EUROPE GRÈCE ET LA SOLIDARITÉ AVEC LES MIGRANTS

…extraits… pdf-3.jpg

collectif de soutien au peuple grec

journal collectif n°4

février mars 2016
[[ Le collectif unitaire de soutien au peuple grec (Paris 5e-13e)
Pour nous contacter :
aveclesgrecs.paris13@gmail.com
www.facebook.com/collectifparis13
]]

LA FORTERESSE EUROPE
A CHOISI LA MER ÉGÉE

COMME CIMETIÈRE DES RÉFUGIÉS

La majorité des réfugiés arrivent dans les îles grecques de la mer Égée en passant par la Turquie. Et voici la Grèce accusée par les institutions européennes de «déficiences sérieuses» pour le contrôle de sa frontière turque.
Sous ce prétexte, elle est menacée d’être exclue de la zone de Schengen. La boucle est bouclée. La guerre qui crée des migrants permet aussi à l’UE de faire du chantage aux pays européens les plus en difficulté, en premier lieu desquels la Grèce.
L’UE feint d’espérer que la Grèce pourrait servir de lieu d’accueil pour les réfugiés, qu’elle pourrait maîtriser ses frontières, tout en exigeant qu’«elle s’ajuste financièrement» pour pouvoir rembourser ses créanciers.
L’asphyxie permettra vite une nouvelle menace de sortie de l’Euro?
obstacles_dresses_sur_les_parcours_migratoires.png


L’EXODE

La catastrophe s’étale dans tous les journaux du monde : « Plus de 3 800 personnes sont mortes l’an dernier en tentant de traverser la Méditerranée.»…
Les médias et les dirigeants des États européens versent des larmes de crocodile devant le corps sans vie d’un petit garçon sur le sable. Les pleureuses de tout poil se répandent sur le sort de ces « pauvres gens victimes de passeurs criminels ».
Les télévisions nous montrent les images des rescapés qui errent dans le plus grand dénuement dans une Europe enneigée.
Mais, après ces douloureux périples, où échouent-ils ? Il restent dehors dans le froid ou dans des camps prisons ou des camps comme Calais qui ne sont rien d’autre que des bidonvilles où survivent plus de deux mille personnes et dans lesquels on condamne à passer l’hiver des enfants transis de froid.

Puis changement de ton. L’un après l’autre, les pays européens ferment leurs frontières aux émigrés. Fini Schengen! «On ne peut accueillir toute la misère du monde.» La France « terre d’asile» n’a pas un meilleur comportement, elle n’a accueilli que quelques centaines de ces réfugiés.
Alors, pourquoi ces gens risquent-ils leur vie ? Qui sont ces migrants ? Pourquoi ont-ils quitté leur pays ? Pour fuir la guerre et la misère qui en découle. Parce que chez eux, depuis des années, ils prennent des bombes sur la tête. Dans tous les médias, on nous montre ces villes éventrées de Syrie, d’Irak, mais on prend bien soin de ne pas souligner le lien entre la question de l’immigration et celle de la guerre.
On accuse à juste titre le boucher Assad et l’État russe mais lorsque les USA ou le président Hollande lâchent des bombes sur les villes de ces pays, combien de morts? On fait état de quelques djihadistes exécutés!
Et la population civile, que fait-elle ? On ne sait pas? Si, on sait! Elle fuit les villes sous les bombardements. Ceux qui ont pu rassembler suffisamment d’argent (les moins nombreux) tenteront la traversée de la Méditerranée pour 5 000 € ou plus, les autres resteront dans les ruines de leur maison ou fuiront par milliers vers des camps.
Ces colonnes d’hommes de femmes et d’enfants rappelle les images qu’on a pu voir de « l’Exode » en France et en Europe lors du déclenchement de la guerre de 1939-1945.

Par ses guerres, l’Europe est la principale cause de ces migrations. Au lieu de pourchasser ces malheureux émigrés, mieux vaudrait stopper le système qui les pousse à partir de chez eux: la guerre.
Rappelons-nous la Libye. Les USA, l’UE et la France de Sarkozy ont détourné la demande d’aide au peuple qui se révoltait contre le boucher Kadhafi pour lancer une opération militaire de grande ampleur sous le drapeau de l’OTAN.

L’autre raison qui a aussi poussé des milliers de gens sur les routes, c’est la politique commerciale agressive menée par l’UE qui exige depuis des années des États africains qu’ils se convertissent au libre échange total. Cela a empêché le développement local et déstructuré des pans entiers de l’économie locale.

C’est pourquoi la distinction entre migrants relevant de l’asile politique et migrants
économiques n’a pas de sens car, dans les deux cas, les responsables sont les
grandes puissances.

Certains médias et politiciens, pour mieux faire des réfugiés des boucs émissaires, nous incitent à relier toutes les actualités autour de l’intensification des flux migratoires. Comme si nous devions voir dans les réfugiés des terroristes ou des violeurs en puissance, comme si leur rejet pouvait nous protéger des violences que nos sociétés produisent elles-mêmes en leur sein.
Pourquoi les criminels qui déclenchent les guerres et la souffrance des populations, les criminels qui déclenchent la mort dans nos pays par les politiques d’austérité ne seraient-ils pas condamnés et punis?

Les bureaucrates européens sont entièrement responsables de la mort de plus de 3 800 personnes en Méditerranée (chiffres de décembre 2015), car ils refusent de proposer «des alternatives légales et sûres à la traversée mortelle de la mer», ce qui a poussé plus d’un million de personnes dans les bras des passeurs et dans des bateaux surpeuplés.
En revanche, l’UE n’intervient pas quand certains pays décident unilatéralement et de manière irresponsable de fermer les frontières.
C’est cette politique qui porte atteinte à la santé, à la vie et la dignité des migrants. Bien sûr, des associations courageuses suppléent aux défaillance de l’Europe et sauvent les migrants de la noyade. Cela ne plaît pas à tout le monde et certains membres d’associations sont même arrêtés.

Qu’a proposé l’Europe pour remédier à cette misère ? La création et aujourd’hui le renforcement de Frontex, ce corps européen de gardes-frontière destiné non pas à sauver les réfugiés fuyant la guerre et les bombardements mais à rendre moins perméables les frontières de l’Europe. Il peut agir sur le territoire d’un État membre sans son accord. Aujourd’hui, ils sont 402, et devraient passer progressivement à 1 000, plus 1 500 réservistes mobilisables en trois jours.
Ce projet d’augmentation du nombre de Frontex est un moyen pour les puissances du centre de l’Europe (en premier lieu la France) de se doter d’un bras armé dans le sud de l’Europe (principalement en Grèce et Italie) sans se salir les mains.
Dans le dernier projet en date, Frontex pourrait même renvoyer les réfugiés dans leur pays d’origine grâce à la mise en place d’ «un bureau de retour».


MIGRATIONS :
LE FANTASME ET LA RÉALITÉ DES CHIFFRES

Quelle est la réalité des chiffres sur les flux migratoires?

D’après le programme des Nations unies pour le développement, il y aurait 200 millions de migrants internationaux, soit 3 % de la population mondiale, pourcentage qui est resté stable ces cinquante dernières années.
Seuls 7 % des migrants dans le monde (soit 15 millions de personnes) sont des réfugiés, les autres vivent dans des régions voisines de leur pays d’origine. Le nombre de réfugiés n’est pas plus important que celui que provoqua la guerre des Balkans dans les années 1990.

La grande majorité des réfugiés gagnent les pays frontaliers. Seuls 14% d’entre eux se dirigent vers les pays européens.

Ainsi, au Liban il y a 209 réfugiés pour mille habitants, tandis qu’en France il y en a 50 pour mille.

Les chiffres sont donc instrumentalisés par certains politiques ou médias, et il faut les considérer avec circonspection, d’autant que les agences comme Frontex, qui publient le nombre d’entrées de réfugiés en Europe, ont reconnu qu’elles pouvaient les compter en double.

Reste un chiffre qui devrait tous nous interpeller : près de 4 000 morts en Méditerranée en 2015.


D’EVROS À CALAIS

EN PASSANT PAR LAMPEDUSA ET ISTANBUL :

SOLIDARITÉ AVEC LES MIGRANTS

Initié par le Mouvement contre le racisme et la menace fasciste, en coordination avec une coalition internationale pour la défense des réfugiés, la mobilisation des 23 et 24 janvier a prôné l’ouverture des frontières partout en Europe pour un digne accueil de tous ceux qui risquent leur vie pour la sauver, victimes de la misère et de la guerre.

La responsabilité des puissances impérialistes qui bombardent la Syrie et poussent des millions de personnes vers l’exil est clairement mise en jeu.

L’appel grec organise un rassemblement à la frontière gréco-turque près du mur d’Evros dont il exige le démantèlement. En effet, c’est cette clôture d’Evros qui, barrant la route terrestre vers la Grèce et donc vers l’Europe, oblige les migrants et leurs familles à embarquer sur de fragiles canots en payant des prix exorbitants afin d’accoster les îles grecques proches des côtes turques.
Les corps inertes d’adultes et d’enfants sont recueillis chaque jour dans les eaux glacées de la mer Égée.

Pour en finir avec ce crime massif de non-assistance à personne en danger, cet appel clame haut et fort la disparition de la clôture d’Evros.


SOLIDARITÉ DANS LES ÎLES GRECQUES :
L’UNION EUROPÉENNE

ENTRE INDIFFÉRENCE ET RÉPRESSION

800 000 réfugiés fuient les pays en guerre par la Turquie, soit 75 % des réfugiés arrivés en Europe. L’aide financière européenne (80 millions d’euros, soit moins de 100 euros par migrant) est largement insuffisante compte tenu de la situation socio-économique catastrophique du pays (26 % de chômage, un tiers des familles en situation de sous-nutrition, selon le gouvernement).

Face aux immenses besoins humanitaires et à la pénurie des structures d’accueil sur les îles, seule la forte mobilisation de la population permet d’apporter aux réfugiés une aide humanitaire d’urgence.

Des bénévoles locaux et internationaux s’investissent dans des dispensaires sociaux autogérés, collectent et distribuent des tentes et des repas, ou organisent des opérations de secourisme sur des bateaux de pêche.
Certaines de ces organisations ont dû interrompre leur action faute d’aide financière des autorités, comme l’association des volontaires de Kos en août 2015.

Mais, depuis quelques semaines, l’agence Frontex (agence européenne de gestion des frontières extérieures), sous un discours officiel de coordination de l’aide aux migrants, effectue un contrôle et un fichage des bénévoles.
Confrontées à la menace d’une exclusion de l’espace Schengen, les autorités grecques collaborent à cette opération et ont déjà procédé à plusieurs arrestations de volontaires internationaux, accusés d’aide à l’entrée illégale d’immigrants.

Après la violence croissante des sanctions économiques imposées par l’Europe, et dans un pays au passé dictatorial pas si lointain, ces mesures ont une résonance particulière. Partagés entre colère et inquiétude, les habitants tentent de continuer leurs actions et s’organisent pour soutenir les volontaires arrêtés.
Face à l’image médiatique d’une population européenne réticente à l’accueil des réfugiés et l’argument d’un « seuil de saturation », y compris en Europe de l’Ouest, ces initiatives locales rappellent que l’engagement solidaire et humanitaire ne dépend ni du nombre de réfugiés accueillis, ni des conditions économiques.
Mais, au-delà même de la situation des réfugiés, la pression des autorités européennes, qui tentent de réprimer ces initiatives populaires, questionne de manière inquiétante les soi-disant valeurs démocratiques de l’Union Européenne


L’aide apportée par les Dispensaires Sociaux et Solidaires est indispensable

LE DISPENSAIRE SOCIAL ET SOLIDAIRE DE PERISTERI
AUX CÔTÉS DES RÉFUGIÉS , AOÛT 2015 [[Le collectif Pour la Grèce Paris 13 soutient financièrement le Dispensaire Social et Solidaire de Peristeri.
Contact : aveclesgrecs.paris13@gmail.com https://www.facebook.com/collectifparis13]]
peristeri.png

Durant la dernière semaine du mois d’août, des bénévoles, médecins et administratifs, des Dispensaires Sociaux Solidaires de Peristeri, de Corinthe et de Korydallos ont visité l’île de Chios afin d’offrir toute assistance possible aux réfugiés sur l’île.

Ce qu’ils y ont vu a été un « coup de poing dans l’estomac».
Cette image, commune à toutes les îles frontalières qui reçoivent quotidiennement les vagues de réfugiés, est une honte pour la civilisation au XXIe siècle : des êtres humains dans une situation de grande misère, des enfants et des nourrissons dénutris, déshydratés, dans un réel état d’urgence.

Notre équipe a réussi à organiser deux dispensaires pour les enfants et pour les adultes, à les approvisionner en fournitures médicales de base et en eau potable, et à garantir des conditions sanitaires plus humaines (douches, toilettes chimiques).

L’aide reçue de la population locale était également importante en ce qui concerne la nourriture, l’eau potable et les vêtements.
La seule dissonance dans cette image de solidarité a été l’absence notable de l’Église.
Enfin, nous avons contacté l’association médicale locale et avons discuté des moyens pour que cet effort se poursuive après notre départ.

Nous tenons à souligner l’importance de notre expérience dans des circonstances si particulières et difficiles. Cette expérience constitue un héritage pour l’avenir. Chaque jour, nous constatons que la vague de solidarité et l’accueil chaleureux des habitants de nos îles et de bien d’autres vient adoucir la situation tragique de ces réfugiés.

Les quelques cas d’exploitation et d’escroquerie constatés ne peuvent pas altérer la force de ce grand effort de solidarité.

La même vague de solidarité se manifeste chez de nombreux peuples européens, à l’opposé de leurs gouvernements qui, en raison des guerres civiles qu’ils fabriquent ou fomentent, sont largement responsables du problème aigu des réfugiés aujourd’hui.

Ces gouvernements démontrent leur aversion pour cette valeur suprême qu’est la solidarité, révélant ainsi le cynisme de leur politique ou, dans le meilleur des cas, leur indifférence.

Malheureusement, sur les côtes grecques ne s’échouent pas seulement des corps inertes mais aussi une partie de notre culture européenne.

Le KIΑΛΛΗ (KIALLI) de Thermi
reprend ses missions à Eidomeni.
kialli.png

Le dispensaire social solidaire (KIALLI) de Thermi applaudit vivement la décision de réouverture de la station de transition de réfugiés à Eidomeni. Notre diagnostic, après examens médicaux des réfugiés rencontrés à Eidomeni, est net: une partie significative de la population de réfugiés se trouve dans un état de fatigue avancée et d’épuisement.

Ces symptômes étaient encore plus évidents au sein des groupes vulnérables (nourrissons, enfants, femmes enceintes, personnes âgées).
L’exposition des réfugiés à des conditions de déplacement précaires dans la mer Égée a certainement un impact sur leur santé.
Les décès par hypothermie survenus à Skala Skamnias à Mytilène le confirment.

La souffrance éprouvée par les réfugiés lors de leurs longs trajets en autobus, la difficulté d’accéder à des toilettes (dans les aires de stationnement) et leur malnutrition induisent des risques graves pour la santé. Ces risques doivent être pris au sérieux par l’État.

Les difficultés de fonctionnement de la station à Eidomeni rendent la «gestion» des décès encore plus difficile. N’oublions pas que nous parlons de vies humaines.
Pour renforcer l’aide nécessaire face à cet état d’urgence, KIALLI a repris son action
à Eidomeni depuis le 23 janvier.

Le protocole d’action est similaire à celui de nos missions précédentes. Suite à une décision de la réunion des bénévoles, le KIALLI agira en synergie avec Eidomeni Oikopolis.

Soutenez KIALLI ! Nous avons besoin de médicaments, ainsi que de la participation de médecins, d’infirmières et d’autres bénévoles dans nos missions.

Dispensaire Social Solidaire (KIALLI) de Thermi

2e km de la rue Thermis Triadiou,

tél. (0030) 23 10 46 53 53 (10 h – 12 h et 17 h – 20 h de lundi à
vendredi).

E- mail : info@kiallithermis.gr, Site : www.kiallithermis.gr.


FACE AU PROBLÈME DES MIGRANTS,
LA GRÈCE MARIONNETTE

DES GRANDES PUISSANCES EUROPÉENNES

La crise des migrants est l’occasion pour les grandes puissances européennes de renforcer leur domination politique sur les États faibles de la périphérie méditerranéenne, notamment la Grèce.

L’Allemagne a réfléchi un temps à un échange inique: proposer à la Grèce de garder plus de réfugiés sur son sol contre un assouplissement du mémorandum.

Puis il a été reproché à la Grèce une mise en place trop lente des récupérations
d’empreintes digitales des réfugiés et migrants «illégaux».
Le 3 décembre, sous la pression d’une exclusion de l’espace Schengen (espace intraeuropéen dit de libre circulation), la Grèce a été contrainte de demander à Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières de l’UE, le déploiement sur son territoire d’équipes «RABIT» (équipes mobiles d’assistance rapide), pour «mieux contrôler la mer Égée».
Les menaces ont redoublé récemment pour que la Grèce ne se contente pas d’un seul hot spot, centres d’enregistrement et de tri des migrants (actuellement sur l’île de de Lesbos), mais en ouvre cinq.
On apprend enfin qu’Angela Merkel vient de faire miroiter à Alexis Tsipras qu’Athènes pourrait bénéficier d’une ouverture de discussions sur la restructuration de sa dette publique en échange d’un contrôle renforcé des flux migratoires.

En même temps qu’elle fait pression sur la Grèce, la Commission européenne a organisé un sommet en novembre 2015 pour négocier avec la Turquie, principal pays de transit des migrants syriens, la mise en place d’une politique visant à rendre ses frontières plus imperméables contre relance du processus d’adhésion à l’UE et promesse de versement financier (3 milliards), renforçant par là même le pouvoir des dirigeants de l’AKP (le parti au pouvoir) et leur stratégie de répression du peuple kurde.

La politique européenne à courte vue ne règle rien sur le fond et n’empêchera pas les populations civiles de fuir des conflits qui sont attisés par l’Occident pour des raisons impérialistes.

La priorité est bien de transformer l’Europe sur la base d’une véritable coopération entre les peuples et d’agir pour un règlement politique des situations de misère et de conflits qui accablent de nombreux pays notamment la Syrie.


LA BUlGARIE, CHYPRE, LA GRÉCE, LA HONGRIE ET LA ROUMANIE ÉTABLISSENT UN FRONT PRO-ISRAÉLIEN

arton190133-3b187.jpg

RÉSEAU VOLTAIRE

2 FÉVRIER 2016

arton190133-3b187.jpg

La Bulgarie, Chypre, la Grèce, la Hongrie et la Roumanie ont passé un accord avec l’État hébreu pour défendre ses positions au sein de l’Union européenne.

Le 18 janvier, ces cinq États ont fait bloc pour contraindre les ministres européens des Affaires étrangères de retirer toute critique envers Israël du communiqué final de leur sommet mensuel .

Le 29 janvier 2016, Chypre, la Grèce et Israël sont convenus d’un accord pour construire un gazoduc et exporter du gaz au sein de l’Union européenne. Pour ces deux États, il s’agit d’un retournement complet de politique à l’initiative d’Aléxis Tsípras.

Frédéric LORDON, SYRIZA, PODEMOS, LE COMBAT CONTINUE

pdf-3.jpg

img190-ee06e.jpgFrédéric LORDON

logo-labas.pngTEXTES À L’APPUI.

“là-bas si j’y suis”

le lundi 21 décembre 2015

2015 restera l’année de la Grèce. Un espoir formidable puis un échec face à une Europe de fer. Fallait-il sortir de l’Euro? À l’heure où Podemos fait une percée en Espagne, la question demeure. Dans notre émission du 18 septembre, Frédéric LORDON a retracé cette épopée. En voici la transcription.

Désormais, nous vous proposons une version écrite de certaines de nos émissions, «TEXTES À L’APPUI».

Notez que les éditions Les Liens qui Libèrent publient les articles de Lordon sur la Grèce: On achève bien les Grecs : chroniques de l’euro 2015.

Retrouvez le blog de Frédéric sur le site du Monde diplomatique « La pompe à phynance ».

Retranscription de l’intervention de Frédéric LORDON dans notre LÀ-BAS Hebdo n°24 du 18 septembre 2015, à écouter ici «FRÉDÉRIC LORDON: LA GRÈCE EST PASSÉE SOUS LA TABLE» ou à voir là «J’ai peur que Podemos finisse aussi mal que Syriza »

SOMMAIRE

  • Le grand débat autour de la sortie de l’euro
  • Le martyr des Grecs comme arme de dissuasion
  • Une sortie de l’euro, c’est possible. Comment ?
  • La sortie de l’euro : une révolution, d’abord intellectuelle
  • L’Europe ou les camps ?
  • No Podemos !
  • Et la gauche française dans tout ça ?
  • Unité Populaire ?

Daniel Mermet : En janvier dernier, quelques jours avant la victoire aux législatives du parti Syriza et la nomination d’Alexis Tsipras comme Premier ministre, nous étions déjà autour de cette table. Et tout de suite, tu nous as fait part de tes doutes. Ce qu’on a eu du mal à comprendre. Pour nous, c’était formidable, la gauche de la gauche arrivait en Grèce ! Aujourd’hui, force est de reconnaître que tu n’avais pas entièrement tort. Même si tu avais vraiment cassé l’ambiance ce soir-là !
Malgré tes doutes, cette victoire du 25 janvier nous a procuré un plaisir immense. C’était la première fois, depuis bien longtemps, qu’un pouvoir de gauche arrivait en Europe. Lors du référendum du 5 juillet autour de la crise de la dette publique, on a tous appris le mot formidable : « oxi », le « non » massif des Grecs aux nouvelles mesures de rigueur imposées par l’Europe. Malheureusement aujourd’hui, l’euphorie est retombée et on ne peut pas dire que l’heure soit aux grandes réjouissances. Même si cette séquence historique reste riche de promesses.

Frédéric Lordon: On va reprendre la chronologie des évènements. Ça commence avec les législatives très prometteuses de juin 2012, quand Syriza loupe d’un cheveu la majorité au Parlement. À la place, arrive aux manettes, le parti du Premier ministre Antonis Samaras (Nouvelle Démocratie), un gouvernement aussi vérolé que tous ceux qui l’ont précédé.
Le 25 janvier 2015, retournement de situation, Syriza remporte les législatives. Un moment extraordinaire parce que c’est la première véritable alternance politique en Europe depuis des décennies. L’espoir est considérable, même si l’avenir s’annonce rude pour les finances publiques grecques. L’échéancier 2015 du remboursement de la dette grecque est sacrément imposant. C’est à coup de milliards qu’ils allaient devoir payer le FMI ou la Banque centrale européenne.
Arrive le 21 février 2015, première étape significative : la Grèce et les ministres des Finances de la zone euro (Eurogroupe) signent un accord qui prolonge de quatre mois le plan d’aide à Athènes. Quatre mois de répit, avec une clause de revoyure en juin pour renégociation sérieuse. Laquelle, évidemment, se passe aussi mal que prévu, le mois de juin arrivé.
C’est alors que Tsipras fait un formidable coup stratégique : pour contrer l’ultimatum des créanciers, il décide d’en appeler au peuple par voie de référendum. Une façon de circonvenir les institutions européennes et de leur rappeler qu’en Europe, la démocratie existe. Une semaine de campagne échevelée démarre et le jour du référendum, c’est le raz-de-marée : le « non » au diktat de l’Eurogroupe gagne à plus de 60%. Un succès considérable.
Et c’est là que tout bascule à nouveau. Dans les deux jours qui suivent le referendum, Tsipras fait un tête-à-queue et repart exactement à l’opposé de ce vers quoi le propulsait l’appui populaire. Un vrai jeu de montagnes russes…

DM : Il était coincé, le camarade ! Obligé d’avaler un plat de couleuvres avec un revolver sur la tempe.

Frédéric Lordon: Dès le mois de janvier, j’ai compris qu’à partir du moment où Tsipras refusait par principe d’envisager l’option de la sortie de l’euro, il se privait du seul instrument stratégique à sa disposition pour essayer de contrebalancer, a minima, l’asymétrie du rapport de force entre la petite Grèce et les institutions européennes. Partant de là, les carottes étaient cuites ! Ou plutôt, elles étaient dans l’autocuiseur, le feu était allumé et il n’y avait plus qu’à attendre.

Le grand débat autour de la sortie de l’euro

DM : Selon toi, Tsipras a donc mal joué. Mais que pouvait-il faire puisque l’opinion grecque, elle-même, dit qu’elle ne veut pas sortir de l’euro!

Frédéric Lordon: Ce sont les sondages qui affirment que l’opinion grecque dit qu’elle ne veut pas sortir de l’euro. C’est très différent. Depuis quand fait-on de la politique au cul des sondages ? Parce que c’est exactement ce qu’a fait Tsipras ! Il s’est abrité derrière les sondages pour rationnaliser son incapacité radicale à envisager la sortie de l’euro. Mais qu’est-ce qu’un sondage qui, au débotté, pose une question aux gens sans leur avoir laissé le temps de s’en saisir, de la malaxer, individuellement ou collectivement ?
Je rappelle qu’en France, en janvier 2005, les sondages sur le traité constitutionnel européen donnaient le « oui » à 60%. Et finalement, au référendum du 29 mai, c’est le « non » qui est sorti dans les urnes à 55% ! Tout simplement parce qu’entre-temps, il y a eu cinq mois de débats intenses. Un moment démocratique et historique exceptionnel.
Ce que je reproche à Tsipras, c’est précisément de ne pas avoir engagé le capital symbolique et politique de sa victoire électorale, pour mettre l’opinion grecque au travail sur la question. Ce qui, malgré tout, n’a pas empêché les Grecs d’analyser tout seuls le problème. C’est ainsi que lors du referendum, en dépit du terrorisme intellectuel qui a pilonné, jour après jour, que voter « non » c’était voter pour la sortie de l’euro, les Grecs ont maintenu le cap à 60%. Quand une société est ainsi en marche, c’est à l’homme politique de lui faire une proposition.

DM : Tu isoles Tsipras, mais autour de lui, il y a le parti Syriza, des conseillers, tout un mouvement intellectuel… Tu dis toi-même que, dans l’ensemble, Syriza ne voulait pas faire mûrir le débat sur la sortie de l’euro, ni proposer de referendum.

Frédéric Lordon: Lors de l’accord intermédiaire Eurogroupe du 21 février, j’ai eu la faiblesse d’espérer, comme tout le monde, que Tsipras avait compris à qui il avait affaire et qu’aucune discussion rationnelle n’était possible. Je pensais qu’il était lucide et qu’il avait signé cet accord pour gagner quatre mois, afin d’avoir le temps de préparer, sur le plan logistique et politique, l’animation d’un débat public en vue de la sortie de l’euro. Il n’en a rien été. Alors c’est vrai, Tsipras n’est pas tout seul. Il y a Syriza derrière. Mais il faut comprendre que Syriza est loin d’être une entité monolithique. C’est un rassemblement assez hétéroclite, avec une aile droite, une aile gauche… Et si, effectivement, la majorité de ses membres refusaient la sortie de l’euro, il y avait quand même une grosse minorité – un peu plus de 40% – qui pensait, elle, exactement le contraire. Tout simplement parce qu’imaginer échapper à la camisole du mémorandum tout en restant dans l’euro était une contradiction ! Et qu’il fallait donc choisir entre les deux termes de cette contradiction.

DM : Il ne faut pas oublier non plus la pression qu’ont exercée sur la Grèce les gouvernements et les médias européens, notamment français.

Frédéric Lordon: C’est vrai, la pression était totale et venait de partout. Parmi les nombreuses erreurs stratégiques commises par Tsipras, il y a eu cette idée folle qu’il allait pouvoir faire alliance avec ce qu’il croit encore être la gauche, en France et en Italie. Comme si François Hollande ou Matteo Renzi pouvaient, à quelque titre que ce soit, être qualifiés d’hommes de gauche ! Et comme s’ils avaient pu avoir la moindre velléité de venir à son secours en pesant sur le bloc allemand et en essayant d’infléchir les politiques économiques européennes. Tsipras a fait une erreur d’appréciation stratégique colossale.
Les Grecs étaient totalement isolés. D’un côté, ils avaient les durs dont la seule intention était de leur faire la peau, et de l’autre, les Espagnols, les Portugais, les Irlandais, pas du tout prêts à les soutenir. A priori, c’est vrai que c’étaient les seuls sur lesquels Tsipras aurait pu espérer compter, au titre de la solidarité des malmenés. Mais pour ces pays qui étaient passés au travers de la purge, obtenir avec la Grèce une détente du mémorandum aurait été se tirer une balle dans le pied. Ayant eux-mêmes imposé comme des abrutis l’austérité à leurs peuples, ils se voyaient mal aider les Grecs à sortir leur épingle du jeu ! Donc tout le monde était contre lui. Et en premier lieu, les médias, spécialement français, dont l’européisme obtus est une constante de longue période.

Le martyr des Grecs comme arme de dissuasion

DM : Le néo-keynésien américain Joseph Stiglitz, pour qui « un autre capitalisme est possible », est exactement sur ta ligne concernant la Grèce. Il pense qu’on s’acharne sur les Grecs « pour faire un exemple » et dissuader tous ceux qui seraient tentés par l’indiscipline.[Entretien avec Joseph Stiglitz, [http://la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/85-milliardaires-dans-un-autobus, 9 septembre 2015]]

Frédéric Lordon: C’est absolument vrai. Et Stiglitz est loin d’être un gauchiste! Mais les économistes américains, qui n’ont aucun investissement affectif ou dogmatique dans la construction européenne en soi, sont dégagés et détachés de toute pulsion fétichiste. Ils voient les choses avec un sang-froid rationnel qui échappe totalement aux économistes européens. Voire même à certains économistes des gauches critiques européennes qui communient dans la foi alter-européiste selon laquelle un autre euro est possible.
Stiglitz, lui, analyse les choses rationnellement : la construction monétaire européenne est une architecture de règles et de principes auxquels il est rigoureusement impossible de déroger. C’est une construction entièrement juridique, inscrite dans les traités et donc irréversible et rigidifiée au dernier degré. Peu importe les nécessités de la conjoncture, il n’y a pas la moindre possibilité d’ajustements.
Évidemment, cet édifice a été validé par tous les États européens qui ont été emportés par la vague néolibérale des années 1980. Mais si tous les États sont égaux, certains le sont plus que d’autres : au premier chef, l’Allemagne. Pour Berlin, il était hors de question d’entrer dans la construction européenne autrement qu’en faisant de cette Europe l’exacte décalcomanie de ses propres institutions monétaires. L’Allemagne tenait à ce qu’il y ait des règles, que ce soit les siennes, et que jamais on ne puisse les modifier. C’est notamment cette dinguerie fondamentale que dénonce Stiglitz.

Une sortie de l’euro, c’est possible. Comment ?

Frédéric Lordon: Une sortie de l’euro est possible. Sauf que la question n’est pas, comment sortir de l’euro ? Mais, sortir de l’euro pour quoi faire ?
On peut sortir de l’euro par bien des côtés, mais qui sont loin de se valoir tous. Imaginons que le Front National parvienne au pouvoir. Et qu’il fasse la sortie de l’euro comme il le claironne (une escroquerie à laquelle je ne crois pas du tout). Ce serait, quoiqu’il en soit, d’une manière qui n’aurait rien à voir avec celle qu’est en train d’envisager, par exemple, Unité Populaire[[Unité Populaire : parti grec fondé par les dissidents de Syriza en août 2015]]. Parce que la sortie de l’euro, c’est à la fois très simple dans ses principes, mais assez compliqué dans sa mise en œuvre opérationnelle.
Restons sur le cas de figure de la Grèce : pour sortir de l’euro, techniquement, on fait quoi ? On commence par réarmer la banque centrale nationale. Aussitôt, on décrète qu’elle s’extrait du système des banques centrales européennes et qu’elle se remet à émettre une nouvelle monnaie dont la conversion s’établit au pair, c’est-à-dire, qu’un euro égal une drachme. Sur les marchés de change, ça va tanguer, c’est certain ! Mais on dit ça au départ.
Une fois réarmée, la banque centrale grecque entreprend de conduire une politique monétaire qui n’a plus rien à voir avec celle de la banque centrale européenne. On l’autorise, par exemple, si les conditions s’y prêtent et qu’elle a une réserve importante, à accorder des financements monétaires au déficit public. Évidemment, on envoie paître tous les memoranda et les mesures d’austérité imposés par l’Europe. Et tant qu’on y est, on fait défaut sur la dette. Quand on en arrive à ce genre de rupture, autant ne pas faire les choses à moitié ! Donc, on ne rembourse ni la BCE, ni le FMI, ni les créanciers privés. Et on ne rembourse pas le Mécanisme européen de stabilité (MES), c’est-à-dire le fonds d’assistance aux pays endettés. (Il est certain que la situation financière de l’économie grecque s’en trouve tout de suite largement amélioré.) Pour autant, afin de ménager le système bancaire grec et empêcher qu’il ne s’effondre, l’État peut continuer à payer, au moins en partie, la dette qu’il détient.
Évidemment, il faut prendre un tas de mesures d’accompagnement. Notamment, instaurer un contrôle des capitaux. Ce qui est de toute façon souhaitable, indépendamment de la sortie de l’euro. Car ce dont il est question en réalité, ce n’est pas seulement de changer de monnaie, ni même de pouvoir dévaluer. Le but, c’est de recréer complètement un modèle de politique économique sur la base de principes entièrement rénovés. Et même de refaire une partie des structures économiques en desinsérant l’économie grecque de la circulation internationale des capitaux. Donc en se mettant en retrait (pas complètement mais sélectivement) des marchés financiers internationaux et surtout en refaisant les structures bancaires. Autrement dit, dès qu’on sort de l’euro, on nationalise tout le système bancaire.

La sortie de l’euro : une révolution, d’abord intellectuelle

DM : Quelle est la position des partisans du plan B sur la question de la sortie de l’euro?

Frédéric Lordon: Franchement, je ne sais pas ce qu’est ce fameux plan B. J’ai d’abord cru que c’était une tentative de bonne foi pour tirer les conséquences des évènements terribles qui se sont déroulés en Grèce cet été[[À lire : http://la-bas.org/la-bas-magazine/articles/la-grece-s-est-fait-la-belle-mais-elle-s-est-fait-reprendre-et-placer-en-haute]]. Et que ses partisans prenaient acte de la nécessité stratégique impérieuse de réintégrer la sortie de l’euro dans le paysage des options disponibles. Aujourd’hui, je suis moins sûr de mon coup. J’en veux pour preuve l’attelage passablement hétéroclite qui est en train de se former autour du plan B.
Si l’on examine la ligne de Varoufakis[[Yanis Varoufakis : ministre des Finances météore qui a quitté le gouvernement Tsipras en juillet 2015]], par exemple : de son propre aveu, son plan B était juste une roue de secours pour rejoindre la station service et essayer de faire le plein. Ca devait aider à tenir quelques jours, histoire de renégocier (des clopinettes, à mon sens) avec l’Eurogroupe. Ce n’était absolument pas un plan de sortie de l‘euro.
Varoufakis a été viré par Tsipras, certes, mais fondamentalement, tous deux partagent le même refus radical d’une sortie de l’euro. Il suffit d’écouter en quels termes Varoufakis en parle: «la sortie de l’euro, c’est la fragmentation nationaliste et xénophobe de l’Europe…».

DM : En gros, Varoufakis est dans le camp des réformateurs qui veulent agir à l’intérieur du cadre en repeignant le tableau par petites touches. Rien à voir avec les révolutionnaires qui proposent de faire un autre tableau, dans un autre cadre.

Frédéric Lordon: Pour moi, c’est le grand mystère. Varoufakis s’acharne à vouloir peindre à l’intérieur du cadre, alors qu’il s’est pris son seau de peinture sur la tête et qu’il s’est fait traîner à la sortie de la ville à califourchon sur un rail. Mais il persiste ! J’y vois la force sociale de la croyance.
C’est très comparable à ce qui s’est passé dans les années 1920 avec l’étalon-or. Ce système monétaire international avait des propriétés formellement très semblables à celles de l’euro. Ce système, qui ne cessait de diffuser des effets dépressionnaires et récessionnistes, a produit les pires catastrophes au moment de la crise de 1929. Jusqu’à ce que l’étalon-or finisse lui-même par éclater tant c’était rigoureusement intenable.
Pourtant, on n’imagine pas la puissance de cette croyance en l’étalon-or chez les élites de l’époque ! Une croyance quasi religieuse. Le spectacle des effets catastrophiques de la chose avait beau se dérouler sous leurs yeux, les entendements étaient bloqués. Pas moyen de leur faire admettre la moindre révision. C’est exactement ce qui nous arrive avec l’euro. Et le pire, c’est que même ceux qui ont été le plus violemment maltraités par l’euro en demeurent, d’une certaine manière, mentalement prisonniers. Ils ne peuvent pas sortir du cadre.
En l’occurrence, il n’existe pas un seul et unique cadre, mais une multitude, emboîtés les uns dans les autres. Dans la Malfaçon[[Frédéric Lordon, La Malfaçon. Monnaie européenne et souveraineté démocratique, édition Les liens qui Libèrent, 2014]], j’explique qu’il faut d’abord sortir du cadre de la construction monétaire européenne, avant de pouvoir sortir de celui du capitalisme. Pour moi, la cause est entendue, l’urgence c’est l’euro : si nous restons à l’intérieur du système, nous n’obtiendrons rien de différent et continuerons d’y souffrir mort et passion. Donc, ce cadre-là, il faut le péter. C’est d’ailleurs comme ça qu’on aura des chances de faire trembloter le capitalisme. Parce qu’un plan de sortie de l’euro par la gauche implique qu’on refasse les structures de la banque et de la finance. Ce qui revient à s’attaquer au cœur du réacteur du capitalisme.

L’Europe ou les camps ?

DM : Ce qui mine les débats sur l’Europe, c’est cette hantise très intériorisée du repli nationaliste. On se souvient de Jean-Marie Cavada disant en 2005 « il faut voter oui, car voter non c’est voter Auschwitz ». On a intégré l’idée que la gousse d’ail et le crucifix contre le nazisme et toutes les horreurs, c’est l’Europe.

Frédéric Lordon: Les débats ont atteint un tel degré de polarisation antinomique que le choix c’est : l’euro ou les camps ! À une autre époque c’était : la mondialisation ou la Corée du Nord !
Euclid Tsakalotos, le ministre des Finances qui a succédé à Varoufakis, a dit lui-même que sortir de l’euro c’était se préparer au retour des camps. C’est Stathis Kouvelakis, d’Unité Populaire, qui le raconte dans un long entretien qu’il a donné à la revue américaine Jacobin[[Sébastien Budgen and Statis Kouvelakis, Jacobin, «Greece: The Struggle Continues», Jacobin, https://www.jacobinmag.com/2015/07/tsipras-varoufakis-kouvelakis-syriza-euro-debt/, 14 juillet 2015]], au lendemain de l’Eurogroupe.
Je me bats contre cette connerie depuis le début de la crise européenne. Mais on a beau répéter les choses cent fois, ça ne passe pas. Pourtant, il suffit de se souvenir de la vie avant l’euro. Ce n’est pas si vieux ! À l’époque de la CEE, il n’y avait ni monnaie, ni grand marché uniques et, à ce que je sache, nous n’étions pas en pleine troisième guerre mondiale et les extrêmes droites ne tenaient pas le haut du pavé. Je dirais même qu’elles avaient tendance à être beaucoup moins présentes qu’aujourd’hui. Je rappelle par ailleurs qu’il y a cent quatre-vingt pays qui n’ont pas le grand bonheur d’appartenir à la zone euro et qui, pour autant, ne sont pas tous des nazis.
C’est par infirmité intellectuelle qu’on est incapable de comprendre que les nations européennes peuvent entretenir entre elles des liens fructueux et denses qui ne passent pas par la monnaie, la circulation des capitaux, des containers et des camions.
Le vrai internationalisme est celui de la culture, du tourisme, de la science, de la pensée. Il faut voir tout ce que l’Europe a réussi à faire quand l’euro n’existait pas, Airbus, Ariane, le CERN, Erasmus… Si on réussit à défaire l’euro, il faudra pousser à fond les curseurs dans toutes les autres directions, dans tous les autres compartiments du jeu. Ce n’est pas ce qu’on appelle le repli national !

DM : Le problème avec la question de la souveraineté, c’est qu’elle peut conduire à de drôles d’alliances. Depuis que Jacques Sapir fait du pied au Front National, tout le monde s’interroge. Est-ce qu’un jour, on ne va pas retrouver Lordon en train de guincher avec Marine?

Frédéric Lordon: La souveraineté, selon son concept, ne signifie rien d’autre que : décider ensemble. Elle appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants. On sait bien que la comédie parlementariste n’est pas une réalisation satisfaisante de cet idéal, mais pour autant l’idéal existe et il travaille dans les esprits. Les euroépistes fanatiques, eux-mêmes, sont des souverainistes puisqu’ils sont les partisans d’une reconstitution de souveraineté, mais à l’échelle européenne ! Donc, arrêtons avec ces confusions conceptuelles à n’en plus finir.
Maintenant, parlons de Jacques Sapir. C’est une catastrophe, même si c’était assez prévisible. Au moment où l’épisode grec a vraiment fait bouger les choses, Sapir a déboulé en nous servant une louche bien épaisse de Front National. Quatremer, Colombani, Leparmentier n’attendaient que ça pour agiter l’épouvantail du Front National, le seul argument qu’il leur reste.
Ceci étant, il serait idiot de nier que des forces de convergence troubles sont à l’œuvre. Une réalité d’autant plus dangereuses que l’époque est dangereuse elle-même. Dans les époques de confusion, il faut tenir un cap intellectuel et idéologique avec une rigueur de fer. Ne pas céder au moindre pas de côté, parce que sinon, c’est le début d’une glissade qui peut se révéler irréversible. Avec Sapir, manifestement, c’est le cas.

No Podemos !

DM : Parlons maintenant du parti Podemos en Espagne. Ils ont suscité un grand enthousiasme, on s’est dit que c’était un mouvement formidable qui réinventait la politique. Mais aujourd’hui, c’est en train de tourner curieusement. Les sondages sont moins bons et on assiste à des rapprochements beaucoup moins révolutionnaires que ceux que l’on aurait pu imaginer.

Frédéric Lordon: Encore une fois, on va croire que j’ai une passion mauvaise pour le chamboule-tout et que j’ai décidé de dégommer tous ceux en qui on a envie d’espérer. Mais je suis navré de le dire, Podémos est bien pire que le Syriza de Tsipras. Aujourd’hui, les gauches européennes sont dans un tel désarroi qu’elles surinvestissent massivement la première occasion d’espérer, à rebours de toute lucidité analytique. C’est comme ça qu’on a surinvesti le Syrisa de Tsipras, puis héroïsé et iconisé Varoufakis. Maintenant, c’est au tour de Podemos.
Je ne dis pas qu’il faille abandonner toute espérance, parce qu’il existe quand même un paysage dans lequel il y a eu Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, Corbyn au Royaume-Uni, Bernie Sanders, le candidat démocrate tout à fait inattendu aux États-Unis… Ca veut dire que la sociale démocratie occidentale est en phase terminale. Elle est en pleine décomposition et il va falloir que tout ça rejoigne très vite les poubelles du restaurant.
En même temps, ce qui se construit par-dessus cette pourriture est encore un peu trouble. Je dirais même que Podemos va être encore plus incertain que Syriza parce qu’à la différence de Tsipras, les Espagnols n’essaieront même pas d’aller plus loin. C’est mon anticipation.
J’ai apporté une vidéo éclairante qu’a faite Iglesias, le fondateur de Podemos, sur le site du quotidien La Republica, le 31 juillet 2015[[http://larepublica.es/2015/07/31/iglesias-si-podemos-gana-no-vamos-a-hacer-mucho-mas-de-lo-que-ha-hecho-grecia/]]. Il dit : «Ce qu’a fait le gouvernement grec est malheureusement l’unique chose qu’il pouvait faire. Nous ne pouvons pas faire de grandes choses, une réforme fiscale, nous battre pour la déprivatisation de la santé, pour une éducation publique, nous ne pouvons pas faire beaucoup plus». «No podemos hacer grandes cosas. No podemos hacer mucho mas que…etc»
C’est un parti qui s’appelle Podemos et qui n’arrête pas de dire «no podemos». C’est vraiment ballot! Pour eux, la croyance en l’euro est inébranlable et il est hors de question d’engager le rapport de force avec les institutions européennes.
Pour moi, Podemos est un tigre de papier qui s’affalera avant même d’être arrivé au pouvoir parce que le parti a fait de l’efficacité électorale son leitmotiv absolu. Leur dernier congrès a vu triompher une motion qui mettait sur le côté les «cercles Podemos», c’est-à-dire la démocratie participative locale du mouvement. Tout ça pour pouvoir reconstruire un parti politique des plus classiques, avec leader et objectif d’accession au pouvoir. Par rectifications successives et accélérées, tous les espoirs que l’on pouvait mettre dans le Podemos du début de l’année ont été abandonnés en cours de route. Et malheureusement, j’ai peur que cela finisse aussi mal que Syriza.

Et la gauche française dans tout ça ?

DM : Quelle est l’influence de tout cela sur la gauche française ? Se pose-t-elle des questions, en tire-t-elle des leçons ?

Frédéric Lordon: Il ne s’est pas rien passé, c’est sûr. La gauche que j’appelle «alter européiste», et qui défend la thèse que nous allons reconstruire un autre euro et nous débarrasser de l’austérité par le rapport de force, a été très ébranlée. Pour Attac ou la fondation Copernic par exemple, c’est le commencement des grandes révisions stratégiques. Je ne dirais pas que l’aggiornamento est à portée de main, mais les gens avec lesquels j’ai ferraillé amicalement se sont mis en mouvement. C’est manifeste, ils ne disent plus les mêmes choses depuis le juillet grec. Même si l’idée qu’il faut un acte de rupture avec l’euro pour y arriver n’a pas encore totalement pris consistance. Du coup, on reste coincé dans cette espèce de dialectique du plan A et du plan B : on va ouvrir le rapport de force, aller à l’épreuve et si – et seulement si – on n’y arrive pas, alors on sortira.
Ce qui est intéressant dans cette dialectique, c’est cette idée d’aller au bout du rapport de force pour obtenir la vérification ultime, par acquis de conscience en quelle que sorte, que ça ne pouvait pas marcher. Je trouve la démarche très sympathique. Simplement, il ne faut pas se raconter d’histoires, le plan A va vivre ce que vivent les roses, l’espace d’un matin. Très rapidement, il va se transmuter en plan B, du seul fait de l’opposition radicale du bloc allemand.
Soit dit en passant, ce qu’on occulte systématiquement, c’est que cette Allemagne intraitable puisse foutre le camp un jour! Je suis convaincu que si elle se retrouvait dans un rapport de force un tant soit peu défavorable, avec un groupe de pays qui la contraigne à mettre de l’eau dans son vin, ses règles et ses principes, c’est elle qui prendrait la tangente. Je serais presque tenté de dire que les forces objectivement les plus puissantes de la décomposition de l’euro ne sont pas du côté des pays dominés, mais du côté des pays dominants. La Finlande, par exemple, ne veut plus entendre parler de l’euro, l’Allemagne se pose des questions… Et on n’est pas passé loin de la rupture avec la Grèce qui est un tout petit État. Si jamais un bloc de pays comme l’Espagne commençait à mettre le souk dans l’ordonnancement européen, ça pourrait aller très mal.

Unité Populaire ?

DM : Que peut-on espérer du petit parti dissident Unité Populaire ? Pour l’instant, il ne pèse pas lourd dans les sondages, mais il est cohérent et a été rejoint par le créateur de Syriza, Manolis Glézos.

Frédéric Lordon: Tsipras a précipité les élections législatives pour empêcher Unité Populaire, qui est un parti très jeune, de s’organiser et de monter en puissance. Moyennant quoi, Unité Populaire doit faire 5 ou 7% dans les sondages, ce qui est déjà admirable, compte tenu de la brève existence du mouvement.
Le drame c’est que, comme l’explique Stathis Kouvelakis, la vague d’opprobre qui est en train d’emporter Syriza est telle, qu’elle frappe toute la gauche de manière indiscriminée. Au point qu’Unité Populaire, qui a pourtant défendu une ligne opposée à celle de Tsipras, risque d’être balayée de la même manière.
Pour les camarades grecs, la chose est claire : le mouvement Syriza va disparaître et ce sera la grande réussite de Tsipras. On va assister à la fin d’un cycle politique et au commencement d’un autre. À l’évidence, Unité Populaire est maintenant un parti homogène du point de vue de la ligne stratégique. Mais tout va dépendre de la conjoncture macroéconomique des douze prochains mois. Ca va être terrible ! La Grèce va vers une récession encore plus saignante qu’en 2010 et 2012. Et à l’épreuve de ces immenses difficultés, l’option de la sortie de l’euro va retrouver de la consistance et regagner du crédit. En tout cas, c’est ce qu’il faut espérer.
Imprimer Partager sur Facebook Partager sur Twitter

ob_536556_mermet-lordon.jpg
Daniel Mermet et Frédéric Lordon en 2012 du temps de France inter. Photo DR
[
repris sur le blog algerieinfos-saoudi->http://www.algerieinfos-saoudi.com/2015/12/syriza-podemos-le-combat-continue-frederic-lordon.html]

ÉLECTIONS ESPAGNOLES

pdf-3.jpg GRANDE PERCÉE POLITIQUE “ANTI AUSTÉRITAIRE” EN ESPAGNE

Publié par Saoudi Abdelaziz

21 Décembre 2015

Venu en tête la Droite (PP) essuie une dure défaite en perdant la majorité nécessaire pour gouverner. Le parti socialiste PSOE a encore dégringolé. continue de dégringoler. À eux deux ils ne vont que 50,7% des voix contre 73 % des voix aux dernières législatives de 2011.

«Une nouvelle Espagne est née, qui met fin au système du ‘turno’», s’est enthousiasmé Pablo Iglesias, à propos du système bipartiste d’alternance au pouvoir entre le PP et le PSOE en vigueur depuis le début des années 80.

Podemos, le mouvement anti-austérité a réalisé un score impressionnant. Nouveau venu dans l’arène politique, il récolte pourtant 20,62 % des voix progressant de manière significative par rapport aux 8 % aux européennes de mai 2014 et aux 13 % des régionales de mai 2015. À peine 400 000 voix séparent désormais le PSOE du Podemos. Quant aux communistes de l’IU, ils obtiennent 3,7 % (deux sièges, contre 6,9 % et dix sièges en 2011) et ne pourront donc pas former de groupe au Parlement.

Coalition ou pacte?

« Je vais tenter de former un gouvernement stable», a promis le leader de la droite Mariano Rajoy, mais Il faut au moins 176 sièges, au Congrès, pour exprimer une majorité absolue. Une coalition entre PP et PSOE, parait incertaine, ainsi qu’une formule à gauche «à la portugaise» qui agglutinerait les progressistes (Podemos, PSOE, mais aussi IU et des formations régionalistes) tant les désaccords sont très importants. En l’absence de l’une de ces deux coalitions il reste la formule d’un gouvernement minoritaire, assortie d’un «pacte» entre plusieurs partis autour de réformes.

Quitte à provoquer des élections anticipées quelques mois plus tard. « De ce point de vue, Pablo Iglesias a pris une longueur d’avance » estime Ludovic Lamant dans Mediapart. Dimanche soir, il avait posé trois conditions «urgentes et indispensables» à tout éventuel «pacte» incluant Podemos. «Il ne s’agit pas de parler d’accords entre partis, mais de réformes de la Constitution», a-t-il prévenu, dans la droite ligne de son analyse sur la «crise de régime» que traverse l’Espagne post-franquiste.

Il veut renforcer l’inscription des droits sociaux dans la loi fondamentale, réformer le système électoral et mettre en place un système de révocabilité du chef de gouvernement, à mi-mandat, qui puisse être déclenché si ce dernier ne tient pas ses promesses. «Nos 69 députés tiendront la main à toutes les forces politiques qui souhaitent avancer là-dessus, avant de parler de quoi que ce soit d’autre», a-t-il résumé.

DE LÉON BLUM À HOLLANDE QUE DE CHEMIN PARCOURU!!

le_cirque_cop_21.jpg

« De quoi est né le socialisme ? De la révolte des plus nobles sentiments de l’âme humaine, blessé par la vie, méconnue par la société.

Le socialisme est né de la conscience de l’égalité naturelle, alors que la société où nous vivons est tout entière fondée sur le privilège. Il est né de la compassion et de la colère que suscitent en tout cœur honnête ses spectacles intolérables : la misère, le chômage, le froid, la faim, alors que la terre, comme l’a dit un poète, produit assez de pain pour nourrir tous les enfants des hommes, alors que la subsistance et le bien-être de chaque créature vivante devraient être assurés par son travail, alors que la vie de chaque homme devrait être garantie par tous les autres. Il est né du contraste, à la fois scandaleux et désolant, entre le faste des uns et le dénuement des autres, entre le labeur accablant et la paresse insolente. Ill n’est pas, comme l’a dit tant de fois le produit de l’envie qui est le plus bas de mobiles humains, mais de la justice et de la pitié qui sont les plus beaux.

Le socialisme est donc une morale et presque une religion, en tant qu’une doctrine. Il est l’application exacte, à l’état présent de la société, de ces sentiments généreux et universels avec lesquels les morales et les religions se sont successivement fondées.

On est socialiste à partir du moment ou l’on se refuse à accepter, la figuration actuelle des faits économiques comme nécessaires et éternels; à partir du moment où on a cessé de dire : « Bah ! c’est l’ordre des choses ! il en a toujours été ainsi et nous ne changerons rien ! » ; à partir du moment où l’on se dit que ce soi-disant ordre des choses est en contradiction flagrante avec la volonté de justice, d’égalité, de solidarité humaines »

Léon Blum (1872-1950)

Extrait brochure : Pour être socialiste 1919 / Edition SFIO

le_cirque_cop_21.jpg

En image

Hollande en Monsieur Loyal, du Cirque Cop21 et de l’indécence était bien plus qu’hilare dans un restaurant chic parisien : l’Ambroisie, avec ses convives. Il avait invité Barack Hussein Obama et Vladimir Poutine.

Si Barack l’américain a ripaillé avec Hollande et ses fidèles lieutenants socialo-écolos pendant que 25 % de la population mondiale meure de faim. Le repas festive coïncide, avec l’ouverture des « Restos du Cœur » le même jour. D’un côté les « sans-dents », de l’autre la gauche caviar.

Le président Poutine déclinant l’invitation a adressé un message à Hollande dont voici la teneur : «Par respect pour les victimes des attentats du 13 novembre 2015, considérant qu’il serait malsain de festoyer en cette période de deuil, le Président Poutine est au regret de décliner cette invitation ».

T. O


UN MONDE IMMONDE ENGENDRE DES ACTES IMMONDES: NE PAS RENONCER À PENSER FACE À L’HORREUR

pdf-3.jpg Bouamama Saïd

15 novembre 2015

Le blog de Saïd Bouamama

repris sur raina.dz

le 16 novembre 2015

À l’heure où nous écrivons le bilan des tueries parisiennes est de 128 morts et de 300 blessés. L’horreur de cette violence injustifiable est absolue. La condamnation doit l’être tout autant, sans aucune restriction et/ou nuance. Les acteurs et/ou commanditaires de ces meurtres aveugles ne peuvent invoquer aucune raison légitime pour justifier ces actes immondes.

La tragédie que nous vivons débouchera sur une prise de conscience collective des dangers qui nous menacent ou au contraire sur un processus de reproduction dramatique, en fonction de notre capacité collective à tirer les leçons de la situation qui engendre un tel résultat.

L’émotion est légitime et nécessaire mais ne peut pas être la seule réponse. La réponse uniquement sécuritaire est également impuissante. C’est justement dans ces moments marqués par l’émotion collective que nous ne devons pas renoncer à la compréhension, à la recherche des causes et à la lucidité face aux instrumentalisations de l’horreur.
goya_quel-courage_5500-b3da9.jpg
Goya – Série Les Désastres de la guerre. Quel courage

Les postures face à notre tragédie

En quelques heures toute la panoplie des postures possibles face à la tragédie s’est exprimée. Il n’est pas inutile de s’arrêter sur chacune d’entre elles.

La première se contente de dénoncer Daesh et à exiger cette dénonciation de manière pressante de nos concitoyens musulmans réels ou supposés. Le projet politique de Daesh et les actes qui en découlent ont déjà été dénoncés par la très grande partie des habitants de notre pays, populations issues de l’immigration incluses.

Il faut vraiment être coupés de nos concitoyens musulmans réels ou supposés pour en douter. Ces concitoyens français ou étrangers vivant en France sont les premiers à souffrir de cette instrumentalisation de leur foi à des fins politiques, réactionnaires et meurtrières. «Qu’est-ce qu’on va encore prendre» est la réaction la plus fréquente qui suit l’émotion face à ces meurtres, conscients qu’ils sont des instrumentalisations de l’émotion à des fins islamophobes qui ne manquerons pas. Il ne s’agit pas d’une paranoïa mais de l’expérience tirée du passé et en particulier des attentats du début de l’année. Dans ce contexte les injonctions à la dénonciation sont ressenties comme une suspicion de complicité ou d’approbation. Une nouvelle fois ce qui est ressenti c’est une accusation d’illégitimité de présence chez soi. Voici ce qu’en disait Rokhaya Diallo dans une émission radio à la suite des attentats de janvier :

« Quand j’entends dire que l’on somme les musulmans de se désolidariser d’un acte qui n’a rien d’humain, oui, effectivement, je me sens visée. J’ai le sentiment que toute ma famille et tous mes amis musulmans sont mis sur le banc des accusés. Est-ce que vous osez me dire, ici, que je suis solidaire? Vous avez vraiment besoin que je verbalise? Donc, moi, je suis la seule autour de la table à devoir dire que je n’ai rien à voir avec ça[[http://www.atlasinfo.fr/Charlie-Hebdo-Ivan-Rioufol-somme-les-musulmans-de-se-desolidariser-de-l-attentat-Rokhaya-Diallo-en-larmes_a58395.html]]»

La seconde posture est l’essentialisme et le culturalisme. Les actes barbares que nous vivons auraient une explication simple : ils sont en germe dans la religion musulmane elle-même qui à la différence des autres, porterait une violence congénitale, une barbarie consubstantielle et une irrationalité dans son essence. Cette religion à la différence des autres religions monothéiste serait allergique à la raison et inapte à la vie dans une société démocratique.

De cette représentation de la religion découle la représentation de ses adeptes. Les musulmans seraient, contrairement aux autres croyants, une entité homogène partageant tous le même rapport au monde, à la société et aux autres.

Une telle posture conduit inévitablement à l’idée d’une éradication, l’islam apparaissant comme incompatible avec la république, la laïcité, le droit des femmes, etc.

Résultat de plusieurs décennies de diffusion politique et médiatique de la théorie du «choc des civilisations», cette posture s’exprime dans des formes plus ou moins nuancées mais est malheureusement bien ancrée dans notre société[[Voir sur ce sujet : Jocelyne Cesari, l’Islam à l’épreuve de l’Occident, La Découverte, Paris, 2004.]].

La troisième posture est celle de la relativisation de la gravité des tueries. Celles-ci ne seraient que le résultat d’une folie individuelle contre laquelle on ne pourrait rien si ce n’est de repérer le plus tôt possible les signes annonciateurs dans les comportements individuels. Nous ne serions qu’en présence d’accidents dans les trajectoires individuelles sans aucune base sociale, matérielle, politique.

Une telle posture de «psychologisation» occulte que les individus ne vivent pas hors-sol et que leur mal-être prend telle ou telle forme en rencontrant un contexte social précis. C’est à ce niveau que se rencontre l’individu et sa société, la trajectoire individuelle et son contexte social, la fragilisation et les offres sociales et politiques qui la captent pour l’orienter.

Il est évident que les candidats «djihadistes» sont issus de trajectoires fragilisées mais cela ne suffit pas à expliquer le basculement vers cette forme précise qu’est la violence nihiliste [[Sur la rencontre entre le contexte social et effets fragilisant sur les trajectoires individuelles voir Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, Le Seuil, 1952.]].

La quatrième posture s’exprime sous la forme de la théorie du complot. Les tueries seraient le fait d’un vaste complot ayant des objectifs précis : complot juif mondial, «illuminati», actes des services secrets, etc.

Elle conduit à un aveuglement face au réel et à l’abandon de l’effort de compréhension du monde et des drames qui le secouent.

Elle suscite une dépolitisation se masquant derrière une apparente sur-politisation: dépolitisation car il serait vain de rechercher dans l’économique, le social, le politique, etc., les causes de ce que nous vivons et sur-politisation car tout serait issu d’une cause politique occulte portée par un petit groupe secret.

Elle est entretenue par la négation dominante de la conflictualité sociale, des oppositions d’intérêts et des stratégies des classes dominantes pour orienter l’opinion dans le sens de ses intérêts matériels. À ce niveau l’accusation de «confusionnisme» de toute dénonciation des stratégies des classes dominantes conduit consciemment ou non à entretenir la théorie du complot. Certains «anti-confusionnistes» de bonne foi ou non entretiennent en effet boomerang le «complotisme». Ce faisant, certains «anti-confusionnistes» entretiennent la confusion[[Luc Boltanski, Enigmes et complots. Une enquête à propos d’enquêtes, Gallimard, Paris, 2012.]].

La cinquième posture est l’explication en terme du « virus externe ». Notre société serait victime d’une contamination venant uniquement de l’extérieur contre laquelle il faudrait désormais se prémunir.

Elle débouche sur une logique de guerre à l’externe et sur une logique sécuritaire à l’interne. Elle est créatrice d’une spirale où la peur et le discours sur la menace externe suscite une demande d’interventions militaires à l’extérieur et de limitation des libertés à l’interne.

Susciter une demande pour ensuite y répondre est un mécanisme classique des périodes historiques réactionnaires. L’absence de mouvement anti-guerre dans notre société est le signe que cette posture est largement répandue.

Or comme la précédente, elle conduit d’une part à l’abandon de la recherche des causes et d’autre part au sentiment d’impuissance[[Voir notre article avec Yvon Fotia « Discrimination systémique » , Dictionnaire des dominations de sexe, de race, de classe, Syllepse, Paris, 2012.]].

Il reste la posture matérialiste ne renonçant pas à comprendre le monde et encore plus quand il prend des orientations régressives et meurtrières. Minoritaire dans le contexte actuel, cette posture est pourtant la seule susceptible d’une reprise de l’initiative progressiste.

Elle suppose de recontextualiser les événements (et encore plus lorsqu’ils prennent des formes dramatiques) dans les enjeux économiques, politiques et sociaux.

Elle nécessite la prise en compte des intérêts matériels qui s’affrontent pour orienter notre demande et qui produisent des conséquences précises.

Elle inscrit les comportements individuels comme étant des résultats sociaux et non des essences en action.

Elle prend l’histoire longue et immédiate comme un des facteurs du présent.

Elle peut certes se tromper en occultant par méconnaissance une causalité ou en la sous-estimant, mais elle est la seule à permettre une réelle action sur ce monde.

Dans un monde marqué par la violence croissante sous toutes ses formes, le renoncement à la pensée nous condamne pour le mieux à une posture de l’impuissance et pour le pire à la recherche de boucs-émissaires à sacrifier sur l’autel d’une réassurance aléatoire.

Une offre de « djihadisme » qui rencontre une demande

Il existe une offre de «djihadisme» à l’échelle mondiale et nationale. Elle n’est ni nouvelle, ni inexplicable. Elle a ses espaces de théorisations et ses Etats financeurs. L’Arabie Saoudite et le Qatar entre autres, pourtant alliés des Etats-Unis et de la France, en sont les principaux[[David Benichou, Farhad Khosrokhavar, Philippe Migaux, Le jihadisme, comprendre pour mieux combattre, Plon, Paris, 2015. Et Richard Labévière, Les dollars de la terreur, Les Etats-Unis et l’islamisme, Grasset, Paris, 1999.]].

Ces pétromonarchies appuient et financent depuis de nombreuses années des déstabilisations régionales dont elles ont besoin pour maintenir et/ou conquérir leur mainmise sur les richesses du sol et du sous-sol du Moyen-Orient. Cette base matérielle est complétée par un besoin idéologique.

Elles ont besoin de diffuser une certaine vision de l’Islam pour éviter l’émergence et le développement d’autres visions de l’Islam progressistes et/ou révolutionnaire qui menaceraient l’hégémonie idéologique qu’elles veulent conquérir.

Plus largement les pétromonarchies sont menacées par toutes les théorisations politiques qui remettent en cause leur rapport aux grandes puissances qui dominent notre planète : nationalisme, anti-impérialisme, progressisme dans ses différentes variantes, communisme, théologie de la libération, etc.

C’est à ce double niveaux matériel et idéologique que s’opère la jonction avec la «réal-politique» des puissances impérialistes.

Elles aussi ont un intérêt matériel à la déstabilisation de régions entières pour s’accaparer les richesses du sol et du sous-sol, pour justifier de nouvelles guerres coloniales en Afrique et au Moyen-Orient, pour supplanter leurs concurrents, pour contrôler les espaces géostratégiques et pour balkaniser des Etats afin de mieux les maîtriser.

Elles aussi ont un besoin idéologique de masquer les causes réelles du chaos du monde c’est-à-dire la mondialisation ultralibérale actuelle. Il n’y a aucune amitié particulière entre les classes dominantes occidentales et les pétromonarchies et/ou les «djihadistes», mais une convergence relative d’intérêts matériels et idéologiques.

Comme le soulignait De Gaulle pour décrire la réal-politique: «Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts». C’est cette réal-politique qui a conduit dans le passé à présenter les «djihadistes» en Afghanistan comme des combattants de la liberté et qui conduit un Fabius à dire aujourd’hui : «El Nosra fait du bon boulot».

Mais se limiter à l’offre ne permet pas de comprendre l’efficacité actuelle du phénomène. Encore faut-il expliquer le fait que cette offre rencontre une «demande».

Nous disions plus haut que cette offre n’est pas nouvelle. Nous l’avons-nous même rencontrée dans les quartiers populaires, il y a plus de trois décennies. Simplement à l’époque, elle ne rencontrait aucune «demande». Nous pensions à vivre, à nous amuser, à militer et à aimer et regardions ces prédicateurs comme des allumés.

C’est la raison pour laquelle il faut se pencher sur les processus d’émergence et de développement de cette demande «made in France».

À ce niveau force est de faire le lien avec les processus de paupérisation et de précarisation massive qui touchent les classes populaires. L’existence avérée de candidats «djihadistes» non issus de familles musulmanes souligne que c’est bien l’ensemble des classes populaires qui sont concernés par ces processus conduisant les plus fragilisés de leurs membres à sombrer dans des comportements nihilistes.

Force également est de faire le lien avec les discriminations racistes systémiques et institutionnelle qui abîment des vies pour nos concitoyens noirs, arabes et musulmans.

Force enfin est de prendre en compte dans l’analyse les effets des discours et pratiques islamophobes qui se sont répandus dans la société française et qu’il est de bon ton de relativiser, d’euphémiser, voir de nier.

Ce sont l’ensemble de ces processus qui conduisent à l’émergence du nihilisme contemporain.

Enfin la vision méprisante des habitants des quartiers populaires comme «sous-prolétariat» incapable de penser politiquement conduit à sous-estimer le besoin du politique dans les classes populaires en général et dans leurs composantes issues de l’immigration post-coloniale en particulier.

Ces citoyennes et citoyens observent le monde et tentent de le comprendre avec les grilles disponibles dans une séquence historique donnée. Ils et Elles ne peuvent que constater que des guerres se multiplient et que l’on trouve des financements pour le faire alors qu’on leur serine que les caisses sont vides. Elles et ils ne peuvent qu’interroger la soi-disant nécessité urgente d’intervenir en Irak, en Afghanistan, en Syrie, en Lybie, en Côte d’Ivoire, au Mali, etc. et à l’inverse la soi-disant nécessité urgente à soutenir l’Etat d’Israël en dépit de ses manquements à toutes les résolutions des Nations-Unies.

Tous ces facteurs conduisent pour la majorité à une révolte qui cherche un canal d’expression et pour une extrême minorité à l’orientation nihiliste.

À ne pas vouloir comprendre qu’un monde immonde conduit à des actes immondes, on constitue le terreau de la rencontre entre l’offre et la demande de nihilisme.

Sources

  • https://bouamamas.wordpress.com/2015/11/15/un-monde-immonde-engendre-des-actes-immondes-ne-pas-renoncer-a-penser-face-a-lhorreur/#more-251
  • http://www.raina-dz.net/spip.php?article1049

S. BESSIS ET M. HARBI : « NOUS PAYONS LES INCONSÉQUENCES DE LA POLITIQUE FRANÇAISE AU MOYEN-ORIENT»

pdf-3.jpg Le Monde

le 17 novembre 2015

Soyons réalistes, demandons l’impossible, clamaient dans les rues de Paris les utopistes de mai 1968. Etre réaliste aujourd’hui, c’est réclamer à ceux qui gouvernent d’aller aux racines de ce mal qui, le 13 novembre, a tué au moins 129 personnes dans la capitale française. Elles sont multiples, et il n’est pas question d’en faire ici l’inventaire. Nous n’évoquerons ni l’abandon des banlieues, ni l’école, ni la reproduction endogamique d’élites hexagonales incapables de lire la complexité du monde. Nous mesurons la multiplicité des causes de l’expansion de l’islamisme radical.

Comme nous savons à quel point l’étroitesse des rapports entretenus dans tout le monde arabe entre les sphères politique et religieuse a pu faciliter son émergence, nous n’avons aucune intention simplificatrice. Mais, aujourd’hui, c’est la politique internationale d’une France blessée, et de l’ensemble du monde occidental, que nous voulons interroger.

Sur l’islamisme d’abord. Depuis le début de sa montée en puissance, dans les années 1970, les dirigeants occidentaux se sont convaincus qu’il devenait la force politique dominante du monde arabo-musulman. Addiction au pétrole aidant, ils ont renforcé le pacte faustien les liant aux Etats qui en sont la matrice idéologique, qui l’ont propagé, financé, armé. Ils ont, pour ce faire, inventé l’oxymore d’un « islamisme modéré» avec lequel ils pouvaient faire alliance.

Le soutien apporté ces derniers mois au régime turc de M. Erdogan dont on connaît les accointances avec le djihadisme, et qui n’a pas peu contribué à sa réélection, en est une des preuves les plus récentes. La France, ces dernières années, a resserré à l’extrême ses liens avec le Qatar et l’Arabie saoudite, fermant les yeux sur leur responsabilité dans la mondialisation de l’extrémisme islamiste.

4811387_6_555d_laurent-fabius-et-le-ministre-du-petrole_53804d5e590fff94c999eb8101ee0f2c.jpg
Le djihadisme est avant tout l’enfant des Saoud et autres émirs auxquels elle se félicite de vendre à tour de bras ses armements sophistiqués, faisant fi des «valeurs» qu’elle convoque un peu vite en d’autres occasions. Jamais les dirigeants français ne se sont posé la question de savoir ce qui différencie la barbarie de Daesh de celle du royaume saoudien. On ne veut pas voir que la même idéologie les anime.

Cécité volontaire

Les morts du 13 novembre sont aussi les victimes de cette cécité volontaire. Ce constat s’ajoute à la longue liste des soutiens aux autres sanglants dictateurs moyen-orientaux – qualifiés de laïques quand cela convenait – de Saddam Hussein à la dynastie Assad ou à Khadafi – et courtisés jusqu’à ce qu’ils ne servent plus. La lourde facture de ces tragiques inconséquences est aujourd’hui payée par les citoyens innocents du cynisme à la fois naïf et intéressé de leurs gouvernants.

L’autre matrice du délire rationnel des tueurs djihadistes est la question israélo-palestinienne. Depuis des décennies, les mêmes dirigeants occidentaux, tétanisés par la mémoire du judéocide perpétré il y a soixante-dix ans au cœur de l’Europe, se refusent à faire appliquer les résolutions de l’ONU susceptibles de résoudre le problème et se soumettent aux diktats de l’extrême droite israélienne aujourd’hui au pouvoir, qui a fait de la tragédie juive du XXe siècle un fonds de commerce.

On ne dira jamais assez à quel point le double standard érigé en principe politique au Moyen-Orient a nourri le ressentiment, instrumentalisé en haine par les entrepreneurs identitaires de tous bords. Alors oui, soyons réalistes, demandons l’impossible. Exigeons que la France mette un terme à ses relations privilégiées avec l’Arabie saoudite et le Qatar, les deux monarchies où l’islam wahhabite est la religion officielle, tant qu’elles n’auront pas coupé tout lien avec leurs épigones djihadistes, tant que leurs lois et leurs pratiques iront à l’encontre d’un minimum décent d’humanité.

Exigeons aussi de ce qu’on appelle « la communauté internationale » qu’elle fasse immédiatement appliquer les résolutions des Nations unies concernant l’occupation israélienne et qu’elle entérine sans délai la création trop longtemps différée de l’Etat palestinien par le retour d’Israël dans ses frontières du 4 juin 1967.

Ces deux mesures, dont riront les tenants d’une realpolitik dont on ne compte plus les conséquences catastrophiques, n’élimineront pas en un instant la menace djihadiste, aujourd’hui partout enracinée. Mais elles auront l’immense mérite d’en assécher partiellement le terreau. Alors, et alors seulement, les mesures antiterroristes prises aujourd’hui en l’absence de toute vision politique pourraient commencer à devenir efficaces.

Sophie Bessis et Mohammed Harbi (historiens)

RETOUR D’UN BOOMERANG: NECESSITÉ D’UNE ALTERNATIVE POLITIQUE AU SENS PLEIN DU TERME

pdf-3.jpg LE RETOUR DU BOOMERANGarticle de J. F BAYARTLibération – le 15 novembre 2015;


pdf-3.jpg RAISON GARDERATTENTATS DE PARIS – ORIENT XXI – ÉDITORIAL;


pdf-3.jpg LA PEUR EST NOTRE ENNEMIEpar EDWY PLENEL – MEDIAPART – le 14 NOVEMBRE 2015 ;


LE RETOUR DU BOOMERANG

article de J. F BAYART [[ Jean-François Bayart, Professeur à l’IHEID (Genève), directeur de la chaire d’Etudes africaines comparées (UM6P, Rabat)

A notamment publié L’Islam républicain. Ankara, Téhéran, Dakar (Albin Michel, 2010)]]

Libération

le 15 novembre 2015

TRIBUNE

669182-paris-quai-d-orsay-affaires-etragneres-illustration.jpgAu Quai d’Orsay à Paris. La valise diplomatique présente toujours une qualité unique: son inviolabilité. Photo AFP

« Les origines de ce 13 novembre sont aussi à chercher du côté de la politique étrangère de l’Europe et de la France ces quarante dernières années. La démission de l’Europe sur la question palestinienne, l’occasion manquée avec la Turquie que l’on aurait pu si facilement arrimer à l’UE, l’alliance de la France avec les pétromonarchies… sont autant d’erreurs qui n’ont fait qu’aggraver le désastre et nourrir rancœur et radicalisation au Proche-Orient.

Au-delà de la polémique électoralement intéressée, et assez indigne, sur les mesures de sécurité prises, ou mal prises, par le gouvernement, la classe politique, les médias, l’opinion elle-même devraient s’interroger sur leurs responsabilités de longue durée dans le désastre que nous vivons. Celui-ci est le fruit vénéneux d’un enchaînement d’erreurs que nous avons commises depuis au moins les années 1970, et que nous avons démocratiquement validées dans les urnes à intervalles réguliers.

La démission de l’Europe sur la question palestinienne, dès lors que sa diplomatie commençait là où s’arrêtaient les intérêts israéliens, a installé le sentiment d’un «deux poids deux mesures», propice à l’instrumentalisation et à la radicalisation de la rancœur antioccidentale, voire antichrétienne et antisémite. L’alliance stratégique que la France a nouée avec les pétromonarchies conservatrices du Golfe, notamment pour des raisons mercantiles, a compromis la crédibilité de son attachement à la démocratie – et ce d’autant plus que dans le même temps elle classait comme organisation terroriste le Hamas palestinien, au lendemain de sa victoire électorale incontestée. Pis, par ce partenariat, la France a cautionné, depuis les années 1980, une propagande salafiste forte de ses pétrodollars, à un moment où le démantèlement de l’aide publique au développement, dans un contexte néolibéral d’ajustement structurel, paupérisait les populations, affaiblissait l’Etat séculariste et ouvrait une voie royale à l’islamo-Welfare dans les domaines de la santé et de l’éducation en Afrique et au Moyen-Orient.

Son alliance avec les pétromonarchies arabes a aussi conduit la France à appuyer diplomatiquement et militairement la guerre d’agression de l’Irak contre l’Iran (1980-1988) et à ostraciser ce dernier, alors qu’il représente, avec la Turquie, le seul môle de stabilité étatique de la région, qui détient l’une des clefs de la résolution de la plupart de ses conflits, comme nous le découvrons aujourd’hui au Liban et en Syrie. La même désinvolture a présidé à la politique de la France à l’égard d’Ankara. Au lieu d’arrimer la Turquie à la construction européenne, Paris l’a snobée, au risque de perdre toute influence auprès d’elle, de favoriser sa «poutinisation» et de l’abandonner à ses liaisons dangereuses avec des mouvements djihadistes.

Non sans cynisme, la France a joué pendant des décennies la carte de l’autoritarisme en Algérie, en Tunisie, en Egypte, en Syrie, en Irak en y voyant un gage de stabilité, en s’accommodant de la polarisation ethnoconfessionnelle sur laquelle reposaient souvent ces régimes, en espérant que les peuples se résigneraient éternellement au despotisme que l’on estimait congénital en terre d’islam, et en laissant à celui-ci le monopole de la dissidence, rendant ainsi les successions autoritaires inévitablement chaotiques. Une cocotte-minute qui explose, ce n’est jamais beau à voir.

Après avoir conforté les dictatures, la France s’est lancée avec puérilité dans l’aventure démocratique sans voir à quel point les sociétés avaient été meurtries par des décennies d’assujettissement, et en sous-estimant la froide détermination des détenteurs du pouvoir. Puis, pour résoudre d’un bombardement magique les problèmes qu’elle avait contribué à envenimer au fil des ans, elle est à son tour entrée en guerre en suscitant de nouvelles inimitiés sans avoir les moyens de s’en préserver.

Les situations inextricables de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Syrie, de la Libye ne sont que la résultante de ces erreurs de calcul, ou de ces calculs à courte vue. Sans doute annoncent-elles ce que nous réserve la restauration autoritaire en Algérie (dès 1991) et en Egypte (en 2014). A l’aveuglement et aux inconséquences, nous avons ajouté le déshonneur par le traitement que nous avons réservé aux réfugiés qui fuyaient les guerres que nous (ou nos alliés) avions déclenchées, en Libye et en Irak, et les autoritarismes que nous avions soutenus.

Sur le plan intérieur, le bilan est aussi accablant. Pendant que nos politiques économiques néolibérales produisaient un chômage de masse et la désindustrialisation, nous avons restreint le débat public à des questions identitaires oiseuses en courant après l’extrême droite qui en faisait son miel électoral. Pas un homme politique – hormis peut-être Dominique Strauss-Kahn en 2006, pendant sa campagne pour les primaires du PS – n’a tenu un langage de vérité sur l’immigration depuis des lustres. Au lieu de tirer avantage de ce formidable atout que représente le biculturalisme de nombre de jeunes Français, nous avons rejeté une partie importante, et bien délimitée, de ceux-ci – à savoir les musulmans – dans la marginalité, et nous avons douté de leur appartenance à la nation, ce dont certains d’entre eux ont fini par douter eux-mêmes. Des présidents de la République, des ministres, des hauts fonctionnaires ont proféré en toute impunité des paroles indignes et anticonstitutionnelles, tandis que les médias ouvraient grand leurs antennes, leurs écrans et leurs colonnes à des plumitifs racistes ou ignorants érigés en penseurs.

L’asphyxie financière de l’école, de l’Université, de la recherche publique, et le poujadisme anti-intellectuel dont a fait preuve à leur encontre la droite oublieuse que la République dont elle se gargarise avait été celle des professeurs et des instituteurs, à la fin du 19e siècle, nous a privés des moyens de comprendre ce qui est en train de nous arriver.

Maints analystes avaient pourtant annoncé, depuis longtemps, que nous courions droit dans le mur. Nous y sommes, bien que celui-ci, comme toujours dans l’Histoire, prenne un visage inattendu. Un examen de conscience s’impose à tous, car ces erreurs, qui nous reviennent en plein visage comme un boomerang, ont été commises à l’initiative de toutes les majorités qui se sont succédé au pouvoir depuis les années 1970. Si Sarkozy a sans conteste été le plus mauvais président de la République qu’ait connu la France, Giscard d’Estaing, Chirac, Mitterrand et Hollande se partagent la paternité de la politique suivie. Or, nous avons les dirigeants que nous élisons, et les médias que nous achetons. En bref, nous sommes responsables de ce qui nous arrive.

Seul un retournement radical pourrait nous en sortir : la remise en cause de la financiarisation du capitalisme qui détruit le lien social, créé la misère de masse et engendre des desperados ; une politique de sécurité qui privilégie le renseignement humain de qualité et de proximité plutôt que la surveillance systématique, mais vaine, de la population ; le rétablissement et l’amplification des libertés publiques qui constituent la meilleure riposte à l’attaque de notre société ; la révision de nos alliances douteuses avec des pays dont nous ne partageons que les contrats ; et surtout, peut-être, la lutte contre la bêtise identitaire, aussi bien celle d’une partie de notre propre classe politique et intellectuelle que celle des djihadistes. Car les Zemmour, Dieudonné, Le Pen, et Kouachi ou autres Coulibaly sont bien des «ennemis complémentaires», pour reprendre le terme de l’ethnologue Germaine Tillion.

L’alternative est claire, à trois semaines des élections, et elle est politique, au sens plein du mot. Soit nous continuons à laisser ces phares de la pensée et leurs experts sécuritaires nous guider vers le gouffre, et notre prochain président de la République sera un Viktor Orban, peu importe qu’il soit de droite ou de gauche pourvu qu’il nous rétracte identitairement. Soit nous conjuguons notre autodéfense avec la conquête de nouvelles libertés, comme avait su le faire, à une époque plus tragique encore, le Conseil national de la Résistance, pendant la Seconde Guerre mondiale. Telle serait la vraie réponse aux crétins assassins et aux histrions. »

Jean-François Bayart

Sources: Libération 15 novembre 2015

haut de page