PARIS – 23 & 24 JANVIER 2016: POUR UN PLAN B EN EUROPE

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à Paris, accueil de 12h30 à 13h
Maison de la Chimie, 28, rue Saint-Dominique 75007 Paris
(sur inscription uniquement)
Mot d’accueil des coordinateur-trice-s du Parti de Gauche,
Danielle Simonnet et Eric Coquerel (13H)
Interprétation : français, anglais et espagnol

OUVERTURE PAR OSKAR LAFONTAINE,
ANCIEN MINISTRE DES FINANCES ALLEMAND (13H15)

Tables rondes sur l’euro (14h-16h)
TABLES RONDES : MAÎTRISER LA MONNAIE

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INTERMEDE PAR ZOE KONSTANTOPOULOU,
ANCIENNE PRÉSIDENTE DU PARLEMENT GREC (16H15)

www.euro-planb.eu

Tables rondes sur la dette (17h-19h)
TABLES RONDES : MAÎTRISER LES DETTES PUBLIQUES
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CONCLUSION PAR STEFANO FASSINA,
ANCIEN MINISTRE DES FINANCES ITALIEN (19H15)

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OUVERTURE PAR YANIS VAROUFAKIS,
ANCIEN MINISTRE DES FINANCES GREC (10H00)

Tables rondes sur les échanges internationaux (10h45-12h45)
TABLES RONDES : MAÎTRISER LE COMMERCE INTERNATIONAL
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CONCLUSION PAR JEAN-LUC MÉLENCHON,
EURODÉPUTÉ FRANÇAIS (13H00)

BRUXELLES- 15-16-17 OCTOBRE- CADTM: MARCHES – MANIFESTATIONS – CONFÉRENCE EUROPÉENNE SUR LA DETTE

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COMMUNIQUÉ


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La semaine prochaine, des Marches venant des quatre coins de l’Europe convergeront vers Bruxelles.

L’objectif : porter au niveau européen le OXI (NON) du peuple grec,

  • encercler le sommet du Conseil européen (le 15 octobre 2015),
  • débattre (le 16 octobre 2015)
  • et manifester (le 17 octobre 2015).

Toutes les informations sont disponibles sur le site OX15.

Si vous êtes à Bruxelles, ou dans les parages, vous pouvez en tout cas bloquer votre journée du 16 octobre pour une grande conférence européenne sur la dette, coorganisée par le CADTM et ATTAC Europe.

Au plaisir de vous y retrouver,

L’équipe du CADTM


CONFÉRENCE EUROPÉENNE SUR LA DETTE

Le 16 octobre, à Bruxelles, dans le cadre de 3 journées d’action contre l’austérité et les traités de libre-échange, une grande conférence européenne sur la dette accueillera des représentants des mouvements sociaux et des parlementaires européens:

Zoé Konstantopoulou, ex-présidente du Parlement Grec
Eric Toussaint, CADTM International
Thomas Coutrot, ATTAC France
Ludovica Rogers, Debt Resistance UK
Philippe Lamberts, Groupe des Verts européens
Aïcha Magha, ACiDe et FGTB Wallonne
Miguel Urban, Podemos Espagne
Myriam Djegham, CSC, MOC Belgique
Michel Husson, Collectif d’Audit Citoyen (CAC), France
Marco Bersani, président d’ATTAC Italie
Chiara Filoni, CADTM Belgique
Diarmuid Ó Floinn, Parlementaire Irlandais
Thanos Contargyris, ATTAC Grèce
Bruno Théret, économiste français

Coorganisée par le CADTM et ATTAC Europe,

cette grande conférence se déroulera à

l’Auditoire Dom Helder Camara, Rue Plétinckx, 19 (siège de la CSC),

de 9h30 à 17h30.

Entrée libre.

Plus d’infos sur cette page.


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#DEBTOVER

Les comptes rendus de l’Université d’été sont en ligne !

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Retrouvez en ligne des enregistrements audios, des textes, des diaporamas et bien sûr des photos de l’Université d’été 2015 du CADTM Europe.


Voir aussi sur le site du CATM

[CADTM-INFO]

le dernier [BULLETIN ÉLECTRONIQUE –

du Mardi 6 octobre 2015->http://cadtm.org/Bulletin-electronique]

Voir dans le navigateur

ÉDITO

Comme nous l’avons communiqué à travers plusieurs articles, la Commission d’audit de la dette grecque continue son travail.

Lors de la journée de clôture de leur session de septembre, Éric Toussaint, coordinateur scientifique de la commission, a répondu à tous ceux et toutes celles qui répètent depuis plusieurs mois qu’il n’était pas possible de faire autrement qu’un accord d’austérité et de casse (prolongée) de toutes les conquêtes sociales acquises par les Grecs.

« La situation n’aurait pas été catastrophique si le gouvernement Grec avait suivi les recommandations de la Commission, à n’en pas douter, elle aurait même été meilleure». Après l’imposition de politiques d’ajustement mortifères, un allègement de la dette grecque aura peut être lieu sous la forme d’un report des calendriers de remboursement mais l’accord de juillet ne contient pas de traces d’ une hypothétique restructuration de la dette, a affirmé Éric Toussaint.

Notons aussi que la restructuration de dette, loin d’être une formule miracle, représente souvent un piège pour les pays débiteurs. Comme le dit Renaud Vivien dans une tribune publiée dans Libération, « l’Histoire montre que les restructurations de dettes sont pilotées par les créanciers pour servir leurs intérêts».

Nous consacrons d’ailleurs le premier numéro thématique de notre revue Les Autres Voix de la Planète à cette épineuse question des restructurations de dette. Vous pouvez vous abonner en allant visiter cette page.

Suite aux travaux de septembre, la Commission a publié un communiqué, déclarant le troisième Memorandum et l’accord de prêt d’août 2015, illégaux, illégitimes et odieux.

Nous suivons toujours activement la situation au Burkina Faso, où le peuple, grâce à ses mobilisations auxquelles la jeunesse a grandement participé, a fait échouer la tentative de coup d’État menée par le RSP (Régiment de sécurité présidentiel), une milice créée par l’ex-dictateur Blaise Compaoré.

Vous pouvez lire plusieurs articles de Bruno Jaffré, le biographe de Thomas Sankara, mais aussi une interview récente d’Humanist, membre du Balai Citoyen, tous deux présents à l’Université d’été du CADTM.

Dans le cadre de mobilisations européennes contre le TTIP, de nombreuses activités auront lieu à Bruxelles la semaine prochaine.

Le 16 octobre, l’Assemblée citoyenne européenne sur la dette aura pour objectif la construction d’un débat stratégique sur la dette, l’austérité et les solutions alternatives en Europe.

De nombreux représentants de mouvements sociaux européens et des membres d’audits citoyens seront présents.

DOSSIER SPÉCIAL GRÈCE

Le 13 juillet 2015, malgré la victoire éclatante du Non/OXI à l’austérité lors du référendum du 5 juillet (62% de Non contre 38% de Oui), les créanciers ont imposé au premier ministre grec un accord inacceptable.

Ensuite, dans la nuit du 15 au 16 juillet, le parlement grec a ratifié ce nouveau mémorandum grâce à l’apport des partis de droite alors que Syriza se divisait.

Le rapport intermédiaire de la Commission d’audit de la dette grecque établit que la dette réclamée à la Grèce est presque entièrement illégitime, illégale et odieuse. À la suite des élections du 20 septembre, un gouvernement Syriza-Anel a été reconduit mais cette fois sans représentants de la gauche de Syriza, la grande majorité ayant quitté le parti.

La Commission pour la vérité sur la dette grecque s’est réunie en septembre et a statué sur l’illégitimité et l’illégalité des dettes liées au 3e mémorandum.

Lire le dossier

pour lire la suite, aller sur le site du CADTM


COMMENT ON CAPTURE LES RICHESSES D’UN PAYS AU 21ème SIÈCLE

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Contribution de Ahmed Henni [[Ahmed Henni est professeur d’économie à l’Université d’Artois, en France.

Il a notamment publié Syndrome islamiste et les mutations du capitalisme (Non Lieu, Paris : 2007)

et Le Capitalisme de rente : de la société du travail industriel à la société des rentiers (L’Harmattan, 2012).]]

[le 24 août 2015

Maghreb Emergent
->http://www.maghrebemergent.com/contributions/opinions/50585-les-etats-de-l-eurogroupe-sont-les-delegataires-des-rentiers-financiers-opinion.html]

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« Au lieu d’investir dans un pays et y posséder des terres et usines, il suffit de l’endetter et d’utiliser la souveraineté de son propre État et en faire le délégataire de la capture.

[repris sur le blog algerie infos

Saoudi Abdelaziz

le 25 août 2015->http://www.algerieinfos-saoudi.com/2015/08/ahmed-henni-comment-on-capture-les-richesses-d-un-pays-au-21e-siecle.html]

LES ÉTATS DE L’EUROGROUPE SONT LES DÉLÉGATAIRES DES RENTIERS FINANCIERS

Par Ahmed Henni, 24 août 2015

Les gouvernements de l’Eurogroupe ont imposé au gouvernement grec un certain nombre de mesures permettant, grâce à des prêts qu’ils lui accordent, d’opérer des transferts de richesse de la Grèce vers les autres pays, particulièrement vers les institutions financières détenant des créances sur l’État ou l’économie grecs.

Traduction : pour capturer de la richesse sur le peuple grec, on a utilisé la souveraineté des États pour mettre sous protectorat un autre État.

Les rentiers financiers ont donc : 1) délégué aux États le soin de mener cette capture ; 2) évité d’investir dans le système productif grec pour en tirer leurs profits.

La souveraineté des États permet aujourd’hui de capturer de la richesse par délégation et le fait mieux que la propriété de moyens de production, relégués, eux, dans des pays exotiques.

J’avais dans mon livre publié en 2012, Le Capitalisme de rente, décrit cette transformation dans les pays capitalistes développés. J’y annonçais que la forme actuelle que prend le capitalisme, dominé par la capture rentière, utilise davantage les ressources de la souveraineté des États, transformant ceux-ci en simples délégataires des rentiers et reléguant la propriété des moyens de production matérielle au deuxième plan.

Or, la principale source de rente est, aujourd’hui, la puissance monétaire. Elle exige un statut éminent indiscutable et indiscuté par une affirmation de souveraineté. Elle demande à se doter de moyens de pression garantissant l’ordre monétaire et le recours à des actions épisodiques périodiques pour faire exemple.

J’ai évoqué à ce sujet la pratique de la cryptie, utilisée par Sparte: organiser périodiquement des raids terroristes contre leurs esclaves ilotes pour les soumettre et les dissuader de toute velléité de révolte.
Or, que nous apprend M. Varoufakis, ancien ministre grec des finances? Que M. Schäuble, le ministre allemand, aurait voulu utiliser le cas grec pour terroriser le gouvernement français qui, lui aussi, fait face à un sérieux problème de comptes publics. Selon lui, il viserait «l’État-providence français, son droit du travail, ses entreprises nationales et considère la Grèce comme un laboratoire de l’austérité, où le mémorandum est expérimenté avant d’être exporté» (Le Monde, 22 août 2015).

De ce fait, si, dans le capitalisme industriel, la propriété des moyens de production matérielle était recherchée par les uns et combattue par les autres (elle est au centre de la réflexion socialiste accompagnant la société industrielle), aujourd’hui, c’est la souveraineté sur l’économie mondiale qui est recherchée. Elle procure, comme toujours, des rentes et devient un enjeu central.

D’un autre côté, lorsqu’il s’agit de modifier le partage des rentes que permet la souveraineté, les différents États et groupes sociaux, rentiers ou protestataires, délaissent les ressources que procure la propriété des moyens de production pour renforcer les moyens de la souveraineté ou revendiquer un meilleur accès aux rentes qu’elle procure.

L’appui sur la capacité souveraine et sur la loi nécessite de la puissance. Celle-ci doit s’exprimer aussi bien au niveau international – garantir l’ordre monétaire et la sécurité des différentes circulations (monétaire et autres) et contraindre les différents États à les respecter et payer les intérêts des dettes et autres droits à redevance (sur les logiciels, etc.).

Les menaces ressenties ne viennent plus des conflits liés à la propriété des moyens de production mais de possibles atteintes à la souveraineté.

Cet usage de la souveraineté revient au premier plan. Il consiste à instrumenter de plus en plus l’État lui-même à des fins de prélèvement de richesses sur les populations.

Le capitalisme de rente actuel se caractérise par un retrait de l’État de la sphère productive – «libéralisme» – et son cantonnement dans le double rôle d’État minimal assurant la sécurité de la circulation économique, ce qui l’a rendu plus répressif, et d’État endetté prélevant des impôts pour payer des intérêts à ses créanciers.

Au lieu d’investir dans un pays et y posséder des terres et usines, il suffit de l’endetter et d’utiliser la souveraineté de son propre État et en faire le délégataire de la capture.

Source: Maghreb-Emergent

LE GAZ DE SCHISTE EN ALGÉRIE : UN MOUVEMENT DE CONTESTATION INÉDIT

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Hocine Malti,

Parlement européen,

Bruxelles, 4 juin 2015

Conférence du groupe des Verts sur les hydrocarbures non conventionnels au Parlement européen ‘ »Un point de vue extra européen : le cas de l’Algérie ».

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La genèse

Tout a commencé il y a une dizaine d’années quand l’Agence américaine de l’énergie a publié une étude dans laquelle l’Algérie était classée troisième au monde pour ce qui est des réserves de gaz de schiste, qu’elle avait estimées à près de 20 000 milliards de m3. Disons tout de suite que ce sont là des chiffres fantaisistes : la même agence, en utilisant les mêmes techniques d’appréciation, s’est trompée dans un rapport de un à cinq pour ce qui est des réserves de la Pologne. Pour la Californie, ce sont 96 % des réserves qu’elle avait annoncées qui n’existent pas en réalité. En Algérie, cela n’est cependant pas tombé dans l’oreille d’un sourd ; la compagnie nationale des pétroles Sonatrach, se fondant sur ces affirmations, a foré un premier puits de gaz de schiste en 2008.

En parallèle, en 2010-2011, le gouvernement s’est rendu compte que l’Algérie n’attirait plus les investisseurs étrangers, en raison d’une loi sur les hydrocarbures qui était devenue un véritable repoussoir. Il décida alors de la changer. Il prit attache des compagnies pétrolières étrangères et entreprit avec elles ce que l’on peut considérer comme des négociations secrètes, dans le but de savoir quelles modifications elles souhaitaient. Elles « suggérèrent » que soit révisé le système de calcul de l’impôt et que soit autorisée l’exploitation du gaz de schiste. Ce que le gouvernement fit dans une nouvelle loi sur les hydrocarbures, entérinée par le Parlement en 2013.

Les multinationales pétrolières ne se bousculèrent pas pour autant au portillon, car elles ne voulaient pas essuyer les plâtres, tant sur le plan technico-économique qu’au plan des relations avec les populations locales. Preuve en est que lors de l’appel à la concurrence pour l’attribution de permis de recherche de septembre 2014, aucun des dix-sept périmètres censés contenir du gaz de schiste ne trouva preneur. Sonatrach se lança alors seule dans le forage de puits d’exploration. Elle a réalisé, à ce jour (autant que l’on sache, car aucune information ne filtre à l’extérieur), sept à huit puits dont deux sur le permis de l’Ahnet (région d’In-Salah).

La réaction de la population

Dès que l’on sut, déjà en 2012, que la nouvelle loi sur les hydrocarbures allait permettre l’exploitation du gaz de schiste, un vent de protestation se mit à souffler sur l’Algérie. Les mouvements associatifs, des spécialistes pétroliers, des journalistes, des responsables politiques, des syndicalistes manifestèrent leur opposition à ce projet. Le mouvement de protestation s’amplifia en 2013, après la promulgation de la loi. Le Premier ministre tenta de calmer le jeu et fit notamment une déclaration, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est malheureuse : il dit que l’exploitation n’était pas prévue avant 2025, voire 2040, comme si le fait de reporter à plus tard la catastrophe la rendait plus acceptable. Il dit aussi que les produits chimiques utilisés lors de la fracturation hydraulique n’étaient pas plus nocifs que ceux dont sont imbibées des couches-bébé…

À In-Salah, le mouvement de protestation de la population a été plus puissant que partout ailleurs. Parce que, non seulement le forage des deux puits programmés se déroulait, on peut dire aux portes de la ville (à 28 km à vol d’oiseau), mais aussi parce que des dizaines, voire des centaines d’autres puits suivront, dans le cas où il serait décidé d’exploiter le gaz contenu dans ce bassin géologique. L’opposition de la population d’In-Salah est d’autant plus légitime qu’elle souffre de traumatismes antérieurs. C’est dans cette région qu’ont eu lieu les expériences atomiques françaises des années 1960 et c’est ici aussi que se déroule une autre opération extrêmement dangereuse pour l’homme et son environnement, celle de la séquestration du CO2 dans le gisement de gaz de Krechba.

Le face-à-face autorités-population

La visite du ministre de l’Énergie, fin décembre 2014, pour inaugurer le premier puits allait mettre le feu aux poudres à In-Salah. Il s’en prenait violemment à la population qui, disait-il, avait montré par ses manifestations contre le gaz de schiste qu’elle voulait du mal à son pays et qu’elle allait en faire un nouvel Irak ou une nouvelle Libye. Dire cela à des gens connus pour leur pacifisme et qui, après tout, ne réclament rien d’autre que le droit à la vie…

Depuis le 1er janvier 2015, c’est toute la population qui manifeste journellement, du matin au soir sur la place centrale de la ville qu’elle a débaptisée et qu’elle appelle Sahat Essoumoud (place de la Résistance). Il s’est constitué un collectif anti-gaz de schiste composé de vingt-deux membres qui veille à ce que le mouvement demeure pacifique, mais extrêmement ferme dans ses revendications. C’est là un fait inédit en Algérie, et ce pour deux raisons.

C’est la première fois que l’on voit autant de femmes dans une manifestation de rue. Ailleurs à travers le pays, on ne voit d’habitude que des hommes et quelques rares femmes noyées dans la foule, alors que là il y a pratiquement autant de femmes que d’hommes. La seconde raison est que l’on a affaire à un mouvement citoyen sans motivations politiques ni matérielles. Cette foule ne dit pas « Bouteflika, dégage ! » et ne demande pas d’argent ou de privilèges particuliers. Et ça, le pouvoir ne sait pas traiter.

Il sait comment casser un mouvement de contestation politique. Par la matraque, les gaz lacrymogènes, les arrestations, etc. Par la manipulation et l’infiltration du mouvement : il sait corrompre les leaders ou pousser à la violence les militants. Par le « clonage », en créant un mouvement parallèle, généralement plus extrémiste dans ses revendications affichées pour mieux torpiller l’action des mouvements d’origine. Toutes ces techniques ont été utilisées sans succès à In-Salah. Pour neutraliser un mouvement de contestation à motivation matérielle, le régime algérien sort quelques millions de dollars du Trésor public qu’il distribue aux contestataires et achète ainsi la paix sociale. À In-Salah, ce sont tour à tour le Premier ministre, le chef de la police, le chef de la région militaire qui se sont rendus sur place et ont tenté de calmer les ardeurs de la population. Laquelle rejette toute discussion et n’exige qu’une seule chose : que le président de la République proclame l’arrêt des forages.

La contestation a pris une ampleur particulière au cours du premier trimestre 2015 . On a vu naître un peu partout à travers le pays des collectifs identiques à celui d’In-Salah, qui se sont fédérés au niveau national au sein d’un « collectif national Non au gaz de schiste ». Le 23 février, a été adressée au président de la République une demande de moratoire, accompagnée d’un argumentaire extrêmement bien fait dans lequel sont démontrés tous les dangers que comporte la technique de fracturation hydraulique utilisée pour extraire le gaz de schiste de la roche-mère ; les dangers pour la santé de l’homme mais aussi les risques de pollution du sol, du sous-sol, de l’air, de l’eau, notamment de la couche albienne qui recèle des dizaines de milliers de milliards de mètres cubes d’une eau fossile, accumulée là depuis la nuit des temps. Cet argumentaire relève également que l’exploitation du gaz de schiste est économiquement non rentable.

Dans la demande adressée au président de la République, en sus de la promulgation d’un moratoire, il a été proposé qu’ait lieu un débat public, une confrontation d’idées entre les experts ayant préparé l’argumentaire qui y est joint et les spécialistes qui auraient préparé le dossier technique sur lequel s’est appuyé le gouvernement pour autoriser l’exploitation du gaz de schiste. À ce jour, aucune réponse n’a été donnée par le président de la République à cette requête.

L’« assistance » américaine

Constatant que le mouvement de rejet de l’exploitation du gaz de schiste se propageait rapidement à travers le pays et craignent que le « virus » n’atteigne le cœur de la Sonatrach, le pouvoir a fait appel à l’assistance des États-Unis. Le 18 février de cette année il fit inviter par l’IAP (Institut algérien du pétrole) un spécialiste « indépendant » américain qui vint à Alger exposer aux cadres supérieurs de l’entreprise nationale les bienfaits que cela procurerait à l’Algérie. Effectivement, ce spécialiste, Thomas Murphy, directeur du Penn State Marcellus Center of Outreach and Research, ne dit que du bien de la fracturation hydraulique, une technique qui serait, selon son expérience personnelle en Pennsylvanie, sans danger pour l’homme, pour la faune et pour la flore. Il ne fit qu’une seule recommandation, celle d’agir en toute transparence, car, dit-il, les masses populaires sont ignorantes de toutes les retombées positives que procure l’exploitation du gaz de schiste.

Il faut savoir que le centre de recherches que dirige M. Murphy est chargé du suivi de l’exploitation du gisement de gaz de schiste de Marcellus, l’un des plus grands – si ce n’est le plus grand – aux États-Unis, et que participent au fonctionnement et au financement de ce centre pas moins de trois cents firmes, toutes intéressées à un titre ou un autre par l’exploitation du gisement. Que pouvait donc dire d’autre M. Murphy, si ce n’est louer les bienfaits de l’exploitation du gaz de schiste ? Le gouvernement connaissait évidemment ce « détail » : c’est en toute connaissance de cause qu’il fit appel à ce représentant d’un lobby, qu’il présenta comme un expert « indépendant ».

Autre initiative américaine, la venue à Alger dans le courant de la première quinzaine de mars 2015 de Charles Rivkin, sous-secrétaire d’État aux Affaires économiques, qui fit une conférence de presse à l’ambassade des États-Unis, au cours de laquelle il déclara qu’il « n’avait pas de conseils à donner aux Algériens, mais qu’il fallait qu’ils sachent que, dans son pays, l’exploitation du gaz de schiste avait été créative d’emplois, que la technique utilisée était saine et sans dangers et que l’opération était rentable ». Puis il ajoutait que « les États-Unis étaient disposés à fournir à l’Algérie l’assistance technique nécessaire, si elle le désirait ». Venant de la part d’un représentant officiel de la première puissance mondiale, c’était là plus qu’un conseil donné aux Algériens, c’était un ordre.

Pollution et hécatombe d’oiseaux

Aujourd’hui, il est certain que la pollution est déjà là. Elle est partout : dans l’air, à la surface du sol et dans le sous-sol. Il n’est qu’à voir, pour s’en convaincre, ces images diffusées sur Internet de bourbiers laissés derrière eux par les exploitants, qu’il s’agisse de Halliburton ou des foreurs de la Sonatrach. Il y a de fortes chances que la nappe d’eau phréatique, utilisée par la population locale pour ses besoins personnels, soit déjà polluée ou en voie de l’être très bientôt.

D’ailleurs des pigeons sont morts, des faucons sont morts, des volées de cigognes en migration sont mortes également. On ne connaît pas la raison exacte d’une telle hécatombe, très probablement la conséquence de la pollution des eaux et de l’air causée par les forages réalisés ou en cours dans la région. Connaîtra-t-on un jour la vérité ? Cela semble difficile, car les vétérinaires d’In-Salah ou des villes avoisinantes, sollicités pour procéder aux examens, analyses ou autopsies qui permettraient de déterminer les causes de ces morts, refusent de les faire. Ils craignent des représailles de la part des autorités dans le cas où ils viendraient à démontrer des liens de cause à effet entre les forages de gaz de schiste et ces disparitions d’oiseaux…

Sources : algeria-watch.org

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VIDÉO : IN SALAH Gaz de schiste – med hamou – février mars 2015

OMAR AKTOUF S’OPPOSE À LA MEUTE DES EXPERTS NÉOLIBÉRAUX

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[ Publié par Saoudi Abdelaziz

le 26 Juillet 2015->http://www.algerieinfos-saoudi.com/2015/07/omar-aktouf-s-oppose-a-la-meute-des-experts-neoliberaux.html]

ob_d86a01_omar-aktouf.jpgPhoto DR

Lorsque Liberté titre ce matin “Le gouvernement n’a aucune vision économique” reprenant une phrase de l’interview de Omar Aktouf, on pourrait penser que cet économiste hétérodoxe a rejoint la meute des experts néolibéraux qui à la faveur de la diminution des recettes pétrolières, se relayent pour expliquer que l’Algérie doit sans tarder tenir compte des « réalités de la mondialisation ». Ils expliquent l’urgence d’un tournant « anti-populiste », et demandent aux décideurs de mettre aux oubliettes les responsabilités sociales de l’Etat algérien qui sont constitutives du pacte national, depuis le 1er Novembre . Les néolibéraux veulent que l’on aille plus loin et plus systématiquement dans le démantélement de cette option sociale déjà fortement rongée. Le drame de la maternité du CHU de Constantine illustre encore une fois les conséquences dramatiques de l’abandon du rôle de l’Etat dans la Santé publique. Omar Aktouf se situe à contrecourant de la meute.

Quelques propos

La politique actuelle est « flottante »

« Pour paraphraser un certain Charles de Gaulle, je dirais que nos décideurs font de la politique “qui flotte sur l’événement, comme le bouchon flotte sur la vague”. C’est là le résultat d’un vide total en matière de vision économique. Ce qui en tient lieu, c’est une religion, un dogme, assis sur les chimères du “Dieu Marché” néolibéral, qui impose la “non-vision” : “laisser faire” et compter sur la régulation magique de la main invisible. Laisser “le bouchon flotter” au hasard ».

Les pouvoirs successifs n’ont jamais eu la volonté “ferme” de diversifier l’économie, trop contents de s’appuyer sur la manne des hydrocarbures : on pompe, on vend, on importe, on achète la paix sociale, on se gave et on continue. J’ai vu un embryon d’une telle volonté à une période de l’époque dite “Boumediene”. Lorsque notre pays faisait ce que font les pays émergents : des politiques de développement autocentré. C’est-à-dire, compter sur ses propres ressources en les développant : formation d’ouvriers, techniciens, cadres tous azimuts ; installation de capacités de production ; supervision étatique des infrastructures et moyens d’équipement ; lancement de plans par priorités sectorielles ; contrôle des secteurs stratégiques ; élimination des dépendances extérieures. Mesures s’accompagnant de l’implication (Corée, Malaisie, Chine) d’un secteur privé poussé à être “patriotique” et intraverti. Boumediene et ses technocrates furent vite dépassés par les gangrènes qui commencèrent à ronger le pays : népotisme, clanisme, ascension des incompétents, corruption.

« Il ne s’agit pas de réduire les dépenses de l’État, il s’agit d’en hausser les revenus en allant chercher l’argent là où on sait qu’il est. Mais cela implique de sortir de l’ornière néolibérale et oser autrement. Mais cela implique de sortir de l’ornière néolibérale et oser autrement. Comme la Suède dont près de 60% du PNB provient de l’impôt, ou l’Islande qui, après 2008, a étatisé le système financier du pays. Ils s’en portent très bien. Ces actes “d’austérité” qu’adopte notre pays n’ont que trop montré les dégâts qu’ils peuvent causer, particulièrement en Europe, otage d’un fanatisme néolibéral qui ne profite qu’aux banques et aux multinationales. Notre pays se classe, pour les fortunes privées (connues), parmi ceux qui en possèdent les plus grosses d’Afrique et du monde. Cela donne une idée de l’ampleur des “pertes de revenus” pour l’État et de l’immensité des inégalités. Ce qui se passe en Grèce devrait nous éclairer et nous faire radicalement changer de cap.

La politique d’austérité, une solution?

Absolument pas ! Il suffit de regarder l’Europe et voir ce que près de huit ans de ce genre de “remède” a donné. Toute politique de diversification a déjà été handicapée, annihilée depuis longtemps par l’abandon des mesures “d’auto-centrage”, puis par l’effet des diktats néolibéraux, le bradage de l’économie aux mains d’“élites” vendues au chant néolibéral-néocolonialiste et ses refrains : “libre marché”, “déclin de l’État”, “privatisations”, “coupures”. Diversification annihilée, également, par le recours à des experts dont la compétence est à l’aune de leur vassalité vis-à-vis du modèle américain. Armes de destruction massive en tête : MBA et autres DBA (Doctorate in Business Administration, invention académique US destinée à renforcer, par titre ronflant interposé, la fabrication de la doctrine du “comment plaire aux classes riches” que l’on dénomme “management”). On en voit les résultats aujourd’hui. Et les gros freins à la diversification : d’abord, il est trop tard pour lancer un développement autocentré, et ensuite, trop facile de continuer la stratégie de rente et de captage des retombées de la rente.

Les problèmes structurels de l’économie algérienne

Ces problèmes sont autant techniques que politiques, écologiques, sociaux… Mais, c’est le propre de ces doctrines (surtout de type US) de laisser croire que tout doit être résolu par des “techniques”. Et que tout ce qui est philosophie sociale, écologie, économie politique, projets de sociétés n’est qu’inutiles balivernes. C’est la mission des écoles de MBA et DBA qu’on multiplie comme des champignons : mathématiser, techniciser et tout réduire en service au money making. La nature devient “stocks”, la société “marché d’employables”, l’humain “ressource”, etc. Surmonter les problèmes structurels de notre économie doit passer par une radicale rupture avec le néolibéralisme, comme la Malaisie de Mahathir qui se plaisait à répéter : “Look East !” ou “regarder vers l’Est” (modèles nippon, coréen…). Il nous faut comprendre que ce qui est à la base de la crise structurelle de l’Occident du capitalisme financier, c’est que nul ne songe à couper dans les indécents “salaires”, “bonus”, “parachutes”, que s’octroient (via les cercles mafieux que l’on dénomme Conseils d’administration) les patrons et gros actionnaires. Alors que c’est là que les États iraient chercher “économies” et sources d’équilibres budgétaires. La raison en est simple : les vrais décideurs se trouvent dans les banques et dans les CA des CAC-40 (40 plus grosses firmes de France) de ce monde (soit dit en passant, ce CAC-40 ne paie en moyenne que 8% de ses revenus au fisc français, alors que n’importe quel ouvrier est taxé à 50% ou plus).

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Source : Liberté.com

« ZEITGEIST ADDENDUM » – DOCUMENTAIRE SUR LE SYSTÈME MONÉTAIRE

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https://www.youtube.com/watch?v=FdruX1blV5o

signalé par un visiteur du site:

… je voudrais aussi partager, avec vous tous, un documentaire vraiment exceptionnel de froideur d’analyse qui met à nu les mécanismes de la dette, de la guerre…
Nous connaissons déjà bien sûr, plus ou moins, tout cela, mais lever le voile à ce point, sur la mécanique monétaire est vraiment exceptionnel

Il s’agit du Documentaire sur le système monétaire‏: « Zeitgeist Addendum »

Ce documentaire très intéressant décrit clairement le système monétaire mondial et ses implications sur le monde, (les premières minutes sont de mauvaise qualité et inutiles pour la compréhension, les zapper).


Texte de présentation ( traduction de l’anglais en mauvais français, dans la présentation, avec des mots corrigés par moi marqués entre [..]):
« Zeitgeist Addendum » est un immense documentaire d’une honnêteté rare et d’une intelligence rayonnante qui tente d’éveiller, à qui sait écouter, la conscience à un niveau impersonnel [d’objectivité]et immesurable [incommensurable]. Démontrant avec une impitoyable lucidité la crise dans laquelle le monde que [où] nous sommes s’est fourvoyé. Une véritable masse cohérente d’informations révélant notre véritable potentiel humain constructif [surtout le potentiel destructif du capitalisme ?]. À voir et à partager…

Dans les conditions de la guerre économique, politique et idéologique actuelle qui se déroule sur tous les continents, il est important de mettre l’accent sur les axes fondamentaux pour mieux éclairer et armer les forces saines dans les sociétés et les nations gravement lésées…

Sommaire :
Chapitre I : « Nul n’est plus désespérément esclave que ceux faussement convaincus d’être libres » : Johann Wolfgang – 1749-1832
Chapitre II : « Il y a deux manières de conquérir et asservir une nation. L’une est par l’épée. L’autre par la dette » : John Adams – 1735-1826
Chapitre III : « Cupidité et compétition ne sont pas le résultat d’un tempérament humain immuable … la cupidité et la peur du manque sont, en effet, créés et amplifiés… la conséquence directe est que nous devons nous battre les uns contre les autres pour survivre » Bernard Liertaer,- Fondateur du système monétaire européen-
Chapitre IV : « Mon pays est le monde… et ma religion est le bien » : Thomas Paine – 1737-1809

RACHAD TV: L’ACTIVITE ECONOMIQUE EN ALGERIE, RAPPORT DE LA BANQUE MONDIALE ET COMPARAISON AVEC NOS VOISINS

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Exposé TV RACHAD

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معا رشاد :: النشاط الاقتصادي في الجزائر: تقرير البنك الدولي

معا رشاد | دهينة | النشاط الاقتصادي في الجزائر: تقرير البنك الدولي ومقارنة بالجيران

by rachadtv

معا رشاد | دهينة | النشاط الاقتصادي في الجزائر: تقرير البنك الدولي ومقارنة بالجيران

تقديم مراد دهينة : عضو أمانة رشاد

23 جوان 2015

VIE ET MORT D’UNE SOCIÉTÉ NATIONALE : L’EXEMPLE SONIPEC

Merci au visiteur de socialgerie qui nous a adressé cet article de 2008 de Mohamed CHOUIEB.

Il s’agit d’un témoignage de « terrain » qui illustre la création, l’implantation et la montée, dans les années 1960-1970, de l’industrialisation en Algérie, ici dans le secteur des cuirs / peaux / chaussures, etc. (SONIPEC),

avant que la désorganisation et le saccage de cette industrie ne soit programmé à la fin des années 1980 – début des années 1990.

Ce témoignage prend plus de sens quand on le rapproche d’autres témoignages sur cette même période qu’il s’agisse du secteur industriel (sidérurgie, métallurgie, électronique, pétrochimie, travaux publics, transports, etc.) ou du secteur agricole ou de services (santé, etc.).

Il reste important de comprendre la planification voulue ou acceptée par certains qui a permis,dans les années 1990, la destruction du tissu industriel de l’Algérie en même temps que celle du secteur agricole et de celui des services, de tout ce qui y était le plus performant et porteur d’avenir.

Par ailleurs des analyses telles que celle de Taleb Abderrahim de 1982 sur « les rapports parti-syndicat en Algérie à travers l’application de l’article 120 des statuts du FLN », repris en ligne sur socialgerie, éclairent particulièrement les prémisses à cette destruction.

En effet pour que ce saccage industriel ait lieu il fallait non seulement que les cadres honnêtes et performants de ces industries soient mis à l’écart et empêchés de participer au développement du pays, mais aussi que la classe ouvrière soit désorganisée (caporalisation / empêchement de toute autonomie syndicale, suppression des élections à la base, etc).

M.R.


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VIE ET MORT D’UNE SOCIÉTÉ NATIONALE : L’EXEMPLE SONIPEC

Mohamed Chouieb
février 2008

Première partie

1 Pourquoi cet article ?

Arrivé à un certain âge, nous ne pouvons échapper au visionnage du film de notre vie. On le passe et on le repasse, pas toujours dans la même version, mais toujours dans la même quête : comprendre les choix et les actes de sa vie, ceux qui semblent bons et ceux qui le semblent moins. Pourquoi à tel moment, j’ai pris cette voie au lieu d’une autre ; ferais-je la même chose si c’était à refaire ? Avec cette terrible question en filigrane : « qu’est-ce que je laisse derrière moi, qu’est-ce que j’ai fait dans ma vie et qui pourrait servir aux autres ? ».
Comme tout un chacun, je ne déroge pas à cette règle.
Et comme souvent dans ces cas-là, on n’éprouve pas spécialement de regrets sur la manière dont on a mené sa vie, car ce qu’on a fait, en bien ou en mal, n’est que le résultat de choix personnels qu’on ne peut qu’assumer, quelles que soient les contraintes et les circonstances qui ont présidé à ces choix, il en est autrement dès qu’on pense à nos projets collectifs, ceux pour la réussite desquels un individu ne suffit pas : nos projets de fierté, nos projets pour le développement de l’Algérie, pour l’avenir et la prospérité de nos enfants, de nos frères et de notre peuple tout entier.
Et là, que de regrets pour l’échec retentissant de tout ce que nous avons entrepris ! Et, à moins d’être aveugle, sourd et muet, que nous sommes obligés de le reconnaître pour chaque jour que nous vivons et qui nous reste à vivre.
C’est vrai que nous avons échoué, que nous avons perdu car les résultats de notre travail sont là, vous les vivez à chaque instant et, pour le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ne sont pas brillants.
Je sais que vous êtes nombreux à penser, et vous êtes en droit de le penser, que nous avons failli parce que nous avons trahi, que nous n’avons pas tout fait pour donner corps aux rêves de nos valeureux prédécesseurs, ceux qui ont donné leurs vies pour que vive l’Algérie libre. Pis, une majorité pense que nous avons volontairement choisi la voie de l’échec parce que nous y trouvions notre compte !
Pris par le tourbillon de la violence de la vie dans notre pays, par l’abandon et le désespoir, par égoïsme ou lâcheté, parfois, peu d’acteurs de cette époque ont pu dire haut et fort ce qu’a été la réalité.
C’est pour cela que j’ai voulu témoigner à mes compatriotes, surtout les plus jeunes, ceux qui sont les plus désemparés et, parfois même, désespérés par ce que nous leurs avons laissé. Pour leur expliquer ce que nous avions voulu faire lorsqu’on était jeunes comme eux, dans l’Algérie d’avant, celle qui ne doutait de rien et qui avançait, celle qui ne voulait pas trahir et qui essayait de donner corps aux rêves de ceux qui n’étaient plus et préparer une existence radieuse à ceux qui n’étaient pas encore là. Aussi pour voir ce que nous avons réussi et là où nous avons échoué afin que les leçons du passé puissent servir à construire un avenir meilleur.

2 Les lendemains de l’indépendance

Cela ne se dit pas trop, cela se sait presque plus, mais réalité est celle-là : le colonisateur français a tout fait pour laisser un pays exsangue au lendemain de l’indépendance afin qu’il mette très longtemps à se relever si jamais il se relève. Et, force à nous de constater que ses objectifs ont été largement atteints mais ça, c’est une autre histoire…
A l’ère des « aspects positifs de la colonisation », nous ne devons jamais cesser d’expliquer ce que nous avons vécu en réalité. Sur le plan économique, tout ce qui a été entrepris ou réalisé ne l’a été que dans un objectif unique : faciliter le transfert des biens et des richesses algériennes vers le pays du colonisateur, c’est-à-dire, un hold-up gigantesque qui a touché tout le pays et qui a duré pratiquement un siècle et demi puisque le pétrole a continué à appartenir aux entreprises françaises longtemps après l’indépendance. Et tout ce qui était manufacturé provenait de ce qu’ils appelaient à l’époque, la Métropole. Pas question pour les Algériens, même sous tutelle coloniale de participer à un quelconque projet ou ambition technologique !
Et à l’indépendance, déjà qu’il n’y avait pas grand-chose, les Français ont systématiquement tout saboté afin qu’il ne puisse jamais servir aux Algériens. Rien n’a échappé à leur fureur destructrice : machines agricoles, infrastructures ferroviaires, ateliers de réparation, archives, bibliothèques (dont la bibliothèque universitaire d’Alger qui a brûlé pendant une semaine !). Finalement, il n’y avait que les routes qui ont échappé au massacre car les colonisateurs en avaient besoin pour quitter le pays !

3 La naissance de l’industrie algérienne

C’est dans ce contexte que les patriotes, ceux qui étaient sur le terrain et ceux qui les ont rejoints, ont commencé à prendre les choses en main. Il fallait d’abord assurer une certaine continuité des fonctions essentielles de l’Etat et puis, tant que faire se peut, maintenir une activité économique. Chacun a pris la responsabilité de remettre en marche l’activité ou l’administration dans laquelle il travaillait : exploitations agricoles, transports, équipements des collectivités, santé, administration…l’autogestion du pays s’est spontanément mise en route.
C’est dans ce contexte que des hommes exceptionnels ( Liassine et Ghozali, notamment qui furent respectivement DG de SNS et de Sonatrach ) se sont retrouvées à la tête du BAREM (Bureau algérien de recherche et d’exploitation minière) qu’ils transformèrent en BERI ( Bureau d’études et de réalisations industrielles), c’est-à-dire, le géniteur de l’industrie algérienne.
Le principe était simple : il fallait valoriser sur place les matières premières qui étaient auparavant exportées à l’état brut. , c’est-à-dire les minerais et les produits agricoles.
Ainsi est née, en 1966, la TAL, Société nationale des tanneries algériennes, dont la mission était de transformer en cuir les peaux brutes algériennes afin de jeter les bases d’une industrie du cuir et de la chaussure capable, à terme, de chausser les Algériens.
Le fondateur de la TAL fut Rabah Bouaziz, patriote extraordinaire, ancien responsable FLN de la Fédération de France et premier préfet d’Alger après l’indépendance, poste qu’il quitta le 19 juin 1965. Refusant de cautionner le coup d’état dont il eut la nouvelle par la radio, il resta chez lui pour attendre la suite des évènements. Trois jours après, on vint le chercher pour une passation de consignes avec le nouveau préfet. Il répondit aux émissaires du nouveau pouvoir : « Quand je suis rentré dans les bureaux, tout était par terre. Estimez-vous heureux de trouver tous les dossiers rangés sur les étagères ! ». C’était cette formule qui lui a servi de lettre de démission du monde politique. Il devait avoir une trentaine d’années à cette époque et, contrairement à ce qui se passe de nos jours, l’honneur et les convictions passaient plus souvent avant les appels du ventre.
Une forte personnalité que ce Rabah Bouaziz. Colérique, fonceur, irascible, autoritaire à un point inimaginable mais passionné par l’Algérie.
C’est à lui qu’échut le secteur de la tannerie. Une première usine vit le jour en 1966 à Rouiba avec l’aide de nos amis yougoslaves. Suivra, une année après, le rachat d’un vieil atelier de tannerie appartenant à un pied-noir à El Amria, wilaya de Aïn Témouchent, dans la même année et la construction de la tannerie de Jijel avec la Bulgarie.
Les usines démarraient avec un encadrement étranger fourni par le constructeur pendant que ce dernier formait la relève algérienne dans ses propres centres de formation. Prenant soin de ne pas mettre les deux pieds dans le même sabot, la TAL formait aussi ses premiers cadres en France.
Ce qui avait été entrepris pour le secteur cuir l’avait été aussi pour les autres secteurs: bois, industrie alimentaire, métaux, textile, chimie (peinture, détergents…), matériaux de construction avec, en perspective, la constitution d’une industrie manufacturière.
Comment étaient financées ces entreprises ? Au culot, serais-je tenté de dire car l’Algérie n’avait pas un sou. Il faut rappeler que le premier budget de la République Algérienne n’a pu être établi que grâce aux citoyennes algériennes qui ont fait don de leurs bijoux (sandouk ettadammon).
Sans argent, on faisait appel aux pays qui nous avaient aidés lors de la guerre de libération, c’est-à-dire, les pays du bloc communiste à qui on demandait de continuer à nous aider. Ainsi, il ne faut pas s’étonner du fait que toutes les réalisations industrielles post indépendance aient été grâce à la coopération avec les pays de l’Europe de l’Est. Ils étaient les seuls qui avaient accepté de le faire.

Beaucoup de gens pensent que le socialisme, c’était un choix délibéré, un choix politique. Il n’en fut rien de tout cela, l’Algérie n’avait pas le sou, elle a fait appel à ceux qui voulaient lui faire confiance et il n’y a eu que ces amis-là qui ont répondu. Ils ont répondu avec leurs moyens de l’époque, humains, techniques et financiers qui étaient ce qu’ils étaient, mais ils ont répondu.

II Deuxième partie : l’apogée et le déclin

4 La dynamique de l’après-indépendance

Malgré les couacs qui avaient surgi après la guerre de libération, les Algériens ne se sont pas posés de questions. Tout ce qu’ils voulaient, c’était de reconstruire pour qu’il soit, à jamais, libre et puissant. Ils en avaient marre des humiliations et des souffrances. C’est ainsi qu’ils se sont interposés entre les clans qui se disputaient déjà le pouvoir en 1962 au cri de : « Sept ans, ça suffit ! ». Ils se sont ensuite sacrifiés par milliers pour arrêter l’agression marocaine de 1963, protéger Tindouf et les territoires algériens que convoitait le royaume.
Comme celle des anciens, notre génération s’était mise au travail : études, formation, immersion dans la vie professionnelle. Nous voulions montrer que nous étions les dignes héritiers des héros de la lutte de libération. Il ne s’agissait plus de bravoure au combat mais au travail, cet autre combat pour plus de fierté.
Pour la formation de ses cadres techniques et agents de maîtrise, la TAL choisit l’École française de tannerie à Lyon (aujourd’hui Institut des textile et du cuir). Trois ingénieurs et dix agents y étaient en formation à la rentrée 1967, douze ingénieurs, huit techniciens supérieurs et vingt agents de maîtrise l’année suivante. Il en fut ainsi jusque vers la fin des années 70 pour les ingénieurs et techniciens supérieurs.
Quant aux ouvriers qualifiés, ces derniers étaient formés par l’entreprise dans son propre centre d’apprentissage à Jijel.

5 De la TAL à la SONIPEC

Rabah Bouaziz, le créateur de la TAL et l’initiateur de la formation des cadres, n’assista pas à l’arrivée des premières promotions dans les trois unités de production en service à l’automne 1970. Il était déjà parti sous d’autres cieux, trop rebelle et trop libre pour accepter la prééminence du Ministère de l’industrie et de l’énergie qui, déjà, commençait à prendre les choses en main.
Il fut remplacé par Cherif Azzi qui venait finir des études d’économie et de gestion à Paris. C’est ce dernier qui créa la Société nationale des peaux et cuirs (SONIPEC) avec l’acquisition de la Société des industries algériennes de la chaussure (SIAC), homologue de la TAL pour la fabrication de chaussures mais qui, à l’inverse de cette dernière, était prématurément empêtrée dans une multitude de problèmes techniques, commerciaux et financiers.
La SONIPEC eut pour mission de subvenir aux besoins des Algériens en matière de chaussures et maroquinerie (les cartables d’écoliers, notamment). Mais, contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, elle n’avait jamais eu ni demandé à avoir un quelconque monopole sur l’activité. C’est ainsi que, de tout temps, le secteur privé a cohabité avec son activité de production de cuir et, surtout, de chaussures et maroquinerie.
Non seulement, la SONIPEC n’a jamais eu de monopole mais, en plus, elle a toujours approvisionné en matières premières (cuir, synderme et synthétique) les autres manufacturiers, qu’ils soient étatiques comme l’Entreprise d’habillement et chaussures de l’ANP, ou privés. Elle a même nourri une activité de négoce privé de ses productions de cuir et de chaussures. Activité qui a parfois permis la constitution de véritables fortunes aux quatre coins de l’Algérie, aux mains de ceux qui voyaient plus loin et, surtout, différemment de nous.

6 La montée en puissance et l’apogée

La première tâche a essentiellement consisté à créer et renforcer l’outil de production afin d’arriver à une intégration totale de la filière : collecter des peaux dans les abattoirs pour produire du cuir qui sera transformé en chaussures et maroquinerie à commercialiser dans nos magasins. Cela impliquait une parfaite maîtrise d’un certain nombre de paramètres techniques dans le domaine de la planification, la réalisation et de la gestion :

  • synchronisation de la construction et de l’entrée en production des unités de chaussures avec celles des tanneries ;
  • dimensionnement des capacités de production de cuir à celles des unités de manufacture et au réseau de distribution
  • adaptation de la qualité aux besoins de la demande (recherche & développement, création)
  • conception et mise en place d’un système comptable permettant la quantification et la valorisation des échanges entre les différentes unités de l’entreprise
  • mise en place de la comptabilité analytique dans les unités de production.

L’effort de formation de cadres techniques de haut niveau à l’étranger et l’apport appréciable de cadres administratifs et gestionnaires sortis de l’université algérienne permit de faire face à ces impératifs.
Dès 1974, SONPEC renforçait sa position déjà dominante dans le secteur du cuir et de la chaussure en rachetant les quelques entreprises de production entre les mains des privés étrangers (MAC’Sig, Borj-el-Kiffan et, surtout, BATA Algérie et son réseau de distribution).
Et là, aussi, il est nécessaire de rétablir une vérité concernant ces opérations. Contrairement à ce qui est communément admis, ce n’étaient pas des nationalisations au nom de je ne sais quel oukase boumedienniste, au dinar symbolique. C’étaient des transactions en bonne et due forme, effectuées entre le vendeur qui, pour des raisons qui appartenaient à lui seul, avait pris la décision de vendre son entreprise, et l’acheteur, SONIPEC en l’occurrence, qui trouvait intérêt dans le rachat de cette entreprise. Et ces transactions étaient payées rubis sur ongle selon la valeur réelle du bien concerné.
À la fin de la décennie soixante-dix, SONIPEC employait 11 000 personnes dans ses 22 unités de production (3 tanneries, 2 mégisseries, 2 unités de cuir synthétique et de cuir reconstitué, 2 maroquineries et 13 usines de chaussures) ainsi que dans son réseau de collecte de peaux brutes et son réseau de distribution couvrant l’ensemble du territoire national.
L’intégration recherchée dès le début était pratiquement achevée dès 1981 avec le démarrage des nouveaux projets de chaussures et le développement du réseau de distribution. A cette date, SONIPEC couvrait à elle seule 80 % de la demande intérieure en matière de chaussures et de maroquinerie (les 20% restants étaient couverts par le secteur privé) et avait à son actif une expérience appréciable dans l’exportation de produits finis (cuir et produits manufacturés) vers les marchés européens.
Nous pouvons mettre dans l’actif du bilan :

  • une maîtrise totale de la filière cuir et chaussures (en termes de niveau technologique de l’époque) avec un encadrement algérien,
  • une utilisation efficiente de l’outil de production,
  • la mise en place progressive d’outils et de méthodes de gestion efficaces et modernes : maintenance préventive, normalisation, comptabilité analytique, recherche et développement, formation…
  • la bonne exécution de la mission dont SONIPEC avait la charge, c’est-à-dire celle de faire face aux besoins de la population avec la mise à sa disposition de produits de qualité à des prix accessibles même pour les moins nantis,
  • et, enfin, ce qui loin d’être négligeable, l’emploi de personnel en nombre élevé avec une implantation bien répartie sur le territoire national.

Mais comme l’entreprise et celle qui lui ont succédées sont mortes ou agonisantes, cela veut dire que la colonne passif a été, au moins une fois, autrement plus importante que la colonne actif. Et c’est cela que je vais tenter d’expliquer dans la partie qui suit

III Troisième partie : de la restructuration aux difficultés de fonctionnement

7 Les premiers accrocs de la politique d’industrialisation

La restructuration est une vieille marotte du pouvoir algérien : dans tous les domaines, quand ça marche, on casse et on change. Peut-être pour faire plaisir à l’adage populaire «khallat tesfa ! ».Ou, comme si nos gênes hillaliens, dans une quête permanente du retour aux temps bénis du nomadisme, nous poussaient irrésistiblement à détruire aujourd’hui ce que l’on a construit hier. Car, comme l’a si bien dit le président Chadli : « el bled li fa fihach machakil, mach bled ».
L’information selon laquelle le pouvoir avait l’intention de restructurer les sociétés nationales industrielles a déjà commencé à circuler vers la fin de l’ère Boumedienne, au début de l’année 1976, plus exactement, quand le super ministère de l’industrie et de l’énergie fut scindé en deux ministères : industrie légère et lourde et énergie et pétrochimie. Cette option qui mettait fin, en fait, à la mainmise de Belaïd Abdeslam sur la politique d’industrialisation, fut confirmée l’année suivante avec l’instauration de trois ministères :

  • industries légères : B. Abdeslam
  • industrie lourde : Mohamed Yacine
  • énergie et industries pétrochimiques : Sid-Ahmed Ghozali

Les conséquences de ces changements ne se furent pas attendre pour SONIPEC : Chérif Azzi, informé par Abdeslam de la préparation de quelque coup tordu contre les sociétés nationales, bénéficia d’une bourse d’études et partit à l’université de Berkeley en Californie. Une perte sèche pour l’Algérie : Azzi ne revint définitivement au pays que pour y être enterré. Il fit, entre-temps, une remarquable carrière au sein de la Banque mondiale dont il fut le responsable des crédits pour l’Afrique de l’Ouest.
Comme toujours, lorsqu’un responsable algérien quitte son poste, il choisit toujours pour le remplacer quelqu’un dont la faiblesse de niveau fera toujours regretter le temps où il était aux commandes. Azzi ne dérogea pas à la règle et créa la surprise en laissant l’entreprise entre les mains du directeur du personnel alors qu’il y avait une brochette d’ingénieurs de haut niveau à qui il aurait pu confier avantageusement la responsabilité. Et qu’il avait sollicités un à un avant de faire un autre choix. Choix politique, clanique, régionaliste, copinage, tactique ? Cette interrogation n’a cessé de revenir comme un leitmotiv dans la tête des cadres restés en place avant que le temps ne leur fournisse l’explication : comme pendant la guerre de libération, lors des luttes pour la prééminence du politique sur le militaire ou l’inverse, la tutelle avait décidé la prééminence de l’administratif sur le technique, de faire passer le chef du personnel avant l’ingénieur.
Un ressort était cassé même si rien n’apparut au tout début : poursuite du développement, de l’intégration et de l’amélioration de la gestion. Avec, en filigrane, la volonté de montrer que nous étions capables de nous débrouiller en toutes circonstances. Ce furent les années des plus fortes performances de l’entreprise avec la montée en puissance des nouvelles usines de chaussures et l’augmentation de la production des tanneries grâce à l’acquisition d’équipement de dernière génération qui permettait, dans une activité difficilement automatisable, de constituer des lignes de production.

8.1 L’idée de la restructuration

Pendant que l’accroissement de la population algérienne battait tous les records mondiaux, pendant que le monde de demain prenait forme avec l’incroyable développement technologique induit par la numérisation, et que les blocs se dissolvaient dans le grand délice du duo capitalisme /mondialisation, l’Algérie ne trouvait rien de mieux que de se lancer joyeusement dans des expériences économiques hasardeuses. Avec, à la base, une idée (merci Hamid la science !) totalement aberrante mais que les dirigeants algériens trouvèrent tellement géniale qu’elle est restée, jusqu’à nos jours, l’orientation cardinale de la politique économique algérienne. Cette idée géniale peut être résumée en ceci : « Vivre mieux sans travailler et consommer sans produire ».
Comme il fallait s’y attendre, cette nouvelle politique rencontra une très forte résistance de la part des cadres, des intellectuels et des syndicalistes, résistance qui se transforma peu à peu en une guerre larvée à caractère éminemment politique : la défense de l’orientation et des acquis socialistes contre les attaques féodales du pouvoir. Par le nombre et la qualité de ses partisans, cette résistance constitua un obstacle quasiment insurmontable pour l’équipe du successeur de Boumedienne qui cherchait encore ses appuis et qui voulait éviter d’éveiller les soupçons des travailleurs. Les armes de cette résistance : l’argumentation, la démonstration, les chiffres et, souvent, la dérision ; bref ! des idées !
Comment casser cette résistance ? En la dispersant. Comment disperser? En restructurant, pardi !
La machine infernale allait se mettre en branle. Pour l’argumentation, il n’y avait aucun problème. Le monopole politique allant de pair avec le monopole médiatique, il était facile de faire avaler aux gens n’importe quelle ânerie en guise de prétexte. On décréta donc que les entreprises algériennes étaient trop grandes, donc ingérables, donc coupables, c’est-à-dire, restructurables. Avec cette arrière-pensée en filigrane : « plus petites, on pourra plus facilement les manger ».
Ainsi, à un moment où se profilait la globalisation et la constitution d’entreprises de taille planétaire (j’ai appris ce matin que l’entreprise semi-publique allemande Bundespost avait un demi-million d’employés…), l’Algérie, dans sa tentative permanente de remonter le temps, entamait la marche dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.
Ce qui fut dit fut fait. On commença par les sociétés les plus importantes du pays : coupées, morcelées, séparées, opposées. On commença, je crois, par Sonatrach et les autres suivirent SNS, SNMC, Sonitex…etc. Aucune entreprise, aussi petite soit-elle (ce qui prouvait que ce n’était point une histoire de taille) n’échappa au massacre.
J’ai lu un jour un reportage sur la manière dont on procédait aux amputations des membres de condamnés en Arabie Saoudite qui m’a fait irrésistiblement penser à la méthode qui a été utilisée pour la restructuration des entreprises en Algérie : une opération chirurgicale au niveau des articulations afin de cisailler soigneusement tout ce qui lie le membre incriminé au reste du corps. Le problème, c’est que le bourreau se retrouve ainsi confronté à la recherche de deux objectifs totalement antinomiques : le châtiment de la personne en l’amputant et le bien de la personne en essayant de faire le moins de dégâts possibles.
C’est comme cela que l’on procéda : on amputa à chaque fois qu’on décela une articulation entre des fonctions apparemment différentes d’une même activité. L’essentiel, c’était de casser en assurant la victime que c’est pour son propre bien et en exigeant, même, que ses performances s’améliorent suite à l’opération.
Au point d’arriver à des situations totalement aberrantes sur le plan économique. Ce qui a fait dire à ce cher Slim qu’après la restructuration, un Algérien, pour acheter un costume, devait aller dans deux magasins différents : celui de la Sonapantal pour le pantalon et celui de la Sonaveste pour la veste.

8.2 La restructuration de Sonipec

Même si c’était sur le tard, la Sonipec fut touchée à son tour le premier janvier 1982 et scindée en trois parties :

  • ENIPEC (Entreprise nationale des industries du cuir) avec son siège à Jijel ;
  • EMAC (Entreprise des manufactures algériennes de la chaussures ) avec son siège à Sig
  • DISTRICH ( Entreprise de distribution de chaussures ) avec son siège à Alger, dans les locaux de l’ex-Sonipec.

Tous les efforts d’intégration qui ont été menés pendant quinze ans vont se retrouver ainsi anéantis d’un trait de plume. Et, dans l’urgence, en deux semaines, il fallait mettre en place les nouvelles structures et les équipes de direction dans un branle-bas de combat d’autant plus épuisant que forcé et inutile.
Pour créer trois entreprises, on cisailla donc au niveau des articulations.
Une entreprise intégrée comme Sonipec possédait trois fonctions principales :

  • la collecte de cuir brut et sa transformation en cuir naturel et synthétique, destiné à la fabrication de chaussures et de maroquinerie,
  • la manufacture de chaussures et de maroquinerie,
  • la vente de chaussures et de maroquinerie aux consommateurs.

La première fonction échut donc à l’Enipec à laquelle furent octroyées 7 unités de production et le réseau de collecte de cuirs bruts, l’ensemble regroupant un peu plus de 3000 employés.
L’Emac fut dotée de 13 usines de chaussures et 2 unités de maroquinerie (6000 employés) et Districh eut à gérer l’ensemble des magasins de vente de chaussures et maroquinerie.

L’objectif premier de la restructuration était un objectif politique qui consistait d’abord à disperser les cadres et affaiblir les syndicalistes en les isolant, fut pleinement atteint sur le plan administratif et politique. Cependant, sur le terrain, il a entraîné une désorganisation immédiate et durable des nouvelles entreprises ainsi qu’une vertigineuse baisse du niveau de l’encadrement pour plusieurs raisons :

  • le nombre de cadres de haut niveau n’était ni suffisant ni extensible à volonté et ne pouvait en aucun cas pas couvrir les besoins induits par une gestion rationnelle et performante,
  • le refus par les cadres les plus compétents de quitter la capitale pour la province et, cela d’autant plus qu’on leur offrait des postes inférieurs à ceux qu’ils occupaient puisque les nouvelles entreprises étaient de tailles moins importantes que l’entreprise-mère,
  • la récupération des cadres des unités de production, donc le déshabillage de ces dernières, pour les besoins des nouvelles directions centrales,
  • le déclenchement d’un effet d’aubaine chez beaucoup de cadres médiocres, sans possibilité d’avancement dans l’entreprise-mère et qui ont accepté de se déplacer (ou, parfois, de faire semblant de le faire) en contrepartie de compensations financières et matérielles (logement + voiture),
  • le choix des nouveaux directeurs généraux qui a porté sur des cadres anciens, certes, mais d’un niveau subalterne et dont les caractères, pour le moins qu’on puisse dire, n’étaient ni semblables ni complémentaires.

9 Le fonctionnement de la nouvelle organisation

Bien entendu, la restructuration des entreprises ne signifiait pas la restructuration de leur manière de fonctionner, ni des objectifs et des missions qui leurs étaient assignés, ni des liens fonctionnels qu’elles avaient avec la tutelle, c’est-à-dire, le Ministère des industries légères pour ce qui nous concerne. Les anciennes pratiques continuaient donc, mais, en se compliquant sur le plan du suivi et contrôle car le nombre d’entreprises sous tutelle de notre ministère avait été multiplié par 7 ou 8.

Et avec un niveau d’encadrement moindre, sans domicile fixe pour la plupart d’entre-elles, dans l’urgence et sans passation de consignes ni formation pour les nouveaux responsables, loin des centres de décision, les nouvelles entités se retrouvaient, quand même, face aux mêmes obligations que l’entreprise-mère.
Cependant, l’activité en elle-même n’en fut pas affectée, bien au contraire. La dynamique des années antérieures, à laquelle s’ajoutaient l’activisme du nouvel encadrement qui s’acharnait à relever les défis qui lui étaient lancés et sa proximité avec les unités de production, compensèrent largement les inconvénients.

Sur le plan de la fiscalité, cependant, les trois nouvelles entités se retrouvaient lourdement pénalisées. Les cessions de marchandises qui se faisaient entre les différentes activités au sein de Sonipec devenaient des transactions commerciales entre trois entreprises différentes, donc, soumises à l’impôt :

  • Enipec payait les taxes et prenait ses marges sur le cuir qu’elle livrait à Emac
  • Emac payait les taxes et prenait ses marges sur les chaussures qu’elle livrait à Districh
  • Districh payait les taxes et prenait ses marges sur les chaussures qu’elle vendait au public.

À la fin de ce circuit, le produit ex-Sonipec vit son prix de revient grimper jusqu’à connaître des difficultés de commercialisation. Cela entraîna automatiquement des problèmes de trésorerie en bout de chaîne, c’est-à-dire, chez Districh, qui ne put payer les produits livrés par Emac qui, à son tour, n’arriva plus à payer les livraisons de cuir de l’Enipec.

Au problème de la commercialisation, s’ajoutaient :

  • l’importance du service de la dette contractée lors des récents investissements,
  • la quasi-impossibilité de réajuster les prix de vente (prix administrés + loi du marché) des produits
  • l’apparition de problèmes de coordination de la production entre les trois entreprises.
IV Quatrième partie : des difficultés au coup de grâce

10 Les difficultés

Ainsi, à partir de 1986, c’est-à-dire, quatre années après la restructuration, tous les équilibres hérités de l’entreprise-mère volèrent en éclats. Malgré cela, des pistes de progrès étaient ouvertes et exploitées, comme l’exportation, la sous-traitance, la fabrication sous licence, l’amélioration de la qualité et la normalisation qui permirent, surtout aux deux entreprises de production, de maintenir la tête hors de l’eau et même, parfois, d’avancer.
Mais, l’économie ne peut pas tout, surtout lorsqu’elle est entièrement entre les mains du politique qui, pendant ce temps, était en plein délire collectif « pour une vie meilleure ». Je me souviens de l’engueulade mémorable qu’a subie le directeur général de l’Emac lorsque Zitouni Messaoudi le ministre des industries légères, avait appris que cette entreprise exportait vers l’Europe. Et cela, sous prétexte que c’étaient les étrangers qui profitaient des fabrications de bonne qualité …et d’ajouter que l’Algérie n’avait nul besoin des devises de l’Emac car elle avait suffisamment de pétrole !
Pendant ce temps, les différentes opérations d’importation de biens de consommation dans le cadre du fameux PAP (Plan anti-pénuries) s’appliquaient à mettre les finances de l’Algérie à sec et en 1988, le réveil fut brutal. C’est la cessation de paiement et avec 200 millions de dollars de réserves de change (600 fois moins qu’aujourd’hui), les rares devises disponibles furent utilisées pour les besoins prioritaires du pays, comme la nourriture, les pièces de rechange ou la défense nationale. Le dinar entama sa descente aux enfers et sa valeur fut divisée par 5 en l’espace de quelques mois. Ce qui signifiait que le prix des matières premières importées était multiplié par 5 et, beaucoup plus grave, que la dette liée aux investissements antérieurs se renchérissait d’autant. C’en était fini pour l’ex-Sonipec comme, d’ailleurs, pour l’ensemble des entreprises non stratégiques.
Arriva alors une période totalement surréaliste : déréglementation et pseudo libéralisation sur fond d’insécurité qui favorisèrent les opportunismes, les gestions approximatives et les expériences hasardeuses. Chaque unité devint entreprise, faisant exploser ainsi les titres et les salaires de ceux qui les manipulaient et jetant à la rue des centaines de milliers de travailleurs.
Même les multiples et coûteuses opérations d’assainissement financier menées par le gouvernement effrayé par les conséquences sociales de son incurie, ne firent que retarder l’échéance à laquelle nous sommes arrivés aujourd’hui.

11 Ce qu’il en reste aujourd’hui

Parti à l’automne 1993 pour le Maroc et, ensuite, pour la France, j’avoue que je n’ai revu que deux usines depuis cette date : le complexe de chaussures d’Akbou et la tannerie de Jijel, l’usine de ma jeunesse.
Akbou
C’était, avec Cheraga (ex-Bata), la plus grande usine de chaussures de Sonipec. Elle avait été réalisée début des années 80 par une entreprise française selon la formule « produits en mains » et devait employer plus de 500 personnes pour produire 3 millions de paires de chaussures dans la gamme moyenne et supérieure. Je me souviens de la première fois que j’y suis entré en ma qualité de premier fournisseur : j’étais abasourdi par la beauté et la modernité de cette usine, de l’entrée avec gazon et massifs de rosiers éclatants jusqu’aux ateliers clairs, vastes et bien équipés.
Je suis retourné au complexe d’Akbou en 1997. Mon Dieu ! Un poste de garde autour duquel dormait une quinzaine de chiens errants, le gazon brûlé, les rosiers morts ou retournés à l’état d’églantiers, les vitres cassées et une odeur d’urine qui vous prenait à la gorge dès que vous mettez les pieds dans le bloc administratif…le manque d’eau.
Pour entrer dans le bureau du responsable commercial avec qui j’avais affaire, pas de poignée de porte ! Il fallait mettre son doigt dans la place de la poignée et tirer. Par expérience, je sais que dans ces cas-là, ce n’était même pas la peine de se poser des questions sur l’état des ateliers. Je savais que l’usine était en pleine déconfiture mais je ne pensais pas qu’elle l’était à ce point. Aux dernières nouvelles, le complexe d’Akbou qui avait des productions de qualités supérieures, qu’il a exportées vers l’Italie, vivoterait avec quelques irréductibles au milieu de montagnes de dettes et de grèves récurrentes. Personne ne veut ni ne peut l’acheter en tant qu’unité de production. Tout ce qui peut intéresser chez elle, c’est le terrain. Mais çà, c’est une autre histoire.

Jijel

J’y suis retourné en octobre 2006, soit 13 ans presque jour pour jour depuis mon départ. Je voulais organiser une petite conférence à l’intention de l’encadrement pour lui expliquer comment nous avions travaillé à notre époque, ce que nous voulions réaliser, ce que nous avons réussi et là où nous avons échoué. Et lui prodiguer des conseils à la lumière de ce que j’ai appris depuis douze ans avec les entreprises françaises.
L’accueil des anciens collègues ainsi que des nouveaux employés fut très chaleureux et très touchant. Malheureusement, comme le D.G. était absent, en mission à Alger, je n’ai pu que laisser le message à sa secrétaire qui, en fait, était mon ancienne assistante. J’ai ensuite visité les ateliers et, là, ce fut le choc ! Ce n’était que l’après-midi mais les ateliers étaient silencieux : une seule personne était présente alors que de mon temps, la deuxième équipe fonctionnait avec plus d’une centaine de personnes. Je ne dis rien de l’état matériel par crainte de manquer d’objectivité. Les magasins de cuir fini étaient remplis de produits de qualité très convenable mais qui ne trouvaient pas preneur, les clients privés préférant s’approvisionner chez les tanneurs privés pour éviter la facturation…
J’ai attendu en vain l’appel du D.G. pour organiser la réunion avec l’encadrement et je suis parti de Jijel sans avoir pu la faire…
Quand je suis rentré en France, je dis à ma femme que j’avais visité la tannerie. Connaissant ce que cette usine représentait pour moi, elle me demanda comment cela c’était passé. J’ai commencé à lui raconter puis ma gorge s’est nouée et je me suis mis à pleurer.
Pourquoi ? Parce que j’avais passé 15 années de mon plus bel âge dans ses ateliers et puis 10 années à côté d’elle, au poste de directeur technique au siège, et qu’il me semblait que tout ce que j’avais fait avec mes compagnons n’avait servi à rien. L’échec était là, je l’ai vu de mes yeux. Mes souvenirs étaient là, accrochés au moindre bout de ferraille, à la moindre machine, à chaque parcelle du sol. Et les ateliers qui étaient autrefois remplis des bruits des machines et de vie, sont dorénavant silencieux. J’ai revu tout ce qu’on a donné, tous nos sacrifices, tous nos espoirs, toute notre fierté. Je me suis souvenu de certains compagnons qui ne sont plus de ce monde, je me suis souvenu du temps où être algérien représentait pour nous quelque chose de sublime. Tout cela, c’est maintenant du passé, « it’s over » comme diraient les Anglais. Par la faute des uns, par la faute des autres, certainement par notre faute, mais Dieu sait combien on y a cru et combien on a donné !

12 Pourquoi cela n’a pas marché ?

La corruption

Tout d’abord, je tiens à affirmer ceci : la corruption et l’incompétence ne sont pas les causes de l’échec de l’Algérie, elles n’en sont que la conséquence.
Jusqu’à la fin des années 70, l’Algérie était un des pays les moins corrompus dans le monde. Cela se savait, cela se disait, cela était internationalement reconnu. Nous ne voulions pas d’argent, nous fonctionnions à la fierté. Donc, sur ce plan-là, jusqu’à plus de quinze ans après l’indépendance, l’administration n’avait globalement aucun souci à se faire du côté des cadres ou des travailleurs. Ou, plutôt, le contraire puisqu’en fin de compte, le temps a montré que c’étaient ceux qui dirigeaient qui ne voulaient pas de cadres intègres. Ils avaient d’autres plans, d’autres objectifs. Il n’y a qu’à regarder autour de soi pour voir à qui cette situation a profité…

L’incompétence

Sur le plan de la compétence, là-aussi, il me semble que, dès le départ, l’Algérie possédait de réels atouts avec des cadres formés par le système éducatif colonial performant et extrêmement sélectif vis-à-vis de ses sujets colonisés. Cet atout fut très largement renforcé par un gigantesque effort de formation dans les universités étrangères, tant du côté des pays du bloc socialiste que des pays de l’Ouest, effort de formation qui avait déjà commencé pendant la lutte de libération.

À qui appartenait la société nationale ?

Il ne faut pas le nier, les premiers couacs ont commencé à se produire relativement tôt, pratiquement, dès le démarrage des nouvelles entreprises. Comme toujours, elles ont pour origine cette fameuse notion de la possession du pouvoir et de la prééminence des différents centres de pouvoir les uns par rapport aux autres : l’économique, le politique et encore et toujours…le militaire.
La question qui s’est tout de suite posée est la suivante : à qui appartient l’usine ? A l’entreprise, donc à la direction générale et à la tutelle ou au politique, c’est-à-dire le mouhafed du parti unique, ou aux militaires, c’est-à-dire, au chef du secteur militaire ?
Ainsi, tout ce beau monde se permettait de mettre le nez dans les affaires de la société nationale comme si elle avait plusieurs patrons à la fois :

  • le militaire, pour caser la piétaille qui avait rallié ses rangs après l’indépendance et qu’il fut contraint de démobiliser, ou pour les questions de soi-disant sécurité, d’habilitation, de défense et tutti quanti. Cela me rappelle l’inauguration de notre unité de Batna en 1973 au cours de laquelle le chef du secteur militaire reprocha à Belaïd Abdeslam de ne pas avoir prévu de système de protection en cas de guerre. Ce dernier le regarda et lui répondit : « Mange ta chorba et tais-toi, le satellite américain est en train de te la filmer ! »
  • Le politique local qui passait son temps à alimenter et renforcer son réseau d’affidés à l’intérieur même de l’usine, qu’ils aient été syndicalistes, militants, courtisans, opportunistes ou simples délateurs.
  • Le politique central qui se servait de la société nationale pour mettre en œuvre toutes sortes d’expériences populistes ou hasardeuses, souvent les deux à la fois, dont la fameuse GSE (Gestion socialiste des entreprises).

Malgré tout cela, pour nous, la réponse était toute claire : l’usine appartient au peuple algérien qui, du fait de nos compétences, nous en avait confié la bonne gestion dans toutes les règles de l’art. Et, avec le recul, je m’aperçois que, sans en prendre formellement conscience, instinctivement, nous avons lutté sans merci, jusqu’au bout, pour défendre cette conception que nous avions de la société nationale. On ne le comprenait pas bien ce qui se tramait, on pensait que c’étaient des difficultés normales dans toute entreprise. En fait, non ! Les problèmes les plus graves qu’on ait eu à résoudre n’étaient pas d’ordre technique, ils étaient tous générés par des intrusions politiques, par des décisions prises par le politique sans l’assentiment ni l’avis de l’économique et que ce dernier devait appliquer quelles qu’en soient les conséquences. Et, finalement, nous n’avons perdu définitivement le combat, que nous menions de façon civilisée et pacifique, que lorsque la barbarie islamique, alliée objective du pouvoir féodal, est entrée en jeu. Le combat n’était plus une histoire de principes et d’idées, c’était devenu une histoire de vie ou de mort.

La fragilité de l’option industrielle

L’option industrielle a toujours été fragile et menacée. Conçue et mise en œuvre par une poignée de spécialistes amalgamés autour de Belaïd Abdeslam, elle n’a jamais réellement bénéficié d’un soutien ferme et sans équivoque de la part du Conseil de la révolution qui ne voyait en elle qu’un instrument au service de sa politique. Aux mains de gens instruits, aspirant à amarrer l’Algérie au train de l’universalité, le plus souvent francophones, donc suspects de trahison au nom du triptyque dénoncé par le regretté Mohamed Boudiaf (francophone = francophile = traître), elle heurtait de plein fouet la conception que nos dirigeants avaient de l’avenir.
Cela a fait qu’on n’a jamais répondu avec franchise aux nombreuses questions qui se posaient et qui se complexifiaient au fur et à mesure que les réalisations progressaient.

D’abord et toujours, cette première interrogation : à qui appartenaient les sociétés nationales ?

La seconde interrogation concernait leurs missions. Sont-elles là pour :

  • employer de la main d’œuvre et distribuer des salaires et des bénéfices même lorsqu’il n’y en avait pas?
  • satisfaire la demande intérieure ?
  • réaliser des bénéfices pour se développer et contribuer à l’effort d’accumulation ?
  • exporter, conquérir les marchés extérieurs pour ramener des devises ?
  • éduquer les gens, développer l’activité sportive, construire des routes, ramener de l’eau, loger, soigner les travailleurs ?

Faute de réponses claires, nous avions fait tout cela à la fois. Nous sommes allés un peu partout mais jamais suffisamment loin pour être réellement performants dans un domaine ou dans un autre. Nous sommes restés au niveau amateur dans tous les domaines. Nous n’avons vraiment fait ni du socialisme, ni du capitalisme, ni de l’accumulation, ni de l’éducation. Talonnés par un pouvoir féodal pour qui seul compte le pouvoir pour ce qu’il représente par lui-même, nous avons quand même, peut-être, contribué à retarder le moment de la déchéance vers laquelle ce dernier a inéluctablement amené le pays.

Février 2008

Mohammed Chouieb

L’ESSAYISTE NAOMI KLEIN, INVITÉE DE TELERAMA LE 11 MARS 2015

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NAOMI KLEIN [[1970 Naissance à Montréal.
2000 Publie No logo, essai sur la mondialisation.
2004 Coréalise avec son mari Avi Lewis The Take, documentaire sur une coopérative ouvrière argentine.
2007 Publie La Stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre.
2015 Prépare un film à partir de son dernier essai.]]:

“EXXONMOBIL, BP, SHELL…

ONT DECLARÉ LA GUERRE À LA PLANÉTE”

Grand entretien
Weronika Zarachowicz

Télérama

mars 2015

Egérie de la gauche nord-américaine, elle s’engage, avec un nouvel essai, dans la lutte contre le changement climatique. Et voit dans la crise actuelle une chance pour remettre en cause le système capitaliste… Voici la version longue d’un entretien paru dans “Télérama”.

Elle s’était faite discrète, ces dernières années. On l’avait aperçue dans le parc Zuccotti, aux côtés des manifestants d’Occupy Wall Street, ou, plus récemment, soutenant les opposants au pipeline de Keystone.

Sept ans après La Stratégie du choc, Naomi Klein, icône canadienne de la gauche nord-américaine, fait à nouveau entendre sa musique originale de « journaliste-chercheuse-activiste ». Tout peut changer[[À lire
Tout peut changer. Capitalisme et changement climatique, de Naomi Klein, traduit de l’anglais (Canada) par Nicolas Calve et Geneviève Boulanger, coéd. Actes Sud/Lux, 640 p., 24,80 €, sortie le 18 mars.]], qui paraîtra le 18 mars prochain chez Actes Sud, décrypte les liens consanguins et mortifères entre capitalisme et changement climatique, au fil de pages aussi denses que passionnées, souvent personnelles, et fourmil-lant d’expériences, de chiffres, de faits.

À quelques mois de la COP21, la conférence sur le climat qui se tiendra à Paris fin 2015, voilà un essai implacable, offensif ET optimiste, car « oui, assure l’essayiste canadienne, le changement climatique nous offre une opportunité unique pour changer de système» . Entretien exclusif.

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Vous venez d’une famille de militants de gauche. Vos parents vous ont transmis le virus de l’activisme ?

Enfant, mes parents me traînaient sans cesse dans des manifestations et je détestais ça. À 10 ans, j’ai même annoncé à ma mère que je ne l’accompagnerais plus. J’étais une rebelle et une enfant des années 1980. Je me suis révoltée… en traînant dans les centres commerciaux ! Le déclic est venu plus tard, en particulier en 1989, après la tuerie de l’Ecole polytechnique de Montréal. Quatorze femmes ont été tuées par un jeune homme qui n’avait pas été accepté dans cette école et qui était convaincu que les femmes étaient favorisées[[Une pièce de Christophe Honoré, Violentes Femmes, mise en scène par Robert Cantarella, s’inspire de l’événement et tourne actuellement en France (du 18 au 20 mars, au CDN d’Orléans).]]. Il s’est suicidé en laissant une lettre pleine de haine envers les féministes. J’ai décidé de me revendiquer féministe, j’ai commencé à écrire, mais je ne suis jamais devenue une manifestante. Même si je crois profondément aux mouvements sociaux de masse, je ne suis pas à l’aise dans une foule.

C’est étonnant, venant d’une égérie des grandes marches altermondialistes !

L’écriture est ma façon de m’engager. J’ai toujours voulu écrire des livres utiles aux mouvements sociaux dont je parle. Je me suis longtemps présentée comme activiste journaliste, mais je ne m’y retrouve plus vraiment. Je n’aime pas les étiquettes, pas seulement parce que j’ai écrit No logo… Mon travail est hybride, je croise l’enquête journalistique et la recherche scientifique. Quand j’écris un livre — celui-ci m’a pris cinq ans —, je me mets en retrait. Mais quand il sort, j’entre en campagne.

“Je n’attends rien des dirigeants.”

Où en est la contestation aux Etats-Unis, quinze ans après les grandes manifestations de protestation de Seattle à l’occasion du sommet de l’Organisation mondiale du commerce ?

La longue histoire contestataire américaine se poursuit, avec toutes sortes de mouvements sociaux qui évoluent, interagissent.
Certains manifestants d’Occupy sont des enfants de Seattle, et beaucoup de Black Lives Matter (mouvement de protestation suscité par les morts de jeunes Noirs non armés provoquées par des policiers à Ferguson et à New York) viennent d’Occupy.
Tout l’enjeu consiste à créer des passerelles entre ces luttes, leurs problématiques, leurs ancrages sociaux.
Pour l’instant, ces mouvements paraissent plus éclatés, plus éphémères que leurs cousins européens ; ils souffrent de la décomposition du paysage syndical et de la méfiance vis-à-vis des institutions, bien plus marquées aux Etats-Unis qu’en Europe.
Mais leur impact sur la société américaine est plus profond que ce que l’on peut voir dans les rues.
Thomas ¬Piketty n’aurait jamais eu un tel succès aux Etats-Unis s’il n’y avait eu Occupy, qui a exposé la question des inégalités.
La gauche américaine s’intéresse de près à la victoire de Syriza en Grèce et aux progrès de Podemos en Espagne.
Je suis convaincue que les mouvements sociaux vont trouver de nouveaux débouchés politiques aux Etats-Unis.

Peu d’entre eux font le lien entre les politiques d’austérité et la crise écologique, y compris Podemos et Syriza. Cette question est au cœur de Tout peut changer. Pourquoi est-elle cruciale ?

Effectivement, les gens qui travaillent sur le changement climatique n’inter¬agissent pas assez avec ceux qui luttent pour un meilleur partage des biens communs ou contre l’austérité, alors qu’il est évident que l’on parle d’une seule et même chose.
Que nous dit le changement climatique ? Que notre système extractiviste — c’est-à-dire basé sur l’extraction intensive de nos ressources naturelles —, qui repose sur une croissance illimitée, une logique hyper compétitive et concentre le pouvoir dans les mains de moins de un pour cent de la population, a échoué.
Ramener nos émissions de gaz à ¬effet de serre aux niveaux recommandés par les climatologues implique une transformation économique radicale. C’est aussi une formidable occasion de changer car, avec ou sans réchauffement climatique, notre système ne fonctionne pas pour la majorité de la population.
Le principal obstacle n’est pas qu’il soit trop tard ou que nous ignorions quoi faire. Nous avons juste assez de temps pour agir, et nous ne manquons pas de technologies « propres » ni d’une vision du monde capable de rivaliser avec le modèle actuel — un système économique plus juste, qui comble le fossé entre riches et pauvres, et redynamise la démocratie à partir de la base.
Mais si la justice climatique l’emporte, le prix à payer pour nos élites sera réel. Je pense au manque à ¬gagner du carbone non exploité par les industriels, mais aussi aux réglementations, impôts, investissements publics et programmes sociaux nécessaires pour accomplir ce changement.

Qu’attendez-vous du prochain sommet sur le climat, la COP21, qui se tiendra à Paris fin 2015 ?

Je n’attends rien des dirigeants. Mais le contexte de la COP est unique, car la mobilisation contre l’austérité est très puissante en Europe. J’espère vraiment que le mouvement contre les coupes budgétaires, celui contre le Tafta — le traité de libre-échange transatlantique — et celui pour le climat vont travailler ensemble pour exiger une transition post-carbone équitable, en se servant de la chute des prix pétroliers comme d’un catalyseur.
La hausse des prix a été catastrophique, elle nous a précipités dans l’ère des énergies extrêmes, notamment en Amérique du Nord, avec la ruée sur le gaz de schiste et les sables bitumineux, la multiplication des pipelines, des terminaux d’exportation…
Le mouvement pour le climat s’est retrouvé dans une position très défensive.
La chute des prix du pétrole freine ces projets d’infrastructures, ces mirages d’eldorado économique et devrait encourager les mouvements ouvrier et environnemental à travailler ensemble.

“Je crois dans la force des mouvements sociaux pour faire pression sur nos gouvernants.”

Selon le sociologue Bruno Latour, si l’on veut être sérieux avec le changement climatique, il nous faut déclarer la guerre aux ennemis de la Terre…

Mais ExxonMobil, BP, Shell et les autres géants des énergies fossiles ont déjà déclaré la guerre à la planète, et à l’humanité !
Si on les autorise à exploiter les réserves de combustibles fossiles, la température augmentera de 4 à 6 degrés.
Il faudrait plutôt leur répondre. Nous ne l’avons pas fait jusqu’à présent, voyez toutes ces ONG environnementales qui signent des partenariats avec des pollueurs, comme le WWF avec Shell. Idem pour les conférences des Nations unies sur le climat, financées… par le secteur des énergies fossiles depuis des années.
J’ai bien peur que la COP21 ne batte tous les records, dans le contexte de crise budgétaire actuel, avec de multiples partenariats privés où l’on retrouvera les poids lourds du nucléaire, de l’eau, des transports…

Avec quelles armes pouvons-nous lutter ?

Il ne s’agit plus de cesser le sponsoring des conférences par ces grandes entreprises, mais de leur en interdire l’accès. Quand l’Organisation mondiale de la santé a négocié le traité anti-tabac, les grands ¬cigarettiers ont eu l’interdiction de participer aux tractations, car elles portaient sur leur domaine. Shell, Exxon, etc., ne doivent pas prendre part aux discussions sur le climat.

On est loin de ce type de décisions !
Je crois dans la force des mouvements sociaux pour faire pression sur nos gouvernants, dénoncer la corruption qui gangrène les négociations.
La « blocadie », ces poches de résistance qui s’opposent aux ambitions des sociétés minières, gazières et pétrolières, est en train de tisser un réseau mondial de militants enraciné et diversifié comme en a rarement connu le mouvement vert.
Quand j’ai commencé le livre, beaucoup n’avaient pas encore vu le jour ou ne représentaient qu’une petite partie de leur ampleur actuelle.
Regardez la campagne de « désinvestissement », lancée en 2012 par 350.org, l’ONG créée par Bill McKibben et dont je fais partie. Nous sommes partis d’un constat simple : puisque les industries des combustibles fossiles déstabilisent le climat de la planète, toute institution qui prétend servir des intérêts publics a la responsabilité morale de céder les actions qu’elle détient dans ces industries. Car c’est eux ou nous.

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Pourquoi avoir pensé au « désinvestissement » ?

Bill et moi avions lu une enquête du « Carbon Tracker Research », qui montrait que l’industrie des combustibles fossiles possède cinq fois plus de dioxyde de carbone en réserve que l’atmosphère ne peut en absorber si l’on veut maintenir le réchauffement climatique en deçà de 2°C. Ce rapport s’adressait aux investisseurs, deux ans après le krach immobilier, pour les avertir du risque d’une nouvelle bulle : étant donné que ces industries ne pourraient pas brûler cinq fois plus de carbone, ces réserves en hydrocarbures risquaient d’être perdues.
J’ai lu le rapport et j’ai pensé « Mais non, ce n’est pas ça ! » En réalité, cet avertissement n’était pas destiné aux investisseurs, mais à nous tous. Car Shell, Exxon et les autres mentent : les engagements de Copenhague n’étant pas contraignants, les pétroliers prévoient bien de brûler leurs réserves de carbone. Alors, comment agir ? Comment faire en sorte que les extracteurs deviennent la bulle qui va éclater, et non pas nous ? Nous avons eu l’idée du désinvestissement.
Encore une fois, c’est eux ou nous. Le message est passé : en six mois, les groupes appelant au « désinvestissement » se sont répandus aux Etats-Unis, sur plus de trois cents campus et une centaine de villes, Etats et organisations religieuses. Je n’ai jamais vu un combat qui se soit propagé aussi vite !
Depuis, la vague a gagné le Canada, l’Australie, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne. Les villes de San Francisco et de Seattle ont annoncé qu’elles allaient « désinvestir ».
Et la plus belle victoire a été remportée quand l’université de Stanford, dont la fondation gère un portefeuille de 18,7 milliards de dollars, a décidé de vendre ses actions dans le secteur du charbon.

“Agir contre le réchauffement est une question de justice intergénérationnelle.”

La puissance du mouvement vient aussi du fait qu’il est mené par des jeunes gens, des étudiants qui disent à leurs administrateurs : votre job est de me préparer pour le futur, comment est-ce possible si vous investissez notre argent dans les industries qui hypothèquent notre avenir ? C’est une question de justice intergénérationnelle que les jeunes comprennent instantanément.
À partir du moment où l’on insiste sur le fait que le développement de ces secteurs est en conflit avec la vie sur terre, nous ouvrons de nouvelles possibilités d’actions.
Il devient légitime de taxer les profits, d’augmenter les royalties voire de nationaliser ces sociétés qui menacent nos vies.
Car nous avons aussi un droit sur ces profits, pour financer la transition énergétique, la facture de cette crise majeure.
Cela nous ramène aussi à la question des partenariats entre beaucoup d’ONG écologiques et les industries de combustibles fossiles, partenariats basés sur l’idée que nous sommes tous dans le même bateau.
Mais c’est faux et les gens le savent bien, surtout les jeunes ! Je suis également convaincue que les gens sont prêts à lutter depuis très longtemps, mais le mouvement environnemental n’a jamais déclaré la guerre jusqu’à présent !

Quelle lutte vous a le plus inspirée ?

Sans hésitation le mouvement de résistance contre l’oléoduc du Northern Gateway en Colombie-Britannique, car il rassemble des populations indigènes et non indigènes d’une manière inédite dans l’histoire du Canada.
Ensemble, elles luttent pour l’essentiel — la santé de leurs enfants, la préservation de l’eau, de leurs terres. Jamais je n’aurais cru voir changer les mentalités de mon pays aussi rapidement. C’est un magnifique exemple de ces nouvelles mobilisations qui utilisent l’arsenal technologique moderne, les médias sociaux, tout en étant profondément implantées dans une communauté et en travaillant avec les outils plus traditionnels de la mobilisation.

Notre salut se trouverait dans l’action locale ?

Personne ne résoudra cette crise à notre place. Et nous avons tous besoin de nous battre à partir d’un lieu, d’avoir les pieds bien ancrés dans la terre, et non flottant dans l’espace. Le mouvement environnementaliste est enfin en train de revenir sur terre, de se réenraciner.

Depuis des années, l’image de la planète vue du ciel sert d’icône aux militants écologistes, aux sommets sur le climat, mais la perspective de l’astronaute est dangereuse, si loin de la réalité. La Terre des photos de la Nasa semble si jolie, si propre, comme l’écrivait Kurt Vonnegut en 1969. « On ne voit pas les Terriens affamés ou en colère à sa surface, ni leurs gaz d’échappement, leurs égouts, leurs ordures et leurs armes sophistiquées. »
Avec cette vision « globale », les sources de pollution deviennent de simples pièces sur un échiquier géant : telle forêt tropicale va absorber les émissions des usines européennes, des champs de maïs vont remplacer les puits de pétrole pour fournir de l’éthanol… Et on perd de vue les êtres qui, sur place, sous les jolis nuages coiffant notre globe, font face à la dévastation de leur territoire ou à l’empoisonnement de l’eau.
Je suis convaincue qu’un mouvement environnementaliste s’appuyant sur la mobilisation locale de gens qui veulent préserver les terres qu’ils aiment sera plus honnête et réaliste.

Aucune de ces batailles ne peut remplacer les indispensables politiques de réduction d’émissions de gaz au niveau planétaire. Comment passer à une échelle plus large ?

Les deux mouvements vont de pair. La position du gouvernement français contre le gaz de schiste a été prise après des mobilisations locales.
Dans l’Etat de New York aussi tout a commencé par des luttes de terrain.
Nous sommes moins isolés les uns des autres que nous ne l’étions il y a dix ans, grâce aux médias sociaux, qui permettent de rendre virales des actions locales et de les articuler à un débat planétaire, d’une portée et d’une influence sans précédent.
Nul besoin d’un mouvement tout neuf qui réussirait comme par magie là où tous ses prédécesseurs ont échoué. Mais cette crise, qui nous place devant une échéance inéluctable, peut pousser tous ces mouvements sociaux à se rassembler, tel un puissant fleuve alimenté par d’innombrables ruisseaux.

“On accuse l’énergie solaire ou éolienne de ne pas être fiable, mais regardez le pétrole, les stocks s’effondrent.”

Cette crise constitue aussi un enjeu majeur de justice climatique – et de dette climatique –, que vous placez au cœur de « Tout peut changer »…

Effectivement, et chaque négociation des Nations unies sur le climat se brise sur cette question fondamentale : notre réponse collective au changement climatique s’appuira-t-elle sur des principes de justice et d’équité ?
Plus de cent soixante pays ont signé en 1992 la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), dans laquelle ils reconnaissent « leurs responsabilités communes mais différenciées». Ce qui veut dire que les pays qui ont émis le plus de CO2 au cours du siècle passé doivent être les premiers à réduire leurs émissions et aider financièrement les pays pauvres à se développer de façon « écoresponsable ».

Même si Bill Clinton et Al Gore ont négocié le protocole de Kyoto, ils ne l’ont jamais signé.
À leur retour aux Etats-Unis, le Congrès l’a rejeté en disant : pourquoi signer, alors que la Chine refuse de le faire ? Il a rejeté ce principe selon lequel les pays en développement ont le droit de rattraper le monde occidental, de se développer et que les pays les plus responsables du changement climatique devraient prendre la tête du mouvement de lutte contre le réchauffement.

Ce qui nous ramène au débat fondamental de l’histoire des inégalités : c’est la civilisation du carbone qui est à l’origine d’un monde profondément inégalitaire ; c’est l’Europe qui, en commençant à brûler massivement du charbon, a ouvert le fossé des inégalités d’une manière inédite dans l’histoire.
Voilà précisément l’une des raisons pour lesquelles la lutte contre le changement climatique apparaît si menaçante pour la droite, particulièrement la droite américaine, qui la considère comme un « complot » pour redistribuer la richesse. Mais cela n’a rien d’un complot !
Nous resterons coincés tant que nous ne permettrons pas au monde en développement de lutter contre la pauvreté, sans brûler plus d’énergies fossiles. Cela implique des transferts de technologies bien supérieurs à ceux réalisés jusqu’à aujourd’hui.

Il s’agit du fondement de l’idée de « dette climatique ». Je l’ai entendue pour la première fois en 2009 dans la bouche d’Angelica Navarro Llanos, la négociatrice bolivienne en matière de climat, qui m’avait expliqué comment le changement climatique pourrait constituer un catalyseur pour résoudre les inégalités entre le Nord et le Sud, en jetant les bases d’un « plan Marshall pour la planète ».

“La gauche a du mal à accepter que l’obsession de la croissance mène dans le mur.”

Vous dites que la droite se sent particulièrement menacée par la lutte contre le changement climatique. La gauche, qui reste aussi arrimée à une histoire productiviste, serait plus prête à ces remises en question ?

Elle ne l’a pas fait jusqu’ici. Elle n’a jamais remis en cause la logique extractiviste — ou productiviste, ou développementaliste, selon le terme que l’on choisit —, la déclaration de guerre contre la nature qui constitue le cœur de notre système économique et qui est partagée à la fois par le communisme et le capitalisme.
C’est un défi profond pour la droite, car le changement climatique exige de la régulation, des investissements publics, de l’action collective et d’imaginer un autre horizon intellectuel que celui de la croissance infinie. Même chose pour la gauche, qui même si elle a plus d’appétit pour l’intervention publique, a du mal à accepter que l’obsession de la croissance nous mène droit dans le mur.
Notre objectif commun est de vivre bien, avec moins, ce qui est plus facile à comprendre pour la gauche. Une partie de la gauche a d’ailleurs déjà effectué ce chemin, même si les partis seront les derniers à le faire.

Cette prise de conscience est bien plus développée en Amérique Latine, en Bolivie ou en Équateur par exemple. Deux pays qui ont des gouvernements de gauche à leur tête, qui ont intégré dans leurs discours les droits de la nature, la critique de la croissance, tout en restant dépendants de la logique extractiviste.
Cette tension donne lieu à des débats intellectuels vraiment intéressants.
En fait, si je me concentre sur la critique du capitalisme, c’est parce qu’il s’agit du modèle dans lequel nous vivons. Nos économies sont capitalistes, même en Bolivie.
Et le réchauffement climatique nous remet en cause de la manière la plus profonde, en nous obligeant à renoncer à cette envoûtante utopie d’une maîtrise totale de la nature dans laquelle les énergies fossiles ont joué un rôle capital. Comme l’écrit l’écologiste Andreas Malm, le premier moteur à vapeur commercial «était apprécié pour n’être soumis à aucune force qui lui fût propre, à aucune contrainte géographique, à aucune loi extérieure, à aucune volonté résiduelle autre que celle de ses propriétaires ; il était absolument – ou plutôt ontolongiquement – asservi à ceux qui le possédaient.»

On continue à parler des énergies solaire et éolienne comme n’étant pas fiables, mais regardez le pétrole, les stocks sont en train de s’effondrer. S’il y a bien une technologie qui n’est pas fiable, c’est celle-ci, qui nous emmène tous à la catastrophe…
Les énergies solaire et éolienne nous obligent à changer de position, à engager un dialogue avec la nature, puisque pour que ces modèles fonctionnent, vous devez tenir compte de l’ensoleillement, du vent… Elles nous disent que tous les endroits ne se valent pas, ce qui est précisément l’inverse de ce qu’on nous a répété pendant toute l’ère de la mondialisation : la géographie ne compte pas, les nationalités ne comptent pas…
Ces technologies nous obligent à prêter attention aux endroits où nous vivons, ce qui représente un vrai changement de paradigme pour la gauche comme pour la droite.
Mais je suis convaincue que les nouvelles générations d’intellectuels vont s’en emparer. Même si c’est lent, parce que le changement est tellement profond.

De tous vos livres, « Tout peut changer » est le plus optimiste. La naissance de votre fils, auquel vous l’avez dédié, y est-elle pour quelque chose?

J’ai commencé ce livre avant sa naissance et l’ai conçu dès le départ comme un projet optimiste quant à nos possibilités de changement.
J’ai toujours eu du mal avec le cliché selon lequel nous nous battons pour nos enfants. La maternité peut certes devenir une force créatrice, mais certaines des personnes qui me servent de modèles de créativité et d’empathie n’ont pas d’enfants — par choix ou pas — et je les respecte. Non, vraiment, je ne joue pas la carte de la maternité, mais je suis nettement plus fatiguée qu’avant [rires]!
En revanche, mon travail a beaucoup été influencé par ma difficulté à être enceinte, les fausses couches, les expériences pharmaceutiques et technologiques ratées… Ce que j’ai appris sur la crise écologique a façonné mes réactions face à ma propre crise de fertilité et vice versa.
J’ai pris conscience que la Terre est effectivement notre mère à tous, et qu’elle traverse une crise de fertilité. J’ai aussi compris que ces ingénieux mécanismes de procréation et de régénération de la Terre et de ses habitants pourraient contribuer à un nouveau modèle, qui ne reposerait plus sur la domination et le pillage des écosystèmes. Alors pourquoi ne pas être optimiste ?

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Naomi Klein : « LA CRISE CLIMATIQUE RENFORCE LES VALEURS DE GAUCHE AUTANT QU’ELLE LA DÉFIE » – Entretien réalisé par Marie-Noëlle Bertrand – L’Humanité – le 10 avril 2015
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