changements démographiques:

  • Célibat, nuptialité et ordre social et religieux
  • Le politique face à l’ordre Social et Religieux
  • Dissolution du système patriarcale

Troisième Partie:

Une révolution silencieuse au plus profond de la société

  • Une montée en puissance des femmes : Plus de savoir pour plus de droits?
  • Célibat prolongé des femmes pour un changement de société?
  • Célibat prolongé pour un système matrimonial plus adapté?
  • Autonomisation progressive du mouvement féminin
  • Rapport de genre : les difficiles compromis