LES FEMMES ET LA PARITÉ (HOMMES-FEMMES) EN ALGÉRIE

.. »Nous sommes au début d’un lent processus vers la parité… il faut reconstruire l’espoir parmi les travailleurs, les jeunes , les femmes et les opprimés »

pdf-3.jpg
soumia-salhi_2611315_465x348.jpg
Soumia Salhi :
 » Aucun pays n’a atteint la parité homme-femme à tous les niveaux »

Propos recueillis par Mina Adel

El Watan,

le 13 janvier 2016

« Quand le projet de révision constitutionnelle approuvé lundi par le Conseil des ministres consacre, entre autres, «la parité entre les hommes et les femmes sur le marché de l’emploi».
Mme Soumia Salhi militante féministe et syndicaliste revient sur cette disposition.

Le projet sur la révision de la constitution consacre la parité homme/femme. En tant que militante pour l’émancipation de la femme, que vous fait une telle décision?

C’est un pas positif. Nous revendiquons la parité, nous y travaillons depuis toujours.
Bien sûr, l’objectif central du projet de révision de la Constitution est de revenir sur la concentration des pouvoirs édictée en 2008 par la précédente révision.
Mais, nous héritons à chaque fois de l’introduction de principes généreux en faveur des femmes.

Après la promotion des droits politiques de la femme en 2008 et l’imposition qui en a résulté d’une représentation féminine dans les assemblées élues, nous avons en 2016 l’affirmation d’un objectif de parité dans le monde du travail et d’une promesse d’action de l’Etat pour l’accès des femmes aux responsabilités.

Il eut été judicieux d’opter pour une rédaction plus claire qui édicte l’objectif de parité partout dans la société, au travail comme au niveau des responsabilités professionnelles, syndicales et politiques. Il est bon d’inscrire aussi l’obligation qui en résulte d’action de l’Etat pour promouvoir cet objectif.

Les modalités sont accessoires et nous en débattrons dans la société au cours du lent cheminement nécessaire.

Alors que cette parité est consacrée par la Constitution la réalité du terrain est toute autre. Les différents organismes et classements mondiaux, tel que le Forum Economique Mondial mettent l’Algérie, à la queue du peloton…..

Oui je sais, on classe parfois l’Algérie derrière les pays du Golfe qui sont, comme chacun sait, des paradis pour le sort des femmes. Ces classements sont des outils de propagande des puissants, si l’Algérie leur vendait Sonatrach elle gagnerait des dizaines de places.

Nulle part au monde, la parité n’est réalisée et ce, même dans les pays les plus avancés dans le domaine de l’égalité homme femme, les pays nordiques.

Le dernier rapport mondial sur la parité estime qu’il nous faut patienter 81 ans pour atteindre la parité au travail! Aucun pays n’a atteint la parité à tous les niveaux.
Pour nous, la parité est un objectif de notre lutte et nous marquons des points.
Notre société est en train de passer d’une société rurale caractérisée par la grande famille patriarcale où l’oppression des femmes est radicale à une société urbaine basée sur la petite famille mononucléaire et le salariat féminin qui se développe et bouleverse les pratiques sociales.

Les mentalités sont restées proches de celles qui correspondaient à l’ordre social antérieur, aujourd’hui largement disparu. Les pratiques sociales changent dans la douleur.
C’est connu, les mentalités sont toujours en retard sur l’évolution sociétale et la vague régressive des années 90 tire aussi ses origines de ce gigantesque bouleversement en cours qui voit l’émergence de la femme algérienne et son irruption dans la vie publique.
Quand j’ai commencé à militer pour les droits des femmes, les statistiques disaient que 97% d’entre nous étaient des femmes au foyer. Trois à quatre dizaines d’années plus tard nous sommes une sur six à travailler, la moitié des cadres de la santé et de l’éducation, 40% des juges, un tiers des députés… sur certains critères nous sommes très en avance mais globalement nous sommes bien en retard par rapport aux pays développés où le salariat sape les bases économiques du patriarcat depuis plusieurs siècles sans en avoir fini, d’ailleurs, avec l’idéologie patriarcale.

Que faudrait-il faire pour concrétiser, sur le terrain, l’égalité des sexes, selon vous?

C’est un combat complexe, un combat sur plusieurs plans. La revendication de l’émancipation des femmes, et donc de la fin de l’oppression subie, n’est pas une abstraction produite par des esprits purs.
Notre action est rendue possible par une évolution objective de la société. L’égalité promise par toutes les constitutions depuis 1962 témoigne de l’élan généreux du mouvement de libération nationale mais elle ne pouvait se concrétiser pour ma mère et les femmes de sa génération, enfermées ou marginalisées dans l’espace féminin du village, souvent analphabètes…
Les moudjahidates, si importantes par la légitimité qu’elles nous procurent, étaient un petit groupe marginalisé.
Mais la scolarisation massive depuis l’indépendance a provoqué une présence massive des jeunes femmes dans l’espace public en contradiction avec la loi non écrite de l’ordre patriarcal.

C’est le début du mouvement féministe, refus du code de la famille inégalitaire mais aussi sur des questions plus immédiates comme l’autorisation de sortie pour les femmes.

Alors que l’urbanisation bouleverse la donne sociale, l’arrivée des diplômées sur le marché du travail réhabilite toutes les travailleuses, réorganise l’espace public et impose une mise à jour des pratiques sociales.

Ce processus ne s’est pas ralenti même durant la décennie 90. Des questions nouvelles sont mises en discussion dans la société : harcèlement sexuel, violence, accès aux responsabilités, apport économique des femmes dans le couple…

Il y a une dialectique entre la lutte idéologique contre les mentalités rétrogrades, les combats concrets sur le terrain socio-économique et les combats juridiques pour transcrire nos droits dans les lois du pays. Ce que nous visons c’est changer la réalité dans la société.

À côté du succès remarquable obtenu au plan législatif contre les violences faites aux femmes, par exemple, notre victoire est que notre campagne est devenue un fait de société, un sujet de conversation courant et que cela favorise le changement de comportement.

Et comment les femmes seraient-elles des égales si elles n’ont pas la possibilité de l’autonomie économique, celle d’un salaire, d’un logement… comment pourraient-elles être plus nombreuses au travail s’il n’y a pas une socialisation des tâches ménagères par des garderies, des cantines et des transports scolaires…

L’Algérie a adopté en 2008, le système de quota. En plus d’assurer une meilleure représentativité de la femme dans les assemblées, ce système a-t-il permis une meilleure implication de la femme dans la gestion des affaires publiques et dans la prise de décisions?

Nous en sommes encore au niveau symbolique mais le symbole est plus visible. 30% d’élues à l’APN c’est encore peu fréquent dans le monde. Mais aucune sénatrice chez les partis. Le pouvoir est encore masculin, dans les pays comme le notre il l’est un peu plus que dans certains pays développés. Et la société résiste encore à cette reconnaissance.
Pourtant la crise de l’école fait une large majorité féminine au bac et parmi les diplômés.
Sans une politique de quota on ne peut pas progresser. Les femmes sont encore largement minoritaires au niveau des responsabilités mais ce qui a changé c’est que des voix féminines participent à la vie publique, aux débats de la société. Nous sommes devenues visibles, incontournables.
Nous sommes au début d’un lent processus qui mène à la parité.

Certains parlent d’une sorte d’absentéisme de la nouvelle génération dans tout ce qui est militantisme et action citoyenne. Partagez-vous ce constat et quelle en seraient les raisons à votre avis?

Notre génération vient d’une époque d’espoir et nous sommes passées à ce moment d’effondrement du mouvement ouvrier qui structurait auparavant l’action démocratique.
Mais soyons sérieuses, dans les années 70 nous étions une poignée dans quatre grandes villes du pays, aujourd’hui il y a, à travers le pays, des centaines de collectifs féminins les plus divers.
Des jeunes, beaucoup de jeunes activent.
Mais les collectifs militants ont le plus souvent laissé place à des activités associatives rythmées par les projets des ONG ou ceux du gouvernement.
Les autres sont invisibles.
Enfin on en est tous là à travers le monde. Il faut reconstruire l’espoir parmi les travailleurs, les jeunes, les femmes et tous les opprimés complètement désorienté.

Propos recueillis par Mina Adel

repris sur le blog algerieinfos

DOCTEURE ALDJIA BENALLEGUE-NOURREDINE : LA PIONNIÈRE DES FEMMES MÉDECINS D’AFRIQUE A TIRE SA RÉVÉRENCE

pdf-3.jpg La Dr Aldjia Noureddine était pour nous dès la première moitié des années quarante, une personnalité emblématique de l’éveil et de la fierté nationale dans les divers domaines.
Son mari, Benallègue (prénom oublié) était pharmacien. Il avait été pendant ses études maître d’internat au lycée de Ben Aknoun. Il nous donnait des nouvelles des évolutions politiques comme des collègues Amar Bentoumi et Henine Yahia

Rédaction du HuffPost Algérie
Publication: 08 janvier 2016

n-nadjia-bouallegue-large570.jpg

Première femme médecin d’Afrique, l’Algérienne Aldjia Benallegue-Nourredine est décédée le 31 décembre 2015 à Tartous, en Syrie où elle vivait auprès de sa fille.

Née le 28 juin 1919 en Kabylie, elle a obtenu son doctorat en médecine en 1937. Tenace et battante, cette femme d’exception devient en 1964 chef de service d’une pédiatrie qu’elle a pensée, bâtie et organisée à l’hôpital Parnet (actuellement Nafissa Hamoud).

Professeure chef de service pédiatrie de l’hôpital Parnet, Aldjia Benallegue a rehaussé le niveau de la médecine algérienne au sein de laquelle elle a mené, jusqu’à son admission à la retraite en 1989, une activité exigeante et rigoureuse de praticienne, de formatrice et d’animatrice.

Son sérieux et sa rigueur lui apporteront la consécration de sa carrière le 20 avril 1982 lorsqu’elle a été élue membre correspondant étranger de l’Académie nationale de médecine française le 20 avril 1982.

Mme Benallègue avait écrit un livre autobiographique en 2007, “Le Devoir d’espérance”, édité par Casbah. Ouvrage dédié à son père en signe de reconnaissance pour tous les sacrifices qu’il a fait et a fait faire à toute la famille pour qu’elle, une fille née en 1919, puisse s’instruire, apprendre la logique et la philosophie et accéder à la faculté de médecine et devenir un professeur agrégé, chef de service en pédiatrie.

Elle y déroule ainsi son enfance à Aït Helli, en Kabylie, son apprentissage et son métier sacré de pédiatre auquel elle a consacré des centaines de publications et de conférences.

Elle rappelle aux jeunes générations que la médecine était, à ce moment-là, strictement réservée aux seuls mâles européens. Aussi être la première indigène à figurer parmi les rares pionnières européennes et surtout américaines, à avoir osé braver l’interdit social et épouser la carrière médicale, n’était pas aisé et s’est fait sur fond de conflits, de jalousies et d’envies qui l’ont épuisée plus que les études médicales déjà harassantes.

Après le décès de son époux, Aldjia Benallegue-Nourredine décide de rejoindre sa fille qui vit en Syrie. Elle s’installe à Tartous. Elle s’est éteinte le 31 décembre et y a été enterrée. Son vœu d’être entrée en Algérie n’a pu être exhaussé en raison de la situation sécuritaire délicate en Syrie.

L’ÉMERGENCE DES FEMMES AU MAGHREB UNE RÉVOLUTION INACHEVÉE

pdf-3.jpg
femmes_kamel_kateb.png

L’ÉMERGENCE DES FEMMES AU MAGHREB

UNE RÉVOLUTION INACHEVÉE

Dernière publication de Kamel Kateb

éditions APIC

Alger – 2015

Plan succin de l’ouvrage

Première Partie:

Plus de temps dans le célibat, Un mariage de plus en plus tardif

  • Transformation profonde du système matrimonial
  • Scolarisation, emploi féminin et célibat prolongé ?
  • Un processus lent de dérégulation du marché matrimonial

Deuxième Partie

L’ordre social et religieux face aux changements démographiques:

  • Célibat, nuptialité et ordre social et religieux
  • Le politique face à l’ordre Social et Religieux
  • Dissolution du système patriarcale

Troisième Partie:

Une révolution silencieuse au plus profond de la société

  • Une montée en puissance des femmes : Plus de savoir pour plus de droits?
  • Célibat prolongé des femmes pour un changement de société?
  • Célibat prolongé pour un système matrimonial plus adapté?
  • Autonomisation progressive du mouvement féminin
  • Rapport de genre : les difficiles compromis

FATIMA MERNISSI – UNE LUMIÈRE ARABE S’EST ÉTEINTE AU MAROC

pdf-3.jpg
assawra.png

fatima_mernissi23.jpg

par Youssef Ait Akdim – le 30 novembre 2015 – Assawra

Elle s’est éteinte en silence, elle qui emplissait le monde de son rire, de son charisme et de la hardiesse de ses propos. La sociologue et écrivaine marocaine Fatima Mernissi est décédée, tôt, lundi 30 novembre, à Rabat. Une disparition regrettée par les nombreux amis et élèves de cette figure complexe, à la fois universitaire et militante féministe, et qui a inspiré des profils variés, de la journaliste américano-égyptienne Mona Eltahawy à la figure de proue du féminisme musulman, Amina Wadud.

Pour s’être saisie avec courage des grandes questions de société – féminisme, islam et modernité –, Fatima Mernissi était devenue, d’abord au Maghreb puis au-delà, une icône pour toute une génération d’intellectuels. «Je suis née en 1940 dans un harem à Fès, ville marocaine du IXe siècle, située à 5 000 km à l’ouest de La Mecque, et à 1 000 km au sud de Madrid, l’une des capitales des féroces chrétiens», écrit-elle en incipit de son best-seller “Rêves de femmes, une enfance au harem” (Albin Michel/Le Fennec, 1994, le Livre de Poche, 1998).

Cette œuvre résolument fictionnelle tisse les fils de la mémoire en évoquant une multitude de figures féminines hautes en couleur. Dans la lignée assumée des Mille et une nuits, Mernissi y mêle le récit, par moments autobiographique, et des réflexions sociologiques par la bouche d’une fillette découvrant sa place dans le monde et, surtout, les frontières (hûdûd) fixées par une société patriarcale.
Originellement écrit en anglais, l’ouvrage est traduit en vingt-cinq langues. Rêves de femmes consacre la carrière originale d’une sociologue sortie des sentiers battus de l’université.

Au service de « la liberté, la création, l’amour»

Après des études de lettres à Rabat, elle décroche une bourse pour la Sorbonne puis obtient en 1974 un doctorat de sociologie à l’université américaine de Brandeis (Massachusetts).

L’année suivante, elle tire de sa thèse une première publication, “Beyond the Veil”, qui s’impose rapidement aux Etats-Unis comme un classique des cultural studies. Sa thèse : les profondes entraves à la liberté des femmes dans les pays dits «islamiques» ne trouvent pas tant leur origine dans les sources scripturaires que dans des formes de contrôle théorisées dans un second temps de l’islam, notamment sous la dynastie des Omeyyades.

Mernissi retourne ensuite enseigner la sociologie à l’université Mohammed-V de Rabat. Elle y côtoie les principales figures de l’avant-garde intellectuelle, dont Abdelkébir Khatibi, qui la présente au poète Mohammed Bennis. «Elle a brillé bien au-delà de la sociologie, car elle a ouvert des fenêtres vers la culture arabe et islamique, témoigne le poète, ému de cette disparition. «Vous me l’apprenez», confie-t-il, au téléphone depuis la Chine, où il est en déplacement.

Fatima Mernissi aimait aussi courir le monde, de conférences en cérémonies. En 2003, l’intellectuelle reçoit le prix Prince des Asturies – le Nobel espagnol – que lui remet alors le prince Felipe, pas encore souverain.

Cette large reconnaissance n’empêche pas des moments plus douloureux, une solitude parfois, qui semblent avoir été moteur dans son écriture et son engagement civique.

La parution, en 1987, de son livre “Le Harem politique” (Albin Michel, 2010), l’expose à la vindicte des islamistes marocains et de certains oulémas. La sociologue y plaide, après avoir démontré qu’il a été falsifié, une réappropriation du message du prophète Mahomet, qu’elle oppose à la «misogynie» de son successeur, le calife Omar. «En tant que femme, Fatima a toujours bataillé pour revendiquer sa place dans la culture marocaine, et plus largement dans le référentiel arabo-musulman. Elle y a défendu la liberté, la création, l’amour», insiste Mohammed Bennis.

À partir des années 1990, Mernissi s’engage dans la vie associative au Maroc.

L’écrivaine reconnue anime des ateliers d’écriture avec des amateurs, des militants des droits humains, d’anciens prisonniers des «années de plomb» marocaines (années 1960 à 1980), des journalistes. Tous se sentent aujourd’hui orphelins.
Comme Fadma Aït Mous. Cette politologue a été la dernière à l’interroger longuement pour son ouvrage cosigné avec Driss Ksikes, Le Métier d’intellectuel. Un recueil de dialogues avec quinze penseurs du Maroc qui a reçu le prix Grand Atlas le 20 novembre, à Rabat. «J’ai rencontré Fatima en 2008, se souvient Fadma Aït Mous. À moi qui voulais l’interviewer, elle m’a orienté vers mes origines. Par son humilité, elle incarne la générosité, la curiosité intellectuelle, la joie de vivre et la capacité de s’émerveiller au quotidien des petits fourmillements de la vie sociale.»

Le legs de Fatima Mernissi paraît immense. Fadma Aït Mous en retient «une grande maîtrise du patrimoine musulman, un travail étymologique minutieux où elle décèle des formes de modernité et dans lequel elle puise l’essence d’un islam cosmique, remède contre la peur et les cloisonnements territoriaux des temps présents».

(30-11-2015 – Par Youssef Ait Akdim)

Bibliographie non exhautive

  • Sexe, Idéologie, Islam, Éditions Maghrébines, 1985 Le Fennec
  • Al Jins Ka Handasa Ijtima’iya, Éditions Le Fennec, Casablanca 1987
  • Le monde n’est pas un harem, édition révisée, Albin Michel, 1991
  • Sultanes oubliées : femmes chefs d’État en Islam, Albin Michel / Éditions Le Fennec, 1990
  • Le harem politique : le Prophète et les femmes, Albin Michel, 1987, Paperback 1992
  • La Peur-Modernité : conflit islam démocratie, Albin Michel / Éditions Le Fennec, 1992
  • Nissa’ ‘Ala Ajnihati al-Hulmt, Éditions Le Fennec, Casablanca, 1998
  • Rêves de femmes : une enfance au harem, Éditions Le Fennec, Casablanca 1997 – Éd. Albin Michel Nov. 1998
  • Les Aït-Débrouille, Éditions Le Fennec, Casablanca, 1997 (2e édition, Édition de poche, Marsam, Rabat, 2003)
  • Êtes-vous vacciné contre le harem ?, Texte-Test pour les messieurs qui adorent les dames, Éditions Le Fennec, Casablanca, 1998
  • Le Harem et l’Occident, Albin Michel, 2001
  • Les Sindbads marocains, Voyage dans le Maroc civique, Éditions Marsam, Rabat, 2004

SANKARA : LA LIBÉRATION DES FEMMES UNE EXIGENCE DU FUTUR

pdf-3.jpg

SANKARA ET LA LIBÉRATION DES FEMMES

FRAGMENTS

sankara.jpg

THOMAS SANKARA

DISCOURS AUX FEMMMES

8 MAI 1987

FRAGMENTS


medine_sankara.jpg VIDÉO

VIDÉO
Mise en ligne le 2 déc. 2009
Extrait de sa réédition d’Arabian Panther


Peu de révolutionnaires – si ce n’est aucun – ont eu une conscience féministe aussi développée que celle de Thomas Sankara. Proche de sa mère et de ses sœurs depuis son enfance, le burkinabé a bien conscience des problèmes qui touchent les femmes africaines. C’est pour cela que l’émancipation des femmes a toujours fait partie de ses priorités révolutionnaires, comme en témoigne ce discours prononcé le 8 mai 1987 et intitulé La libération de la femme : une exigence du futur. Un texte qui peut être intéressant à lire en plein débat sur l’égalité homme-femme.

Il n’est pas courant qu’un homme ait à s’adresser à tant et tant de femmes à la fois. Il n’est pas courant non plus qu’un homme ait à suggérer à tant et tant de femmes à la fois, les nouvelles batailles à engager.

La première timidité de l’homme lui vient dès le moment où il a conscience qu’il regarde une femme. Aussi, camarades militantes, vous comprendrez que malgré la joie et le plaisir que j’ai à m’adresser à vous, je reste quand même un homme qui regarde en chacune de vous, la mère, la sœur ou l’épouse.

Je voudrais également que nos sœurs ici présentes, venues du Kadiogo, et qui ne comprennent pas la langue française étrangère dans laquelle je vais prononcer mon discours soient indulgentes à notre égard comme elles l’ont toujours été, elles qui, comme nos mères, ont accepté de nous porter pendant neuf mois sans rechigner

(intervention en langue nationale moré pour assurer les femmes qu’une traduction suivra, à leur intention).

Camarades, la nuit de 4 août a accouché de l’œuvre la plus salutaire pour le peuple burkinabè. Elle a donné à notre peuple un nom et à notre pays un horizon.
Irradiés de la sève vivifiante de la liberté, les hommes burkinabè, humiliés et proscrits d’hier, ont reçu le sceau de ce qu’il y a de plus cher au monde : la dignité et l’honneur.

Dès lors, le bonheur est devenu accessible et chaque jour nous marchons vers lui, embaumés par les luttes, prémices qui témoignent des grands pas que nous avons déjà réalisés. Mais le bonheur égoïste n’est qu’illusion et nous avons une grande absente : la femme. Elle a été exclue de cette procession heureuse.

Si des hommes sont déjà à l’orée du grand jardin de la révolution, les femmes elles, sont encore confinées dans leur obscurité dépersonnalisante, devisant bruyamment ou sourdement sur les expériences qui ont embrassé le Burkina Faso et qui ne sont chez elles pour l’instant que clameurs.

La révolution et les femmes

Les promesses de la révolution sont déjà réalités chez les hommes. Chez les femmes par contre, elles ne sont encore que rumeurs.

Et pourtant c’est d’elles que dépendent la vérité et l’avenir de notre révolution : questions vitales, questions essentielles puisque rien de complet, rien de décisif, rien de durable ne pourra se faire dans notre pays tant que cette importante partie de nous-mêmes sera maintenue dans cet assujettissement imposé durant des siècles par les différents systèmes d’exploitation.

Les hommes et les femmes du Burkina Faso doivent dorénavant modifier en profondeur l’image qu’ils se font d’eux-mêmes à l’intérieur d’une société qui, non seulement, détermine de nouveaux rapports sociaux mais provoque une mutation culturelle en bouleversant les relations de pouvoir entre hommes et femmes, et en condamnant l’un et l’autre à repenser la nature de chacun.

C’est une tâche redoutable mais nécessaire, puisqu’il s’agit de permettre à notre révolution de donner toute sa mesure, de libérer toutes ses possibilités et de révéler son authentique signification dans ces rapports immédiats, naturels, nécessaires, de l’homme et de la femme, qui sont les rapports les plus naturels de l’être humain à l’être humain.

Voici donc jusqu’à quel point le comportement naturel de l’homme est devenu humain et jusqu’à quel point sa nature humaine est devenue sa nature.

Cet être humain, vaste et complexe conglomérat de douleurs et de joies, de solitude dans l’abandon, et cependant berceau créateur de l’immense humanité, cet être de souffrance, de frustration et d’humiliation, et pourtant, source intarissable de félicité pour chacun de nous ; lieu incomparable de toute affection, aiguillon des courages même les plus inattendus ; cet être dit faible mais incroyable force inspiratrice des voies qui mènent à l’honneur ; cet être, vérité chamelle et certitude spirituelle, cet être-là, femmes, c’est vous !

Vous, berceuses et compagnes de notre vie, camarades de notre lutte, et qui de ce fait, en toute justice, devez-vous imposer comme partenaires égales dans la convivialité des festins des victoires de la révolution.

« La condition de la femme est par conséquent le nœud de toute la question humaine, ici, là-bas, partout. »

La lutte de classes et la question de la femme

C’est sous cet éclairage que tous, hommes et femmes, nous nous devons de définir et d’affirmer le rôle et la place de la femme dans la société.

Il s’agit donc de restituer à l’homme sa vraie image en faisant triompher le règne de la liberté par-delà les différenciations naturelles, grâce à la liquidation de tous les systèmes d’hypocrisie qui consolident l’exploitation cynique de la femme.

En d’autres termes, poser la question de la femme dans la société burkinabè d’aujourd’hui, c’est vouloir abolir le système d’esclavage dans lequel elle a été maintenue pendant des millénaires.

C’est d’abord vouloir comprendre ce système dans son fonctionnement, en saisir la vraie nature et toutes ses subtilités pour réussir à dégager une action susceptible de conduire à un affranchissement total de la femme.

Autrement dit, pour gagner un combat qui est commun à la femme et à l’homme, il importe de connaître tous les contours de la question féminine tant à l’échelle nationale qu’universelle et de comprendre comment, aujourd’hui, le combat de la femme, burkinabè rejoint le combat universel de toutes les femmes, et au-delà, le combat pour la réhabilitation totale de notre continent.

La condition de la femme est par conséquent le nœud de toute la question humaine, ici, là-bas, partout. Elle a donc un caractère universel.

La lutte de classes et la question de la femme.

Nous devons assurément au matérialisme dialectique d’avoir projeté sur les problèmes de la condition féminine la lumière la plus forte, celle qui nous permet de cerner le problème de l’exploitation de la femme à l’intérieur d’un système généralisé d’exploitation. Celle aussi qui définit la société humaine non plus comme un fait naturel immuable mais comme une antiphysis[[Fait contre nature, source de déséquilibre]].

L’humanité ne subit pas passivement la puissance de la nature. Elle la prend à son compte. Cette prise en compte n’est pas une opération intérieure et subjective. Elle s’effectue objectivement dans la pratique, si la femme cesse d’être considérée comme un simple organisme sexué, pour prendre conscience au-delà des données biologiques, de sa valeur dans l’action.

En outre, la conscience que la femme prend d’elle-même n’est pas définie par sa seule sexualité. Elle reflète une situation qui dépend de la structure économique de la société, structure qui traduit le degré de l’évolution technique et des rapports entre classes auquel est parvenue l’humanité.

L’importance du matérialisme dialectique est d’avoir dépassé les limites essentielles de la biologie, d’avoir échappé aux thèses simplistes de l’asservissement à l’espèce, pour introduire tous les faits dans le contexte économique et social.

Aussi loin que remonte l’histoire humaine, l’emprise de l’homme sur la nature ne s’est jamais réalisée directement, le corps nu. La main avec son pouce préhensif déjà se prolonge vers l’instrument qui multiplie son pouvoir.

Ce ne sont donc pas les seules données physiques, la musculature, la parturition par exemple, qui ont consacré l’inégalité de statut entre l’homme et la femme. Ce n’est pas non plus l’évolution technique en tant que telle qui l’a confirmée. Dans certains cas, et dans certaines parties du globe, la femme a pu annuler la différence physique qui la sépare de l’homme.

C’est le passage d’une forme de société à une autre qui justifie l’institutionnalisation de cette inégalité. Une inégalité sécrétée par l’esprit et par notre intelligence pour réaliser la domination et l’exploitation concrétisées, représentées et vécues désormais par les fonctions et les rôles auxquels nous avons soumis la femme.

La maternité, l’obligation sociale d’être conforme aux canons de ce que les hommes désirent comme élégance, empêchent la femme qui le désirerait de se forger une musculature dite d’homme.

Pendant des millénaires, du paléolithique à l’âge du bronze, les relations entre les sexes furent considérées par les paléontologues les plus qualifiés de complémentarité positive. Ces rapports demeurèrent pendant huit millénaires sous l’angle de la collaboration et de l’interférence, et non sous celui de l’exclusion propre au patriarcat absolu à peu près généralisé à l’époque historique!

Engels a fait l’état de l’évolution des techniques mais aussi de l’asservissement historique de la femme qui naquit avec l’apparition de la propriété privée, à la faveur du passage d’un mode de production à un autre, d’une organisation sociale à une autre.

La femme comme possession de son mari

Avec le travail intensif exigé pour défricher la forêt, faire fructifier les champs, tirer au maximum parti de la nature, intervient la parcellisation des tâches. L’égoïsme, la paresse, la facilité, bref le plus grand profit pour le plus petit effort émergent des profondeurs de l’homme et s’érigent en principes.

La tendresse protectrice de la femme à l’égard de la famille et du clan devient le piège qui la livre à la domination du mâle.

L’innocence et la générosité sont victimes de la dissimulation et des calculs crapuleux. L’amour est bafoué. La dignité est éclaboussée. Tous les vrais sentiments se transforment en objets de marchandage. Dès lors, le sens de l’hospitalité et du partage des femmes succombe à la ruse des fourbes.

Quoique consciente de cette fourberie qui régit la répartition inégale des tâches, elle, la femme, suit l’homme pour soigner et élever tout ce qu’elle aime.

Lui, l’homme, surexploite tant de don de soi. Plus tard, le germe de l’exploitation coupable installe des règles atroces, dépassant les concessions conscientes de la femme historiquement trahie.

L’humanité connaît l’esclavage avec la propriété privée. L’homme maître de ses esclaves et de la terre devient aussi propriétaire de la femme.

C’est là la grande défaite historique du sexe féminin. Elle s’explique par le bouleversement survenu dans la division du travail, du fait de nouveaux modes de production et d’une révolution dans les moyens de production.

Alors le droit paternel se substitue au droit maternel ; la transmission du domaine se fait de père en fils et non plus de la femme à son clan.

C’est l’apparition de la famille patriarcale fondée sur la propriété personnelle et unique du père, devenu chef de famille.

Dans cette famille, la femme est opprimée. Régnant en souverain, l’homme assouvit ses caprices sexuels, s’accouple avec les esclaves ou hétaïres. Les femmes deviennent son butin et ses conquêtes de marché. Il tire profit de leur force de travail et jouit de la diversité du plaisir qu’elles lui procurent.

De son côté dès que les maîtres rendent la réciproque possible, la femme se venge par l’infidélité. Ainsi le mariage se complète naturellement par l’adultère. C’est la seule défense de la femme contre l’esclavage domestique où elle est tenue. L’oppression sociale est ici l’expression de l’oppression économique.

Dans un tel cycle de violence, l’inégalité ne prendra fin qu’avec l’avènement d’une société nouvelle, c’est-à-dire lorsque hommes et femmes jouiront de droits sociaux égaux, issus de bouleversements intervenus dans les moyens de production ainsi que dans tous les rapports sociaux. Aussi le sort de la femme ne s’améliorera-t-il qu’avec la liquidation du système qui l’exploite.

De fait, à travers les âges et partout où triomphait le patriarcat, il y a eu un parallélisme étroit entre l’exploitation des classes et la domination des femmes ; Certes, avec des périodes d’éclaircies où des femmes, prêtresses ou guerrières ont crevé la voûte oppressive.

Mais l’essentiel, tant au niveau de la pratique quotidienne que dans la répression intellectuelle et morale, a survécu et s’est consolidé.

Détrônée par la propriété privée, expulsée d’elle-même, ravalée au rang de nourrice et de servante, rendue inessentielle par les philosophies d’Aristote, Pythagore et autres et les religions les plus installées, dévalorisée par les mythes, la femme partageait le sort de l’esclave qui dans la société esclavagiste n’était qu’une bête de somme à face humaine.

Rien d’étonnant alors que, dans sa phase conquérante, le capitalisme, pour lequel les êtres humains n’étaient que des chiffres, ait été le système économique qui a exploité la femme avec le plus de cynisme et le plus de raffinement. C’était le cas, rapporte-t-on, chez ce fabricant de l’époque, qui n’employait que des femmes à ses métiers à tisser mécaniques. Il donnait la préférence aux femmes mariées et parmi elles, à celles qui avaient à la maison de la famille à entretenir, parce qu’elles montraient beaucoup plus d’attention et de docilité que les célibataires. Elles travaillaient jusqu’à l’épuisement de leurs forces pour procurer aux leurs les moyens de subsistance indispensables.

C’est ainsi que les qualités propres de la femme sont faussées à son détriment, et tous les éléments moraux et délicats de sa nature deviennent des moyens de l’asservir. Sa tendresse, l’amour de la famille, la méticulosité qu’elle apporte à son œuvre sont utilisés contre elle, tout en se parant contre les défauts qu’elle peut avoir.

Ainsi, à travers les âges et à travers les types de sociétés, la femme a connu un triste sort : celui de l’inégalité toujours confirmée par rapport à l’homme. Que les manifestations de cette inégalité aient pris des tours et contours divers, cette inégalité n’en est pas moins restée la même.

Dans la société esclavagiste, l’homme esclave était considéré comme un animal, un moyen de production de biens et de services. La femme, quel que fût son rang, était écrasée à l’intérieur de sa propre classe, et hors de cette classe même pour celles qui appartenaient aux classes exploiteuses.

Dans la société féodale, se basant sur la prétendue faiblesse physique ou psychologique des femmes, les hommes les ont confinées dans une dépendance absolue de l’homme. Souvent considérée comme objet de souillure ou principal agent d’indiscrétion, la femme, à de rares exceptions près, était écartée des lieux de culte.

Dans la société capitaliste, la femme, déjà moralement et socialement persécutée, est également économiquement dominée. Entretenue par l’homme lorsqu’elle ne travaille pas, elle l’est encore lorsqu’elle se tue à travailler. On ne saurait jeter assez de lumière vive sur la misère des femmes, démontrer avec assez de force qu’elle est solidaire de celle des prolétaires.

De la spécificité du fait féminin

Solidaire de l’homme exploité, la femme l’est.

Toutefois, cette solidarité dans l’exploitation sociale dont hommes et femmes sont victimes et qui lie le sort de l’un et de l’autre à l’Histoire, ne doit pas faire perdre de vue le fait spécifique de la condition féminine.

La condition de la femme déborde les entités économiques en singularisant l’oppression dont elle est victime. Cette singularité nous interdit d’établir des équations en nous abîmant dans les réductions faciles et infantiles.

Sans doute, dans l’exploitation, la femme et l’ouvrier sont-ils tenus au silence. Mais dans le système mis en place, la femme de l’ouvrier doit un autre silence à son ouvrier de mari.

En d’autres termes, à l’exploitation de classe qui leur est commune, s’ajoutent pour les femmes, des relations singulières avec l’homme, relations d’opposition et d’agression qui prennent prétexte des différences physiques pour s’imposer.

Il faut admettre que l’asymétrie entre les sexes est ce qui caractérise la société humaine, et que cette asymétrie définit des rapports souverains qui ne nous autorisent pas à voir d’emblée dans la femme, même au sein de la production économique, une simple travailleuse.

Rapports privilégiés, rapports périlleux qui font que la question de la condition de la femme se pose toujours comme un problème.

« La prostitution n’est que la quintessence d’une société où l’exploitation est érigée en règle. Elle symbolise le mépris que l’homme a de la femme.»

L’homme prend donc prétexte la complexité de ces rapports pour semer la confusion au sein des femmes et tirer profit de toutes les astuces de l’exploitation de classe pour maintenir sa domination sur les femmes.

De cette même façon, ailleurs, des hommes ont dominé d’autres hommes parce qu’ils ont réussi à imposer l’idée selon laquelle au nom de l’origine de la famille et de la naissance, du «droit divin», certains hommes étaient supérieurs à d’autres. D’où le règne féodal.

De cette même manière, ailleurs, d’autres hommes ont réussi à asservir des peuples entiers, parce que l’origine et l’explication de la couleur de leur peau ont été une justification qu’ils ont voulue «scientifique» pour dominer ceux qui avaient le malheur d’être d’une autre couleur. C’est le règne colonial. C’est l’apartheid.

Nous ne pouvons pas ne pas être attentifs à cette situation des femmes, car c’est elle qui pousse les meilleures d’entre elles à parler de guerre des sexes alors qu’il s’agit d’une guerre de clans et de classes à mener ensemble dans la complémentarité tout simplement.

Mais il faut admettre que c’est bien l’attitude des hommes qui rend possible une telle oblitération des significations et autorise par-là toutes les audaces sémantiques du féminisme dont certaines n’ont pas été inutiles dans le combat qu’hommes et femmes mènent contre l’oppression.

Un combat que nous pouvons gagner, que nous allons gagner si nous retrouvons notre complémentarité, si nous nous savons nécessaires et complémentaires, si nous savons enfin que nous sommes condamnés à la complémentarité.

Pour l’heure, force est de reconnaître que le comportement masculin, fait de vanités, d’irresponsabilités, d’arrogances et de violences de toutes sortes à l’endroit de la femme, ne peut guère déboucher sur une action coordonnée contre l’oppression de celle-ci.

Et que dire de ces attitudes qui vont jusqu’à la bêtise et qui ne sont en réalité qu’exutoires des mâles opprimés espérant, par leurs brutalités contre leur femme, récupérer pour leur seul compte une humanité que le système d’exploitation leur dénie.

La bêtise masculine s’appelle sexisme ou machisme, toute forme d’indigence intellectuelle et morale, voire d’impuissance physique plus ou moins déclarée qui oblige souvent les femmes politiquement conscientes à considérer comme un devoir la nécessité de lutter sur deux fronts.

Pour lutter et vaincre, les femmes doivent s’identifier aux couches et classes sociales opprimées : les ouvriers, les paysans…

Un homme, si opprimé soit-il, trouve un être à opprimer : sa femme. C’est là assurément affirmer une terrible réalité. Lorsque nous parlons de l’ignoble système de l’apartheid, c’est vers les Noirs exploités et opprimés que se tournent et notre pensée et notre émotion. Mais nous oublions hélas la femme noire qui subit son homme, cet homme qui, muni de son passbook (laisser-passer), s’autorise des détours coupables avant d’aller retrouver celle qui l’a attendu dignement, dans la souffrance et dans le dénuement.

Pensons aussi à la femme blanche d’Afrique du Sud, aristocrate, matériellement comblée sûrement, mais malheureusement machine de plaisir de ces hommes blancs lubriques qui n’ont plus pour oublier leurs forfaits contre les Noirs que leur enivrement désordonné et pervers de rapports sexuels bestiaux.

En outre, les exemples ne manquent pas d’hommes pourtant progressistes, vivant allègrement d’adultère, mais qui seraient prêts à assassiner leur femme rien que pour un soupçon d’infidélité. Ils sont nombreux chez nous, ces hommes qui vont chercher des soi-disant consolations dans les bras de prostituées et de courtisanes de toutes sortes! Sans oublier les maris irresponsables dont les salaires ne servent qu’à entretenir des maîtresses et enrichir des débits de boisson. Et que dire de ces petits hommes eux aussi progressistes qui se retrouvent souvent dans une ambiance lascive pour parler des femmes dont ils ont abusé. Ils croient ainsi se mesurer à leurs semblables hommes, voire les humilier quand ils ravissent des femmes mariées.

En fait, il ne s’agit là que de lamentables mineurs dont nous nous serions même abstenus de parler si leur comportement de délinquants ne mettait en cause et la vertu et la morale de femmes de grande valeur qui auraient été hautement utiles à notre révolution.

Et puis tous ces militants plus ou moins révolutionnaires, beaucoup moins révolutionnaires que plus, qui n’acceptent pas que leurs épouses militent ou ne l’acceptent que pour le militantisme de jour et seulement de jour; qui battent leurs femmes parce qu’elles se sont absentées pour des réunions ou des manifestations de nuit. Ah ! ces soupçonneux, ces jaloux ! Quelle pauvreté d’esprit et quel engagement conditionnel, limité! Car n’y aurait-il que la nuit qu’une femme déçue et décidée puisse tromper son mari? Et quel est cet engagement qui veut que le militantisme s’arrête avec la tombée de la nuit, pour ne reprendre ses droits et ses exigences que seulement au lever du jour!

Et que penser enfin de tous ces propos dans la bouche des militants plus révolutionnaires, les uns que les autres sur les femmes? Des propos comme «bassement matérialistes, profiteuses, comédiennes, menteuses cancanières, intrigantes, jalouse, etc…» Tout cela est peut-être vrai des femmes mais sûrement aussi vrai pour les hommes ! Notre société pourrait-elle pervertir moins que cela lorsqu’avec méthode, elle accable les femmes, les écarte de tout ce qui est censé être sérieux, déterminant, c’est-à-dire au-dessus des relations subalternes et mesquines !

Lorsque l’on est condamné comme les femmes le sont à attendre son maître de mari pour lui donner à manger, et recevoir de lui l’autorisation de parler et de vivre, on n’a plus, pour s’occuper et se créer une illusion d’utilité ou d’importance, que les regards, les reportages, les papotages, les jeux de ferraille, les regards obliques et envieux suivis de médisance sur la coquetterie des autres et leur vie privée. Les mêmes attitudes se retrouvent chez les mâles placés dans les mêmes conditions.

Des femmes, nous disons également, hélas qu’elles sont oublieuses. On les qualifie même de têtes de linottes. N’oublions jamais cependant qu’accaparée, voire tourmentée par l’époux léger, le mari infidèle et irresponsable, l’enfant et ses problèmes, accablée enfin par l’intendance de toute la famille, la femme, dans ces conditions, ne peut avoir que des yeux hagards qui reflètent l’absence, et la distraction de l’esprit. L’oubli, pour elle, devient un antidote à la peine, une atténuation des rigueurs de l’existence, une protection vitale.

Mais des hommes oublieux, il y en a aussi, et beaucoup ; les uns dans l’alcool et les stupéfiants, les autres dans diverses formes de perversité auxquelles ils s’adonnent dans la course de la vie. Cependant, personne ne dit jamais que ces hommes-là sont oublieux. Quelle vanité, quelles banalités!

Banalités dont ils se gargarisent pour marquer ces infirmités de l’univers masculin. Car l’univers masculin dans une société d’exploitation a besoin de femmes prostituées ; Celles que l’on souille et que l’on sacrifie après usage sur l’autel de la prospérité d’un système de mensonges et de rapines, ne sont que des boucs émissaires.

La prostitution n’est que la quintessence d’une société où l’exploitation est érigée en règle. Elle symbolise le mépris que l’homme a de la femme. De cette femme qui n’est autre que la figure douloureuse de la mère, de la sœur ou de l’épouse d’autres hommes, donc de chacun de nous. C’est en définitive, le mépris inconscient que nous avons de nous-mêmes. Il n’y a de prostituées que là où existent des «prostitueurs» et des proxénètes.

Mais qui donc va chez la prostituée ?

Il y a d’abord des maris qui vouent leurs épouses à la chasteté pour décharger sur la prostituée leur turpitude et leurs désirs de stupres. Cela leur permet d’accorder un respect apparent à leurs épouses tout en révélant leur vraie nature dans le giron de la fille dite de joie. Ainsi sur le plan moral, on fait de la prostitution le symétrique du mariage. On semble s’en accommoder, dans les rites et coutumes, les religions et les morales. C’est ce que les pères de l’Église exprimaient en disant qu’ «il faut des égouts pour garantir la salubrité des palais».

Il y a ensuite les jouisseurs impénitents et intempérants qui ont peur d’assumer la responsabilité d’un foyer avec ses turbulences et qui fuient les charges morales et matérielles d’une paternité. Ils exploitent alors l’adresse discrète d’une maison close comme le filon précieux d’une liaison sans conséquences.

Il y a aussi la cohorte de tous ceux qui, publiquement du moins et dans les lieux bien-pensants, vouent la femme aux gémonies. Soit par un dépit qu’ils n’ont pas eu le courage de transcender, perdant confiance ainsi en toute femme déclarée alors instrumentum diabolicum, soit également par hypocrisie pour avoir trop souvent et péremptoirement proclamé contre le sexe féminin un mépris qu’ils s’efforcent d’assumer aux yeux de la société dont ils ont extorqué l’admiration par la fausse vertu. Tous nuitamment échouent dans les lupanars de manière répétée jusqu’à ce que parfois leur tartufferie soit découverte.

Il y a encore cette faiblesse de l’homme que l’on retrouve dans sa recherche de situations polyandriques. Loin de nous, toute idée de jugement de valeur sur la polyandrie, cette forme de rapport entre l’homme et la femme que certaines civilisations ont privilégiée. Mais dans les cas que nous dénonçons, retenons ces parcs de gigolos cupides et fainéants qu’entretiennent grassement de riches dames.

Dans ce même système, au plan économique la prostitution peut confondre prostituée et femme mariée «matérialiste». Entre celle qui vend son corps par la prostitution et celle qui se vend dans le mariage, la seule différence consiste dans le prix et la durée du contrat.

Ainsi en tolérant l’existence de la prostitution, nous ravalons toutes nos femmes au même rang: prostituées ou mariées. La seule différence est que la femme légitime tout en étant opprimée en tant qu’épouse bénéficie au moins du sceau de l’honorabilité que confère le mariage. Quant à la prostituée, il ne reste plus que l’appréciation marchande de son corps, appréciation fluctuant au gré des valeurs des bourses phallocratiques.

N’est-elle qu’un article qui se valorise ou se dévalorise en fonction du degré de flétrissement de ses charmes ? N’est-elle pas régie par la loi de l’offre et de la demande ? La prostitution est un raccourci tragique et douloureux de toutes les formes de l’esclavage féminin. Nous devons par conséquent voir dans chaque prostituée le regard accusateur braqué sur la société tout entière. Chaque proxénète, chaque partenaire de prostituée remue un couteau dans cette plaie purulente et béante qui enlaidit le monde des hommes et le conduit à sa perte. Aussi, en combattant la prostitution, en tendant une main secourable à la prostituée, nous sauvons nos mères, nos sœurs et nos femmes de cette lèpre sociale. Nous nous sauvons nous-mêmes. Nous sauvons le monde.

La condition de la femme au Burkina.

Si dans l’entendement de la société, le garçon qui naît est un «don de Dieu», la naissance d’une fille est accueillie, sinon comme une fatalité, au mieux comme un présent qui servira à produire des aliments et à reproduire le genre humain.

Au petit homme l’on apprendra à vouloir et à obtenir, à dire et être servi, à désirer et prendre, à décider sans appel. À la future femme, la société, comme un seul homme et c’est bien le lieu de le dire assène, inculque des normes sans issue. Des corsets psychiques appelés vertus créent en elle un esprit d’aliénation personnelle, développent dans cette enfant la préoccupation de protection et la prédisposition aux alliances tutélaires et aux tractations matrimoniales. Quelle fraude mentale monstrueuse!

Ainsi, enfant sans enfance, la petite fille, dès l’âge de 3 ans, devra répondre à sa raison d’être : servir, être utile. Pendant que son frère de 4, 5 ou 6 ans jouera jusqu’à l’épuisement ou l’ennui, elle entrera, sans ménagement, dans le processus de production. Elle aura, déjà, un métier : assistante-ménagère. Occupation sans rémunération bien sûr car ne dit-on pas généralement d’une femme à la maison qu’elle « ne fait rien ? ». N’inscrit-on pas sur les documents d’identité des femmes non rémunérées la mention « ménagère » pour dire que celles-ci n’ont pas d’emploi? Qu’elles « ne travaillent pas ? ».

Les rites et les obligations de soumission aidant, nos sœurs grandissent, de plus en plus dépendantes, de plus en plus dominées, de plus en plus exploitées avec de moins en moins de loisirs et de temps libre.

Alors que le jeune homme trouvera sur son chemin les occasions de s’épanouir et de s’assumer, la camisole de force sociale enserrera davantage la jeune fille, à chaque étape de sa vie. Pour être née fille, elle paiera un lourd tribut, sa vie durant, jusqu’à ce que le poids du labeur et les effets de l’oubli de soi physiquement et mentalement la conduisent au jour du Grand repos. Facteur de production aux côtés de sa mère dès ce moment, plus sa patronne que sa maman elle ne sera jamais assise à ne rien faire, jamais laissée, oubliée à ses jeux et à ses jouets comme lui, son frère.

De quelque côté que l’on se tourne, du Plateau central au Nord-Est où les sociétés à pouvoir fortement centralisé prédominent, à l’Ouest où vivent des communautés villageoises au pouvoir non centralisé ou au Sud-Ouest, terroir des collectivités dites segmentaires, l’organisation sociale traditionnelle présente au moins un point commun: la subordination des femmes. Dans ce domaine, nos 8 000 villages, nos 600 000 concessions et notre million et plus de ménages, observent des comportements identiques ou similaires. Ici et là, l’impératif de la cohésion sociale définie par les hommes est la soumission des femmes et la subordination des cadets.

Notre société, encore par trop primitivement agraire, patriarcale et polygamique, fait de la femme un objet d’exploitation pour sa force de travail et de consommation, pour sa fonction de reproduction biologique.

Comment la femme vit-elle cette curieuse double identité: celle d’être le nœud vital qui soude tous les membres de la famille, qui garantit par sa présence et son attention l’unité fondamentale et celle d’être marginalisée, ignorée ? Une condition hybride s’il en est, dont l’ostracisme imposé n’a d’égal que le stoïcisme de la femme. Pour vivre en harmonie avec la société des hommes, pour se conformer au diktat des hommes, la femme s’enferrera dans une ataraxie avilissante, négativiste, par le don de soi.

Femme-source de vie mais femme-objet. Mère mais servile domestique. Femme-nourricière mais femme-alibi. Taillable aux champs et corvéable au ménage, cependant figurante sans visage et sans voix. Femme-charnière, femme-confluent mais femme en chaînes, femme-ombre à l’ombre masculine.

Pilier du bien-être familial, elle est accoucheuse, laveuse, balayeuse, cuisinière, messagère, matrone, cultivatrice, guérisseuse, maraîchère, pileuse, vendeuse, ouvrière. Elle est une force de travail à l’outil désuet, cumulant des centaines de milliers d’heures pour des rendements désespérants.

Déjà aux quatre fronts du combat contre la maladie, la faim, le dénuement, la dégénérescence, nos sœurs subissent chaque jour la pression des changements sur lesquels elles n’ont point de prise. Lorsque chacun de nos 800 000 émigrants mâles s’en va, une femme assume un surcroît de travail. Ainsi, les deux millions de Burkinabé résidant hors du territoire national ont contribué à aggraver le déséquilibre de la sex-ratio qui, aujourd’hui, fait que les femmes constituent 51,7 pour cent de la population totale. De la population résidante potentiellement active, elles sont 52,1 pour cent.

Trop occupée pour accorder l’attention voulue à ses enfants, trop épuisée pour penser à elle-même, la femme continuera de trimer : roue de fortune, roue de friction, roue motrice, roue de secours, grande roue.

Rouées et brimées, les femmes, nos sœurs et nos épouses, paient pour avoir donné la vie. Socialement reléguées au troisième rang, après l’homme et l’enfant, elles paient pour entretenir la vie. Ici aussi, un Tiers Monde est arbitrairement arrêté pour dominer, pour exploiter.

Dominée et transférée d’une tutelle protectrice exploiteuse à une tutelle dominatrice et davantage exploiteuse, première à la tâche et dernière au repos, première au puits et au bois, au feu du foyer mais dernière à étancher ses soifs, autorisée à manger que seulement quand il en reste ; et après l’homme, clé de voûte de la famille, tenant sur ses épaules, dans ses mains et par son ventre cette famille et la société, la femme est payée en retour d’idéologie nataliste oppressive, de tabous et d’interdits alimentaires, de surcroît de travail, de malnutrition, de grossesses dangereuses, de dépersonnalisation et d’innombrables autres maux qui font de la mortalité maternelle une des tares les plus intolérables, les plus indicibles, les plus honteuses de notre société.

Sur ce substrat aliénant, l’intrusion des rapaces venus de loin a contribué à fermenter la solitude des femmes et à empirer la précarité de leur condition.

L’euphorie de l’indépendance a oublié la femme dans le lit des espoirs châtrés. Ségréguée dans les délibérations, absente des décisions, vulnérable donc victime de choix, elle a continué de subir la famille et la société. Le capital et la bureaucratie ont été de la partie pour maintenir la femme subjuguée. L’impérialisme a fait le reste.
Scolarisées deux fois moins que les hommes, analphabètes à 99 pour cent, peu formées aux métiers, discriminées dans l’emploi, limitées aux fonctions subalternes, harcelées et congédiées les premières, les femmes, sous les poids de cent traditions et de mille excuses ont continué de relever les défis successifs. Elles devaient rester actives, coûte que coûte, pour les enfants, pour la famille et pour la société. Au travers de mille nuits sans aurores.

Le capitalisme avait besoin de coton, de karité, de sésame pour ses industries et c’est la femme, ce sont nos mères qui en plus de ce qu’elles faisaient déjà se sont retrouvées chargées d’en réaliser la cueillette. Dans les villes, là où était censée être la civilisation émancipatrice de la femme, celle-ci s’est retrouvée obligée de décorer les salons de bourgeois, de vendre son corps pour vivre ou de servir d’appât commercial dans les productions publicitaires.

Les femmes de la petite-bourgeoisie des villes vivent sans doute mieux que les femmes de nos campagnes sur le plan matériel. Mais sont-elles plus libres, plus émancipées, plus respectées, plus responsabilisées ? Il y a plus qu’une question à poser, il y a une affirmation à avancer. De nombreux problèmes demeurent, qu’il s’agisse de l’emploi ou de l’accès à l’éducation, qu’il s’agisse du statut de la femme dans les textes législatifs ou dans la vie concrète de tous les jours, la femme burkinabè demeure encore celle qui vient après l’homme et non en même temps.

Les régimes politiques néo-coloniaux qui se sont succédés au Burkina n’ont eu de la question de l’émancipation de la femme que son approche bourgeoise qui n’est que l’illusion de liberté et de dignité. Seules les quelques femmes de la petite-bourgeoisie des villes étaient concernées par la politique à la mode de la «condition féminine» ou plutôt du féminisme primaire qui revendique pour la femme le droit d’être masculine. Ainsi la création du ministère de la Condition féminine, dirigée par une femme fut-elle chantée comme une victoire.

Mais avait-on vraiment conscience de cette condition féminine? Avait-on conscience que la condition féminine c’est la condition de 52 pour cent de la population burkinabè? Savait-on que cette condition était déterminée par les structures sociales, politiques, économiques et par les conceptions rétrogrades dominantes et que par conséquent la transformation de cette condition ne saurait incomber à un seul ministère, fût-il dirigé par une femme?

Cela est si vrai que les femmes du Burkina ont pu constater après plusieurs années d’existence de ce ministère que rien n’avait changé dans leur condition.

Et il ne pouvait en être autrement dans la mesure où l’approche de la question de l’émancipation des femmes qui a conduit à la création d’un tel ministère-alibi, refusait de voir et de mettre en évidence afin d’en tenir compte les véritables causes de la domination et de l’exploitation de la femme.

Aussi ne doit-on pas s’étonner que malgré l’existence de ce ministère, la prostitution se soit développée, que l’accès des femmes à l’éducation et à l’emploi ne se soit pas amélioré, que les droits civiques et politiques des femmes soient restés ignorés, que les conditions d’existence des femmes en ville comme en campagne ne se soient nullement améliorées.

Femme-bijou, femme-alibi politique au gouvernement, femme-sirène clientéliste aux élections, femme-robot à la cuisine, femme frustrée par la résignation et les inhibitions imposées malgré son ouverture d’esprit ! Quelle que soit sa place dans le spectre de la douleur, quelle que soit sa façon urbaine ou rurale de souffrir, elle souffre toujours.

Mais une seule nuit a porté la femme au cœur de l’essor familial et au centre de la solidarité nationale.

Porteuse de liberté, l’aurore consécutive du 4 août 1983 lui a fait écho pour qu’ensemble, égaux, solidaires et complémentaires, nous marchions côte à côte, en un seul peuple.

La révolution d’août a trouvé la femme burkinabè dans sa condition d’être assujettie et exploité par une société néo-coloniale fortement influencée par l’idéologie des forces rétrogrades. Elle se devait de rompre avec la politique réactionnaire, prônée et suivie jusque-là en matière d’émancipation de la femme.

La révolution et l’émancipation de la femme

Le 2 octobre 1983, le Conseil national de la révolution a clairement énoncé dans son Discours d’orientation politique l’axe principal du combat de libération de la femme.

Il s’y est engagé à travailler à la mobilisation, à l’organisation et à l’union de toutes les forces vives de la nation, et de la femme en particulier. Le Discours d’orientation politique précisait à propos de la femme: «Elle sera associée d tous les combats que nous aurons à entreprendre contre les diverses entraves de la société néo-coloniale et pour l’édification d’une société nouvelle. Elle sera associée à tous les niveaux de conception, de décision et d’exécution dans l’organisation de la vie de la nation tout entière ».

Le but de cette grandiose entreprise, c’est de construire une société libre et prospère où la femme sera l’égale de l’homme dans tous les domaines. Il ne peut y avoir de façon plus claire de concevoir et d’énoncer la question de la femme et la lutte émancipatrice qui nous attend.

« La vraie émancipation de la femme c’est celle qui responsabilise la femme, qui l’associe aux activités productrices, aux différents combats auxquels est confronté le peuple. La vraie émancipation de la femme, c’est celle qui force la considération et le respect de l’homme ».

Cela indique clairement, camarades militantes, que le combat pour la libération de la femme est avant tout votre combat pour le renforcement de la Révolution démocratique et populaire. Cette révolution qui vous donne désormais la parole et le pouvoir de dire et d’agir pour l’édification d’une société de justice et d’égalité, où la femme et l’homme ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. La Révolution démocratique et populaire a créé les conditions d’un tel combat libérateur. Il vous appartient désormais d’agir en toute responsabilité pour, d’une part, briser toutes les chaînes et entraves qui asservissent la femme dans les sociétés arriérées comme la nôtre, et pour, d’autre part, assumer la part de responsabilité qui est la vôtre dans la politique d’édification de la société nouvelle au profit de l’Afrique et au profit de toute l’humanité.

Aux premières heures de la Révolution démocratique et populaire, nous le disions déjà: «l’émancipation tout comme la liberté ne s’octroie pas, elle se conquiert. Et il incombe aux femmes elles-mêmes d’avancer leurs revendications et de se mobiliser pour les faire aboutir ». Ainsi notre révolution a non seulement précisé l’objectif à atteindre dans la question de la lutte d’émancipation de la femme, mais elle a également indiqué ta voie à suivre, les moyens à mettre en œuvre et les principaux acteurs de ce combat. Voilà bientôt quatre ans que nous œuvrons ensemble, hommes et femmes, pour remporter des victoires et avancer vers l’objectif final.

Il nous faut avoir conscience des batailles livrées, des succès remportés, des échecs subis et des difficultés rencontrées pour davantage préparer et diriger les futurs combats. Quelle œuvre a été réalisée par la Révolution démocratique et populaire dans l’émancipation de la femme?

Quels atouts et quels handicaps ?

L’un des principaux acquis de notre révolution dans la lutte pour l’émancipation de la femme a été sans conteste la création de l’Union des femmes du Burkina, (UFB). La création de cette organisation constitue un acquis majeur parce qu’elle a permis de donner aux femmes de notre pays un cadre et des moyens sûrs pour victorieusement mener le combat. La création de l’UFB est une grande victoire parce qu’elle permet le ralliement de l’ensemble des femmes militantes autour d’objectifs précis, justes, pour le combat libérateur sous la direction du Conseil national de la révolution. L’UFB est l’organisation des femmes militantes et responsables, déterminées à travailler pour transformer [la réalité], à se battre pour gagner, à tomber et retomber, mais à se relever chaque fois pour avancer sans reculer.

C’est là une conscience nouvelle qui a germé chez les femmes du Burkina, et nous devons tous en être fiers. Camarades militantes, l’Union des femmes du Burkina est votre organisation de combat. Il vous appartient de l’affûter davantage pour que ses coups soient plus tranchants et vous permettent de remporter toujours et toujours des victoires. Les différentes initiatives que le Gouvernement a pu entreprendre depuis un peu plus de trois ans pour l’émancipation de la femme sont certainement insuffisantes, mais elles ont permis de faire un bout du chemin au point que notre pays peut se présenter aujourd’hui à l’avant-garde du combat libérateur de la femme. Nos femmes participent de plus en plus aux prises de décision, à l’exercice effectif du pouvoir populaire.

Les femmes du Burkina sont partout où se construit le pays, elles sont sur les chantiers: le Sourou (vallée irriguée), le reboisement, la vaccination-commando, les opérations «Villes propres», la bataille du rail, etc. Progressivement, les femmes du Burkina prennent pied et s’imposent, battant ainsi en brèche toutes les conceptions phallocratiques et passéïstes des hommes.

Et il en sera ainsi jusqu’à ce que la femme au Burkina soit partout présente dans le tissu social et professionnel. Notre révolution, durant les trois ans et demi, a œuvré à l’élimination progressive des pratiques dévalorisantes de la femme, comme la prostitution et les pratiques avoisinantes comme le vagabondage 3t la délinquance des jeunes filles, le mariage forcé, l’excision et les conditions de vie particulièrement difficiles de la femme.

En contribuant à résoudre partout le problème de l’eau, en contribuant aussi à l’installation des moulins dans les villages, en vulgarisant les foyers améliorés, en créant des garderies populaires, en pratiquant la vaccination au quotidien, en incitant à l’alimentation saine, abondante et variée, la révolution contribue sans nul doute à améliorer les conditions de vie de la femme burkinabè.

Aussi, celle-ci doit-elle s’engager davantage dans l’application des mots d’ordre anti-impérialistes, à produire et consommer burkinabè, en s’affirmant toujours comme un agent économique de premier plan, producteur comme consommateur des produits locaux.

La révolution d’août a sans doute beaucoup fait pour l’émancipation de la femme, mais cela est pourtant loin d’être satisfaisant. Il nous reste beaucoup à faire.

Pour mieux réaliser ce qu’il nous reste à faire, il nous faut d’avantage être conscients des difficultés à vaincre. Les obstacles et les difficultés sont nombreux. Et en tout premier lieu l’analphabétisme et le faible niveau de conscience politique, toutes choses accentuées encore par l’influence trop grande des forces rétrogrades dans nos sociétés arriérées.

Ces deux principaux obstacles, nous devons travailler avec persévérance à les vaincre. Car tant que les femmes n’auront pas une conscience claire de la justesse du combat politique à mener et des moyens à mettre en œuvre, nous risquons de piétiner et finalement de régresser.

C’est pourquoi, l’Union des femmes du Burkina devra pleinement jouer le rôle qui est le sien. Les femmes de l’UFB doivent travailler à surmonter leurs propres insuffisances, à rompre avec les pratiques et le comportement qu’on a toujours dit propres aux femmes et que malheureusement nous pouvons vérifier encore chaque jour par les propos et comportements de nombreuses femmes. Il s’agit de toutes ces mesquineries comme la jalousie, l’exhibitionnisme, les critiques incessantes et gratuites, négatives et sans principes, le dénigrement des unes par les autres, le subjectivisme à fleur de peau, les rivalités, etc… Une femme révolutionnaire doit vaincre de tels comportements qui sont particulièrement accentués chez celles de la petite-bourgeoisie. Ils sont de nature à compromettre tout travail de groupe, alors même que le combat pour la libération de la femme est un travail organisé qui a besoin par conséquent de la contribution de l’ensemble des femmes.

Ensemble nous devons toujours veiller à l’accès de la femme au travail. Ce travail émancipateur et libérateur qui garantira à la femme l’indépendance économique, un plus grand rôle social et une connaissance plus juste et plus complète du monde.

Notre entendement du pouvoir économique de la femme doit se départir de la cupidité vulgaire et de la crasse avidité matérialiste qui font de certaines femmes des bourses de valeurs-spéculatrices, des coffres-forts ambulants. Il s’agit de ces femmes qui perdent toute dignité, tout contrôle et tout principe dès lors que le clinquant des bijoux se manifeste ou que le craquant des billets se fait entendre. De ces femmes, il y en a malheureusement qui conduisent des hommes aux excès d’endettement, voire de concussion, de corruption. Ces femmes sont de dangereuses boues gluantes, fétides, qui nuisent à la flamme révolutionnaire de leurs époux ou compagnons militants. De tristes cas existent où des ardeurs révolutionnaires ont été éteintes et où l’engagement du mari a été détourné de la cause du peuple par une femme égoïste et acariâtre, jalouse et envieuse.

L’éducation et l’émancipation économique, si elles ne sont pas bien comprises et utilement orientées, peuvent être sources de malheur pour la femme, donc pour la société. Recherchées comme amantes, épousées pour le meilleur, elles sont abandonnées dès que survient le pire. Le jugement répandu est impitoyable pour elles: l’intellectuelle se «place mal» et la richissime est suspecte. Toutes sont condamnées à un célibat qui ne serait pas grave s’il n’était pas l’expression même d’un ostracisme diffus de toute une société contre des personnes, victimes innocentes parce qu’elles ignorent tout de «leur crime et de leur tare», frustrées parce que chaque jour est un éteignoir à une affectivité qui se mue en acariâtrie ou en hypochondrie.

Chez beaucoup de femmes le grand savoir a provoqué des déboires et la grande fortune a nourri bien des infortunes.

La solution à ces paradoxes apparents réside dans la capacité des malheureuses instruites ou riches à mettre au service de leur peuple leur grande instruction, leurs grandes richesses. Elles n’en seront que plus appréciées, voire adulées par tant et tant de personnes à qui elles auront apporté un peu de joie. Comment alors pourraient-elles se sentir seules dans ces conditions ? Comment ne pas connaître la plénitude sentimentale lorsque l’on a su faire de l’amour de soi et de l’amour pour soi, l’amour de l’autre et l’amour des autres ?

Nos femmes ne doivent pas reculer devant les combats multiformes qui conduisent une femme à s’assumer pleinement, courageusement et fièrement afin de vivre le bonheur d’être elle-même, et non pas la domestication d’elle par lui.

Aujourd’hui encore, et pour beaucoup de nos femmes, s’inscrire sous le couvert d’un homme demeure le quitus le plus sûr contre le qu’en-dira-t-on oppressant. Elles se marient sans amour et sans joie de vivre, au seul profit d’un goujat, d’un falot démarqué de la vie et des luttes du peuple. Bien souvent, des femmes exigent une indépendance sourcilleuse, réclamant en même temps d’être protégées, pire, d’être sous le protectorat colonial d’un mâle. Elles ne croient pas pouvoir vivre autrement.

Non ! Il nous faut redire à nos sœurs que le mariage, s’il n’apporte rien à la société et s’il ne les rend pas heureuses, n’est pas indispensable, et doit même être évité. Au contraire, montrons-leur chaque jour les exemples de pionnières hardies et intrépides qui dans leur célibat, avec ou sans enfants, sont épanouies et radieuses pour elles, débordantes de richesses et de disponibilité pour les autres. Elles sont même enviées par les mariées malheureuses pour les sympathies qu’elles soulèvent, le bonheur qu’elles tirent de leur liberté, de leur dignité et de leur serviabilité.

Les femmes ont suffisamment fait la preuve de leurs capacités à entretenir une famille, à élever des enfants, à être en un mot responsables sans l’assujettissement tutélaire d’un homme. La société a suffisamment évolué pour que cesse le bannissement injuste de la femme sans mari. Révolutionnaires, nous devons faire en sorte que le mariage soit un choix valorisant et non pas cette loterie où l’on sait ce que l’on dépense au départ mais rien de ce que l’on va gagner. Les sentiments sont trop nobles pour tomber sous le coup du ludisme.

Une autre difficulté réside aussi sans aucun doute dans l’attitude féodale, réactionnaire et passive de nombreux hommes qui continuent de par leur comportement, à tirer en arrière. Ils n’entendent pas voir remettre en cause des dominations absolues sur la femme au foyer ou dans la société en général. Dans le combat pour l’édification de la société nouvelle qui est un combat révolutionnaire, ces hommes de par leurs pratiques, se placent du côté de la réaction et de la contre-révolution. Car la révolution ne saurait aboutir sans l’émancipation véritable des femmes.

Nous devons donc, camarades militantes, avoir clairement conscience de toutes ces difficultés pour mieux affronter les combats à venir.

La femme tout comme l’homme possède des qualités mais aussi des défauts et c’est là sans doute la preuve que la femme est l’égale de l’homme. En mettant délibérément l’accent sur les qualités de la femme, nous n’avons pas d’elle une vision idéaliste. Nous tenons simplement à mettre en relief ses qualités et ses compétences que l’homme et la société ont toujours occultées pour justifier l’exploitation et la domination de la femme.

Comment allons-nous nous organiser pour accélérer la marche en avant vers l’émancipation ?

Nos moyens sont dérisoires, mais notre ambition, elle, est grande. Notre volonté et notre conviction fermes d’aller de l’avant ne suffisent pas pour réaliser notre pari. II nous faut rassembler nos forces, toutes nos forces, les agencer, les coordonner dans le sens du succès de notre lutte. Depuis plus de deux décennies l’on a beaucoup parlé d’émancipation dans notre pays, l’on s’est beaucoup ému. II s’agit aujourd’hui d’aborder la question de l’émancipation de façon globale, en évitant les fuites des responsabilités qui ont conduit à ne pas engager toutes les forces dans la lutte et à faire de cette question centrale une question marginale, en évitant également les fuites en avant qui laisseraient loin derrière, ceux et surtout celles qui doivent tue en première ligne.

Au niveau gouvernemental, guidé par les directives du Conseil national de la révolution, un Plan d’action cohérent en faveur des femmes, impliquant l’ensemble des départements ministériels, sera mis en place afin de situer les responsabilités de chacun dans des missions à court et moyen termes. Ce plan d’action, loin d’être un catalogue de voeux pieux et autres apitoiements devra être le fil directeur de l’intensification de l’action révolutionnaire. C’est dans le feu de la lutte que les victoires importantes et décisives seront remportées.

Ce plan d’action devra être conçu par nous et pour nous. De nos larges et démocratiques débats devront sortir les audacieuses résolutions pour réaliser notre foi en la femme. Que veulent les hommes et les femmes pour les femmes ? C’est ce que nous dirons dans notre Plan d’action.

Le Plan d’action, de par l’implication de tous les départements ministériels, se démarquera résolument de l’attitude qui consiste à marginaliser la question de la femme et à déresponsabiliser des responsables qui, dans leurs actions quotidiennes, auraient dû et auraient pu contribuer de façon significative à la résolution de la question. Cette nouvelle approche multidimensionnelle de la question de la femme découle de notre analyse scientifique, de son origine, de ses causes et de son importance dans le cadre de notre projet d’une société nouvelle, débarrassée de toutes formes d’exploitation et d’oppression. II ne s’agit point ici d’implorer la condescendance de qui que ce soit en faveur de la femme. II s’agit d’exiger au nom de la révolution qui est venue pour donner et non pour prendre, que justice soit faite aux femmes.

Désormais l’action de chaque ministère, de chaque comité d’administration ministériel sera jugée en fonction des résultats atteints dans le cadre de la mise en œuvre du Plan d’action, au-delà des résultats globaux usuels. À cet effet, les résultats statistiques comporteront nécessairement la part de l’action entreprise qui a bénéficié aux femmes ou qui les a concernées. La question de la femme devra être présente à l’esprit de tous les décideurs à tout instant, à toutes les phases de la conception, de l’exécution des actions de développement. Car concevoir un projet de développement sans la participation de la femme, c’est ne se servir que de quatre doigts, quand on en a dix. C’est donc courir à l’échec.

« La transformation des mentalités serait incomplète si la femme de type nouveau devait vivre avec un homme de type ancien. »

La révolution et l’éducation comme émancipation féminine

Au niveau des ministères chargés de l’éducation, on veillera tout particulièrement à ce que l’accès des femmes à l’éducation soit une réalité, cette réalité qui constituera un pas qualitatif vers l’émancipation. Tant il est vrai que partout où les femmes ont accès à l’éducation, la marche vers l’émancipation s’est trouvée accélérée. La sortie de la nuit de l’ignorance permet en effet aux femmes d’exprimer, et d’utiliser les armes du savoir, pour se mettre à la disposition de la société. Du Burkina Faso, devraient disparaître toutes les formes ridicules et rétrogrades qui faisaient que seule la scolarisation des garçons était perçue comme importante et rentable, alors que celle de la fille n’était qu’une prodigalité.

L’attention des parents pour les filles à l’école devra être égale à celle accordée aux garçons qui font toute leur fierté. Car, non seulement les femmes ont prouvé qu’elles étaient égales à l’homme à l’école quand elles n’étaient pas tout simplement meilleures, mais surtout elles ont droit à l’école pour apprendre et savoir, pour être libres.

Dans les futures campagnes d’alphabétisation, les taux de participation des femmes devront être relevés pour correspondre à leur importance numérique dans la population, car ce serait une trop grande injustice que de maintenir une si importante fraction de la population, la moitié de celle-ci, dans l’ignorance.

Au niveau des ministères chargés du travail et de la justice, les textes devront s’adapter constamment à la mutation que connaît notre société depuis le 4 août 1983, afin que l’égalité en droits entre l’homme et la femme soit une réalité tangible. Le nouveau code du travail, en cours de confection et de débat devra être l’expression des aspirations profondes de notre peuple à la justice sociale et marquer une étape importante dans l’œuvre de destruction de l’appareil néo-colonial. Un appareil de classe, qui a été façonné et modelé par les régimes réactionnaires pour pérenniser le système d’oppression des masses populaires et notamment des femmes. Comment pouvons-nous continuer d’admettre qu’à travail égal, la femme gagne moins que l’homme ? Pouvons-nous admettre le lévirat et la dot réduisant nos sœurs et nos mères au statut de biens vulgaires qui font l’objet de tractations ? II y a tant et tant de choses que les lois moyenâgeuses continuent encore d’imposer à notre peuple, aux femmes de notre peuple. C’est juste, qu’enfin, justice soit rendue.

Au niveau des ministères chargés de la culture et de la famille, un accent particulier sera mis sur l’avènement d’une mentalité nouvelle dans les rapports sociaux, en collaboration étroite avec l’Union des femmes du Burkina. La mère et l’épouse sous la révolution ont des rôles spécifiques importants à jouer dans le cadre des transformations révolutionnaires. L’éducation des enfants, la gestion correcte des budgets familiaux, la pratique de la planification familiale, la création d’une ambiance familiale, le patriotisme sont autant d’atouts importants devant contribuer efficacement à la naissance d’une morale révolutionnaire et d’un style de vie anti-impérialiste, prélude à une société nouvelle.

La femme, dans son foyer, devra mettre un soin particulier à participer à la progression de la qualité de la vie. En tant que Burkinabé, bien vivre, c’est bien se nourrir, c’est bien s’habiller avec les produits burkinabés. II s’agira d’entretenir un cadre de vie propre et agréable car l’impact de ce cadre sur les rapports entre les membres d’une même famille est très important. Un cadre de vie sale et vilain engendre des rapports de même nature. II n’y a qu’à observer les porcs pour s’en convaincre.

Et puis la transformation des mentalités serait incomplète si la femme de type nouveau devait vivre avec un homme de type ancien. Le réel complexe de supériorité des hommes sur les femmes, où est-il le plus pernicieux mais le plus déterminant si ce n’est dans le foyer où la mère, complice et coupable, organise sa progéniture d’après des règles sexistes inégalitaires ? Ce sont les femmes qui perpétuent le complexe des sexes, dès les débuts de l’éducation et de la formation du caractère.

Par ailleurs à quoi servirait notre activisme pour mobiliser le jour un militant si la nuit, le néophyte devait se retrouver aux côtés d’une femme réactionnaire démobilisatrice !

Que dire des tâches de ménage, absorbantes et abrutissantes, qui tendent à la robotisation et ne laissent aucun répit pour la réflexion !

C’est pourquoi, des actions doivent être résolument entreprises en direction des hommes et dans le sens de la mise en place, à grande échelle, d’infrastructures sociales telles que les crèches, les garderies populaires, et les cantines. Elles permettront aux femmes de participer plus facilement au débat révolutionnaire, à l’action révolutionnaire.

L’enfant qui est rejeté comme le raté de sa mère ou monopolisé comme la fierté de son père devra être une préoccupation pour toute la société et bénéficier de son attention et de son affection.

L’homme et la femme au foyer se partageront désormais toutes les tâches du foyer.
Le Plan d’action en faveur des femmes devra être un outil révolutionnaire pour la mobilisation générale de toutes les structures politiques et administratives dans le processus de libération de la femme.

Camarades militantes, je vous le répète, afin qu’il corresponde aux besoins réels des femmes, ce plan fera l’objet de débats démocratiques au niveau de toutes les structures de l’UFB.

L’UFB est une organisation révolutionnaire. À ce titre, elle est une école de démocratie populaire régie par les principes organisationnels que sont la critique et l’autocritique, le centralisme démocratique. Elle entend se démarquer des organisations où la mystification a pris le pas sur les objectifs réels. Mais cette démarcation ne sera effective et permanente que si les militantes de l’UFB engagent une lutte résolue contre les tares qui persistent encore, hélas, dans certains milieux féminins. Car il ne s’agit point de rassembler des femmes pour la galerie ou pour d’autres arrière-pensées démagogiques électoralistes ou simplement coupables.

II s’agit de rassembler des combattantes pour gagner des victoires ; il s’agit de se battre en ordre et autour des programmes d’activités arrêtés démocratiquement au sein de leurs comités dans le cadre de l’exercice bien compris de l’autonomie organisationnelle propre à chaque structure révolutionnaire. Chaque responsable UFB devra être imprégnée de son rôle, dans sa structure, afin de pouvoir être efficace dans l’action. Cela impose à l’Union des femmes du Burkina d’engager de vastes campagnes d’éducation politique et idéologique de ses responsables, pour le renforcement sur le plan organisationnel des structures de l’UFB à tous les niveaux.

Camarades militantes de l’UFB, votre union, notre union, doit participer pleinement à la lutte des classes aux côtés des masses populaires. Les millions de consciences endormies, qui se sont réveillées à l’avènement de la révolution représentent une force puissante. Nous avons choisi au Burkina Faso, le 4 août 1983, de compter sur nos propres forces, c’est-à-dire en grande partie sur la force que vous représentez, vous les femmes. Vos énergies doivent, pour être utiles, être toutes conjuguées dans le sens de la liquidation des races des exploiteurs, de la domination économique de l’impérialisme.

En tant que structure de mobilisation, l’UFB devra forger au niveau des militantes une conscience politique aiguë pour un engagement révolutionnaire total dans l’accomplissement des différentes actions entreprises par le gouvernement pour l’amélioration des conditions de la femme. Camarades de l’UFB, ce sont les transformations révolutionnaires qui vont créer les conditions favorables à votre libération. Vous êtes doublement dominées par l’impérialisme et par l’homme. En chaque homme somnole un féodal, un phallocrate qu’il faut détruire. Aussi, est-ce avec empressement que vous devez adhérer aux mots d’ordre révolutionnaires les plus avancés pour en accélérer la concrétisation et avancer encore plus vite vers l’émancipation. C’est pourquoi, le Conseil national de la révolution note avec joie votre participation intense à tous les grands chantiers nationaux et vous incite à aller encore plus loin pour un soutien toujours plus grand, à la révolution d’août qui est avant tout la vôtre.

En participant massivement aux grands chantiers, vous vous montrez d’autant plus méritantes que l’on a toujours voulu, à travers la répartition des tâches au niveau de la société, vous confiner dans des activités secondaires. Alors que votre apparente faiblesse physique n’est rien d’autre que la conséquence des normes de coquetterie et de goût que cette même société vous impose parce que vous êtes des femmes.
Chemin faisant, notre société doit se départir des conceptions féodales qui font que la femme non mariée est mise au ban de la société, sans que nous ne percevions clairement que cela est la traduction de la relation d’appropriation qui veut que chaque femme soit la propriété d’un homme. C’est ainsi que l’on méprise les filles-mères comme si elles étaient les seules responsables de leur situation, alors qu’il y a toujours un homme coupable. C’est ainsi que les femmes qui n’ont pas d’enfants, sont opprimées du fait de croyances surannées alors que cela s’explique scientifiquement et peut être vaincu par la science.

La société a par ailleurs imposé aux femmes des canons de coquetterie qui portent préjudice à son intégrité physique: l’excision, les scarifications, les taillages de dents, les perforations des lèvres et du nez. L’application de ces normes de coquetterie reste d’un intérêt douteux. Elle compromet même la capacité de la femme à procréer et sa vie affective dans le cas de l’excision. D’autres types de mutilations, pour moins dangereuses qu’elles soient, comme le perçage des oreilles et le tatouage n’en sont pas moins une expression du conditionnement de la femme, conditionnement imposé à elle par la société pour pouvoir prétendre à un mari.

La lutte des femmes au sein de la révolution

Camarades militantes, vous vous soignez pour mériter un homme. Vous vous percez les oreilles, et vous vous labourez le corps pour être acceptées par des hommes. Vous vous faites mal pour que le mâle vous fasse encore plus mal !

Femmes, mes camarades de luttes, c’est à vous que je parle : vous qui êtes malheureuses en ville comme en campagne, vous qui ployez sous le poids des fardeaux divers de l’exploitation ignoble, «justifiée et expliquée» en campagne ; vous qui, en ville, êtes sensées être des femmes heureuses, mais qui êtes au fond tous les jours des femmes malheureuses, accablées de charges, parce que, tôt levée la femme tourne en toupie devant sa garde-robe se demandant quoi porter, non pour se vêtir, non pour se couvrir contre les intempéries mais surtout, quoi porter, pour plaire aux hommes, car elle est tenue, elle est obligée de chercher à plaire aux hommes chaque jour; vous les femmes à l’heure du repos, qui vivez la triste attitude de celle qui n’a pas droit à tous les repos, celle qui est obligée de se rationner, de s’imposer la continence et l’abstinence pour maintenir un corps conforme à la ligne que désirent les hommes ; vous le soir, avant de vous coucher, recouvertes et maquillées sous le poids de ces nombreux produits que vous détestez tant nous le savons mais qui ont pour but de cacher une ride indiscrète, malencontreuse, toujours jugée précoce, un âge qui commence à se manifester, un embonpoint qui est trop tôt venu ; Vous voilà chaque soir obligées de vous imposer une ou deux heures de rituel pour préserver un atout, mal récompensé d’ailleurs par un mari inattentif, et pour le lendemain recommencer à peine à l’aube.

Camarades militantes, hier à travers les discours, par la Direction de la mobilisation et l’organisation des femmes (DMOF) et en application du statut général des CDR [ndlr : Comités de défense de la Révolution], le Secrétariat général national des CDR a entrepris avec succès la mise en place des comités, des sous-sections et des sections de l’Union des femmes du Burkina.

Le Commissariat politique chargé de l’organisation et de la planification aura la mission de parachever votre pyramide organisationnelle par la mise en place du Bureau national de l’UFB. Nous n’avons pas besoin d’administration au féminin pour gérer bureaucratiquement la vie des femmes ni pour parler sporadiquement en fonctionnaire cauteleux de la vie des femmes. Nous avons besoin de celles qui se battront parce qu’elles savent que sans bataille, il n’y aura pas de destruction de l’ordre ancien et construction de l’ordre nouveau. Nous ne cherchons pas à organiser ce qui existe, mais bel et bien à le détruire, à le remplacer.

Le Bureau national de l’UFB devra être constitué de militantes convaincues et déterminées dont la disponibilité ne devra jamais faire défaut, tant l’œuvre à entreprendre est grande. Et la lutte commence dans le foyer. Ces militantes devront avoir conscience qu’elles représentent aux yeux des masses l’image de la femme révolutionnaire émancipée, et elles devront se comporter en conséquence.

Camarades militantes, camarades militants, en changeant l’ordre classique des choses, l’expérience fait de plus en plus la preuve que seul le peuple organisé est capable d’exercer le pouvoir démocratiquement.

La justice et l’égalité qui en sont les principes de base permettent à la femme de démontrer que les sociétés ont tort de ne pas lui faire confiance au plan politique comme au plan économique. Ainsi la femme exerçant le pouvoir dont elle s’est emparée au sein du peuple est à même de réhabiliter toutes les femmes condamnées par l’histoire.

Notre révolution entreprend un changement qualitatif, profond de notre société. Ce changement doit nécessairement prendre en compte les aspirations de la femme burkinabè. La libération de la femme est une exigence du futur, et le futur, camarades, est partout porteur de révolutions. Si nous perdons le combat pour la libération de la femme, nous aurons perdu tout droit d’espérer une transformation positive supérieure de la société. Notre révolution n’aura donc plus de sens. Et c’est à ce noble combat que nous sommes tous conviés, hommes et femmes.

Que nos femmes montent alors en première ligne! C’est essentiellement de leur capacité, de leur sagacité à lutter et de leur détermination à vaincre, que dépendra la victoire finale. Que chaque femme sache entraîner un homme pour atteindre les cimes de la plénitude. Et pour cela que chacune de nos femmes puisse dans l’immensité de ses trésors d’affection et d’amour trouver la force et le savoir-faire pour nous encourager quand nous avançons et nous redonner du dynamisme quand nous flanchons. Que chaque femme conseille un homme, que chaque femme se comporte en mère auprès de chaque homme. Vous nous avez mis au monde, vous nous avez éduqués et vous avez fait de nous des hommes.

Que chaque femme, vous nous avez guidés jusqu’au jour où nous sommes continue d’exercer et d’appliquer son rôle de mère, son rôle de guide. Que la femme se souvienne de ce qu’elle peut faire, que chaque femme se souvienne qu’elle est le centre de la terre, que chaque femme se souvienne qu’elle est dans le monde et pour le monde, que chaque femme se souvienne que la première à pleurer pour un homme, c’est une femme. On dit, et vous le retiendrez, camarades, qu’au moment de mourir, chaque homme interpelle, avec ses derniers soupirs, une femme : sa mère, sa sœur, ou sa compagne.

Les femmes ont besoin des hommes pour vaincre. Et les hommes ont besoin des victoires des femmes pour vaincre. Car, camarades femmes, aux côtés de chaque homme, il y a toujours une femme. Cette main de la femme qui a bercé le petit de l’homme, c’est cette même main qui bercera le monde entier.

Nos mères nous donnent la vie. Nos femmes mettent au monde nos enfants, les nourrissent à leurs seins, les élèvent et en font des êtres responsables.

Les femmes assurent la permanence de notre peuple, les femmes assurent le devenir de l’humanité ; les femmes assurent la continuation de notre œuvre ; les femmes assurent la fierté de chaque homme.

thomas_sankara-2.jpg
Mères, sœurs, compagnes,

II n’y a point d’homme fier tant qu’il n’y a point de femme à côté de lui. Tout homme fier, tout homme fort, puise ses énergies auprès d’une femme ; la source intarissable de la virilité, c’est la féminité. La source intarissable, la clé des victoires se trouvent toujours entre les mains de la femme. C’est auprès de la femme, sœur ou compagne que chacun de nous retrouve le sursaut de l’honneur et de la dignité.

C’est toujours auprès d’une femme que chacun de nous retourne pour chercher et rechercher la consolation, le courage, l’inspiration pour oser repartir au combat, pour recevoir le conseil qui tempérera des témérités, une irresponsabilité présomptueuse.
C’est toujours auprès d’une femme que nous redevenons des hommes, et chaque homme est un enfant pour chaque femme. Celui qui n’aime pas la femme, celui qui ne respecte pas la femme, celui qui n’honore pas la femme, a méprisé sa propre mère. Par conséquent, celui qui méprise la femme méprise et détruit le lieu focal d’où il est issu, c’est-à-dire qu’il se suicide lui-même parce qu’il estime n’avoir pas de raison d’exister, d’être sorti du sein généreux d’une femme.

Camarades, malheur à ceux qui méprisent les femmes ! Ainsi à tous les hommes d’ici et d’ailleurs, à tous les hommes de toutes conditions, de quelque case qu’ils soient, qui méprisent la femme, qui ignorent et oublient ce qu’est la femme, je dis: «Vous avez frappé un roc, vous serez écrasés».

Camarades, aucune révolution, et à commencer par notre révolution, ne sera victorieuse tant que les femmes ne seront pas d’abord libérées. Notre lutte, notre révolution sera inachevée tant que nous comprendrons la libération comme celle essentiellement des hommes. Après la libération du prolétaire, il reste la libération de la femme. Camarades, toute femme est la mère d’un homme. Je m’en voudrais en tant qu’homme, en tant que fils, de conseiller et d’indiquer la voie à une femme. La prétention serait de vouloir conseiller sa mère. Mais nous savons aussi que l’indulgence et l’affection de la mère, c’est d’écouter son enfant, même dans les caprices de celui-ci, dans ses rêves, dans ses vanités. Et c’est ce qui me console et m’autorise à m’adresser à vous.

C’est pourquoi, Camarades, nous avons besoin de vous pour une véritable libération de nous tous. Je sais que vous trouverez toujours la force et le temps de nous aider à sauver notre société.

Camarades, il n’y a de révolution sociale véritable que lorsque la femme est libérée. Que jamais mes yeux ne voient une société, que jamais, mes pas ne me transportent dans une société où la moitié du peuple est maintenue dans le silence. J’entends le vacarme de ce silence des femmes, je pressens le grondement de leur bourrasque, je sens la furie de leur révolte. J’attends et espère l’irruption féconde de la révolution dont elles traduiront la force et la rigoureuse justesse sorties de leurs entrailles d’opprimées.

Camarades, en avant pour la conquête du futur ; Le futur est révolutionnaire ; Le futur appartient à ceux qui luttent.

La patrie ou la mort, nous vaincrons !

Source : http://www.thomassankara.net/spip.php?article40

thomas_sankara.jpg


FEMMES ET ISLAM – INTERVIEW DE ASMAE-LAMRABET

asma_lemrabet.jpg

L’ISLAM EST-IL MASCULIN?

Mais encore?
VIDÉO

Mais encore: Lundi 24 Novembre 2014

Dans cette édition, Hamid Barrada reçoit Asmae Lamrabet, médecin-biologiste et Directrice du Centre d’études féminines en Islam.
Cliquez à droite de la vidéo pour voir ses différentes parties

asma_lemrabet.jpg

http://www.2m.ma/Programmes/Magazines/Information/Mais-encore/Mais-encore-avec-Asmae-Lamrabet2

LE 8 MARS ALGÉRIEN

in_salah_16_slide_408446_5122112_free.jpg


8 MARS 2015 – IN SALAH – LA LUTTE DES FEMMES AU QUOTIDIEN CONTRE LE GAZ DE SCHISTEHuffPost Algérie – par Nejma RondeleuxPHOTOS.


UN 8 MARS PARTICULIER EN ALGÉRIE AVEC UN VERRE À MOITIÉ PLEINpublié par le .huffpostmaghreb.com – le 8 mars 2015 – Selma Kasmi, Journaliste;


LONG COMBAT ET MAIGRES ACQUIS DES FEMMES: CITOYENNES SOUS TUTORATNadir Iddir – El Watan – le 8 mars 2015;


ADULTE OU MINEURE, LA FEMME ALGÉRIENNE DIVISEpar Yazid Alilat – Le Quotidien d’Oran – éditorial – le 7 mars 2015;


LES FEMMES d’ IN SALAHLeïla Beratto – El Watan -le 6 mars 2015;


8 MARS 2015Des mots et des maux – pour toutes les femmes du mondemessage de « Hourriya Liberté » pour partager;


À IN SALAH,

LA LUTTE « AU FEMININ »

CONTRE LE GAZ DE SCHISTE

(PHOTOS)

HuffPost Algérie,

par Nejma Rondeleux


le 7 mars 2015

http://www.huffpostmaghreb.com/2015/03/08/femmes-schiste-in-salah_n_6822168.html

Tous les jours depuis le 31 décembre, elles sont là, Sahat Essoumoud, la place de la « Résistance » où bat le cœur du mouvement anti gaz de schiste. Les femmes d’In Salah ont, dès le début, rejoint les hommes dans leur combat, leur signifiant clairement qu’elles ne comptaient pas rester en marge du mouvement. « On leur a dit, cette fois-ci, on va y aller bras dessus, bras dessous et foncer ensemble », confiait fin janvier au Huffington Post Algérie, Fatiha Touni, une habitante d’In Salah.

En plus des marches quotidiennes à travers la ville et des rassemblements journaliers, les femmes d’In Salah – étudiantes, mères de familles, grand-mères, venues de tous les horizons – ont pris en charge la préparation des repas: deux fois par jour, elles cuisinent pour 200 personnes sous la khaïma installée en face de la daïra. A l’occasion de la Journée de la femme, le Huffington Post Algérie revient en images sur le combat de ces citoyennes ordinaires dont l’engagement a donné un autre visage au mouvement contre le gaz de schiste.


1. Manifestation à travers la ville

in_salah_16_slide_408446_5122112_free.jpg


2. Marche quotidienne

in_salah_15_slide_408446_5122144_free.jpg


3. L’arbuste, symbole de vie

in_salah_14_slide_408446_5122114_free.jpg


4. Femmes et enfants ensemble

in_salah_13_slide_408446_5122142_free.jpg


5. Préparation du déjeuner

in_salah_12_slide_408446_5122124_free.jpg


6. Pâtes au menu

in_salah_11_slide_408446_5122150_free.jpg


7. Préparation des couverts

in_salah_10_slide_408446_5122154_free.jpg


8. Service

in_salah_9_slide_408446_5122156_free.jpg


9. Vaisselle

in_salah_8_slide_408446_5122116_free.jpg


10. Rassemblement de fin de journée

in_salah_7_slide_408446_5122134_free.jpg


11. Message

in_salah_6_slide_408446_5122148_free.jpg


12. Poèmes anti-schiste

in_salah_4_slide_408446_5122122_free.jpg


13. L’heure du thé

in_salah_3slide_408446_5122160_free.jpg


14. Couscous

in_salah_2_slide_408446_5122118_free.jpg


15. Dîner

in_salah_1.jpg


sources: http://www.huffpostmaghreb.com/2015/03/08/femmes-schiste-in-salah_n_6822168.html

haut de page


UN 8 MARS PARTICULIER EN ALGÉRIE

AVEC UN VERRE À MOITIÉ PLEIN

n-bougie-large570.jpg

[

publié par le .huffpostmaghreb.com

le 8 mars 2015

Selma Kasmi

Journaliste

->http://www.huffpostmaghreb.com/selma-kasmi/un-8-mars-particulier-en-_b_6827760.html?utm_hp_ref=algeria]

La célébration de la journée internationale de la femme, ce 8 mars, ne se résume pas cette fois-ci aux traditionnelles augmentations des prix des fleurs et produits cosmétiques ou des fêtes organisées dans les salles omnisports, de théâtres ou de Cinéma avec l’incontournable Cheb Yazid à l’affiche.

Les fêtes exclusivement féminines n’ont pas fait défaut, ni la hausse du prix de la fleur qui a dépassé les 100% (200 dinars contre 50-70 durant les journées ordinaires). Les terrasses, les cafés, les salons, les restaurants n’ont pas désemplis de la journée au grand bonheur des commerçants.

Dans les rues d’Alger, de nombreuses femmes ont osé mettre plus de talons, de robes ou de jupes relativement courtes… Elles se savent nombreuses en ce jour où elles ne subiront pas autant d’harcèlement que d’habitude, c’est-à-dire, que la veille ou le lendemain…

Elles ne craignent donc pas de se faire belles. Il y a, bien entendu, ces habituels commentaires des hommes au passage des femmes portant fleurs ou cadeaux et qui fustigent une « fête commerciale », un jour « d’exagération, pas digne du combat des femmes », un jour confondu aussi avec la « Saint Valentin ». Sans oublier ceux qui vitupèrent contre « une fête pas musulmane ».

Pourtant, ce 8 mars est particulier. C’est un jour de fête qui ne se terminera pas le 9 mars car la femme algérienne vient de décrocher un acquis juridique. Jeudi 05 mars, le parlement algérien a adopté les amendements au code pénal portant criminalisation de la violence faite aux femmes.

Et pour la première fois, à notre connaissance, dans le monde arabo-musulman, le harcèlement moral conjugal et le harcèlement dans les lieux publics sont punis par la loi. Et comme pour tous les sujets relatifs à la femme et aux rapports hommes-femmes, c’est plus qu’une loi.

Cette loi qui s’introduit dans l’espace verrouillé de la famille est un grand bond en avant et remet en cause des règles datant du moyen-âge, jusque-là indiscutées, qui font dépendre le sort de la femme ou de toute une famille au bon vouloir absolu de l’homme.

C’est une première. « Les violences physiques ou morales sont criminalisées et punies par la loi ». Cet amendement du code pénal n’a laissé personne indifférent.

Largement commentée dans les médias, les réseaux sociaux, les mosquées, les familles, « la Criminalisation de la violence à l’encontre des femmes », jadis taboue, est désormais formulée, discutée, et elle fait réfléchir, même dans les milieux les plus rétrogrades.

En parler, et à grande échelle, c’est déjà un pas énorme. La voir adoptée en est encore un autre. À cette même occasion, l’Assemblée Populaire Nationale a amendé l’article 330 du code pénal relatif à l’abandon de famille pour protéger l’épouse de la violence économique.

Un nouvel article criminalisant toute agression attentant à l’intégrité sexuelle de la victime sera également introduit, à côté de l’amendement de l’article (341 bis) en vue d’alourdir la peine prévue pour harcèlement sexuel.

En novembre dernier, l’APN avait adopté un projet de loi portant création du fonds de pension alimentaire au profit des femmes divorcées exerçant le droit de garde de leurs enfants.

Ces acquis important doivent consacrer par un travail titanesque autour de leur application effective. Cela implique la sensibilisation et le suivi entre autres. Ces progrès au niveau des droits font que la femme algérienne célèbre cette année, un 8 mars de droits arrachés.

Car le 8 mars 1909 que nous célébrons chaque année, est aussi et surtout, celui des luttes et des droits arrachés. Célébrer ce 8 mars en 2015, c’est dire merci à toutes les associations, juristes, intellectuelles et autres, qui ont mené un combat de plusieurs années pour aboutir à l’adoption de la loi de jeudi dernier.

C’est aussi rendre hommage à toutes celles et ceux qui se sont battus, durant la guerre de libération, après l’indépendance, pendant la décennie noire, et ceux qui continuent de nos jours à militer pour les droits et la dignité de la femme, fameux ou anonymes.

Nous sommes encore loin des libertés et de la reconnaissance de la femme comme être autonome responsable et maître de sa propre vie. Nous n’avons même pas la terminologie de l’égalité inscrite dans la constitution. Mais le verre est aujourd’hui, à moitié plein!

sources Huffpost
http://www.huffpostmaghreb.com/selma-kasmi/un-8-mars-particulier-en-_b_6827760.html?utm_hp_ref=algeria

haut de page


pdf-3.jpg

LONG COMBAT ET MAIGRES ACQUIS DES FEMMES:

CITOYENNES SOUS TUTORAT

Nadir Iddir
El Watan
le 8 mars 2015

sami-k_2601709_465x348p.jpg
Les avancées enregistrées demeurent en deçà des aspirations des Algériennes

Une levée de boucliers a accompagné la présentation par le gouvernement du projet de loi amendant le code pénal relatif à la protection des femmes contre toutes les formes de violence. Des formations islamistes à l’Assemblée, rejointes par des salafistes sur les réseaux sociaux, ont dénoncé des amendements qui, selon eux, «disloqueront la famille». La contestation des formations conservatrices, qui se sont exprimées violemment dans l’hémicycle, n’a pas empêché l’adoption de ce texte.

Les femmes, longtemps oubliées par les pouvoirs publics et le législateur, bénéficient, depuis une dizaine d’années, de nouveaux droits. La réforme la plus importante a touché le code de la famille en 2005. «Le législateur algérien a attendu plus de vingt ans après l’indépendance pour adopter un code de la famille (loi n° 84-11 du 9/6/1984, JORA n° 24, ndlr). Il a encore attendu plus de vingt ans pour apporter les premières modifications à ce texte», estime Nahas Mahieddin, enseignant à la faculté d’Oran, qui a rédigé une contribution sur l’évolution du droit de la famille, publié par l’Année du Maghreb (2005-2006).

Examinés par une commission nationale, les amendements apportés au «code de la honte» ont porté principalement sur l’âge légal du mariage (19 ans), la limitation du rôle du wali (tuteur) de la future épouse, la filiation, la reconnaissance de maternité, la restriction de la polygamie ainsi que la suppression de l’autorisation de sortie du territoire pour la femme mariée.

Des juristes ont estimé que ces révisions, apportées sous l’impulsion intéressée du président Bouteflika, réélu à la tête de l’Etat une année auparavant, n’instaurent pas la légalité instituée par la Constitution (art.29). «La révision de ce texte (code de la famille, ndlr) n’a pas porté sur l’ensemble de ses dispositions, mais, tout en se limitant à quelques-unes d’entre elles, concerne en fait les dispositions les plus débattues au sein de la société et pour lesquelles il est difficile d’obtenir un consensus.

La réforme législative entreprise a porté donc essentiellement sur le mariage et sa dissolution ainsi que leurs effets. Si d’un point de vue statistique, moins de 15% des articles composant l’ensemble du code de la famille ont été revus puisque ne relevant que d’un seul titre, les changements ont toutefois été apportés sur près de la moitié (41%) de son contenu», précise M. Nahas.

Maître Nadia Naït Zaï, directrice du Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant et de la femme (Ciddef), a salué cette «évolution» dans le droit personnel, mais estime néanmoins que le texte doit être carrément «abrogé et réécrit». «Des dispositions sont toujours maintenues, telles que la tutelle paternelle (wali) et la polygamie. Il faut qu’on fasse un toilettage complet de ce code pour permettre l’égalité entre l’homme et la femme», suggère l’avocate.

Volontarisme juridique et demi-mesures

D’autres amendements ont été apportés par le gouvernement aux différents textes depuis la révision du code de la famille de mai 2005. Petite révolution : le code de la nationalité révisé (article 06 de l’ordonnance n°05-01 du 27 février 2005) accorde désormais le droit à l’Algérienne de transmettre sa nationalité. En 2014, une révision du code pénal permet de dénoncer les discriminations à l’égard de la femme. Sauf que là aussi, l’Etat n’est pas allé au bout de la logique égalitariste réclamée, les nouvelles dispositions, qui énumèrent les droits politiques et économiques, «omettent» de mentionner l’exercice et la jouissance des droits civils.

Cette même année, un décret permet aux femmes violées par un terroriste ou un groupe de terroristes d’être indemnisées, en plus d’avoir le statut de victime du terrorisme. Les pouvoirs publics ont décidé de mettre en place une batterie de mesures au profit des femmes : quotas sur les listes électorales, centres d’accueil des femmes victimes de violence, Conseil national de la famille et de la femme, etc. Parmi les dernières mesures prises par le gouvernement figure la création, début janvier 2015, d’un fonds de pension alimentaire, annoncé une année auparavant (mars 2014) par le chef de l’Etat.

Les autorités ont décidé par ailleurs de lever les réserves sur des articles de la Convention de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ratifiée (Cedef) – décret présidentiel n°08-426 du 28 décembre 2008. «L’Etat a levé la réserve sur l’article 9.2, qui accorde à la femme des droits égaux à ceux de l’homme en ce qui concerne la nationalité des enfants. L’Etat s’est engagé aussi à lever les réserves sur deux autres articles, les 15 et 16, qui portent sur les droits civils», précise Me Naït Zaï.

Ces réformes sont-elles adoptées sous la pression de l’étranger, comme l’expliquent leurs détracteurs invétérés ? «Il faut arrêter de penser que les mesures sont la conséquence de pressions exercées par l’étranger. Il y a une pression sociale interne», estime Me Naït Zaï. Toutes ces mesures sont-elles suffisantes pour instaurer l’égalité homme-femme ? La présidente du Ciddef ne le pense pas et réclame la mise en place d’une «politique publique» pour «changer les mentalités, s’informer sur les inégalités et scruter les évolutions». «D’autres révisions sont nécessaires. Il est, par exemple, indigne de constater que sur les 10 millions de citoyens actifs, il existe seulement 18% de femmes. Ce n’est guère suffisant et normal. Où vont les filles qui ont des diplômes ?» s’interroge l’avocate .

Nadir Iddir
El Watan
le 8 mars 2015

pour accéder à l’article et au forum, cliquer sur le lien: (…)

haut de page


ADULTE OU MINEURE, LA FEMME ALGÉRIENNE DIVISE

par Yazid Alilat
Le Quotidien d’Oran
éditorial
le 7 mars 2015

Un projet de loi, un autre de plus, pour protéger la femme en Algérie contre les violences. Aussi bien physiques, sexuelles, morales et autres. C’est bien. C’est même d’un très bon effet médiatique à la veille d’une célébration mondiale des droits de la femme. L’espace d’une journée, cependant, sans que les vrais problèmes de genre soient posés. Ici en Algérie beaucoup plus qu’ailleurs dans le monde où les lois protègent hommes et femmes sans grand discernement. Comme la discrimination dans le travail, les filières universitaires, les postes de responsabilité, etc.

copie_de_545448_399070413498078_1155379272_n.jpg

C’est bien de protéger la femme algérienne contre les débordements de tout genre et de criminaliser les différentes agressions dont elle fait l’objet, chez elle ou ailleurs. Pour autant, la femme en Algérie reste encore marginalisée, considérée comme une marchandise ou, selon les cas, comme «une esclave» des temps modernes. Car il ne faut pas se voiler la face, ni rester dans cette phase temporelle de grande hypocrisie en renforçant l’arsenal criminalisant la violence de genre, encore faut-il prospecter d’autres territoires, défricher d’autres jungles dans lesquelles les droits de la femme en Algérie sont oubliés, foulés aux pieds. Sinon comment expliquer qu’une pension sordide de 800 DA par mois est donnée à la femme au foyer, plaçant celle-ci de fait comme une indigente, alors que l’Etat, pour mieux protéger sur le plan économique la femme au foyer et la protéger du besoin, aurait dû augmenter cette prime, qui était de 50 DA seulement (moins que le prix d’un kg de semoule), beaucoup plus que la «sadaka» des 800 DA.

Quelle vilenie plus grande peut-on asséner à cette femme algérienne, qui a fait tant de sacrifices durant la longue nuit coloniale, que de lui accorder des droits au-dessous de ce qu’elle mérite. Car il est vain de parler de protection des droits de la femme lorsque la société tout entière n’est pas préparée à comprendre sa place réelle dans l’architecture sociale de la nation. En faire juste une «victime», ou ce que certains désignent comme une implacable victimisation de la femme algérienne, est contre-productif dans l’état actuel de la société algérienne. A plus forte raison quand les parlementaires ne s’écoutent pas et ne se comprennent pas, encore moins s’entendre sur un minimum social pour donner corps à des textes de loi qui érigent la femme comme un véritable acteur politique, social, économique et qui fait avancer la société algérienne. Qui participe à l’effort national de développement et de progrès social. Et non pas aller dans le sens déprimant et nuisible qui assimile la femme algérienne à un objet social et humain qu’il faut protéger contre les dépassements de l’homme.

femmes_ptt.jpg
Là, il est clair que la position des ONG, de la société civile est plus avancée et moderne que celle de l’Etat et ses institutions, qui doivent donner une perspective et une identité irréfragable à la femme pour qu’elle puisse se placer dans l’échiquier social de la nation. Et non pas produire des textes de loi facilement «corruptibles» pour la protéger contre des violences que certains députés osent même lui attribuer la responsabilité par son accoutrement. «On ne peut criminaliser un homme qui a été excité par une femme», aurait dit ce député en séance plénière lors des débats sur le projet de loi amendant et complétant l’ordonnance n°66-156 portant code pénal et relatif aux violences faites aux femmes. Quelle tristesse ! A cette allure, la femme algérienne ne sera jamais «adulte».

Sources: http://www.lequotidien-oran.com/?news=5210602

haut de page


LES FEMMES d’ IN SALAH

[Leïla Beratto
El Watan
le 6 mars 2015->http://www.elwatan.com/actualite/les-femmes-d-in-salah-06-03-2015-289053_109.php]

[blog algerieinfo-saoudi
le 6 mars 2015->http://www.algerieinfos-saoudi.com/2015/03/les-femmes-d-in-salah.html]

gaz-de-schis_2601620_465x348p.jpg
Les femmes sont les gardiennes de l’eau

Elles sont plusieurs milliers. Leur mobilisation collective et leur solidarité ont fait l’unanimité au sein de la rédaction. Les femmes d’In Salah manifestent depuis le 31 décembre, avec les hommes, contre l’exploitation du gaz de schiste. Le premier puits de forage du pays, à Ahnet, n’est qu’à 47 kilomètres de la ville.

Pour protester, elles se rassemblent par centaines sur la place Soumoud, participent aux manifestations, marchent entre 10 et 15 kilomètres parfois deux fois par jour. Les plus âgées ont installé des tentes pour faire la cuisine pour des centaines de personnes. Sur les images qui parviennent aux rédactions, des jeunes filles en blouse rose côtoient leurs mères, foulards colorés encadrant leurs visages, et des femmes plus âgées dans les manifestations.

La présence policière du week-end dernier et les affrontements ne les ont pas empêchées de marcher à nouveau.
Habituellement, les femmes d’In Salah vivent du travail agricole, de petits élevages ; d’autres sont enseignantes pour l’éducation nationale ou dans les écoles coraniques.
On dit de ces femmes du Sud qu’elles sont très impliquées dans l’éducation de leurs enfants, dans leur alimentation et dans la préservation de leur environnement.
«Les femmes comme les hommes font du tri sélectif des déchets, pour avoir de la nourriture pour les petits animaux et protéger leur milieu», raconte un proche d’une manifestante.
La nature est donc à choyer, ce qui explique en partie la mobilisation contre les techniques de fracturation hydraulique qui peuvent polluer les nappes phréatiques.

Solidarité

«Les femmes sont les gardiennes de l’eau, elles protègent leurs enfants. C’est l’instinct de protection qui les a fait bouger contre ces projets. Leurs enfants leur ont dit qu’elles étaient en danger. Dans cette région, les mouvements de contestation sont rares, mais l’eau, c’est vital», explique Hacina Zegzeg, militante antigaz de schiste. À In Salah, les femmes participent aux prises de décision au sein de la famille comme dans les quartiers ou les villages. «Elles sont indépendantes», commente une habitante de Ouargla.

Leur rôle est aussi devenu celui d’aider l’ensemble de la communauté mobilisée contre l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels.
«Elles soutiennent les jeunes qui mènent la lutte contre le gaz de schiste. Elles cuisinent chez elles, elles nous donnent des dattes, du lait, de l’eau. Elles permettent à plus de 200 personnes de manger», décrit Taleb Belaiz, 42 ans.
Mehdi, 30 ans, les considère comme «les soldats des coulisses» : «Elles veillent sur leurs enfants et font le suivi scolaire.

Sans elles, on ne pourra jamais atteindre notre objectif.»

Lors des affrontements, elles ont approvisionné les manifestants de la place Soumoud en vinaigre pour neutraliser les effets du gaz lacrymogène.

Aïcha, vêtue d’un gilet jaune, assure la sécurité pendant les marches.

Fatiha, professeur d’anglais, trilingue, fait de la pédagogie, expliquant aux plus jeunes ou aux plus âgés ce qu’est le gaz de schiste, comment se renseigner et se faire leur propre opinion.

Malgré les incompréhensions, malgré l’indifférence, malgré le refus de certains dirigeants de les considérer comme des interlocuteurs, elles ont pris la parole dans l’intérêt collectif.

Une leçon de citoyenneté.

Leïla Beratto

12802_759606837457676_5238759563732007390_n_-_ptt.jpg

https://www.facebook.com/No.shale.gas.in.Algeria

haut de page


pdf-3.jpg

8 MARS 2015

Des mots et des maux

pour

Toutes les femmes du monde

message de « Hourriya Liberté »

pour partager

femmes_houriya_1.jpg

Nous sommes fatigués d’ attendre sans voir venir le jour
où le pain et le livre suffisent à ceux qui ont faim et froid.

En attendant ce monde ou mes rêves peuvent prendre leur
envol, je sais que Partout dans le monde, les femmes
attendent la fin de ce cauchemar qui ne finit pas.

Elles font des rêves comme moi.

femmes_houriya_2.jpg

Le 8 Mars, c’est ce combat de femmes qui continuent à écrire la VIE partout dans le monde pour qu’il n’y ait plus de femmes vampirisées qui errent dans les champs de blé sous un ciel d’AVRIL dénudé d’hirondelles lorsque plus rien n’est à sa place : les
hommes terrés pour survivre, les femmes sur les chemins pour fuir, les enfants sur les routes poussiéreuses, fuyants les faiseurs de mort qui ont détruit leurs maisons…ces guerres qui ne finissent pas et toute cette haine qui continue à vider le ventre et la tête…

8 MARS 2015

femmes_houriya_3.jpg

Femme, toi qui porte en toi l’enfant de l’HOMME pour ne pas finir
Femme, féconde et belle dans ce cri pour la vie dans l’amour, dans ces cris
dans l’amour pour la vie, ne désarme pas le jour qui attend sa venue pour
féconder l’espoir.
Oui, une poignée d’hommes ont décidé avec les décideurs de fissurer l’œuf
dans le ventre du jour.
Ils ignorent que tu es résistance et courage.

femmes_houriya_4.jpg
Tu es la terre ou la graine se pose
Tu es la source ou l’eau ruisselle
Tu es la brise qui caresse l’espoir
Femmes, fécondes et belles dans ce cri
pour la vie dans l’amour,
dans ces cris dans l’amour pour la vie.

Bonne fête à toutes
Les femmes du monde


8 MARS 2015

Femmes du monde, écoute :

Nous avons attendu toute notre vie les caresses qui guérissent nos fissures, nous
sommes fatiguées d’attendre le retour de ceux qui nous réinventent dans le
murmure de la nuit, fatiguées de porter l’enfant qui grandira et qui partira pour
jouer au soldat dans une foutue guerre qui ne portera jamais un nom et qui
effacera le nom de ton petit bonhomme !
Nous sommes fatigués de ces non-dits, ces mensonges, ces puits de pétroles qui
négocient la vie, ces banques qui volent le pain des sans-abris, ces politiciens qui
parlent pour ne rien dire de vraie et d’utile qui pourrait changer nos vies…

femmes_houriya_5.jpg


8 MARS 2015

femmes_houriya_6.jpg

Ils ont inventé des printemps pour faire l’hiver !

Parce qu’ils veulent posséder toutes les richesses du monde !
Parce qu’il ne leur suffit pas de posséder les 99% des richesses du MONDE !
Les voilà encore une fois comme mainte fois ; Ils posent leur venin pour
marcher sur les peuples
Tous les peuples du monde !
Ils veulent nous réduire à néant, ils veulent marcher sur nos corps pour
s’accaparer le peu qui nourrit nos enfants, ils convoitent déjà le 1% pour nous
affamer encore et encore !
Où VA NOTRE MONDE ?
Réduire à néant l’avenir de nos enfants : des millions d’enfants qui devaient
peupler notre monde ne viendront jamais au monde car toutes ces mamans
qui devaient les porter là où la vie commence ne sont plus que cendre sous
les bombes assassines des faiseurs de morts qui marchent sur la vie!


8 MARS 2015
Elles font des rêves comme moi.

Ce n’est pas interdit de rêver si ça peut nous rendre heureuses ; un tout petit peu …

en attendant des jours meilleurs !

femmes_houriya_7.jpg

femmes_houriya_8.jpg


8 MARS 2015

femmes_houriya_9.jpg

femmes_houriya_11.jpg

haut de page


LUCETTE HADJ ALI (née LARRIBERE) – ITINÉRAIRE D’UNE MILITANTE ALGÉRIENNE (1945 – 1962)

photo Khaled G.

photo Khaled G.

pdf-3.jpg

À la demande de nombreux visiteurs du site, et, pour rendre hommage
[[voir socialgerie: LUCETTE ET SA VIE D’ALGERIENNE COMMUNISTE]] à Lucette Hadj Ali, socialgerie met en ligne ici de larges extraits de son livre, actuellement introuvable; « ITINÉRAIRE d’une militante algérienne ( 1945 – 1962) « .

Il s’agit d’une brochure de 130 pages, publiée aux éditions du Tell en 2011, présentée uniquement comme un témoignage: …« ceci ne peut pas être et ne veut pas être un essai historique ni une autobiographie, ni des mémoires. C’est tout simplement un témoignage… »

De très nombreuses femmes militantes algériennes y sont évoquées: Alice Sportisse, députée communiste d’Oran, Lise Oculi, Abbassia Fodhil, Baya Allaouchiche ou Gaby Gimenez, Eliette Loup, Raymonde Peshard, Jacqueline Guerroudj, les femmes de dockers d’Oran, Myriam Ben, etc.

L’introduction est de Abdelkader Guerroudj, avec deux textes en annexe: « Le fourgon cellulaire » de Kateb Yacine et un texte de Henri Alleg: « L’histoire d’un journal, l’histoire d’un peuple » autour d’“Alger républicain”.

Dès que possible socialgerie mettra aussi en ligne (selon les possibilités techniques) le film d’un entretien avec Lucette Hadj Ali réalisé récemment par Khaled Gallinari.


Au nom de l’idéal

Qui nous faisait combattre

Et qui nous pousse encore

À nous battre aujourd’hui

Jean Ferrat

(Le bilan)

à Pierre et Jean

à Katell, Yann et Laure

à Jeanne


TABLE DES MATIÈRES

[

PRÉFACE

Abdelkader Guerroudj (page 7)

->#1]
[

PRÉAMBULE

(page 13)

->#2]

LA FAMILLE

ENGAGEMENTS

  • [1945 – L’UNION DES FEMMES D’ ALGÉRIE – (U.F.A.) (page 39)

    ENTRE L’UNION DES FEMMES D’ALGÉRIE ET LE PCA (page 47)->#7]

[

POSTFACE

(page 119)

->#11]

ANNEXES


Annexe 1 LE FOURGON CELLULAIRE poème de Kateb Yacine (page 125)
Annexe 2 L’HISTOIRE D’UN JOURNAL, L’HISTOIRE D’UN PEUPLE Henri Alleg (page 126)


PRÉFACE


Des amis de Lucette Hadj Ali m’ont demandé de faire la préface du témoignage qu’elle veut apporter sur sa vie et sa participation à la lutte de notre peuple pour son émancipation.

J’avoue que je suis quelque peu gêné par cette marque de confiance parce que j’ai peur de ne pas être à la hauteur de toutes les questions que soulève son témoignage, de toutes les voies de recherche qu’il suggère.

Lucette Hadj Ali est une des rares combattantes algériennes qui a eu la chance de traverser toute notre guerre de libération sans avoir jamais été arrêtée. Et pourtant ! Je dis bien combattante et je sais de quoi je parle puisque Lucette a fait partie comme moi, et aussi comme son oncle le docteur Camille Larribère, du premier noyau des « Combattants de la libération » (CDL) crée par le Parti Communiste Algérien (PCA) au milieu de l’année 1955 et intégrés au FLN en juillet 1956. En effet, je sais qu’il existe quelques personnes – certaines sont encore en vie – qui ont eu cette chance, durant les sept années de souffrances de notre peuple, de ne pas être inquiétées alors qu’elles ont participé à des actions lourdes qui auraient pu les amener à la torture, à la prison, peut-être même à la mort ou à la disparition par exécution sommaire. A cet égard , et avec la permission de Lucette, je me permettrai de citer un seul cas, particulièrement remarquable : il s’agit de Abdelkader Ben M’barek, aujourd’hui disparu, combattant du FLN dans un des groupes que je commandais ; c’est lui qui, sur mon ordre, a exécuté fin 1956, Gérard Etienne, un des responsables de la « Main Rouge » (organisation terroriste qui a précédé l’OAS), patron d’un cinéma et d’un bar à El Biar. C’est encore Abdelkader Ben M’barek qui a tiré sur le général Massu dans le quartier du Frais Vallon. Son arme s’était enrayée, mais il avait réussi à s’enfuir.

Tout cela pour faire deux remarques : la première c’est qu’il ne suffit pas d’avoir été arrêté ou condamné pour être considéré comme un moudjahed ou même un héros. Ma deuxième remarque c’est que la lutte de notre peuple, comme le suggère à plusieurs reprises Lucette, n’a pas commencé en 1954, que l’indépendance de notre pays a été chèrement acquise et surtout qu’elle a été l’œuvre de tous ses enfants. Et ces enfants qui étaient dans leur immense majorité d’origine musulmane, ont eu souvent pour compagnons, dans les prisons, les lieux de torture ou même au maquis, d’autres Algériens, chrétiens, juifs ou non croyants. Car si, pour la majorité des Algériens musulmans, la participation au combat libérateur était une chose toute naturelle, il faut admettre que pour les Algériens d’origine européenne ou assimilée, les choix n’étaient pas aussi simples ni faciles. C’est pourquoi je dirai à leur propos que leur engagement était d’autant plus méritoire qu’ils étaient minoritaires. Certains personnages sont connus pour leur engagement et leur soutien constant, à la cause algérienne comme le cardinal Duval. D’autres sont des martyrs comme Audin, Maillot, Laban, Iveton et combien d’autres moins connus mais qui mériteraient d’être honorés.

Ce qui frappe aussi dans le témoignage de Lucette Hadj Ali, c’est à la fois le courage, la franchise, la sincérité, la simplicité avec lesquels elle parle, pae exemple, dès les premières lignes de sa prise de conscience tardive du fait colonial, ensuite des erreurs du Parti Communiste Algérien, ou même de choses plus intimes comme la soumission de sa mère ou la sévérité de son père, le docteur Jean-Marie Larribère, pionnier de l’accouchement sans douleur à Oran, nationaliste impénitent et engagé de la première heure, de même que son frère le docteur Camille Larribère, installé à Sig.

Oui, il est long, difficile, dangereux, inhumain le chemin qui mène les hommes et les femmes, les peuples vers le progrès. Nous revivons avec Lucette l’activité militante, l’activité politique, l’activité clandestine, avec ses moments d’angoisse qui se terminent heureusement dans l’allégresse de l’indépendance en juillet 1962.

Lucette Hajj Ali a raison d’insister sur l’action militante des femmes d’Algérie comme Alice Sportisse, députée communiste d’Oran, Lise Oculi, Abbassia Fodhil, Baya Allaouchiche ou Gaby Gimenez et tant d’autres, avant, pendant ou après la Révolution, en particulier dans le combat toujours actuel des femmes pour l’égalité.

Merci Lucette d’avoir parlé d’Henri Alleg, combattant pour l’indépendance de son pays, combien de fois arrêté et torturé, de Jacques Salort, infatigable administrateur d’ « Alger républicain », membre de la direction des CDL, arrêté, torturé avant, pendant et même après la guerre de libération, de Nicolas Zanetacci, maire communiste d’Oran, de René Justrabo, maire communiste de Sidi Bel Abbès, (lieu de garnison de la Légion étrangère) dont les Belabbésiens gardent encore aujourd’hui le souvenir en raison de ce qu’il a fait pour leur ville. Il ya aussi Sadek Hadjerès, dirigeant du PCA jamais arrêté et qui depuis l’exil continue son action militante.

C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai retrouvé les noms de mes amis Abassia et Mustapha Fodil, assassinés dans une clinique d’Oran par un commando de l’OAS et le nom d’Abdelkader Choukhal, jeune journaliste à « Alger républicain », qui après plusieurs actions à Alger, « brûlé » comme on dit, avait rejoint l’ALN avec mon autorisation et est mort au combat en 1957. Et pourquoi ne pas rendre hommage à des hommes comme Pierre Mathieu ou à l’abbé Moreau qui sont quasiment inconnus.

Je ne terminerai pas sans dire quelques mots sur Bachir Hadj Ali dont Lucette parle peu, mais dont on sent la présence à chaque page. Je n’ai pas beaucoup travaillé avec Bachir hadj Ali, mais en tant que militant du PCA depuis 1951 ( promotion Staline), j’estime avoir le droit et le devoir de dire qu’à la veille de novembre 1954, Bachir hadj Ali était, avec Larbi Bouhali et Paul Caballero, l’un des plus estimés parmi les dirigeants du PCA. Il était un humaniste, un poète, un mélomane, ce qui ne l’empêchait d’être un révolutionnaire, au contraire, , parce que cela rendait son engagement plus riche. Contrairement à certains dirigeants politiques prétendument révolutionnaires mais qui n’étaient en fait que des marchands de politique ou de religion, Bachir Hadj Ali était un porteur d’idéal. Il a pu échapper à la prison pendant toute notre guerre de libération mais il l’a connue, de même que les pires tortures, après l’indépendance parce qu’il avait refusé d’accepter le pronunciamiento de juin 1965 dont l’Algérie finira bien un jour de digérer les séquelles.

Il incombe aux générations futures, à notre jeunesse de réaliser ce dont nous avons rêvé mais que nous n’avons pas pu, su accomplir.

Abdelkader Guerroudj

ancien condamné à mort FLN

de la guerre d’Algérie

Table des Matières


PRÉAMBULE


Je suis née à Oran en 1920. J’y ai passé toute mon enfance et une partie de ma jeunesse. Par la suite, durant trois ans j’ai suivi les cours de l’Université d’Alger. Et pourtant, je n’ai jusqu’alors pas pris conscience du fait colonial en Algérie.

Pourquoi ?

Cet aveuglement a certes en partie été conditionné par l’environnement social qui était le mien à Oran dans ma jeunesse.

En 1940, la population oranaise était en majorité européenne : contrairement à ce qui se passait à Alger, les dockers oranais étaient européens dans la majorité. Dans le centre-ville, on ne rencontrait que très peu d’Algériens, à l’exception d’un certain nombre de commerçants dans les marchés : le marché Michelet (qui porte toujours ce nom) et celui de la rue de la Bastille, dans lesquels je ne me rendais jamais.

À l’école primaire, les petites algériennes étaient totalement absentes. Au lycée de jeunes filles, qui allait alors de la 6e à la Terminale [[À noter qu’il fut gratuit à partir de 1931, quand j’y entrais en 6e, en même temps qu’un certain nombre de filles issues des milieux populaires oranais – européens bien entendu.]], une seule algérienne suivait les coours, deux niveaux au-dessous du mien. J’ai cela en mémoire de façon très floue et je n’ai aucun souvenir précis d’elle. Dans la clinique de mon père, qui était gynécologue, et à la maison, le personnel était entièrement européen.

Je n’avais donc aucun contact avec la population algérienne. Il faut dire que les différentes catégories de la population oranaise se cloîtraient dans leurs quartiers respectifs : les Algériens dans le quartier de Lamur, dans celui de la Medina j’dida, le quartier «nègre», cet horrible nom dont le gratifiaient les «pieds noirs»[[C’est un terme dont j’ai horreur et que je n’utilise que pour désigner les Européens racistes genre « Algérie française ».]], ou à la périphérie de la ville où les bidonvilles se multipliaient rapidement ; les Juifs dans le quartier avoisinant la place d’Armes (aujourd’hui place Emir Abdelkader) et le théâtre d’Oran (aujourd’hui Abdelkader Alloula) ; les Européens dorigine diverse à Choupot, St-Eugène, Eckmühl … ; les plus défavorisés, en majorité d’origine espagnole, dans le «Calère», en contrebas de la route qui mène à la colline de Santa-Cruz ; et la bourgeoisie européenne, d’origine surtout française, dans le centre-ville où nous vivions et où se situait la clinique de mon père. Tout ce monde diversifié ne se rencontrait que sur les lieux de travail, dans une hiérarchie bien établie, en dehors desquels les gens ne se fréquentaient plus.

Certes, mon père, en même temps qu’il nous initiait, mes sœurs et moi, aux rudiments du marxisme et du matérialisme historique, nous mettait en garde contre les méfaits du racisme, et en particulier de l’anti-sémitisme.

Il faut se souvenir qu’à l’époque, l’anti-sémitisme était largement répandu dans la population européenne. Après la défaite de la France en 1940, avec les lois anti-juives édictées par le régime de Vichy, qui avait annulé de décret Crémieux[[Décret qui, en 1870, donna aux Juifs d’Algérie, jusque là considérés comme « indigènes », la nationalité française.]], la situation de la population juive s’aggravera encore. Je me souviens d’avoir lu, au cours d’un voyage à Sidi-Bel-Abbès, sur la terrasse d’un café, une pancarte mentionnant «Interdit aux Juifs»[[On sait qu’à cette époque certaines plages étaient également «interdites aux arabes». Mais je n’ai jamais vu de telles pancartes sur les plages algéroises et oranaises où je me baignais, mais où les algériens étaient absents.]], ce qui provoqua la colère de mon père. S’ils ne furent pas déportés en masse, comme en France, vers les camps de la mort, les Juifs furent empêchés d’exercer certains métiers, dans l’enseignement en particulier, et des numerus clausus furent institués qui réduisirent leur nombre dans les écoles, les lycées et à l’Université d’Alger, où mon amie juive dut abandonner ses études à on grand désespoir.

Je m’installai définitivement à Alger en octobre 1942 et là, mes yeux commencèrent à s’ouvrir. Contrairement à ce qui s’était passé à Oran, les Algériens n’étaient pas invisibles. Je les rencontrais quotidiennement en plein centre-ville. Avec mes amis nous allions parfois déjeuner dans les gargotes de la Basse-Casbah. Les soirs de ramadhan, avec mon ami robert Manaranche, qui devint mon premier époux et qui était bien plus conscient que moi de l’Algérie réelle, j’allais boire du thé et manger des gâteaux en écoutant de la musique algérienne que je découvrais.

Je me trouvais ainsi projetée dans une vie tout à fait nouvelle. Et je découvrais la situation misérable des Algériens, situation que j’avais ignorée à Oran (ou que je n’avais pas voulu voir ?…) Le spectacle de ces enfants couchés la nuit à même le sol sus les arcades de la rue Bab-Azzoun me serrait le cœur. J’observais avec la même émotion les petits cireurs de chaussures qui, à longueur de journée, faisaient claquer leurs brosses sur leurs boîtes, à la recherche de clients, ou ces gosses qui, au marché, portaient pour quelques sous les lourds paniers des ménagères européennes.

Aux Auberges de la Jeunesse auxquelles j’avais rapidement adhéré, mes copains avaient des contacts avec des membres du PPA. Ils m’en parlaient et je crois en avoir rencontré une fois. Je comprenais qu’ils s’insurgeaient contre cet état des choses, mais sans jamais analyser cette situation en profondeur.

Il faut dire à ma décharge que j’avais alors quelques préoccupations : nous étions en pleine guerre. Le débarquement anglo-américain sur les côtes algéroises s’était déroulé le 8 novembre 1942, ce qui provoqua quelques bombardements de l’aviation italienne sur Alger. Le décès de ma future belle-mère (la mère de Robert Manaranche) survint à ce moment-là.
J’avais en outre quelques soucis à propos de mon mariage, qui se fit contre la volonté de mon père. Je tombai ensuite gravement malade, ce qui m’obligea à repartir chez mes parents, en décembre 1944, Robert, mobilisé, ayant été envoyé au Maroc.

Le 8 mai 1945, je me trouvais donc à Oran. C’est par une amie, venue me rendre visite, que j’appris les manifestations qui se dérouléiant en ville, sans en comprendre le sens réel, étant braquée totalement sur l’évènement du jour : la fin de la guerre.

Une fois de plus je me trouvai ainsi en marge de la réalité.

Table des Matières


LA FAMILLE

MES GRANDS-PARENTS

MES PARENTS


Ma famille est originaire des Pyrénées françaises

Pyrénées orientales pour ma mère

Pyrénées centrales pour mon père


I

MES GRANDS-PARENTS

Mes grands-parents maternels vivaient donc dans le périmètre centré sur Perpignan. J’ai peu d’informations sur eux. Je sais seulement que mon arrière-grand-père Treil possédait un pressoir avec lequel il se rendait de vignoble en vignoble, au moment des vendanges, pour effectuer, je suppose, la première mouture du raisin.

À la fin du XIXe siècle, toute cette région du Sud-Ouest de la France était le théâtre de violents affrontements entre républicains partisans de la laïcité et de séparation de l’église et de l’état, et les défenseurs de la prééminence de l’Eglise catholique. Dans les souvenirs de ma grand-mère, ces affrontements opposaient souvent instituteurs et prêtres.

Selon ma grand-mère, son père était profondément laïque, opposé à toute main mise de l’Église sur la société. «Il ne pouvait proclamer publiquement ses convictions en raison du fait qu’elles auraient pu l’empêcher de travailler» nous disait ma grand-mère. «C’est pourquoi j’ai été baptisée et j’ai fait ma Première communion. Mais ce jour-là avent de me rendre à l’église, mon père m’a obligée à boire un café au lait, alors que je devais rester à jeun. Et après la cérémonie, en repartant, il m’a demandé de me retourner et, montrant du doigt le portail de l’église», il a affirmé avec force: «Tu as franchi cette porte pour la dernière fois». Ce qui s’est avéré exact…

Après avoir suivi les cours de l’École normale, ma grand-mère a sollicité et obtenu un poste d’institutrice en Algérie, les traitements des fonctionnaires français travaillant « dans les colonies » étant alors de 33% plus élevés que ceux payés en France.

À 19 ans donc, elle a débarqué à Oran, avec son père et sa mère qu’elle avait pris en charge. C’est à Oran qu’elle a épousé mon grand-père, Henri Verdier, lui-même instituteur. Tous deux ont exercé leur métier dans de petits villages d’Oranie, où naîtront leurs quatre enfants. Je n’ai pas connu mon grand-père car il est mort jeune. Ma grand-mère s’est donc retrouvée seule et sa vie a été particulièrement difficile. Elle était heureusement dotée d’une très forte personnalité et d’une énergie ç toute épreuve, qui lui ont permis d’élever avec bonheur ses quatre enfants, dont trois garçons et ma mère.

J’adorais ma grand-mère, j’ai toujours senti d’ailleurs que j’étais sa petite-fille préférée, sans doute parce que j’étais l’aînée. À ma naissance mon père avait choisi mon prénom, «Lucie», qui déplût fortement à ma grand-mère qui décida de m’appeler «Lucette» et «Lucette» demeura.

Promue directrice d’école à Inkermann (Oued Rhiou aujourd’hui), un riche village colonial à l’Ouest de Chlef, elle préparait ses élèves au certificat d’études. L’examen une fois passé, elle se hâtait d’aller discuter avec les pères de ses petites élèves algériennes (trois ou quatre à peine) pour tenter de les convaincre d’autoriser leurs filles à poursuivre leurs études. Sans succès bien évidemment. Je me souviens en particulier de l’une d’entre elles qui, désormais claquemurée à la maison et mariée très jeune, avait sans doute entretenu une correspondance suivie avec ma grand-mère puisque chaque fois qu’elle se rendait à Oran, elle venait lui rendre visite.

À mon grand regret, je n’ai pu revoir ma grand-mère avant sa mort, en 1961 à Paris, où mon père l’avait installée avec ma mère en raison de graves menaces que l’OAS faisait peser sur notre famille.

Mes grands-parents paternels, Pierre et Marie, étaient tous deux originaires du village de Ferrières dans les Pyrénées centrales. Ils appartenaient à des familles qui se considéraient comme ennemies. Pour pouvoir épouser ma grand-mère, mon grand-père l’avait tout simplement enlevée…

Illettré, berger et charbonnier de son état au départ, mon grand-père avait, par la suite, appris à lire et à écrire et passé le Brevet, ce qui lui avait permis de devenir instituteur et, pour les mêmes raisons que celles de ma grand-mère maternelle, d’obtenir un poste en Algérie, à Bel-Abbès, où il a débarqué aux environs de 1898, avec toute sa famille, dont mon père qui avait alors cinq ans.

Je n’ai pas connu ma grand-mère paternelle. Je sais seulement qu’elle était très douce et assez effacée. J’ai souvent imaginé que sa vie n’avait pas dû être facile, face à un homme comme mon grand-père.

À Bel-Abbès, puis à Oran, celui-ci s’est lancé dans la bataille syndicale et politique. Il fut l’un des fondateurs du Parti Communiste Algérien en Oranie. Cette activité lui valut les foudres des autorités académiques qui lui imposèrent une retraite anticipée.

Je me souviens qu’en 1936, alors que se déroulaient en France les événements qui devaient déboucher sur le gouvernement de Front Populaire, en me rendant au lycée (j’avais alors 16 ans), j’aperçus une manifestation qui empruntait la rue d’Arzew (aujourd’hui rue Ben M’Hidi). Et soudain je vis mon grand-père hissé sur les épaules de deux jeunes gens, sous les ovations de la foule. N’en croyant pas mes yeux, je me hâtai d’enfiler une rue perpendiculaire, voulant échapper à son regard scrutateur.

Quand il fut plus âgé et incapable d’assumer son autonomie, il vint demeurer chez nous. Atteint de déficience mentale, il prenait ma mère pour sa femme, Marie, disparue bien des années auparavant. Mais il reconnaissait toujours Lénine dans le buste qui trônait au-dessus de sa bibliothèque.

Table des Matières


II

MES PARENTS

Mes parents se sont unis en 1918. Ils étaient tous deux instituteurs, enseignant dans le village de Guyard (aujourd’hui Ain Touta). Après la naissance de la seconde de ses filles, mon père décida de changer de métier et entreprit des études de médecine à Alger, aidé en cela par ma grand-mère maternelle qui fournit au jeune ménage un apport financier indispensable.

Ma mère tenta alors de se rapprocher d’Alger. Elle fut ainsi mutée d’abord à Inkermann (Oued Rhiou aujourd’hui), où ma grand-mère dirigeait l’école des filles. C’est là que j’ai effectué ma première année scolaire dans la classe de ma mère. À noter que contrairement à ce qui se passera plus tard à Oran, j’étais alors en contact dans cette école avec quelques écolières algériennes qui furent mes camarades de classe. Ma mère fut ensuite nommée à El Attaf, puis à Oued el-Alleug, un village de la Mitidja ; elle obtint enfin un poste à Alger. Mais mon père effectuait alors sa dernière année de spécialisation en gynécologie à la faculté de médecine d’Alger et toute la famille repartit alors pour Oran, en 1928.

Après avoir ouvert une petite clinique de trois chambres, rue Ben M’Hidi (anciennement rue d’Arzew)[[ Il y a quelques temps j’ai eu la chance de visiter l’appartement que nous habitions alors au premier étage. J’ai reconnu les carrelages inchangés, mais non la cour centrale, autrefois carrelée en verre et opuverte sur le ciel, mais aujourd’hui sombre sous un étage rajouté et bien dégradée.]], mon père acquit un établissement plus important, 8 square du Souvenir sur le Front de mer, à l’angle de la rue Michelet, qui porte aujourd’hui son nom.

Mon père était doté d’une personnalité remarquable qui faisait sans doute exception dans la bourgeoisie européenne de l’époque. Et il a inculqué à ses cinq filles les valeurs qui ous ont permis d’avancer dans la vie : l’honnêteté, la rigueur, l’amour du travail et du travail bien fait, le sens de la justice sociale. Il nous répétait sans cesse la même mise en garde: «Ne comptez pas sur nous dans votre vie d’adulte. Vous ne devrez compter que sur vous-mêmes. Vous devez donc travailler et acquérir un métier». Il ne dormait que quatre heures par nuit, jugeant qu’un surplus de sommeil était du temps perdu.

Il partageait son temps entre l’hôpital dont il dirigeait la maternité et sa clinique privée dans laquelle, outre les consultations qu’il assurait tous les après-midi, il accouchait et opérait ses clientes. Il donnait également des cours à l’École d’infirmières. Très souvent, il était contraint de se rendre la nuit à l’hôpital quand ses assistants n’arrivaient pas à solutionner des cas difficiles. Malgré des journées aussi chargées, il trouvait le temps, à la nuit ou au petit matin, de se plonger dans des revues médicales auxquelles il était abonné.

En dépit de sa surcharge de travail, il tenait à garder un constant contact avec nous : nous prenions nos repas ensemble le plus souvent. Le dimanche après-midi, il nous emmenait souvent à la campagne, dans un champ où il nous enseignait les rudiments de football… Il nous faisait venir dans sa bibliothèque pour écouter de la musique classique européenne. Mais je concevais cela comme une contrainte et je n’y prenais aucun plaisir.

Parfois le dimanche matin, il nous emmenait à l’hôpital. J’ai toujours en mémoire le spectacle de jeunes enfants jouant dans une cour isolée. C’étaient des enfants nés sous x et dont l’hôpital s’occupait pendant quelques années avant qu’ils ne soient transférés dans les structures spécialisées existantes. Il les faisait alors monter à tour de rôle dans sa voiture pour les promener dans l’hôpital. Et il achetait et installait dans cette cour des jeux divers, balançoires, toboggans, etc. j’ai compris bien plus tard combien mon père avait été sensible à la situation désastreuse de ces enfants. Il nous les montrait intentionnellement pour nous faire comprendre que nombre d’enfants étaient loin de mener la vie privilégiée qui était la nôtre.

Quand «l’accouchement sans douleur» fut appliqué, en 1950-1951, à la clinique des Bleuets à Paris par le professeur Lamaze, qui en avait appris l’existence en URSS, mon père, qui avait été le témoin, durant plus de 30 ans, des terribles souffrances qu’enduraient ses clientes en mettant leurs enfants au monde, demeura incrédule. Alors que j’accouchais de mon second fils Jean, en 1952, il ironisait: Mais non, me disait-il, tu crois souffrir mais tu ne souffres pas…» Cependant, peu après, il fit un séjour à Paris et revint enthousiaste. Il fut le premier à l’appliquer en Algérie, dans sa clinique et à l’hôpital.

Sur le plan politique, ses positions étaient ambigües à l’époque. D’une part, il désirait être accepté par la bourgeoisie européenne oranaise. À ce titre, il avait contraint ma mère à suivre des cours de cuisine, donnés à l’EGA (la Sonelgaz de l’époque) par un chef réputé, pour la confection de menus exceptionnels. Et je me souviens d’un accrochage survenu sous mes yeux entre mon père et l’un de ses frères, qui était venu chercher mon grand-père pour l’emmener à un meeting du Parti Communiste Algérien (PCA). Mon père s’y est opposé avec force. Était-ce en raison de l’état de santé de mon grand-père ou craignait-il les répercussions que la présence de son père à cette manifestation communiste pourrait avoir sur sa propre notoriété ?

Cependant il aidait matériellement les républicains espagnols communistes qui avaient fui la dictature franquiste et s’étaient réfugiés à Oran. Plus tard, après la guerre, rejoignant les orientations politiques de son père et de ses frères, il a adhéré au Parti Communiste Algérien (PCA). Après avoir été élu dans la municipalité «France Combattante» en 1945, il a milité à la base du Parti, participant chaque semaine à la diffusion de «Liberté», l’hebdomadaire du PCA. En avril 1955, il a été candidat du Parti à Oran lors des élections cantonales.

En 1957, il vint chez moi, attendant l’accord du FLN pour rejoindre l’ALN en tant que médecin. Des parachutistes ayant installé une «souricière» dans notre logement, il fut arrêté et contraint de reprendre un train à destination d’Oran avec menace de mort s’il revenait.

Tel était mon père, dont bien des aspects m’étaient inconnus à l’époque. Pour l’heure je ne le connaissais que sous ses aspects autoritaires. Autoritaire, il l’était avec ma mère et nous, mais aussi avec le personnel travaillant à la clinique ou à l’hôpital et même avec ses clientes dont il préférait se séparer si elles ne suivaient pas ses instructions à la lettre.

Avoir eu cinq filles et pas un seul garçon aura été pour lui une très grande frustration. Sans doute pétri de préjugés anti-féminins, il nous a élevées, mes sœurs et moi, de manière très conservatrice. Etant l’aînée c’est moi qui ai subi ses méthodes les plus rigoristes. À 16 ans, je ne pouvais pas aller au cinéma seule avec mes camarades. Quand je m’absentais l’après-midi je devais préciser où je me rendais et je devais rentrer de bonne heure.

J’avais une grande amie, Mireille, qui avait été jugée trop libre ; ma mère, pressée par mon père, me demanda d’espacer nos rencontres, ce que je refusais avec force. Plus tard, un de mes amis étudiant à Alger m’écrivit pendant les vacances ; mon père qui avait intercepté sa lettre, m’a alors convoquée solennellement dans sa bibliothèque où il m’a fait des reproches très vifs et m’a demandé de cesser toute relation avec les étudiants de sexe masculin.

Comme je m’y refusai, il m’annonça que je ne retournerai pas à la faculté. Au bout de quelques jours, sans doute dépêchée par mon père qui voulait absolument que je poursuive mes études, ma mère me conseilla d’accepter, ajoutant à ma grande surprise: «À Alger, tu feras ce que tu voudras».

Mon père prenait parfois des décisions intempestives : il nous interdisait de lire des romans policiers. Quand mes amies m’en prêtaient, je me revois, assise sur un fauteuil du salon, un livre interdit à la main. Quand j’entendais l’ascenseur, qui était très bruyant, je cachais le bouquin sous un coussin et en ouvrait un autre, autorisé.

Mes sœurs et moi étions aussi soumises à des règles établies par lui, des règles que nous ne devions pas transgresser et que nous ne pouvions même pas discuter.

Je ne me sentais libre qu’en son absence. Ainsi, quand il partait en voyage, c’était pour moi la joie à la maison. Le soir, nous nous installions dans la cuisine où ma mère nous confectionnait des casse-croûtes divers que nous dégustions avec un plaisir infini.

Il n’en demeure pas moins qu’il a marqué indubitablement l’histoire d’Oran, jusqu’à sa mort en 1965. J’ai pu constater souvent combien le souvenir de mon père était resté vivace dans la population oranaise: chez les médecins bien sûr, mais aussi dans le peuple. M’étant rendue récemment dans une mairie de quartier pour la confection de papiers administratifs, j’ai été interpellée par une jeune secrétaire qui m’a demandé quelle relation j’avais entretenue avec le docteur Larribère et quand je lui ai répondu que j’étais sa fille, tout émue, elle m’a sauté au cou.

Ma mère n’a certainement pas eu la vie dont elle avait rêvé. Quand elle a épousé mon père, elle était institutrice et elle adorait son métier. Mais quand mon père installa sa clinique, il lui fit prendre une retraite anticipée pour qu’elle puisse assurer la gestion de l’entreprise. C’est elle donc qui, chaque matin, faisait le marché, contrôlait la confection des menus destinés aux accouchées et comptabilisait les dépenses.

Quand nous rentrions de l’école, elle surveillait la confection de nos devoirs et nous faisait réciter nos leçons. Plus tard au lycée, elle nous a appris à organiser soigneusement notre travail.

Ses journées étaient bien remplies. À ses moments de loisirs, elle se mettait un peu au piano et le soir, lisait souvent et aimait écouter de la musique à la radio jusque tard dans la nuit.

Elle était totalement soumise à mon père. Au moment de mon premier mariage, avec Robert Manaranche, mariage que mon père avait désapprouvé totalement, il lui a interdit de venir m’assister à Alger. Et elle a obéi passivement, ce qui m’a profondément chagrinée. Je ne l’ai jamais entendu protester, élever la voix. Mon père, par contre, s’en prenait fortement à elle, lui faisant de vifs reproches en toutes occasions. Et je m’indignais quand je surprenais ma mère essuyant ses larmes. À ce moment-là, je n’aspirais qu’à une chose : voir mes parents se séparer, divorcer…

C’est à cette époque-là, durant mon adolescence, que je pris la résolution de ne jamais me soumettre à l’autorité d’un homme, de ne concevoir une union future qu’avec un compagnon dont je serai l’égale. Je n’ai certes pas compris alors que le couple déséquilibré formé pas mes parents était le lot commun de la majorité des couples en Europe et chez les Européens d’Algérie. Et j’ignorais bien entendu le sort des femmes dans la société algérienne.

C’est à ce moment-là cependant que s’implanta en moi, de façon très vague, sans aucune précision bien sûr, l’idée qu’il me fallait participer au combat pour l’égalité des droits des femmes. Je m’intéressais alors passionnément aux actions menées par les féministes en France (les suffragettes, comme on les appelait alors) pour l’obtention du droit de vote, l’une de mes camarades de classe au lycée étant la petite-fille de l’une d’entre elles.

Table des Matières


ENGAGEMENTS


1943

LE JOURNAL « LIBERTÉ »


J’ avais commencé mes études universitaires, en histoire-géographie à Paris en 1938-1939, mais la Seconde Guerre mondiale ayant alors débuté, je les ai poursuivies pendant trois ans à Alger où se trouvait la seule université du pays.

En octobre 1942, après avoir achevé une licence, je dus interrompre mes études, l’université et les lycées ayant été fermés en raison des bombardements de l’aviation italienne après le débarquement anglo-américain à Alger. Après avoir travaillé quelques semaines dans l’un des lycées privés qui s’étaient ouverts, je fus engagée, en tant que rédactrice, dans l’agence France-Presse dont l’importance s’était considérablement accrue du fait qu’Alger était devenue la capitale de la «France Libre». C’est là que je rencontrai, pour la première fois, Henri Alleg qui y travaillait comme traducteur. Dans son livre autobiographique, «Mémoire Algérienne», il raconte (mais je ne m’en souviens pas) qu’il m’a invitée à une réunion de cellule élargie, ainsi que mon amie Gilberte qui deviendra sa femme, dans l’espoir sans doute que j’adhérerai au Parti. Mais je n’étais pas encore prête à m’engager.

En septembre 1943, je fus contactée par la direction de « Liberté », l’hebdomadaire du Parti Communiste Algérien, laquelle, connaissant les orientations politiques (communistes) de ma famille et en particulier celles de mon grand-père et de mon oncle, Camille Larribère, me demanda de venir travailler au journal, ce que je fis.

C’est dans ce journal que j’ai appris le B.A.-BA du métier de journaliste, sous la direction d’une journaliste d’exception, Henriette Neveu. Tout en perfectionnant ma formation, elle n’avait de cesse de me harceler pour que j’adhère au Parti.

Mais je m’y refusais, observant combien cette adhésion impliquerait de surcharge de travail. Paradoxalement, elle disparut de la scène politique dans des circonstances confuses, alors que j’avais quitté le journal.

C’est là que je rencontrai aussi David Cohen, dont l’humour toujours percutant allégeait des journées souvent lourdes. Plus tard, il reprit ses études à Paris et il devint un spécialiste renommé des langues sémitiques.

À l’époque, «Liberté» jouissait d’une très grande popularité aussi bien dans la population européenne que dans la population algérienne. Tout en appelant à l’effort de guerre et à l’épuration des partisans de Pétain dans l’administration, il dénonçait avec force telle ou telle exaction ou gabegie de l’administration coloniale, ainsi que la corruption généralisée qui provoquait de graves pénuries alimentaires. Nous recevions chaque jour quantité de lettres signalant ces abus et, à la rédaction, nous étions chargés d’en vérifier l’exactitude, ce qui n’était pas chose facile.

Ainsi un jour je dus aller contrôler le goût de l’huile d’arachide qui nous avait été signalée comme rance. Celle-ci était stockée dans un immense réservoir installé sur le port. Se moquant ouvertement de moi, l’un des responsables (français) me fit gravir l’échelle de fer jusqu’au sommet du réservoir où je pus constater que l’huile était bonne.

«Liberté» effectua, entre autres, des reportages poignants sur la terrible famine qui sévissait dans le pays, en particulier dans le Constantinois, en soulignant la situation épouvantable des paysans qui subissaient en outre une répression forcenée.

En s’élevant régulièrement contre l’exploitation, la misère généralisée que vivaient les Algériens, le journal se plaçait résolument en dénonciateur du système colonial lui-même.

J’ai déjà dit qu’à mon arrivée à Alger en 1942, j’avais commencé à prendre conscience de cette terrible réalité. Mais c’est en travaillant à «Liberté», en touchant du doigt chaque jour le sort désastreux de la population algérienne, en constatant les privilèges exorbitants dont jouissait la population européenne, en discutant régulièrement avec mes camarades du journal que cette prise de conscience devint décisive. Elle se confortera encore davantage dans les années suivantes, quand je militerai à l’Union des femmes d’Algérie et au Parti Communiste Algérien.

En décembre 1944, malade, je repartis à Oran et je ne revins à Alger qu’en juillet 1945.

Table des Matières


1945

L’UNION DES FEMMES

D’ALGERIE

(U.F.A.)


Après la victoire des Alliés sur le fascisme allemand et italien, un puissant mouvement a soulevé les forces progressistes en France et dans la population européenne d’Algérie.

Arrivée depuis quelques jours à Alger, j’assistai avec enthousiasme, le 14 juillet 1945, à l’énorme manifestation rassemblant des dizaines de milliers d’hommes et de femmes, en majorité européens, démocrates, progressistes, communistes, syndicalistes, qui déferla le long du boulevard Laferrière (aujourd’hui boulevard Khemisti).

Mais qu’en étaient-ils des Algériens ?

Par ordonnance du 7 mars 1943, leur situation s’était légèrement améliorée : dans un deuxième collège, dont les femmes étaient exclues, les élus algériens constituèrent désormais les deux cinquièmes des élus locaux au lieu du tiers; le Code de l’Indigénat et les mesures d’exception furent abrogés.

Par ailleurs, dans les syndicats redevenus légaux, de nombreux travailleurs algériens, y compris les ouvriers agricoles, s’organisèrent. Dès lors, il devint moins facile aux employeurs et en particulier aux colons de perpétuer leur comportement répressif vis-à-vis d’eux.

Je me souviens : dans le compartiment du train où je m’étais installée, lors de mon voyage à Oran fin décembre 1944, se trouvaient deux hommes que je reconnus rapidement pour être des colons en raison des propos qu’ils tenaient ouvertement en ma présence, estimant sans doute que je les approuvais: «Nous ne pourrons plus, disaient-ils en substance, châtier nos ouvriers comme nous le faisions auparavant».

J’ai oublié leurs termes exacts, mais dans mon souvenir, il s’agissait bien de châtiments corporels. Et ils ajoutaient qu’ils allaient se rendre au Maroc car, là-bas, ils pourraient agir comme bon leur semblerait. Outrée, révoltée, je m’emparais de ma valise et quittai le compartiment.


I


Dès mon retour à Alger, je fus contactée, je ne sais plus par qui, pour assurer la confection de « femmes d’Algérie », le mensuel de l’organisation féminine, l’Union des Femmes d’Algérie (UFA)[[L’Union des Femmes d’Algérie et non pas l’Union des femmes algériennes. Son nom était donc tout à fait inapproprié, mais je n’en étais pas consciente alors.]]

C’est ainsi que je me trouvai propulsée à l’Union des femmes d’Algérie : heureuse car se trouvaient réalisés les rêves de mon adolescence et en même temps angoissée par les responsabilités auxquelles j’allais devoir faire face, alors que j’étais jeune et que, coupée depuis sept mois, par ma maladie, de mon milieu algérois et de mes camarades journalistes à «Liberté», j’avais l’impression que je me lançais dans l’inconnu.

L’absence de Robert Manaranche, mon premier époux, ajoutait encore à mon angoisse.

Une amie m’a transmis récemment trois exemplaires des premiers numéros de «Femmes d’Algérie». J’ai donc pu relire avec joie quelques uns des articles que nous y avions publiés : sur la vie misérable des Algériens dans les bidonvilles; sur l’exploitation des petites filles (de 10 ans) dans les ateliers de fabrication de tapis à Tlemcen; sur la dénonciation du fait que les Algériens ne pouvaient participer pleinement aux élections de l’époque, etc. Nous dénoncions ainsi certains des méfaits du système colonial, mais sans en approfondir les raisons profondes. Il est vrai que ces numéros dataient de 1945 et qu’alors je n’avais pas encore totalement conscience du fait colonial. Je n’ai pas réussi à récupérer certains des numéros parus dans les années suivantes et je n’ai pu constater ainsi si le «ton» du journal s’était véritablement modifié.

Cependant quand je pénétrai pour la première fois dans les locaux de l’UFA, rue jacques Cartier (occupés ces dernières années par l’École de journalisme), je fus accueillie tout à fait amicalement par ses deux dirigeantes, Alice Sportisse qui en était la Secrétaire générale et Lise Oculi, son adjointe, qui me rassurèrent et m’encouragèrent.

Alice Sportisse était une très belle femme, mais son visage était marquée par la maladie qui l’avait frappée dans sa jeunesse (la tuberculose je crois) et par la vie rude qui avait été la sienne alors qu’elle avait été, durant la Guerre d’Espagne, l’une des assistantes de Dolorès Ibarruri, la Pasionaria[[Dolorès Ibarruri, la Pasionaria, membre du Bureau du Parti communiste espagnol, députée aux Cortès, fut durant la Guerre d’Espagne une combattante redoutable, galvanisant les foules par ses discours passionnés. Ses mots d’ordre « No pasaran » – (« ils ne passeront pas ») sont restés célèbres. Après la chute de la République espagnole, elle se réfugia à Moscou jusqu’à la fin de la dictature franquiste et revint à Madrid où elle mourut en 1989. ]], Ayant été élue députée d’Oran, elle s’était ensuite installée à Paris où elle avait rencontré un universitaire espagnol exilé avec lequel elle avait eu une fille handicapée dont elle avait dû s’occuper exclusivement. Je l’avais revue une ou deux fois au cours de voyages à Paris. Puis nous nous étions perdues de vue. Plusieurs années après, j’avais réussi à obtenir sa nouvelle adresse, après un premier échange de correspondance, elle n’avait plus répondu à mes lettres et je n’ai, malheureusement, plus jamais su ce qui lui était arrivé.

Après le départ d’Alice Sportisse, c’est Lise Oculi, son adjointe, qui prit la direction de l’Union des femmes. Elle était plus jeune qu’Alice, mais était dotée de la même détermination et d’un esprit de responsabilité remarquable. Membre suppléant du Bureau Politique du PCA, elle avait été élue conseillère municipale d’Alger.

Malheureusement notre collaboration fut de courte durée. Durant l’hiver 1946 au cours d’un voyage qu’elle effectuait dans l’est, pour consolider les nombreuses sections de l’organisation qui s’y étaient crées, elle attrapa le typhus dont l’épidémie s’était largement répandue dans le pays et elle mourut rapidement. Plusieurs années après, de passage à Djidjel, c’est avec une vive émotion que je découvris sa tombe dans le cimetière européen, face à la mer…

Sous la direction d’Alice Sportisse, un congrès fut organisé qui élut un Secrétariat collectif dont le fonctionnement me fut confié.

Ainsi se termina dans la peine et l’anxiété, cette première partie de ma vie dans l’UFA. Dix-huit mois s’étaient à peine écoulés depuis mon arrivée rue Jacques Cartier, mais ils avaient été très riches en enseignements et mon existence s’en était trouvée totalement transformée. Je m’efforçais de devenir une véritable militante, à l’image d’Alice et de Lise qui étaient mes modèles.

Une autre de mes camarades aura également été pour moi un modèle : Gaby Gimenez-Benichou.

Mes camarades m’avaient souvent parlé d’elle, du courage qu’elle avait déployé dans l’action clandestine. Et j’attendais avec impatience de la rencontrer

Militante communiste dès son adolescence, elle avait en effet activement participé, dans la clandestinité, au combat anti-fasciste que menait alors le PCA sous le gouvernement de Vichy.

Elle avait à peine seize ans quand elle avait été chargée de transporter d’Oran à Alger une valise de documents et de tracts. Arrivée dans la nuit à Alger, elle n’avait pu déposer son fardeau chez le camarade indiqué, celui-ci, pris de peur, ayant refusé de l’accueillir. Elle avait donc repris sa valise et à pied, tard dans la nuit, avait gagné le domicile d’un autre militant… à El Harrach.

Arrêtée, elle avait été torturée et condamnée aux travaux forcés à perpétuité. À sa libération, elle avait été élue au conseil cantonal d’Oran. Mais atteinte de tuberculose, elle fut envoyée en France par le Parti pour être soignée et elle n’était revenue qu’en 1951.

Sa vie durant Gaby milita ainsi activement dans le Parti et à l’Union des femmes, avec toujours une extrême modestie.

Nous nous rencontrions souvent quand je me rendais à Oran ou quand elle venait à Alger pour les réunions du Comité central du Parti ou celles de l’Union des femmes. Elle logeait alors chez moi et jusque tard dans la nuit, nous échangions nos points de vue sur les problèmes en cours. Une solide amitié nous a étroitement liées.

Pendant la Guerre d’indépendance, elle sera à nouveau arrêtée, torturée, puis condamnée à 20 ans, puis à 15 ans de prison.

Plus tard, quand s’abattit sur nous la chape noire de l’islamisme intégriste, menacée, elle dut partir se réfugier en France auprès de ses deux garçons. Atteinte d’ostéoporose, c’est dans la plus extrême souffrance qu’elle termina ses jours il y a quelques années, loin de son pays.


ENTRE L’UNION DES FEMMES

D’ALGÉRIE ET LE PCA


II


Fin mai 1946, je partis pour Oran pour donner naissance à Pierre, mon fils aîné, et je ne revins à Alger qu’au mois d’août.

Le Parti avait, entre-temps, traversé une crise décisive.

Que s’était-il passé?

En mai 1945, le Parti avait condamné les émeutes qui s’étaient déroulées dans le pays, en montrant ainsi son incapacité à soutenir les aspirations de notre peuple à l’indépendance.

Et pourtant, quelques années plus tôt, les communistes qui étaient alors rassemblés dans les sections algériennes du Parti Communiste Français (les partis algériens étant alors interdits) s’étaient prononcés pour l’indépendance de l’Algérie, en application des positions de la IIIe Internationale [[La IIIe Internationale, qui réunissait les partis communistes du monde, fut fondée par Lénine en 1919 et dissoute par Staline pendant la IIe Guerre mondiale, en 1943. ]] qui avait affirmé le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Le Parti Communiste Algérien, qui naquit en 1936 en tant que parti national, avait réaffirmé les mêmes positions.

Cependant sal ligne s’était ensuite infléchie en raison du nombre important de ses adhérents européens et aussi par les liens étroits que le Parti entretenait toujours avec le PCF.

D’autre part, il était préoccupé par la nécessité de rassembler l’ensemble de la population dans la guerre contre le nazisme.

Mais, dira plus tard Bachir Hadj Ali [[Après mon divorce de Robert Manaranche, j’ai épousé Bachir Hadj Ali en 1963. Il est décédé il y a vingt ans, en 1991. Voir l’ouvrage « Lettres à Lucette , 1965-1966 » de B. Hadj Ali, Ed. R.S.M. Alger, 2002. ]], le Parti aurait dû réunir dans un même combat le soutien à la lutte anti-fasciste, dans la guerre, et la revendication d’indépendance. C’est ainsi qu’il ne perçut pas les raisons profondes des émeutes du 8 mai.

Tragique erreur qu’il a reconnue et corrigée au cours d’un Comité central élargi [[C’est au cours de ce Comité central élargi qu’Amar Ouzegane, qui refusa de reconnaître le bien-fondé de cette autocritique et donc de sa propre responsabilité en la matière, fut destitué de son poste de Secrétaire général.]] en juillet 1946. Cependant, elle fut lourde de conséquences, dans les années qui suivirent, pour la reconnaissance de son implantation dans le mouvement national. À noter qu’il prit ensuite l’initiative de créer les Comités d’amnistie, à la suite de la répression forcenée qui s’était abattue sur les Algériens. Ces Comités, auxquels les militantes de l’Union des femmes participèrent activement, menèrent le combat dans tout le pays pour la libération des milliers d’Algériens qui peuplaient les prisons. Ayant adhéré au Parti en août 1945 et ayant été invité au Comité central de juillet 1946, Bachir Hadj Ali fut chargé de coordonner l’action de ces comités dans la région d’Alger. C’est, en grande partie, grâce à la bataille acharnée menée par les Comités d’amnistie initiés par le PCA, aidés par l’intense campagne publique menée par le PCF, que l’Assemblée constituante finit par voter une amnistie générale.

Pour l’heure à mon retour d’Oran, parallèlement à mon travail à l’union des femmes, et dans l’exaltation de la victoire sur le nazisme et le régime de Vichy, je me jetai avec enthousiasme dans les batailles menées au cours des campagnes électorales qui se succédèrent alors pour le renouvellement des assemblées communales, cantonales, régionales et celui du Parlement français auxquelles les Européens d’Algérie devaient participer.

À noter qu’aux élections municipales de 1945, deux Algériennes (ou plutôt deux Franco-Algériennes) avaient été élues : Fatma Mérani à Saint-Cloud (Gdyel aujourd’hui), près d’Oran, sur une liste du PCA, par le collège algérien et Madame Bendjaoui Kateb, à Bône (Annaba) par le collège européen.

C’est à Hussein-Dey que je fus invitée pour la première fois à une réunion publique en tant que représentante de l’UFA. Pour venir à bout de mes réticences, Alice Sportisse avait minimisé l’importance de ce meeting. Mais quand je descendis du bus à l’heure dite, je découvris avec effroi la foule immense qui remplissait la place et c’est d’une voix quelque peu tremblante que j pris à mon tour la parole.

Je me revois aussi arpentant les rues du quartier Trolard (Mokhtar Abdelatif aujourd’hui), au-dessus du tunnel des Facultés, un quartier peuplé alors d’Européens, en compagnie d’un camarade (Clément, le mari de Lise Oculi, si je l’en souviens bien). Au bas de chaque immeuble et sans micro, nous appelions les habitants à nous écouter et, à tour de rôle, d’une voix forte, quand ils sortaient sur leurs balcons, nous les engagions à voter pour les candidats communistes


III


L’Union des femmes d’Algérie était née, lors d’un premier congrès, en 1944, sur la base des Comités de ménagères crées sur les marchés à l’initiative du PCA, dans le but de lutter contre les pénuries de toutes sortes, le marché noir, la vie chère. Or ces comités ne rassemblaient pratiquement que des ménagères européennes, les Algériennes étant alors absentes sur les marchés. En conséquence, à sa naissance, l’UFA était une organisation de composition en grande majorité européenne et son action, qui s’adressait essentiellement aux Européennes, était alors centrée sur les soins aux blessés de la guerre et à l’aide à apporter à leurs familles, ainsi que sur les problèmes de vie chère et de pénurie.

Les nouvelles municipalités «France Combattante», qui étaient de gauche, comme celles d’Alger et d’Oran [[À Oran, la municipalité nouvellement élue était dirigée par Nicolas Zannettaci, un communiste. À Alger, c’est le général Tubert, proche du PCA, qui avait été élu maire.]] nous autorisaient à établir des tables sur les marchés, où nous nous installions une fois par semaine pour nous adresser aux femmes, leur faire signer des pétitions, les appeler à participer à telle ou telle manifestation, à adhérer à notre organisation. Et encore une fois, nous ne touchions que des Européennes.

Par ailleurs, l’UFA s’assimilait à une «organisation de bienfaisance». Nos militantes récoltaient en quantité des vêtements usagés ainsi que des produits alimentaires que nous distribuions. Certes, une grande partie d’entre eux arrivaient dans des familles algériennes et j’ai imaginé par la suite combien ces «distributions» ont pu avoir, à l’époque, d’impacts négatifs sur l’opinion que les Algériennes et les Algériens pouvaient se faire sur notre organisation.

L’UFA étant une organisation crée et dirigée par des communistes, il est évident que sa ligne ne pouvait être en contradiction avec celle du Parti. Elle devait donc la corriger et l’orienter directement sur la dénonciation des médias du système colonial. Et elle devait, en même temps, s’adresser en priorité aux Algériennes.

Je ne me souviens pas des circonstances précises au cours desquelles s’est opérée cette reconversion, mais j’imagine qu’Alice Sportisse, qui avait participé au Comité central élargi de juillet 1946, en a été l’instigatrice au cours d’un congrès de l’UFA. C’est elle certainement qui m’initia à notre nouvelle ligne politique que notre secrétariat fur chargé d’appliquer.

Par ailleurs, dans le Parti, auquel j’avais adhéré en août 1945, j’ai participé aux différentes réunions où furent discutées et argumentées les graves erreurs commises au sujet des émeutes du 8 mai et la correction effectuée sur la ligne politique du Parti : dans ma cellule, ma section, le Bureau régional d’Alger et au Comité central où je fus élue en 1947, j’adhérai alors totalement à cette nouvelle orientation. Et au cours des mois qui suivirent, je pris pleinement conscience du décalage existant entre ce qu’était alors notre organisation et ce qu’elle devrait être, ainsi que sur les combats que nous devrions désormais mener.

Nous nous sommes donc astreintes à reconvertir fondamentalement notre ligne et nos objectifs. Ce qui n’a pas été sans problème avec uin certain nombre de nos adhérentes européennes. N’acceptant pas notre nouvelle ligne, beaucoup d’entre elles nous ont quittées. Nous en avons exclu d’autres, en particulier celles de Perrégaux (Mohammédia) qui s’étaient obstinées à célébrer une « Fête de Jeanna d’Arc » en mai 1947.

La composition de l’UFA s’en est ainsi trouvée transformée. Il faut souligner cependant que la composition de notre Conseil central ne subit aucune transformation du même genre : les démocrates européennes qui en faisaient partie y demeurèrent soudées aux communistes. Plus tard, je sollicitai madame Mandouze (l’épouse du professeur Mandouze, dont les positions ouvertement anti-coloniales eurent un impact positif sur un certain nombre de ses étudiants européens et le contraignirent, par la suite, à quitter l’Algérie), qui accepta de faire partie de notre Conseil central.

L’UFA eut alors deux Présidentes: madame Garoby, l’épouse du recteur de l’Académie d’Alger, qui avait assuré cette fonction depuis la création de notre organisation, et madame Djermane, l’épouse d’un commerçant d’Alger.

Parallèlement, des Algériennes intégrèrent notre conseil central : Baya Allaouchiche à Alger, et Abassia Fodhil à Oran.

Baya Allaouchiche rejoignit l’UFA peu après mon arrivée. Bien qu’elle ne m’en ait jamais parlé, je savais qu’elle n’était pas heureuse dans son ménage. Apparemment son mari n’approuvait ni ses convictions communistes, ni son militantisme permanent. Sans en tenir compte, elle s’est toujours dépensée sans compter pour organiser nos réunions de femmes dans les quartiers populaires et pour y participer pleinement.

Elle rejoignit d’abord le Conseil central de l’UFA où elle joua par la suite un rôle primordial avec Lydia Toru, qui avait milité avec ardeur à l’UFA, depuis les débuts de l’organisation. Puis elle fut élue au comité central du Parti.

Deux ans après le déclenchement de la Guerre d’indépendance, elle fut contraintte par la police de s’exiler en France où elle s’activa avec passion, comme toujours, pour aider les réseaux du FLN.

À l’indépendance, Baya demeura en France où elle put avec bonheur, s’étant remariée (avec Jacques Jurquet) et ayant fait venir ses enfants, fonder une nouvelle famille.

En 1994, me trouvant en France, alors que se développaient en Algérie les menaces destructrices de l’islamisme intégriste, je contactai Baya pour organiser avec elle une association dont le but était d’aider et de soutenir les associations féminines algériennes et pour les droits de la femme dans la famille et dans la société. Ainsi naquit le RAFD (le Rassemblement algérien des femmes démocrates) de Marseille, jumelle du RAFD d’Alger.

Pour faire connaître l’expérience enrichissante qui avait été la sienne et pour témoigner de la condition des Algériennes, elle écrivit deux ouvrages : « L’Oued en crue » (1979 – Éditions Sakina Ballouz ) et en collaboration avec Jacques Jurquet, « Femmes algériennes – De la Kahina au Code de la famille » (Édition le Temps des Cerises ).
Épuisée et malade, elle mourut en 2007 sans que j’ai pu, hélas, la revoir.

Abassia Fodhil a été elle aussi une militante exemplaire.

Pour contribuer aux dépenses du ménage (son époux, Secrétaire du Parti dans la région d’Oran, était très modestement rétribué comme tous les permanents) elle travaillait, pour un salaire misérable, dans des structures de conditionnement de fruits et légumes. Cela ne l’empêchait pas de militer activement en tant que Secrétaire de la section oranaise de l’Union des femmes et membre du Conseil central de notre organisation.

La Fédération démocratique internationale des femmes qui rassemblait les associations féminines progressistes du monde entier et à laquelle nous avions adhéré ainsi que l’AFMA (l’Association des femmes musulmanes algériennes), avait décidé d’envoyer une délégation en Corée, pour soutenir les femmes coréennes alors qu la guerre sévissait entre la Corée du Nord, soutenue par les Chinois et les Soviétiques, et la Corée du Sud, soutenue par les Américains.

Abassia fut alors désignée pour représenter notre organisation dans cette délégation. À son retour elle parcourut le pays pour raconter aux femmes, rassemblées par nos adhérentes, ce qu’elle avait vu. Mais nous n’avions pas mesuré alors combien ce voyage comportait de risques ; en effet, la délégation de femmes s’était trouvée souvent prise sous le feu des combats. Abassia en avait été traumatisée. Elle ne s’en plaignit jamais. Mais nous avons amèrement regretté de l’avoir choisie pour cette mission.

Quand l’OAS amplifia ses actions criminelles à Oran, Abassia et son époux, menacés, partirent se réfugier en France. Mais ils revinrent rapidement: décision fatale! Opéré, Mustapha Fodhil se trouvait en clinique avec Abassia venue l’assister, quand un commando de l’OAS monta directement dans sa chambre et les abattit tous les deux.

À Oran, l’ex-rue Carnot, porte leurs deux noms, du boulevard de l’ALN à la rue Ben M’Hidi, près de la clinique d’Ophtalmologie, sur le Front de mer.

Il s’agissait maintenant de réorienter notre action et de définir de nouveaux objectifs. Ces derniers devaient être centrés sur la dénonciation des méfaits du système colonial sévissant en particulier sur les femmes et les enfants.

Une première bataille s’est imposée alors à nous. Un projet de Statut avait été élaboré pour l’Algérie et devait être présenté au Parlement français en septembre 1947. Ce projet prévoyait la création d’une Assemblée algérienne de 120 membres, dont soixante pour le Premier Collège, réservé presqu’exclusivement aux Européens, et soixante pour le Deuxième Collège réservé aux Algériens. Inégalité flagrante puisque la représentation du million d’Européens égalait celle des huit millions d’Algériens. Cette inégalité était encore plus inacceptable car elle s’accompagnait d’une discrimination brutale entre les femmes européennes et les femmes algériennes. En effet, si le Statut reconnaissait le droit de vote aux Algériennes, il en renvoyait la juridiction à la future Assemblée algérienne, qui n’en tiendra aucun compte. Ce n’est qu’en 1958 que le droit de vote sera enfin reconnu aux Algériennes.

Aussitôt le projet de Statut connu, nous avons réclamé l’inscription immédiate du droit de vote pour les Algériennes et nous avons organisé des manifestations dans ce sens. À Alger, les femmes répondirent à notre appel et se rassemblèrent massivement dans l’Opéra (aujourd’hui le Théâtre national, square Port-Saïd), où après un concert donné par une troupe féminine, elles adoptèrent une motion dénonçant la discrimination établie entre les femmes et réclamant le droit de vote pour les Algériennes.

Je me rendis à Sidi-Bel-Abbès où à l’initiative de la responsable de l’UFA, madame Justrabo, l’épouse du maire communiste de la ville, un millier de femmes traversèrent toute la ville pour déposer une motion similaire à la Sous-préfecture.

Cette campagne n’obtint immédiatement, bien entendu, aucun résultat concernant le droit de vote des Algériennes, qui demeurèrent exclues des élections. Mais le regard qu’elles portaient sur notre organisation se modifia à coup sûr.

Nombreuses furent celles qui nous rejoignirent et grâce à elles, grâce aussi à nos camarades Baya Allauchiche, Attika Gadiri, Abassia Fodhil et bien d’autres, nous pûmes élargir et consolider nos contacts avec les Algériennes. En maintes occasions, nous nous rendions dans les quartiers populaires d’Alger, la Casbah, Belcourt, la Cité Mahieddine, cet infâme bidonville en plein centre de la capitale, où végétaient des dizaines de milliers d’hommes et de femmes.

Là des amies rassemblaient des voisines, des parentes autour d’un thé l’après-midi et nous appelaient pour expliquer quels étaient les objectifs de l’Union des femmes et les actions que nous voulions mener avec elles pour tenter d’améliorer leur vie si difficile.

Pendant le ramadhan, je nous revois parcourant les rues de la Casbah pour nous rendre souvent dans de telles réunions après le ftour, d’où nous revenions, à deux heures du matin, enrichies pas ces discussions.


IV


Élaboré en 1947, le Statut de l’Algérie était censé permettre certes aux Algériens (et non aux Algériennes) de participer à la vie politique puisqu’ils pouvaient voter. Encore aurait-il fallu que ces élections se soient déroulées librement, or il n’en était rien. Sur les ordres du nouveau Gouverneur général de l’Algérie, Edmond Naegelen, elles étaient systématiquement truquées. Et les candidats nationalistes et communistes étaient écartés au bénéfice des candidats «béni-oui-oui».

Ces «élections à la Naegelen», comme on les appelait, suscitaient une indignation généralisée. En été, quand le Parti organisait des randonnées sur les plages, nous accrochions sur les wagons du train ou, sur les vitres du bus, qui nous transportaient, des banderoles proclamant «Naegelen à la porte» et, aux fenêtres nous hurlions ce mot d’ordre de toutes nos forces.

Mon fils Pierre, qui avait quatre ou cinq ans, avait voulu reproduire, maladroitement bien sûr, la banderole que son père avait confectionnée à la maison et avec Norbert, son petit voisin, il l’avait brandie sur le balcon commun en criant « Naegelen à la porte », ce qui n’avait pas plu au père de ce garçon qui était un fonctionnaire du Gouvernement général.

Sur le plan économique, la situation des travailleurs était désastreuse. Les chefs d’entreprise, les colons, les armateurs relevaient la tête et refusaient toute augmentation des salaires.

Soutenus par les syndicats CGT, qui s’étaient considérablement renforcés, les travailleurs se lancèrent dans de puissants mouvements revendicatifs, en 1948, 1949, 1950. À l’UFA, nous soutenions les grévistes, nous participions à leurs manifestations et aidions leurs femmes. Chaque année, nous marchions, aux côtés des syndicalistes, lors des défilés du Premier Mai, encadrant des enfants et réclamant sur nos pancartes de meilleures conditions de vie et de travail pour les travailleuses.

Je me souviens d’une puissante manifestation qui déferla le long de l’avenue Amirouche. Au cours d’une fuite éperdue, talonnée par les CRS, je me trouvai séparée des militantes de l’Union des femmes et engagée dans les rangs des dockers. Je perdis alors une de mes chaussures, mais ne pus m’arrêter pour la récupérer. Et c’est un docker, qui, l’ayant ramassée, me rattrapa et me la tendit.

À Oran, en 1949, les dockers déclenchèrent une grève qui a marqué l’histoire sociale du pays. La guerre du Vietnam faisait rage alors et, tout en réclamant de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail, ils refusaient de charger sur les navires les armes destinées aux troupes françaises engagés contre les Vietnamiens. À l’Union des femmes, en application de nos principes, nous décidâmes de soutenir les grévistes en entraînant leurs femmes. À Oran, la section régionale de l’UFA, qui comptait Abassia Fodhil, Gaby Gimenez, Joséphine Carmona et d’autres militantes et auxquelles je m’étais jointe, établit un plan que nous suivîmes à la lettre, après avoir contacté un certain nombre de femmes de grévistes.

À 5 heures du matin, ensemble, nous descendions sur le port où nous retrouvions les piquets de grève avec lesquels nous tentions de faire barrage aux «jaunes», ces Algériens très pauvres et sans travail, qui étaient recruté par les armateurs pour casser la grève. En même temps, nous devions faire face aux forces de sécurité, policiers et CRS, qui nous chargeaient.

Les femmes de grévistes étaient remarquables de combattivité et de courage. Pour faciliter leur course, elles furent nombreuses à retirer leurs haïks qu’elles enroulèrent autour de leur taille

En nous donnant la main, nous formions ainsi de longues chaînes pour fermer l’accès au port.

Un jour, nous ne pûmes cependant empêcher les policiers d’arrêter quelques manifestantes. Nous montâmes alors vers le quartier de la Marine et, devant le commissariat où elles étaient détenues, nous réclamâmes avec force leur libération et, pour l’obtenir, nous nous allongeâmes sur le sol, obstruant la rue. Cette manifestation fut payante car nos camarades et amies furent assez rapidement libérées.

L’après-midi, nous nous rendions à la Maison du Peuple, où dans la cour, les dockers faisaient le point sur leur combat avec leurs représentants syndicaux. Et nous, nous montions au premier étage où les femmes de grévistes se rassemblaient, plus nombreuses de jour en jour, et avec elles nous décidions d’un plan d’action pour le lendemain.

Bachir Hadj Ali vint à Oran pour suivre la grève de plus près et c’est mon père Jean-Marie Larribère, qui le transporta dans sa voiture. Soupçonné d’avoir été l’artisan de ce conflit, mon père fut arrêté et détenu pendant quelques jours.

La grève n’en finissant pas, le mouvement s’amplifia alors. Les travailleurs oranais, Algériens et Européens confondus, déclenchèrent une grève générale. Une puissante manifestation fut organisée à l’occasion du passage à Oran du frère du général de Gaulle. Pour éviter des heurts préjudiciables, le Parti chargea les militantes de retirer aux manifestants les «armes» qu’ils envisageaient de lancer sur les forces de l’ordre. Nous parcourûmes alors leurs rangs en récupérant œufs, tomates et surtout, chez les métallos, des lourds boulons qui emplissaient leurs poches.

Le lendemain, une nouvelle et puissante manifestation, partit de la Maison du Peuple, les femmes s’étant postées au premier rang. Soudain, nous barrant la route, des soldats braquèrent leurs armes sur nous. La peur au ventre, nous continuâmes quand même à avancer. Les soldats tirèrent et des manifestants, derrière nous, furent atteints.

C’est cette dernière manifestation qui, cependant, fit plier les autorités et le patronat. Des discussions s’engagèrent avec les syndicats et dockers et ouvriers obtinrent enfin en partie gain de cause.

Ces résultats, même s’ils n’étaient pas aussi importants qu’ils le paraissaient alors, ont été ressentis comme une grande victoire, obtenue grâce aux luttes très dures qui avaient été menées par les travailleurs oranais, Algériens et Européens.


V


Parmi les actions que notre association entreprenait, il en était une qui nous tenait particulièrement à cœur: il s’agissait de l’inscription des petits Algériens à l’école française.

Comme en France, l’école française était alors obligatoire pour les petits Européens, mais non pour les Algériens.
Chaque année, au début d’octobre, le scénario était le même : chaque enfant européen était admis à l’école. Mais les petits Algériens ne pouvaient y accéder qu’au prorata des places disponibles. La grande majorité des enfants algériens, surtout dans les campagnes, étaient donc exclus. Il ne leur restait alors que l’école coranique que les enfants scolarisés à l’école française fréquentaient aussi mais en dehors des heures de classe et pendant les vacances. À la rentrée des classes, on pouvait voir, de bonne heure, devant chaque école, des files d’enfants, accompagnés de leurs parents, qui attendaient en vain d’être reçus. Mais je n’ai pas le souvenir d’y avoir vu nombre de filles.

Dans la continuité de nos actions contre les discriminations flagrantes dont la société algérienne était victime, nous décidâmes d’élever notre voix à ce propos. Dans les quartiers populaires d’Alger et d’Oran surtout, nos adhérentes contactaient les femmes dont les enfants n’avaient pas été admis ou risquaient de ne pas l’être. Et chaque année, à la rentrée des classes, nous rassemblions ces femmes et ensemble, nous nous massions devant quelques écoles en protestant haut et fort contre cette discrimination supplémentaire.

Je ne sais plus trop si ces actions ont permis l’inscription de nombreux enfants. Mais elles nous ont rapprochées, elles aussi, des femmes des quartiers populaires.

Comme l’ont fait aussi celles que nous avons menées, en collaboration avec leur section syndicale, pour les femmes travailleuses, et en particulier les femmes de ménage, surexploitées dans les familles européennes.

Là, nous avons travaillé ensemble avec mon amie et camarade Blanche Moine, une militante infatigable, l’une des responsables de la CGT (algérienne) et de l’UGSA, la Centrale syndicale qui a succédé à la CGT, et au côté de laquelle j’ai souvent participé à des manifestations de rues. Durant la guerre d’indépendance, elle a été arrêtée et sauvagement torturée et sa santé en a été gravement détériorée.

C’est avec une vive émotion que je l’ai retrouvée à Paris, à l’indépendance, mais elle mourut rapidement.

L’UFA s’est impliquée aussi dans d’autres actions, et d’abord le recueil de signatures au bas de l’Appel de Stockhölm, cet Appel à la paix, rédigé en pleine «guerre froide» par de nombreux savants et intellectuels, réunis à Stockhölm, en raison des menaces de guerre qi pesaient sur le monde.

Nous nous sommes donc attelées à cette tâche, effectuant de nombreux porte à porte, pour recueillir ces signatures. Je n’ai plus leur nombre en mémoire, mais dans mon souvenir, il était important.

Chaque année nous organisions de grands rassemblements pour célébrer, le 8 mars, la Journée internationale de la femme.
En 1953 et 1954, c’est avec l’AFMA (Association des femmes musulmanes algériennes), nationaliste, que nous avons organisé ces rassemblements. Leurs deux dirigeantes étaient Mamia Chentouf et Nefissa Hamoud (Nefissa Lalliam, disparue hélas aujourd’hui), avec lesquelles nous avons toujours entretenu d’excellents rapports. C’est avec une grande joie que j’ai revu Mamia Chentouf à l’indépendance, après une si longue absence.


VI


Il serait peut-être temps, pour moi, de jeter un œil critique sur toute cette période qui va de 1945 à 1952 et durant laquelle je militais à l’UFA.

Il est vrai que nous étions toutes fières de ce que nous faisions alors pour entraîner les femmes – essentiellement les Algériennes – dans de multiples actions. Mais pour les entraîner vers quel but ?

Certes, j’étais persuadée, nous étions persuadés au Parti Communiste Algérien que le temps filait rapidement vers le déclenchement de la guerre de libération. Je savais que cela se produirait dans les années prochaines et le déroulement de la guerre au Vietnam, que nous suivions attentivement, était là pour nous le rappeler jour après jour. Je me souviens de l’enthousiasme qui nous a toutes et tous soulevés plus tard, en mai 1954, lors de la victoire de Dien-Bien-Phu, qui annonçait l’indépendance du Vietnam. Nous ne savions pas alors que six mois plus tard, nous entrerions à notre tour dans la guerre qui nous mènera à l’indépendance.

Certes, lors des réunions de femmes que j’ai décrites plus haut, nous évoquions tous ces événements tout en dénonçant les méfaits du système colonial. Mais nous ne franchissions jamais la ligne rouge que nous nous étions fixée, sans nous concerter et sans en être vraiment conscientes, et au-delà de laquelle nous n’évoquions jamais la perspective de l’entrée de notre peuple dans la lutte pour son indépendance.

Il est vrai que nous craignions sans doute la répression qui n’aurait pas manqué de s’abattre sur notre organisation si nous avions osé franchir cette ligne rouge.

Il était un autre problème que nous ne soulevions pas non plus : celui du statut des Algériennes. Certes, nous nous étions battues pour réclamer pour elles le droit de vote. Mais là aussi, nous n’allions pas plus loin, nous ne concevions pas la nécessité de dénoncer leur situation de mineures dans la famille et dans la société et de réclamer pour elles des droits égaux à ceux des hommes.

En ce qui concerne le statut des femmes, nous nous sommes contentées, parfois, de reproduire les positions de l’Union des femmes françaises, qui déclarait que les droits de la mère de famille, de la travailleuse et de la citoyenne devaient être «consacrés», comme le précise Fatma Zohra Saï dans son ouvrage: «Mouvement national et question féminine». Certes nous rassemblions dans ces mots d’ordre Algériennes et Européennes, mais sans souligner la situation particulière des Algériennes.

Quelles en étaient les raisons ?

  • Tout d’abord il était clair, à la naissance de l’UFA, composée en quasi-totalité d’Européennes, que la situation particulière de la femme algérienne ne pouvait être perçue. Plus tard, quand l’UFA eut rectifié sa ligne éditoriale et quand, avec l’afflux des Algériennes, nous prîmes conscience de leur sort, notre position demeura inchangée.
  • Dans son ouvrage cité plus haut, Fatma Zohra Saï signale que l’AFMA (l’Association des femmes musulmanes algériennes), nationaliste, avait évité aussi de soulever ce problème.
  • Certes, la situation des Algériennes était complexe alors, dans une société soumise à la domination coloniale. Elle était doublement opprimée à la fois par le système colonial et par un statut personnel qui la soumettait totalement à l’homme : père, époux, frère.
  • Mais il nous était difficile de poser les problèmes des droits des femmes, d’une part parce que la condition de la femme au sein de la famille algérienne était un sujet pratiquement tabou et d’autre part et surtout parce qu’il nous semblait alors impossible de mettre au premier plan de nos revendications le sort des algériennes, alors que l’essentiel de nos préoccupations et de celles de tout le mouvement national était axé sur l’avenir immédiat où allait se jouer le sort du pays. Abattre le système colonial, en finir avec la domination coloniale était au premier plan de nos préoccupations, l’émancipation de la femme étant alors renvoyée aux calendes grecques.
  • Il est, hélas, à déplorer que près de cinquante ans après son indépendance, l’Algérie n’ait pas encore mis fin à la discrimination intolérable que subissent les femmes, alors qu’elles ont participé en masse à la libération du pays, assumant pleinement leurs responsabilités, bravant la mort à égalité avec les hommes ; alors que des milliers d’Algériennes ont été kidnappées, violées, égorgées par les intégristes du FIS et du GIA dans les razzias de nos villages, dans les faux barrages ou tout simplement les rues de nos violles et jusqu’au sein de nos écoles, au cours d’une terrible décennie que le pouvoir actuel voudrait faire passer à la trappe, mais qui ne cessera jamais de nous hanter.
  • C’est à ces femmes que nos associations féminines doivent dédier leur combat contre le Code de la Famille, ce «code de l’infamie» qui fait des femmes des mineures à vie, même après avoir été quelque peu «amélioré» par des amendements secondaires qui sont d’ailleurs rarement respectés dans l’administration.
  • Il est enfin un autre point que je tiens à souligner : il s’agit des rapports que l’UFA entretenait avec le PCA. Très souvent, il était dit (ou écrit) que notre organisation se trouvait sous le contrôle du PCA et que son orientation et ses actions étaient dictées par lui.

    Certes, étant membre du Comité central du Parti, ainsi que Baya Allaouchiche, nous adhérions pleinement à sa ligne éditoriale. Mais nous n’en avons jamais reçu de directives.

    Lors des réunions de cet organe dirigeant du Parti, nous informions nos camarades de l’orientation que nous avions définie pour notre organisation et des actions que nous entreprenions dans ce cadre. Et nous n’avons jamais sollicité le moindre conseil ou la moindre suggestion dans la gestion de l’UFA.

    C’est notre Conseil central, dont la majorité des membres n’était pas communiste, qui avait décidé d’abord, sur notre suggestion, d’engager l’organisation dans le combat contre le système colonial. C’est lui aussi qui, au cours de ses réunions régulières, décidait des actions à entreprendre en conformité avec sa nouvelle ligne éditoriale.

Table des Matières


À L’ÉQUIPE DE JOUR

D’ « ALGER RÉPUBLICAIN »


Au début de 1952, je quittai l’Union des femmes pour aller travailler à «Alger républicain».

Les locaux du journal étaient situés boulevard Laferrièrze (aujourd’hui le boulevard Khemisti), à l’emplacement de ceux de la «Dépêche quotidienne», l’un des quotidiens provichyste d’Alger, qui avaient été interdits. Son imprimerie se trouvait à l’arrière du bâtiment. Elle était dirigée par la SNEP (Société nationale des entreprises de presse) qui était chargée de gérer les imprimeries des journaux interdits. Le bâtiment est aujourd’hui occupé par la Fédération algéroise du RND ?

Aux côtés d’Henri Alleg, directeur du journal, et de Jacques Salort, son administrateur, la Rédaction était dirigée par Boualem Khalfa et Isaac Nahori (qui vient récemment, hélas, de s’éteindre) auxquels se joignit plus tard Hamid Benzine. Chaque jour, à 14 heures, nous nous réunissions tous, équipe de jour, équipe de nuit, rubrique des correspondants, rubrique sportive etc… Au cours de ces réunions, sous l’œil vigilant d’Henri Alleg, nous relevions les erreurs et les insuffisances du numéro du jour et nous établissions ensemble le contenu du numéro du lendemain.

L’équipe de nuit était dirigée par Henri Zanettaci, qui mourra plus tard, encore jeune, d’une maladie pulmonaire contractée en raison de son travail pour l’impression du journal. L’équipe assurait la mise en page du journal et tous ses aspects techniques indispensables.

La direction de l’équipe de jour m’avait été confiée. Cette équipe était chargée d’informer nos lecteurs sur tout ce qui se passait d’intéressant à Alger et dans l’Algérois. Cela allait des «chiens écrasés» aux réunions du Conseil municipal et de l’Assemblée algérienne, aux procès politiques intentés aux dirigeants du Mouvement national, nationalistes et communistes, procès qui se multipliaient au fur et à mesure que s’amplifiaient les aspirations de notre peuple à l’indépendance.

S’ajoutaient à tout cela les enquêtes économiques réalisées par Nicolas Zanettacci. L’une de ces enquêtes fit grand bruit, elle concernait es cités Diar es Saada et Diar el Mahçoul qui étaient construites avec de la «pierre qui pleure». Cette pierre était importée de France, au bénéfice du maire d’Alger, Jacques Chevalier, et son surnom s’expliquait par le fait, disait Zanettacci, qu’elle «suait» l’humidité.

L’équipe du journal était toute particulière, il faut le souligner. Dans la rédaction ou l’administration, le personnel était d’origine diverse : Algériens ou Européens, musulmans, chrétiens, juifs ou athées, communistes ou non, ils travaillaient ensemble, poursuivant le même but, dans des conditions difficiles, acceptant malgré tout des salaires réduits et souvent retardés : assurer coûte que coûte la parution du journal, miracle de chaque jour ; contrôler exactement l’exactitude de nos informations, refléter dans les moindres articles la ligne éditoriale immuable, du journal, en énonçant les méfaits du système colonial, les injustices flagrantes, la surexploitation et la répression forcenée qui s’abattaient sur notre peuple.

« Alger républicain » était alors le seul quotidien anticolonial d’Algérie. Son rayonnement était important. Il se vendait dans tout le pays et ses correspondants étaient très nombreux.

Par ailleurs il jouait un rôle primordial pour le rassemblement de toutes les forces opposées au système colonial; des communistes aux nationalistes et aux progressistes européens.

En particulier, j’ai le souvenir de ces militants du M.T.L.D. (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), successeur du PPA, et de ceux de l’U.D.M.A. (Union démocratique du Manifeste algérien) qui venaient nous rendre visite en toute amitié.

Cela était, bien entendu, intolérable pour l’administration coloniale. Et c’est pourquoi la SNEP, misant sur la fragilité financière du journal (qui s’expliquait en partie par le fait qu’un seul numéro était bien souvent lu ou se faisait lire par plusieurs lecteurs), s’ingéniait à le mettre en difficulté, exigeant en particulier le paiement cash de son impression et du loyer de ses locaux.

Cette situation si difficile fut, pendant toutes ces années et surtout après le 1er novembre 1954, le cauchemar quotidien d’Henri Alleg et de Jacques Salort. Mais les efforts de la SNEP et de l’administration coloniale demeurèrent vains grâce au courage, et à la détermination intransigeante de la Direction, de la Rédaction et de toute l’équipe du journal.

Dans les mois qui suivirent le déclenchement de la guerre, la situation d’ «Alger républicain» devint très critique avec l’installation d’une Commission de censure, qui supprimait certains articles, interdisait ensuite les espaces blancs qui les avaient remplacés et suspendait le journal. «Alger républicain» dit la vérité, mai ne peut pas dire toute la vérité». Telle était la déclaration judicieuse, publiée chaque jour sur la Une du journal et qui ne pouvait être censurée.

Au début juillet 1955 Henri Alleg fut arrêté et condamné à trois mois de prison pour «atteinte à la sûreté de l’Etat».

Parmi les événements tragiques qui avaient suscité l’indignation et la mobilisation d’«Alger républicain», il en fut un qui nous a particulièrement bouleversés, et me bouleverse toujours aujourd’hui, c’était la menace d’exécution qui pesait sur les époux Rosenberg aux Etats-Unis.

Accusés d’espionnage au profit de l’URSS, Julius et Ethel Rosenberg, des sympathisants communistes, avaient été condamnés à mort, par électrocution, en 1951. C’tait en pleine période du Maccarthysme, cette terrible chasse aux sorcières qui, sous la houlette du sénateur Mac Carthy s’était attaqué à de nombreux intellectuels, artistes, hommes politiques, journalistes etc., en les taxant – souvent à tort d’ailleurs – d’être communistes. À noter qu’en 1954, le sénat désavoue Mac Carthy.

Julius était accusé d’avoir transmis à l’URSS des informations accompagnées de dessins, sur la fabrication de la bombe atomique. C’tait le frère d’Ethel qui, sous la pression des Services secrets (ou de la CIA), avait lancé cette «dénonciation» mensongère. Plus tard, des experts en la matière ont déclaré que ces «informations» et ces «dessins» n’auraient jamais pu aboutir à la fabrication de la bombe. Aujourd’hui on a renoncé à l’accusation qui a conduit les époux Rosenberg à la mort et on l’a transformée en «espionnage économique», ce qui est toujours un pur mensonge.

Julius Rosenberg a toujours proclamé son innocence, ainsi qu’Ethel, qui avait été accusée d’avoir tapé à la machine les « informations » incriminées. En prison, on lui a proposé à maintes reprises d’annuler sa condamnation à mort en échange de ses aveux, ce qu’elle a toujours refusé.

Le sort tragique des époux Rosenberg a suscité une très vive émotion dans le monde entier. D’innombrables pétitions ont été signées et d’éminentes personnalités, tels la reine d’Angleterre et le Pape, sont intervenues auprès du président des Etats-Unis, le maréchal Eisenhower, qui est demeuré inflexible. Zen Algérie, la campagne de protestation, impulsée par le PCA, a été également très importante.

La force de cette protestation mondiale et, assurément l’action inlassable des avocats des époux Rosenberg ont permis l’introduction de multiples recours judiciaires, lesquels ont repoussé les exécutions jusqu’en 1953. À ce moment là, nous avons affiché, sur la façade du journal, des photos géantes de Julius et Ethel. Et nus avons été chargés, à l’équipe de jour, de recueillir dans le hall, quelques une des déclarations des nombreux hommes et femmes qui s’y pressaient.

Dans la nuit du 19 juin 1953, je nous revois tous rassemblés devant le téléscripteur (l’appareil qui, à l’époque, nous transmettait des informations), espérant malgré tout une ultime suspension de l’exécution d’Ethel, Julius ayant déjà été exécuté, et apprenant ensuite, dans l’angoisse et la douleur, l’annonce de la fatale nouvelle.

Pendant sa détention, Ethel Rosenberg a longuement correspondu avec ses deux fils, leur adressant en particulier des poèmes. Après sa mort, ces lettres et ces poèmes ont été rassemblés dans un livre. Et Jean Ferrat s’en est inspiré dans un de ses chants les plus beaux intitulé « Si nous mourons ».

Ethel écrivait :

Vous apprendrez un jour mes fils

Vous apprendrez pourquoi nous reposons sous terre

Le livre à moitié lu le chant interrompu

Et la besogne inachevée

Ne pleurez plus mes fils

Mes fils ne pleurez plus

Le monde entier saura

Le pourquoi du mensonge et de la calomnie

Le monde entier saura nos pleurs et notre peine

Joyeux et vert mes fils

Mes fils joyeux et vert

Sera le monde au-dessus de nos tombes

Les tueries cesseront la terre fleurira

Dans la paix fraternelle

Travaillez construisez mes fils

Un monument à l’amour à la joie

À la valeur humaine

Et à la foi que nous avons gardée

Pour vous mes fils

Mes fils pour vous.

Je me souviens aussi, en avril 1952, le Parti organisa une manifestation sur la petite place en face de la prison Serkadji (Barberousse alors), dans la Haute Casbah, pour saluer et soutenir les détenus nationalistes de l’OS (l’Organisation spéciale) au moment où dans leurs fourgons, ils réintégraient la prison, au retour du Palais de justice. À «Alger républicain», nous fûmes nombreux à aller y participer. La police accourut aussitôt, arrêtant de nombreux militants et se jetant sur les enfants qui avaient envahi la place. Je me lançai alors en hurlant pour protéger les gosses et arrêtée, je fus «jetée» (sic) dans le commissariat.

Le lendemain, rue d’Isly, (aujourd’hui rue Ben M’hidi) une femme voilée en haïk blanc, m’arrêta et m’embrassa, m’expliquant qu’elle m’avait vue la veille sur la place, du haut de son balcon, et qu’elle m’avait reconnue car je portais en effet la même «veste rouge». Kateb Yacine qui avait participé à cette manifestation, écrivit ensuite un poème, «Le fourgon cellulaire» , (voir annexe I).

Le 14 juillet 1955, deux mois donc avant son interdiction, «Alger républicain» eut la géniale idée de publier intégralement le texte de «La Marseillaise», l’hymne national français, dont certaines des strophes collaient parfaitement à la lutte du peuple algérien pour son indépendance. En ripostant ainsi à la répression forcenée du gouvernement général et de l’administration coloniale, ce numéro du journal nous plongea tous dans la joie et l’enthousiasme et nous récompensa des efforts fournis et des graves problèmes qui étaient notre lot quotidien.

Je voudrais m’attarder sur l’un de mes camarades Abdelkader Choukhal, le benjamin de l’équipe de jour qui, rêvant de devenir un véritable journaliste, travaillait d’arrache-pied, apprenant le métier «sur le tas». Chaque jour il visitait les commissariats d’Alger, pour recueillir les faits divers intéressants. Il avait su même établir des contacts avec un jeune rédacteur du «Journal d’Alger», un quotidien algérois, dont les locaux se trouvaient près des nôtres, qui lui passait de temps en temps des informations qui auraient pu nous échapper.

Il rédigeait ensuite des «papiers» et me les apportait pour que je corrige ses fautes et lui apprenne une meilleure manière de présenter ses informations. Il absorbait ces corrections avec la volonté évidente de s’améliorer. Très vite donc, il fit des progrès remarquables.


Mais Abdelkader Choukhal n’a pas pu poursuivre son travail de journaliste. Il a été abattu, selon Mohamed Téguia, fin 1956 dans les maquis de Palestro qu’il avait rejoints pour poursuivre, durant la guerre, le combat qu’il avait mené à «Alger républicain» contre l’Etat colonial.

Bien plus que tout autre, le sort tragique de Choukhal m’a fortement tourmentée. Après l’interdiction du journal, en septembre 1955, il vint en effet me trouver pour e demander ce qu’il devait faire: pouvait-il partir en France comme le lui proposait un cousin installé à Lyon?

Que pouvais-je, que devais-je lui répondre?

J’étais certes fortement émue par la confiance qu’l me manifestait ainsi, mais ma réponse pouvait–elle être en contradiction avec mes convictions profondes? J’ai commencé par lui dire qu’il devait prendre sa décision après avoir mûrement réfléchi. Je ne me souviens pas des termes exacts que j’employai ensuite, mais ils peuvent se résumer ainsi : «C’est ici en Algérie que se joue l’avenir du pays. La guerre sera dure, elle nécessite la mobilisation de tous les patriotes».

Ai-je eu raison de lui parler ainsi ?

Je ne sais plus pourquoi c’est moi qui ai reçu, par téléphone, dans mon bureau, l’annonce de la terrible nouvelle.

Notre camarade Justrtabo, maire de Sidi-Bel-Abbès, m’apprit ainsi qu’il avait été destitué de sa fonction, que le Parti était dissous, ainsi que plusieurs associations, dont l’Union des femmes, et qu’ «Alger républicain» était certainement menacé.

Henri Alleg se trouvant alors absent, je courus en informer Jacques Salort qui travaillait encore dans son bureau.

Il était très tard. L’angoisse au cœur, nous avons attendu la sentence. Elle ne tarda pas à se manifester; un commissaire de police, flanqué d’inspecteurs et de policiers, se mit à crier et à tambouriner sur la grille clôturant les escaliers qui descendaient à l’imprimerie, et que nous tenions toujours bouclée.

Furieux, Jacques Salort protesta avec force contre une telle intrusion. Mais finalement la grille dut être ouverte et l’escouade se répandit dans les bureaux. Puis sans ménagement, nous fûmes tous mis à la porte.

Abattue, je regagnai, non loin de là, mon logis. Il était deux heures du matin quand je pénétrai chez moi, pour y trouver, sous l’œil impavide et narquois de mon époux, Robert Manaranche, des policiers qui perquisitionnaient notre logement.

Ainsi prit fin La grande aventure d’ « Alger républicain ».

Table des Matières


CLANDESTINE

PENDANT LA GUERRE

DE LIBÉRATION NATIONALE


1er novembre 1954 : premier jour d’une guerre qui, allait, après presque 6 ans, de terribles souffrances et d’horreurs, mettre fin à 132 ans d’un régime colonial d’une férocité sans pareil.

Le Parti Communiste Algérien (le PCA) a été dissous le 20 septembre 1955 et ses dirigeants sont entrés aussitôt en clandestinité. Bachir Hadj Ali y avait été contraint auparavant car il avait été condamné pour «atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat», selon la formule consacrée utilisée par les tribunaux colonialistes et risquait donc d’être emprisonné.

Le Parti s’était bien évidemment préparé à cette éventualité en dissimulant le matériel destiné à l’impression de notre journal « Liberté », de documents et de tracts.

Bien avant les Accords FLN-PCA, qui n’interviendront qu’en 1956, des militants des Aurès, parmi lesquels Guerrouf, un paysan, et Lamrani, un avocat, bâtonnier de Batna, tous deux membres du Comité central, auxquels s’était joint Georges Raffini, secrétaire administratif du Parti, qui avait combattu aux côtés des républicains durant la Guerre d’Espagne, étaient montés au maquis sur leur propre initiative, mais avec l’accord du Parti. Ils rejoignaient ainsi les nombreux paysans communistes des Aurès qui combattaient déjà dans l’ALN.

N’ayant pas réussi, en dépit de multiples tentatives, à obtenir du FLN l’incorporation des communistes dans les katibate de l’ALN, le Parti se résigna, en juin 1955, à organiser ses propres groupes armés, les « Combattants de la Libération » CDL) dont la direction était composée de Bachir Hadj Ali, Sadek Hadjerès, et Jacques Salort.

Ces réunions se déroulaient chez un camarade, un cheminot européen, dont le logement se situait à Hussein-Dey, derrière l’hôpital Parnet.


I


L’histoire retiendra les noms de ces camarades héroïques qui, en CDL convaincus, se lancèrent dans des actions armées : Fernand Iveton, condamné à mort, puis exécuté, Jacqueline et Djilali Guerroudj, qui furent tous deux condamnés à mort, puis à un emprisonnement à vie, Yahia Briki, condamné à perpétuité, Raymonde Peschard abattue dans le maquis, la fille de Jcqueline Guerroudj, Djamila Amrane, Pierre Guenassia, tombé au maquis. Est-il vrai que la rue qui portait son nom à Ténès a été débaptisée? S’il en était ainsi, que dire de ces responsables municipaux qui ont préféré modifier le nom de cette rue plutôt que d’admettre que Pierre pouvait être à la fois un moudjahid mort pour la libération de sa patrie et un Juif communiste?

L’histoire retiendra surtout le nom d’Henri Maillot, cet ancien militant de l’administration d’ «Alger républicain».

Aussitôt qu’il avait été rappelé, pour trois mois, dans l’armée française en tant qu’aspirant de réserve, il en avait informé le Parti et s’était déclaré prêt à agir en conséquence. L’occasion s’en était présentée bientôt : il avait en effet été chargé d’acheminer à Alger un camion chargé d’armes.

Aussitôt avertis, Bachir hadj Ali et Sadek Hadjerès avaient organisé minutieusement la mise en place du piège dans lequel devait tomber le camion. Comme prévu, il avait été alors subtilisé, dans la forêt de Baïnem, par les combattants de la libération, entre autres Jean Farrugia, jean Clément, Joseph Grau.

À l’exception des armes conservées pour le «maquis rouge» et les actions des CDL, la totalité des autres avaient été transmise au FLN, le camion où elles avaient été chargées traversant Alger et Blida en plein jour au nez et à la barbe des soldats et des gendarmes, grâce au courage et au sang-froid de nos camarades, dont Odet Voirin, militant communiste de Blida.

Et la rencontre FLN-PCA tant souhaitée par le Parti avait pu enfin avoir lieu en mai 1956. Les pourparlers s’étaient prolongés durant les mois de mai et juin et c’est le 1er juillet qu’avaient été signés les célèbres Accords-FLN-PCA, avec les signatures de Bachir Hadj Ali et Sadek Hadjerès pour le PCA, d’Abane Ramdane et Benyoucef Benkheda [[Ce dernier refusa par la suite d’attester que Bachir Hadj Ali avait participé à la Guerre d’indépendance. Bachir est ainsi mort sans avoir pu obtenir cette reconnaissance. ]]pour le FLN.

En sortant de la première de ces réunions, Bachir nous avait raconté qu’au début cela s’était mal passé, Abane Ramdane ayant brandi la carte du Parti, selon Bachir (la carte d’identité, selon Mohamed Teguia) d’Abdelkader Choukhal, nous accusant de vouloir noyauter l’ALN. Et Bachir avait protesté avec véhémence, puis le calme s’était rétabli.

Les Combattants de la libération avaient été alors acceptés individuellement dans les maquis de l’ALN.

La suite est connue: Henri Maillot a été exécuté, ainsi que les paysans communistes qui l’accompagnaient, par l’armée française dans le «Maquis rouge», dans l’Orléansvillois.

Contrairement à certaines critiques, la région avait été bien choisie : l’ALN ne s’y était pas encore implantée d’une part et, d’autre part, les paysans communistes y étaient nombreux en raison des actions d’entraide et de soutien menées par le parti et diverses associations, dont l’Union des femmes, après le séisme qui s’était abattu sur la région de Chlef (Orléansville à l’époque) en septembre 1954.

Chaque année, le 6 juin, les camarades d’Henri Maillot, auxquels se joignent nombre de patriotes, commémorent dans le cimetière de Madania (Clos Salembier), la mémoire de ce héros authentique.


II


Au cours de l’été 1956, je fus chargée d’assurer une liaison avec notre réseau d’Oran, ce que je fis par l’intermédiaire de deux de mes sœurs, Paulette et Aline Larribère, qui y militaient activement.

Peu après, le réseau d’Oran fut démantelé et mes deux sœurs furent arrêtées, ainsi que nombre de nos camarades.

Aussitôt alertée par mon père, je me réfugiai chez une amie française, en attendant de savoir, par leurs avocats, si mon nom et le but de ma visite à Oran avaient été signalés, mais mes sœurs demeurèrent muettes.

Sur le point de revenir à l’air libre, j’appris alors par Robert Manaranche que la police était venue m’arrêter à notre domicile pour m’expulser en France.

Elle avait procédé de cette façon à l’encontre d’un certain nombre de militantes communistes connues, les empêchant ainsi de participer aux activités clandestines du Parti. C’est à ce moment-là que Baya Allaouchiche fut exilée à Marseille.

Après avoir ainsi échappé miraculeusement à cette expulsion, j’entrai alors définitivement en clandestinité.

Je suis incapable aujourd’hui de retracer dans le détail le déroulement des jours, et même des quelques semaines qui suivirent. Il semble s’être effacé définitivement de ma mémoire.

Pourquoi ?

Certes je savais que tôt ou tard, je serai contrainte de changer de vie. Je m’y étais préparée mentalement. Mais le jour dit, quand je quittai la maison, ce 4 septembre 1956, bouleversée et angoissée, j’avais le sentiment de plonger dans l’inconnu.

Que se passerait-il pour mes deux enfants, Pierre (10 ans) et Jean (4 ans) ? Quand je m’étais rendue à Oran au début juillet, j’avais demandé à mes parents de prendre les enfants en charge si Robert et moi étions arrêtés. En octobre, j’avais déjà plongé dans la clandestinité. Après les vacances d’été, Jean était donc resté à Oran et Pierre avait rejoint son père à Alger. Et le soir même j’avais repris le train pour Alger, tourmentée.

Les reverrai-je ? Quand les reverrai-je ?

Pendant un certain temps, j’ai pu correspondre avec eux par l’intermédiaire d’une amie à Oran. J’avais même reçu une photo d’eux, attristés devant un arbre de Noël et j’en avais été bouleversée. Mais après quelques temps, cette correspondance prit fin et je n’eus plus de nouvelles d’eux.

Mais mon père continua à écrire à Jean, sous ma signature, et ce dernier crut qu’il me répondait. Mais un jour, cherchant un livre dans la bibliothèque, il tomba sur le lot de ses lettres que mon père avait conservées pour me les faire lire à mon retour. Et à midi, il annonça froidement à ma sœur Paulette (étudiante en médecine mais qui se trouvait à Oran après la grève des étudiants en mai 1956) qu’il savait que j’étais morte. Ma sœur protesta avec force et lui expliqua ce qui m’était arrivé.

À Alger, m’étant rendue chez une camarade, peu après mon entrée en clandestinité, je me mis au balcon en attendant qu’elle soit libre. Je m’aperçus alors qu’au-delà de bâtiments assez bas, je pouvais voir « ma » rue, l’ancienne rue Négrier, parallèle à la rue Ben M’hidi, et la façade de mon appartement. Et soudain, je vis mon fils Pierre sur l’un des balcons, celui de la chambre ou celui de la cuisine, qui vérifiait si ses camarades étaient là, devant l’école mitoyenne, à l’heure de la rentrée en classe de l’après-midi.

En 1957, Robert Manaranche avait été arrêté. Relâché trois ans plus tard, il avait été expulsé en France. Pierre l’avait rejoint alors, Jean étant resté à Oran. Quand les menaces de l’OAS s’étaient faites plus directes, ce dernier avait rejoint son père à Paris.

Il est inutile de souligner combien cette séparation fut douloureuse durant ces huit années. Pour eux et pour moi.

Que dire d’autre ? C’est cette angoisse incessante dans cette nouvelle vie, qui balaya peut-être de ma mémoire certains des événements qui suivirent. Je devais faire le vide dans ma tête, à l’heure où toute mon attention devait se concentrer sur les moindres de mes faits et gestes.

De cette période, ma mémoire n’a conservé que quelques flashes décousus.

Je nous revois ainsi, Bachir, Sadek, Jacques Salort et moi, errant dans la nuit en voiture à la recherche d’un gîte sûr, pour nous retrouver finalement chez une camarade de Bab el Oued, Lucette Puisservert, une institutrice (à la retraite?), qui nous accueillit chaleureusement.

Je me revois aussi (étais-je seule?) tombant sur un déploiement de forces policières qui rassemblaient et entraînaient brutalement tout un groupe d’Algériens, vers quel lieu de supplice?

Je me revois encore traversant le cimetière européen de Saint-Eugène pour déjouer d’éventuels poursuivants et me heurtant, à la sortie, à un groupe de policiers manifestement aux aguets.

Je reconnus aussitôt le commissaire qui les conduisait: il était celui qui sévissait dans mon quartier. Le cœur battant, je m’empressai de m’éloigner pour aller déambuler dans un autre quartier, avant de regagner ma «planque».

En février 1956, j’étais alors libre encore, je tombai par hasard un matin en revenant chez moi, sur une foule d’Européens qui s’était rassemblée place Laferrière face à la Grande Poste et qui manifestait une hostilité forcenée à l’encontre du Premier ministre français, Guy Mollet, jetant sur son escorte des quantités de projectiles divers. Je m’étais éloignée aussitôt.

Guy Mollet avait été élu avec une majorité de gauche. Et il avait fait voter les « pleins pouvoirs » par l’Assemblée, en prévision peut-être de rechercher une solution pacifique en Algérie. Les députés communistes français avaient voté favorablement ainsi que les députés communistes français d’Algérie, dont Alice Sportisse. Il m’avait été difficile alors à l’époque de juger du bien-fondé ou du mal-fondé des positions du PCF. Mais il était évident que les députés communistes d’Algérie avaient eu tort de toutes façons, de suivre l’exemple de leurs camarades français.

Après la manifestation d’Alger, Guy Mollet était reparti, ayant cédé ainsi aux sollicitations d’une population européenne en accord avec les ultras colonialistes partisans d’une «Algérie française».


III


Notre situation finit cependant par se stabiliser grâce à un chrétien progressiste, Pierre Mathieu, chez lequel Bachir avait souvent trouvé refuge, et qui m’accueillit chaleureusement à mon tour.

En tant que chrétien partisan d’une Algérie indépendante, Pierre Mathieu était en relation avec l’abbé Moreau et les prêtres de la Mission de France qui géraient l’église d’Hussein-Dey et qui avaient les mêmes positions.

Ce sont eux qui, dans le courant de1956 avaient accueilli Bachir, sur l’intervention du cardinal Duval.

Là, Bachir s’était lié d’amitié avec l’abbé Moreau qui lui avait demandé de s’occuper de la bibliothèque du presbytère, ce qu’il avait fait avec bonheur, en y incorporant, avec l’accord de l’abbé, quelques ouvrages marxistes.

Mais cet arrangement n’avait pu se prolonger longtemps. En effet, l’abbé Moreau ayant refusé d’augmenter le salaire d’un des bedeaux européens qui s’occupaient de l’église, ce dernier, furieux, avait menacé l’abbé de dénoncer «l’Arabe» qui logeait dans une chambre sur la terrasse.

Aussitôt, la décision avait été prise: après avoir remis ses archives aus Sœurs blanches, qui logeaient en face du presbytère, Bachir avait été transporté, sur une moto conduite par un prêtre, chez Pierre Mathieu, où avait déjà séjourné Henri Maillot, après son fait d’armes.

Le lendemain de cette fuite précipitée, au petit matin, la police avait fait irruption au presbytère et était montée directement à la terrasse, en vain bien évidemment.

Bachir évoquait souvent devant moi cet épisode de sa vie clandestine, regrettant amèrement de ne pas avoir pu, à l’indépendance, rencontrer l’abbé Moreau (qui avait été contraint de repartir en France dans des conditions que j’ai oubliées) et qu’il admirait énormément. Et toute sa reconnaissance allait au cardinal Duval qui avait sauvegardé sa sécurité.

Pierre Mathieu habitait dans un petit pavillon, assez vieux, dans le quartier de la vigie, après les Deux Moulins, en contrebas de l’avenue qui menait à la Pointe Pescade (Raïs Hamidou aujourd’hui), en bordure de mer. Ce pavillon a aujourd’hui disparu, ainsi que ceux au-dessous, qui descendaient jusqu’à la plage.

C’est là que Pierre nous a hébergés jusqu’en 1960.

Bachir y était, bien entendu, inexistant aux yeux des voisins Quand on sonnait à la pote, il allait s’enfermer dans une armoire vide, rendue «habitable» en raison des trous que nous y avions creusés.

Quant à moi, j’étais évidemment présente en tant qu’ «amie» de Pierre. Il m’avait présentée à ses voisins les plus proches, qui étaient les propriétaires de son logement et avec lesquels il entretenait des rapports cordiaux mais distants.

Un soir, ils nous avaient invités à dîner pour nous faire admirer leur télévision, parmi les premières parvenues sur le marché algérien. Je me souviens encore de la difficulté que j’avais eue à manger au cours de ce repas insolite.

Bien évidemment nous devions faire preuve d’une vigilance sans faille. Bachir ne sortait d la maison que pour se rendre à Alger pour des rendez-vous peu fréquents. Quant à moi, je me rendais chez les commerçants pour les achats nécessaires. Un jour, alors que je me trouvais à la boucherie, une troupe de parachutistes passa sur le trottoir d’en face. Jetant aussitôt un œil sur le boucher, un Algérien, je constatai qu’il dardait sur eux un regard chargé de haine. Il était impossible de lui faire savoir combien mes sentiments étaient semblables aux siens et j’en étais bouleversée. La boucherie fut fermée quelque temps après. Qu’était-il advenu de son propriétaire?

Je me rendais chez une coiffeuse du quartier pour me faire teindre les cheveux. Un jour, alors qu’elle venait de me placer sous un casque, je vis entrer une de mes anciennes camarades de l’Union des femmes. Aussitôt je me levai et déclarai à la coiffeuse, médusée, que, trop fatiguée, je ne pouvais rester et je partis sans avoir regardé cette ancienne camarade dont j’ignorais les positions politiques alors. Nous décidâmes que, durant un mois, je ne mettrais plus les pieds à l’extérieur.

Après une autre de mes « mésaventures », la même décision fut prise. C’était le ramadhan et, revenant d’Alger en fin d’après-midi, je pris un taxi (ce que je ne faisais jamais) pour rentrer avant le ftour. Le chauffeur de taxi était Algérien et à un moment donné, il s’arrêta et me demanda de descendre car, pensait-il, il était suivi par une voiture de la police des mœurs. Ayant constaté que la voiture de police avait poursuivi sa route, je repartis donc à pied, assez loin de notre planque. Et je pris ensuite le petit chemin de terre qui y conduisait directement. Arrivée à proximité de la maison, je pris l’escalier qui menait à l’avenue au-dessus et constatai que la voiture de police était stationnée juste en face. Là encore, aucune suite fâcheuse ne se produisit.

Certes, ces « incidents» nous angoissaient, essentiellement moi d’ailleurs et j’en perdais le sommeil. Mais qu’étaient-ils par rapport à ceux qu’affrontaient jour après jour les combattants de l’ALN dans les maquis, ou les fedayin dans les villes? Et qu’en était-il de ces héroïnes qui, à la barbe des parachutistes de Massu, transportaient des bombes et allaient les déposer dans les bars et cafés d’Alger? Toute ma pensée et mon admiration allaient et vont toujours à elles.


IV


Les jours passaient et la guerre se faisait de plus en plus meurtrière. Sous le commandement du général Massu, au début de 1957, les paras à bérets rouges ou verts (ces dernier les plus cruels me disais-je) se livraient à une répression forcenée multipliant les arrestations et les morts, au cours de cette «Bataille d’Alger» dont les actions «triomphantes», largement répandues par les journaux, nous atteignaient de plein fouet.

J’étais, pour ma part entièrement convaincue que notre vie clandestine – si bien protégée fût-elle par notre vigilance – ne pourrait se poursuivre bien longtemps encore. Et comme mes camarades, je m’y étais préparée sans cesse.

Bachir était intransigeant sur les mesures à prendre pour sauvegarder notre sécurité. Il les avait mises au point en particulier pour nos rencontres. Ainsi quand Sadek venait à La Vigie pour une réunion de travail, j’étais chargée d’étendre à l’extérieur une serviette de toilette rouge qu’il pouvait voir de loin. Quand elle n’y était pas, il devait repartir aussitôt.

Parfois, Bachir laissait tomber cette intransigeance et devenait imprudent. Par un beau dimanche d’été, il suggéra ainsi que nous allions nous baigner sur la plage en contrebas. Pierre Mathieu se joignit à lui pour lever mes réticences et nous descendîmes. Il y avait un monde fou sur la plage et cette baignade fut pour moi un véritable cauchemar, alors que Pierre et Bachir s’en donnaient à cœur joie.

Certes, contrairement à mes prévisions, notre vie clandestine se poursuivra jusqu’à l’indépendance. Mais à différentes occasions, nous avons échappé de justesse à des arrestations.

Un matin, en me levant, j’allai à la fenêtre et constatai (horreur !) qu’une multitude de paras aux bérets verts emplissaient la cour au-dessous. J’allai aussitôt réveiller Bachir qui s’attela immédiatement à déchirer quelques textes dans les toilettes pendant que moi j’empilai quelques vêtements dans un cabas.

On frappa à la porte. Nous nous immobilisâmes dans l’attente d’un probable assaut. Mais rien ne se produisit.

Après un long moment je constatai à la fenêtre qu la cour du dessous était vide. Les bérets verts étaient partis. Pierre Mathieu nous expliquera par la suite que les paras avaient été chargés de recenser tous les résidents dans cet amas de bungalows où nous logions.

Après avoir attendu quelques instants, nous constatâmes qu’aucun bruit suspect ne nous parvenait de l’extérieur, nous sommes sortis et avons monté l’escalier pour atteindre le boulevard au-dessus. Comme il le faisait chaque fois qu’il se rendait en ville, Bachir avait coiffé le feutre noir qui lui donnait l’allure d’un Sud-Américain. En apparence décontractés, nous nous sommes engagés sur la descente, en croisant sur le trottoir une escouade de bérets verts, de retour sans doute d’un nouveau recensement de résidents.

A l’entrée de Raïs Hamidou, nous nous sommes engagés, sur la droite, dans un couloir qui longeait la baie et sur lequel s’ouvraient des studios. C’est là que vivaient, dans la clandestinité, mon oncle Camlille Larribère et Sadek Hadjerès. Nous avions décidé de nous réfugier chez eux en attendant des cartes d’identité que le Parti communiste de la RDA (l’Allemagne de l’Est) s’était chargé de nous confectionner.

Mon oncle, désireux d’apporter sa contribution à la guerre d’indépendance, avait, quelques mois plus tôt, abandonné son cabinet de médecin généraliste à Sig et plongé dans la clandestinité.

Militant communiste acharné, d’abord au sein du PCF, puis du PCA, il fut pour la direction clandestine du Parti une aide précieuse. Plus tard, nous le mîmes quelque peu à l’écart en raison de certaines de ses initiatives qu’il refusait de reconnaître comme dangereuses. Quand Alger devint la capitale de la « France Libre », il avait été sollicité par les autorités d’alors (sous la direction du général Giraud), pour accomplir une mission secrète en France occupée, dont j’ignore les objectifs. Pour se faire mon oncle avait reçu une carte d’identité, fausse bien entendu, mais dont les données étaient réelles.

C’est cette carte qui nous sauva. Un dimanche matin en effet, alors que nous nous préparions à nous mettre à table, je fus alertée par le bruit répété de coups frappés aux portes des studios voisins. Angoissée, mais prudente, je renonçai à sortir pour comprendre ce qui se passait et je rejoignis Bachir et Sadek dans la cuisine.

Peu après on frappa à la porte. Trois gendarmes entrèrent pour recenser les habitants du studio. Ils ne se déplacèrent pas dans la pièce qui s’ouvrait directement sur la cuisine, car Camille leur présenta immédiatement sa carte d’identité et, l’examinant, l’un des gendarmes se mit à rire en disant qu’il était issu du village mentionné sur la carte. Aussitôt, l’atmosphère se détendit. Camille fit asseoir les gendarmes et leur offrit l’apéritif tout en entretenant avec eux une conversation animée.

Et nous que faisions-nous dans la cuisine? Nous étions immobilisés, respirant à peine. Sadek continuait à essuyer un verre, mais Bachir lui fit signe d’’arrêter. Et moi, j’avais fermé les yeux et je m’étais bouché les oreilles, en attendant ce qui devait suivre.

Mais encore une fois, rien ne se produisit. Camille raccompagna les gendarmes à la porte et se mit aussitôt à sauter de joie. Quant à nous, nous respirâmes enfin un bon coup et soulagés, nous nous assîmes à notre tour, devant un apéritif bien mérité.

Quelques temps après, ayant reçu nos nouvelles cartes d’identité, nous regagnâmes notre planque à la Vigie.


V


Hormis les moments difficiles, tel celui que je viens d’évoquer, et hors du stress qui ne nous quittait jamais, surtout moi, chacun de nous avait des tâches bien définies.

Bachir Hadj Ali, aidé par Sadek Hadjerès, assurait la direction du Parti. Au cours de leurs réunions, auxquelles j’assistais, ils prenaient les décisions nécessaires et ils décidaient de textes importants destinés au FLN surtout et la rédaction et le contrôle de divers autres textes : tracts que nous envoyions sous enveloppes timbrées aux innombrables adresses que nous avions recueillies, articles dans notre journal, «El Hourya» qui paraissait régulièrement, ainsi que «Réalités algériennes et marxisme» qui était édité à l’extérieur. Et ils prenaient contact avec certains de nos camarades qui avaient été libérés.

Quant à moi, après avoir tapé ces textes, j’étais chargée, comme agent de liaison du Parti, de coder la correspondance que nous entretenions avec notre Délégation extérieure, que dirigeait le secrétaire du Parti, Larbi Bouhali, et qui contactait les Partis communistes et les Démocraties populaires pour solliciter leur soutien plein et entier à la cause algérienne.

D’autre part, cette correspondance était destinée au Parti communiste français qui nous apportait une aide précieuse sur le plan financier, qui avait organisé l’évasion d’Henri Alleg et de Boualem Khalfa et qui aidait matériellement nos camarades une fois libérés en France ou mis en résidence surveillée. Le camarade français qui décodait nos lettres et nous répondait… émotion que nous nous sommes rencontrés en septembre 1962, à la Fête de l’Humanité.

J’étais chargée aussi de tenir chaque jour les comptes de notre budget dans le but d’en informer le Parti plus tard, quand nous serions redevenus libres.

Hors les courses que j’étais la seule à pouvoir effectuer dans le quartier, je me rendais souvent à Raïs Hamidou pour transmettre à Sadek des textes auxquels il devait contribuer ou les informations dont il avait besoin.

Pour ce faire, en descendant de la Vigie, je passais devant le Casino de la Corniche et les paras qui l’occupaient depuis qu’une bombe y avait explosé au cours d’une soirée. Sur l’heure, le Casino était devenu un centre de tortures et de mort et la mer rejetait souvent les cadavres des moudjahidine qui y avaient été précipités, certains encore vivants.

En dépit du stress qui me tenaillait alors, j’aimais beaucoup me rendre là en raison des souvenirs qui s’y rattachaient. Etudiante, j’y avais passé une journée merveilleuse avec mes camarades, dans une villa qui existe encore aujourd’hui et devant laquelle je passe avec émotion pour me rendre à Baïnem, chez mon amie Fatma Téguia.

Plus tard, j’y étais venue parfois avec Robert Manaranche, me baigner dans son petit port, aujourd’hui fortement dégradé.

Une fois les stencils tapés, il fallait qu’ils soient ronéotés. Dans un premier temps, je prenais le bus aux Deux Moulins, sous les yeux des « territoriaux » (ces Européens mobilisés à tour de rôle pour contrôler les habitants et les passants du quartier), les stencils dissimulés sous des légumes dans un panier, et j’allais les porter au centre d’Alger, chez un couple d’architectes français qui les tirait.

Leur aide nous a toujours été précieuse ; à tour de rôle, en effet, Bachir, Sadek, Elyette et moi, nous avons passé une quinzaine de jours, durant l’été 1960 ou 1961, dans leur maison sur la plage d’Aïn Taya. Je n’oublierai jamais ces quelques jours de paix, qui nous ont permis, en pleine guerre, quelque répit.

Par la suite, nous avons pu nous-mêmes tirer nos stencils sur une ronéo qu’ils nous avaient donnée.

À ce moment-là, notre cercle s’était élargi: des camarades qui étaient redevenus libres, ont accepté des tâches précises. Trois d’entre eux nous ont rejoints dans la clandestinité: Christian Buono, le beau-frère de Maurice Audin, Lucien Hanoun et Elyette Loup. Ils vivaient dans un studio rue Abbé de l’Epée, à l’arrière de l’Université d’Alger. Quand je leur apportai les stencils qu’ils devaient tirer, ils pouvaient contrôles si j’étais suivie, car ils me voyaient arriver sous leurs fenêtres par des escaliers à l’arrière de l’immeuble.

Un mot sur Elyette Loup :

Avec un sang froid hors du commun, elle avait à deux reprises échappé à son arrestation dans la clandestinité, alors qu’elle travaillait à la rédaction et à la diffusion du journal destiné aux soldats français du Contingent, «La Voix du soldat». Une première fois, tombée dans une «souricière» établie par les paras chez une camarade qu’elle était chargée de contacter, elle avait à les convaincre qu’elle était «hors course». Ensuite, rentrant un soir dans sa planque, elle avait senti devant sa porte une odeur de cigarette. Or aucun des camarades avec lesquels elle travaillait ne fumait. Elle avait déguerpi. Mais elle avait finalement été arrêtée par hasard par un des paras qu’elle avait bernés et qui passait dans un camion devant l’arrêt de bus où elle attendait. Elle avait été torturée sauvagement dans la sinistre villa Susini, sans jamais dire un seul mot et sans même révéler son identité. Elle m’a raconté récemment qu’au moment où l’un de ses tortionnaires l’avait transportée à l’infirmerie après les séances de tortures, elle lui avait dit: «Vous êtes un beau garçon, mais vous êtes méchant». «Mais figure-toi» , a-t-elle ajouté en riant, «il a rougi!».

Condamnée à trois ans de prison, elle avait été transférée en France comme nombre de militantes et militants jugés. Puis elle avait été relâchée et assignée à résidence. Elle avait aussitôt demandé à revenir en Algérie pour y poursuivre, dans la clandestinité, son combat pour l’indépendance. Lucien Hanoun en avait fait autant. Et tous deux avaient retraversé la Méditerranée, avec l’aide des communistes français.

Après tant d’années, je demeure toujours émerveillée devant une telle détermination. Après avoir frôlé la mort et enduré tant de souffrances, aurais-je eu, moi aussi, le courage de me replonger dan l’enfer d’Alger?

Quand j’avais regagné Alger en juillet 1945, j’avais fait connaissance de sa mère, Madame Loup, qui avait recueilli chez elle certains des députés communistes français qui avaient été déportés et internés dans le Sud algérien par le pouvoir de Vichy. Propriétaire de 50 hectares dans la région de Birtouta, dans le Mitidja, elle était haïe par les colons des environs car elle payait honnêtement les ouvriers agricoles qui travaillaient sur ses terres et leur avait construit de véritables habitations en dur qui contrastaient avec les infâmes gourbis environnants. Atteinte d’un cancer, elle était morte rapidement et elle avait été enterrée dans le cimetière musulman situé à proximité.


VI


À partir de 1958, la situation devint de plus en plus angoissante. Une grande partie de la population européenne, subjuguée par les ultras, manifestait de plus en plus violemment sa totale hostilité à un règlement pacifique du drame algérien.

Les «ratonnades», ces atrocités commises par des racistes forcenés, se multipliaient, semant la mort parmi les Algériens.

Le 13 mai, une foule immense se rassembla sur le Forum, devant les bâtiments du gouvernement général, qui furent envahis et pillés. Un Comité de salut public fut crée sous la direction du général Massu, avec l’appui du général Salan et de plusieurs partisans du général de Gaulle qui réclamaient son retour au pouvoir. Ce qui fut fait dans les semaines qui suivirent.

En 1960, nous avons donc quitté notre refuge chez Pierre Mathieu, à la Vigie, et nous nous sommes installés rue Lafayette, à l’angle du boulevard Mohamed V, dans un appartement mitoyen de celui du propriétaire, qui était le père du Procureur général d’Alger.

Au-dessus de nous, dans un appartement loué par des étudiants, nous entendions une ronéo qui tournait toute la nuit pour tirer vraisemblablement des tracts destinés à l’OAS. Depuis le début de l’année, la situation s’était de nouveau en effet dégradée. La déclaration du général de Gaulle qui, en septembre 1959, avait reconnu aux Algériens «le droit à l’autodétermination» et ses positions ultérieures pour une «Algérie algérienne» avaient ulcéré les partisans de «l’Algérie française» et une partie des officiers de l’armée. Sous la conduite du général Salan, certains d’entre eux s’étaient rebellés et avaient installé des barricades en plein centre d’Alger. Mais ils avaient finalement été réduits.

Installés rue Lafayette, nous correspondions avec Sadek Hadjerès, par des lettres postées en empruntant un vocabulaire économique.

Mais un jour, une de ses lettres ne nous est pas parvenue ; nous avons aussitôt quitté la rue Lafayette pour nous réfugier chez lui, au début de la rue de Lyon (rue Belouizdad aujourd’hui). Et le lendemain, le cœur battant, je suis retournée rue Lafayette pour déménager le reste de nos affaires et annuler notre location. Le propriétaire était aimable. Rien ne s’était donc produit.

Les deux dirigeants du parti risquant d’être arrêtés ensemble, nous avons alors, Bachir et moi, déménagé encore pour nous retrouver dans un immeuble du boulevard Bougara (qui abrite aujourd’hui la Caisse nationale de retraite). J’avais loué cet appartement, au 4ème étage, à sa propriétaire connue pour son appartenance à la bourgeoisie algérienne. C’est là que, bouleversés, nous avons entendu, soir après soir, les manifestations qui rassemblaient les habitants de Belcourt criant à pleins poumons: «Djazaïr djezaïria» «Algérie algérienne».

La pluie n’arrêtait pas de tomber. Et comme la pluie, les manifestations ne cessaient pas de se former et de s’amplifier, dans tous les quartiers périphériques d’Alger et au cœur historique de la cité, jour après jour.

C’est u cours de ces journées fantastiques, c’est au cœur même de la ville insurgée que certains des « Chants pour le onze décembre » de Bachir Hadj Ali ont vu le jour.

Ainsi « Pluie » :

« Il pleuvait sur la rue noire

Il pleuvait suer les voiles blancs

Il pleuvait sur les casernes sombres

Il pleuvait sur la mer grise

………………………

Autant de fois que la pluie

A cessé et décessé »

Et sans cesse, comme u chant d’allégresse, s’élevaient les youyous poussés par les femmes, portant haut le message de liberté et de victoire prochaine. La nuit, au cœur de la cité éveillée, ils retentissaient encore, parfois affaiblis par la distance ou étouffés par la pluie, exaspérants et menaçants pour l’ennemi auquel ils venaient rappeler que le peuple algérien était en matche et que rien ni personne ne pourrait désormais lui ravir son avenir de liberté.

C’est ainsi que bascula l’histoire, en ces jours de décembre 1960.

Comment décrire la joie immense, l’enthousiasme qui nous ont saisis avec l’Algérie toute entière, au moment où le gouvernement français entamait enfin des pourparlers avec le FLN et que se profilaient la fin d’une guerre abominable et notre indépendance!

Après le 19 mars et l’amnistie qui s’’en était suivie, j’étais enfin libérée du stress qui me tenaillait depuis tant d’années.

Certes, en reconnaissant l’indépendance de l’Algérie, l’armée française avait mis fin aux combats et à la répression sanglante qu’elle avait déchaînés contre notre peuple. Mais l’OAS s’était développée considérablement et multipliait les assassinats, les «ratonnades», comme elle les appelait alors.

Mon fils Jean m’a raconté plus tard, que se rendant à l’école à Oran, il devait chaque jour, enjamber ou contourner des ruisseaux de sang. À Alger, on ne rencontrait plus guère d’Algériens dans le centre-ville. La plupart d’entre eux avaient abandonné leur travail et s’étaient réfugiés dans leurs quartiers.

Un jour, me trouvant à la fenêtre, j’ai été témoin d’une scène épouvantable: un Algérien avait garé sa voiture en bas de l’immeuble, dans une station d’essence abandonnée de ses serveurs et commençait à remplir son réservoir. Mais il fut abattu par deux militants de l’OAS qui l’avaient certainement suivi de près.

Les autorités françaises s’étant finalement résolues à combattre l’OAS, les CRS encerclaient les immeubles l’un après l’autre, rassemblaient les Européens qui y vivaient pour les contrôler.

Un soir, Sadek nous annonça que son immeuble était perquisitionné. Après avoir été contrôlé, il fut libéré quelques jours plus tard grâce à sa fausse carte d’identité, et nous rejoignit.

Il nous raconta combien les quelques nuits qu’il avait passées là avaient été pénibles. Les Européens ne cessant de se glorifier des crimes qu’ils avaient commis les jours précédents.

Les événements se précipitaient. Quelques jours avant le 5 juillet, du haut de notre 4e étage, c’est avec une vive émotion que nous avons vu les premiers maquisards de la Wilaya IV qui descendaient calmement le boulevard sur le trottoir d’en face et entraient dans Alger : maigres et épuisés dans leurs uniformes délavés et usés, témoins de leurs derniers combats.

En me penchant davantage sur le balcon, j’aperçus, spectacle réjouissant, le policier français qui réglait la circulation au carrefour en bas du boulevard, descendre de son podium et s’enfuir à toutes jambes.

Le 5 juillet, nous nous sommes réunis avec Pierre Mathieu, pour célébrer, au cours d’u bon repas, le premier jour de notre indépendance. Le lendemain, je ne pus rester dans l’appartement. Il fallait que je sorte, que je rejoigne cette foule immense qui hurlait son (notre) allégresse. Journées inoubliables que ces premières journées dans Alger libre!

Je me revois encore, effectuant notre dernier déménagement en compagnie d’u camarade européen, Ferrigno, qui avait été arrêté, torturé et venait d’être libéré quelques semaines plus tôt. Quand nous arrivâmes au Hamma avant de monter sur Hussein-Dey, notre deux-chevaux ne put plus avancer, noyée dans une foule immense qui se rendait vers le centre-ville en hurlant «djezaïr djezaïria». Nous joignîmes nos voix à celles des autres en tapant sur la voiture. C’est là un instant que je n’oublierai jamais: dans toute cette foule, il ne s’est trouvé personne pour nous soupçonner de simuler cet enthousiasme. Il faut croire que notre joie débordante leur paraissait sincère. Les gens se pressaient contre la voiture, tapant avec nous sur la tôle et nous souriant.

Bien des années plus tard, me remémorant cet enthousiasme délirant, empli de folles espérances, j’ai saisi l’ampleur des désillusions ressenties, dont on peut espérer peut-être qu’un jour elles seront effacées.

Table des Matières


RETOUR À ORAN


Le 14 juillet, je pris le train pour Oran, où je voulais rejoindre mon père, Jean-Marie Larribère.

Dans les semaines précédentes, écoutant Europe N°1, dans l’attente d’informations décisives, j’avais entendu mon père qui était interviewé, et j’avais appris ainsi ce qui lui était arrivé.

Après le 19 mars, l’OAS s’était particulièrement déchaînée à Oran. Mon père avait alors été ouvertement menacé. Un tract OAS, entre autres, avait stipulé qu’à la maternité de l’hôpital, il prélevait le sang des Européennes pour le donner aux Algériennes. Il en avait été particulièrement bouleversé, lui qui avait consacré une bonne partie de son temps à accoucher et à soigner souvent gratuitement les femmes européennes du quartier misérable de la «Calère». Il avait pris alors l’habitude de faire ses consultations à son cabinet, muni d’une kalachnikov. Et il avait décidé de fermer la clinique et de rejoindre ma mère, qui se trouvait en France depuis un certain temps.

Mais au cours du mois d’avril, alors que la dernière de ses accouchées s’apprêtait à sortir, et qu’une autre de ses clientes venait d’entrer, l’OAS avait lancé une violente attaque contre la clinique. Auparavant on avait frappé à la porte d’entrée. D’une fenêtre du premier étage, l’infirmière avait pu constater qu’un commando de l’OAS voulait entrer certainement dans le but de tuer mon père. Puis les bombes éclatèrent incendiant la clinique.

Pendant que l’infirmière s’était enfermée dans un placard avec le nouveau-né, mon père était monté dans notre appartement au deuxième étage. Les policiers et les pompiers étaient arrivés rapidement pour évacuer la malade et son bébé, tout en réclamant bruyamment la présence de mon père.

Dans l’immeuble mitoyen, le général Jouhaud, l’un des dirigeants de l’OAS, avait été arrêté et depuis lors l’immeuble avait été occupé par l’armée. De la terrasse, les officiers avaient, impassibles, assistés à l’attaque de la clinique, se faisant ainsi les complices de l’OAS, alors que les soldats du contingent qui y étaient stationnés avaient réclamé en vain de porter secours à ses occupants.

Entre temps, mon père était redescendu, avait traversé le jardin de la clinique puis celui de l’immeuble mitoyen. En fin de matinée, un véhicule militaire était enfin venu le chercher pour le conduire à l’aéroport de la Sénia où il avait pris un avion pour Paris.

Là, sa mésaventure avait fait grand bruit et tout en multipliant les interviews et les articles de journaux, il avait ramassé nombre d’instruments chirurgicaux et de médicaments. Et très vite, il avait repris un avion pour Oran en passant par Rocher Noir où siégeait le Gouvernement provisoire de l’Algérie indépendante.

À Oran, il avait installé un hôpital dans la Médina jdida, ce quartier surpeuplé essentiellement d’Algériens, où il opérait et soignait les victimes de l’OAS, ainsi que la population du quartier.

Il m’attendait quand je descendis du train et il me conduisit directement à la clinique. Je montai dans les étages et c’est avec la plus vive émotion que je constatai combien elle avait été détériorée. Au deuxième étage, le plancher avait été creusé d’un large trou. Dans la bibliothèque, tous les livres avaient brûlé et je ramassai au sol, en guise de souvenir, quelques pages calcinées. Les meubles les plus beaux avaient disparu, ainsi que tableaux et bibelots.

Le cœur serré, je repartis pour Alger le soir même.

Jean-Marie Larribère avait espéré obtenir la direction et la gestion de l’hôpital d’Oran. Et je suis persuadée, connaissant ses méthodes rigoureuses, qu’il y aurait fait merveille. Mais cela lui fut refusé. Dépité, il repartit en France, où il obtint la direction d’un dispensaire à Saint-Denis.

Les autorités oranaises n’oublièrent pas cependant ce qu’avait fait mon père et elles donnèrent son nom à la rue qui longe la clinique et à la placette où elle se termine.

Quant à la clinique, elle fut entièrement reconstruite, lui ajoutant un étage. Aujourd’hui, elle abrite le service hospitalier des affections endocriniennes. Je l’ai visitée et j’y ai reçu de tout le personnel un accueil des plus chaleureux.

A l’époque, j’avais été contactée par Abdelkader Alloula qui m’avait informée que je recevrai une invitation pour l’inauguration de la nouvelle clinique. Mais je ne reçus jamais cette lettre et cette inauguration se fit sans moi.

Quand plus tard je me rendis à Oran, je pus constater que le fronton du bâtiment ne mentionnait aucun nom. Mais tout le monde l’appelait (et l’appelle toujours) la «Clinique Larribère».

Table des Matières


POSTFACE


Ceci ne peut pas être et ne veut pas être un essai historique, ni une autobiographie, ni des mémoires. C’est tout simplement un témoignage. Bien des événements essentiels se sont produits dans notre pays durant la période que cet ouvrage traverse de 1945 à 1962. Certes un certain nombre d’entre eux ont eu un impact important sur ma vie, telle que la Guerre de libération. Mais je les évoque tels que je les ai ressentis sans les détailler et sans les approfondir, avec ma vision de l’époque mais a posteriori.

J’ai commencé à écrire bien tardivement, ma mémoire s’est donc montrée parfois défaillante et n’a pas retenu certaines dates et précisions. J’ai eu donc recours à des ouvrages de référence, tels «La Guerre d’Algérie», ouvrage collectif réalisé sous la direction de Henri Alleg, l’autobiographie de ce dernier, «Mémoire Algérienne», «l’Algérie en guerre» de Mohamed Teguia, «L’Accord PCA-FLN, du 1er juillet 1956», de Hafid Khattib, «Des chemins et des hommes» de Mohamed Rebah, «Femmes algériennes – de la Kahina au Code de la famille» de Baya Bouhoune-Jusquet et Jacques Jurquet, «Mouvement national et question féminine – Des origines à la veille de la Guerre de libération nationale» de Fatma Zohra Saï.

J’ai interrogé aussi quelques camarades pour resituer tel ou tel événement et surtout tel ou tel lieu, dont le nom passé ou présent m’échappait.

Il est évident qu’écrit dans de telles conditions, ce texte comporte quelques erreurs (que j’espère minimes) qui ne peuvent trahir le sens général de l’ouvrage.

MES REMERCIEMENTS les plus chaleureux vont d’abord à mes amies qui m’ont harcelée sans relâche pour que je commence à écrire ou pour que je reprenne une écriture abandonnée une année durant.

Mes remerciements les plus vifs vont aussi à celles et à ceux qui m’ont aidée sur les plans matériel, «conception générale», «écriture» et technique» (possibilité d’utiliser des ordinateurs) : Naget Khadda, Zoubida Haddab, Malika Zouba, Fatma Téguia, Pierre et Françoise Mnaranche, mon fils et ma belle-fille, Assia Benabdallah, ma nièce, Claudie Médiène, Malika Zouba et Saïd Nemsi, Naouel et Hakim Soltani.

Mes remerciements les plus chaleureux vont également à tous mes camarades dont l’affection et le soutien m’ont aidée à surmonter, au cours des derniers mois, ma déficience physique et à reprendre mon écriture. Je veux citer en particulier Arab Izarouken, Kheira Dekali, Saleha Lahrab, Nadia Bouslouha, Nourredine Fethani, Soulef Guessoum et tous ceux qui se sont joints à eux dans l’anonymat le plus complet.

Table des Matières


ANNEXES


ANNEXE – 1-

« LE FOURGON CELLULAIRE »

Bienheureux soit ce printemps d’orage

Qui ferma ton poing sur le pavé Houriya

Tu jouais pensive à l’ombre de la prison

Quand la brute tira son arme

Et ne sut dans quelle poitrine

Poursuivre son appel obstiné

Libérez les patriotes

Qui sinon toi

Patrie au cercueil décloué

Qui souffle aux lèvres de Lucie en veste rouge

Le cri de Houriya emmurée

Debout au passage des héros !

Dans le fourgon obscur

Les assassins ont cru dissimuler nos chaînes

Ils ont cru t’enterrer toute vive Houriya

Mais ce deuil n’est pas le nôtre

Les vrais captifs de ce fourgon funèbre

Ce sont les oppresseurs

Par notre union mise en bière

Bienheureux soit ce printemps d’orage

Kateb Yacine

Table des Matières


Annexe 2

L’HISTOIRE D’UN JOURNAL,

L’HISTOIRE D’UN PEUPLE

Plus d’un demi-siècle s’est écoulé depuis l’époque où «Alger républicain» pouvait proclamer avec fierté qu’il était le seul quotidien luttant pour briser les liens de la colonisation et faire enfin de l’Algérie un pays libre.

Ceux qui ont vécu assez longtemps pour avoir connu ces années héroïques en parlent aujourd’hui encore comme d’un engagement quasi mythique auquel ils se font justement gloire d’y avoir participé.
Comment Lucette Hadj Ali et d’autres survivants de la « fameuse équipe d’ «Alger républicain» – comme la surnommait avec mépris les journalistes des feuilles colonialistes – pourraient-ils jamais oublier leurs camarades et collègues de diverses origines, tombés durant la guerre parce que fidèles jusqu’au bout à leur profonde certitude qu’un jour leur pays serait enfin libre, débarrassé du racisme, de la misère, de l’ignorance, de toutes les inégalités, de toutes les injustices qui tissaient la vie quotidienne des prétendus « trois départements français ».

En vérité l’histoire d’ «Alger républicain» dépassait déjà de beaucoup le cadre même du journal et de ceux qui, par leur occupation, étaient ou y avaient été directement liés. Correspondants, militants politiques et syndicats lecteurs depuis longtemps convaincus de ,l’importance de ce quotidien dans la lutte engagée pour en finir avec le colonialisme, se sentaient à tout instant solidaires de la vie d’ «Alger républicain», de ses succès comme des combats qu’il devait mener constamment, en dépit de la censure, pour informer ses lecteurs qui, sans lui, seraient resté réduits à ne connaître que les vérités officielles, celles qui convenaient au Gouvernement général de la grosse colonisation. C’est bien pourquoi, les lecteurs réagissaient avec une telle énergie lorsque le journal était attaqué par l’administration coloniale, notamment par des saisies multipliées, par des poursuites devant les tribunaux, sous le prétexte de la publication d’articles «portant atteinte à la souveraineté française» et par la multiplication des condamnations à de lourdes amendes. On voyait souvent alors une longue queue se former devant le guichet du journal. Il s’agissait de lecteurs venant apporter leur contribution à la souscription permanente.

Dans la foule se pressaient les travailleurs de diverses corporations en bleu et casquette « délégués » par leurs compagnons de travail pour verser au journal la somme collectée dans leur entreprise, des fellahs en burnous et chéchias, arrivés de leur douar, et aussi parfois des femmes, voilées ou non, venues apporter quelques pièces d’or, un vieux collier ou un bracelet arrachés au trésor familial, pour qu’elles aussi puissent contribuer à sauver leur «Alger républicain», menacé de saisie. Aux étrangers qui s’étonnaient de leur présence et de leur participation à cette souscription, il s’en trouvait toujours une parmi elles pour expliquer que, si elles n’avaient pas eu la possibilité d’apprendre à lire, un de leurs garçons avaient eu cette chance. Sa tâche était de faire chaque jour, pour toute la famille, la lecture et la traduction des principaux articles d’ «Alger républicain». Du même coup, chacun avait appris ce que représentait ce journal dans le combat quotidien contre le colonialisme.

Des dizaines d’années plus tard, alors que l’Algérie était enfin libre et que ceux qui avaient encore vécu les moments exaltants des derniers combats pour l’indépendance avaient pour la plupart depuis longtemps disparu, je me trouvais en Algérie et je pus à cette occasion redécouvrir combien le souvenir d’ « Alger républicain » de l’époque coloniale était resté étonnamment vivant dans la mémoire populaire.

Aux dernières semaines de l’existence du journal, durant l’automne et l’été 1655, notre rédaction avait pris l’habitude de publier sous forme de «placard» et pour remplacer les articles interdits par les censeurs, cet avertissement en caractères gras : «Alger républicain » dit la vérité. Il ne dit que la vérité mais il ne peut pas dire toute la vérité».

L’initiative, pourtant très banale, avait rencontré un succès extraordinaire inattendu, chaque publication du « placard » étant accueillie comme une petite victoire sur la censure coloniale qui, évidemment, s’en prenait en premier lieu à « Alger républicain » et « respectait » sans y toucher, les publications de la presse coloniale.

Près de cinquante ans plus tard, je me trouvais sur la place de Cherchell, accompagné d’un ancien d’ «Alger républicain» survivant des maquis. Il me présentait à un de ses vieux amis rencontré sur la place de la ville. À peine celui-ci eut-il entendu les mots d’«Alger républicain», qu’il me salua aussitôt d’un «Alger républicain» dit la vérité. Il ne dit que la vérité mais il ne peut pas dire toute la vérité».

Il est rare qu’un journal prenne une telle place dans l’histoire d’un peuple et de ses combats. Beaucoup plus rare encore qu’il garde si longtemps cette place dans sa mémoire et dans son cœur. Ce fut là l’extraordinaire privilège d’ «Alger républicain» et de tous ceux qui lui apportèrent leur contribution. Un engagement héroïque qu’ils payèrent très cher, en années de prison, en supplices, et parfois même en y laissant leur vie. Raconter l’histoire d’ «Alger républicain», c’est donc aussi contribuer à faire connaître l’histoire du peuple algérien dressé pour reconquérir sa liberté et sa dignité.

Merci à Lucette Hadj Ali d’avoir si chaleureusement voulu le faire comprendre.

Henri Alleg

Table des Matières


« ITINÉRAIRE d’une militante algérienne » ( 1945 – 1962)

LUCETTE LARRIBÈRE HADJ ALI

Éditions du TELL – 2011

3 rue des Frères Torki – 09000 Blida – Algérie

http://www.editions-du-tell.com/

TABLE DES MATIÈRES

[

PRÉFACE

Abdelkader Guerroudj (page 7)

->#1]
[

PRÉAMBULE

(page 13)

->#2]

LA FAMILLE

ENGAGEMENTS

  • [1945 – L’UNION DES FEMMES D’ ALGÉRIE – (U.F.A.) (page 39)

    ENTRE L’UNION DES FEMMES D’ALGÉRIE ET LE PCA (page 47)->#7]

[

POSTFACE

(page 119)

->#11]

ANNEXES


Annexe 1 LE FOURGON CELLULAIRE poème de Kateb Yacine (page 125)
Annexe 2 L’HISTOIRE D’UN JOURNAL, L’HISTOIRE D’UN PEUPLE Henri Alleg (page 126)

ALGER – COMPTE-RENDU DE LA RENCONTRE-DÉBAT DU 22 FÉVRIER 2014

Compte-rendu de la rencontre-débat du 22 février 2014

organisée par le Rassemblement de gauche (RdG)

sur le thème :

SITUATION DES FEMMES

ACTION ET MOUVEMENTS FÉMININS EN ALGÉRIE

La rencontre-débat a rassemblé une trentaine de participants dont plus de deux-tiers de femmes et une majorité de jeunes.

Introduction

de Mme Zoubida Haddab

et de Melle Tinhinan Makaci

La modératrice, Mme Yasmina Chouaki,

a commencé par rappeler que le mouvement féministe algérien fut très puissant dans les années 1989-1991.

Il a fortement contribué à préserver le caractère républicain de l’Etat.

Cela lui a valu de recevoir beaucoup de coups, mais il existe toujours sous des formes diverses.

Mme Zoubida HADDAB a indiqué que le mouvement féministe s’est développé sous une forme associative à partir de 1989.

  • Mais comme aucun mouvement ne naît de rien, elle a rappelé que deux mouvements féminins, respectivement proches du PPA-MTLD et du PCA , existaient en Algérie depuis les années 1945-1946. La guerre de libération nationale fera entrer massivement les femmes dans le combat libérateur.
  • Après l’indépendance, l’ Union nationale des femmes algériennes sera placée sous la coupe du parti unique (FLN), mais des textes importants seront néanmoins adoptés contre la répudiation et la polygamie. Dans les années 1970 de plus en plus de femmes vont chercher à s’organiser en dehors du cadre de l’UNFA: groupes de recherche à Alger et Oran, Groupes de volontaires, Comités de cité, Groupes de travailleuses dans le cadre de l’UGTA . La première association sera proclamée en 1985. Il s’agit de l’ “Association pour l’égalité des hommes et des femmes devant la loi” .
  • De 1988 à 1992, une trentaine d’associations furent créées à travers le pays. Le mouvement féministe était fort et occupait l’espace public (manifestations, galas, rencontres…). Il s’adressait à la fois au pouvoir et à la société. Les différentes associations se renforçaient les unes les autres. Leur mobilisation parviendra à arracher la suppression de la disposition permettant aux hommes de voter à la place des femmes de leurs familles. Les 30 novembre et 1er décembre 1989, une première rencontre de toutes les associations déboucha sur l’adoption d’une plate-forme et la création d’une coordination nationale. Les conflits entre associations, en particulier sur la question de savoir s’il fallait abroger ou amender le Code de la famille mirent à mal la cohésion de la Coordination nationale.
  • De 1992 à 1995, on assistera à un reflux du mouvement associatif à la faveur, entre autres, de l’instauration de l’état d’urgence. Les associations dénonceront avec la presse les viols et agressions dont les femmes étaient victimes.
  • Les années 1995-2000 seront marquées par le retour à la lutte contre le “Code de la famille” et pour l’égalité des droits, même s’il n’y avait pas de possibilité d’action publique (marches, rassemblements…).

    On assistera alors à la recherche d’autres formes d’action comme la tenue de séminaires, de rencontres, la mise en place de réseaux entre chercheurs et militants…

    Dans les années 1996/1997, treize associations formeront un groupe de travail en relation avec le ministère de la Famille pour préparer la campagne du 1 million de signatures. La mobilisation pour la suppression de l’article 39 du Code de la famille qui affirme l’obéissance de la femme par rapport au mari échouera du fait du désengagement de Mchernane et de Zeroual. Aucuns bilan et analyse ne seront réalisés, mais cette action permettra de relativiser l’opposition abrogation/amendement.
  • Dans les années 2000, le contexte sera marqué par les difficultés économiques et sociales. On assistera à un début de travail avec l’Unicer, le FNUAC, les ONG… Il était alors impossible de refuser de travailler avec ces organismes.
  • À compter de 2003-2004, la lutte contre le code, sous le titre “20 ans barakat” , verra l’utilisation de nouvelles formes d’action : chansons et clips, lâchers de ballons…

    L’action des femmes aboutira à la révision de la loi électorale, à l’abrogation de l’article 31bis de la Constitution et à la reconnaissance de la parité aux élections.

    Cela se traduira par un renforcement considérable de la présence des femmes dans les assemblées élues.
  • Au cours des années 2000 toujours, on assistera à une intensification de la lutte contre les violences faites aux femmes .

    L’Institut national de santé publique (INSP) avant 2000 puis des associations prendront cette question a bras le corps par la réalisation d’enquêtes, de campagnes de sensibilisation… Des centres juridiques et psychologiques d’écoute et d’accueil seront installés.

    La lutte contre le harcèlement sexuel au travail mené par la commission femme de l’Ugta aboutira à l’amendement du code pénal.

    D’autres terrains d’action seront ouverts tels que la lutte contre les discriminations au travail, l’accès des femmes aux micro-crédits afin d’assurer leur autonomie économique et financière et les amener ainsi à une vision égalitaire des rapports entre sexes et à la lutte.

    Des actions seront entreprises en direction des jeunes afin de les sensibiliser et de leur transmettre les valeurs et les objectifs du mouvement.

Melle Tinhinan MAKACI interviendra sur la question des perspectives du mouvement féministe aujourd’hui en Algérie

en notant que la question de la place et du rôle des femmes revient actuellement au premier plan à travers les médias, le discours politique…

Elle notera cependant qu’il n’existe pas de perspective immédiate et que la situation des femmes se détériore.

Or, le changement de la situation des femmes doit provenir d’elles-mêmes.

Celles-ci doivent lutter sous des formes nouvelles car les anciennes ont échoué.

L’oratrice affirmera que l’émancipation des femmes ne se réalise pas mécaniquement à travers le travail. Beaucoup de femmes acceptent en effet des conditions de travail dégradées. Beaucoup d’entreprises les recrutent car elles acceptent des conditions de travail dégradées et parce qu’elles font leur travail de façon minutieuse.

Les femmes subissent également la rancœur de nombreux jeunes chômeurs hommes qui leur reprochent de leur prendre leur travail.

Un autre aspect de la situation des femmes en Algérie réside dans la disparité géographique de leur situation.

Les femmes du Sud s’avèrent ainsi plus soumises à l’autorité familiale que celles du Nord où les familles ont été bouleversées par l’entrée des femmes sur le marché du travail.

Abordant la question des perspectives, l’intervenante affirmera qu’il ne faut pas rejeter l’action par les trois (3) C: Cuisine, Couture, Coiffure.

L’activité professionnelle permet à la femme d’acquérir une autonomie financière par rapport à la famille (père, frère, conjoint…), ce qui constitue un pas vers l’émancipation.

D’où l’importance de l’installation de coopératives professionnelles (ateliers de couture, apiculture, oléiculture, cuisine…) qui permet aux femmes de devenir des actrices économiques autonomes et de s’affirmer.

Il s’avère également nécessaire de sensibiliser les commissions femmes des partis pour initier le front le plus large en faveur de l’abrogation du code de la famille.

Ce dernier peut également faire l’objet d’un contournement par le planning familial afin de mettre le doigt sur la contradiction: contraception, légalisation de l’IVG, protection des femmes célibataires, des prostituées, contrôle des naissances…


Débat


La moitié des présents, dont une écrasante majorité de femmes, ont pris la parole au cours du débat. Celui-ci s’est essentiellement articulé autour des questions suivantes.


La situation des femmes :

Elle est contrastée. Sur le plan juridique, le sort des femmes des milieux populaires de l’intérieur du pays et des quartiers populaires des grandes villes – surtout celles qui sont analphabètes – est inquiétant. Elles font face à des juges souvent sortis de zwis (pluriel de zawia) qui recourent à la charia pour trancher les litiges. La soumission des femmes s’en trouve renforcée.

La condition économique et sociale des femmes a cependant connu de grands changements.

En 1962, on comptait 900 000 femmes rurales et 36 000 femmes travailleuses urbaines dont 24 000 femmes de ménage.

La scolarisation et le développement du marché du travail (industrie et fonction publique dans les années 1960 et 1970, commerce et services depuis) se sont traduits par une entrée massive, bien qu’encore insuffisante, des femmes sur le marché du travail même si l’on note, au fur et à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie, que le nombre de femmes responsables diminue.

L’aspiration à un mariage non-arrangé s’est généralisée et l’on assiste à une transformation dans la tête des femmes et dans les rapports familiaux, même si l’on est encore loin du compte comme l’illustre l’exemple dramatique des femmes cancéreuses répudiées par leurs maris.

Il n’y a pas eu de triomphes, mais des avancées réelles dans le sort des femmes.

Il faut également noter que les nouvelles générations d’hommes (frères, cousins…) sont moins ouvertes que les anciennes (pères, oncles…).


État du mouvement féministe :

Le constat général est celui d’un isolement des mouvements féministes vis-à-vis de la grande masse des femmes, celles des milieux populaires en particulier (femmes au foyer, femmes rurales, ouvrières…) et des régions déshéritées (montagnes, Grand Sud…).

Le mouvement féministe était effectivement important au cours des années 1989-1991, mais n’oublions pas, à la même époque, l’imposante manifestation des femmes islamistes en faveur du maintien du Code de la famille. L’action multiforme (idéologique, politique, terrorisme…) des islamistes contre les femmes, y compris à l’université, a joué un rôle important dans le recul du courant féministe.

La défaite des partis de gauche, dont les militantes étaient généralement à l’initiative de la création des associations féministes, s’est largement répercutée sur le mouvement féministe. Des critiques sont cependant adressées à ces partis dont «la ligne primait sur les convictions féministes» et qui utilisaient les mouvements féministes à des fins étroitement partisanes et à courte vue.

Malgré son recul, le mouvement n’a pas disparu mais s’est adapté à l’état du rapport de forces. Le mouvement associatif qui est dans la revendication (abrogation du code de la famille, égalité juridique…) rencontre beaucoup de difficultés. C’est pourquoi des réseaux se sont constitués (jeunes féministes sur facebook, Wassila, Sidef…) ainsi que des coopératives de femmes qui ont permis, au-delà de l’autonomie économique acquise d’avancer dans la sensibilisation des femmes quant à leur situation et à la nécessité de combattre pour l’égalité des sexes.

Il y a une sorte de «coupure» entre les générations. Les jeunes ne connaissent pas forcément l’histoire du féminisme, ne lisent pas toujours les anciens ouvrages sur la question et sont à la recherche de nouvelles démarches pour faire évoluer le mouvement. Le recul voire la disparition des anciennes associations féministes et le manque de communication ont objectivement renforcé cette «coupure» des générations ainsi que celle avec la société.


Image du féminisme :

Le féminisme est assimilé par une partie de la société à une déviation occidentale. Les islamistes, et pas seulement les hommes, effectuent un important travail souterrain de dénigrement. Les télévisions qui déversent le discours islamistes ne se privent pas de stigmatiser les revendications féministes et leurs mouvements. Tout ce beau monde présente les femmes comme une élite occidentalisée, aliénée et coupée de sa société, de son environnement culturel. De multiples reproches visant à le délégitimer sont avancés: minoritaire, extérieur à la société, remise en cause des mœurs et traditions…

On peut noter, là aussi de façon paradoxale, qu’une partie de la presse présente de façon positive les revendications féministes et les mouvements féminins, mais il existe malheureusement une presse encore plus puissante qui reproduit des schémas dévalorisants à propos des mouvements de femmes et de leurs revendications.

L’UNFA, en tant qu’organisation de femmes officielle, ne contribue pas, bien au contraire, à redresser la vision socialement dominante du mouvement des femmes.


Les perspectives des féministes :

Le débat qui a eu lieu autour de cette question peut se décliner en quatre axes: Quels sont les objectifs du mouvement féministe ? Comment se lier aux femmes? Comment agir? Comment s’organiser?

objectifs du mouvement féministe :

L’émancipation des femmes ne pouvant être atteinte que si la société est elle-même émancipée (du patriarcat, de toute domination politique, de toute exploitation, de la rareté et de la concurrence entre individus…), il s’agit là d’un objectif final qui ne doit pas pour autant être renvoyé aux calendes grecs.

Dans l’immédiat, l’objectif à atteindre est celui de l’égalité juridique auquel s’ajoutent les combats contre les violences (femmes battues, chassées de leurs maisons, enfants enlevés…), les discriminations (emploi, logement…) et autres maux infligés (non-paiement de la pension aux femmes divorcées…), aux femmes dans notre société.

La prise de conscience et la mobilisation du plus grand nombre de femmes, d’hommes et de forces politiques et sociales doivent contraindre les autorités à reconnaître l’égalité des droits entre hommes et femmes par l’abrogation du code de la famille et/ou par des amendements et l’adoption de nouveaux droits.

Comment se lier aux femmes :

Un consensus se dégage sur le fait de cibler la grande masse des femmes des milieux populaires. C’est elle qu’il s’agit de conquérir au combat féministe car ce sont elles qui doivent porter sur leurs épaules les revendications des femmes. Mais comment les atteindre?

La première chose consiste à effectuer un véritable travail de proximité autour de leurs problèmes, de leurs préoccupations, de leurs aspirations voire, quand elles l’expriment, de leurs revendications.

Les enquêtes réalisées (INSP, réseaux Wassila, SIDEF…) ou à réaliser aideront considérablement à faire ressortir ces questions et à les hiérarchiser en vue d’une intervention forcément limitée dans un premier temps du fait des faibles forces militantes existantes.

Le travail d’écoute et d’assistance juridique, la mise en réseau, l’action syndicale et associative, l’aide à la création de coopératives, l’orientation vers les établissements de santé (planning familial), les activités culturelles, les trois C (couture, coiffure, cuisine)… Tout ce qui peut permettre aux femmes de se rencontrer, de sortir de chez elles, d’acquérir une autonomie, de se valoriser et d’agir même sur des objectifs minimes doit être encouragé et mis en œuvre.

La lutte pour l’égalité implique de créer un climat de confiance et de ne pas trahir celle-ci car c’est sur elle que repose toute l’action féministe. Un dur et long travail peut être détruit en quelques secondes par une attitude maladroite, un propos déplacé…

Comment agir :

Le combat pour l’égalité des droits et pour l’émancipation passe par l’abrogation du code de la famille et son remplacement par des lois civiles. Cet objectif qui présuppose une modification substantielle du rapport de forces social et politique n’exclut pas d’arracher des amendements, l’abrogation d’articles particuliers, l’obtention de nouveaux droits.

Etant un combat de société, il intéresse et implique forcément les hommes.

Ceux-ci doivent prendre en charge, aux côtés des femmes et sous des formes appropriées, ce combat politique commun.

Les syndicats, les mouvements et autres partis doivent se positionner clairement sur la question des femmes et s’engager activement dans le combat pour l’égalité.

Plus les courants démocrates et de gauche se renforceront et plus la cause des femmes avancera dans la société.

Un combat idéologique doit accompagner l’action politique en vue de transformer les mentalités et les mœurs au sein de la population (du père de famille au juge ou à la juge) afin de faire reculer les préjugés, visions et pratiques sociales rétrogrades (aux noms d’une interprétation réactionnaire de la religion, des traditions, de coutumes…) et d’élargir les espaces et les brèches dans lesquels les femmes peuvent s’engouffrer (coopératives…).

Il reste encore beaucoup de travail à faire auprès de certaines familles (des pères en premier lieu) de régions marginalisées (Sud, montagnes et hauts-plateaux…) pour amener celles-ci à respecter le droit (qui est également une obligation) des filles à aller à l’école et pour les aider à réussir dans leur formation.

Le respect de l’autonomie des femmes qui travaillent (droit de conserver sa rémunération et non de la remettre à un tuteur), le refus des pratiques autoritaires, sexistes…

La nécessité d’une démarche stratégique a été soulignée. Il convient pour cela de réfléchir au contexte politique et changer les choses sur le terrain et non virtuellement.

Internet et les réseaux doivent, de ce point de vue, constituer des outils et non devenir des objectifs.

L’importance du travail d’information a été soulignée.

Comment s’organiser :

Dans le but de mener toutes ces actions à bon port, plusieurs idées ont été avancées.

Il faut faire attention au danger de l’O.N.génisation des associations.

Il convient de reconstruire ou de redynamiser des cadres autonomes existants, à l’image de l’association Tharwa ou d’en créer de nouveaux sans se braquer sur des questions de sigle.

Le tout est que ces cadres acceptent le pluralisme, fonctionnent démocratiquement, loin des luttes de leadership et d’appareil et soient véritablement autonomes.


Un groupe de travail s’est dégagé à l’issue de la rencontre afin de synthétiser et de faire des propositions de réflexions, d’actions et d’organisation.


ALGER-22 MARS: SITUATION DES FEMMES, ACTION ET MOUVEMENTS FÉMININS EN ALGÉRIE

Samedi 22 mars 2014

à 14 h

au Centre des Ressources d’Alger

2, rue des Frères ADER, Alger (2ème étage)

(ruelle qui mène à la rue de Tanger, juste après la Cinémathèque de la rue Ben M’hidi en venant de la Place Emir Abdelkader)

Le Rassemblement de gauche R(d)G a le plaisir de vous inviter à une
rencontre-débat sur le thème suivant :

Situation des femmes, action et mouvements féminins en Algérie

Cette rencontre-débat sera animée par deux intervenantes :

  • Mme Zoubida HADDAB, enseignante en sciences politiques à l’Université d’Alger et militante féministe des années 1980–1990, axera son propos sur “la présentation et l’analyse des mouvements associatifs féminins en Algérie au cours des vingt-trente dernières années.”
  • Melle Tinhinan Makaci, militante féministe, interviendra sur “le féminisme en Algérie aujourd’hui et sur ses perspectives” . Elle soulignera l’importance d’une action en direction du Planning familial et de l’installation de coopératives professionnelles (couture, apiculture, cuisine…) comme moyen d’affirmation et d’autonomisation des femmes.

Soyons nombreux et nombreuses